Café nile avec Jean

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Café nile avec Jean
Café nile avec Jean-Marie Le Guen
Mercredi 20 mars 2013 au Sir Winston
Jean-Marie Le Guen, député du 13ème arrondissement de Paris et adjoint au Maire de Paris, en charge
de la Santé Publique et des relations avec l'Assistance publique, nous a fait le plaisir de venir débattre
sur le thème : « Elu local et nouvelle gouvernance hospitalière : quelles implications possibles pour la
démocratie sanitaire? »
Intervention
Je ne siège plus à la Commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale mais je garde des
liens étroits avec le domaine de la santé puisque je suis Président du Conseil de surveillance de l’APHP, et reste donc très attentif à ce qui se passe. Le thème de ce matin, « élu local et gouvernance
hospitalière » est très intéressant, puisqu’il s’envisage à moyen et long termes. En effet, il n’est pas
certain qu’il y ait, à court terme, une pensée politique, des évolutions juridiques et législatives qui
repensent le sujet. Il faudra voir toutefois l’évolution dans la loi de santé publique programmée pour
2014. A travers la loi HPST, il y a eu l’avancée conceptuelle qu’était la territorialisation de l’offre de
soins, approche qui fait aujourd’hui largement consensus. Néanmoins, la loi HPST a péché dans le
même temps, puisque sa réflexion n’a pas porté sur la problématique de la démocratie sanitaire. Les
Agences Régionales de Santé (ARS) sont essentiellement des institutions déconcentrées, dont le
conseil de surveillance est assuré par le préfet de région, et au sein de laquelle les élus régionaux ont
été un peu mis à la marge. Il y a des Projets Régionaux de Santé (PRS) et des projets territoriaux de
santé qui peuvent être mis en œuvre, au sujet desquels nous sollicitons les collectivités territoriales
afin qu’elles donnent leur avis, mais elles ne sont pas mises dans une situation de responsabilité.
En ce qui concerne les élus, nous assistons à une régression me semble-t-il, plutôt qu’à la
prolongation de ce qui existait avant. C’est d’autant plus paradoxal que dans le même temps, on sent
monter une aspiration des citoyens qui demandent aux élus territoriaux d’avoir réellement la volonté
de prendre en charge cette demande de santé.
Dans ce que nous appelons la santé publique, un certain nombre d’éléments apparait de plus en plus
évidents : la santé environnementale, la problématique de l’air, la nutrition dans les écoles, etc. Ces
questions sont évidemment des problématiques sur lesquelles les élus sont interpellés et amenés à
se mobiliser, sur le plan politique comme sur le plan financier. De plus en plus une réflexion est
menée par les élus. J’ai eu l’opportunité de voir ce qui se passait dans différents territoires, et le
niveau de compréhension et de connaissance des élus sur le fonctionnement de notre système de
santé est assez important. Ils sont tout à fait capables d’interpeller leur ARS sur le fond des dossiers.
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Il y a donc une intrusion de plus en plus forte des élus, financière et politique sur ces questions. Pour
autant, au même moment, on leur donnait moins d’impact sur l’organisation.
En matière hospitalière, la loi HPST qui essaye dans un premier temps de bouleverser la gouvernance
hospitalière par une espèce de marginalisation du pouvoir médical, est ensuite contrebalancée par
les propositions de la loi Fourcade. La loi HPST a de toute façon tendu à marginaliser le pouvoir des
élus locaux à l’hôpital, dans un discours technocratique qui visait à faire croire que si l’hôpital ne se
reformait pas, c’était à cause de « méchants élus » qui refusaient de voir les évolutions des hôpitaux.
Hors les élus qui parfois se sont mobilisés, à tort ou à raison, pour telle ou telle restructuration
étaient de toute façon amenés à le faire, qu’ils soient à l’intérieur ou à l’extérieur de l’hôpital, car la
population, alertée par les professionnels de santé, était amenée à les mobiliser.
Il y a donc un recul relatif mais symbolique de la présence des élus dans la gestion hospitalière, qui
ne semble pas aller dans le sens de l’histoire, puisque tout ça ne fait que re-centraliser la gestion et
re-étatiser au sens premier du terme la gestion hospitalière, ce qui ne lui donne pas l’évolution et la
souplesse vers laquelle elle devrait tendre.
Pour parler de démocratie sanitaire, il est bien clair que les élus ne peuvent pas avoir le monopole de
cette représentation de la démocratie sanitaire, et c’est même assez nouveau que nous pensions aux
élus pour en parler. Historiquement, la démocratie sanitaire, assez relative dans notre pays, était
plutôt exercée par les représentations syndicales, et partiellement par les mouvements d’économie
sociale militants, notamment la Mutualité. Mais nous voyons bien comment le syndicalisme a du mal
à exprimer véritablement un mouvement de démocratie sanitaire, même s’il y a une vigilance des
organisations syndicales à défendre le niveau de protection sociale, qui lui-même ne garantit pas
complètement la démocratie sanitaire. Il y a donc, une certaine forme de relativisation de cette
problématique des organisations syndicales. La Mutualité avec la présidence d’Etienne Caniard, et la
naissance des usagers de la santé, des associations de malades, etc., apportent un renouveau
bienvenu, mais qui en même temps, n’a pas trouvé aujourd’hui complètement son niveau de
stabilisation. C’est très dommage et nous devrions être capables, sans démagogie, d’assurer une
représentation des usagers qui ont une place spécifique dans le système de soins.
Il y a une aspiration réelle, des problématiques réelles, ne serait-ce que celle du juste soin, de la
qualité, du dialogue avec les professionnels de santé et avec les Institutions, mais ni les élus, ni la
Mutualité, ni les organisations syndicales ne peuvent à eux-seuls représenter ce mouvement des
usagers.
Il y a une place pour une représentation des usagers qui n’est pas véritablement retenue, mais nous
devons aller vers cela. En ce qui concerne les élus, ils ne doivent pas avoir une vision hégémonique
de la démocratie sanitaire mais pour autant, ce mouvement va continuer à s’affirmer par leur
présence. Cela implique une territorialisation, une planification de l’offre de soins sur les territoires,
une sophistication des modes de financement, etc.
En tant qu’adjoint au maire de Paris chargé des questions de santé, je ne peux pas ne pas
m’interroger sur la manière dont la ville devra intervenir pour favoriser une offre de soins accessible,
physiquement et socialement. Il ne va plus de soi que l’immobilier parisien s’adapte à la demande
des soignants, y compris dans leur nouvelle forme de pratique. De la même façon quant à l’avenant
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n°8, il ne va pas de soi que l’accès aux soins est garanti pour la fraction des parisiens qui ne peuvent
assumer les dépassements d’honoraires, même modestes.
Toutes ces questions se posent aux élus que nous sommes, et nous ne pouvons pas ne pas imaginer
que dans les années qui viennent, il va y avoir une intervention plus forte encore des collectivités
territoriales. Cette intervention, qui est vraie à Paris, sera encore plus forte dans les territoires.
Enfin, la problématique de la coordination ville-hôpital est absolument essentielle, et les élus
territoriaux devront là-aussi contribuer à faire le tuilage entre les problématiques ambulatoires et les
problématiques hospitalières.
Les élus territoriaux auront de plus en plus d’interventions à faire dans l’organisation du système de
soins, sans même parler de la santé publique, mais ils doivent, eux et leur administration, acquérir les
compétences qu’ils n’ont pas forcément aujourd’hui. Il n’est peut-être pas souhaitable que les élus
soient simplement le porte-voix de tel ou tel lobby territorial, mais qu’ils aient eux-mêmes une
approche sachante, politique et démocratique des questions d’organisations du système de soins.
Questions de la salle
Olivier Mariotte, nile : Il y a aussi un vrai problème en termes de démocratie sanitaire, par rapport à
la jonction entre le sanitaire et le médico-social. Il y a une responsabilité des élus locaux importante
puisque c’est aux collectivités territoriales de prendre cela en charge. A l’heure actuelle, il y a-t-il une
volonté de défendre un pré-carré ou une volonté de travailler ensemble sur ces questions ?
Jean-Marie Le Guen : Ce n’est pas une question de pré-carré mais plutôt de maîtrise des coûts. La
question du partage des tâches se pose, par exemple en ce qui concerne la dépendance. Nous
voyons bien que nous aurions intérêt à créer des groupes qui assurent la continuité des soins, depuis
l’approche médico-sociale jusqu’à l’approche hospitalière. Mais des problèmes de tarification
existent, tout comme existent des problèmes de frontières : qui paye quoi et à quel moment ? Ceci
pourrait être confié à des structures qui feraient elles-mêmes la jonction. Pour l’instant, c’est assez
balbutiant, et personne n’a réellement de vision assumée d’une organisation capable de faire la
continuité totale entre le médico-social, l’ambulatoire, et l’hospitalier, mais il faudra bien un jour une
organisation territoriale qui l’assure. Si l’on se projette un peu dans l’avenir, les pistes qui sont
ouvertes sur le maintien à domicile, la surveillance à domicile, etc., supposent des systèmes intégrés,
des tarifications intégrées, etc. La jonction entre le médical et le médico-social devra être faite. Mais
il ne me semble pas que les collectivités territoriales doivent rester opérateurs. Je pense qu’il faut
privatiser les éléments d’opérations, mais qu’un contrôle de la qualité et de l’efficience du service
rendu soit réalisé au sein de cette délégation de service public. Je ne suis pas favorable à une
intervention des collectivités territoriales, je suis favorable à ce qu’elle soit maître d’œuvre.
Ghislaine Lasseron, Europa Donna : Ne pensez-vous pas qu’il faut un transfert de moyens vers la
ville ? L’hôpital ne devrait-il pas simplement s’occuper de la gestion de flux des patients ?
Jean-Marie Le Guen : Si, mais il va falloir l’expliquer à beaucoup de gens, puisque nous avons un petit
retard sur la conception de la maladie. Le problème de la France est qu’elle est incapable de se
projeter dans l’avenir. Et lorsque l’on est incapable de parler de l’avenir que l’on souhaite, on ne peut
le mettre en place.
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Yves Charpak, Société Française de Santé Publique : Selon vous, quelle est la part de l’hôpital dans
l’efficience des systèmes de soins ? Il ne s’agit pas uniquement de démocratie sanitaire mais
d’expertise. Chez nos voisins européens par exemple, la protection sociale est aussi bonne que la
nôtre mais dans certains pays il y a deux fois moins de lits d’hôpitaux par habitants. Cette question
peut-elle être posée aux élus locaux de façon raisonnable ?
Jean-Marie Le Guen : Absolument. Aujourd’hui, je suis plutôt favorable à une évolution de la place
de l’hôpital pour qu’il passe la main à l’ambulatoire dans de très nombreux cas. Le problème est que
les soins ambulatoires sont en plein crise, puisqu’il y a une crise du modèle libéral. Expliquer aux gens
qu’il suffit de fermer des lits d’hôpitaux et de transférer tout ça sur la ville, dans un contexte où les
praticiens eux-mêmes souffrent beaucoup en termes d’organisation des soins et de travail ne leur
paraît pas cohérent. Il ne faut pas s’étonner que la société française et avant eux les élus, aient
l’impression d’être dans un paysage pas suffisamment sécurisé. La précipitation vers le modèle
hospitalier est une réaction dommageable, mais elle s’explique très bien ; c’est ce qui se passe pour
les urgences. Pour être très clair, je ne suis pas favorable à un modèle hospitalo-centré, mais la
psychologie des gens dans l’état actuel des choses le rend tel qu’il est. Il ne faut pas se leurrer, il y a
une crise de l’offre ambulatoire considérable, dont on parle trop peu.
Yves Juillet, Académie Nationale de Pharmacie : Vous avez évoqué l’intérêt de la démocratie
sanitaire et de l’intervention des élus, mais aussi les dérives qui peuvent exister, la pression des
lobbys, etc. Comment trouver un équilibre entre la participation des élus et le clientélisme qui risque
de se développer, en particulier dans les périodes électorales ? En dehors des bons sentiments, il y a-til des éléments qui permettraient un contrôle ?
Jean-Marie Le Guen : Si vous voulez que les élus ne défendent pas le conservatisme et le
clientélisme, il faut expliquer que ces systèmes ne marchent pas et qu’il en faut d’autres à la place. Le
problème c’est le niveau culturel, et l’absence totale de débats politiques de bon niveau sur
l’organisation de notre système de soins. Dès lors que l’on est capable d’expliquer les problèmes de
démographie médicale, de regroupements professionnels, de transferts de charges et de
compétences, les choses bougent. Le problème n’est pas les élus, mais l’intervention permanente de
groupes de pression au niveau national, qui nous expliquent qu’il n’y a pas d’évolutions souhaitables,
que l’ancien système était meilleur que le présent, etc. Je me mets à la place de ces élus qui sont là
pour représenter la population ; si cette dernière ne comprend pas que telle maternité doit fermer
dans tel endroit, ce serait quand même un comble que les élus ne se manifestent pas. Et c’est vrai
qu’il y a parfois eu des problèmes de gestion, y compris dans les maternités. Lorsque les approches
sont systématiquement financières, elles passent mal. Pensez-vous que ces dernières années nous
avons été aidés, alors que les seules restructurations à l’ordre du jour concernaient la maîtrise
comptable ? Pensez-vous qu’il est simple d’expliquer aux parisiens qu’il faut réformer l’hôpital quand
ils pensent que derrière toute idée de réforme, il n’y a pas de volonté de meilleurs soins, de meilleurs
parcours ou de meilleure efficience, mais plutôt des règlements de compte ? La seule chose que nous
avons entendu c’est qu’il faut ramener les comptes à l’équilibre, sans insister sur le fait que l’hôpital
du 21ème siècle n’est pas celui du 20ème, et qu’il fallait créer un hôpital pour des gens debout, des gens
atteints de maladies chroniques, des personnes âgées dépendantes, etc. Il n’est pas simple de
convaincre les gens dès lors que l’on avance comme objectif génial d’une réforme hospitalière la
baisse du déficit de 500 millions d’euros à zéro. Bien sûr qu’il faut ramener les comptes à zéro, mais il
y a une question de pédagogie. Les élus font avec les outils qu’on leur donne ; si la politique de santé
est bien expliquée, ils peuvent faire des choses, parce que la population veut être convaincue. En ce
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qui concerne le clientélisme, on entend que l’hôpital est un lieu où l’on va créer des emplois dans la
ville, mais très franchement, il n’est pas le lieu où se créent le plus d’emplois. Dans un certain
nombre d’hôpitaux c’est encore le cas, mais cette situation est très marginale.
Jean-Paul Hamon, Fédération des Médecins de France : Alors que l’Allemagne dépense 25 milliards
d’euros de moins que la France en hospitalisation, que la France possède 20% de lits de plus que la
moyenne européenne, et que 20% de personnes guéries occupent des lits à 1200 euros par jour, car
on ne donne pas les moyens aux libéraux de les accueillir pour moins de 130 euros par jour…
Jean-Marie Le Guen : On croirait entendre un énarque !
Jean-Paul Hamon : Etes-vous d’accord pour augmenter le nombre de lits d’aval pour soulager les
urgences hospitalières comme l’a récemment déclaré la Ministre de la santé, quand on sait que 15
millions de passages aux urgences hospitalières se font aux heures d’ouvertures des cabinets
médicaux, pour 80% de pathologies qui n’ont rien à y faire, et pour un coût de 2,5 milliards à la
collectivité ? Seriez-vous favorable à l’éducation de la population au bon usage de l’hôpital, c’est-àdire créer une véritable filière d’accès à l’hôpital ? Etes-vous d’accord pour donner les moyens aux
urgences hospitalières d’accueillir les véritables urgences, ce pour quoi elles sont faites ? Par ailleurs,
ayant appris récemment l’existence de l’Observatoire National de la Fin de Vie (ONFV), seriez-vous
favorable à la création d’un ONCCMT, Observatoire National des Capacités de Calcul de Marisol
Touraine ? (rires et sifflements dans la salle, ndlr)
Jean-Marie Le Guen : Je comprends bien la colère des médecins libéraux, puisque selon eux : « on
pourrait faire beaucoup de choses » etc. Le problème est que ce « on pourrait » est relatif, parce que
vous êtes tous débordés, et je ne connais pas beaucoup de médecins de premier recours qui
aujourd’hui cherchent de la clientèle. Je considère que c’est une faillite que de voir la population se
tourner aussi massivement vers les urgences médicales. Mais entre ce qui serait souhaitable et ce qui
doit être fait au jour le jour, il y a un gap. On ne peut pas mettre trois CRS devant l’entrée des
urgences pour faire le tri. Nous sommes obligés de gérer le court terme mais vous avez raison, la
problématique de la réorganisation des urgences pose surtout le problème de l’amont, qu’il faut
organiser en liaison avec les professionnels libéraux. Que va-t-on faire dans cinq ans ? Lorsque
j’entends que la quantité de soins médicaux disponible en termes d’heures, va diminuer de 40% dans
les 6 ou 7 ans qui viennent, je me dis qu’on ne peut rester sur des modèles d’organisations anciens. Il
est impératif de projeter dans l’avenir. Comment faire devant ce choc démographique,
organisationnel et conceptuel qui arrive ? Nous sommes devant d’énormes défis.
Françoise Pene, cancérologue : Nous avons eu ces jours-ci l’annonce de l’entrée de patients à la
commission de contrôle de l’ANSM. Est-ce que ce mouvement vous semble une avancée ou
simplement un effet d’annonce ?
Jean-Marie Le Guen : D’une façon générale, la représentation d’usagers de la santé dans une
structure comme l’ANSM ou l’INCa paraît aller de soi. Ensuite il faut trouver les dosages, les lieux
exacts, les modalités d’intervention, etc. Il y a un moment où il faudra avoir le courage de donner un
coup d’arrêt à la manière dont on est en train de détruire l’expertise pharmaceutique dans ce pays.
On voit le prix que l’on paye pour des abus qui ont duré des années. Il faut maintenant que cela
cesse. Je n’ai pas commenté la mise en examen de l’ANSM mais je le dis, si cela continue, plus
personnes n’acceptera d’être expert dans ce pays. Et dans ce cas, il n’y aura plus de recherche, plus
d’industrie, ce sera une catastrophe. Bien sûr, un certain nombre de choses inacceptables a eu lieu,
mais il faut maintenant que cela cesse.
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Jean-Jacques Zambrowski, Université Paris Descartes : En parlant de déconcentration régionale :
nous avons l’impression qu’il y avait une intention politique assez largement partagée, mais qu’elle
s’est peu à peu perdue en route au bénéfice d’une règlementarisation excessive. Dans cette
déconcentration régionale, qui a comme ambition de tenter de régler les problèmes au plus près des
besoins effectifs d’une population, n’avons-nous pas un peu méconnu le fait que dans certains cas
cela porte atteinte à l’équité effective en ce qui concerne l’accès des populations d’une région donnée
aux soins, par rapport à la politique choisie dans la région d’à côté ? L’accès à certains modes de
prises en charge, à certaines thérapies est autorisé par une région mais ne l’est pas dans une autre, il
y a un manque d’harmonisation effective. Tenter de coller aux besoins d’une population régionale,
parce qu’il y a une épidémiologie qui n’est pas la même, des ressources qui ne sont pas les mêmes,
etc., c’est bien, mais introduire de la non-équité sous couvert de déconcentration me paraît être une
mauvaise chose.
Jean-Marie Le Guen : Ce sujet est celui de toutes les politiques publiques, et nous entendons les
mêmes remarques sur la réforme du système scolaire. Je comprends cette question, mais la réalité
est déjà une inéquité, et je ne crois pas qu’en s’adaptant au terrain on l’accentue. Il y a des politiques
de santé différentes qui doivent être menées, de la même façon que nous menons en France une
politique de santé qui n’est pas celle de l’Afrique par exemple. Quand bien même vous auriez raison,
je pense que ces inéquités auraient plutôt tendance à se compenser. L’égalité formelle n’est pas la
garantie d’une égalité réelle. Les chemins de la lutte contre les inégalités sont des chemins qui
peuvent être adaptés aux terrains, et non pas uniformes. Par ailleurs, pour des pathologies précises,
nous sommes amenés à faire en sorte qu’un certain nombre de nos concitoyens se déplacent de plus
en plus d’un endroit à un autre pour se faire soigner. L’idée d’avoir des centres de cancérologie dans
tous les chefs-lieux de cantons est une idée que l’on ne pourra appliquer, il faut donc réfléchir à ça. Il
y aura toujours des insuffisances et des insatisfactions.
Hélyette Lefèvre, UNAFAM : La psychiatrie est un sujet transversal, puisque ces personnes ont besoin
de soins à l’hôpital, mais aussi d’une prise en charge à l’extérieur, avec des structures médico-sociales
et sociales. Nous voyons apparaître une idée qui nous semblait importante à l’UNAFAM, la création
de conseils locaux de santé mentale. Nous militons pour cela depuis de longues années. Mais pour
l’organisation d’informations de santé mentale, je me demande s’il va falloir encore attendre 10 ans.
Jean-Marie Le Guen : S’agissant de la psychiatrie, j’ai beaucoup d’humilité à avoir et d’excuses à
présenter, car je pense que nous ne sommes absolument pas au niveau auquel nous devrions être.
Nous essayons à Paris de créer une communauté hospitalière de territoire, non sans difficulté. Il faut
déjà deux ans pour que les gens acceptent de se mettre autour de la table, ce qui laisse présager de
l’ambiance générale dans laquelle nous fonctionnons. Il y a un moment où certaines personnes vont
prendre la parole pour dire que cela ne peut continuer comme ça, et ce sera sans doute grâce à vous.
J’en suis convaincu mais c’est vrai que c’est très difficile.
Hélyette Lefèvre : Ne peut-on attendre ici une volonté politique ?
Jean-Marie Le Guen : Une volonté politique qui se heurte au mur des problématiques de la
connaissance. La manière dont les hôpitaux psychiatriques traitent la situation peut être très positive
mais il y a un problème de diffusion des connaissances scientifiques dans ce domaine. Cela fait partie
des structures qui tournent en rond. Il y a un problème de prise en charge des malades, et une
embolisation complète par les personnes atteintes de maladies chroniques. Le rapport Couty en son
temps a été tout à fait remarquable (« Missions et organisation de la santé mentale et de la
psychiatrie », 2009), on devrait ressortir ce rapport et avancer dans ce sens-là, peut-être à l’occasion
de la loi de santé publique.
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Hélyette Lefèvre : Le rapport Charzat sur le handicap psychique en 2002 avait réussi à mettre autour
de la table dans un arrondissement tous les partenaires.
Jean-Marie Le Guen : Dans le 13ème arrondissement, nous avons fait un des premiers comités locaux
de santé mentale, ce qui est très bien. Mais demander à des élus de faire le travail que ne fait pas
l’administration et que ne font pas les soignants, c’est-à-dire le travail de tuilage horizontal, c’est un
autre problème. Lorsque vous êtes élu, ce n’est pas de votre ressort de mettre d’accord le Centre
Médico-Psychologique du coin, l’hôpital, et les structures médico-sociales. Un élu peut intervenir
mais ce n’est pas son travail. Ce travail doit être fait par des professionnels.
Jean-Philippe Rivière, vidal.fr : Monsieur Hamon parlait d’éducation de la population au bon usage
de l’hôpital. N’y a-t-il pas une occasion perdue de se servir de l’outil numérique ? Il y a eu un décret
sur la télémédecine mais nous n’avons pas fait de quotation des actes. Certes, les robots ou les écrans
ne remplaceront pas les médecins, mais on voit bien que le système a besoin de souplesse et
d’éducation. Sur les sites institutionnels, n’importe quel usager en santé aura du mal à s’y retrouver.
Comment peut-on avancer ? Est-ce que ce sera à travers la loi de santé publique ou imaginez-vous
d’autres moyens ?
Jean-Marie Le Guen : L’irruption de la e-santé spécifiquement dans les portails d’information,
d’éducation et d’orientation, sont des sujets majeurs. La France est très en retard par rapport à
d’autres sur ces sujets. Marisol Touraine travaille beaucoup sur ces thématiques et des propositions
seront faites à travers la loi. Cela fait partie des points d’urgence et de faiblesse de notre système.
Alain Coulomb, consultant : Je suis frappé en vous écoutant sur le paradoxe suivant : il y a une sorte
de consensus sur le diagnostic que l’on peut faire de notre système de soins : territorialisation,
émergence du pouvoir des patients dans le système, informatisation, coopération entre les
professionnels, etc., et pourtant, cela n’avance pas. Est-ce que ce débat doit rester un débat
d’expert ? Doit-il être porté sur la place publique ? Par qui, et quand ?
Jean-Marie Le Guen : Votre question rejoint le débat sur le niveau de prise de conscience et de
connaissance de la population sur ces enjeux. Je pense que le niveau commence à progresser, chez
les élus comme chez nos concitoyens. Des élus de petits villages sont capables de nous parler de
l’organisation du système de soins. Il y a donc une diffusion de l’information. On essaie de mettre ces
sujets dans les campagnes présidentielles, mais on a du mal à les tirer vers le haut, et les medias se
saisissent peu de ces questions, qui ne deviennent pas un enjeu politique. C’est à nous les politiques
et les professionnels d’être plus pédagogues. Une partie de la communication sur la santé est
monopolisée par des gens qui nous font régresser, et il faut le dire. Sur les médicaments on nous
stresse, sur les urgences on nous stresse, et cela ne sert à rien. Ce qu’a annoncé Marisol Touraine sur
la Stratégie Nationale de Santé est un élément important. Il faut sortir du court et moyen terme ;
c’est un plan à 5 ans, je l’aurais pour ma part quasiment mis à 10 ans. Je pense qu’il faut sur ces
sujets projeter une vision. Les contraintes de la démographie médicale sont là, et il faut libérer le
numerus clausus. La santé se mondialise, et la France a vocation à prendre toute sa part dans cette
mondialisation. A-t-on des moyens humains pour envoyer des médecins en Afrique ? La réponse est
non. Nous réglerons les problèmes du système de santé français lorsque nous aurons une vision
conquérante et non une vision malthusienne. Pour cela, il faut une capacité à se projeter, et le débat
qui va avoir lieu sur la Stratégie Nationale de Santé si nous en sommes capables peut en être le
terrain. La décentralisation d’une partie de la politique de santé aura lieu aussi en faisant de ces
questions-là des enjeux politiques locaux. Il faut politiser le débat, au bon sens du terme, et
territorialiser les politiques de santé y compris par des enjeux d’organisation. C’est une des solutions,
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mais pas la seule : nous devons tenir un autre discours, un discours de conquête, d’expansion, et non
un discours de rationnement, même bien pensé. Il faut tenir un discours de décentralisation et de
politisation du sujet de la santé au sens démocratique du terme. C’est comme cela que l’on arrivera à
traiter un certain nombre de questions. L’autre voie étant d’attendre la catastrophe, et ça avance
aussi.
Pierre Levy, CSMF : Actuellement l’ambulatoire n’est pas capable effectivement de prendre en charge
ce qui serait délégué par l’hôpital, mais c’est une question de moyens. Vous savez très bien que les
jeunes médecins ne demandent qu’une chose, c’est d’avoir les moyens d’exercer comme ils le
souhaitent. Si l’on transfère une charge de l’hôpital vers la ville, on arrête de faire en sorte que les
soins de ville évoluent de 0,5% dans l’année, quand l’hôpital évolue bien plus.
Jean-Marie Le Guen : Imaginez que nous sommes en Seine-Saint-Denis, il y a des centaines de
milliers de gens qui sont de moins en moins soignés. Que fait-on pour soigner ces gens ? Quels sont
les moyens dont vous parlez ?
Pierre Levy : Actuellement, il n’y a jamais eu autant de médecins
Jean-Marie Le Guen : Mais quel âge ont-ils… ? Regardez-nous !
Pierre Levy : Il ne faut pas éviter le problème. Tous les médecins réclament des moyens sous la forme
d’aide au financement des structures. Mettez à proximité des zones sous-médicalisées des moyens
financiers qui permettent aux médecins d’exercer sur des plateaux techniques réunissant tous les
professionnels de santé libéraux, et vous verrez que cela ira mieux. Vous le savez bien, écoutez donc
les syndicats de jeunes.
Jean-Marie Le Guen : Je les écoute mais le problème n’est pas là ! Je ne vous mets pas en accusation
ni les uns ni les autres, mais regardons la vérité en face, au-delà des statistiques. On croirait entendre
un argumentaire de la DGOS sur le nombre de médecins.
Jean-Paul Hamon : Mais non !
Jean-Marie Le Guen : Mais si ! J’entends qu’il n’y a jamais eu autant de médecins,
Jean-Paul Hamon : Et c’est vrai ! Et les politiques se couchent devant les doyens ! Quand on demande
aux doyens de modifier les études pour que les étudiants soient en situation de responsabilité dans
leur 3ème cycle, rien ne se passe ! Il faut donner les moyens aux jeunes médecins de connaître
l’exercice libéral dans toutes les spécialités, que ce soit les généralistes, les spécialistes, les
chirurgiens. Le courage politique manque !
Jean-Marie Le Guen : Le courage de changer quand on est syndicaliste existe aussi !
En conclusion, je souhaiterais dire que nous devons accepter les interpellations de la réalité, les uns
et les autres. La situation est très tendue chez les professionnels, et il existe une réelle souffrance,
parce qu’il est très douloureux de constater que le modèle dans lequel on a vécu doit évoluer
significativement. Je connais beaucoup de syndicalistes, et j’entends ce qui se dit. Mais il n’y a pas de
solutions miracles, nous ne sommes plus dans les années 80 et 90, et nous devons faire avec les
contraintes que nous avons aujourd’hui qui n’existaient pas hier. Nous avons une responsabilité
particulière, ne nous cachons pas derrière nos certitudes, et faisons preuve d’imagination et de
solidarité.
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