Les politiques du logement social en Algérie coloniale (fin XIXe

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Les politiques du logement social en Algérie coloniale (fin XIXe
Les politiques du logement social en Algérie coloniale
(fin XIXe – 1954 – 1962)
I. Bilan historiographique : le logement social dans le champs des études
urbaines et en situation coloniale
1. Le logement social : entre métropole et colonie, un prisme d'étude
prometteur
Par « logement social » nous entendons les « habitations à bon marché » (puis
« habitations à loyer modéré ») qui s’édifient en France à partir de la fin du XIX e siècle. Pour
la nébuleuse réformatrice promouvant le mouvement des HBM et pour ceux ayant voté les
lois afférentes il s’agit aussi bien de résoudre la question sociale que de freiner la montée du
socialisme : au cœur de l’entremêlement entre histoire urbaine, histoire politique et histoire
sociale se situe donc, entre autres, la question du logement social 1.
Bien que la thèse fondatrice de Roger-Henri Guerrand soit parue il y a près
d’un demi-siècle, le logement social ne fait l’objet de recherches historiques systématiques
que depuis une vingtaine d’années, révélant l’importance de ce phénomène qui toucha la vie
de millions de personnes dans la France du XX e siècle2. Le logement social a de l'importance
aussi bien « quantitativement » (nombre de personnes logées) que « qualitativement » (par
tout ce qu'il induit). En terrain colonial les tensions et enjeux urbains, politiques et sociaux
qu'il sous-tend sont amplifiés.
2. La ville coloniale, un champ d'études ouvert
Si l’histoire de l’Algérie coloniale est en plein renouvellement 3, les travaux
d’histoire proprement urbaine en cet espace restent peu nombreux, à l’exception d’études
concernant avant tout Alger4. En somme, nous envisageons notre travail comme une
contribution au programme de recherche esquissé par François Dumasy, toujours largement
valable : « Le problème de la ville coloniale demeure un champ ouvert, où beaucoup reste à
défricher. Renouer l’analyse matérielle et sociale apparaît comme un chantier multiple d’où
les historiens ne sauraient rester absents plus longtemps 5. »
3. Le logement social en Algérie durant la période coloniale : connecter et
réarticuler des historiographies distinctes
Les historiens qui se sont intéressés au logement social en France n’évoquent
que vaguement, au détour d’une ligne ou d’une note de bas de page, ce qui fut décidé
1 R.-H. Guerrand, Les origines du logement social en France, 1850-1914, Paris, Éditions de La Villette, 2010
[1967] ; C. Topalov (dir.), Laboratoires du nouveau siècle. La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France,
1880-1914, Paris, Éditions de l’EHESS, 1999.
2 J.-P. Flamand, Loger le peuple. Essai sur l’histoire du logement social en France, Paris, La Découverte, 1989 ;
Y. Carbonnier, Les Premiers logements sociaux en France, Paris, La Documentation française, 2008 ; T. Tellier, Le
temps des HLM, 1945-1975, Paris, Autrement, « Mémoires/Culture », 2007 ; C. Carriou, Loger les ménages et
aménager l'espace urbain ? Les politiques d'habitations à bon marché et la gestion de l'intégration territoriale du
logement social (1889-1939), Thèse d'urbanisme et aménagement sous la direction de J.-Cl. Driant, Université
Paris 12, 2007. Voir aussi l'ample synthèse de D. Voldman, Locataires et propriétaires. Une histoire française,
Paris, Payot, 2016.
3 Bouchène, Peyroulou, Siari Tengour, Thénault, Histoire de l’Algérie coloniale, 1830-1962, Alger/Paris,
Barzakh/La Découverte, 2012 ; G. Pervillé, La France en Algérie, 1830-1954, Paris, Vendémiaire, 2012.
4 Z. Hamdi-Cherif Hakimi, Alger, politiques urbaines : 1846-1958, Saint-Denis, Bouchène, 2011 ; C. Zeynep,
Urbans forms and colonial confrontations : Algiers Under French rule, Berkeley, University of California Press,
1997 ; David Prochaska, Making Algeria French : colonialism in Bône, 1870-1920, Cambridge/Paris, Cambridge
University Press/Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1990 ; J.-J. Jordi et J.-L. Planche (dir.), Alger,
1860-1939 : le modèle ambigu du triomphe colonial, Paris, Autrement, 1999.
5 F. Dumasy, « Repenser l’histoire urbaine de la colonisation. Quelques réflexions pour une approche sociale des
formes dans le cas maghrébin », in P.-R. Baduel, Chantiers et défis de la recherche sur le Maghreb contemporain,
Tunis/Paris, IRMC/Karthala, 2009, p. 265-287 ; H. Vacher, Villes coloniales aux XIXe et XXe siècles. D’un sujet
d’action à un objet d’histoire (Algérie, Maroc, Libye, Iran). Essais et guide bibliographique, Paris, Maisonneuve
& Larose, 2005.
concernant l’Algérie et ce qui s’y édifia. Ceux s’intéressant plutôt à l’Algérie et notamment à
Alger interrogent plus longuement le logement social, mais n’en font pas le cœur de leur
étude, loin s’en faut6. En un autre terrain colonial, Vanessa Caru a récemment renouvelé, à
partir de l'observatoire du logement, la compréhension des enjeux de pouvoir dans la ville de
Bombay, les modalités de fonctionnement de la domination coloniale et les modes d’insertion
dans l’environnement urbain comme facteur majeur de l’identité sociale et politique 7.
Ainsi existe-t-il des historiographies dynamiques portant sur l’urbain, la
situation coloniale et le logement social. Il s’agit de les réarticuler (cadres problématiques,
méthodes) afin de questionner les espaces urbains en Algérie coloniale à nouveaux frais, par
le prisme du logement social. En somme, notre projet de doctorat a donc une double
ambition : approfondir les études urbaines en y intégrant l'analyse du cas colonial et enrichir
l'étude de la colonisation française en Algérie en étudiant en profondeur un segment des
politiques urbaines.
II. Objet et perspectives de recherche
1. Le logement social dans l'Algérie en situation coloniale : particularités et
intérêts d'une recherche
L’étude des espaces urbains en Algérie coloniale par le prisme du logement
social devrait permettre de répondre plus finement à un certain nombre d’interrogations qui
traversent l’historiographie depuis plusieurs années : la nature des décisions – et leur
importance relative – des différents pouvoirs en France (étatique, du gouvernement général,
préfectoral, municipal), les réactions des citadins et, plus largement, leur politisation ; la
circulation des idées et pratiques concernant l’espace urbain de la métropole à l’Algérie, et au
sein de l’Algérie elle-même ; les rencontres entre individus ou communautés au sein de la
« situation coloniale8 » ; l’enracinement des « Français » en Algérie ; l’évolution des
positionnements des « Français musulmans », de plus en plus impliqués dans les politiques
urbaines, vis-à-vis des autorités ; la construction du lien social et le rapport à l'État en
situation coloniale ; la façon dont la « modernité » est édifiée dans l’espace urbain et est
appropriée ou rejetée par individus et groupes sociaux.
2. Quels acteurs ? Quels bénéficiaires ?
Éclairer la part prise par l’ensemble des acteurs dans l’édification des HBM et
HLM est nécessaire pour saisir la distribution et l’accaparation des pouvoirs dans les espaces
urbains de l’Algérie. Différents individus, groupes et administrations sont actifs en ce
domaine, différemment engagés : particuliers (par exemple, les Rothschild 9), associations (qui
précédèrent souvent l’action publique), municipalités, préfectures, gouvernement général,
administrations d'État. Quelles furent les ressorts de leurs prises de position et actions ?
Les bénéficiaires, pour lesquels la vie quotidienne et les relations à la ville
prirent de nouveaux atours, forment eux aussi un groupe à cerner. Qui furent-ils ? Dans quelle
mesure les politiques urbaines furent destinées à différentes populations 10 ? Comment leurs
trajectoires individuelles et familiales furent-elles infléchies ? Quelle importance de
l’engagement dans le mouvement HBM dans la recomposition des forces sociales, politiques
et communautaires ?
6 Seule Z. Hamdi-Cherif Hakimi (Alger, politiques urbaines…op. cit.) y fait brièvement référence.
7 V. Caru, Le logement des travailleurs et la question sociale : Bombay (1850-1950), Armand Colin,
« Recherches », 2013 ; C. Herbelin, « Des HBM au Viêt Nam. La question du logement social en situation
coloniale », Moussons. Recherches en sciences humaines sur l’Asie du Sud-Est, n° 13-14, 2009, p. 123-146.
8 G. Balandier, « La situation coloniale : approche critique », Cahiers internationaux de sociologie, XI, 1951.
9 AIU/IV E 35 b/Navon au Président de l’AIU, « Les habitations à bon marché à Constantine », 14 novembre 1904
[AIU : Alliance Israélite Universelle].
10 S. Magri, « Des ‘‘ouvriers’’ aux ‘‘citoyens modestes’’. Naissance d’une catégorie : les bénéficiaires des
habitations à bon marché au tournant du XXe siècle », Genèses, septembre 1991, p. 35-53.
3. Entre rencontres et confrontations communautaires : de l'étude du logement
à l'étude de la citadinité
La « situation coloniale » en Algérie sommait, selon diverses intensités (en
fonction du contexte précis ou, plus finement encore, des individus), chaque citadin à affirmer
son identité sociale au sein d’un ensemble communautaire : « Français/Européen », «
Musulman », « Israélite ». Ces catégories étaient aussi bien formellement précises que
transgressées par les pratiques quotidiennes ou, plus rarement, par des désaffiliations
affirmées. Nous avions conclu au terme de notre master 2 que le logement social, lieu de
coopérations autant que de conflits, était un enjeu majeur de ces dynamiques
communautaires. Bâtir un tel habitat put aussi bien être créateur d’une certaine urbanité
reliant les différents segments de la population 11 qu’un levier de conflits ayant pour cadre et
enjeu la ville12.
En somme, c’est toute la citadinité des habitants d’Algérie coloniale qui fut
touchée par les politiques du logement social, c’est-à-dire l’ensemble des modalités de la vie
en société propre aux habitants des villes : la confrontation permanente à l’altérité, le
« savoir-vivre » rendu possible par des rencontres fécondes et la prise de position dans des
conflits liés à une complexe gestion de la distance de soi aux autres. La « citadinité » est un
phénomène qui relève pleinement de l’étude historique dans la mesure où elle est « le résultat
d’un parcours, d’un investissement, d’une projection 13 ». Quitter son quartier, découvrir de
nouveaux espaces hors des centres-villes insalubres, forger de nouveaux rapports sociaux
avec son quartier et ses voisins : ces divers aspects sont profondément liés à l’importance des
mouvements d’habitat social14.
Ainsi, quel lien social et politique s’élabora ou se défit à partir des tentatives
de résolution des problèmes du logement ? Se rassembler autour de projets d’habitat bon
marché et vivre dans des quartiers neufs pouvait-il être facteur de relations renouvelées et
apaisées ? Dans quelle mesure des projets et un habitat communs contribuèrent-ils à édifier
des communautés urbaines unies ? Dans quelle mesure les musulmans, et notamment leurs
élus municipaux, se firent-ils de plus en plus revendicatifs pour la résolution du problème du
logement de leurs coreligionnaires ? Comment les juifs firent-ils du logement un terrain
prioritaire de leur « francisation » ? Quel fut la part de ces engagements dans les processus de
politisation ? En quoi l’habitat fut-il un terrain et un enjeu de l’autonomisation politique et
sociale des communautés (par rapport aux autorités aussi bien que par rapport aux autres
groupes urbains) ? Comment le logement social participa-t-il à la redéfinition des identités
sociales et de la citadinité ?
4. « Une sorte de mystique du logement imprègne nos âmes...15 ». Le logement
social : une politique coloniale ? Enraciner les Français en Algérie,
s’attacher les indigènes
11 Article du rédacteur à la préfecture et ancien conseiller municipal Benmouffok, La Dépêche de Constantine, 30
novembre 1909 ; P. Darmon, L’Algérie de Pétain. Les populations algériennes ont la parole (septembre 1939novembre 1942), Paris, Perrin, 2014, p. 314 (projet de lotissement à bon marché recevant des dons de juifs et de
musulmans sunnites et mozabites) et P.-J. Le Foll-Luciani (entretiens avec), William Sportisse. Le camp des
Oliviers. Parcours d’un communiste algérien, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, « Essais », 2012, p. 25.
12 Là encore, parmi de nombreux exemples : J. Berque, Le Maghreb entre deux guerres, Paris, Seuil, 1962, p. 52,
60, 106-107 et M. Bennabi, Mémoires d’un témoin du siècle, Alger, ENAL, 1065, p. 13 et AWC/CPE
676/OPHBM, 11 avril 1928 [AWC : Archives de la Wilaya de Constantine ; CPE : fonds Commune de Plein
Exercice] (sur les tensions urbaines croissantes durant l'entre-deux-guerres) ; ANOM/GG 9 H 52, « Projet de note
établi par la commission d'enquête sur les événements du 5 août 1934 » (sur les rancoeurs à l'égard des juifs, qui
auraient obtenu des logements de façon indue). Voir aussi AWC/CPE 231/CM, 10 octobre 1931 et AWC/CPE
234/CM, 13 août 1936 (sur les rancœurs puis l'engagement d'élites musulmanes dans le mouvement HBM). Enfin,
concernant les politiques de l'habitat pour les migrants en métropole dans la seconde moitié du XXe siècle, voir M.
Cohen, Des familles invisibles : politiques publiques et trajectoires résidentielles de l'immigration algérienne
(1945-1985), Thèse de doctorat d'histoire sous la direction d'A. Fourcaut, Paris 1, 2013.
13 V. Lemire, Jérusalem 1900, Paris, Armand Colin, 2013, p. 214.
14 Comme l’avait compris le rabbin Eisenbeth (Le judaïsme nord-africain. Études démographiques sur les
Israëlites du département de Constantine, Constantine, Pierre Braham, s.d. [1931], p. 103).
15 Déclaration au conseil municipal du député-maire d'Alger Jacques Chevallier, 3 juillet 1953.
« L’aspect politique du problème de l’habitat en Algérie 16 » : c’est ainsi que
deux députés d'Alger à l'Assemblée algérienne titrent un rapport qu’ils remettent au ministre
de la reconstruction et de l’urbanisme. Ils rappellent ainsi, au début des années 1950, cette
dimension fondamentale de la question du logement, pensant aussi bien aux tensions sociales
liées à la précarité de l’habitat qu’à la domination coloniale française, fragilisée par des
mécontentements surtout exprimés, sur cette question, par les musulmans. Il s’agissait pour
les autorités, d'une part, d’enraciner les « Français » en Algérie17 et, d'autre part, de s’attacher
les « musulmans » en renouvelant sans cesse leur incertain consentement 18. D’Alger aux plus
petites sous-préfectures, le logement social se voulait l'une des formes de territorialisation de
l'État français et de sa légitimité dans les espaces urbains.
Ainsi, quelle fut la part de l’habitat social dans l’enracinement des Français
en Algérie ? Dans quelle mesure les indigènes se lièrent-ils aux institutions françaises grâce
aux politiques de logement social ? Quel liens sociaux se tissèrent par le biais du mouvement
d'habitat social ? Est-il significatif que la première réunion de l’OAS se soit déroulée dans un
HLM du Champ de Manœuvre à Alger 19 ? Sauver de la misère, serait-ce désamorcer les
tensions sociales et politiques croissantes et, partant, sauver l’urbanité coloniale et la
souveraineté française en Algérie ?
5. De l'habitat aux pratiques urbaines et politiques : le logement social,
espace de « modernité »
« Presque seuls, les groupements d’HBM ont continué à construire, alors que
les besoins s’accroissent de la modernisation des goûts dans les divers éléments de la
population indigène20. » C’est ainsi que l’un des principaux animateurs du mouvement
d’habitat social des années 1930 vante son action quant à la modernisation de la vie
quotidienne des musulmans. Cette dernière rentre en résonnance avec les aspirations d’une
partie des indigènes, qui « voudraient avoir leurs petites maisons à eux21. »
Dans le sillage de travaux historiques ayant identifié les espaces coloniaux
comme des « laboratoires » en maints domaines (santé, pratiques militaires, urbanisme,
finances publiques22), nous envisageons de déterminer la place des politiques de logement
social en Algérie dans l'élaboration de nouvelles modalités de gestion urbaine et de nouveaux
rapports à l'espace urbain.
Quelle fut réellement l’importance de l’habitat social dans la mise en
conformité de l’espace avec les attentes des populations – et leurs différences respectives –,
notamment selon des critères hygiéniques et esthétiques ? Quelle part des politiques d’habitat
social en Algérie dans la formation des modes de gouvernement de l’espace urbain français ?
16 ANOM/Note de l’office administratif du Gouvernement général de l’Algérie au gouvernement général de
l’Algérie, 10 février 1953 (citée par N. Hubinet, La politique française de construction de logements sociaux au
Maghreb dans les années 1950 : les exemples des architectes Fernand Pouillon et Michel Écochard, Mémoire de
master sous la direction de D. Rivet, Université Paris 1, 2006, p. 14). De façon plus générale, voir A. Girault,
Principes de colonisation et de législation coloniale, Paris, Recueil Sirey, vol. 3, 1921 [1895], p. 460 (« la question
coloniale est devenue [au tournant du XXe siècle] une question de Travaux Publics »).
17 Concernant les politiques d'aide au logement comme moyen de renforcer le sentiment d'appartenance des
Français pour l'Algérie, voir par exemple AWC/CPE 277/CM, 12 juillet 1922 (« En Algérie, cette institution [les
HBM] est également une œuvre de colonisation, puisqu’elle fixe dans la colonie de nombreux travailleurs qui,
ainsi que leur descendance, sont attachés à notre sol par la possession du toit familial »).
18 Concernant les politiques d'habitat pour intégrer les musulmans à la République française, voir, entre autres, les
longs remerciements de l'un d'entre eux dans La Voix des Humbles (revue des instituteurs d'origine indigène),
février 1931 ; voir aussi AWC/SLNA/F7/GGA, CIE, « Relevé des réalisations sociales en vue de la propagande
indigène », note du commandant Wender (chef du Centre d’informations et d’études) du 10 avril 1940. Rappelons
que R.-H Guerrand avait déjà relevé que les politiques d'habitat social étaient revêtues d'un rôle politique d'«
intégration » des travailleurs à la République s'édifiant.
19 Jean-Jacques Susini, Histoire de l’O.A.S., Paris, La Table Ronde, 1963, p. 74.
20 AWC/CPE 677/Délibération du Comité de patronage adressée au GGA, 28 novembre 1928.
21 AWC/CPE 231/CM, 10 octobre 1931, intervention de Belaggoun.
22 H. Vacher, Projection coloniale et ville rationalisée. Le rôle de l’espace colonial dans la constitution de
l’urbanisme en France. 1900-1931, Aalborg, Aalborg University Press, 1997 ; S. Effosse, L’invention du logement
aidé en France. L’immobilier au temps des Trente Glorieuses, Paris, Comité pour l’histoire économique et
financière de la France, 2003, p. 235.
6. Bornes chronologiques et spatiales (fin XIXe – 1954 – 1962)
La loi Siegfried du 30 novembre 1894 peut être considérée comme le point de
départ de notre recherche : c’est dans son sillage que nous avons repéré les premiers
frémissements du mouvement d’habitations à bon marché en Algérie. Le terme de notre
travail de recherche nous semble plus incertain et reste à déterminer : plusieurs options, aux
tenants et aboutissants significativement différents, s'offrent à nous. D'une part, en novembre
1954, l’ensemble de la société de l’Algérie coloniale est bouleversée par un contexte de
conflictualité inédite. Des enjeux d'une nature et d'une envergure nouvelles sont assignés aux
politiques sociales ; l’existence urbaine et les décisions politiques sont elles aussi rapidement
bouleversées. D'autre part, durant la guerre de 1954 à 1962, l'implication des pouvoirs publics
français se fait de plus en plus importante dans le domaine de l'habitat, tout en s'inscrivant
toujours dans une certaine continuité avec les deux décennies d'après-guerre : le Plan de
Constantine (1958) autant que la gestion des camps de regroupement sensiblement similaire à
celle des bidonvilles en sont quelques éléments significatifs 23. L'enquête menée à partir des
sources, encore souvent inédites, devrait permettre de déterminer le moment d'achèvement de
notre étude.
Nous avons par ailleurs décidé de faire porter notre recherche sur l’ensemble
du territoire algérien. Cette échelle – plutôt que celle d’une ville, ou celle d’une société
particulière – nous semble adéquate dans la mesure où elle devrait permettre de saisir
l’ensemble de la politique française dans cette espace colonial. En emboîtant les échelles –
locales, régionales, algérienne et nationale – nous devrions pouvoir pleinement saisir les
débats, conflits, différences, échanges, circulations (d’idées, d’hommes, de pratiques)
concernant le logement social en Algérie de 1894 à 1954 ou 1962.
III. Des sources nombreuses et dispersées
Les sources qui permettent de répondre à notre sujet d’étude sont, quoi qu’éparpillées,
nombreuses. Les informations issues des divers centres d’archives mentionnés ci-dessous
rendent compte d’un paysage urbain hétéroclite : c’est par un changement d’échelle
d’observation, le déplacement du regard et la multiplication des points de vue orientés par la
question du logement que nous envisageons de restituer aux villes d’Algérie coloniale
l’entièreté de leur passé.
Le contexte institutionnel de production des sources fait une de leurs limites : elles
nous renseignent avant tout sur les priorités des élites et la mise en œuvre de leur domination.
Il n’en reste pas moins que ces sources devraient permettre de répondre à l’ensemble des
interrogations que nous nous sommes précédemment posées24.
Notre hypothèse initiale – l’utilité d’un « détour » par l’observatoire du logement
social pour affiner la compréhension de la situation coloniale en Algérie – fait écho à notre
expérience des archives préfectorales conservées à Constantine : la question du logement et
de l’habitat s’y offre au chercheur sous la forme de dossiers d’archives classés à part et
conséquents ; en outre, les délibérations municipales y font des références qui vont croissant
au fil des années.
Enfin, la question de l’habitat, de plus en plus rare et cher dans des villes de plus en
plus peuplées, prenant une acuité particulière au XX e siècle et notamment dans l’entre-deuxguerres, il en découle une production d’archive croissante, à mesure à la fois que croît la crise
du logement et que les autorités aussi bien que les citadins s’approprient cette question. Dit
autrement : la pénurie fabrique des crises, provoque des conflits, produit de l’archive et
permet le travail de l’historien.
23 F. Sacriste, Socio-histoire de l'État colonial pendant la guerre d'indépendance algérienne. La problématique
des regroupements de population dans le Constantinois (1954-1962), Thèse de doctorat d'histoire sous la direction
de G. Pervillé et J. Cantier, Toulouse 2, 2014.
24 Il semble tout à fait possible de faire une histoire « par le bas » du logement social en Algérie coloniale : des
séries continues de dossiers individuels ont été produites sur les candidats à l'occupation par les administrations
concernées (voir à ce sujet AN/19771140/15).
1. Principaux documents administratifs et politiques
1.1 Les archives nationales
Les départements algériens eurent une correspondance soutenue avec les services
concernés en France. Ainsi, une centaine de cartons d’archives concernant l'habitat en Algérie sont
entreposées à Pierrefitte-sur-Seine. De même, nombre de documents produits et conservés avant
1962 (par les préfectures, par le gouvernement général, etc.) en Algérie sont également archivés à
Aix-en-Provence (Centre des archives nationales d'outre-mer) et à Alger 25 (Archives nationales
d'Algérie). Enfin, les archives de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC, Paris) nous
semblent essentielles pour envisager l'investissement économique – donc politique – envisagé et
réalisé en Algérie par les autorités métropolitaines26.
1.2. Les archives des wilayas et municipalités
Notre travail de master 2 a confirmé l’immense richesse de ces fonds. A
Constantine les fonds Commune de plein exercice et Biens Communaux « portent sur les archives
strictement communales27 ». Il s’agit de documents préfectoraux et municipaux, reflets de la tutelle
préfectorale sur la commune : délibérations municipales, programmes de construction, dossiers
techniques, demandes d’associations, rapports d’enquêtes, etc. D’autres fonds – comme celui du
Service des liaisons nord-africaines (SLNA) – sont riches de documents intéressants le rapport des
pouvoirs coloniaux à la société indigène, et notamment à l’habitat 28. Les archives municipales
devraient également être riches de documents intéressant notre sujet d'étude (délibérations
municipales, projets d'aménagement, etc.29).
2. Des fonds d'archives complémentaires et nécessaires
2.1. Des institutions impliquées dans l'édification du logement social
Divers centres d'archives conservent des documents qui devraient permettre de
préciser nombre de points de notre recherche : le Musée social (Paris), lieu de réflexion et de
proposition fondamental au sein du « mouvement réformiste » français ; l'Institut français
d'architecture (Paris), qui conserve des archives d'architectes ; l'Alliance israélite universelle
(Paris), où est archivée la correspondance entre les bureaux parisiens et les centres locaux de
l'Alliance (Alger, Oran, Bône, Constantine, Sétif...) qui mentionnent, souvent, les politiques
urbaines ; le Service historique de la défense (Vincennes), riche de documents concernant la place
des militaires dans l'espace urbain (achat et vente de terrains, rapports avec la municipalité...) ; les
Archives centrales de l'histoire juive (Jérusalem), où sont conservées de nombreuses archives des
anciens consistoires d'Algérie (Alger, Oran, Constantine).
2.2. Imprimés
Presse quotidienne et presse plus « technique » sont riches d'articles et de dossiers
évoquant l'actualité des débats, projets et constructions de logements sociaux. Les mémoires,
brochures, récits de voyages sont, entre autres genres d'écrits, également exploitables pour cerner le
point de vue d’individus sur les aménagements urbains et la vie citadine en Algérie, qu’ils en soient
des acteurs incontournables (comme Émile Morinaud, maire de Constantine dans le premier tiers
du XXe siècle30) ou moins impliqués (tel Kaïdi Lakhdar, syndicaliste musulman 31).
25 R. Bader, A. Kudo et D. Guignard, « Un terrain algérien pour la recherche », Vingtième siècle. Revue d’histoire,
n° 77, 2003, p. 110-112 ; A. Lacroix, C. Marynower, H. Vermeren, « Archives. Retour sur les archives
algériennes », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 110, 2011, p. 147-153.
26 L'usage de ces archives pour écrire une histoire matérielle, économique et politique du logement est en plein
essor ; à ce sujet, voir le numéro de la revue Histoire urbaine consacré à cette institution (« Financer l'habitat : le
rôle de la CDC aux XIX-XXe siècles », n° 23, 2008/3).
27 A. Bilek, Répertoire numérique détaillé des documents concernant la ville de Constantine conservés aux
archives de la wilaya de Constantine, 1801-1969, 1993, p. 8.
28 Voir par exemple supra, note 18.
29 H. Vermeren, Les Italiens à Bône : migrations méditerranéennes et colonisation de peuplement en Algérie
(1865-1940), Thèse de doctorat d'histoire sous la direction de M.-Cl. Blanc-Chaléard, Paris 10, 2015 ; D.
Prochaska, op. cit. ; B. Belabed-Sahraoui, Pouvoir municipal et production de la ville coloniale : Constantine,
1854-1903, Thèse de doctorat d'architecture et d'urbanisme sous la direction de H. Zeghèache, Constantine,
Université Mentouri, 2004.
30 Émile Morinaud, Mes Mémoires, Alger, Baconnier Frères, 1941.
31 Nasser Djabi, Kaïdi Lakhdar. Une histoire du syndicalisme algérien. Entretiens, Alger, Chihab Editions, 2005.