Le Diable au corps - biblio
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Le Diable au corps Radiguet Livret pédagogique correspondant au livre élève n° 21 établi par Bertrand Louët, professeur certifié de Lettres modernes Sommaire – 2 SOMMAIRE A V A N T - P RO P O S ............................................................................................ 3 T A B L E DES CO R P U S ........................................................................................ 4 R ÉP O NSES A U X Q U EST I O NS ................................................................................ 5 Bilan de première lecture (p. 156)...................................................................................................................................................................5 « Chapitre 2 » (pp. 15 à 19) ..............................................................................................................................................................................6 ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 20 à 22)...............................................................................................................................6 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 23 à 32) ..................................................................................................................8 « Chapitre 4 » (pp. 36 à 41) ............................................................................................................................................................................11 ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 42-43) ...............................................................................................................................11 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 44 à 50) ................................................................................................................13 « Chapitre 9 » (pp. 70 à 77) ............................................................................................................................................................................16 ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 78 à 80).............................................................................................................................16 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 81 à 89) ................................................................................................................18 « Chapitre 33 » (pp. 154-155) ........................................................................................................................................................................21 ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 156-157) ...........................................................................................................................21 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 158 à 168)............................................................................................................22 C O M P L ÉM ENT S A U X L ECTU RES D ’ I M A GES ................................................................. 28 B I B L I O GRA P H I E CO M P L ÉM ENT A I RE ....................................................................... 31 Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays. © Hachette Livre, 2004. 43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15. www.hachette-education.com Le Diable au corps – 3 AVANT-PROPOS Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettre en œuvre, il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces lectures, de préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de textes, analyse d’une ou deux questions préliminaires, techniques du commentaire, de la dissertation, de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…). Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs. Un roman comme Le Diable au corps permettra d’étudier l’esthétique du roman dans les années 1920 et ses rapports avec le classicisme et le surréalisme. S’agissant d’un roman d’amour, il permettra aussi de s’interroger sur l’écriture de l’amour par les écrivains, à travers trois groupements de textes. Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle collection d’œuvres classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois : – motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte, moderne et aérée, qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à des notes claires et quelques repères fondamentaux ; – vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux travaux d’écriture. Cette double perspective a présidé aux choix suivants : • Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page, afin d’en favoriser la pleine compréhension. • Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre la lecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductions pouvant donner lieu à une exploitation en classe, notamment au travers des lectures d’images proposées dans les questionnaires des corpus. • En fin d’ouvrage, le « dossier Bibliolycée » propose des études synthétiques et des tableaux qui donnent à l’élève les repères indispensables : biographie de l’auteur, contexte historique, liens de l’œuvre avec son époque, genres et registres du texte… • Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à faciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pages de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (sur fond blanc), il comprend : – Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un parcours cursif de l’œuvre. Il se compose de questions courtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens général de l’œuvre. – Des questionnaires raisonnés en accompagnement des extraits les plus représentatifs de l’œuvre : l’élève est invité à observer et à analyser le passage. On pourra procéder en classe à une correction du questionnaire, ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analyse du texte. – Des corpus de textes (accompagnés le plus souvent d’un document iconographique) pour éclairer chacun des extraits ayant fait l’objet d’un questionnaire ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire d’analyse des textes (et éventuellement de lecture d’image) et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de Première, sur le « descriptif des lectures et activités » à titre de groupement de textes en rapport avec un objet d’étude ou de documents complémentaires. Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vos élèves, un outil de travail efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion. Table des corpus – 4 TABLE DES CORPUS Corpus Le surréalisme ou la poésie de tous les jours (p. 23) La magie de la première rencontre (p. 44) La première fois, de la Régence aux années 1950 (p. 81) Il n’y a pas d’amour heureux (p. 158) Composition du corpus Objet(s) d’étude et niveau Texte A : « Chapitre 2 » du Diable au corps de Raymond Radiguet (pp. 15-19). Texte B : Extrait du Manifeste du surréalisme d’André Breton (pp. 24-26). Texte C : Extrait du Paysan de Paris de Louis Aragon (pp. 26-27). Texte D : Extrait de La Liberté ou l’Amour de Robert Desnos (pp. 27-29). Document : Les Valeurs personnelles de René Magritte (p. 29). Texte E : Extrait du Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline (p. 30). Texte A : « Chapitre 4 » du Diable au corps de Raymond Radiguet (pp. 36-41). Texte B : Extrait de L’Éducation sentimentale de Gustave Flaubert (pp. 44-45). Texte C : Extrait d’Aurélien de Louis Aragon (pp. 46-47). Document : Extrait de Persépolis de Marjane Satrapi (pp. 47-48). Un mouvement littéraire : le surréalisme (Seconde) Le roman surréaliste (Première) Texte A : Extrait du Diable au corps de Raymond Radiguet (p. 73, l. 1166, à p. 75, l. 1229). Texte B : Extrait des Égarements du cœur et de l’esprit de Crébillon fils (pp. 82-83). Texte C : Extrait d’Omphale de Théophile Gautier (pp. 83-86). Texte D : Extrait de Bonjour tristesse de Françoise Sagan (pp. 86-87). Document : Les Beaux Jours de Balthus (p. 88). Texte A : « Chapitre 33 » du Diable au corps de Raymond Radiguet (pp. 154-155). Texte B : Extrait de La Princesse de Clèves de Mme de Lafayette (pp. 158-159). Texte C : Extrait de Bérénice de Jean Racine (pp. 160-161). Texte D : Extrait des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos (pp. 161-162). Texte E : Extrait du Bal du comte d’Orgel de Raymond Radiguet (pp. 162-164). Texte F : Extrait des Enfants terribles de Jean Cocteau (pp. 164-166). Le renouvellement du genre « roman » par le choix de nouveaux sujets (Seconde) Le roman d’amour : la première fois (Première) Compléments aux travaux d’écriture destinés aux séries technologiques Question préliminaire En quelle mesure peut-on dire que les extraits du corpus et le document donnent une image de la diversité des effets que le surréalisme a exercés sur l’art et la littérature ? Commentaire Vous étudierez les différentes métaphores de la femme et les mouvements des personnages. La rencontre : un topos littéraire (Seconde) Le roman d’amour : la scène de la rencontre (Première) La tragédie et le registre pathétique (Seconde) Le roman d’amour : la mort de l’héroïne (Première) Question préliminaire En quelle mesure peut-on dire que les extraits du corpus présentent une vision diversifiée de la première rencontre des amants ? Commentaire Vous étudierez le parallèle (ressemblances et différences) entre les personnages du roman et ceux de la tragédie citée par Aragon. Question préliminaire En quelle mesure peut-on dire que les extraits du corpus témoignent de l’évolution des mœurs et notamment de la notion de « bienséance » en littérature ? Commentaire Vous analyserez l’opposition entre passé simple et imparfait, pour mettre en lumière la progression de la narration. Question préliminaire L’amour est-il toujours malheureux en littérature ? Pour répondre, vous confronterez les textes du corpus avec, par exemple, des textes de comédies, comme celles de Molière. Commentaire Vous analyserez le dialogue et les rimes. Le Diable au corps – 5 RÉPONSES AUX QUESTIONS B i l a n d e p r e m i è r e l e c t u r e ( p . 1 5 6 ) Le roman commence « quelques mois avant la déclaration de la guerre » (p. 9, « Chapitre 1 ») ; le narrateur a douze ans. Le départ de l’histoire du Diable au corps (les amours du narrateur et de Marthe) se situe un « dimanche d’avril 1917 », au début du « Chapitre 4 » (l. 367), moment de la rencontre de Marthe et du narrateur. " La scène étrange est celle de la bonne des voisins devenue folle, montant sur le toit et finissant par se jeter dans le vide. Cette scène se déroule la « veille du 14 juillet 1914 » (l. 181) et se mélange donc avec une fête foraine voisine. Cette scène « fait comprendre mieux que tout[e] autre l’étrange période de la guerre, et combien, plus que le pittoresque, me [le narrateur] frappait la poésie des choses ». Autrement dit, elle éclaire à la fois l’époque du récit et la personnalité du narrateur qui en est l’un des personnages principaux. # Au « Chapitre 1 », le narrateur essaye d’adresser une lettre à une petite fille de l’école de filles voisine. La correspondance est surprise et il est admonesté par le directeur de l’école, mais il y gagne le surnom de « Don Juan » (l. 63) attribué par son instituteur. Après cet épisode, son père le retire de l’école car il reproche au directeur de ne pas l’en avoir informé. $ Le narrateur rencontre Marthe au « Chapitre 4 » ; elle est la fille d’amis de son père, les Grangier, et les deux familles font ensemble une promenade dominicale. % La deuxième rencontre se produit de manière fortuite, en descendant du train, « à la gare de la Bastille ». Le narrateur ne se rend pas à ses cours et les jeunes gens choisissent ensemble la future chambre à coucher de Marthe et de son mari. Il s’agit d’un acte éminemment symbolique : « j’entrevis le moyen de choisir une chambre pour Marthe et pour moi » (« Chap. 5 », l. 659), dit en effet le narrateur. & Au début du « Chapitre 9 », le narrateur prétexte une randonnée avec son ami René – ce qui donne l’impression qu’il partira avant le réveil de ses parents. Il peut ainsi découcher sans que ceux-ci s’en aperçoivent. Ce subterfuge provoque un intermède comique, sa mère lui préparant un panier de victuailles, dont le narrateur ne sait que faire, ne souhaitant pas arriver avec un volumineux cassecroûte à un rendez-vous galant. ' Dans un scénario à la Cosi Fan Tutte, il lui demande d’éprouver la fidélité de sa maîtresse en tentant de la séduire. Bien entendu, la jeune femme prend les devants (fin du « Chapitre 13 »). Cet épisode, comme celui de Svéa (« Chap. 23 »), contribue à la réputation de don juan du narrateur, qui se construit dès le premier chapitre. ( Les voisins de Marthe sont ses propriétaires, les Marin. M. Marin est un ancien conseiller municipal, comme les patrons de la bonne folle du « Chapitre 2 ». D’une manière générale, le narrateur ridiculise les notables à travers ces personnages : « Les conseillers municipaux jouent toujours un rôle dans mes aventures », dit-il au début du « Chapitre 16 ». ) Les Marin reçoivent leurs amis à un goûter pour se repaître du bruit des ébats de Marthe et du narrateur (« la distraction des Marin était de se tenir sous notre chambre vers la fin de l’après-midi et de surprendre nos caresses », « Chap. 16 », l. 1729 ; puis : « Sans doute y avaient-ils pris goût et voulaient-ils publier leurs plaisirs »). *+ Le narrateur formule cette maxime au « Chapitre 15 », pour caractériser la manière dont les habitants de J…, en particulier les plus modestes, se détournent de Marthe depuis que sa liaison est devenue publique. *, Svéa est une amie suédoise de Marthe, qui se détourne d’elle lorsqu’elle a vent de sa liaison avec le narrateur. Le narrateur la rencontre dans le train au « Chapitre 23 » et l’invite chez Marthe absente. Il a une brève aventure avec elle. *- Marthe est allée rejoindre son mari, Jacques, en convalescence à l’hôpital de Bourges (« Chap. 19 », p. 112). *. Il lui fait croire que Marthe est là. */ Ce sont les Marin, ses propriétaires, qui lui écrivent une lettre (« Chap. 23 »). ! Réponses aux questions – 6 Il met cette dénonciation sur le compte de la malveillance et donne une autre explication à cet événement : il prétend qu’ils se sont rencontrés fortuitement chez Marthe, Svéa lui rendant visite un jour où il était en train de lui écrire, et qu’il l’a accueillie en pensant qu’elle aurait plaisir à se rapprocher d’elle (« Chap. 23 »). *1 Marthe est revenue de Bourges ; elle est enceinte et ne veut plus passer la nuit chez elle avec le narrateur. Le narrateur réussit à la convaincre qu’ils passent ensemble une nuit à l’hôtel. Le « Chapitre 29 » rapporte l’errance des deux amants à la recherche d’un hôtel. Après cette nuit, ils ne se reverront quasiment plus jusqu’à la mort de Marthe. *2 « Un vendredi de janvier, mes frères, tout essoufflés, nous annoncèrent que le petit Grangier avait un neveu. » C’est par cette curieuse formule que l’on apprend, au « Chapitre 32 », que l’enfant est né. *3 À nouveau, ce sont ses frères qui le lui apprennent, de manière intempestive, en criant que « Marthe est morte » (« Chap. 33 ») et sans avoir conscience de l’effet que cette nouvelle provoque en lui. *4 Il découvre la force de son « amour » et devient paradoxalement jaloux de Marthe. Pour cette raison, il préfère la croire envoyée au néant qu’au paradis. *0 « C h a p i t r e 2 » ( p p . 1 5 à 1 9 ) ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 20 à 22) Outre lui-même, ses frères et son père, le narrateur met en scène différents personnages : – le conseiller municipal Maréchaud (« bonhomme grotesque, nain à barbiche blanche et à capuchon », l. 170) ; – la jeune bonne de ce conseiller « devenue folle » (l. 185) ; – un autre conseiller municipal, « adversaire de Maréchaud », et sa femme (l. 218) ; – la foule, composée notamment de « voyous » et de gens ordinaires, comme le narrateur et son père (l. 241). Cette galerie de personnages représente bien la société d’avant la guerre de 1914-1918, clivée et enserrée dans des usages et un ordre social en apparence immuables, mais que la guerre va recomposer : d’un côté les « notables », de l’autre la « foule » des gens simples à laquelle appartiennent le narrateur et sa famille. La fin de la scène, montrant le « père Maréchaud […] contemplant les dégâts » et son « prestige détruit », en témoigne : pendant toute la scène il n’ose sortir car cette scène qui se déroule sur son toit n’est pas conforme à sa fonction de notable ; le « peuple », le narrateur et ses frères, les « voyous » de la fête voisine s’amusent d’ailleurs de ce désordre, image et préfiguration du chaos généralisé que va provoquer la guerre. " Fête et drame sont racontés par le narrateur de manière simultanée, de telle sorte qu’ils se mélangent : « Les voyous, qui préféraient ce spectacle à la foire, voulaient cependant combiner les plaisirs » (l. 241) ; ainsi, ils vont et viennent de la folle aux manèges, comme d’une attraction à l’autre. Il en va de même pour le narrateur, qui reste à regarder la folle, tandis que ses frères vont aux manèges. Le conseiller municipal concurrent de Maréchaud improvise un discours politique : les applaudissements qui le saluent sont reçus par la folle qui salue (l. 252) comme une artiste en scène. Enfin, la folle se jette du toit au moment de la « retraite au flambeau », les deux événements se concluant en même temps dans une sorte d’apothéose tragique, soulignée par l’évanouissement du narrateur au moment où l’on crie : « Elle vit encore » (l. 283). Ce mélange de lumières, de « feux de Bengale », de pétards et de mort renvoie sans doute à la guerre et à la représentation qu’on s’en faisait avant les premières batailles et l’enlisement dans les tranchées. # Deux clans de notables sont présentés : les Maréchaud, son adversaire politique et l’épouse de ce dernier. Ils sont totalement disqualifiés : les premiers sont lâches ; « épouvantés par le scandale, [ils] avaient clos leurs volets » (l. 187). Maréchaud est par ailleurs décrit comme une caricature de notable de la IIIe République (l. 169 sqq.). Son adversaire est d’un opportunisme révoltant car il n’hésite pas à tirer parti du drame, quitte à envenimer la situation en excitant la foule contre son adversaire, au mépris de la victime qui finit par se jeter du toit au milieu des applaudissements (sa femme s’apitoie « bruyamment » et son mari « improvis[e] un discours » pour haranguer la foule – ce qui entraîne la folle à jeter des tuiles sur les pompiers, l. 252). ! Le Diable au corps – 7 La phrase finale du chapitre le dit explicitement (« l’étrange période de la guerre », « le pittoresque », « la poésie des choses », l. 292 sqq.) : la période de la guerre est assez spéciale. On a bien vu qu’au cours du passage : – l’autorité des notables a été bafouée et détruite (l. 291) ; – la tragédie a été ressentie comme un spectacle amusant par la foule et le triomphe final célèbre le suicide (« Cent torches éclairaient soudain la folle », l. 275) d’une obscure bonne devenue « une nouvelle étoile » (l. 277). Au total, donc, les valeurs s’inversent : l’ordre devient désordre, la fête se mue en tragédie, le drame en spectacle féerique. L’orée de la guerre est montrée comme un moment d’abolition des règles, de fête, une sorte de carnaval des fous. C’est en cela que certains peuvent y voir une période de « poésie profonde ». Une telle manière de présenter les choses – l’ivresse qui a saisi le pays à la veille de la déclaration de guerre – est assez originale et pénétrante en 1923, c’est-à-dire après la guerre, à un moment où le dénombrement des morts poussait à considérer de manière critique l’enthousiasme de l’été 1914. % La première phrase du livre, « Je vais encourir bien des reproches », témoigne de la conscience qu’a le narrateur du caractère choquant et scandaleux de son propos et de son récit. La scène du « Chapitre 2 » est comme une justification du roman : en raison de l’« atmosphère irrespirable, propice à l’extravagance » (l. 165) provoquée par la guerre, tout se renverse et chacun sort de ses gonds, de sa place. On peut aussi analyser cet épisode comme une mise en abyme du roman, c’est-à-dire une image réduite de son déroulement total : la jeune femme folle vit une « passion » sans tenir compte de l’ordre social ; elle est observée par la foule et les notables, comme le seront les amants par des voisins conseillers municipaux au « Chapitre 16 » ; la jeune fille meurt et le narrateur s’évanouit, comme Marthe et le narrateur, la première mourant, le second se glaçant au « Chapitre 33 ». Ainsi, ce « chapitre » inattendu prépare le lecteur, ouvre son esprit, pour le disposer à écouter avec une relative bienveillance le récit incroyable qui va suivre. & La « folle » (l. 185, 219, 232…), « fille, capitaine corsaire » (l. 256), « le fantôme de la bonne » (l. 288). Plus haut, il est question d’« une femme aux cheveux flottants » (l. 207). La scène est « fantastique », sur le toit d’une « maison du crime ». Toutes ces expressions renvoient aux différentes formes de littératures populaire, d’aventures, policière et fantastique, très appréciées des surréalistes pour leur puissance évocatoire un peu fabuleuse, la simplicité de leurs images et la manière naïve dont elles rappellent l’imagerie du rêve. ' La foule est transformée en « clientèle » (l. 236) ; il est question de « recette » (l. 236) et on vient au « spectacle » (l. 241), on y « applaudissait » (l. 252) ; la bonne se comporte en actrice : « la folle saluait » (l. 252), elle est « une nouvelle étoile ». Tout, jusqu’à l’éclairage (« lumière douce des rampes », l. 275), est décrit comme s’il s’agissait d’une scène de théâtre populaire, de Guignol (à l’arrivée des pompiers, « la foule, comme les enfants à Guignol, se mit à vociférer », l. 229). Enfin, il y a essentiellement deux groupes de spectateurs : la foule et les voyous. ( Les expressions qui désignent la femme sur le toit sont représentatives des thèmes de la folie, du rêve et du fantastique. L’intonation de la folle qui parle « avec cette profonde mélancolie résignée que donne aux voix la certitude qu’on a raison » (l. 239) ajoute, elle aussi, une note de merveilleux par son caractère incantatoire ou prophétique, de même que les jeux et les contrastes de lumière, la semi-obscurité qui règne sur l’ensemble, les bruits de clairons (l. 274). Au total, on a l’impression que la scène se sublime en une sorte de carnaval poétique et féerique – ce que souligne le narrateur à deux reprises (l. 229 et 291 sq.). ) Tout le vocabulaire employé par le narrateur, la manière théâtrale de construire la scène et son public aboutissent en effet à transformer un banal fait divers en une sorte de sabbat poétique dans lequel chacun perd conscience (au sens propre pour le narrateur) et se laisse aller aux rêveries qui l’habitent. Ainsi du père du narrateur, par exemple, comme envoûté par la scène : dans le passage des lignes 269 à 272, ses motivations sont en effet plus qu’ambiguës pour continuer à regarder et on peut s’interroger sur les causes de son « bouleversement ». La jeune bonne devient un personnage féerique, annonciateur de la guerre, et renverse une banale fête foraine de 14 Juillet en une révélation poétique de l’extravagance de la guerre. *+ Le texte, comme le roman, est écrit à la 1re personne, par un narrateur interne, avec un point de vue interne, qui veille à ne pas devenir omniscient. Ainsi, par exemple, quand il évoque les $ Réponses aux questions – 8 sentiments des voyous, les rattache-t-il à une manifestation sensible, visible de ceux-ci : « Aussi, tremblants que la folle fût prise en leur absence, couraient-ils […] » (l. 242). Le pronom indéfini « on », utilisé à plusieurs reprises, permet de donner une valeur générale au point de vue du narrateur, en y impliquant le lecteur : « On imagine l’angoisse du couple Maréchaud ». Il permet de désigner un agent imprécis (« on allait la prendre », l. 278) ou encore de faire parler ou agir la foule (« On l’applaudit », l. 251 ; « on ne comptait qu’une vingtaine de personnes », l. 273), sans que le point de vue devienne omniscient. Même si le texte classique préfère l’impersonnalité de la 3e personne (voir, par exemple, l’extrait de La Princesse de Clèves, p. 158), on note que, par l’emploi d’un point de vue interne et de l’indéfini, le narrateur semble à distance et quasi impersonnel, cette absence d’épanchement rappelant la froideur de surface, l’impassibilité et la distance de la prose classique. *, La scène, comme le roman, est écrite à l’imparfait et au passé simple, temps classiques du récit. Seuls les passages dialogués (« Je crains […] », l. 265) et le passage final, dans lequel le narrateur énonce son avis, passage de discours et non de récit (« Si j’insiste […] », l. 292), sont au présent. On notera qu’ici l’imparfait est beaucoup plus fréquent que le passé simple – ce qui contribue à donner à ce passage son atmosphère de lenteur, de vision féerique. Parfois, l’emploi du passé simple est subtil (« Je pensai à quelque fille, capitaine corsaire […] », l. 255), la pensée du narrateur devenant ainsi une action, s’opposant aux mouvements de la folle et de la foule, qui, à l’imparfait, deviennent le cadre général de sa rêverie. L’emploi des temps canoniques du récit donne évidemment au lecteur l’impression qu’il est confronté à un récit « classique » qui contrebalance l’étrangeté de la scène et du discours sur la guerre qu’elle met en place. *- La fin du texte nous apprend son émotivité, qu’il tente de masquer. Ainsi, à sa mère qui le trouve « pâle » il répond que ce sont les feux de Bengale qui lui donnent une « couleur verte » (l. 264) ; alors que le spectacle lui est devenu insupportable, il tente de le supporter et de cacher son trouble. Tout au long du roman, le fossé entre le sentiment ressenti et le sentiment montré ne cessera pas de se creuser. Cette opposition entre l’être et le paraître et cette nécessité de cacher ses vrais sentiments est l’une des caractéristiques du narrateur de ce roman, dont on peut supposer qu’il l’emprunte à des personnages classiques. *. Le narrateur use d’un point de vue interne. On aura remarqué qu’il ne parle pas ou très peu de luimême, si ce n’est pour se décrire. Ce qu’on apprend sur lui nous est donné par le point de vue d’autres personnages, ses parents, en particulier dans cette phrase : « personne n’est plus insensible » (l. 267) prononcée par son père. Une fois de plus, on assiste à l’effacement du moi, autre trait emprunté à l’esthétique classique. */ Il prend la parole pour expliquer pourquoi il a jugé utile de présenter cet « épisode » et en expliquer le sens. Cet épisode à la fois traduit l’atmosphère propre de la guerre qu’il « fait comprendre » et montre ce qui frappe le narrateur, ce à quoi il est sensible : « la poésie des choses ». Ainsi le passage ne vaut pas pour lui-même mais pour le sens qu’il donne à l’ensemble du roman, dont il situe de manière poétique le cadre et la personnalité du narrateur. Une fois encore, on est ici dans une perspective romanesque classique, où le narrateur détient une maîtrise presque absolue de son récit, dont il explique le sens au lecteur, au fur et à mesure de son déroulement. ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 23 à 32) Examen des textes et de l’image ! André Breton propose de substituer le hasard et l’association libre d’idées à la volonté. Il fixe comme méthode possible d’écriture poétique l’assemblage aléatoire (par tirage au sort) de titres découpés dans les journaux. L’intérêt du résultat tient exclusivement à son caractère déroutant car, on en conviendra, le poème obtenu est ici d’une assez grande médiocrité. Une telle méthode, par son caractère intransigeant, est une provocation, destinée à faire vaciller la manière traditionnelle, fondée sur la maîtrise absolue du processus créatif, de créer une œuvre d’art ; c’est aussi une invitation à regarder le monde autrement, d’une manière plus spontanée et ouverte, et Le Diable au corps – 9 à s’interroger sur ce qui confère son statut à une œuvre d’art : sa charge émotive, sa force évocatrice, ou bien seulement le fait qu’on l’ait nommée à un moment « œuvre d’art ». " Aragon trace un parallèle entre religiosité et art : « L’esprit des cultes […] a déserté les lieux sacrés » car l’un et l’autre se sont transportés dans la vie de tous les jours. Il convient donc de prêter attention, pour ne pas passer à côté de cette « divinité poétique » sans la voir. Il ajoute au hasard, défini par Breton, la notion de poésie immédiate, quotidienne. En outre, dans son texte, le hasard est clairement associé à la théorie psychanalytique de l’acte manqué (« La porte du mystère, une défaillance humaine l’ouvre ») : si, dans la psychanalyse, l’acte manqué ouvre sur l’inconscient, pour le surréalisme, il ouvre sur l’imaginaire et la poésie. # En dépit de son caractère narratif, le texte de Desnos est bien un texte surréaliste : il progresse par une succession de métaphores filées (les feuilles, les gants de femmes, Louise Lame…) qui semblent s’engendrer les unes les autres par la simple force d’imagination du narrateur. On peut ajouter à cela que, comme Aragon, Desnos nous invite à regarder autrement un lieu banal. $ Ce texte est un récit à la 1re personne, réaliste et écrit dans un style imitant le langage parlé. Il se rapproche des récits populaires par son registre grossier et comique et son vocabulaire très familier. % À la manière de la prose surréaliste, il fait comprendre par une image quotidienne l’énormité de la guerre ; comme l’extrait de Radiguet, il présente une vision inattendue du début de la guerre de 1914-1918, vécue comme une sorte de kermesse : le colonel a l’air « gentil et richement gaillard », le narrateur ne fait « qu’un bond d’enthousiasme » et suit un régiment qui passe, acclamé par la foule. Puis, en un raccourci saisissant, le régiment se retrouve seul, sans musique, sous la « pluie ». « C’est plus drôle », dit alors le narrateur. Lui et les autres soldats sont « faits comme des rats ». Ici, la poétique prépare à l’horreur, la souligne : ce passage est le début du roman ; à la page suivante, le narrateur décrira avec force détails la manière dont ce fringant colonel, en rase campagne, se fait couper en deux par un obus. & Les personnages de Desnos sont des passants : « une femme qui se dégante », « Louise Lame », auxquels se mêlent des images publicitaires (« Bébé Cadum ») et des personnages de romans d’aventures (« le Corsaire sanglot », « une chanteuse »). Comme dans la scène de Radiguet, Desnos construit une féerie métaphorique dans l’univers banal et quotidien d’une rue parisienne (la rue des Pyramides) et d’une place (la place de l’Étoile) qui devient la métaphore de l’étoile suivie par les Rois Mages et les bergers lors de la naissance du Christ. Évidemment, l’intention de Desnos n’est pas d’aboutir à un roman réaliste, comme Radiguet, bien au contraire, mais dans les deux textes la poésie fait irruption au sein de la réalité quotidienne, grâce à la faculté poétique du narrateur. ' La peinture de Magritte, peintre belge (1898-1967), est de facture classique et figurative. Dans cette toile, le peintre s’ingénie à mélanger les catégories (intérieur/extérieur ; grand/petit ; animé/inanimé ; perspective/absence de perspective) pour plonger son public dans une atmosphère de mystère et de doute. Au-delà de la question du sens du tableau, on comprend immédiatement que des objets (lit, blaireau, verre) et des lieux (chambre à coucher, salle de bains) très quotidiens et ordinaires deviennent mystérieux et poétiques. Tout se passe comme si, grâce à ces procédés surréalistes, le peintre nous invitait à percevoir autrement notre univers quotidien, à la manière de Radiguet, de Desnos et de Breton. Travaux d’écriture Question préliminaire Les trois textes surréalistes ne parlent pas de la guerre et n’en donnent pas d’image, comme s’ils s’y refusaient. En réalité, l’esthétique surréaliste est en partie née en réaction à la guerre, ses quatre années de barbarie étant présentées comme le résultat de la rationalité cartésienne bourgeoise. On trouve trace de cette animosité dans le registre discrètement polémique avec lequel Breton récuse la « volonté ». Les textes de Radiguet et de Céline ont pour sujet la guerre. Le premier en parle à travers la métaphore de la femme folle sur le toit, qui révèle comment cet événement historique a bouleversé la donne sociale et modifié l’organisation sociale. Céline, lui, met en avant son absurdité, le fait que cette guerre a été une tromperie pour ceux qui y ont été entraînés à leur corps défendant : ils croyaient se rendre à une fête en musique et se retrouvent sous la pluie, « faits comme des rats ». Réponses aux questions – 10 L’esthétique surréaliste est, on l’a dit, une réaction à la guerre, contre la guerre. Elle n’a tenté ni de l’expliquer, ni de lutter contre mais d’en faire disparaître ce qu’elle estimait en être les racines : la rationalité bourgeoise et bien-pensante. Commentaire Introduction La Liberté ou l’Amour est un des prototypes du récit surréaliste : le narrateur poursuit Louise Lame dans un Paris poétique, dans lequel les images publicitaires deviennent des personnages et où les jeux métaphoriques transforment la ville en un univers de rêve. Dans l’extrait, le narrateur est à la recherche de Louise Lame, qu’il voit et qui lui échappe – ce qui donne l’occasion d’une suite de métaphores évoquant l’amour et la liberté. On pourra analyser les différentes métaphores de l’extrait et décrire les caractéristiques surréalistes de cet extrait. 1. Réseaux de métaphores L’extrait est structuré autour de deux métaphores : celle du gant et celle de l’étoile. • L’image du gant est une métaphore filée, passant progressivement des feuilles aux gants, puis aux femmes, pour retrouver finalement Louise Lame. • L’image de l’étoile surgit ensuite car Louise Lame marche vers l’étoile, la place de l’Étoile, qui devient une métaphore de l’étoile du Berger, occasion de rappeler : – « l’amour fatal, exclusif et meurtrier », but du voyage ; – la liberté, brisée par Jésus que le narrateur aurait tué pour ce motif s’il avait été un des Rois. Ce réseau métaphorique permet ainsi d’aller de l’amour à la liberté, les deux thèmes du titre, en passant par une discrète évocation érotique (lorsque le narrateur ramasse un gant et le met dans sa poche) et un blasphème contre Jésus, ces deux thèmes étant consubstantiels à l’esthétique surréaliste. 2. Les caractéristiques de l’esthétique surréaliste A. La transfiguration du quotidien • Elle est sensible dans la transformation des feuilles en gants, métamorphose fondatrice dont découlent les suivantes, et dans l’utilisation de l’affiche du Bébé Cadum, transfiguré en une sorte de divinité de la tempête (rappelant Neptune ou Éole), dont il appelle les « émissaires ». • On notera que le narrateur est seul à être sensible à cette transfiguration (« La foule piétinait ces souvenirs […]. Seul j’évitais de les meurtrir »). B. Les associations d’idées L’étoile en est un bon exemple : de la place de Paris, Desnos passe à l’étoile du Berger, puis aux Rois Mages, enfin au voyage et à la liberté. C. Le rêve • La scène se passe de nuit ; la foule apparaît, disparaît, comme dans un rêve. • On peut ajouter l’irrespect, notamment pour les figures de la religion. Conclusion Manifeste pour la beauté, pour la liberté et pour l’amour, cet extrait est un exemple de ce que le récit surréaliste a produit de plus attrayant et de plus riche : outre la richesse métaphorique et imaginaire, Desnos parvient à une sorte de légèreté comique qui est l’une des marques de son style. Dissertation Introduction L’affirmation de Radiguet doit tout d’abord être replacée dans son contexte : elle est située au début du roman et donne une vision très paradoxale et inattendue, voire provocatrice, car elle consiste à prendre à contre-pied le préjugé commun selon lequel la guerre a été, pour chacun, une période de privations et de souffrances. On peut bien évidemment comprendre cette phrase comme un résumé du roman, qui est en effet la description et le récit de quatre années de « vacances ». Toutefois, cette phrase ne peut être réduite à une simple fonction descriptive : elle doit aussi être comprise comme une critique, une charge contre la guerre, que l’on pourra comparer avec les autres discours sur la guerre. Dans ces conditions, elle Le Diable au corps – 11 invite à relire le roman à la lumière de cette analyse de la guerre et à s’interroger sur les motivations de son auteur. 1. Un résumé du roman « Vacances » équivaut à : – oisiveté : le narrateur a quitté le lycée, il est libre de faire ce qu’il veut ; – absences : le pouvoir des adultes semble aboli, les enfants s’amusent. 2. Les critiques de la guerre « Vacances » équivaut à : – absence de production, absence de travail ; – désorganisation de la société. Ces deux résultats sont en fait le produit de la guerre. 3. Une formule qui permet de comprendre le sens du roman • Une parenthèse dans la vie du narrateur. • Une révolte contre le sérieux de sa génération qui revient de la guerre et dont il veut donner une autre vision. Conclusion De prime abord choquante, si on la confronte aux autres visions des quatre années de guerre, on s’aperçoit que cette formule révèle aussi une vision terrible de la guerre qui a désorganisé la société civile, « l’arrière », et une grille de lecture du roman qui, en présentant le résultat de la guerre, devient une sorte de charge contre elle, en en montrant les effets dévastateurs. Écriture d’invention On veillera à ce que les élèves situent leur récit dans un cadre quotidien, où ils feront apparaître des éléments étranges et inattendus, grâce à l’utilisation de métaphores ou d’associations d’idées. « C h a p i t r e 4 » ( p p . 3 6 à 4 1 ) ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 42-43) Le narrateur souligne son imprudence (l. 399), le « peu d’estime pour l’opinion des inconnus » (l. 400) que traduisent la simplicité de sa mise et ses goûts en littérature, les deux jeunes gens partageant la même admiration pour Baudelaire (l. 438). Le narrateur souligne l’aspect insoumis de la personnalité de Marthe, qui désobéit aussi bien à sa mère qu’à son mari, lequel prétend lui interdire la lecture de Baudelaire (l. 444). " Ce qui déplaît en elle au narrateur : ses aquarelles (« je trouvais ces sortes de fleurs ridicules », l. 413) ; son manque de pénétration qui la conduit à ne pas saisir les galanteries qu’il lui adresse et qu’elle prend au premier degré (« Je fus attristé de cette réponse », l. 421) ; sa coiffure, qui lui donne l’occasion d’une remarque d’amant (« Vous avez tort de vous coiffer de la sorte », l. 427). # « Je jugeai bon, pour la première fois, de ne pas lui dire que je trouvais ces sortes de fleurs ridicules » (l. 412) ; « C’était un madrigal » (l. 417) : dans ces deux remarques formulées dans une sorte de monologue intérieur, le narrateur contrôle ses propos de manière à flatter volontairement son interlocutrice en taisant les éléments qui pourraient la blesser. De même, l. 472-478, il s’abstient volontairement de parler des curiosités d’un village croisé au cours de la promenade, par pur calcul, pour ne pas rompre le registre « sentimental » de la conversation, quitte à ne pas « éblouir » Marthe et ses parents par sa connaissance du « passé de ce village ». $ Le narrateur se définit explicitement comme « timide » à plusieurs reprises (l. 461 et 494). De manière implicite, le narrateur révèle son refus des conventions bourgeoises et son goût pour la poésie sulfureuse, notamment à travers son goût pour Baudelaire et Verlaine, symboles d’une certaine révolte contre les idées bien-pensantes (représentées par le fiancé de Marthe qui est un « nigaud », l. 446). ! Réponses aux questions – 12 D’une manière générale, il apparaît aussi très imbu de lui-même. Il s’étonne que Marthe ne partage pas le mépris qu’il éprouve pour sa mère (l. 421), se félicite de « l’étroitesse » (l. 449) du fiancé de Marthe, donc de manière sous-entendue se juge bien supérieur à lui, comme d’ailleurs à toutes les personnes qui l’entourent. Cependant, même s’il évalue avec complaisance les paroles qu’il adresse à Marthe (« je me figurais lui avoir adressé des paroles significatives », l. 482), le narrateur ne se départ pas cependant d’une certaine lucidité : « J’oubliais que M. et Mme Grangier eussent pu entendre sans le moindre inconvénient tout ce que j’avais dit à leur fille » (l. 484). Au total, ces portraits croisés mettent en place les relations des deux personnages : « tyrannie » et calcul du narrateur à l’égard de Marthe, qui cependant mène leurs relations par la sincérité et la spontanéité de ses réactions. % Dès le début, le narrateur est charmé (l. 399) par l’imprudence de la jeune femme – terme fort, repris à la ligne 438 à propos de Baudelaire puis de leur conversation (l. 478). Il s’imagine lui « avoir déclaré [s]on amour » (l. 483) et conclut ce passage par la formule : « Le bonheur est égoïste » (l. 513). & Le narrateur masque tous les sentiments qui pourraient la blesser et qu’il conserve en son for intérieur : – le fait qu’il n’apprécie pas les fleurs stylisées que la jeune fille se vante de peindre ; – le vrai sens de la comparaison avec sa mère ; – son opinion sur son fiancé. Il masque aussi certains sentiments qui pourraient mettre en avant sa jeunesse et son statut de lycéen : – l’invention d’une fausse raison pour cacher à son père les escapades aux académies de dessin (l. 455) ; – le fait qu’il prenne de la grenadine uniquement pour imiter Marthe (l. 500). Il tente par là de ne formuler que des compliments à l’égard de Marthe tout en modifiant son image pour apparaître plus mûr qu’il n’est. ' Les deux compliments passent en fait par des critiques : « Vous ressemblez peu à madame votre mère » (l. 416), manière de dire qu’elle est belle en soulignant son contraste avec la laideur de sa mère, et le « Vous avez tort de vous coiffer de la sorte, les cheveux lisses vous iraient mieux » (l. 427) – là aussi, la critique est un compliment déguisé, soulignant par une litote (la laideur de sa chevelure) la beauté de son visage. ( Le narrateur établit une complicité de plusieurs manières avec la jeune femme. Tout d’abord, les deux jeunes gens s’isolent des autres (« Marthe et moi marchions en tête », l. 405) et même du décor (« nous n’avions pas encore fait allusion au décor de notre promenade », l. 463). Ensuite, ils se découvrent des goûts littéraires communs et partagent rapidement un secret (celui des académies de dessin, interdites pour l’un et l’autre). ) Durant tout le passage, il tente de se faire passer pour plus âgé qu’il n’est et de masquer son inexpérience, notamment en excusant sa timidité sous le prétexte de la présence des autres (en son for intérieur) et en lui proposant de la conduire dans une académie de dessin en secret, secret motivé par le fait que le narrateur ne veut pas qu’elle découvre la raison (ne pas voir de femmes nues) pour laquelle ses parents lui en interdisent la fréquentation. Il tisse un réseau de petits mensonges pour donner une bonne image de lui. *+ Le texte comporte plusieurs sortes de discours : – le récit : « Quand le train entra en gare » ; – le discours indirect libre : « Comme je complimentais Marthe sur ses aquarelles, elle me répondit modestement que c’étaient des études » ; – le discours direct : « Vous ressemblez peu à madame votre mère, lui dis-je » ; – le monologue intérieur du narrateur : « Je fus attristé de cette réponse, et je priai Dieu […]. » On peut constater que le narrateur manie tous les types de discours, tandis que Marthe ne s’exprime qu’aux discours indirect et direct. Comme les passages au discours direct sont rares, elle s’exprime nécessairement peu et le point de vue du narrateur est dominant. *, La jeune femme prononce trois répliques au discours direct (l. 418-420, 431-434 et 509). Dans les deux premières, qui sont des réponses à des compliments sous-jacents du narrateur, elle apparaît sur un autre terrain car elle formule des réponses au premier degré, qui répondent au sens propre des paroles du narrateur en semblant ignorer le madrigal et donc nier l’enjeu galant. Dans sa dernière réplique, au contraire, elle semble sur le même plan que le narrateur, partageant avec lui une même complicité contre son fiancé, autour d’œuvres littéraires. Le Diable au corps – 13 Les deux jeunes gens n’aiment pas les deux poètes de la même « façon » (l. 438). Pour la jeune femme, ils sont synonymes de révolte, tandis que le jeune homme semble y voir un symbole amoureux car il cite le poème « La Mort des amants ». Ces lectures sont donc facteurs à la fois de complicité et de malentendu amoureux entre eux. *. Le narrateur commence par être « attristé » (l. 421) par les réponses de la jeune femme et veut « dissiper le malaise » (l. 423) qu’il est seul à éprouver. Par la suite, le monologue intérieur est à chaque fois l’occasion de souligner ce qui le sépare de la jeune fille (il n’avoue pas qu’il trouve laides les fleurs stylisées ; ils ne lisent pas Baudelaire de la même manière ; il fait le bravache alors qu’il est rongé de timidité…). La complicité est donc de pure façade, fondée sur la volonté de séduire et non sur un véritable partage de sentiments. */ Le quiproquo se situe à deux niveaux : – tout d’abord, les deux jeunes gens ne communiquent pas sur le même plan. Là où le jeune homme croit déclarer son amour (« Je croyais avoir déclaré mon amour à une personne insensible »), Marthe semble n’entendre que des propos convenus et anodins, comme en témoignent ses réponses au premier degré analysées à la question 11 ; – ensuite, même si la complicité s’établit et que la jeune femme comprend en définitive ce que le narrateur lui dit à demi-mot (« Je croyais qu’il s’était passé des choses graves. C’était d’ailleurs vrai, simplement, je le sus dans la suite », l. 478), la jeune femme tombe amoureuse d’un personnage qui n’existe pas, de l’image qu’il a donnée de lui-même, faussée, comme en témoignent ses monologues intérieurs. Au total, cette rencontre est donc un quiproquo, un théâtre d’ombres dans lequel les amants ne se dévoilent pas l’un à l’autre tels qu’ils sont, mais tels que chacun veut voir l’autre. *- ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 44 à 50) Examen des textes et de l’image ! Flaubert emploie l’image de l’« apparition », très forte car elle a un sens magique et religieux. La découverte de la jeune femme est comme un miracle. Le portrait qui suit rend compte de cette impression par sa situation : la jeune femme se détache sur un fond de ciel bleu qui semble la nimber de lumière, par son caractère lumineux (c’est un éblouissement, elle baigne dans la mousseline) et par son caractère superlatif (« jamais il n’avait vu », « chose extraordinaire »). Le jeune homme est comme interdit et tourne autour de la jeune femme sans oser l’approcher. Ce portrait rend bien compte de l’impression qu’il éprouve, la prolonge et la fait partager au lecteur. " Bérénice est « franchement laide » ; elle est mal vêtue, mal coiffée… elle n’est pas à la hauteur du nom qu’elle porte, qui provoque l’émotion d’Aurélien et le parallèle avec le personnage racinien. Ce portrait est inattendu car, d’ordinaire, la femme aimée est parée de toutes les qualités et non, comme ici, de tous les défauts. Il s’agit donc d’un portrait paradoxal qui a pour effet d’intriguer le lecteur, de le mettre en face d’une énigme, en l’occurrence celle de la passion amoureuse, comme nous l’indique la longue citation de Bérénice, et de son cortège de souffrances. # Radiguet cite Baudelaire, Verlaine et Rimbaud ; Aragon cite Bérénice, la tragédie de Jean Racine. À l’époque de Radiguet, Baudelaire, Verlaine et Rimbaud, poètes maudits, sont encore considérés comme des auteurs sulfureux à ne pas mettre entre toutes les mains (l’attitude de défiance et de censure de la mère et du fiancé de Marthe, répandue à l’époque, en témoigne). Les surréalistes avaient alors seulement entrepris de les réhabiliter et de les faire relire, de sorte que, dans certains milieux littéraires, ces poètes étaient comme un signe de reconnaissance, et il suffisait de citer leur nom pour apparaître comme un esprit « éclairé ». C’est un peu ainsi que Radiguet en fait usage, s’adressant à ceux qui les connaissent et comprennent à demi-mot l’allusion au poème « La Mort des amants ». Aragon agit de manière inverse : il cite une tragédie classique qui évoque pour n’importe quel esprit cultivé de pénibles souvenirs de collège. Mais il la resitue dans son contexte géographique et historique – l’Orient –, et en donne une lecture très vivante qui, paradoxalement, rappelle les scènes de destructions de la guerre de 1914-1918, dont précisément Aurélien, son héros, revient. Le point commun de ces citations est que, dans les deux cas, il s’agit d’œuvres majeures sur la passion amoureuse. Réponses aux questions – 14 La rencontre se déroule en quatre temps : 1. La rencontre. 2. Le rendez-vous. 3. La soirée et la lente découverte de l’autre. 4. La surprise de l’amour. Comme dans le texte d’Aragon, l’auteur a voulu montrer que l’amour est souvent une surprise, un événement inattendu. % Les éléments fournissent des indications sur son comportement et son caractère : il est détaché et détendu et n’est pas « galant » (il fait payer l’essence). Malgré l’attitude aimable et détachée du jeune homme, d’une manière générale, les notations de la narratrice à son sujet sont assez négatives. Il n’a pas à être décrit physiquement car il est dessiné : il est assez beau, comme en témoigne la finesse de sa silhouette ; ses traits sont réguliers et souriants (par opposition au visage chafouin de la narratrice, qui ne s’attend pas du tout à rencontrer l’amour). On pourrait aisément rapprocher ce portrait de celui de Bérénice par Aragon : dans les deux cas, la rencontre est imprévue et les amants ne sont pas, dès le début, parés de toutes les qualités que donne le regard de l’amour. $ Travaux d’écriture Question préliminaire Dans le texte de Radiguet, l’arrivée de Marthe est une surprise car elle arrive après les autres et ne ressemble pas à sa mère et aux autres membres de la famille. On peut ajouter que ses réponses surprennent l’auteur, « charmé » presque malgré lui car il a beau travailler à se montrer tel qu’il n’est pas, il éprouve tout de même pour la jeune fille un sentiment qui le dépasse. Aragon montre la surprise en décrivant un Aurélien décontenancé, se répétant un vers de Racine alors qu’il éprouve peu d’intérêt pour la poésie (« En général, les vers, lui… »), tout cela montrant de manière originale le trouble que lui fait éprouver Bérénice, pourtant assez quelconque, si l’on en croit son portrait. Marjane Satrapi en agit autrement : l’amour survient après des préliminaires qui ne semblaient pas le préparer, manière de dire qu’il est toujours un imprévu, un événement inattendu. Flaubert, lui, rend compte de cette impression de surprise par l’image de l’« apparition » et l’hyperbole. Il est le seul du corpus à faire le récit d’un « coup de foudre », au sens propre : le jeune homme est « ébahi », comme ébloui et foudroyé. Il faut, pour rompre le charme et qu’il sorte de sa torpeur, qu’elle parle. Commentaire Introduction Dans Aurélien, Aragon raconte la passion entre Aurélien Leurtillois, qui revient de la guerre de 19141918, après avoir passé huit années sous les drapeaux (à l’époque, le service militaire durait quatre ans ; ceux qui l’ont commencé en 1910 sont donc restés huit ans en uniforme…), et Bérénice. Cet amour impossible – Bérénice est déjà mariée – sert de toile de fond à un portrait de la France des années 1920. Cet extrait, l’incipit du roman, montre le coup de foudre en train de se produire, de manière insidieuse et imprévisible. On montrera comment Aragon joue des différents types de discours pour nous faire entrer progressivement dans l’esprit de son personnage et on analysera le parallèle entre le récit et la tragédie racinienne. 1. Les différents discours • Dans cet extrait, Aragon mêle sans transition parole du narrateur et parole du personnage : – le discours du narrateur (« La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide ») nous place dans un cadre narratif classique ; – dans le discours indirect libre (« l’autre, la vraie… » ; « Brune alors, la Bérénice de la tragédie »), on ne sait plus exactement qui parle : le narrateur ou le personnage ; – le discours direct (« je deviens gâteux ») : ici, c’est Aurélien qui parle. Le Diable au corps – 15 • Le mélange de ces types de discours, sans les marques typographiques habituelles (guillemets, tirets du dialogue), permet de donner cette impression de voir la rêverie du personnage se dérouler naturellement, provoquée par Bérénice et son nom, qui l’envahit peu à peu. On assiste bien à la naissance d’une passion. 2. Le parallèle avec la tragédie racinienne • Le nom est explicitement le point de départ de la rêverie : « Qu’elle se fût appelée Jeanne ou Marie, il n’y aurait pas repensé après coup. Mais Bérénice. » • Le vers de la tragédie poursuit ce parallèle et introduit deux thèmes présents dans la tragédie : la guerre et la passion – ce vers l’a hanté dans les tranchées et la scène tragique décrit les « restes d’un combat sans honneur ». • Le récit fait de la tragédie est volontairement prosaïque, analysant la situation des personnages d’un point de vue rationnel et un tantinet ironique (« Tite. Sans rire. Tite »). Mais le vocabulaire à la fois réaliste et familier permet d’introduire le thème de la guerre et celui de l’amour, d’une manière telle que la tragédie permet de comprendre la situation particulière d’Aurélien, en montrant une « ville pour les hommes de trente ans qui n’ont plus de cœur à rien ». Conclusion Ce début met bien en place la situation d’Aurélien : il tombe amoureux sans y croire, sans comprendre ce qui lui arrive car il est encore hébété par les séquelles de la guerre – ce que l’évocation de la tragédie de Bérénice permet d’expliciter. Sa passion va le faire revivre mais, comme dans la tragédie de Bérénice, elle est impossible et va le détruire. Dissertation Introduction La rencontre amoureuse est un sujet fréquent et rebattu en littérature, qu’il peut sembler difficile de revisiter, tant il a été traité par les écrivains. Pourtant, on note que chacun des textes du corpus en donne une présentation originale et différente où prévu et imprévu se combinent différemment pour créer une surprise. Bien évidemment, on observera que la surprise est toujours présente dans ces textes, qu’elle est même un des éléments de la naissance de l’amour, qui ne préexiste jamais à la rencontre mais apparaît avec elle. Toutefois, on verra que cette surprise est de différentes natures, suivant qu’elle soit prévisible ou imprévisible. Dans ces conditions, on verra que la surprise varie, suivant qu’elle est éprouvée par le personnage ou par le lecteur. 1. La surprise : un élément de la rencontre On montrera que la rencontre est toujours une surprise. • Même si le personnage attend la rencontre (Radiguet, Satrapi), elle n’est pas ce à quoi il s’attend : – elle le surprend ; – il découvre une autre personne que celle à laquelle il s’attend. • Dans le cas de Flaubert ou Aragon, le personnage n’attend pas la rencontre ; tout est imprévu et les personnages sont soit émus (Flaubert), soit désarçonnés (Aragon). 2. Différentes formes de surprises Les textes mettent en place de « bonnes » (Flaubert, Radiguet) et de « mauvaises » surprises (Aragon, Satrapi). • Dans le cas de Radiguet et Flaubert, le personnage est tout de suite « charmé » ou « ébloui » par la rencontre ; il n’en reste pas moins que cela le surprend. • Chez Aragon et Satrapi, la rencontre est plus inattendue car elle est d’abord déplaisante, elle provoque une réaction de rejet, de résistance de la part du personnage, puis finalement de passion – sens de la formule de Satrapi. 3. De la surprise du lecteur à celle du personnage • Certains passages construisent des scènes correspondant à l’attente du lecteur (Radiguet, Flaubert), dans lesquelles se produisent ce qu’on appelle « un coup de foudre » : le personnage est surpris, au Réponses aux questions – 16 double sens du terme ; le lecteur l’est moins, il reconnaît ce qu’il imagine être une rencontre amoureuse. • Aragon et Satrapi, à l’inverse, donnent une tout autre image, qui surprend le lecteur : les personnages se déplaisent, se résistent, et puis finalement s’aiment, au moment le plus inattendu. Le lecteur lui-même est surpris car cela ne correspond pas à ses représentations habituelles de la rencontre amoureuse. Conclusion Au total, on peut dire que les textes de Flaubert et de Radiguet présentent la « rencontre » des amants dans une perspective classique, mise en place par une littérature galante abondante, depuis la fine amor du Moyen Âge jusqu’au romantisme, dont Flaubert est dans une certaine mesure l’un des derniers représentants. Dans cette vision, l’amour est représenté comme une sorte de grâce, une révélation qui tombe sur les amants d’un seul coup et tout entière ; la métaphore renaissante du trait, de la flèche, envoyé par Cupidon dans le cœur de l’amant par les yeux de la belle n’est pas loin. À l’inverse, les textes de Satrapi et d’Aragon le présentent d’une manière plus moderne et critique, comme un sentiment qui se formule peu à peu, à mesure que les amants se connaissent et se comprennent. Dans tous les cas, il y a surprise mais elle ne se situe pas au même moment. Dans le premier cas, elle a lieu au moment de la rencontre ; dans le second, elle intervient ensuite. Écriture d’invention Un portrait insolite est un portrait comportant des contradictions apparentes ; la Bérénice d’Aragon fait l’objet des réflexions d’Aurélien, pourtant elle est laide et quelconque. On peut ainsi choisir un personnage en apparence laid ou disgracié, mais qui se révèle intelligent et séduisant par ses gestes et ses actions (comme la narratrice dans la bande dessinée de Satrapi)… « C h a p i t r e 9 » ( p p . 7 0 à 7 7 ) ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 78 à 80) Le narrateur éprouve de la « timidité » (l. 1167), de la « gêne » (l. 1170), un « trouble » (l. 1177), un « malaise » (l. 1186), puis de la « jalousie » (l. 1198). D’abord interdit et ne prenant pas l’initiative, le narrateur reprend ensuite une position de maîtrise. " Périphrases : « cette preuve dont les hommes sont si prodigues » (l. 1174), « nos premiers moments d’amour » (l. 1182), « la puissance des gestes que ma timidité n’avait osés jusqu’alors » (l. 1191). Ces périphrases désignent l’acte sexuel dont elles donnent une formulation atténuée, sous forme de litote ou de périphrase. # Au paragraphe des lignes 1166 à 1183, le narrateur dit son malaise pendant les préliminaires, puis, au paragraphe suivant, il écrit : « la minute où nous nous désenlaçâmes » (l. 1184) ; le verbe enlacer est employé avec le préfixe privatif dé-, au passé simple. L’ellipse permet de dire avec pudeur et retenue, de sous-entendre : le lecteur comprend très bien mais le texte ne comporte aucune expression graveleuse. $ Marthe dit : « Non. Je veux te voir t’endormir » (l. 1169) ; elle reproche au narrateur de ne pas l’avoir empêchée de se marier (l. 1209) et lui jure qu’elle quittera son mari (l. 1221), puis craint de finir par être trop vieille pour lui. Ses propos la font apparaître comme réellement amoureuse et sincère. Le narrateur la compare à une figure de sainte (l. 1189), craint « que Marthe n’appartînt à son mari plus qu’elle ne voulait le prétendre » (l. 1192) et raisonne sur ce mari dont il est jaloux mais sans l’existence de qui sa relation avec Marthe ne pouvait avoir lieu (l. 1208-1216). Le narrateur projette sur Marthe son manque de sincérité. % Cette comparaison donne un caractère spirituel, presque pur à la scène, donnant l’idée que l’amour physique permet d’accéder à une sorte de « grâce » – ce qui est aux antipodes des idées de l’époque où l’adultère est plutôt conçu comme un crime dangereux (cf. « cette femme qui risquait tout pour devenir ma maîtresse », l. 1171). ! Le Diable au corps – 17 Au début du passage, les temps sont ceux du récit : imparfait et passé simple. À la fin, il s’agit de discours indirect et les temps sont le futur et le présent. L’opposition récit/discours traduit de manière stylistique l’évolution de la relation des jeunes gens, devenue intime entre le début et la fin du passage. ' Ces termes donnent une tonalité classique au passage car ils appartiennent à un vocabulaire très recherché. Ils relèvent, pour certains, d’un vocabulaire religieux (« ténèbres », « grâce ») et, pour d’autres, d’un vocabulaire apparenté à l’univers tragique (« courage », « maîtresse », « trouble »). Le mot de « volupté » appartient à un discours classique sur les méfaits des sens. On trouve des termes dramatisant l’amour, comme « souffrir », « mourir », « faiblesse », « sacrifier », ou des termes rares, comme « chimère », « apothéose », qui relèvent tous d’une représentation classique du monde. ( « Je me méfiais de ma timidité », « Les ténèbres me donneraient du courage », « ne pouvant deviner ma timidité maladive » : il tente de paraître courageux alors qu’il est timide. « Je disais l’aimer » : l’imparfait marque que cette affirmation est fausse. Le long passage de monologue intérieur qui suit (l. 1170 à 1186) oppose aussi les pensées très hésitantes du narrateur à l’assurance dont il essaie de faire preuve. ) Les deux amants projettent de s’enfuir ensemble : le narrateur caresse le projet de l’enlever (« Enlever Marthe ! »), reprenant rapidement conscience du caractère absurde de ce projet, puisque Marte est déjà mariée ; quant à Marthe, elle est prête à tout quitter (« Marthe a beau me jurer qu’elle quittera tout »). Autrement dit, l’aventure est vécue sur un mode tragique et non sur le mode vaudevillesque de l’adultère. L’exclamation du narrateur « j’aime trop Marthe pour trouver notre bonheur criminel » (l. 1215) traduit bien cela. *+ Cette réplique finale met en place un dilemme cornélien, c’est-à-dire une situation sans issue, dans laquelle, quelle que soit l’option choisie, le malheur est assuré. C’est bien le cas de Marthe qui ne peut « que souffrir ». *, Le mari joue un rôle paradoxal de rival, dont le narrateur est jaloux. Il « maudit » cet homme qui a « éveillé [le] corps » de Marthe. Tout se passe en fait comme si le narrateur était légitime et le mari adultère. Cette surprenante jalousie renversée met en avant l’amour, conçu comme une valeur supérieure et plus légitime que le mariage. *- Sans mariage, Marthe « vivrait chez ses parents » (l. 1210), elle « n’aurait jamais appartenu à Jacques, mais ne m’appartiendrait pas ». Le mariage permet donc aux filles d’échapper à la tutelle de leurs parents pour passer à celle, apparemment moins contraignante, de leur mari. La situation des femmes à l’époque n’est donc pas libre. Dans cet extrait, Marthe et le narrateur donnent une image du mariage qui rappelle celle qui a cours dans les romans libertins où seules les femmes mariées, ou veuves, comme Mme de Merteuil, héroïne des Liaisons dangereuses, ou Célimène, jeune veuve du Misanthrope, peuvent sans danger se livrer aux joies de la séduction. Le mariage est donc présenté sous un angle libertin ; cela se confirmera lorsque Marthe sera enceinte : l’enfant passera pour être celui de son mari. *. « Je devais à la guerre mon bonheur » et « nous envisageons la fin de la guerre, qui sera celle de notre amour ». Ces deux phrases sont scandaleuses car elles montrent des jeunes amants qui profitent sciemment de l’absence du mari soldat, provoquée par la guerre, au point même de souhaiter que la guerre se poursuive et pouvoir ainsi continuer à s’aimer en paix. Ce point de vue est à rebours de la pensée dominante de l’époque, qui voyait en la guerre un fléau et dans les « poilus » des héros et non des cocus… Ce cynisme est choquant mais touche un point sensible : d’une manière générale, à leur retour du front, les soldats ont trouvé une société changée, dans laquelle les places étaient occupées par ceux qui étaient restés à l’arrière pendant les quatre années de guerre. Cela a provoqué une rancœur immense qui a fait que l’on a pu appeler la génération de la guerre « la génération perdue ». */ Le narrateur va jusqu’à espérer la mort du mari au front mais il est conscient du caractère « criminel » d’un tel désir, comme en témoigne le vocabulaire dont il use : « À tout autre époque, souhaiter la mort de son mari, c’eût été une chimère enfantine, mais ce vœu devenait presque aussi criminel que si j’eusse tué » (l. 1202). Le mot « criminel » (l. 1204) revient, puis « crime » (l. 1207) : ainsi, l’ambivalence de ses actes ne lui échappe pas ; elle est même mise en avant et participe de l’intérêt de son histoire, comme l’indique d’ailleurs le titre du livre. & Réponses aux questions – 18 Une « morale » est soit un corpus de règles de conduite à observer, soit un code implicite de conduite collectif qui s’impose à tous les membres d’un groupe. Au second sens, on peut dire que le narrateur met en place une contre morale, fondée sur la recherche du bonheur et d’une sincérité dans le sentiment amoureux, qui prime sur le reste et justifie ses écarts de conduite par rapport à la morale commune. On peut appuyer cette hypothèse sur la comparaison de Marthe avec une image religieuse (l. 1187) qui transforme un banal adultère en action de grâces, sur l’emploi récurrent des mots « bonheur » et « amour », et sur les promesses d’amour éternelles que se font les deux amants aux lignes 1221 à 1229. *0 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 81 à 89) Examen des textes et de l’image ! La métaphore guerrière, traditionnelle dans le langage galant, consiste simplement à comparer le fait de séduire une femme avec une victoire militaire. Dans cet extrait, le narrateur parle de sa « victoire », de son triomphe (« triomphasse »), des « obstacles », de la « résistance » de Mme de Lursay. Ici, cette métaphore est peu adaptée, puisque c’est plutôt Mme de Lursay qui a dû séduire le jeune homme, peu enclin à la conquête… " Le narrateur est terrifié par l’apparition fantastique d’une figure de la tapisserie se transformant en personnage réel. Il se trouve que cette figure est « une belle et charmante femme, réelle ». Au moment de cette apparition, il se compare à un « vieux militaire », pour donner un caractère hyperbolique à la peur qu’il éprouve, épouvante double, liée à l’apparition fantastique comme à son inexpérience amoureuse, que souligne la marquise : « de mon temps les chérubins étaient plus délibérés que tu ne l’es ». Gautier mélange les registres – dramatique et comique – et les genres – fantastique, récit d’éducation et récit érotique – en une habile parodie de scène d’éducation. # L’époque de la Régence est une époque de relâchement des mœurs en raison de la fin de l’autorité pesante exercée par Louis XIV sur la noblesse. Le texte de Crébillon, qui fait ouvertement le récit de l’éducation amoureuse d’un jeune homme par une femme plus âgée, en témoigne. Gautier fait un récit similaire dans Omphale et fait venir Omphale de la Régence car cette époque est symbole de libertinage et d’érotisme – effets que recherche Gautier. $ On a vu que Gautier parodiait discrètement la métaphore militaire, mais la comparaison avec les autres textes du corpus montre qu’il est entièrement fondé sur le principe de la parodie : – il est une parodie des romans licencieux de la Régence, dont il reprend les décors et les personnages, notamment celui de la belle marquise, mignarde, très courtoise et cependant aux mœurs totalement dissolues ; – il est une parodie de roman d’éducation : son narrateur, venu faire des études à Paris, y apprend la dépravation, malgré la surveillance rapprochée de Baptiste, le valet de son oncle ; – il est même une parodie de littérature fantastique, puisqu’il détourne la peur, normalement constitutive de ce genre, en récit licencieux. Mais, au total, cette parodie permet de faire passer, en le dissimulant, un message qui, autrement, paraîtrait scandaleux et choquant et qui, ici, devient léger et galant. % Ce récit est écrit à la 1re personne mais par un narrateur féminin, « Cécile », alors que les autres textes donnent la parole à un narrateur masculin. & Ces deux textes font un éloge de l’amour, qui, d’abord conçu comme une faute, se révèle être ensuite, dans sa réalité, un bonheur quasiment vertueux. Pour Radiguet, cela permet au narrateur d’accéder à des sentiments vrais ; pour Sagan, la narratrice semble mûrie, plus sérieuse : « J’avais toujours entendu parler de l’amour comme d’une chose facile ; j’en avais parlé moi-même crûment, avec l’ignorance de mon âge, et il me semblait que jamais plus je ne pourrais en parler ainsi, de cette manière détachée et brutale. » Ces deux romans ont fait date, sans doute en partie en raison de leur manière d’aborder la sexualité, avec un mélange de pudeur et de franchise qui en a fait un sujet digne de la littérature la plus noble et non plus seulement réservé à celle de second rayon, qu’on lit en cachette. Le Diable au corps – 19 L’expression Les Beaux Jours fait évidemment penser à l’été ; or le feu brûle dans la cheminée. Les beaux jours sont donc les jours heureux, où les jeunes gens vivent des moments heureux. Le peintre exprime aussi cela par la pose détendue du personnage féminin, qui exprime une certaine langueur. On pourrait comparer la scène du tableau avec le début du « Chapitre 8 » : « Nous lisions ensemble à la lueur du feu. » En fait, une bonne partie du roman se déroule en un mélange de dialogues et de monologues intérieurs dans la chambre de Marthe, et le tableau de Balthus donne une idée de l’atmosphère du roman. ' Travaux d’écriture Question préliminaire Les quatre textes abordent le sujet « tabou » de l’éducation amoureuse, cependant toujours repris par les écrivains avec plus ou moins de bonheur. Crébillon emploie la métaphore guerrière et un langage chargé de périphrases, pour dire sans choquer. Gautier passe par la voie de la parodie : tout est ainsi dit de manière implicite, sous couvert d’un récit fantastique. Radiguet et Sagan ne tournent pas autour de leur sujet : ils parlent ouvertement de la sexualité et de l’amour mais refusent le tabou qui pèse sur ce sujet, voulant au contraire le traiter avec le style réservé aux sujets nobles. Ils opèrent un véritable renversement de perspectives : on est aux antipodes de la parodie et les choses sont dites avec légèreté et finesse. Commentaire Introduction Dans cet extrait de Bonjour tristesse, la narratrice raconte sa découverte de l’amour. On pourra insister sur le choix du point de vue, qui donne une tonalité très personnelle à ce texte, confirmée par la précision de la description des sentiments et des sensations. On se demandera ensuite comment évoluent la perception et la présentation de l’amour dans l’extrait, puis on montrera en quoi ce texte se rapproche des grands textes sur l’amour. 1. Le point de vue • Le point de vue interne et la 1re personne donnent une impression de proximité, d’immédiateté (« Je lui fis signe », « Je revins », « Je craignais »). • L’évolution des sentiments (honte, crainte, plaisir, fatigue, fierté, valorisation de l’amour). 2. Comment est perçu l’amour Une description imagée (« la ronde ») et par l’« expérience » (la narratrice ne dit pas ce que c’est mais explique qu’elle en parlait brutalement sans le connaître et ne pourra plus en parler ainsi). 3. Un texte sur l’amour • Liaison sentiment/plaisir/amour physique. • Discours sur l’amour clair mais soutenu par des sous-entendus. Conclusion Comme beaucoup de grands textes sur l’amour, cet extrait dit tout sans rien dévoiler : plaisir, sentiment, douceur cohabitent grâce à un style galant. Dissertation Introduction Peut-on parler de tout dans un roman ? Cette question appelle des réponses différentes de la part des écrivains selon les époques. On peut dire qu’aujourd’hui tous les sujets sont possibles dans le roman et qu’il n’y a quasiment plus aucune limite. Bien évidemment, cela n’a pas toujours été le cas et les écrivains se sont interdit de nombreux sujets, pour des raisons esthétiques ou morales. Toutefois, on constate que ces interdits sont régulièrement transgressés, souvent par ceux-là mêmes qui les prônent. Dans ces conditions, on verra que le choix du sujet est souvent une affaire de style. Réponses aux questions – 20 1. Des sujets proscrits A. Causes esthétiques Dans l’esthétique classique, certains sujets sont interdits, généralement tous ceux qui touchent au corps et à des sujets populaires, réservés aux littératures populaires. Au Moyen Âge s’opposent ainsi les romans de chevalerie et les fabliaux. On peut parler de tout mais pas dans n’importe quel cadre. Un écrivain comme Rabelais, parlant de choses sérieuses sur un mode burlesque et grossier, déclenche le débat. B. Causes morales • Au XIXe siècle, le roman est devenu un enjeu de débats ; on en craint le pouvoir de conviction. Les tenants de l’école classique reprochent aux naturalistes de choisir des sujets « dégoûtants ». Ces derniers se défendront au nom de la recherche de la vérité. • Flaubert sera traduit devant les tribunaux pour « atteinte à la morale publique », signe que l’on ne peut parler de tout dans le roman, qui ne doit pas être « immoral ». Ce débat se prolonge jusqu’au début du X Xe siècle et on s’est largement posé ces questions à propos de Radiguet. Eût-il paru pendant la guerre, son livre aurait-il été autorisé ? De même, la franchise d’expression de Bonjour tristesse, qui a beaucoup choqué à sa parution, nous semble aujourd’hui tout à fait recevable. 2. L’art déplace les limites A. Sur le plan esthétique Les textes du corpus sont intéressants non seulement parce qu’ils abordent des sujets interdits, mais aussi parce qu’ils le font en déplaçant les limites des genres : Crébillon parle dans un style analytique ressemblant à celui des philosophes de son époque ; Gautier s’amuse à mélanger fantastique, érotisme et roman d’éducation ; Radiguet et Sagan intègrent dans le roman personnel, noble des scènes qui n’y paraissaient pas auparavant. Cela est rendu possible par le choix d’un style et par la recherche de la vérité. B. Sur le plan moral • Radiguet et Sagan contestent l’ordre moral de leur temps : là où leur époque jugeait coupables les amours hors mariage, eux en donnent une image valorisée, sentimentale et épurée de tout contenu licencieux. Ainsi on peut, en littérature, proposer une autre morale que la morale commune, en abordant autrement des sujets interdits. • De la même manière, les sujets proscrits sont souvent traités par ceux-la mêmes qui les ont proscrits. 3. Une affaire de style A. Sous-entendus et ellipses Dans nos extraits, rien n’est dit autrement que par sous-entendus et par ellipses : tout est dit et pourtant rien n’est dit. Images, ellipses et implicite permettent de faire entrer de nombreux sujets en littérature. B. La question de la « vérité » La vérité est recherchée et surpasse l’interdit moral, se substitue à lui. Le devoir de dire ce qui est remplace celui de taire ce qui est tabou. Conclusion Le choix d’un sujet est d’importance mais, aujourd’hui, le temps des sujets proscrits est passé. Ce qui s’impose, c’est le choix d’un style et d’un rapport à la vérité, qui va faire pencher une œuvre du côté de l’art ou du côté du produit. Écriture d’invention • On pourra s’inspirer des extraits du procès des Fleurs du mal ou de Madame Bovary. • Une plaidoirie est un discours qui s’adresse à un interlocuteur précis : le tribunal et son président. • Il s’agit d’exposer un certain nombre d’arguments en faveur de Radiguet. On pourra développer des arguments de droit, littéraires et moraux : – Arguments de droit Le précédent : Radiguet n’est pas le premier à décrire les amours des femmes des soldats ; il n’est pas non plus le premier à décrire les premiers émois d’un jeune homme (cf. les textes du corpus) ; on ne peut donc le lui reprocher à lui seul. Le Diable au corps – 21 – Arguments littéraires Seul le vrai compte. Radiguet ne veut pas démoraliser mais dire le vrai, ce qui s’est réellement passé à l’arrière pendant la guerre, même si cela est douloureux et ne correspond pas à l’image idéale que l’on souhaite. Le style n’est ni complaisant, ni licencieux. – Arguments moraux L’analyse du texte dans son ensemble montre que le narrateur et Marthe ont compris leur « faute ». Marthe meurt et le narrateur sombre dans le malheur. « C h a p i t r e 3 3 » ( p p . 1 5 4 - 1 5 5 ) ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 156-157) Ce chapitre comporte 9 paragraphes qui s’organisent en trois moments : – le calme qui précède la tempête (l. 2769-2785), passage essentiellement descriptif, à l’imparfait, sauf les maximes qui sont au présent ; – l’annonce de la mort de Marthe (l. 2786-2787), au passé simple ; – la souffrance du narrateur (l. 2788 à la fin), au présent et au passé simple essentiellement. La progression du chapitre est un mouvement qui va de l’apaisement (situation initiale) à l’agitation et à la souffrance (situation finale). On remarquera que la situation finale est annoncée dès la première partie du texte : le narrateur parle en effet de « pressentiments » (l. 2770) et se compare implicitement à un homme « qui va mourir » (l. 2776). " Champ lexical de la mort et de la souffrance : « Un homme désordonné qui va mourir », « sa mort brutale », « Il allait vivre heureux » (sous-entendu : il ne l’était pas), « toilette du condamné », « Marthe était morte », « ne souffre pas », « triste spectacle », « le visage de mon père se décomposait », « sensation de durcir, de refroidir, de me pétrifier », « un mourant », « monstrueux », « mon père pleurait, je sanglotais », « scarlatine », « syncope », « perdre connaissance », « la mort de Marthe », « la mort », « insupportable », « le néant ». Ce champ lexical est omniprésent et il apparaît dès les premières lignes du chapitre. D’abord suggéré, il devient de plus en plus explicite. Comme dans une tragédie, dès le début la mort plane, elle est discrètement préparée avant d’être annoncée. # Le « silence » succède au « calme » : les frères du narrateur, habitués aux jeux bruyants, se « tais[ent] ». Le deuil et l’effroi remplacent la sérénité. $ Le narrateur utilise d’abord l’image de la foudre : « La foudre qui tombe sur un homme est si prompte qu’il ne souffre pas », puis celle du mourant : « comme une seconde déroule aux yeux d’un mourant tous les souvenirs d’une existence, la certitude me dévoila mon amour avec tout ce qu’il avait de monstrueux ». Dans la première image, la nouvelle de la mort de Marthe tombe aussi subitement et violemment que la foudre et, au sens propre, elle foudroie le narrateur qui reste « pétrifié », c’est-à-dire transformé en statue. Dans la seconde, il se compare à un mourant qui revoit sa vie. Ce dernier instant redouble la crainte de mourir par le spectacle des heures heureuses ; à la mort de Marthe, le narrateur mesure l’intensité de son amour, et la regrette donc d’autant. Le sens de l’adjectif « monstrueux » est double, à la fois terrible, meurtrier, et extrêmement fort. % La présence de la mort, de la souffrance, le fait que le narrateur ne puisse partager sa souffrance puisque son amour est « monstrueux », l’ensevelissement dans le silence de la famille confèrent à cette scène un registre tragique. & Cet extrait comporte 14 pronoms de la 1re personne du singulier (je, me, moi), sans compter les déterminants possessifs (« mes souvenirs », « mon existence était ma toilette », etc.), qui renvoient à la seule personne du narrateur. À cela s’ajoutent certains pronoms de la 1re personne du pluriel et de la 3e personne qui, sous une apparente généralisation, renvoient en fait à la situation particulière du narrateur au moment où il apprend la mort de Marthe (« Il allait vivre heureux », « la personne que nous aimons »). Face à cette abondance du moi, les pronoms de 3e personne désignent deux ou trois fois le père, la mère, les frères du narrateur et Marthe, dont le nom est aussi cité cinq fois. ! Réponses aux questions – 22 À son sujet, le narrateur emploie deux fois la formule « je me croyais plus […]/meilleur […] » (l. 2773 et 2782), mais sa tendresse n’est pas désintéressée, elle n’est due qu’au besoin à venir de celle des autres (en retour, « j’aurais sous peu besoin de la leur »). Plus loin, il écrit : « Parce que mon père pleurait, je sanglotais », montrant ainsi l’absence de sincérité de ses larmes. ( Il souhaite le « néant » pour elle et non « un monde nouveau où la rejoindre un jour » car sa « jalousie » est plus forte que son amour. ) Cet extrait comporte les 4 maximes suivantes : – « Les vrais pressentiments se forment à des profondeurs que notre esprit ne visite pas. Aussi, parfois, nous fontils accomplir des actes que nous interprétons tout de travers. » – « Un homme désordonné qui va mourir et ne s’en doute pas met soudain de l’ordre autour de lui. Sa vie change. Il classe des papiers. Il se lève tôt, il se couche de bonne heure. Il renonce à ses vices. Son entourage se félicite. Aussi sa mort brutale semble-t-elle d’autant plus injuste. Il allait vivre heureux. » – « La foudre qui tombe sur un homme est si prompte qu’il ne souffre pas. Mais c’est pour celui qui l’accompagne un triste spectacle. » – « Ainsi, est-il insupportable que la personne que nous aimons se trouve en nombreuse compagnie dans une fête où nous ne sommes pas. » Ces 4 maximes, en ayant l’apparence de présenter des vues générales, décrivent en fait la situation particulière du narrateur : – les deux premières expliquent pourquoi la mort de Marthe était annoncée par des signes que le narrateur n’a pas su voir. Dans la première, c’est parce que ces signes (« les pressentiments ») sont cachés ; la seconde développe la dernière partie de la maxime : l’ordre qui semble régner dans la vie du narrateur (le calme) est en fait la préfiguration d’une catastrophe, mais que l’on interprète « tout de travers » ; – la maxime suivante utilise la métaphore classique de la foudre pour désigner un drame personnel. Il s’agit d’une hyperbole, désignant une très grande douleur, trop grande pour être perçue par celui qui en est victime mais visible par l’entourage, d’après la maxime ; – la dernière est une illustration des effets de la jalousie. *+ L’utilisation du présent et de formules de généralisation permet d’approcher la douleur ressentie d’une manière rationnelle, en la comparant à une situation générale que le lecteur peut comprendre par la raison mais non ressentir. On peut ajouter à cela que le texte comporte de nombreuses comparaisons et articulations logiques : « si prompte que », « comme une seconde déroule aux yeux d’un mourant […] », « Or, ma tendresse », « comme s’il se fût agi », « Ma syncope expliqua […] ». Cette structuration logique forte du texte en fait donc un texte d’analyse, rationnel, plus qu’un texte où se manifestent les sentiments du narrateur. *, La « certitude me dévoila mon amour avec tout ce qu’il avait de monstrueux » : cette phrase intervient après la mort de Marthe ; elle est comme provoquée par la souffrance du narrateur à son annonce et est mise en parallèle avec l’image de l’homme qui va mourir. La phrase exclamative « Marthe ! » montre aussi la découverte de cet attachement. *- Les rapports amoureux sont vécus sur le mode de la déception car ils sont marqués par une incompréhension mutuelle : les amants ne se comprennent pas, éprouvent des sentiments faux et biaisés (cf. question 7) qui ne peuvent en définitive devenir vrais et être réellement ressentis qu’après la mort qui, en quelque sorte, sanctifie l’union. L’amour n’est grand que lorsqu’il est impossible, sinon il devient « monstrueux ». Une telle vision est directement inspirée de la fine amor des chevaliers et de ce qui prévaut dans la tragédie classique, où l’amour est toujours contraire au devoir (Racine), à l’honneur (Corneille), et ne peut donc être partagé sereinement. ' ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 158 à 168) Examen des textes ! Dans Le Diable au corps, l’amour est empêché par la mort de Marthe qui sépare les amants (« c’est bien le néant que je désirais pour Marthe, plutôt qu’un monde nouveau où la rejoindre un jour »). Le Diable au corps – 23 Dans La Princesse de Clèves, la princesse s’enferme au couvent et fait répondre au prince que « son devoir et son repos s’oppos[ent] au penchant qu’elle [a] d’être à lui ». La morale empêche ici la réalisation de cet amour. Dans Bérénice, Titus et Bérénice ne peuvent se marier car la loi de Rome interdit à l’empereur d’épouser une reine étrangère. « Bérénice, seigneur, ne vaut point tant d’alarmes, / Ni que par votre amour l’univers malheureux, / Dans le temps que Titus attire tous les vœux, / Et que de vos vertus il goûte les prémices / Se voie en un moment enlever ses délices », déclare Bérénice, montrant qu’une telle union provoquerait une crise funeste dans Rome et qu’elle préfère y renoncer pour cette raison. Dans Les Liaisons dangereuses, Valmont est poussé par Mme de Merteuil à détruire son amour pour Mme de Tourvel par pure gloriole et par crainte du « ridicule » dont est accablé un libertin qui se montre sincèrement épris. Dans Le Bal du comte d’Orgel, c’est clairement « le devoir » qui rend impossible la réalisation de l’amour de Mahaut et de François de Séryeuse car il serait une trahison de l’amitié que François porte à Anne, le mari de Mahaut. Enfin, dans Les Enfants terribles, c’est l’union entre le frère et la sœur qui rend impossible tout autre union : Gérard tait ainsi son amour pour Élisabeth (il « se réserve. Il détourne le tête ») et Michaël, une fois marié, se tue sur la route car « le génie de la chambre veillait ». " La marquise de Merteuil ne formule pas ses sentiments de manière explicite mais de manière sousentendue : elle emploie un procédé classique qui consiste à faire mine de comparer sa propre histoire avec celle d’un autre que l’on raconte. Ainsi il apparaît que « l’homme de ma connaissance » est Valmont, que son « amie » est Mme de Merteuil et que « la femme » dont il s’est « empêtré » est Mme de Tourvel. Elle feint l’indifférence face à cette histoire et à ce sentiment qu’éprouve Valmont mais, en vérité, elle est jalouse. Elle aime Valmont mais ne peut l’avouer car elle deviendrait à son tour « ridicule ». Ainsi fait-elle écrire à Valmont : « Une femme que j’aime éperdument exige que je te sacrifie » ; comme c’est elle qui exige ce sacrifice, on comprend qu’elle souhaite être aimée de lui. # « Mon cœur vous est connu, Seigneur, et je puis dire / Qu’on ne l’a jamais vu soupirer pour l’Empire : / La grandeur des Romains, la pourpre des Césars, / N’a point, vous le savez, attiré mes regards. » Dans ces vers, Bérénice rappelle qu’elle ne recherchait pas un mariage d’intérêt ou une alliance dynastique. À l’époque de Louis XIV, le mariage d’intérêt était courant, voire obligatoire, particulièrement chez les grands et les princes pour qui le mariage n’était qu’une alliance dynastique. Paradoxalement, le discours sur l’amour, particulièrement dans le théâtre, valorise l’amour désintéressé : l’idéologie est donc sans rapport avec les pratiques. Les choses ont perduré, comme en témoigne le texte de Laclos, un siècle plus tard, où l’amour et le mariage sont dissociés, puis elles ont évolué. Par exemple, dans l’extrait du Bal du comte d’Orgel de Radiguet, le « devoir » est devenu la volonté de ne pas tromper un ami et les amants ne peuvent s’aimer car Mahaut est déjà mariée. $ « Comme on aime une femme, et non comme un ange ou une sœur » : cette antithèse est classique, elle oppose l’amitié et l’amour. L’opposition qui suit : « À Paris » / « Seul à seul avec la vérité » permet de marquer la différence entre les sentiments personnels, intérieurs, et les conventions de la vie parisienne. Cette opposition se retrouve dans le personnage de Paul, l’ami de François, qui est insatisfait de son aventure avec Hester Wayne car elle ne lui permet pas de briller dans la société parisienne : « Cet amour réel ne le flattait pas, se trouvant hors du “monde”. » Au total, les deux amis sont comme transfigurés par leurs sentiments ; leur relation, jusqu’alors basée sur une sorte de concours de cynisme appuyée sur des « récits de méfaits », a évolué vers l’« émulation dans des sentiments qu’ils tenaient naguère pour risibles ». Tout se passe comme si le fait d’éprouver de l’amour, indépendamment des conventions mondaines, les rendait sensibles à un « mélange qui n’est insipide que pour ceux qui n’ont pas de goût », à savoir le devoir et le respect de soi et d’autrui. % Élisabeth est désignée comme « la pythonisse », « la vierge sacrée », « la vierge du temple », expressions qui évoquent les figures de la prêtresse de la mythologie grecque, dont la parole est énigmatique. Michaël, le marié, relève d’un autre univers mythique, celui du cinéma : il est « comme dans les films », « un jeune automobiliste qui l’enlève ». Ces personnages évoluent dans « la chambre » où un « génie veill[e] », espace clos et ouvert, conventionnel et qui rappelle celui de l’antichambre tragique, scène dans laquelle se déroulent la plupart des tragédies classiques. Réponses aux questions – 24 Enfin, lors de la mort de Michaël, que personne ne voit mais qui est racontée par le narrateur, le personnage est décapité « furieusement » par un monstre, son automobile, qui devient « une ruine de silence avec une seule roue qui tournait de moins en moins vite en l’air comme une roue de loterie » – comparaison qui rappelle le sort, le destin qui s’abat sur les personnages, comme dans l’univers de la tragédie. On voit bien que, tout en ayant écrit son récit dans un registre apparemment léger et détaché, Jean Cocteau l’émaille d’une dimension tragique, qui transparaît constamment, notamment dans ces références discrètes à la mythologie et au destin. & Le discours de Bérénice est extrêmement émouvant, par sa mesure mais aussi par sa charge d’images et de figures. Elle emploie des synecdoques classiques pour se désigner (« mon cœur ») et pour dire qu’elle n’est pas intéressée (« La grandeur des Romains, la pourpre des Césars », expressions qui désignent la gloire de Rome et le pouvoir de ses empereurs). Pour parler d’amour, elle emploie les métaphores classiques : l’amour qui prend fin (« finit son cours ») ; un homme aimé « attire tous les vœux » ; une déclaration d’amour est un « soupir » ; la foi donnée à une femme est comme une prison, des « fers » dans lesquels l’amant se place volontairement. Pour émouvoir, et souligner le caractère exceptionnel de son amour, Bérénice emploie aussi des exagérations (« princes trop généreux »), des hyperboles (« Je ne vois que des pleurs, et je n’entends parler / Que de troubles, d’horreurs, de sang prêt à couler », « De l’amour la plus tendre et la plus malheureuse »). Son amour est présenté à travers le chiasme « Je l’aime, je le fuis ; Titus m’aime, il me quitte », dans lequel la perfection rythmique contraste avec l’échec, l’impossibilité de l’amour, dans une perfection rhétorique qui ajoute à l’émotion car elle donne une forme perceptible à l’impossibilité tragique pour ces deux amants de s’aimer. Sous Louis XIV, toute la Cour pleurait à cette pièce. Travaux d’écriture Question préliminaire L’adjectif tragique désigne un genre littéraire : la tragédie, genre dans lequel les personnages sont aux prises avec un destin implacable qui les dépasse, ou sont engagés dans un conflit insoluble qui ne peut se résoudre que par la mort brutale de l’un d’entre eux. Le texte tragique use d’un registre pathétique et met en scène des personnages exceptionnels (rois, reines) aux prises avec une douleur extrême qui, par son intensité, a quelque chose d’universel et s’adresse à toute l’humanité. En cela, l’extrait de Bérénice de Jean Racine est incontestablement un texte tragique : il met en scène un conflit insoluble, celui de Titus et Bérénice, qui doivent choisir entre leur amour et leur devoir. Ils choisissent le devoir et Bérénice disparaît, donnant l’exemple de « l’amour la plus tendre et la plus malheureuse ». Les autres textes présentent tous un amour impossible car empêché par des contraintes sociales (la femme aimée est mariée, dans Le Diable au corps, Le Bal du comte d’Orgel et La Princesse de Clèves) ou d’ordre tragique (Élisabeth est empêtrée dans un amour incestueux avec son frère dans Les Enfants terribles). Presque tous mettent en scène la mort d’un des personnages. Cette mort peut être réelle (Le Diable au corps, Les Enfants terribles) ou symbolique, comme dans La Princesse de Clèves, où l’enfermement au couvent équivaut à une sorte de mort sociale, ou encore dans Les Liaisons dangereuses, où la terrible lettre est comme une mise à mort de la fragile, parce que vertueuse, Mme de Tourvel. Dans chaque texte, les personnages sont broyés par des forces qui les dépassent : l’amour est « monstrueux » dans Le Diable au corps ; Michaël, dans Les Enfants terribles, meurt pour s’être immiscé dans « la chambre » et avoir voulu posséder Élisabeth, la « pythonisse » ; les personnages de La Princesse de Clèves et du Bal du comte d’Orgel sont, eux, broyés par la force d’un amour impossible. Dans Les Liaisons dangereuses, Mme de Tourvel et Valmont meurent, Mme de Merteuil est déshonorée. Chaque texte expose à sa manière un conflit insoluble. Dans Les Liaisons dangereuses, le conflit entre les libertins Valmont et Merteuil, d’abord alliés et qui deviennent ennemis, est sensible dans l’extrait cité. Dans Les Enfants terribles, le conflit semble se situer entre l’intérieur – les personnages de la chambre – et l’extérieur – ceux qui tentent de s’y introduire et qui sont brisés, comme Michaël. Dans les autres extraits, le conflit, qui pourrait ressembler au triangle habituel du couple à trois avec deux rivaux courtisant la même femme, se déplace pour devenir intérieur, chaque personnage étant Le Diable au corps – 25 aux prises avec les exigences contradictoires de l’amour et du devoir : dans Bérénice et Le Bal du comte d’Orgel, le devoir triomphe ; dans Le Diable au corps, l’amour et le désir triomphent – ce qui provoque un châtiment terrible : la mort de Marthe. Commentaire Introduction Bérénice, tragédie de 1670, met en scène les amours contrariées de Bérénice, reine orientale, Titus, empereur de Rome, et Antiochus, roi de Comagène. Bérénice aime Titus ; elle est aimée de lui et d’Antiochus. Alors que Titus vient d’être proclamé empereur, après la mort de son père Vespasien, et que rien ne semble s’opposer à ses amours, il repousse Bérénice. Cette dernière, qui croit que Titus a pris ombrage de la cour que lui fait Antiochus, menace de se tuer. C’est alors qu’Antiochus se déclare publiquement et que Titus lui explique la répugnance des Romains à être gouvernés par une reine étrangère. Il exhorte Bérénice à vivre et lui réaffirme son amour. Malgré sa souffrance, Bérénice accepte et prononce cette tirade finale. Très critiquée à son époque, parce qu’on lui reprochait de ne pas être une tragédie, la pièce est aujourd’hui considérée, en raison de sa simplicité d’action même, comme le chef-d’œuvre de la tragédie racinienne. Cet extrait, le dénouement de la pièce, ne met en scène aucune violence, aucune mort ; au contraire, Bérénice parle avec douceur et apaise. Pourtant, la douleur et l’émotion sont à leur comble, grâce à la grandeur du renoncement des personnages, leur « tristesse majestueuse ». Après l’analyse de cette tristesse forte et douce, on montrera en quoi ce texte est un dénouement. 1. Une « tristesse majestueuse » A. Un discours très organisé • Bérénice est en présence de deux princes qui l’aiment. Elle parle aux deux, puis à Titus, puis à Antiochus ; les didascalies l’indiquent. • Elle demande le calme (« arrêtez »). • Auprès de Titus, elle se justifie (« Mon cœur vous est connu ») et lui dit de régner (« Adieu, Seigneur, régnez […] »). • À Antiochus, elle refuse sa main et lui dit de vivre malgré tout. B. Un pathétique doux Le registre de sa tirade est pathétique (en témoigne le champ lexical de la tristesse : « désespoir », « pleurs », « trouble », « horreurs », « larmes », « malheureux », « funeste », « soupirs », « malheureuse », « douloureuse »), mais un pathétique doux : il n’y a d’impératif et de phrases exclamatives que dans les premiers vers ; ensuite Bérénice convainc par un raisonnement. Elle vient arrêter « le sang prêt à couler ». C. La grandeur des sentiments L’émotion provient de la grandeur des sentiments et non de l’horreur du spectacle et des souffrances, que résume le vers « Je l’aime, je le fuis ; Titus m’aime, il me quitte ». La situation est tragique car la dignité seule des protagonistes les empêche d’accéder au bonheur. Le refus de l’amour devient alors l’exemple même de l’amour le plus bouleversant : « Servons tous trois d’exemple à l’univers / De l’amour la plus tendre et la plus malheureuse / Dont il puisse garder l’histoire douloureuse. » 2. Un dénouement sans heurts A. Au lieu de mourir, les personnages décident de vivre Bérénice apprend que Titus l’aime, qu’il ne la délaisse que par fidélité à Rome (« Je connais mon erreur, et vous m’aimez toujours »), et se résout à vivre (« Je vivrai »). Dans le même temps, elle exhorte Titus à vivre aussi pour régner sur Rome et fait de même avec Antiochus (« Vivez »). B. Le conflit entre les personnages se transforme en un conflit entre soi et soi Bérénice dit : « Par un dernier effort couronner tout le reste », c’est-à-dire qu’après avoir renoncé à son amour, elle accepte de faire l’effort de vivre pour permettre à Titus de vivre, puis demande à Antiochus de faire « un effort généreux », en suivant leur exemple. Réponses aux questions – 26 Conclusion Cet extrait est bien un texte tragique : même s’il n’y a aucune effusion de sang, la douleur et la tristesse sont à leur comble et les personnages sont obligés d’abandonner leur bonheur en raison d’une situation qui leur préexiste et à laquelle ils ne peuvent rien. Il s’agit bien d’un dénouement, dans la mesure où l’intrigue entre les trois personnages trouve sa conclusion : ils s’aiment et se séparent. Exemple presque absolu de la poésie racinienne, cet extrait montre que la tragédie peut être uniquement de sentiment, avec une action presque absente. Dissertation Introduction Dans cet extrait, Racine répond aux attaques des doctes, qui reprochaient à sa tragédie Bérénice son manque d’action et sa forme peu canonique. Mais on voit bien que ce texte échappe à sa dimension purement circonstancielle et que Racine formule ici une nouvelle conception de la tragédie, plus moderne, dont Bérénice serait le premier exemple. On se demandera ce qu’est une tragédie classique et ce qu’est une tragédie moderne, et si les œuvres du corpus répondent à cette vision moderne du « plaisir tragique », telle que la définit Racine dans sa préface. 1. La tragédie classique • On reprendra les éléments de la phrase de Racine : « Héroïsme », « grandeur », « passion excitée », qui situent la tragédie dans un milieu social précis, celui des nobles, des princes et des rois, qui vivent un destin exceptionnel (des « passions »). Les personnages du Bal du comte d’Orgel, comme ceux des Liaisons dangereuses et de La Princesse de Clèves, issus de la vieille noblesse, rappellent évidemment cet univers. Il n’en est pas de même des personnages du Diable au corps qui sont issus de la bourgeoisie de banlieue. • D’une manière générale, ces passions aboutissent à des conflits qui ne peuvent se solder que par la mort des protagonistes. C’est le cas dans La Princesse de Clèves, où l’enfermement de la princesse au couvent est une mort symbolique, dans Les Liaisons dangereuses, où les personnages meurent réellement (Valmont) ou socialement (Merteuil), et dans Le Diable au corps, avec la mort de Marthe. • La tragédie classique respecte aussi des règles : d’unité, de bienséance et de vraisemblance. De ce point de vue, il est évident que seules Bérénice et La Princesse de Clèves appliquent ces règles du genre tragique. Les autres textes multiplient les actions et les lieux et ne se préoccupent pas de bienséance, allant même jusqu’à la bafouer volontairement, comme dans Les Liaisons dangereuses ou Le Diable au corps. Un texte comme Les Enfants terribles oscille, pour sa part, entre le registre tragique et le registre ironique. Pour autant, on pressent bien que ces différentes œuvres confinent au registre et au sentiment tragiques. 2. La tragédie moderne • Pour reprendre le mot de Racine, « tout le plaisir de la tragédie » réside dans la puissance des émotions. • Dans la préface de Bérénice, il indique sur un ton polémique qu’il aurait libéré cette émotion tragique de ses artifices sanguinaires, impressionnants mais accessoires, pour arriver à la grandeur tragique. Et, en effet, les derniers vers de Bérénice, comme les derniers mots de La Princesse de Clèves ou du Bal du comte d’Orgel, possèdent cette puissance tragique, sans qu’il y ait aucune effusion de sang : – ces textes mettent en scène des personnages aux prises avec un conflit insoluble, bien que simple, entre l’amour et le devoir ; – ces personnages ne peuvent résoudre la situation, en raison de règles (la loi de Rome, le mariage) qui les dépassent, qui préexistent à leurs sentiments et leurs personnes, et les étouffent, comme le destin, le fatum, qui pèse sur les personnages de la tragédie classique et les précipite vers leur fin ; – on constate que ces textes ne présentent ni « morts », ni « sang » ; pourtant, ils sont porteurs d’une tristesse et d’une grandeur liées au renoncement des personnages et fondatrices du sentiment et de l’émotion tragiques. Le Diable au corps – 27 Conclusion On voit qu’on peut opposer la tragédie au sens classique et théâtral du terme, qui présente une action se soldant forcément par la mort violente de l’un des personnages, à une tragédie plus moderne, centrée sur l’émotion provoquée par la souffrance de personnages confrontés à un conflit insolvable. Avec Bérénice, Racine inaugure une nouvelle vision de la tragédie, dans laquelle la fatalité est intégrée par les personnages qui s’y confrontent de leur vivant, sans qu’il soit nécessaire de les mettre à mort pour les empêcher de réaliser leurs projets. Écriture d’invention La lettre littéraire est un genre plus difficile qu’il n’y paraît. On insistera sur la mise en forme de la lettre (adressage, formules d’envoi et de politesse…) ; on demandera aux élèves de faire apparaître dans leur texte des éléments précis pris dans le texte (par exemple, François pourra comparer sa situation avec celle de son ami en citant sa relation avec Hester Wayne…). Compléments aux lectures d’images – 28 COMPLÉMENTS A U X L E C T U R E S D ’IMAGES ◆ Dessin de Jean Cocteau (p. 4) L’auteur Jean Cocteau est né en 1889 et mort en 1963. Romancier, dramaturge, poète, essayiste, cinéaste, il est aussi l’auteur de nombreux dessins dont le trait est immédiatement identifiable. Cet enfant de la grande bourgeoisie est donc un artiste total, qui s’est très tôt intégré dans les cercles artistiques et mondains de son temps, sur lesquels il a exercé une influence importante (académicien en 1955). Il introduit Radiguet dans les cercles littéraires et mondains et le présente à Bernard Grasset. Cocteau est, pour le jeune auteur, une sorte de Pygmalion et sera très affecté par son décès en 1923. L’œuvre Le dessin présenté est daté de la main de Cocteau du Lavandou en mai 1922, où Radiguet et Cocteau ont séjourné du 13 mai au 8 novembre 1922. On notera la simplicité du trait. Le visage est un simple profil, esquissé d’un seul trait, ainsi que les mains. Les parties les plus visibles, dessinées avec un crayon plus appuyé, sont la chevelure, le foulard et l’ombre du dos. Ce dessin est relativement atypique par rapport au trait habituel de Cocteau. La pose du modèle est étrange, comme en déséquilibre, malgré son immobilité. Radiguet lit, peut-être une page du Bal du comte d’Orgel qu’il a écrit à cette période, alors qu’il venait d’achever la relecture du Diable au corps. Tout dans le portrait – la cigarette, le fait qu’il soit en train de lire, l’œil mi-clos, le foulard noué au lieu de la cravate – évoque un air artiste, bohème et recueilli (on pense aux dessins et aux photographies représentant Rimbaud). Relations avec le texte et les autres œuvres présentées La simplicité du trait de ce dessin n’est pas non plus sans rappeler l’économie de moyens du style de Radiguet. On pourra comparer ce dessin avec les photographies de Radiguet (pp. 5 et 178) : l’un et les autres renseignent sur la représentation que l’on se fait de l’écrivain et de l’artiste. Travaux proposés – Trouvez d’autres portraits de Radiguet (cf. pp. 5 et 178) et comparez-les avec ce dessin. – Comparez ce dessin avec d’autres dessins de Cocteau. – Faites une photocopie du dessin et coloriez-le dans un esprit cubiste, pointilliste ou autre. ◆ Affiche de René Lefebvre (p. 8) L’œuvre L’affiche du film de Claude Autant-Lara est une affiche des années 1940 (le film est sorti en 1946, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale). La composition en est assez simple : à gauche, le titre et la distribution, en gros caractères (prestigieuse pour l’époque) ; à droite, la présentation des personnages (le visage de Marthe et un portrait en pied du narrateur du roman). Au-dessus de ces personnages, une odalisque stylisée ajoute à l’ensemble une discrète note d’érotisme qui est un argument de vente supplémentaire. Par rapport au roman, on notera que l’affiche met en avant le visage de Marthe, le narrateur passant au second plan – ce qui semble indiquer que le film ne suivra pas tout à fait la ligne du roman. Le bas de l’affiche est occupé par des flammes, qui symbolisent le mot diable contenu dans le titre et rappellent l’enfer. Comme la majorité des affiches de cinéma de l’époque, celle-ci est expressionniste : expressions et sentiments sont grossis et exprimés de manière exagérée, impression encore accentuée par le fait qu’il s’agit d’une affiche peinte (et non de photographies des acteurs). À l’époque, la majorité des affiches, comme les couvertures de livres policiers ou de poche, étaient peintes (aujourd’hui, les affiches de cinéma sont généralement des photographies agrandies). Le Diable au corps – 29 Relations avec le texte et les autres œuvres présentées – Cette affiche permet-elle de comprendre le roman de Radiguet ? En donne-t-elle une image conforme à votre lecture ? – Comparez l’affiche et la photographie du film (p. 111) : sont-elles ressemblantes ou différentes ? Travail proposé Réalisez une couverture pour le roman, en vous inspirant de l’affiche. Vous pourrez soit la réaliser sous forme de collage, soit vous aider d’un micro-ordinateur. ◆ Les Valeurs personnelles de René Magritte (p. 29) L’auteur René Magritte est un peintre belge né en 1898 et mort en 1967. Passé par le cubisme, les collages de Max Ernst et les paysages métaphysiques de Chirico, il trouve son style propre dans une peinture surréaliste (mouvement auquel il adhère) marquée par une certaine impersonnalité de caractère illusionniste. Sa peinture est dominée par les tons clairs et des volumes lisses et secs. Il joue d’un ensemble d’objets tirés de la réalité quotidienne comme de notes de musique, dans une partition étrange qui déplace les contours et les limites de ces objets (on pense à la représentation d’une pipe intitulée Ceci n’est pas une pipe). L’œuvre Dans l’œuvre présentée, on pourra signaler les éléments suivants : – il n’y a pas de personnages : le tableau est donc soit un paysage, soit une nature morte ; – l’intérieur (le sol avec les tapis, le plafond) et l’extérieur (les murs de la chambre et le reflet dans le miroir de l’armoire) sont mélangés ; – les perspectives sont faussées : la chambre est représentée en perspective, avec comme point de fuite le centre du tableau, mais le ciel est sur un seul plan, sans aucune rupture, de sorte qu’on ne sait pas s’il est peint sur les murs de la chambre ou s’il apparaît en transparence ; – les proportions sont renversées : les petits objets (peigne, savonnette, allumette, blaireau, verre) sont immenses, tandis que les gros objets (lit, armoire) sont à la taille normale et donc paraissent, par comparaison, minuscules. Ces effets brouillent ainsi la toile qui est à la fois réaliste et fantastique, banale et déroutante. Relations avec le texte et les autres œuvres présentées – D’après vous, ce tableau pourrait-il illustrer l’une des scènes du roman ? Justifiez votre réponse. – Peut-on trouver des points communs entre ce tableau et celui de Balthus (p. 88) ? Travaux proposés – Connaissez-vous d’autres œuvres picturales qui font usage des procédés de mélange utilisés par Magritte ? – Créez une image sur ce modèle, par collage d’éléments ou en la dessinant vous-même. ◆ Planche extraite de Persépolis (t. III) de Marjane Satrapi (pp. 47-48) L’auteur Persépolis est l’autobiographie en bande dessinée de Marjane Satrapi. Née en Iran en 1969, l’auteur part faire des études en Autriche, quelques années après la Révolution islamiste de 1979. À travers le récit de sa vie, elle raconte en fait celle de la jeunesse iranienne pendant ces années difficiles. Persépolis est en fait la première bande dessinée iranienne. Marjane Satrapi a fait les Beaux-Arts de Téhéran et obtenu une maîtrise de communication visuelle. Son sujet de maîtrise portait sur la création d’un parc d’attractions sur les héros de la mythologie persane, parmi lesquels il y avait, en fait, nombre d’héroïnes à cheval… sans tchador. Son diplôme obtenu, son projet n’a pas été réalisé. À son arrivée en France en 1994, elle entre à l’École des arts décoratifs de Strasbourg pour y devenir graphiste, n’imaginant pas devenir un jour auteur de bande dessinée. C’est son ami David B., auteur lui aussi d’une autobiographie en bande dessinée, qui lui en a donné l’idée. L’œuvre La planche présentée retrace sa rencontre avec un jeune homme de son âge, en Autriche. Compléments aux lectures d’images – 30 On remarquera le style très épuré, fait de contrastes forts, le dessin centré sur l’expression des personnages et comportant peu de décors. On pourra travailler sur le mode d’expression propre à la bande dessinée : opposition entre le texte des cartouches (qui donne le point de vue et les pensées de la narratrice) et les dialogues qui sont simplement des échanges de répliques. On pourra aussi travailler sur le style de l’auteur : – jeu sur les contrastes (plusieurs images à fond noir), faisant ressortir le visage des personnages et donnant ce registre sérieux et profond et sa grande lisibilité à la planche (la première image est exemplaire) ; – graphisme stylisé, simplifié et avec peu d’effets (image des danseurs). Ce n’est pas le réalisme qui est recherché mais l’expression. On obtient un dessin qui est entre le maître belge (Hergé) et les grands caricaturistes (Reiser, Plantu) ; – utilisation des différents textes (cartouches, bulles) de manière théâtrale, les cartouches fonctionnant comme des apartés, les bulles comme des répliques. Relations avec le texte et les autres œuvres présentées – On notera qu’il y a de grandes similitudes entre cette planche et Le Diable au corps : même répartition de la parole à l’avantage du narrateur-auteur ; caractère épuré du style et des effets ; apparente distance. – La dernière vignette de la planche représente « le bonheur ». D’autres images de l’ouvrage proposent-elles une vision du bonheur ? Travail proposé Au « Chapitre 1 » du Diable au corps, le narrateur, alors écolier, essaie de « séduire » une petite fille de son âge. Adaptez ce passage en une planche de bande dessinée : commencez par formaliser le découpage en vignettes, puis rédigez les propos du narrateur (cartouches) et les dialogues (bulles). ◆ Les Beaux Jours de Balthus (p. 88) L’auteur Balthasar Klossowski de Rola, dit Balthus, est né à Paris en 1908 et mort en 2001. Balthus est un peintre en marge de tous les courants. Sa peinture est marquée par le mélange d’un érotisme suggéré et d’un relatif académisme dans la technique et la composition. Il a notamment été directeur de la villa Médicis à Rome, de 1961 à 1976. L’œuvre Les Beaux Jours présente une figure de jeune fille, allongée sur une méridienne et se regardant dans un miroir, pendant qu’un jeune homme alimente le feu dans la cheminée. Le visage de la jeune fille est de trois quarts. L’atmosphère ouatée et tiède, voluptueuse, qui transparaît est fréquente dans la peinture de Balthus. On remarque que la toile est composée selon une diagonale parfaite marquée par le corps de la jeune fille et sa jambe étendue : elle est ainsi le centre du tableau, autour duquel se disposent, de manière symétrique, la fenêtre et le jeune homme s’occupant du feu. Relations avec le texte et les autres œuvres présentées Comme Radiguet, auteur inclassable, Balthus est un peintre individualiste. On l’a souligné, le tableau présenté ici pourrait presque servir d’illustration à plusieurs scènes du roman. – On pourra proposer de comparer cette œuvre avec les documents relatifs au film de Claude AutantLara (pp. 8 et 111) et se demander lesquels paraissent les plus représentatifs de l’œuvre de Radiguet. – On pourra aussi comparer le mobilier de ce tableau avec le mobilier du tableau de Magritte présenté page 30 et se demander en quoi ils diffèrent ou se ressemblent. Travaux proposés – Le tableau comporte plusieurs meubles et objets. Peut-on les comparer avec les meubles choisis par le narrateur et Marthe au « Chapitre 5 » et ceux qui auraient été choisis par Marthe ou son fiancé ? – Décrivez le tableau qui pourrait représenter la scène de l’extrait d’Omphale. En quoi serait-il différent du tableau de Balthus ? Le Diable au corps – 31 BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE ◆ Romans d’adolescence XXe siècle – Hervé Bazin, Vipère au poing, Grasset, 1948, rééd. Le Livre de Poche. – Alain Fournier, Le Grand Meaulnes, Le Livre de Poche, 1985. – André Gide, Les Faux-Monnayeurs, Gallimard, 1926. – Paul Nizan, La Conspiration, Gallimard, 1938, et Aden Arabie, Maspéro, 1932. – Michel Rio, Archipel, Le Seuil, 1987. – Roger Vailland, Un jeune homme seul, Buchet-Chastel, 1977. XIXe siècle – Honoré de Balzac, Un début dans la vie, Illusions perdues, Le Père Goriot… – Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale. ◆ Romans sur la guerre de 1914-1918 et l’immédiat après-guerre – Didier Daeninckx, Le Der des der, Gallimard, 1984 (adapté en bande dessinée par Jacques Tardi, Casterman, 1997). – Louis Aragon, Aurélien, Gallimard, 1944. – Roger Martin du Gard, Les Thibault, 1922-1940. – Henri Barbusse, Le Feu, 1916. – Louis Guilloux, Le Sang noir, Gallimard, 1935. – Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, Gallimard, 1932. ◆ Autobiographies et récits autobiographiques – François Cavanna, Les Ritals, Belfond, 1978. – Albert Cohen, Le Livre de ma mère, Gallimard, 1954. – Colette, Sido, Hachette, 1929. – Roald Dahl, Moi, Boy, Gallimard, 1987. – Annie Duperey, Le Voile noir, Le Seuil, 1992. – Romain Gary, La Promesse de l’aube, Gallimard, 1960. – André Gide, Si le grain ne meurt, Gallimard, 1920. – Camara Laye, L’Enfant noir, Librairie Plon, 1953. – Jack London, Martin Eden, UGE, 1973. – Georges Perec, W ou le Souvenir d’enfance, Denoël, 1975. – Daniel Picouly, Le Champ de personne, Flammarion, 1997. – Claude Roy, Moi je, Gallimard, 1969. – Art Spiegelman, Maus : un survivant raconte, Flammarion, 1987. – Marguerite Yourcenar, Souvenirs pieux, Gallimard, 1974. ◆ Quelques témoignages d’époque – Abbé Mugnier, Journal (1879-1939), Mercure de France 1985. – Jean Cocteau, Entretiens avec Roger Stéphane, Tallandier, 1964. – André Gide, Journal, t. I (1887-1925), Gallimard, 1996. – Maurice Martin du Gard, Les Mémorables, 1918-1923, Gallimard, 1999. Bibliographie complémentaire – 32 – François Mauriac, Mes Grands Hommes, éd. du Rocher, 1949. – Nord-Sud, revue littéraire (reprint), Jean-Michel Place, 1980. – Maurice Sachs, Au temps du « Bœuf sur le toit », Grasset, 1987. – Sic, revue littéraire (reprint), Jean-Michel Place, 1980. – Philippe Soupault, Mémoires de l’oubli, 1914-1923, Lachenal et Ritter, 1981. ◆ Sur le contexte historique – Jean-Jacques Becker et Serge Berstein, Victoire et Frustrations, 1914-1919, Le Seuil, 1990. – Jean-François Sirinelli, Génération intellectuelle : khâgneux et normaliens dans l’entre-deux-guerres, Fayard, 1988.