L`Espace Européen de l`Enseignement Supérieur et de la Recherche

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L`Espace Européen de l`Enseignement Supérieur et de la Recherche
Université de Lyon
Université lumière Lyon 2
Institut d'Études Politiques de Lyon
Science, Pouvoir et Société
Mémoire de séminaire
L'Espace Européen de l'Enseignement
Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un
projet dénaturé
MAULET Léa
Sous la direction de : DUFOURT Daniel
(Soutenu le : 8 septembre 2010 )
Membres du jury: DUFOURT Daniel et MICHEL Jacques
Table des matières
Remerciements . .
Introduction générale . .
I/ Le processus de Bologne : Un projet intergouvernemental pour l’Enseignement
supérieur, altéré par son imbrication à la Stratégie de Lisbonne . .
1.1 La formation complexe d’un Espace Européen de l’Enseignement Supérieur . .
5
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1.1.1 La naissance du processus de Bologne ou la mise en place d’un projet
intergouvernemental de rapprochement des systèmes d’Enseignement supérieur
en Europe . .
9
1.1.2 Le rôle croissant de la Commission européenne au sein du processus, teinté
de relations de coopération-compétition . .
15
1.2 L’évolution de l’Espace Européen de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche
vers le nouvel horizon de la société de la connaissance . .
20
1.2.1 La création de la société de la connaissance la plus compétitive au monde :
un objectif central de la Stratégie de Lisbonne . .
20
1.2.2 L’imbrication du processus de Bologne àla Stratégie de Lisbonne sous
l’impulsion de la Commission :des ambitions européennes pour l’Enseignement
supérieur et la Recherche dénaturées . .
23
1.2.3 Le « Nouveau Bologne », un dispositif qui va faire évoluer l’image de
l’université et de la Recherche en Europe : une reconfiguration des relations entre
pouvoir et savoir . .
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II/ La mise en place d’un projet européen guidé par une vision managériale de l’Université :
Une seconde dénaturation du processus de Bologne . .
2.1 L’Enseignement supérieur en proie à la Nouvelle Gestion Publique: La promotion d’un
nouveau modèle universitaire en Europe . .
30
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2.1.1 Le recours à la Nouvelle Gestion Publique présenté comme inévitable dans le
contexte de la réforme l’Etat . .
31
2.1.2 L’implantation de la Nouvelle Gestion Publique au cœur des universités:
L’exemple français de la loi relative aux Libertés et Responsabilités des Universités
(LRU) . .
34
2.1.3 Un modèle universitaire pétri de principes issus de la doctrine néolibérale :
L’Université entrepreneuriale . .
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2.2 Le recours aux instruments de la NGP pour évaluer la qualité des universités: un
encadrement calculé des universités et de la Recherche . .
2.2.1 Une transformation majeure de la méthode d’évaluation de l’Enseignement
supérieur et de la Recherche : vers une prépondérance des facteurs quantitatifs . .
2.2.2 Une évaluation basée sur des critères comptables présentés comme objectifs,
en réalité porteuse d’une idéologie et d’un système . .
Conclusion générale . .
Bibliographie . .
Ouvrages . .
Dictionnaire et Abécédaires . .
Ouvrages d’un seul auteur . .
Ouvrages collectifs . .
Revues, périodiques . .
Documents institutionnels et communications officielles . .
Documents électroniques en ligne . .
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DOCUMENT 2 : LA MÉTHODE OUVERTE DE COORDINATION . .
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DOCUMENT 3 : LA LOI DU 10 AOUT 2007 RELATIVE AUX LIBERTES ET
RESPONSABILITES DES UNIVERSITES . .
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Sites Web . .
Annexes . .
DOCUMENT 1 : DECLARATION DE LA SORBONNE (25 MAI 1998) . .
Remerciements
Remerciements
J’aimerais remercier très vivement mes directeurs de mémoire, M. Daniel Dufourt et Mr. Jacques
Michel, qui ont su m’orienter dans mes recherches et m’apporter une aide précieuse tout au long
de l’année, grâce à leurs remarques pertinentes et à leur écoute attentive.
Je remercie aussi Amel Barça, Camille Brouté et Marie Hoeth pour leurs relectures attentives
ou leurs conseils avisés.
Enfin, je remercie Anne Prugnaud, Elise Morel, Michel Maulet et pour leurs encouragements.
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L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
Introduction générale
« L’instauration du processus de Bologne marquera l’histoire de l’université européenne ».
1
Qu’il suscite l’engouement ou la résistance, qu’il soit érigé en modèle ou critiqué avec
véhémence, il est certain que le processus de Bologne marquera pour longtemps les
systèmes européens d’Enseignement supérieur.
Lancé à l’occasion du sommet de la Sorbonne de 1998, le processus de Bologne est un
engagement à construire un Espace Européen de l'Enseignement Supérieur avant 2010.
Si quatre pays seulement sont à l’initiative du projet, quarante-sept pays européens font
actuellement partie du processus. L’ambition du projet initial était d’harmoniser les systèmes
d’Enseignement supérieur en Europe, entre autre, pour plus de lisibilité et pour faciliter la
mobilité des étudiants européens. Pourtant, l’objectif de ce mémoire est de démontrer que
les ambitions et les objectifs initiaux du processus ont été doublement dénaturés.
Les motivations qui ont poussé les différents ministres européens de l’Enseignement
supérieur à concevoir ce projet sont diverses. Elles sont à la fois la traduction d’intérêts
nationaux mais aussi d’ambitions pour l’Europe. Ces motivations méritent d’être analysées
pour comprendre la naissance, mais aussi les objectifs, que les « pères fondateurs »
avaient pour le processus. Il convient d’aborder le processus comme résultant d’une
construction. Pour cette raison, ce mémoire consacre une réflexion sur le pré-Bologne.
En effet, bien que l’initiative du projet soit le fruit de Claude Allègre, les réflexions sur
l’Enseignement supérieur en Europe sont extrêmement importantes depuis les années
soixante. Les institutions telles que le Conseil de l’Europe ou la Commission européenne,
aussi bien que de nombreuses associations, ont pensé l’Enseignement supérieur en amont
de la Déclaration de la Sorbonne. Il serait donc inadapté de passer sous silence leur
contribution majeure.L’intégration progressive de ces acteurs dans les structures de pilotage
du processus est, d’ailleurs, la preuve la plus flagrante de leur importance.
Pour cette raison, il convient, dès l’introduction, de présenter l’un des principaux outils
d’analyse de ce mémoire. La première partie du mémoire fait appel à un concept foucaldien :
le dispositif. Le concept de dispositif se définit en ces termes dans la philosophie de Michel
Foucault:
« Un ensemble résolument hétérogène, comportant des discours, des
institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglementaires,
des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des
propositions philosophiques, morales, philanthropiques, bref : du dit, aussi bien
que du non-dit, voilà les éléments du dispositif. Le dispositif lui-même, c’est le
réseau qu’on peut établir entre ces éléments. »
Il est rapidement apparu intéressant de se demander si le processus de Bologne pouvait
correspondre au concept de Michel Foucault. L’étude de la naissance du processus va
permettre de répondre à une des questions structurantes de la première partie du mémoire :
Le processus de Bologne peut-il être défini comme un dispositif ?
1
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Marcel Crochet, recteur de l’UCL à l’occasion du discours de rentrée | 15 septembre 2003
MAULET Léa_2010
Introduction générale
Cette question est particulièrement importante car elle éclaire le processus tant dans
sa construction que dans son impact sur la société et sur les acteurs européens engagés
dans le processus. Elle permet, par ailleurs, de s’interroger sur les relations que le pouvoir
entretient avec le savoir. Cette réflexion sur le lien entre pouvoir et savoir est elle - aussi une
des lignes directrices du mémoire puisqu’elle est menée dans les deux parties du mémoire.
La problématique du mémoire porte sur la double dénaturation du processus de
Bologne. Après s’être intéressé à l’émergence du processus et à ses ambitions initiales,
il faut évidemment analyser les moments- clés qui ont correspondu à une altération de
ses objectifs. Pour comprendre l’évolution du projet, il faut mettre en avant le fait que la
transformation du processus n’est pas isolée d’un autre processus plus englobant. Pour
cette raison, le mémoire fait de nombreuses références à la situation internationale et
aux institutions du même nom. Ce processus englobant s’articule autour d’un phénomène
majeur : la libéralisation de domaines tels que la Santé ou l’Education. Dans un contexte
international néolibéral, une compétition par la concurrence a été instaurée dans des
domaines qui autrefois échappaient aux logiques mercantiles. L’Enseignement supérieur
et la Recherche deviennent, eux aussi, des domaines- clés de la concurrence. A l’échelle
mondiale, un nouveau marché, appelé « économie de la connaissance », voit le jour.
L’économie de la connaissance est une nouvelle discipline économique qui a pour objet
la connaissance, en tant que bien économique. Son noyau est lié à l’appropriation des
connaissances et à la production continuelle d’innovation. Le processus de Bologne
s’inscrit donc dans ce contexte international. Inscrits dans la compétition mondiale, les
gouvernements européens, et tout particulièrement l’Union Européenne, veulent être à la
pointe dans ce domaine. La première partie du mémoire s’attache à démontrer que le
processus de Bologne va progressivement devenir un outil, utilisé pour créer les conditions
nécessaires à l’émergence d’une économie de la connaissance européenne. Cependant,
cette assertion se doit d’être prouvée, et pour cette raison, la dénaturation du processus
doit être expliquée dans son intégralité. Il est primordial de souligner à quel moment elle a
eu lieu et dans quelles conditions ,et surtout d’en déterminer les causes.
Dans quelles mesures le processus de Bologne, engagement
intergouvernemental visant à construire un Espace Européen de l’Enseignement
Supérieur, va-t-il subir deux dénaturations : la première résultant de son
imbrication à la Stratégie de Lisbonne, dont l’objectif est de construire la société
de la connaissance la plus compétitive au monde ; la seconde résultant de sa
mise en place guidée par une vision managériale de l’Université ?
Il est apparu évident que la meilleure manière de répondre à cette interrogation était de
structurer le mémoire en deux parties. La première s’attache à décrire le processus de
Bologne et les acteurs ayant participé à sa construction. Elle vise, par ailleurs, à décrire
la mutation de son contenu et de ses ambitions. La seconde partie s’intéresse à sa mise
en application du processus et aux réformes qu’il a engendrées au sein des universités
européennes. Elle analyse principalement les raisons du recours à des instruments issus
de la Nouvelle Gestion Publique, en soulignant par ailleurs son impact sur le monde de
l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.
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L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
I/ Le processus de Bologne : Un
projet intergouvernemental pour
l’Enseignement supérieur, altéré par son
imbrication à la Stratégie de Lisbonne
Le processus de Bologne, né de la Déclaration de la Sorbonne de 1998, est symbolisé
par l’engagement intergouvernemental de créer un Espace Européen de l’Enseignement
Supérieur. Ce processus a, tour à tour, été présenté comme sauveur ou accusé de tous les
maux. Il convient donc d’en étudier la naissance, l’évolution, les mutations et l’aboutissement
pour échapper à des lectures excessives qui mèneraient à la surinterprétation. L’analyse
qui suit a pour but de démontrer que le processus de Bologne a subi des mutations qui en
ont altéré la nature, chacun de ses initiateurs ou acteurs ayant cherché à l’orienter à son
avantage et à en prendre le contrôle. Ce projet d’intégration européenne a vu ses objectifs et
ses acteurs évoluer, pour partie lié à la place grandissante que la Commission Européenne
a réussi à se forger au sein du processus. Son positionnement en tant que macro-acteur est
d’autant plus surprenant qu’elle n’a aucune compétence en ce qui concerne l’Enseignement
Supérieur, prérogative des Etats membres de l’Union. Il faut tout d’abord s’intéresser au
contenu du processus de Bologne et à la teneur politique de son projet d’intégration,
impulsés par certains Etats membres de l’Union, pour mesurer l’ampleur de la dénaturation
du projet initial. Il convient, dès lors, d’étudier le rôle joué par la Commission dans ce
processus de réorientation.
Le projet initial traduisait la volonté d’harmoniser les différents systèmes universitaires
européens et d’opérer une intégration européenne en dehors du cadre traditionnel de
l’Union Européenne. L’Espace Européen de l’Enseignement Supérieur qu’il était question de
former devait renforcer la cohérence de l’Europe et assurer sa pérennité. Il parait pertinent
de se demander si ce mouvement de construction induit réellement dans la pratique un
rapprochement des systèmes universitaires nationaux. L’intérêt de cette première partie est
de rendre compte du processus de Bologne en offrant deux lectures complémentaires. La
première doit mettre en lumière le processus tel qu’il a été conçu par les gouvernements,
puis infléchi par la Commission Européenne. La seconde lecture doit analyser ce qui
fait sens au-delà des discours des ministres et de l’Union Européenne. Le processus de
Bologne a muté au cours de son évolution, il a été imbriqué à la Stratégie de Lisbonne
développée par l’Union Européenne. Son objectif premier est devenu celui de créer une
économie de la Connaissance la plus compétitive possible à l’international. Il faut se
demander comment cette évolution a pu avoir lieu et si elle est le seul fait de la Commission
ou si le discours européen des Etats n’est finalement qu’un prétexte pour s’aligner sur
ce qui est perçu par les gouvernements comme étant les éléments indispensables pour
conserver des systèmes de formation compétents et concurrentiels. La question centrale
reste de savoir si la vision de la Science et des systèmes universitaires a évolué pendant
le processus, ou si le débat se réduit à une bataille entre acteurs pour savoir qui mènera la
construction de cet Espace Européen d’Enseignement Supérieur.
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MAULET Léa_2010
I/ Le processus de Bologne : Un projet intergouvernemental pour l’Enseignement supérieur, altéré
par son imbrication à la Stratégie de Lisbonne
La démarche de cette partie se base sur le recours à différents outils d’analyse. Le
premier outil est l’analyse comparative des politiques publiques concernant l’Enseignement
Supérieur. Il est intéressant de montrer les différentes approches et attentes nationales puis
d’insister sur la manière dont elles ont été construites à l’échelle européenne. Le second
outil d’analyse est la réflexion d’épistémologie politique menée par Michel Foucault, sous
jacente au concept de dispositif. L’un des objectifs de cette partie est de démontrer que le
Processus de Bologne s’érige en dispositif.
1.1 La formation complexe d’un Espace Européen de
l’Enseignement Supérieur
Les analyses portant sur la naissance du Processus de Bologne et sur l’importance des
acteurs qui le pilotent sont variées. Il semble donc pertinent d’étudier le processus dès son
acte fondateur, la Déclaration de la Sorbonne, mais aussi de souligner les initiatives opérées
en amont dans le domaine de l’Enseignement Supérieur en Europe. Cette partie vise à
mettre en lumière les objectifs politiques, affichés et non affichés, des Etats fondateurs et les
enjeux qu’entrainent une européanisation d’initiative intergouvernementale. Ceci ne peut
évidemment se faire qu’en analysant le contexte de l’émergence de cet Espace Européen
d’Enseignement Supérieur. La question du contrôle du processus de Bologne allant de paire
avec les objectifs politiques du projet, il faudra également étudier la place croissante que la
Commission a réussi à s’octroyer au sein des instances de pilotage.
1.1.1 La naissance du processus de Bologne ou la mise en place
d’un projet intergouvernemental de rapprochement des systèmes
d’Enseignement supérieur en Europe
La Conférence de la Sorbonne du 24 et 25 Mai 1998 est communément considérée
comme l’événement fondateur du processus de Bologne. Celle-ci constitue un appel lancé
à l’Europe entière pour la création d’un Espace Européen de l’Enseignement Supérieur. Ce
projet, initié par Claude Allègre, ministre français de l’Education de l’époque, a été signé par
l’Allemagne, l’Italie, la Grande-Bretagne et bien évidement la France. Il faut souligner que la
préparation du contenu de la Déclaration s’est faite de manière assez expresse en amont de
la Conférence. En effet, les ministres français et italiens ont mené une approche bilatérale
pour élaborer les grandes lignes directrices du projet, qu’ils ont par la suite soumises à
l’Allemagne et la Grande Bretagne en vue de négociations. De manière assez surprenante
au regard des différentes attentes des quatre pays, les négociations se sont déroulées sans
heurts et sans âpres débats. Ce déroulement peut surement s’expliquer par le contenu de la
déclaration qui se caractérise par des orientations générales à caractère non contraignant.
La Déclaration de la Sorbonne traduit, pour la première fois de manière explicite et
formelle, la volonté de plusieurs pays de réaliser un Espace Européen de l’Enseignement
Supérieur structuré, qui rassemblerait l’ensemble des pays européens intéressés par le
projet.L’objectif avancé par le texte est de construire une Europe du Savoir, à côté de
l’Europe des banques, dont la réalisation passerait par l’harmonisation de l’architecture
des systèmes européens de l’Enseignement Supérieur. A travers ce projet politique pour
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L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
l’Europe, les gouvernements encouragent donc « l’émergence d’un cadre commun de
référence, visant à améliorer la lisibilité des diplômes, à faciliter la mobilité des étudiants
2
ainsi que leur employabilité ».
La création d’un Espace Européen de l’Enseignement
Supérieur permettrait de renforcer les intérêts communs et les identités nationales au profit
de l’Europe. Ce projet s’articule autour de trois orientations distinctes. Il s’agit tout d’abord
d’améliorer la lisibilité internationale des formations et la reconnaissance des qualifications,
par le biais d’une convergence progressive, vers un cadre commun de qualifications et de
cycles d’étude. L’objectif est donc, en partie, de « consolider la place de l’Europe dans le
3
monde» . Le deuxième axe de la déclaration insiste sur l’importance de faciliter la mobilité
des étudiants et des enseignants au sein de l’espace européen et leur intégration sur le
marché du travail européen. La focale est ici mise sur l’employabilité des étudiants. Enfin,
il est question d’intégrer les différents systèmes universitaires ce qui consiste à élaborer
un système commun de diplômes pour les programmes de premier cycle (licence) et de
deuxième cycle (master).
4
En 1999, le projet est entériné par la Déclaration de Bologne qui s’inscrit dans la
continuité des idées avancées lors de la conférence de la Sorbonne à une exception près.
Il ne s’agit plus, en effet, d’harmoniser l’architecture de l’enseignement supérieur européen
mais de rendre les systèmes comparables et compatibles. Cette nuance n’est pas des
moindres car elle traduit une affirmation forte de la souveraineté nationale des Etats. Le
contenu souple et non contraignant de la Déclaration de la Sorbonne se voit quant à lui
quelque peu précisé lors de cette deuxième rencontre. Il faut souligner que l’appel de la
Sorbonne a bien été entendu, puisque la conférence réunit alors non pas quatre mais vingtneuf pays qui signent conjointement la Déclaration de Bologne. Les différents ministres de
l’Education Supérieure affirment leur intention d’adopter un système commun de diplômes
facilement lisibles et comparables. La volonté de mettre en place une architecture en deux
cycles principaux est au cœur du projet sans que leur durée respective ne soit pourtant
précisée. L’importance de mettre en place un système de crédits européens tels que
le système ECTS est soulignée et l’intention de soutenir la mobilité des étudiants, des
enseignants et des chercheurs affirmée à nouveau. Il est intéressant de remarquer que
l’idée de développer un Espace Européen de la Recherche n’est pourtant pas avancée à
Bologne et il ne figure aucune référence explicite à la Recherche académique dans les deux
déclarations originaires. En effet, les ministres se concentrent seulement à cette époque
sur la promotion de la dimension européenne dans l’Enseignement supérieur, en termes de
développement de programmes et de coopération entre établissements. Enfin, il est prévu
par le texte que les Etats signataires travaillent à promouvoir la coopération européenne
dans le domaine de l’assurance-qualité. Au vue des différentes orientations annoncées,
il peut être affirmé que le processus de Bologne devait ouvrir, dès 1998, un espace de
coopération entre les différents Etats européens engagés.
Certains auteurs, comme Pauline Ravinet, avancent que la vision d’un Espace
Européen de l’Enseignement Supérieur n’existait pas avant la Déclaration de la Sorbonne
et le sommet de Bologne. Il paraît juste de dire qu’il n’y avait jamais eu d’initiative
2
Sorbonne Joint Declaration, by the four ministers in charge for France, Germany, Italy and the United Kingdom. 1998/5. URL:
http://www.bologna-berlin2003.de/pdf/Sorbonne_declaration.pdf [Accès Novembre 2009]
3
4
Ibid.
La Commission Européenne, L’enseignement en Europe 2009 : les avancées du processus de Bologne. 2009. 13 p. Agence
exécutive Education, audiovisuel et culture Eurydice. ISBN 978-92-9201-024-9
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I/ Le processus de Bologne : Un projet intergouvernemental pour l’Enseignement supérieur, altéré
par son imbrication à la Stratégie de Lisbonne
intergouvernementale formulée en des termes aussi explicites quant à la volonté de créer
cet espace. Cependant, certains éléments nous amènent à nuancer le caractère novateur
de l’entreprise et à dépasser cette assertion stato-centrée pour s’intéresser aux initiatives
d’autres acteurs dans ce domaine. De nombreux accords concernant l’Enseignement
supérieur se sont, par exemple, déroulés au niveau du Conseil de l’Europe. La Convention
5
culturelle européenne , signée en 1954 par quatorze Etats dans le cadre du Conseil de
l’Europe, aujourd’hui par quarante-huit, fixe le cadre des activités du Conseil Européen
dans le domaine de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. La mobilité étudiante en
Europe, qui est l’un des principaux objectifs de la Déclaration de la Sorbonne, avait déjà
été facilitée par la Convention européenne sur l’équivalence des périodes universitaires
de 1957. Cette Convention, signée sous l’égide du Conseil de l’Europe, a installé le
mécanisme de reconnaissance par l’université d’origine des périodes d’études effectuées à
l’étranger. Cette avancée a rendu techniquement possible l’objectif de mobilité. L’UNESCO
est elle aussi perçue par certains auteurs comme l’une des initiatrices du rapprochement
6
européen en matière d’Enseignement Supérieur.
L’organisation internationale a été
à l’origine de la création du Centre Européen pour l’Enseignement Supérieur (CEPES)
dont le rôle originaire était de diffuser en Europe des informations sur les systèmes
européens d’Enseignement supérieur. Par ailleurs, le Conseil de l’Europe et le CEPESUNESCO se sont progressivement rapprochés et ont cherché à renforcer leur coopération
dans ce domaine. Ces deux organisations ont initié la Convention sur la reconnaissance
des qualifications de l’Enseignement supérieur dans la région européenne, Convention
dite de Lisbonne de 1997. Il apparaît clair que ces différentes initiatives ont préparé le
rapprochement des systèmes universitaires européens. Ces avancées ont produit un cadre
7
cognitif qui a eu tendance à fortement orienter les conduites des acteurs. Ainsi, certaines
conditions réunies par d’autres instances, peuvent expliquer le cadre global dans lequel
l’initiative de Claude Allègre a émergé. L’ensemble de ces observations permettent de
moduler le caractère novateur du contenu de la Déclaration de la Sorbonne, mais il ne
s’agit pas de minimiser l’initiative des quatre ministres européens. Il est pourtant important
de rappeler que processus de Bologne s’inscrit dans une certaine continuité et nous en
donnerons un dernier exemple. La Déclaration de Bologne prend un appui explicite sur la
8
Magna Charta Universitatum. Cette Charte a été rédigée en 1988 par les recteurs réunis
ème
à l’occasion du 900
anniversaire de l’Université de Bologne. Ce texte prônait déjà la
mobilité, l’équivalence des titres mais aussi les échanges d’informations entre les différentes
universités. L’ensemble de ces thèmes sont repris de manière explicite dans la Déclaration
de Bologne. Les auteurs de cette Charte ont fusionné en mars 2001 avec la Confédération
des Conférences des recteurs de l’Union Européenne pour former l’European University
Association (EAU). L’EUA a été associée de très prés au processus de Bologne et pour cette
raison, les textes fondateurs du processus portent clairement sa marque. Lors du Sommet
5
6
CHARLIER, Jean-Emile et CROCHE, Sarah. Le processus de Bologne, ses acteurs et leurs complices. 2003/2. 17 p. Collection
Education et Sociétés, n° 12
7
CHARLIER, Jean-Emile, Faire du processus de Bologne un objet d’analyse. Cairn.Info, 2009/2. 112 p. Collection Education
et Sociétés, n°24. ISBN 97828041026992
8
La Magna Charta Universitatum a été élaborée sous l’égide de la CRE, Conférence des recteurs européens. Fondée en
1959, la CRE rassemblait 527 universités de 41 pays en 1999. Elle bénéficiait du soutien de la Commission européenne, du Conseil
de l’Europe, de l’UNESCO, de l’OCDE, de la Table ronde des industriels (ERT, European Round Table of Industrials)
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L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
de Prague de 2001, elle est incluse dans les groupes de pilotage du processus en tant
qu’acteur consultatif.
Cette rétrospective était nécessaire pour mettre en évidence un travail opéré en amont
par des acteurs variés, organisations internationales ou associations. Il est intéressant de
remarquer que ces acteurs sont explicitement associés au processus de Bologne par les
pays signataires de la Déclaration de Bologne de 1999. Ainsi, il est possible d’affirmer que
le projet intergouvernemental de créer un Espace Européen de l’Enseignement Supérieur
n’est pas synonyme de rupture, même s’il revêt ses propres caractéristiques.
L’idée proposée ici est qu’un dispositif était en formation depuis plusieurs années et
que l’appel de Claude Allègre a été l’acte qui l’a activé. Le dispositif est défini par Michel
Foucault de la manière suivante :
« Un ensemble résolument hétérogène, comportant des discours, des
institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglementaires,
des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des
propositions philosophiques, morales, philanthropiques, bref : du dit, aussi bien
que du non-dit, voilà les éléments du dispositif. Le dispositif lui-même, c’est le
9
réseau qu’on peut établir entre ces éléments.»
Claude Allègre, par son appel de la Sorbonne a mis en réseau des éléments hétérogènes :
les discours français et allemands sur le manque de compétitivité de leurs universités, les
textes du Conseil de l’Europe, les différents rapports de l’UNESCO, les initiatives de la
Commission Européenne, les réponses positives des familles à la mobilité de leurs enfants,
la Magna Charta Universitatum, le forum universités-industries mais aussi les débats aux
Etats-Unis. Ainsi, chaque acteur a donné un substrat matériel et cognitif à leur vision
de l’évolution du supérieur. L’acte de Claude Allègre apparaît comme la mise en place
d’une pièce centrale capable de donner une cohérence et une puissance à un ensemble
désordonné et mal structuré de pièces hétérogènes. Il a donc activé un dispositif, qui est
« un ensemble multilinéaire composé de lignes de nature différentes ».
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Selon Michel Foucault, le dispositif est de nature essentiellement stratégique, ce qui
suppose qu’il s’agit là d’une certaine manipulation des rapports de force. Le pouvoir chez
Foucault est quelque chose de diffus. Tout l’intérêt de la notion de dispositif est pour le
philosophe de lui permettre de penser les pratiques et d’examiner les techniques du pouvoir.
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Le dispositif est toujours inscrit dans un jeu de pouvoir mais il est toujours lié à une ou
12
à plusieurs bornes de savoir.
Chaque acteur a produit, au cours des années, un savoir
sur les systèmes d’Enseignement supérieur et Claude Allègre a pris appui sur certains de
ces savoirs pour lui-même en produire un, qu’il énonce avec les autres ministres européens
à travers la Déclaration de la Sorbonne. Ce qui est intéressant est que, non seulement, le
9
FOUCAULT, Michel. « Le jeu de Michel Foucault » (entretien avec D. Colas, A. Grosrichard, G. Le Gaufey, J. Livi, G.
Miller, J. Miller, J-A Miller, C. Millot, G.. Wajeman) dans Dits et écrits 1954-1988 .Editions Gallimard, 1994. 299 p.
10
« Qu’est ce qu’un dispositif ? », DELEUZE, Gilles dans Michel Foucault philosophe. Rencontre internationale, Paris 9, 10, 11 Janvier
1988. Partie 3 : Pouvoir et gouvernement. 185 p. Des Travaux, Seuil. Editions du Seuil, Septembre 1989. ISBN : 2-02-010256-0
11
Abécédaire de Michel Foucault. Collection Abécédaire, n°1. 38 p. Les Editions Sils Maria - Editions Vrin coédition. 2004/05.
ISBN : 2-930242-45-0
12
FOUCAULT, Michel. « Le jeu de Michel Foucault » (entretien avec D. Colas, A. Grosrichard, G. Le Gaufey, J. Livi, G. Miller,
J. Miller, J-A Miller, C. Millot, G.. Wajeman) dans Dits et écrits 1954-1988. Editions Gallimard, 1994. 300 p.
12
MAULET Léa_2010
I/ Le processus de Bologne : Un projet intergouvernemental pour l’Enseignement supérieur, altéré
par son imbrication à la Stratégie de Lisbonne
dispositif consiste en des stratégies de rapports de forces supportant des types de savoir,
mais que ces rapports de forces sont inversement aussi supportés par ces savoirs. Ainsi,
les bornes de savoir naissent du dispositif mais le conditionnent tout autant.
La particularité du dispositif est qu’il oriente les pensées et les comportements des
acteurs par « un mécanisme de contrainte et d’apprentissage qui se manifeste dès que la
relation entre des éléments hétérogènes concourt à produire un certain effet de normalité qui
13
s’inscrit dans les mots, les corps et la pensée ». Mais avant qu’il y ait une réelle influence
sur les pensées et les comportements, il faut que les pièces qui le composent soient liées les
unes aux autres de manière effective. Le dispositif est donc activé en 1998, mais il demeure
encore fragile car il n’est pas institutionnalisé et parce que la mise en relation des différents
éléments hétérogènes reste floue. Avant qu’il n’ait une réelle influence sur les pensées et les
comportements, comme ce sera le cas lorsque le processus sera intégré à la Stratégie de
Lisbonne, il faudra que les éléments et les acteurs qui le composent, établissent de réelles
connections entre eux. Cependant, il est vrai que le processus a suscité, dés son lancement,
une forte émulation en Europe et que les pays européens se sont largement engagés dans
un dispositif en puissance, perçu comme inéluctable, pour ne pas en être à la marge.
14
Les auteurs ayant travaillé sur le processus de Bologne proposent généralement
15
des lectures différentes de la naissance du projet.
La lecture de Pauline Ravinet se
focalise sur les intérêts nationaux des Etats et décrit le projet d’harmonisation des systèmes
universitaires européens comme une tactique politique de la part d’Etats misant sur l’effet
de levier européen pour passer des réformes impopulaires au sein de leur pays.
Les lectures étant plurielles, il semble primordial de s’intéresser aux raisons qui ont
poussé la France, l’Italie, l’Allemagne et la Grande Bretagne dans un premier temps,
puis la plupart des Etats européens ensuite, à s’accorder sur un rapprochement des
systèmes d’Enseignement supérieur européens. L’analyse de Pauline Ravinet démontre
que contrairement a ce qui est souvent avancé, les ministres de l’éducation n’ont pas eu
recours au palier intergouvernemental dans le but de résoudre des problèmes nationaux
qui leurs étaient communs. En effet, les problèmes des systèmes d’Enseignement étaient
très différents dans les quatre pays fondateurs. Alors que les priorités de Claude Allègre
étaient de rapprocher l’Enseignement supérieur et la Recherche, de revaloriser la place de
l’université en France face aux grandes écoles et d’augmenter l’attractivité de la France
à l’international ; celles de l’Allemagne étaient de renforcer l’efficacité du système pour
résoudre les problèmes de chômage et d’internationaliser ses universités. L’Italie devait
faire face à un taux élevé d’abandon eu sein des universités italiennes et voulait tourner les
formations universitaires vers plus de professionnalisation tandis que la Grande Bretagne
achoppait sur le financement de son système universitaire. Il est possible d’établir des
corrélations partielles entre deux pays comme par exemple la volonté, partagée par la
France et l’Allemagne, d’ouvrir les universités à l’international et d’améliorer l’attractivité
de leurs systèmes universitaires. Les problèmes n’étaient donc pas assez convergents
pour qu’un échange interministériel à leur sujet ait pu mener à la formulation d’une vision
13
CROCHE, Sarah. Evolution d’un projet d’Europe sans Bruxelles. Le cas du processus de Bologne. 2009/2. 12 p. Collection
Education et Sociétés, n°24
14
CHARLIER, Jean-Emile et CROCHE, Sarah. Le processus de Bologne, ses acteurs et leurs complices. 2003/2. 30 p.
Collection Education et Sociétés, n° 12
15
CHARLIER, Jean-Emile, Faire du processus de Bologne un objet d’analyse. Cairn.Info, 2009/2. 113 p. Collection Education
et Sociétés, n°24. ISBN 97828041026992
MAULET Léa_2010
13
L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
16
commune. Si la naissance du projet ne s’explique pas par la nécessité de se réunir pour
faire face à des problèmes communs, il y a cependant eu deux convergences fortes qui ont
mené à une entente intergouvernementale. Les Etats se sont engagés dans ce processus
car chacun d’entre eux percevait comme nécessaire l’établissement d’un enseignement
plus efficace et ouvert à l’international dans une économie et une société globalisées. Il est
clair que le palier intergouvernemental et en particulier le palier européen a été envisagé
par les ministres nationaux comme un atout pour conserver des systèmes de formation
compétents. Les auteurs réalistes des relations internationales décriraient cet appel à un
rapprochement européen lancé à la Sorbonne, comme un prétexte tactique permettant à
chaque pays d’améliorer son système d’Enseignement supérieur. L’harmonisation et l’appel
à l’intégration ne seraient qu’une façade permettant aux Etats de tirer un profit national d’une
coopération intergouvernementale. Pourtant, si l’analyse du processus de Bologne ne doit
pas être naïve en sous-estimant l’importance des intérêts nationaux dans la mise en place
du projet, elle ne doit pas non plus évincer l’importance de sa dimension européenne.
Cette initiative intergouvernementale peut donc aussi être analysée comme une
volonté de mettre en place une forme d’Européanisation loin des instances de l’Union
Européenne. Si les déclarations de la Sorbonne et de Bologne peuvent être vues comme
une stratégie offensive consistant à renforcer les systèmes éducatifs des pays d’Europe
afin qu’ils soient mieux armés dans la concurrence qui les oppose aux universités
américaines ; elles contiennent aussi un volet défensif, celui de maintenir ces systèmes
sous la responsabilité des Etats en élaborant une collaboration excluant les institutions
17
européennes.
La résistance à l’Union Européenne a, en effet, été l’une des postures
fondatrices du processus de Bologne et n’est ici pas perçue comme un frein à la construction
18
d’un espace d’action publique européen.
Ceci n’a en réalité rien de très surprenant
dans la mesure où l’Enseignement supérieur est une prérogative des Etats Membres
et que l’Union Européenne ne peut jouer qu’un rôle de soutien à leur demande. Les
gouvernements affirment leur souveraineté dans ce domaine, en décidant de prendre
en charge le rapprochement progressif des structures d’ensemble des diplômes et des
cycles d’études. Il est pourtant juste d’affirmer que les Etats signataires adoptent une
posture nouvelle au regard de la construction européenne. Ils prônent une européanisation
différente, à l’écart de l’Union Européenne. La volonté farouche de Claude Allègre de ne
pas associer la Commission Européenne au projet s’explique par le désir de montrer que
les Etats peuvent avoir des ambitions pour l’Europe, sans Bruxelles. Ainsi, les stratégies
pour freiner les velléités d’intervention de la Commission Européenne dans le processus
apparaissent déjà clairement dans la déclaration de la Sorbonne qui promeut une vision
large de l’Europe au-delà des frontières de l’Union comme le démontre cet extrait : « Nous
lançons un appel aux autres États-membres de l'Union, aux autres pays de l'Europe pour
nous rejoindre dans cet objectif, à toutes les universités européennes pour consolider la
16
RAVINET, Pauline. Comment Bologne a-t-il commencé. La formulation de la vision de l’Espace Européen d’Enseignement
Supérieur. 2009/2. 33 p. Collection Education et Sociétés, n°24.
17
CROCHE, Sarah. Qui pilote le processus de Bologne ? CAIRN, 2006/2.204 p. Collection Education et Sociétés, n° 18.
ISBN 2-8041-5133-6
18
RAVINET, Pauline et MULLER, Pierre. Construire l’Europe en résistant à l’UE ? Le cas du processus de Bologne. CAIRN,
2008/4. 654 p. Collection Education et Sociétés, volume 154. ISBN 2-8041-5758-6
14
MAULET Léa_2010
I/ Le processus de Bologne : Un projet intergouvernemental pour l’Enseignement supérieur, altéré
par son imbrication à la Stratégie de Lisbonne
19
place de l'Europe dans le monde».
La déclaration ne comporte aucune référence aux
initiatives de la Commission Européenne dans le domaine de l’Enseignement supérieur et
n’appelle aucunement à son soutien. L’indice le plus frappant de cette mise à l’écart de
l’Union est que le terme « Union Européenne » n’apparaît qu’une seule fois dans tout le
texte.
Si la Commission avait pu assister à la Conférence de la Sorbonne en tant
qu’observateur, ce n’est qu’en 1999 qu’ un de ses représentants est pour la première fois
convié au groupe de suivi chargé d’organiser la conférence de Bologne. Cependant, il
est lui aussi maintenu dans une position d’observateur et n’est présent que parce que les
recteurs des différents pays ont insisté pour qu’il le soit. Les stratégies pour freiner les
velléités d’intervention de la Commission sont diverses et se retrouvent dans le contenu
de la déclaration de Bologne. Celle-ci se focalise, en partie, sur la structure des diplômes
académiques européens, domaine dans lequel la Commission n’a aucune compétence.
La dimension d’autonomie du projet vis-à-vis de l’Union devient, dès la Conférence de
20
la Sorbonne, une caractéristique identitaire du processus de Bologne. Les vertus d’un
multilatéralisme souple et affranchi des pesanteurs de la Commission Européenne sont
mises en avant. Pourtant, cette politique de mise à l’écart va s’avérer difficilement tenable.
Les deux textes fondateurs du processus de Bologne sont donc un appel à la
construction d’un Espace Européen de l’Enseignement Supérieur en Europe que nous
avons qualifié de dispositif en puissance. Cet espace est immédiatement envisagé comme
respectueux des intérêts et des identités nationaux des Etats, traduisant ainsi une volonté de
concilier les systèmes sans les dénaturer plutôt que de les harmoniser. La configuration des
relations interétatiques au sein du Processus était supposée mener à la construction d’un
espace de coopération, bien éloigné du système d’intégration de l’Union Européenne.Cette
opposition farouche à l’intervention de la Commission Européenne va pourtant s’avérer
intenable.
1.1.2 Le rôle croissant de la Commission européenne au sein du
processus, teinté de relations de coopération-compétition
La Commission européenne s’est progressivement intégrée au processus de Bologne
depuis 1998 alors qu’elle en était initialement exclue. Encore faut-il savoir si cette évolution
tient aux stratégies insistantes de la Commission, ou à la prise de conscience de la part des
Etats que la coopération avec l’Union Européenne peut leur être profitable.
La Commission Européenne, par les initiatives menées au niveau communautaire
sur l’Education et le Supérieur, a construit des outils et de l’expertise qui ont facilité son
intervention au sein du processus de Bologne. Les premières initiatives développées par
la Commission constituent le terreau sur lequel le processus de Bologne a pu germer.
En 1984, elle créé le réseau NARIC (National Academic Recognition Information Centers)
chargé de faciliter la reconnaissance des diplômes, des périodes d’études et qualifications
dans les pays européens. Ce réseau a aussi permis à la Commission, de centraliser des
informations sur les différents systèmes d’éducation européens et de former des experts
19
Sorbonne Joint Declaration, by the four ministers in charge for France, Germany, Italy and the United Kingdom. 1998/5.
URL: http://www.bologna-berlin2003.de/pdf/Sorbonne_declaration.pdf [Accès Novembre 2009]
20
RAVINET, Pauline et MULLER, Pierre. Construire l’Europe en résistant à l’UE ? Le cas du processus de Bologne. CAIRN,
2008/4. 656 p. Collection Education et Sociétés, volume 154. ISBN 2-8041-5758-6
MAULET Léa_2010
15
L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
dans ce domaine. Le programme ERASMUS a, quant à lui, permis à l’Union d’organiser la
mobilité des étudiants et de faciliter les échanges entre universités européennes. En 1992,
le Traité de Maastricht autorise l’Union Européenne à intervenir sur les systèmes éducatifs
de manière supplétive. Ce n’est pourtant qu’en 1993, que l’idée d’un espace européen
scientifique et éducatif émerge au sein de la Commission européenne. L’ensemble des
réformes envisagées visent à améliorer la compatibilité des systèmes d’Enseignement
supérieur, leur compétitivité internationale, la mobilité des étudiants européens mais aussi
leur employabilité. Ainsi, les différents objectifs du processus de Bologne s’inspirent
des instruments construits au niveau communautaire. L’exemple le plus représentatif est
évidemment la volonté des pays à l’origine du processus de reprendre l’idée des Crédits
ECTS qui permettent la reconnaissance et la validation des périodes d’étude effectuées à
l’étranger. Le choix de la structure institutionnelle du processus s’inspire aussi largement des
habitudes communautaires. En effet, un comité Enseignement Supérieur est créé en 1994 et
les comités de préparation des sommets de Prague en 2001, de Berlin en 2003, de Bergen
en 2005, de Londres 2007 et enfin de Leuven-Louvain-La-Neuve en 2009 s’inspirent de
sa composition et de son fonctionnement. Ce mimétisme dans l’architecture institutionnelle
s’explique assez facilement. Le comité Enseignement Supérieur qui regroupe de manière
informelle les directeurs de l’Enseignement supérieur des ministères des Etats membres
et sollicite la présence de la Commission est un lieu de socialisation et de coopération
politique qui se déroulent au sein des instances communautaires dans le domaine précis
21
de l’Enseignement supérieur. La Commission Européenne s’est donc donné les moyens
d’intervenir au sein du processus de Bologne. Cette intervention est en réalité programmée
de longue date. Cette institution communautaire est la plus au fait des situations particulières
de chaque pays dans le domaine de l’Enseignement supérieur. Elle a créé de l’expertise,
rassemblé des informations et mieux encore, elle a créé des lieux de socialisation dans
lesquelles des habitudes ont été prises. Ainsi, elle connaît non seulement parfaitement la
manière dont le processus de Bologne s’organise au niveau institutionnel, mais elle en
connaît aussi les acteurs.
Depuis la Déclaration de la Sorbonne de 1998 c'est-à-dire la naissance du processus,
la Commission n’a cessé de vouloir prendre en main le pilotage de Bologne. Elle a tout
d’abord essayé de limiter le projet aux seuls membres de l’Union Européenne, mais a aussi
tenté d’inscrire des références à ses travaux dans la Déclaration de Bologne elle-même. Ces
premières tentatives d’intervention se sont clairement soldées par un échec; cependant,
loin de se résigner à sa mise à l’écart, la Commission a adopté de nouvelles stratégies pour
être associée de près ou de loin au processus. Tout d’abord, alors que Claude Allègre avait
clairement dénigré les voix des petits pays européens et les attentes des associations et
autres acteurs représentant l’Enseignement supérieur en Europe, la Commission a réussi à
traduire les volontés des autres acteurs du Supérieur et à ménager les intérêts de chacun.
22
Ainsi, la Commission a adopté un rôle « d’acteur-traducteur »
qui lui a clairement permis
de gagner les faveurs des acteurs initialement mis à l’écart. Cette attitude de l’institution
européenne était certainement tactique voire opportuniste, mais en offrant des garanties
et des avantages à tous les acteurs, elle a réussi à se positionner en tant que macroacteur au sein du processus. Plus important encore, ce positionnement a donné une franche
impulsion au projet et c’est bien l’action conjointe, bien que non concertée, de la Commission
et de Claude Allègre qui a permis le décollement, si rapide, du processus. Le rôle joué
21
22
Ibid., 660 p.
CROCHE, Sarah. Evolution d’un projet d’Europe sans Bruxelles. Le cas du processus de Bologne. 2009/2. 17 p. Collection
Education et Sociétés, n°24.
16
MAULET Léa_2010
I/ Le processus de Bologne : Un projet intergouvernemental pour l’Enseignement supérieur, altéré
par son imbrication à la Stratégie de Lisbonne
par la Commission a en effet été conséquent bien que le ministre Français lui refuse toute
reconnaissance. L’importance de ce rôle divise cependant les auteurs, certains affirment
que la Commission a réussi au fil des ans à prendre en main le pilotage du processus, tandis
que d’autres nuancent cette interprétation.
Sarah Croché décrit la manière dont la Commission Européenne va s’intégrer
progressivement au sein du processus pour s’y forger une place de macro-acteur. Selon
elle, la Commission devient même le macro-acteur dès 1999, après la chute de Claude
Allègre et prend le contrôle du processus. Elle remarque que les critiques à l’égard de
l’institution européenne s’adoucissent à mesure que le projet avance. Il paraît en effet certain
que le processus de Bologne n’est pas resté longtemps sous le seul contrôle des Etats.
Dès le Sommet de Prague de Mai 2001, les ministres fondent un groupe de suivi composé
des représentants des Etats et de la Commission Européenne. Cette dernière devient
membre à part entière à la différence des autres organisations conviées, comme L’European
University Association (EUA), l’European Association of Institutions of Higher Education
(EURASHE), les National Unions of Students in Europe (l’ESIB) et le Conseil de l’Europe, qui
ne bénéficient que d’une voix consultative. Le processus n’est officiellement plus conduit par
les seuls représentants des Etats. L’ambition de contrôle de la Commission ne faiblit pas au
cours du processus et elle réussit à convaincre les Etats de son utilité au sein du projet. En
effet, après l’avoir intégrée aux groupes de pilotage, les ministres expriment oralement leur
satisfaction de voir la Commission présente au sein du processus. Ils se félicitent de son aide
à Prague et en 2003 à Berlin, la Commission est remerciée pour son soutien dans la mise
en œuvre du processus. Cette reconnaissance interministérielle est une preuve patente de
l’affirmation de l’influence de la Commission. L’importance de son rôle, au sein du processus
de Bologne, est couronnée au sommet de Bergen en 2005, sommet au cours duquel elle
obtient le droit de vote au sein des structures de pilotage. Cette intégration progressive de la
Commission Européenne va se faire sans heurt, aucune voix ne va s’élever face à l’appel à
l’aide, à peine voilé, des Etats. Les premières indignations s’élevèrent seulement à la fin du
sommet de Bergen, lorsque le Commissaire à l’Education fut autorisé à prendre la parole.
Quelques ministres dénoncèrent les tentatives de récupération opérées par la Commission
Européenne. Cette opposition tardive souligne l’ambiguïté des relations entre les Etats et
la Commission et les difficultés rencontrées quant à la définition du rôle et des limites du
rôle octroyées à l’institution. Les Etats semblent attendre de la Commission qu’elle les aide
à résoudre leurs problèmes et qu’elle accompagne leurs stratégies tout en s’évertuant à
réaffirmer leur souveraineté dans ce domaine.
Les Etats ont contribué à forger la place de la Commission Européenne au sein du
processus mais celle-ci a aussi élaboré différentes stratégies pour tenter de l’influencer,
voire d’en prendre le contrôle. La première stratégie développée a été celle de se focaliser
sur le financement du processus. En effet, les sommets et la préparation de ceux-ci
nécessitent d’importants moyens que la Commission a su fournir aux Etats. Ainsi, l’institution
est entrée dans le processus en apportant les moyens indispensables à sa viabilité. En
1998, la Commission a réuni les représentants de la Conférence des Recteurs Européens
et a commencé à financer les rapports TRENDS. Ces rapports, rédigés par les recteurs,
décrivent l’état du processus, ses évolutions et ses réalisations. Ainsi, la tactique de la
Commission a été de fournir une aide aux acteurs, parmi ses partenaires, qui participaient
aux groupes de pilotage du processus et aux groupes de suivi et qui organisaient les
séminaires liés à Bologne. Elle a sollicité les instances sur lesquelles elle a une ascendance.
Cette stratégie de l’aide financière est particulièrement efficace car elle a amené la
Commission à « définir le cadre conceptuel à partir duquel ils [ses partenaires] sont conviés
MAULET Léa_2010
17
L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
23
à lire le processus et à le faire évoluer ».
La Commission, sans compétence légale
dans ce domaine, va réussir à inscrire progressivement sa propre vision dans les textes.
La soumission du processus de Bologne à la stratégie de Lisbonne est une des preuves
les plus flagrantes de l’influence de l’institution. L’imbrication du processus à la stratégie de
Lisbonne sera étudiée par la suite. Bien que le financement partiel du processus ait permis
à la Commission de s’immiscer au sein du projet, il faut souligner que l’apport financier réel
reste difficile à évaluer. En effet, différentes Divisions Générales de la Commission financent
le processus, ce qui n’aide pas à chiffrer dans l’exactitude le montant des aides allouées.
Ce qui peut pourtant être observé est que les financements sont clairement dérisoires, en
comparaison à ce que la Commission débourse pour ses propres programmes, à l’exemple
du programme ERASMUS. La Commission a, en 2005, financé le processus de Bologne
à hauteur de 800 000 euros tandis qu’elle déboursait 230 000 000 d’euros pour ses
propres programmes. En rejoignant l’analyse de Sarah Croché, il est possible de dire que
la Commission Européenne est devenu un macro-acteur au sein du processus grâce à
différents atouts et stratégies. Elle a su joué des besoins financiers des Etats pour influencer
l’orientation du processus et elle apparaît comme un acteur extrêmement compétent qui est
capable de fournir une expertise pertinente dans le domaine de l’Enseignement Supérieur
européen.
L’approche de Pauline Ravinet est plus nuancée quant au rôle joué par la Commission
au sein du processus. Dans son analyse, elle décrit une évolution de la revendication
d’autonomie de la part des pays plutôt qu’une prise de contrôle totale de la Commission
sur le processus de Bologne. Selon elle, la posture de résistance affichée par les Etats
n’est pas figée. Elle va rester importante du point de vue identitaire, mais les Etats se
rendent comptent assez rapidement qu’elle n’est pas tenable dans le long terme. Ainsi,
la place grandissante de la Commission n’est pas décrite comme résultant d’une prise de
pouvoir unilatérale mais plutôt d’une coopération entre les initiatives communautaires et le
processus de Bologne.
24
D’après l’auteur, la posture de défi des Etats va se transformer
25
en revendication d’autonomie
. Cette dimension est une caractéristique identitaire du
processus et est réaffirmé début 2000 lorsque le processus commence à s’institutionnaliser.
Les résistances des Etats ont donc évolué et ont petit à petit été absorbées par le
développement de liens de coopération vigilante avec le niveau communautaire. Ainsi, selon
l’auteur, la Commission ne pilote pas le processus et ne décide pas des objectifs de celui26
ci.
Si l’analyse de Pauline Ravinet est intéressante dans la mesure où elle souligne
la volonté des Etats d’affirmer leur souveraineté, elle n’insiste pas assez sur les velléités
de contrôle de la Commission et sur la place que celle-ci a réussi à se forger au sein des
instances de pilotage. La comparaison des analyses de Pauline Ravinet et de Sarah Croché
est des plus intéressantes car elle permet de souligner l’ambiguïté de la résistance à l’Union
Européenne.
23
CROCHE, Sarah. Qui pilote le processus de Bologne ? CAIRN, 2006/2.213 p. Collection Education et Sociétés, n° 18.
ISBN 2-8041-5133-6
24
RAVINET, Pauline et MULLER, Pierre. Construire l’Europe en résistant à l’UE ? Le cas du processus de Bologne. CAIRN,
2008/4. 656 p. Collection Education et Sociétés, volume 154. ISBN 2-8041-5758-6
25
26
18
Ibid. 657 p.
Ibid. 659 p.
MAULET Léa_2010
I/ Le processus de Bologne : Un projet intergouvernemental pour l’Enseignement supérieur, altéré
par son imbrication à la Stratégie de Lisbonne
En réalité, si la Commission tient une place si importante au sein du projet c’est
aussi parce qu’il y a une réelle convergence d’intérêts entre ses ambitions et celle des
Etats. Les Etats vont établir des relations de coopération-compétition avec la Commission
Européenne. Ils vont en effet se distancier de l’institution quand ils ont intérêt à le faire, et
s’en rapprocher quand ils désirent son soutien. Par exemple, certains pays se sont indignés
de la prise de parole du Commissaire européen à l’Education lors du sommet de Bergen
en 2005, pourtant, cette résistance ne va pas les amener à rejeter en bloc l’intervention de
la Commission et ses aides financières. Les Etats ne vont en réalité absolument pas au
bout de leur opposition et se préservent la possibilité de coopérer. Que ce soit les Etats ou
la Commission, chacun a intérêt à cette coopération. A partir de la conférence de Bologne
de 1999, la Commission va mettre des moyens à disposition des Etats pour qu’ils puissent
approfondir leur coopération en matière d’Enseignement Supérieur et elle va surtout réussir
à mêler enjeux nationaux et collectifs, de manière à créer des interdépendances entre les
27
pays.
Les Etats ont aussi besoin que la Commission soit présente au sein du processus,
car elle contribue à le rendre crédible du fait de sa renommée à l’international. Son statut
a permis au Etats d’élargir leur base de recrutement en attirant davantage d’étudiants
étrangers et de contribuer à la promotion du processus de Bologne à l’international. Enfin,
elle va aider les pays à se placer dans la compétition mondiale et à améliorer l’image de
leurs systèmes universitaires à travers le monde. Les Etats semblent satisfaits d’améliorer
leur attractivité et la Commission peut, quant à elle, mener des réformes de grande ampleur
qu’elle voulait mettre en œuvre depuis longtemps. Les tensions de 2005 avec les Etats
engagés dans le processus se dissipent d’ailleurs assez vite et la Commission maintient
sa place à Londres en 2007. Dans les débats sur les perspectives post 2010, les Etats
songent même à créer un secrétariat piloté par la Commission Européenne. On observe
que le passage du supérieur dans les compétences européennes n’est, dès lors, plus un
tabou au sien des instances de pilotage.
28
La montée en puissance de la Commission et son rôle dans le pilotage du processus
sont indéniables. Il est donc possible d’affirmer que les Etats sont rentrés dans un jeu de
coopération-compétition avec la Commission au sujet du pilotage et de l’orientation du projet
de construction d’un Espace Européen de l’Enseignement Supérieur. Ils ont rapidement
compris qu’ils avaient besoin de la légitimité, de l’expertise et des financements de la
Commission. Cependant, la relation entre les acteurs reste ambiguë. Les Etats tiennent à
réaffirmer leur souveraineté dans le domaine, souveraineté qui pourtant apparaît de plus
en plus factice dans la mesure où la Commission est, non seulement, présente à toutes les
étapes du processus, dialogue avec les acteurs non étatiques et a contribué à imbriquer
le processus de Bologne à la Stratégie de Lisbonne, en infléchissant ses objectifs. Si les
Etats ne perdent pas tout contrôle sur le processus, car les décisions sont prises lors des
sommets intergouvernementaux réunissant les ministres de l’Education de chaque pays,
la Commission est pourtant devenue un acteur majeur au sein des instances de pilotage.
Elle a su élaborer des stratégies pour intégrer le processus et a réussi à influencer le
dispositif mis en place. Il faut préciser que si son rôle s’est autant accru, c’est en partie
parce que les Etats ont bien voulu la laisser participer ; mais ceux-ci ne pensaient sans
doute pas que la Commission se forgerait une place aussi importante. Ainsi, bien que défiée,
27
CROCHE, Sarah. Qui pilote le processus de Bologne ? CAIRN, 2006/2.209 p. Collection Education et Sociétés, n° 18.
ISBN 2-8041-5133-6
28
CROCHE, Sarah. Evolution d’un projet d’Europe sans Bruxelles. Le cas du processus de Bologne. 2009/2. 24 p. Collection
Education et Sociétés, n°24
MAULET Léa_2010
19
L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
l’Union Européenne a réussi à renforcer son influence dans le domaine de l’Enseignement
supérieur, et ce, bien au-delà de ses frontières formelles.
1.2 L’évolution de l’Espace Européen de
l’Enseignement Supérieur et de la Recherche vers le
nouvel horizon de la société de la connaissance
Le processus de Bologne et ses objectifs vont s’imbriquer dans la Stratégie de Lisbonne
menée par l’Union Européenne qui a pour finalité l’émergence de l’économie de la
connaissance la plus compétitive au monde. Le projet de construction d’un Espace
Européen de l’Enseignement Supérieur en sera profondément dénaturé. Il parait judicieux
de se demander dans quelle mesure le projet a été infléchi mais surtout comment cela a
été rendu possible. Par ailleurs, le processus de Bologne n’intégrait pas à ses débuts de
réflexion sur la mise en place d’un Espace Européen de la Recherche. Celle-ci va être
progressivement intégrée aux débats et une certaine vision politique va être développée sur
sa finalité au sein de l’Europe. Cette partie vise donc à mettre en lumière les caractéristiques
de ce que nous appellerons le « Nouveau Bologne », terminologie symbolisant la mutation
du processus. L’expression « Nouveau Bologne » semble pertinente dans cette première
partie du mémoire pour différencier le projet initial du projet transformé par son imbrication à
la Stratégie de Lisbonne. Cependant, dans la seconde partie du mémoire, nous reviendrons
à l’expression « processus de Bologne » par commodité.
1.2.1 La création de la société de la connaissance la plus compétitive
au monde : un objectif central de la Stratégie de Lisbonne
La rhétorique de la société et de l’économie de la connaissance la plus compétitive au
monde n’émerge pas exactement en 2000 avec la Stratégie de Lisbonne car on peut
observer que le niveau communautaire en est déjà imprégné dès les années 90. Il est
question de passer à une économie de l’innovation au sein de laquelle, la connaissance
est centrale dans la production de biens et de services. C’est ainsi qu’en 2000, ce
processus de réflexion aboutit aux conclusions du Conseil européen de Lisbonne. Les
différents chefs d’Etats présents mettent en avant un nouvel objectif stratégique pour
l’Union, celui de « devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus
dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable, accompagnée d’une
amélioration quantitative et qualitative de l’emploi, et d’une plus grande cohésion sociale ».
29
L’Enseignement supérieur et la Recherche ne sont plus des secteurs d’action publique
comme les autres mais bien le ferment d’une « croissance à moyen terme, fondée sur
l’activation des sources de croissance endogène, telles que le progrès technique et le
capital humain». C’est du moins ainsi qu’Edith Cresson les définit dans la préface de
l’ouvrage La Société, Ultime Frontière : une vision européenne des politiques de recherche
et d’innovation pour le XXIe siècle. Le Conseil Européen réuni à Lisbonne a donc élaboré
un nouvel objectif pour l’Union Européenne qui préfigure l’avènement d’un « capitalisme
29
RAVINET, Pauline et MULLER, Pierre. Construire l’Europe en résistant à l’UE ? Le cas du processus de Bologne. CAIRN, 2008/4.
662 p. Collection Education et Sociétés, volume 154. ISBN 2-8041-5758-6
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MAULET Léa_2010
I/ Le processus de Bologne : Un projet intergouvernemental pour l’Enseignement supérieur, altéré
par son imbrication à la Stratégie de Lisbonne
30
cognitif »
supposé générer une croissance vertueuse et le retour au plein emploi. Cette
croissance serait fondée sur l’immatériel et le capital humain.
Afin de mieux cerner les objectifs politiques à finalité socio-économique, envisagés
pour la Recherche et l’Enseignement Supérieur par l’Union Européenne, il faut évidemment
étudier le contenu de la Stratégie de Lisbonne. Cette dernière s’articule autour de deux
volets distincts. Le premier a pour but de mettre en place une économie compétitive
fondée sur la connaissance et prévoit entre autre de construire un Espace Européen de
la Recherche et de l’Innovation. En effet, la Recherche a clairement été attachée au volet
économique dans la Stratégie de Lisbonne. Dès 2002, la Recherche passe du Conseil
« Education » au Conseil « Compétition ». Cette évolution se traduit de manière précise
dans la pratique : les décisions en matière de Recherche sont dès lors négociées avec
les responsables des politiques industrielles, de la concurrence et du marché intérieur.
Quant au second volet, il vise à moderniser le modèle social européen en adaptant les
systèmes nationaux d’éducation et de formation aussi bien, aux besoins de la société
de la connaissance, qu’à la nécessité de relever le niveau de l’emploi. Ainsi, le dessein
politique de construire l’économie de la connaissance la plus compétitive possible reflète
une mutation importante dans la vision de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
La perception de l’utilité sociale de ces domaines n’est pas la seule à avoir évolué. En
effet, la Stratégie de Lisbonne a aussi établi un mode de coordination, entre les différents
pays européens, qui n’existait pas auparavant. Ce mode de coordination a eu recours au
31
procédé managérial de « collaboration-compétition »
qui est fondé sur le postulat
que la compétitivité s’acquiert par l’exposition à la concurrence. Les centres de Recherche
européens puis, nous le verrons plus tard, les universités européennes ont été mises en
concurrence entre eux. L’outil mobilisé pour mettre en place ce système de collaborationcompétition est appelé le « benchmarking ». Implanté sous l’influence de la Nouvelle
Gestion Publique, le benchmarking construit des performances et les rend lisibles par le
classement. Cet instrument est conçu et pensé comme un levier de compétitivité et il permet
aux décideurs politiques et aux agents de distinguer les « meilleurs » et de stigmatiser les
32
« retardataires ».
Ainsi, les centres de Recherche et les universités sont classés selon
des indicateurs de performance et il s’établit une hiérarchie entre eux, supposée révéler
33
les « agents » les plus « efficaces », « rentables » et « productifs ».
A Lisbonne, le
Conseil Européen a formalisé le recours au Benchmarking dans l’emploi de la Méthode
Ouverte de Coordination (MOC)
30
34
à travers laquelle la compétition est affichée comme
BRUNO, Isabelle. 2010 : L’Odyssée de l’ «espace européen de la connaissance », comment la stratégie de Lisbonne gouverne les
politiques d’enseignement supérieur, dans L'Enseignement Supérieur entre Nouvelle Gestion Publique et Dépression Economique,
Analyse comparée et essai de prospective. Université de Paris Ouest Nanterre La Défense, 2009/12. 1 p.
31
32
33
34
Ibid., 2p.
Ibid.
La seconde partie du mémoire analyse la pertinence de ces critères d’évaluation et de classement.
La méthode ouverte de coordination (MOC) est un mode de coordination non contraignant des politiques publiques des
différents États membres de l' Union européenne . Il s'applique dans des domaines qui relèvent essentiellement de la compétence
des États (comme par exemple la
protection sociale ), et où l'Union ne peut édicter de règles contraignantes ( règlement
directive ). Cette méthode utilise des outils souvent rattachés au
droit mou
ou
(soft law) et issus du monde du management et de
l'entreprise, tels que les guides de bonne conduite, le partage des bonnes pratiques, l'évaluation par les pairs et le benchmarking .
(URL : http://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9thode_ouverte_de_coordination )
MAULET Léa_2010
21
L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
visée ultime. Il est intéressant de remarquer que l’association du discours sur la compétition
et des benchmarks échappe à la trame de la construction communautaire.
En 2005, la stratégie de Lisbonne n’a toujours pas rempli les objectifs escomptés.
L’Europe enregistre toujours un retard vis-à-vis des Etats-Unis et l’écart a tendance à se
creuser. L’inefficacité de la stratégie semble assez claire au vu des résultats, cependant, les
chefs d’Etats décident de continuer et ne modifie pas l’orientation prise en 2000. Selon le
Conseil Européen, si la stratégie de Lisbonne n’a pas encore réussi à forger l’économie et
la société de la connaissance la plus compétitive du monde c’est uniquement par manque
de volonté politique et non pas parce que les décisions revêtent des problèmes techniques.
35
La stratégie est donc réaffirmée. Elle l’a d’autant plus été avec le nouveau président
de la Commission en 2005, J.E Barosso, qui a tenu à s’assurer, dès son arrivée, que les
résultats de la recherche européenne se transforment en applications commerciales. Le mot
d’ordre de Barosso était de libérer le potentiel d’innovation européen et imposant aux pays
membres de se référer à un modèle précis, celui de la suppression des barrières entre la
Recherche, l’Enseignement Supérieur et les entreprises. La Stratégie de Lisbonne a tenté
de construire un Espace Européen de la Recherche, de l’Enseignement et de l’Innovation
au sein duquel « la connaissance n’est pas une fin en soi, mais la matière première d’une
économie qui ‘ne repose pas sur la connaissance (la société elle, oui), mais sur l’exploitation
de la connaissance’ »
36
.
Afin de comprendre l’imbrication du processus de Bologne et de la Stratégie de
Lisbonne, il faut s’intéresser tout d’abord à la place que la Stratégie de Lisbonne a octroyée
à l’Enseignement Supérieur. L’Europe de la Connaissance s’articule, comme on l’a vu
précédemment, autour de la Recherche et Développement et autour de l’Innovation. En
2000, il n’y a pas de volet spécifique pour l’Enseignement Supérieur. Bien qu’invisible dans
le projet d’Europe de la Connaissance des années quatre-vingt-dix et dans la Stratégie
de Lisbonne formalisée en 2000, l’Enseignement supérieur est au cœur de la matrice
de la société de la connaissance et l’Union Européenne en a bien conscience. Cette
volonté d’intégrer l’Enseignement supérieur au projet de construction de l’économie de
la connaissance la plus compétitive du monde est explicitement affirmée par les chefs
d’Etats de l’Union lors du Conseil Européen de Barcelone en 2002. Ils annoncent leur projet
er
de hisser les systèmes européens d’enseignement supérieur et de formation au 1 rang
mondial. Le Conseil Européen va même plus loin en déclarant que le cadre stratégique
pour la coopération européenne dans le domaine de l’éducation et de la formation revêt
une importance extrême. Il boucle ainsi le « Triangle de la Connaissance », considéré
comme une pièce maîtresse du dispositif de Lisbonne. Selon Isabelle Bruno, le Conseil
Européen a réussi à forger « le chaînon manquant entre la production des connaissances
par la recherche et leur exploitation par l’innovation, en se préoccupant de leur (grande)
37
distribution par l’éducation ».
Cependant, au-delà de cette annonce, l’Union Européenne
a du mal à bâtir un Espace Européen de l’Education et de la Formation et ceci va expliquer
le rapprochement progressivement opéré entre la Stratégie de Lisbonne et le processus
de Bologne.
35
BRUNO, Isabelle. 2010 : L’Odyssée de l’ «espace européen de la connaissance », comment la stratégie de Lisbonne
gouverne les politiques d’enseignement supérieur, dans L'Enseignement Supérieur entre Nouvelle Gestion Publique et Dépression
Economique, Analyse comparée et essai de prospective. Université de Paris Ouest Nanterre La Défense, 2009/12. 9 p.
36
37
22
Ibid., 10 p.
Ibid., 4 p.
MAULET Léa_2010
I/ Le processus de Bologne : Un projet intergouvernemental pour l’Enseignement supérieur, altéré
par son imbrication à la Stratégie de Lisbonne
1.2.2 L’imbrication du processus de Bologne àla Stratégie de
Lisbonne sous l’impulsion de la Commission : des ambitions
européennes pour l’Enseignement supérieur et la Recherche
dénaturées
Les débats universitaires sont houleux en raison du fondement sur lequel le rapprochement
a été rendu possible. Il serait exagéré et faux d’affirmer que le processus de Bologne
avait à ses débuts les mêmes objectifs que la Stratégie de Lisbonne et que ceux-ci
expliqueraient l’imbrication des deux projets. Il serait plus juste de dire que les objectifs
de Bologne étaient partiellement compatibles avec la matrice de l’économie et la société
de la connaissance, promue et diffusée depuis les années 1990. Les points communs
portaient, évidemment, sur la volonté de rendre les systèmes plus attractifs à l’international
et d’améliorer l’employabilité des étudiants. Mais l’Espace Européen de l’Enseignement
Supérieur va s’encastrer dans l’Europe de la connaissance. Non seulement parce qu’il est
porteur de normes compatibles, comme la mobilité et la compétitivité, mais surtout parce
que la Commission, sous impulsions du Conseil Européen et avec l’aval des Etats parties
au processus de Bologne, va progressivement tisser des liens entre le processus et la
stratégie de Lisbonne. Ceci transformant, par ailleurs, les objectifs du premier pour qu’ils
correspondent aux ambitions politiques de la seconde.
La Commission Européenne, nous l’avons vu précédemment, devient rapidement un
macro-acteur au sein du processus de Bologne. Les instances originales de pilotage du
processus perdent, petit à petit, leur légitimité à produire une doctrine politique, censée
fournir les grandes orientations du nouvel Espace Européen d’Enseignement Supérieur. La
Commission va, par son travail d’influence, mettre en place une politique de soumission
active à la Stratégie de Lisbonne. Et le nouvel horizon envisagé sera dès lors celui de
la société de la Connaissance. A partir de 2003, l’institution européenne n’hésite plus à
exprimer sa volonté de s’occuper des différents systèmes d’enseignement supérieur en
Europe en justifiant son intervention par les finalités économiques qu’elle sert, et qui sont au
cœur de la Stratégie de Lisbonne. Les différentes réformes proposées par la Commission
apparaissent comme indispensables aux yeux des acteurs engagés et sont intégrées au
processus de Bologne. En 2006 et 2007 il s’agit, par exemple, de démanteler les barrières
autour des universités européennes, d’assurer leur autonomie et leur responsabilisation
mais surtout de fournir une diversité des savoir-faire et des compétences dont le marché
du travail est « supposé » avoir besoin. Les ministres compétents ont ainsi autorisé la
Commission à suggérer des mesures concrètes, pleinement inspirées de la Stratégie de
Lisbonne. L’imbrication entre les deux phénomènes implique une réorientation des objectifs
politiques structurant la mise en place de l’Espace Européen d’Enseignement Supérieur.
L’un des derniers symboles probants de cette imbrication est la décision de célébrer
l’anniversaire du lancement de Bologne non pas en 2008 ou 2009 (en référence aux
déclarations de la Sorbonne et de Bologne) mais en mars 2010, c'est-à-dire au même
moment que les dix ans de la Stratégie de Lisbonne. Un rapprochement décisif est ainsi
opéré pour la décennie à venir.
Cette imbrication n’aurait pu se faire aussi facilement si les Etats s’y étaient fortement
opposés. Ils ne l’ont pas clairement fait, ils ont laissé la Commission opérer cette imbrication,
même s’ils n’en étaient pas à l’initiative. Au sommet de Prague en Mai 2001, les trentedeux pays réunis abandonnent complètement certaines ambitions politiques, comme
l’harmonisation des systèmes d’enseignement supérieur. Ce sommet est un moment de
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L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
compromis qui explique que les objectifs, avancés cette année-là, restent relativement
abstraits. Cependant, ce sommet correspond aussi à un moment clé de l’histoire du
processus car la Commission obtient la réorganisation des instances de pilotage. Un
recentrage du dispositif autour de la société de la connaissance est dés lors entamé. La
coordination souple, mise en place après la conférence de la Sorbonne, est remplacée par
un réseau institutionnalisé de pilotage mené par la Commission et surveillé par les Etats
parties.
Conscients du peu d’avancées concrètes opérées lors du sommet de Prague, les
quarante ministres européens ont cherché à clarifier les concepts lors du sommet de Berlin
de 2003. Pour ce faire, ils se sont attaqués à un thème absent du processus de Bologne
jusqu’à maintenant : la Recherche. Cet intérêt nouveau pour l’Europe de la Recherche
peut largement s’expliquer par l’imbrication du processus à la Stratégie de Lisbonne. En
effet, le premier volet de celle-ci se focalise sur la Recherche et l’Innovation. Ainsi, les
ministres européens chargés de l’Enseignement supérieur ont exprimé leur souhait de voir
les épreuves menant au doctorat « s’harmoniser » elles-aussi, incluant ainsi un troisième
cycle au processus de Bologne. Ils expriment leur prise de conscience de l’intérêt de
l’intégration de la Recherche au processus de la façon suivante :
« Conscients de la nécessité de promouvoir des liens plus étroits entre l’EEES et
l’EER dans une Europe de la Connaissance, et de l’importance de la Recherche
comme partie intégrante de l’enseignement supérieur en Europe, les Ministres
considèrent qu’il faut aller au-delà de la perspective actuelle centrée sur deux
cycles principaux de l’enseignement supérieur et intégrer le niveau du doctorat
comme troisième cycle dans le processus de Bologne.[…] Les Ministres
demandent donc aux établissements d’enseignement supérieur d’accroître le rôle
et l’utilité de la recherche dans l’évolution technologique, sociale et culturelle et
38
en réponse aux besoins de la société. »
Le vocabulaire utilisé par les ministres, dans le communiqué de la Conférence de Berlin, est
lui aussi symptomatique de la nouvelle orientation prise par le processus. Les ministres font
explicitement référence à l’Europe de la Connaissance, en faisant appel au renforcement
de la compétitivité de l’Enseignement supérieur en Europe et surtout en assignant à la
Recherche une fin utilitariste tournée vers le rendement économique. Personne n’est en
effet dupe des effets d’annonces lancés par les ministres, à travers lesquels ils « réaffirment
l’importance de la dimension sociale du processus de Bologne » et soulignent que « le
besoin d’accroître la compétitivité doit être contrebalancé par l’objectif qui vise à améliorer
les caractéristiques sociales de l’espace européen de l’enseignement supérieur, pour
39
renforcer la cohésion sociale et réduire les inégalités sociales […] ».
Les ministres
ont bien conscience des impacts sociaux que l’orientation du « Nouveau Bologne » peut
engendrer, ils essaient ainsi de parer les critiques en soulignant l’importance de l’Europe
sociale au début de leur déclaration, alors même que le contenu de celle-ci ne propose
rien pour renforcer la cohésion sociale et réduire les inégalités sociales. En réalité, les
deux objectifs avancés semblent paradoxales. Il apparaît clairement que l’imbrication du
processus de Bologne à la Stratégie de Lisbonne, telle qu’elle a été opérée dès 2001, ne
peut à la fois conserver la dimension « sociale » du Processus de Bologne et n’envisager
38
Réaliser l’Espace Européen de l’Enseignement Supérieur, Communiqué de la Conférence des Ministres chargés de
l’Enseignement Supérieur. Berlin, 2003/9. 6 p.
39
24
Ibid., 1 p.
MAULET Léa_2010
I/ Le processus de Bologne : Un projet intergouvernemental pour l’Enseignement supérieur, altéré
par son imbrication à la Stratégie de Lisbonne
la Recherche et l’Enseignement Supérieur qu’en termes de rendements économiques.
Le sommet de Berlin est donc l’expression de l’imbrication des deux phénomènes et
du rapprochement de l’Espace Européen de L’Enseignement Supérieur et de l’Espace
Européen de la Recherche dans un même dispositif, dont le seul objectif est la construction
de l’économie de la Connaissance la plus compétitive au monde.
L’analyse de l’évolution du processus de Bologne permet d’affirmer que celui-ci a été
lesté d’objectifs que ses pilotes n’avaient pas conçus, ceux de la Stratégie de Lisbonne. En
effet, le processus de Bologne, qui n’était à ses débuts qu’un accord intergouvernemental
non contraignant, visait surtout un rapprochement des systèmes universitaires européens
dont l’horizon n’était ni la construction de l’économie la plus compétitive possible, ni la
commercialisation de la recherche universitaire. Il s’est progressivement érigé en dispositif
et a dû intégrer un nouvel outil de conduite de ses membres, la MOC. Ces deux évolutions
parallèles ont entraîné une mutation du processus qui, après 2005 et la mise au point des
benchmarks, n’avait plus rien à voir avec ce qu’il était au cours des premières années.
40
Le projet politique initial a été réduit à une peau de chagrin. Il n’est clairement plus
question d’harmonisation depuis 2001, l’objectif premier est devenu celui de la rentabilité
économique. Le projet de départ a donc été fortement dénaturé et l’institutionnalisation
renforcée du processus a été mené de sorte à construire des relations de coopérationcompétition. Ici, c’est bien le sens et l’utilité du processus qui ont été transformés et la
déclaration des ministres à Berlin en est l’illustration :
« Les Ministres tiennent pleinement compte des conclusions du Conseil
européen de Lisbonne (en 2000) et de Barcelone (en 2002) qui visent à faire
de l’Europe « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus
dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable, assortie
d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande
cohésion sociale», et qui nécessitent de développer davantage d'activités et une
41
coopération plus étroite dans le contexte du processus de Bologne. »
Le « Nouveau Bologne » est bien éloigné des objectifs d’harmonisation et de véritable
rapprochement prônés par le Discours de la Sorbonne. La construction d’un Espace
Européen de l’Enseignement Supérieur, fonctionnant comme ses promoteurs l’avaient
imaginé, est désormais une illusion. Il semble évident que dès lors, il n’est plus question
de construire un Espace Européen de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche unifié,
mais que l’objectif est de mettre sur pied une Europe plus compétitive dans ces domaines
à l’international, dont l’outil serait la Nouvelle Gestion Publique et son application pratique,
la mise en concurrence des pays européens entre eux et des universités entre elles.
Le tournant majeur n’a véritablement eu lieu qu’entre 2005 et 2007. Les pays ont dû
adapter leurs systèmes universitaires nationaux pour répondre à des impératifs politiques et
on a vu s’implanter un même dispositif au sein des Etats européens. Depuis 2001, un long
travail a été mis en œuvre pour poser les jalons d’une gouvernementalisation européenne
des systèmes nationaux d’Enseignement Supérieur ; et ce, par la mise en compétition de
ces systèmes et non pas par leur intégration dans un système unique, qui serait régi par
une politique commune. Isabelle Bruno va même plus loin dans son analyse du « Nouveau
40
CHARLIER, Jean-Emile, Faire du processus de Bologne un objet d’analyse. Cairn.Info, 2009/2. 122 p. Collection Education
et Sociétés, n°24. ISBN 97828041026992
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Réaliser l’Espace Européen de l’Enseignement Supérieur, Communiqué de la Conférence des Ministres chargés de
l’Enseignement Supérieur. Berlin, 2003/9. 1 p.
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25
L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
Bologne », elle affirme qu’ « au processus de collectivisation des systèmes éducatifs,
qui caractérisait l’étatisation des sociétés nationales sous la forme de ‘l’État providence’,
semble succéder un processus de différenciation corrélé à une gouvernementalisation de
42
l’espace européen sous la forme d’une ‘Union compétitive’
. Les systèmes universitaires
européens doivent intégrer le dispositif régi par la Nouvelle Gestion Publique mais sont
poussés à se différencier pour émerger, pour devenir les « meilleurs » en Europe. Ainsi,
dans une logique de mise en marché et de mise en compétition, le but n’est pas d’uniformiser
ou de rapprocher les systèmes nationaux d’éducation et de Recherche sous la contrainte
juridique. Il s’agit maintenant de les différencier par la course aux performances. Le
risque, accentué par le contexte de la crise économique, est selon Isabelle Bruno, de
voir les gouvernants redistribuer les aides et les budgets « non plus dans un souci de
cohésion sociale ou d’aménagement territorial, mais dans le but d’optimiser des avantages
43
concurrentiels et d’exhiber des pôles d’excellence ».
Ces remarques lucides sur les
risques que porte le « Nouveau Bologne » nous poussent à interroger la vision de l’Université
et de la Recherche qu’il véhicule.
1.2.3 Le « Nouveau Bologne », un dispositif qui va faire évoluer
l’image de l’université et de la Recherche en Europe : une
reconfiguration des relations entre pouvoir et savoir
Comme nous l’avons souligné précédemment, le dispositif qu’est le processus de Bologne
a été activé, en 1998, par la Déclaration de la Sorbonne. Il faut souligner que le dispositif
se définit par un certain type de genèse. Il est possible d’établir deux moments. Le
premier moment est celui de la prévalence d’un objectif stratégique. Dans le cas du
processus de Bologne, ce moment correspond à l’objectif de créer un Espace Européen de
l’Enseignement Supérieur et de rapprocher les systèmes universitaires européens. Ensuite,
44
le dispositif se constitue comme tel et reste dispositif.
Ce qui est important de noter est
qu’à ce stade, l’institutionnalisation du processus et l’intervention de l’Union Européenne
45
va octroyer au dispositif une force d’orientation des conduites très puissante. Rappelons
que pour Foucault, le dispositif oriente les pensées et les comportements des acteurs par
un mécanisme de contrainte et d’apprentissage qui « se manifeste dès que la relation
entre des éléments hétérogènes concourt à produire régulièrement un certain effet de
46
normalité qui s’inscrit dans les mots, les corps et la pensée ».
Ainsi, la formulation et
la maturation de matrices cognitives et normatives qui encadrent l’Espace Européen de
42
BRUNO, Isabelle. 2010 : L’Odyssée de l’ «espace européen de la connaissance », comment la stratégie de Lisbonne
gouverne les politiques d’enseignement supérieur, dans L'Enseignement Supérieur entre Nouvelle Gestion Publique et Dépression
Economique, Analyse comparée et essai de prospective. Université de Paris Ouest Nanterre La Défense, 2009/12. 4 p.
43
44
Ibid., 16 p.
FOUCAULT, Michel. « Le jeu de Michel Foucault » (entretien avec D. Colas, A. Grosrichard, G. Le Gaufey, J. Livi, G. Miller, J.
Miller, J-A Miller, C. Millot, G.. Wajeman) dans Dits et écrits 1954-1988. Editions Gallimard, 1994. 300 p.
45
CHARLIER, Jean-Emile, Faire du processus de Bologne un objet d’analyse. CAIRN. Info, 2009/2. 112 p. Collection Education et
Sociétés, n°24. ISBN 97828041026992
46
CROCHE, Sarah. Evolution d’un projet d’Europe sans Bruxelles. Le cas du processus de Bologne. 2009/2. 12 p. Collection
Education et Sociétés, n°24
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MAULET Léa_2010
I/ Le processus de Bologne : Un projet intergouvernemental pour l’Enseignement supérieur, altéré
par son imbrication à la Stratégie de Lisbonne
l’Enseignement Supérieur à partir de 2000 vont contribuer à faire apparaître les propositions
47
de la Commission comme logiques et inévitables.
Nous l’avons vu précédemment,
la Commission Européenne va proposer des réformes largement inspirées des objectifs
de la Stratégie de Lisbonne. Le dispositif va progressivement contribuer à transformer
l’image de l’université et l’image de la recherche. Ces nouvelles images vont être intégrées
par les différents acteurs, en priorité les ministres de l’Enseignement supérieur, qui vont
contribuer à les faire circuler à travers leurs déclarations. Les Etats vont inventer des formes
48
universitaires, ajustées aux projets de société poursuivis.
Les véritables objectifs du
« Nouveau Bologne » deviennent dés lors idéologiques, il s’agit de faire changer l’image de
l’université pour qu’elle devienne un instrument de compétition internationale.
49
Depuis 2003, la construction de repères idéologiques par la Commission Européenne
va en s’accentuant. Celle-ci a réussi à définir ce qu’elle considère comme la « bonne
50
université ».
Le triangle de la connaissance, tel que promu par la Stratégie de Lisbonne,
devient le cadre au sein duquel le travail des universités doit se couler. Celles-ci ont pour
objectif principal de contribuer à la compétitivité de l’Europe et doivent libérer leur potentiel
d’innovation. L’utilité sociale ou sociétale de l’université est ainsi redéfinie. Les universités
européennes font face à un changement majeur, elles ne sont plus considérées comme des
institutions capables de participer à l’avènement de la citoyenneté européenne mais comme
des établissements se devant de participer au développement économique de l’Europe.
On comprend, alors, que celles-ci rentrent dans la concurrence et soient classées sur des
« critères d’excellence ». Le principe de distinction va donc aussi opérer entre les universités
d’un même pays. Les pouvoirs publics vont chercher à le valoriser au détriment d’un principe
51
d’unification.
Ainsi, les établissements d’Enseignement supérieur doivent changer leur
stratégie et s’inscrire dans la compétition internationale.
L’image de la recherche se voit, elle aussi, transformée. Une concurrence accrue est
mise en place entre les différents centres de recherche. On évalue leur productivité. Les
centres sont invités à multiplier les liens entre recherche publique et recherche privée.
La recherche n’échappe donc pas à la mise en place d’un dispositif de « compétitioncoopération » qui ne prévoit pas de politique commune pour les différents systèmes
52
nationaux de Recherche.
L’Espace Européen de la Recherche voit ses grandes
orientations infléchies. Il est maintenant réfléchi en termes de marché. L’Espace Européen
de la Recherche, tel qu’il est construit, ne sert pas seulement la science, il est victime d’un
47
RAVINET, Pauline et MULLER, Pierre. Construire l’Europe en résistant à l’UE ? Le cas du processus de Bologne. CAIRN, 2008/4.
664 p. Collection Education et Sociétés, volume 154. ISBN 2-8041-5758-6
48
CHARLIER, Jean-Emile, Faire du processus de Bologne un objet d’analyse. Cairn.Info, 2009/2. 118 p. Collection Education et
Sociétés, n°24. ISBN 97828041026992
49
Ibid., 115 p.
50
CROCHE, Sarah. Evolution d’un projet d’Europe sans Bruxelles. Le cas du processus de Bologne. 2009/2. 25 p. Collection
Education et Sociétés, n°24
51
BRUNO, Isabelle. 2010 : L’Odyssée de l’ «espace européen de la connaissance », comment la stratégie de Lisbonne
gouverne les politiques d’enseignement supérieur, dans L'Enseignement Supérieur entre Nouvelle Gestion Publique et Dépression
Economique, Analyse comparée et essai de prospective. Université de Paris Ouest Nanterre La Défense, 2009/12. 4 p.
52
Ibid., 8 p.
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27
L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
pilotage dont les finalités sont socio-économiques. Nous ne sommes dès lors plus dans la
relation traditionnelle des universités avec la Recherche.
Cette partie doit aussi s’attacher à déterminer quelle vision de la Science est maintenant
portée par l’Espace Européen de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Il est
intéressant de remarquer que l’image de la Science et sa finalité ont elles aussi évolué et
subi des mutations. La stratégie de Lisbonne véhicule une certaine conception de la Science
et de la Recherche qui n’était pas du tout présente au début du processus de Bologne.
La marchandisation de la Recherche et le modèle de l’université entrepreneuriale n’étaient
pas des thèmes portés par la Déclaration de la Sorbonne et la Déclaration de Bologne.
La Science ou les Sciences sont aujourd’hui perçues comme des produits commerciaux
comme les autres : c’est bien cette vision spécifique de la Science qui est portée par le
« Nouveau Bologne ». La Science, de part la mise en compétition des pôles de Recherche
qui doivent participer à la construction de l’Economie de la Connaissance la plus compétitive
au monde, n’est envisagée que comme une production pour de l’efficacité technique. Cette
vision est bien entendu une vision marchande de la Science et elle est transmise par les
nouvelles images de l’université et de la recherche portées par le processus depuis son
imbrication avec la stratégie de Lisbonne. Il est capital de souligner que la perception des
Sciences, mais aussi de leur utilité sociale, est aujourd’hui très éloignée de celle des débuts
du processus. Cependant, cette nouvelle vision des Sciences et de la Science a été intégrée
et diffusée par les différents acteurs. La Commission Européenne et les Etats contribuent à
la renforcer, en mettant en place des politiques de « pilotage » des pôles de Recherche, en
récompensant ceux qui correspondent aux critères attendus.
La question de la relation entre « pouvoir et savoir » se pose alors d’elle-même. Il faut
évidemment se demander pourquoi les Etats ont décidé de porter au niveau européen les
sujets que sont les sciences, les universités et la recherche. Nos sociétés européennes sont
des sociétés de savoir et des sociétés de plus en plus complexes. Maintenant, même des
actes simples requièrent un savoir technique. Ainsi, le pouvoir de peut pas rester indifférent
aux pouvoirs techniques ni aux recherches fondamentales qui sont à leur principe. Cet
intérêt du pouvoir pour le savoir ne relève cependant pas d’un pur désir de connaissance
mais plutôt de la volonté de participer et d’organiser un processus d’accréditation d’une
53
pensée comme vraie.
Le pouvoir cherche à poser la norme qui permettrait de trancher
entre le « vrai » et le « faux », entre « l’acceptable » et « l’inacceptable », entre le normal
et l’anormal. Dans le cas du processus de Bologne, la norme maintenant envisagée est la
rentabilité économique.
Le « Nouveau Bologne » a réussi à mettre en place une reconfiguration des relations
entre pouvoir et savoir. Il semble pertinent donc, de s’intéresser à ces politiques qui
tendent à standardiser et à encadrer le savoir. Comme nous l’avons vu précédemment,
les pôles de recherche sont tenus de travailler dans des domaines innovants et le résultat
de leurs recherches doivent pouvoir être « rentable », c'est-à-dire transformables en
applications commerciales. Le Etats engagés dans le processus mais aussi, bien sûr,
l’Union Européenne allouent des financements aux pôles qui correspondent aux critères
d’efficacité et de rentabilité avancés par les politiques : c'est-à-dire aux pôles considérés
comme les plus compétitifs. Il apparaît aventureux de parler de « Science d’Etat » mais ce
qu’il est pourtant possible d’affirmer c’est que pour survivre, ces pôles de Recherche doivent
se plier aux critères avancés, critères purement techniques à finalités économiques qui sont
fortement orientés par l’idéologie néolibérale dont le « Nouveau Bologne » est l’expression.
53
28
ZARKA Y.C. L’évaluation : un pouvoir supposé savoir. Cités, 2009/1. N°37, p. 113-123. ISBN : 9782130572510
MAULET Léa_2010
I/ Le processus de Bologne : Un projet intergouvernemental pour l’Enseignement supérieur, altéré
par son imbrication à la Stratégie de Lisbonne
Le Processus de Bologne était à sa naissance, un projet intergouvernemental
d’harmonisation et de rapprochement des systèmes universitaires européens. Le fer de
lance était la mise en place d’une structure universitaire en deux puis en trois cycles, visant
d’une part à améliorer les systèmes nationaux et à les rendre plus lisibles non seulement
au sein même de l’Europe mais aussi à l’international, et portant en lui, d’autre part,
l’idée qu’une européanisation d’un genre différent, éloignée des institutions européennes,
pouvait voir le jour. Cependant, il n’a pu échapper aux matrices cognitives développées
les décennies précédentes. Cela relativise fortement son caractère novateur et explique la
place progressivement accordée à la Commission Européenne au sein du processus. Le
processus a petit à petit intégré des objectifs politiques qui n’étaient pas les siens et ceci est
en partie lié à l’intégration de la Commission au sein des instances de pilotage. Il faut, par
conséquent, en conclure que l’Union Européenne, exclue d’emblée du Processus, a réussi à
s’y intégrer et plus encore a réussi à le réorienter sans avoir à affronter de franches et réelles
oppositions. Par ailleurs, le Processus de Bologne peut bien être qualifié de dispositif au
sens foucaldien du terme. Un dispositif en formation a été activé, tout d’abord, par la volonté
de Claude Allègre de rapprocher différents acteurs du secteur de l’Enseignement supérieur,
mais surtout par le rôle actif d’institutionnalisation que la Commission Européenne a réussi
à opérer.
La mutation du Processus s’est évidemment faite de manière progressive et ce n’est
que fin 2005, qu’il est possible d’observer que celui-ci s’est littéralement fait absorber par
la Stratégie de Lisbonne. La Commission a brillamment réussi à inscrire dans les textes
sa propre vision et ses ambitions politiques pour l’Espace Européen de l’Enseignement
Supérieur, mais aussi pour la Recherche. Les Etats parties ont accepté, de manière passive,
la réduction de leur rôle dans l’orientation du processus, ils sont devenus des entités dont
la principale prérogative est celle de proposer des ajustements techniques aux objectifs
politiques du « Nouveau Bologne ». Les Etats se sont eux-mêmes prononcés pour une
réforme des universités et des pôles de recherche sous pilotage de l’Union Européenne. Ils
ont par conséquent, eux aussi, contribué à l’instauration d’une société de la connaissance
qui porte en elle une réelle révolution culturelle. Le nouvel espace envisagé est pensé, codé
et perçu comme un terrain de compétition, dont l’instrument de pilotage est la MOC. On
n’est plus, dès lors, dans le projet mais bien dans le dispositif.
L’étude de la mutation du processus de Bologne a par ailleurs permis de mettre
en lumière les rapports de pouvoir au sein de l’espace européen de la connaissance.
Gouvernants et gouvernés sont maintenant situés sur un plan d’équivalence où tous sont
soumis à l’épreuve de la concurrence pour être davantage performants et compétitifs. Un
nouveau type de relation a été érigé, une gouvernementalisation « qui n’a ni frontières ni
limites sectorielles, qui a pour mode opératoire l’arsenal managérial et pour programme
54
l’utopie néolibérale». Ce qu’il faut maintenant étudier est l’impact de la Nouvelle Gestion
Publique sur ce projet d’Espace Européen de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche
et plus spécifiquement sur l’Université. En effet, le « Nouveau Bologne » promeut les outils
de la Nouvelle Gestion Publique qu’il faut lire dans le contexte de la réforme de l’Etat et
qui accompagnent une réelle désacralisation de l’institution universitaire et touchent au
plus symbolique : ses principes. Le projet initial n’avait pas pour but d’imposer une vision
managériale de l’université, il va donc falloir expliquer en quoi consiste cette vision et quelles
sont ses traductions empiriques.
54
BRUNO, Isabelle. 2010 : L’Odyssée de l’ «espace européen de la connaissance », comment la stratégie de Lisbonne
gouverne les politiques d’enseignement supérieur, dans L'Enseignement Supérieur entre Nouvelle Gestion Publique et Dépression
Economique, Analyse comparée et essai de prospective. Université de Paris Ouest Nanterre La Défense, 2009/12. 17 p.
MAULET Léa_2010
29
L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
II/ La mise en place d’un projet européen
guidé par une vision managériale de
l’Université : Une seconde dénaturation
du processus de Bologne
Le projet de construction d’un Espace Européen de l’Enseignement Supérieur et de la
Recherche a subi une première mutation due à son imbrication avec la stratégie de
Lisbonne et sa matrice cognitive inspirée de l’idéologie néolibérale. Cette deuxième partie
va s’attacher à démontrer que la mise en place du processus de Bologne ne correspond
pas non plus aux attentes du projet initial. L’introduction de la Nouvelle Gestion Publique
au sein de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche a contribué au rétrécissement des
ambitions politiques présentes dans le processus de Bologne. Le recours à la Nouvelle
Gestion Publique a pour finalité d’ériger en modèle un nouveau type d’université qui
pourra correspondre aux ambitions avancées par le « Nouveau Bologne ». Ses ambitions
réduisent le projet initial à une vision managériale, absente au départ, et vont entrainer
une transformation majeure de l’université tant dans son organisation que dans sa finalité.
Les réformes nationales inspirées par Bologne vont œuvrer à transformer l’université pour
la faire correspondre aux nouveaux objectifs avancés, issus quant à eux de la doctrine
néolibérale en vogue en ce qui concerne l’éducation en général.
Il s’agira donc dans un premier temps de s’intéresser à l’impact de la Nouvelle Gestion
Publique et de la pratique managériale sur le fonctionnement de l’université mais aussi sur
l’ensemble des acteurs qui la constituent. Pour ce faire il faudra mener une analyse de la
conception du secteur public véhiculé par la NGP et interroger la place et le rôle de l’Etat
dans la construction des politiques publiques d’Enseignement Supérieur et de Recherche.
Par ailleurs, le mouvement de réforme des universités est vaste en Europe, il parait donc
pertinent d’en donner un exemple. Ainsi, le contenu et les effets de la loi française, du 10
Aout 2007, relative aux libertés et responsabilités des universités seront analysés dans cette
partie.
Puisque l’introduction de la Nouvelle Gestion Publique au sein des universités a pour
ambition de pousser ces établissements vers l’efficacité et l’excellence, il semble primordial
de réfléchir aux critères à partir desquels cette qualité de l’université est évaluée. Le concept
de qualité est certes séduisant mais il est aussi ambigu. Il prend tout son sens quand des
politiques d’Enseignement supérieur sont évaluées en son nom ou quand il est lourdement
chargé de valeur. Il faut souligner que l’écart entre le discours sur l’excellence et la réalité
de la régulation des universités sur le terrain fait l’objet d’importantes controverses. En
effet la qualité s’impose comme une évidence : « nous préférons tous une qualité élevée à
une qualité médiocre ». Cependant, l’objectif d’un enseignement de qualité est hautement
politisé puisque sa réalisation implique des mesures politiques qui sont loin d’aller de soi.
30
MAULET Léa_2010
II/ La mise en place d’un projet européen guidé par une vision managériale de l’Université : Une
seconde dénaturation du processus de Bologne
55
Pour cette raison, cette partie consacrera une réflexion sur les systèmes d’évaluation
issus de la Nouvelle Gestion Publique auxquels sont soumises les universités européennes.
Cette analyse, portant sur des systèmes dont la rationalité et la neutralité sont vantées
par le processus de Bologne, visera à démontrer qu’ils sont eux aussi porteurs d’une
idéologie marquée. L’évaluation devient dès lors un outil du pouvoir établi. Pour mener à
bien cette réflexion sur l’évaluation, il faudra s’intéresser à la relation que le pouvoir (l’Etat,
les institutions ou l’Union Européenne) entretient avec le savoir. Plus précisément, il est
intéressant d’analyser la manière dont le pouvoir va construire la légitimité scientifique sur
laquelle se base l’évaluation des universités et de la Recherche.
2.1 L’Enseignement supérieur en proie à la Nouvelle
Gestion Publique: La promotion d’un nouveau modèle
universitaire en Europe
La Nouvelle Gestion Publique va s’implanter en Europe dans le contexte de la réforme
de l’Etat Providence et va s’imposer comme l’instrument de rationalisation, par excellence,
des services publics. Il semble pertinent d’en présenter d’abord les différentes facettes
et d’expliquer son émergence. Cependant, le cœur de cette partie sera consacré à
l’application de la Nouvelle Gestion Publique au domaine de l’Enseignement Supérieur et de
la Recherche et tout particulièrement à la manière dont celle-ci implique une restructuration
de l’Université en tant qu’institution et une refonte des relations entre cette dernière et l’Etat.
Ce nouveau type de rationalité fortement promu par le Nouveau Bologne n’est pas indifférent
à l’idéologie néolibérale et il faudra par ailleurs le souligner.
2.1.1 Le recours à la Nouvelle Gestion Publique présenté comme
inévitable dans le contexte de la réforme l’Etat
La Nouvelle Gestion Publique telle qu’elle transparait dans le Processus de Bologne après
son imbrication avec la Stratégie de Lisbonne est un paradigme provenant des pays anglosaxons. Elle est née dans les années quatre vingt de la combinaison de deux éléments :
la domination des gouvernements néolibéraux (en particulier ceux de Margaret Thatcher
et de Ronald Reagan) et la crise de l’Etat Providence. Fortement promue et publicisée
par la plupart des institutions financières internationales, comme la Banque Mondiale et
le Fond Monétaire Internationale, elle atteint sa pleine réalisation dans les années quatre
vingt dix. La Nouvelle Gestion Publique est en partie issue de l’impérialisme économique
néoclassique au sein des sciences sociales et d’autre part de la tendance à aborder toutes
les questions avec des méthodes économiques néo libérales.
56
De manière concise, la Nouvelle Gestion Publique pourrait être définie de la façon
suivante : elle consiste en un transfert de principes issus du marché et du monde du travail
55
SAARINEN, Taina. Brève histoire de la qualité dans la politique européenne de l’enseignement supérieur : analyse des
discours sur la qualité et de leurs conséquences sur les changements de politique. 2009/2. 79 p. Collection Education et Sociétés, n°24.
56
DRECHSLER, Wolfgang. The Rise and Demise of the New Public Management dans The Post-autistic economics review, n°
33. 2005/9. 1 p.
MAULET Léa_2010
31
L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
et un transfert de techniques de management issusdu privé vers le secteur public. Cette
première définition mérite cependant d’être étoffée pour comprendre ce nouveau mode de
gestion. Il faut préciser tout d’abord que l’ensemble des principes mobilisés par la NGP
sont basés sur une approche néolibérale de la notion d’Etat et d’Economie. Ceci signifie
en clair que le but recherché est tout d’abord la mise en place d’un Etat minimal dont
l’activité publique serait peu élevée et surtout exercée en accord avec des principes dits
« d’efficacité ». La notion d’efficacité est évidemment au cœur de la NGP qui se présente
comme le nouveau type de « rationalité » par excellence et englobe un ensemble de
concepts de plus en plus employés de nos jours comme la gestion de projet, l’orientation
des clients, la disparition des carrières publiques, la dépolitisation et la contractualisation.
Enfin, selon W. Dreschler, la Nouvelle Gestion Publique est basée sur le mythe que tout ce
qui est pertinent peut par nature être mesuré de manière quantitative et que tout jugement
qualitatif est superflu.
57
La particularité de la Nouvelle gestion Publique est qu’elle ne discerne pas une
divergence d’intérêt entre la sphère du privé et celle du publique. L’utilisation de techniques
ou principes issus du monde du travail et du management au sein de la sphère publique
va contribuer à rendre confus ce que chaque citoyen peut exiger de son Etat et surtout va
contribuer à modifier les compétences qui lui sont attribuées. En effet, si l’Etat moderne
est défini par le monopole de la violence physique légitime et par son devoir d’œuvrer
pour l’intérêt général et de maintenir le bien public, le monde du travail, quant à lui, est
légitimement centré sur la maximisation du profit. On peut dès lors se demander si un même
outil, ici les méthodes managériales issues du privé, peut réellement s’avérer efficace dans
un secteur dont la fin est tournée vers le bien commun. Encore, bien sûr, faut-il réfléchir à la
légitimité de la définition du concept d’efficacité que la Nouvelle Gestion Publique circonscrit
à une dimension financière.
L’émergence de la Nouvelle Gestion Publique et l’alignement de l’ensemble des pays
européens sur ce type de rationalité ne se sont pas faits par hasard. Il faut tenter de retracer
le passage du Vieux Management Public à la Nouvelle Gestion Publique en n’oubliant
pas que celui-ci s’est opéré dans le contexte de la réforme de l’Etat Providence. Les
défenseurs de la Nouvelle Gestion Publique prennent pour argument la mondialisation et
les transformations qu’elle a apportées pour justifier ce nouveau mode de gouvernement.
Face à la multiplication des flux, la porosité des frontières, le développement des Nouvelles
Technologies de l’Information et de la Communication, les structures étatiques sont jugées
obsolètes. La Nouvelle Gestion Publique, dans ce contexte de globalisation, entend faire
table rase du modèle administratif de type continental. Non seulement, selon les adeptes de
la NGP, ce modèle est dépassé mais par ailleurs il apparait trop lourd, trop bureaucratique
et surtout ennemi de l’innovation et du progrès.
Depuis le Consensus de Washington l’idée développée est que « moins de
gouvernement est mieux », alors que l’idée qui aurait pu être développée est qu’un « meilleur
58
gouvernement est mieux ».
Dès les années quatre vingt, on voit émerger des
réformes allant toutes dans le sens d’une transformation de l’Etat et d’une redéfinition de
son périmètre de compétences. La figure de l’Etat Stratège, apparue dans les années
2000, est la mise en mots de la pratique des élites politico administratives des années
précédentes, symbolisées par la renonciation de l’Etat à sa prétention à la toute puissance
57
58
Ibid.
Pour une argumentation en faveur du renforcement des compétences de l’Etat cf. DRECHSLER, Wolfgang. The Rise and
Demise of the New Public Management. The Post-autistic economics review, n° 33. 2005/9. 7 p.
32
MAULET Léa_2010
II/ La mise en place d’un projet européen guidé par une vision managériale de l’Université : Une
seconde dénaturation du processus de Bologne
59
mais aussi au dirigisme.
L’expression « Etat Stratège » signifie que les gouvernements
sont tenus de se concentrer sur cette fonction de stratège en se déchargeant tout à la fois
des tâches de production mais aussi de contrôle de la fourniture de service public. Ainsi,
l’Etat n’est plus tenu de « faire » mais il doit « faire-faire » dans la sphère publique pour plus
« d’efficacité » et de « rationalité ». Pour cette raison, Annie Vinokur parle d’un passage d’un
60
Etat « rameur » à un Etat « skipper », ce qui signifie « capitaine ». L’Etat devient dés lors
un acteur comme les autres en ce qui concerne l’émergence des politiques publiques. On
substitue à la verticalité des rapports d’autorité et de subsidiarité, l’horizontalité des relations
contractuelles.
Le type de rationalité promu par la Nouvelle Gestion Publique, apparue dans le contexte
de la réforme de l’Etat, est certes plus qu’une mode. Elle est bien une idéologie basée sur
le crédo néo libéral. Il ne faut pourtant pas sous estimer l’importance des « tendances »
qui peuvent expliquer pourquoi un paradigme s’impose comme incontournable aux yeux
des dirigeants. Il a, en effet, été souligné que l’outil qu’est la Nouvelle Gestion Publique
est devenu une référence pour l’ensemble des gouvernements européens dans des
secteurs variés de l’administration publique et est aujourd’hui au fondement de toute
politique publique. Ainsi, la réforme du secteur public est en vogue et aucun gouvernement
respectable ne peut envisager de l’ignorer. Il est difficile d’expliquer comment cette tendance
s’est établie mais certains auteurs, comme Wright en 1997, affirment qu’une partie de la
61
réponse réside dans la diffusion du modèle par les institutions internationales.
Au sein
de ces institutions référentes et influentes, l’idée a germé que l’utilisation des techniques
managériales dans le public sont synonymes de franc progrès. Par conséquent, pour
apparaître novateursaux yeux de la communauté internationale et pour être à la hauteur de
leurs concurrents, les gouvernements des pays occidentaux ont entamé des réformes du
secteur public porteuses de ces différents principes.
62
Le paradigme de la Nouvelle Gestion Publique véhicule donc l’idée qu’une réforme
de l’Etat est indispensable et qu’elle doit entrainer une réduction des compétences et
prérogatives de l’Etat qui est aujourd’hui incapable de faire face aux nouveaux défis qui se
présentent à lui. Que ce soit l’OCDE, la banque mondiale ou la Commission Européenne, les
institutions internationales ne fustigent plus les défaillances de marché, mais celles de l’Etat
bureaucratique et inefficace. Il va sans dire qu’elles véhiculent, par ailleurs, des préjugés
sur la bureaucratie (c'est-à-dire la fonction publique) mais aussi sur l’Etat.
63
Si la Nouvelle Gestion Publique est utilisée dans l’ensemble des politiques publiques, il
ne parait pas étonnant que le domaine de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche n’y
échappe pas. Le changement de vocabulaire utilisé au sein des institutions internationales
est l’expression d’une évolution dans la façon d’aborder l’Education, l’Enseignement
59
DUFOURT, Daniel. Chapitre 9 : Etat stratège. Quelles missions pour la puissance publique pour quelle modernité économique
et sociale dans L’Economie française: Eléments fondamentaux.2008. ISBN : 978-2-89509-111-0
60
VINOKUR, Annie. « La loi relative aux libertés et responsabilités des universités : essai de mise en perspective ». Revue
de la régulation, n°2, 2008/1. 5 p. Mis en ligne le 28 novembre 2007. URL : http://regulation.revues.org/document1783.html
61
62
DRECHSLER, Wolfgang. The Rise and Demise of the New Public Management dans The Post-autistic economics review,
n° 33. 2005/9. 4 p.
63
Ibid., 7 p.
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33
L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
Supérieur et la Recherche. Il n’est dés lors plus question de « politiques » de l’éducation
mais de « management » de l’éducation. Depuis les années quatre vingt dix, les réformes
universitaires fleurissent en Europe et il est intéressant de souligner leur similarité. Le
« Nouveau Bologne » est, en Europe, la consécration de cette vaine réformatrice. Il
porte en lui, à la fois, l’idéologie néolibérale de l’Economie de la Connaissance et l’outil
présenté comme indispensable à sa mise en pratique, la Nouvelle Gestion Publique. Car
en effet, si l’émergence, au niveau international, de principes issus de la Nouvelle Gestion
Publique dans le domaine de l’éducation est antérieure au Nouveau Bologne, celui-ci
en fait son fer de lance et en impose l’utilisation au différents Etats européens.Le but
poursuivi, en ce qui concerne l’Enseignement Supérieur, est en réalité de passer d’une
organisation universitaire avec peu de taches, à la création d’une machine multi taches,
pour la croissance économique, qui aurait pour objectifs la pertinence, la compétition
internationale, l’excellence et l’entreprenariat. Comme les autres services publics, les
universités devraient elles aussi être exposées à la loi du marché et par ailleurs soumises
64
à des systèmes d’évaluation et de responsabilisation.
Ainsi libérées du contrôle direct
de l’Etat, les universités pourraient accroitre leur efficacité. On passe donc d’un Etat qui
produit des règles en amont et contrôle leur respect à un Etat qui évalue et régule en aval
le secteur de l’Enseignement Supérieur. Par ailleurs, de nouveaux instruments de pilotage
de l’Enseignement Supérieur, plus centrés sur les résultats, vont être introduits au sein des
universités. Après cette brève allusion à la transformation des universités qu’induit le recours
à la NGP, il s’agit maintenant de détailler son implantation en leur sein et de rentrer dans
les détails de leur nouvelle organisation en prenant l’exemple français de la Loi Relative à
l’autonomie des Universités.
2.1.2 L’implantation de la Nouvelle Gestion Publique au cœur des
universités: L’exemple français de la loi relative aux Libertés et
Responsabilités des Universités (LRU)
L’idée générale promue par la Nouvelle Gestion Publique et visant à transformer les
universités européennes est de laisser les établissements définir et mettre en œuvre leurs
propres stratégies de développement. Cette transformation se traduit par un renforcement
de la hiérarchie interne et par l’introduction au sein des universités de la rationalité
65
et des formes de rationalisation.
La loi française n°2007-1199, du 10 Août 2007,
relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) est l’un des exemples de ce
mouvement de réforme. Elle vise à « donner consistance à l’autonomie des universités » et
à « favoriser la modernisation de leur gestion dans tous les domaines par un transfert de
compétences nouvelles attribuées graduellement ». La LRU suppose la restructuration des
établissements d’Enseignement et de Recherche mais aussi la transformation du mode de
pilotage de l’offre de chaque établissement.
Le principe au cœur de la LRU est le développement d’une politique par objectifs.
Cette politique a déjà été expérimentée par la mise en place de l’Etat stratège avec la Loi
Organique Relative aux Lois de Finances (LOLF) de 2006, qui officialise l’utilisation des
outils issus de la Nouvelle Gestion Publique. Les principes de la Nouvelle gestion Publique,
64
SCOTT, Alan. NMP in perspective dans L'Enseignement Supérieur entre Nouvelle Gestion Publique et Dépression
Economique, Analyse comparée et essai de prospective. Université de Paris Ouest Nanterre La Défense, 2009/12. 1 p.
65
34
MUSSELIN, Christine. Vers un marché international de l’enseignement supérieur ?2008/6. 17 p.
MAULET Léa_2010
II/ La mise en place d’un projet européen guidé par une vision managériale de l’Université : Une
seconde dénaturation du processus de Bologne
dont s’inspire la LOLF, sont articulés autour d’un vocabulaire précis : performance, résultats,
efficacité, rationalité, indicateurs de performance et rentabilité. Dans les faits, les crédits du
budget de l’Etat sont désormais présentés par objectifs et chacun d’entre eux est assorti
d’indicateurs. La LRU suit exactement la même voie en prévoyant des attributions de budget
basées sur la « performance » des universités ; performance évalués selon des critères
« rationnels ». Tout d’abord, les établissements universitaires doivent mettre en place des
projets annuels de performance. Cependant, la confrontation des objectifs et des résultats et
66
une analyse des écarts doivent aussi faire l’objet de rapports annuels de performance. Les
objectifs perçus comme centraux, que se doivent de viser les établissements universitaires,
sont énoncés en annexe du projet de loi de finances de 2007. Ces objectifs sont avant tout
la visibilité, la lisibilité, l’attractivité internationale et « l’intégration dans le système européen
67
et mondial ». Par conséquent, les indicateurs de résultats qui y correspondent sont ceux
des classements internationaux comme le si controversé classement de Shanghai.
Au cœur de cette politique par objectifs gît l’idée que les universités se doivent d’utiliser
plus efficacement leurs ressources financières. Ayant des « obligations » vis-à-vis des
parties prenantes (étudiants, autorités publiques, marché du travail et société dans son
ensemble), elles se doivent de « maximiser le retour social sur investissement de ces
68
financements ».
Les objectifs universitaires sont en réalité infléchis pour coller aux
moyens financiers disponibles, ou plutôt, de moins en moins disponibles. Cela entraine une
transformation du paysage universitaire. Les universités sont explicitement poussées à se
spécialiser dans des domaines précis pour accroitre leur efficacité et leur « rendement »
ou « leur retour social sur investissement ». Cette politique entraine irrémédiablement une
concentration des financements et un sous financement chronique des domaines « moins
performants ».
L’introduction des méthodes néo managériales, via la LRU, au sein de l’université ne se
traduit pas seulement par cette politique par objectifs mais entraine aussi une transformation
profonde de l’organisation des établissements. La réforme appelle à la mise en place
de structures et de pratiques de gestion efficaces pour créer de véritables « conditions
d’excellence ». Les structures de direction doivent par conséquent avoir un « processus
décisionnel efficace », « une capacité de gestion administrative et financière développée »,
et la possibilité « d’aligner les rémunérations sur les performances ». L’idée principale
est que l’accès à l’excellence ne peut s’obtenir que par le transfert de compétences et
par une autonomisation des universités. La LRU prévoit donc que les établissements
aient l’autonomie de détermination des structures internes, qu’il y ait une possibilité de
fusions entre établissements, que l’université puisse créer des filiales et mettre en place
des partenariats public-privé et enfin, qu’elle ait la maitrise du patrimoine immobilier. La
LRU véhicule la croyance que l’université « moderne » ne peut continuer à être gérée
par l’Etat et sa gestion étant complexe, qu’elle se doit d’être ouverte à des professionnels
extérieurs. Il faut évidemment entendre par « professionnels extérieurs », employés du privé
et plus spécifiquement chefs d’entreprise sachant gérer et manager une « organisation ».
66
VINOKUR, Annie. « La loi relative aux libertés et responsabilités des universités : essai de mise en perspective ». Revue
de la régulation, n°2, 2008/1. 9 p. Mis en ligne le 28 novembre 2007. URL : http://regulation.revues.org/document1783.html
67
68
Ibid., 10 p.
Le rôle des universités dans l’Europe de la connaissance.
Communication de la Commission des communautés
européennes. Bruxelles, 2003/2. 15 p.
MAULET Léa_2010
35
L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
N’oublions pas que la LRU vise à faire pénétrer au sein des universités publiques un
nouveau mode de gestion issu des méthodes et des principes du privé.
L’attribution de nouvelles compétences aux instances internes des universités, CA et
Présidence, visent à remettre les établissements au centre de la gestion des ressources
69
humaines en les invitant à en définir les lignes directrices.
Par exemple, le transfert de
compétences et d’autonomie passe aussi par la maitrise de la masse salariale. La LRU
donne aux universités des instruments leurs permettant d’influer sur la gestion de leurs
personnels fonctionnaires. Il s’agit encore ici selon la réforme de « rendre plus efficace la
gouvernance des universités en clarifiant les domaines de compétences de deux principaux
70
organes, le Conseil d’Administration et la Présidence ».
Les universités possèdent des
instruments nouveaux pour adapter les conditions de travail et les rémunérations des agents
fonctionnaires relevant d’un statut national et nous en donnerons quelques exemples. Cette
nouvelle compétence introduite par la LRU pose évidemment des questions sur le statut du
personnel fonctionnaire. En clair, les universités, étant déjà passées à la LRU, obtiennent le
transfert, au budget propre des établissements, des crédits d’Etat correspondant à la masse
71
salariale des agents d’Etats affectés à l’établissement. De plus, la LRU offre à l’université
un contrôle accru des recrutements d’enseignants statutaires. Les établissements disposent
désormais d’une influence décisive sur le choix du recrutement de personnels enseignants
chercheurs. La nouveauté est que les propositions transmises au ministre sont maintenant
établies par le CA restreint après avis motivé d’un comité de sélection. Notons, en passant,
que ce comité de sélection est nommé par le CA sur proposition du président. En ce qui
concerne la répartition des obligations de services des personnels d’Enseignement et de
Recherche (l’équilibre entre travail administratif, enseignement et recherche), les principes
généraux ne dépendent plus exclusivement des textes nationaux puisqu’’ils sont définis
par le CA. Ce désinvestissement progressif de l’Etat laisse à penser que les situations
varieront du tout au tout d’une université à l’autre puisque le cadre commun de référence
est volontairement réduit.
La LRU prévoit, d’autre part, une embauche facilitée de personnels contractuels
pour les établissements sous réserve de quotas fixés par contrat par le ministère pour
chaque établissement. C’est le contrat pluri annuel d’établissement qui fixe maintenant
le pourcentage maximum de la masse salariale que l’établissement peut consacrer au
recrutement des agents contractuels. Le volume de cette masse salariale fait l’objet
d’une négociation avec la tutelle, tous les quatre ans, au moment de la préparation du
contrat d’établissement. Le terme de négociation sous entend, une fois de plus, que le
transfert de compétences tel qu’il est opéré va créer des universités gérées et structurées
différemment. Par ailleurs, le président se voit accordé la possibilité de recruter de nouvelles
catégories de personnels contractuels pour les agents de catégorie A, enseignants et
72
non enseignants. Enfin, le code de l’éducation
interdisait aux établissements publics
à caractère scientifique, culture et professionnel de recruter des agents contractuels par
69
BONHOTAL, Jean-Pascal. La loi sur les libertés et les responsabilités universitaires : le cadre juridique d’une rénovation de
la gestion de ressources humaines dans les universités. 6 p. URL : http://www.collectif-papera.org/IMG/pdf/loiLRUGRH-V41.pdf
70
71
72
Ibid., 1 p.
Art L.712-9 de la LRU. Texte en annexe.
En droit français, le code de l’éducation est le code qui regroupe des dispositions législatives et réglementaires relatives
à l’enseignement primaire, secondaire et supérieur.
36
MAULET Léa_2010
II/ La mise en place d’un projet européen guidé par une vision managériale de l’Université : Une
seconde dénaturation du processus de Bologne
contrats à durée indéterminée ; la LRU lève cette interdiction dès lors que l’université aura
installé son nouveau CA.
Le dernier transfert de compétence en ce qui concerne la gestion de la masse salariale
concerne la modulation des rémunérations. En matière de régimes indemnitaires, la LRU
prévoit que ce soit le CA qui définisse les règles générales d’attribution des primes aux
personnels. Le président est le seul à prendre les décisions individuelles à cet égard,
toutes catégories de personnels confondues. Ainsi, les universités peuvent introduire de
fortes modulations dans la répartition des primes encadrées par des textes nationaux et
aussi créer des primes propres à l’établissement. Il va donc sans dire que le transfert de
compétences est important, mais encore faut-il avoir les moyens de les exercer.
Le transfert de compétences, présenté comme la solution miracle conduisant à
l’excellence universitaire, s’effectue en réalité dans un contexte de réforme de l’Etat et de
sous-financement public des universités. Cette autonomie, octroyée à l’université, signifie
aussi un alourdissement important des coûts à la charge des universités. En effet, le
transfert de compétence s’accompagne du transfert du financement de ces compétences.
On peut par conséquent se demander si ces dernières auront les moyens financiers
d’assumer l’autonomie qu’on leur fait miroiter. Il faut rappeler qu’en Europe, les dépenses
publiques pour l’éducation dans son ensemble n’ont pas augmenté en proportion du PIB.
Les dépenses totales pour le seul Enseignement supérieur n’ont pas non plus augmenté
proportionnellement à la croissance du nombre d’étudiants. L’écart avec les Etats-Unis s’est
creusé depuis quelques années ; ceux-ci consacrent 2,3% de leur PIB à l’Enseignement
73
supérieur tandis que l’Europe y consacre 1,1 %.
Le discours officiel de la Commission
Européenne et des Etats membres est que l’écart ne peut être comblé dans sa totalité par
les seuls fonds publics additionnels. Au vu de leur situation budgétaire, les Etats membres
auraient une marge de manœuvre très limitée pour l’augmentation du soutien public. Ainsi,
le « déclin des ressources publiques » et la « contrainte » budgétaire obligeraient à
dégraisser les « mammouths » des universités publiques et à «privatiser » l’Enseignement
supérieur, c'est-à-dire les pousser à diversifier leurs sources de financements. Le terme
de « privatisation » fait certes polémique mais la privatisation n’est ici pas uniquement
mesurée à l’aune de la nature des fonds collectés. Elle se manifeste également par
la transformation des modes d’allocation des financements publics et par le retour à
des mécanismes plus compétitifs centrés sur les résultats et les projets. Selon Christine
Musselin la privatisation « ne passe pas par un glissement du public vers le privé mais
par une augmentation de la sphère d’intervention du premier via la mobilisation et le
74
renforcement du second ».
Pour en revenir au discours sur le déclin des ressources
publiques et la contrainte budgétaire, il faut souligner qu’il est clairement porteur d’une
stratégie politique : la réduction des dotations publiques est un moyen de contraindre
les établissements à s’ouvrir aux demandes des autres agents. Instituée par la LRU,
l’autonomie financière des établissements, qui leur confère la liberté de chercher des
recettes extrabudgétaires dans des activités commerciales et des revenus de fondations,
73
Le rôle des universités dans l’Europe de la connaissance.
Communication de la Commission des communautés
européennes. Bruxelles, 2003/2. 13 p.
74
MUSSELIN, Christine. Vers un marché international de l’enseignement supérieur ?2008/6. 23 p.
MAULET Léa_2010
37
L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
fait aussi partie de cette stratégie politique. Selon Annie Vinokur, « l’enjeu est peut-être
moins le volume du financement public que le pouvoir d’en décider l’usage ».
75
Dans ce contexte européen de sous financement chronique de l’Enseignement
supérieur, on peut se demander comment les universités réussiront à assumer les
coûts d’administration supplémentaires que les transferts de compétences, que nous
avons exposés précédemment, entraineront. Par ailleurs, le besoin de financement
76
supplémentaire ne porte pas exclusivement sur la gestion des universités.
Le coût
de la compétition entre établissement qui porte sur l’image de qualité est lui aussi élevé.
L’acquisition de labels, la publicité, le marketing, le lobbying, le recrutement de « stars
universitaires », les équipements nécessaires pour mettre en place cette visibilité, cette
lisibilité et cette attraction internationale, tant vantée et par la LRU et par le Nouveau
Bologne, coûtent extrêmement cher aux établissements. La compétition est particulièrement
onéreuse.
La hausse du financement public semblant exclu de la politique menée actuellement,
trois idées ont été développées pou répondre au problème de financement. La première
est celle de pousser les universités à trouver des financements via des fonds privés
comme proposé par la LRU. Cette première idée pose la question de l’intégration et de
la gestion de ces fonds. On peut se demander si les universités réussiront à garder leur
indépendance et supporteront la pression des « donateurs » qui demanderont un « retour
sur investissement ». La seconde est d’inciter les universités à tirer des revenus de la vente
de service, notamment aux entreprises, mais aussi de l’exploitation de la recherche. En
effet, la LRU demandent aux universités de tirer un profit commercial de leurs activités de
77
recherche pour se financer.
Cette seconde option est porteuse d’une vision de la
Science et de la Recherche très mercantile et va pousser les universités à se spécialiser
dans des domaines où les résultats de la Recherche pourront être directement convertis en
innovation. Enfin, la dernière solution envisagée est celle de la contribution des étudiants
sous la forme de frais d’inscription. A l’étranger, les coûts de gestion et de compétition
des universités sont largement supportés par la hausse des droits d’inscription. Ceux-ci
ont été exclus de la LRU par Valérie Pécresse en référence à la nécessité d’assurer en
France des conditions démocratiques d’accès à l’enseignement supérieur. En effet, pour
éviter l’opposition étudiante, la ministre s’est engagée à maintenir le principe de quasigratuité de l’Enseignement supérieur. Une participation financière accrue des étudiants n’est
pas illégitime dans la conception française du service public, qui autorise et pratique le
partage du coût du service public entre contribuables et usagers. Si dans cette conception, la
participation des usagers est dès lors un « tarif relevant d’un barème politiquement décidé,
78
celle qui autorise chaque université à fixer ses propres droits d’inscription en fait des prix ».
A l’étranger, l’expérience a montré que la hausse des coûts d’études enjoint les universités
à faire supporter le coût de la compétition aux étudiants et les pouvoirs publics à réduire
75
VINOKUR, Annie. « La loi relative aux libertés et responsabilités des universités : essai de mise en perspective ». Revue
de la régulation, n°2, 2008/1. 5 p. Mis en ligne le 28 novembre 2007. URL : http://regulation.revues.org/document1783.html
76
77
Ibid., 12 p.
Le rôle des universités dans l’Europe de la connaissance.
Communication de la Commission des communautés
européennes. Bruxelles, 2003/2. 14 p.
78
VINOKUR, Annie. « La loi relative aux libertés et responsabilités des universités : essai de mise en perspective ». Revue
de la régulation, n°2, 2008/1. 15 p. Mis en ligne le 28 novembre 2007. URL : http://regulation.revues.org/document1783.html
38
MAULET Léa_2010
II/ La mise en place d’un projet européen guidé par une vision managériale de l’Université : Une
seconde dénaturation du processus de Bologne
leur participation. Enfin, cela fait naitre un endettement en spirale des étudiants au bénéfice
du secteur financier.
Sans vouloir dans un premier temps discuter de la légitimité des principes portés
par la LRU, il apparaît clairement dans cette partie que les universités vont connaître de
grandes difficultés à rassembler les moyens financiers nécessaires à la réalisation des
objectifs annoncés par le gouvernement. Elles n’ont pas les moyens de leur autonomie
et la LRU ne donne pas aux universités la possibilité d’être compétitives à l’échelle
internationale. Les conditions de concurrence libre et non faussée ne sont pas remplies
car les universités n’auront pas les mêmes financements ni les mêmes moyens matériels
et humains. Bien sûr, la course aux financements qu’entraine le passage des universités
à la LRU risque d’entraîner par ailleurs une désertification de certains territoires du savoir
et une spécialisation appauvrissante au point de vue du développement régional et de la
79
compétitivité internationale. Si la mise en œuvre des textes ne permet la réalisation des
objectifs avancés, il faut maintenant s’intéresser à la légitimité de ces derniers et des moyens
pour y parvenir.
2.1.3 Un modèle universitaire pétri de principes issus de la doctrine
néolibérale : L’Université entrepreneuriale
L’introduction de la Nouvelle Gestion Publique et l’utilisation de ces instruments et principes
au sein de l’université n’en a pas transformé aveuglément la structure. Il s’agissait
au contraire de faire correspondre l’université « moderne » à la nouvelle vision de
l’Enseignement supérieur et de la Recherche portée par le « Nouveau Bologne ». Ce qu’il
faudra, par conséquent, démontrer ici est que cette nouvelle gestion présentée comme
neutre et rationnelle est en réalité porteuse d’une idéologie politique. Le « Nouveau
Bologne » a engendré des réformes nationales dont l’objectif était de mettre sur pied
un modèle universitaire, grâce aux outils de la Nouvelle Gestion Publique. Loin d’être
apolitique, celui-ci est le modèle de « l’université entrepreneuriale ». Cette transformation
de l’université sur le modèle de l’entreprise se fait selon deux axes. Tout d’abord, la
réorganisation de la structure universitaire tend à se rapprocher du modèle de l’entreprise.
Ensuite, la définition des objectifs de l’université, de ses acteurs et de leur rôle est inspirée
d’une philosophie basée sur la rentabilité et le profit.
Le Processus de Bologne promeut donc l’éviction d’universités dont le fonctionnement
serait très proche de celui de l’entreprise. Le premier exemple frappant est la
« présidentialisation » des universités au sein desquelles le président voit ses pouvoirs
renforcés à l’image du chef d’entreprise. Le pouvoir de la direction est renforcé au détriment
de celui des personnels et des étudiants dans les conseils ; on s’éloigne du modèle collégial
jugé moins efficace. Par ailleurs, les domaines dans lesquels le pouvoir de la présidence
peut s’exercer sont élargis. En matière de gestion du personnel, si l’on prend l’exemple
français de la LRU, le président a maintenant la possibilité de faire obstacle à la nomination
d’un agent. En effet, la LRU stipule qu’ « aucune affectation ne peut être prononcée si
80
le président émet un avis défavorable motivé ».
Ses pouvoirs sont aussi accrus en
ce qui concerne le recrutement des agents contractuels. Si la LRU crée un comité de
79
80
BONHOTAL, Jean-Pascal. La loi sur les libertés et les responsabilités universitaires : le cadre juridique d’une rénovation de
la gestion de ressources humaines dans les universités. 2 p. URL : http://www.collectif-papera.org/IMG/pdf/loiLRUGRH-V41.pdf
MAULET Léa_2010
39
L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
sélection, celui-ci demeure un organe consultatif en ce qui concerne les agents contractuels
et le président n’est aucunement lié par son avis. Nous avons précédemment vu que les
Conseils d’Administration universitaires doivent assumer des compétences plus larges et
nous venons de souligner que le pouvoir du président sur le CA s’est lui aussi accru. En
réalité, le modèle de l’université entrepreneuriale se traduit par une perte progressive de
collégialité et par une concentration plus importante des pouvoirs entre les mains de la
présidence. Le renforcement de la structure hiérarchique en interne s’inspire de la structure
de l’entreprise.
La nouvelle organisation universitaire se calque aussi sur le modèle de l’entreprise
lorsqu’elle promeut le droit de parole de tous les « stakeholders » quant à la gestion et
au contenu des « produits » fournis par les universités. Les différentes réformes insufflées
par le Processus de Bologne visent toutes à accroitre le rôle de ce qu’on appelle les
« parties prenantes », car les universités européennes sont suspectées d’être très repliées
sur elles-mêmes. Il s’agit d’intégrer davantage les partenaires externes de l’université,
comme les entreprises ou la société civile, mais aussi les partenaires internes, comme
les étudiants ou les salariés. En réalité, les universités vont être amenées à s’ajuster aux
81
intérêts et à la volonté des acteurs.
Elles vont se présenter comme des prestataires
de services, à l’intérieur desquelles les étudiants-clients consommeront ce qu’ils auront
commandé. Ce vocabulaire issu du monde de l’entreprise est très présent dans les textes
de l’OCDE et n’est pas du tout un tabou pour ceux qui mettent en avant ce nouveau modèle
universitaire. Les universités sont donc censées mettre à disposition de leurs étudiantsclients, des produits adaptés à la demande de ceux qui vont les consommer. Le modèle de
l’université entrepreneuriale est défendu par des auteurs tels que Burton Clark, qui avancent
qu’il est important de développer un esprit d’entreprise dans les universités. Ceci implique,
selon lui, que les universités se montrent capables de comprendre les besoins de certains
82
groupes, étudiants ou entreprises, et de répondre à ces besoins.
Cette définition du
rôle de l’étudiant et de l’université, basée sur une relation fournisseur-client, pose plusieurs
problèmes mais nous n’en soulignerons que deux. Tout d’abord, l’accent est mis sur les
acquis pour l’individu et non pas sur une diffusion plus large des bénéfices de l’éducation
au profit de la collectivité. Le second problème concerne la définition implicite de l’objet de
l’éducation comme un « produit » bien défini et délimité.
83
Le modèle de l’université entrepreneuriale n’est donc pas exempt de toute idéologie.
La volonté d’introduire au sein de l’université des objectifs de rentabilité, de profit et de
compétitivité, en clair de promouvoir la marchandisation du savoir, s’inscrit dans le contexte
international de libéralisation des services et de nouveaux marchés tels que l’éducation et
la santé. Cet élan de libéralisation visant à toucher tous les domaines de la vie humaine et
à restreindre l’intervention de la puissance publique est qualifié de néo libéralisme. Etant
donné que le néolibéralisme est la doctrine dominante au niveau international mais aussi
européen, cela renforce l’assertion selon laquelle le modèle universitaire promu par le
« Nouveau Bologne » s’en inspire. Il faut souligner que l’idéologie néolibérale se traduit de
manière différente à travers le modèle de l’université entrepreneuriale.
81
82
MUSSELIN, Christine. Vers un marché international de l’enseignement supérieur ?2008/6. 18 p.
COALDRAKE, Peter. Répondre aux nouvelles attentes des étudiants dans Gestion de l’enseignement supérieur,
enseignement et compétences. Vol 13. OCDE, 2001. 100 p.
83
40
Ibid., 88 p.
MAULET Léa_2010
II/ La mise en place d’un projet européen guidé par une vision managériale de l’Université : Une
seconde dénaturation du processus de Bologne
Tout d’abord, les universités ont une nouvelle mission, celle de produire des agents
immédiatement productifs sur le marché du travail. Cette vision de l’université, purement
utilitariste, est même développée par un directeur de l’institut international de planification
de l’éducation de l’UNESCO. Selon lui, une amélioration de la qualité de l’éducation
et de la transparence dans l’évaluation des compétences ne pourra s’effectuer que si
« les compétences acquises au sein de l’école et des différentes formes d’éducation
informelle répondent le plus exactement possible aux nécessité du marché ». Cette vision
de l’université avance que la formation universitaire ne concerne pas que les étudiants
mais la société en général et prône une optimisation du retour social sur l’investissement
que constitue le financement. Les agents produits par l’université doivent correspondre
aux besoins du marché du travail car « une inadéquation des qualifications offertes et
demandées reflète de ce point de vue une utilisation non optimale des ressources ».
84
Une autre spécificité du modèle de l’université entrepreneuriale est qu’il présente
la Recherche universitaire comme un produit. Le but est de chercher à exploiter plus
efficacement les résultats du travail scientifique. Les universités doivent tout d’abord
contribuer à une meilleure exploitation de la Recherche. Les chercheurs doivent développer
l’innovation technologique en créant davantage de jeunes entreprises appelées « spin off ».
Il faut donc créer des entreprises destinées à exploiter plus efficacement les résultats
des recherches menées par les chercheurs. Les chercheurs doivent commercialiser et
rentabiliser leur recherche. Le type de questions que se posent les défenseurs du modèle
de l’université entrepreneuriale traduit fort bien leurs objectifs : « Comment encourager
les universités et les chercheurs à identifier, gérer et valoriser le potentiel commercial
85
de leurs recherches ? ».
Par ailleurs, pour que la Recherche soit efficacement
exploitée, les universités sont poussées à faire des choix et à concentrer leurs fonds dans
des domaines pour y atteindre un niveau d’excellence. Les universités vont développer
des centres d’excellence, mais il va sans dire que les fonds seront certainement placés
dans les domaines où la traduction de la Recherche en innovation est plus immédiate.
Les financements risquent donc de varier en fonction des branches, mais surtout, la
concentration des financements dans un petit nombre de domaines entrainera la disparition
86
de certains de ces domaines.
De la même manière que les universités financeront en
priorité leurs domaines de prédilection, les Etats financeront aussi en priorité les pôles
d’excellence pour faire face à la compétition mondiale.
Le Processus de Bologne a donc amené chaque Etat parti à implanter sur son
territoire un nouveau modèle universitaire jugé plus rationnel, efficace et productif. Porteur
de l’idéologie néolibérale, ce modèle a recours aux instruments de la Nouvelle Gestion
Publique pour fonctionner. L’université est dés lors envisagée comme une entreprise non
marchande, recevant des financements publics ou privés et disposant de l’autonomie de
gestion de ses actifs et de ses personnels. Le mouvement de réforme engagé par Bologne
84
Le rôle des universités dans l’Europe de la connaissance.
Communication de la Commission des communautés
européennes. Bruxelles, 2003/2. 17 p.
85
86
Ibid.
Ibid., 20 p.
MAULET Léa_2010
41
L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
vise à passer « du modèle de l’obligation de moyen + confiance à celui de l’obligation de
résultats + méfiance ».
87
Si l’université européenne est transformée, tant dans son organisation que dans sa
finalité, la Nouvelle Gestion Publique a aussi mis en place des instruments pour mesurer
les résultats obtenus et quantifier l’efficacité de cette dernière. Il parait donc intéressant de
mener une réflexion sur la problématique de l’évaluation des universités, des universitaires
et de leurs travaux.
2.2 Le recours aux instruments de la NGP pour
évaluer la qualité des universités: un encadrement
calculé des universités et de la Recherche
Le but de l’évaluation est de découvrir d’éventuels défauts au sein des administrations
ou des politiques publiques. En effet, l’évaluation des politiques publiques s’inscrit dans
une recherche de l’efficacité et d’un bon usage des fonds publics. En ce qui concerne le
savoir (les politiques de l’Enseignement supérieur et de la Recherche), cette généralisation
du système d’évaluation est assez récente en Europe et tout particulièrement en France.
La littérature et les dispositifs d’évaluation, de gestion et de contrôle de la qualité des
établissements d’Enseignement supérieur prolifèrent à l’international et en Europe depuis
une dizaine d’années. Avec l’introduction de la Nouvelle Gestion Publique au sein des
universités, l’évaluation a évolué dans sa forme et dans sa finalité. Elle est devenue
l’outil principal pour déterminer la qualité des universités et des travaux universitaires. En
ce qui concerne l’Europe, il va sans dire que le Processus de Bologne et les réformes
des universités ont largement participé à l’institutionnalisation d’une nouvelle méthode
d’évaluation issue de la Nouvelle Gestion Publique. En Mai 2005, le Processus de Bologne
rend même la « démarche de qualité » obligatoire pour les universités européennes. Cette
dernière est définie comme un « outil de régulation des échanges marchands permettant de
88
garantir aux clients une qualité homogène des produits »
. Il apparaît donc pertinent
de s’intéresser à la mise en place de ce nouveau type d’évaluation jugé plus « rationnel ».
Il faudra en décrire les objectifs et les modes opératoires sans oublier de questionner le
mode de rationalité en présence.
2.2.1 Une transformation majeure de la méthode d’évaluation
de l’Enseignement supérieur et de la Recherche : vers une
prépondérance des facteurs quantitatifs
La nature et les modalités de l’évaluation scientifique ont été largement bouleversées
ces dernières années. On a vu naitre une informatisation et un foisonnement massif
87
VINOKUR, Annie. « La loi relative aux libertés et responsabilités des universités : essai de mise en perspective ». Revue
de la régulation, n°2, 2008/1. 6 p. Mis en ligne le 28 novembre 2007. URL : http://regulation.revues.org/document1783.html
88
GARCIA, Sandrine. L’expert et le profane : qui est juge de la qualité universitaire ? Genèses, 2008/1, N° 70. 69 p. ISBN :
2-7011-4835-9
42
MAULET Léa_2010
II/ La mise en place d’un projet européen guidé par une vision managériale de l’Université : Une
seconde dénaturation du processus de Bologne
des classements à l’international et en Europe. Si les universités sont touchées par
ce phénomène, la Recherche et les enseignants chercheurs le sont eux aussi. Ces
classements extrêmement médiatisés, comme le si « renommé » classement de Shanghai,
se veulent rationnels et objectifs.
L’évaluation des travaux issus de la Recherche et des enseignants chercheurs étaient
auparavant un exercice collectif et contradictoire. Cependant, depuis quelques années,
l’encadrement des procédures d’évaluation s’est progressivement resserré et de nombreux
auteurs relèvent un mouvement de structuration de l’évaluation sur le plan national. Il
est possible de trouver différentes causes à cette tendance française et européenne.
Tout d’abord, la Recherche et le Développement ont pris une importance énorme dans la
compétitivité d’un pays. Cet argument corrobore parfaitement avec l’ambition du Processus
de Bologne de se focaliser sur les recherches dont les résultats pourraient être convertis
en innovations technologiques. Par ailleurs, on a vu émerger un marché globalisé de la
connaissance auquel le Processus de Bologne a largement intégré l’Europe. Enfin, cette
tendance peut être en partie expliquée par l’émergence d’une vision idéologique de la finalité
de la Recherche qui l’aborde en termes de maximisation du rendement et donc en termes
de coût/bénéfice.
89
Si la conception de l’évaluation a évolué, la transformation des structures chargées
de la produire en est l’une des formes d’expression. En France, le Comité National de
la Recherche Scientifique (CoNRS), créé en 1945, regroupe des instances composées
d’experts nationaux et internationaux ayant pour mission l’évaluation des chercheurs et
l’analyse de la prospective des unités dans le cadre de la stratégie du CNRS. La loi de
Programme pour la Recherche, du 18 Avril 2006, a abouti a la création d’une nouvelle
institution, l’Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (AERES).
Celle-ci a dépossédé le CoNRS de sa capacité à évaluer les unités de Recherche en
France. L’agence fait en réalité appel à des experts français et étrangers sur proposition des
universités, des organismes de recherche, du CoNRS et du Conseil National des Universités
(CNU). Insistant sur l’indépendance et la transparence de ses évaluations, l’agence
ne cesse de rappeler que chacun de ses comités d’experts inclut systématiquement
un représentant de chaque commission d’évaluation des personnels concernés (CNU,
CoNRS..). En mai 2005, les ministres des Etats participant au Processus de Bologne
ont adopté les Standards and Guidelines for Quality Assurance in the European Higher
Education Area, qui guident les agences européennes d’évaluation, dont l’AERES bien sûr.
Il est intéressant de noter que les critères d’évaluation des établissements ne sont pas
précisés par les textes instaurant l’AERES et sont donc laissés à l’appréciation des comités
d’évaluation, à l’exception de la valorisation des recherches, explicitement citée par la loi.
Les structures et organismes d’évaluation ne sont pas les seuls à avoir changé. Les
critères d’évaluation sont de plus en plus basés sur des facteurs quantitatifs. L’exemple
le plus connu est celui du classement de Shanghai. Ce classement académique des
universités mondiales est un classement établi par des chercheurs de l’université de JiaoTong qui hiérarchise les institutions selon six critères. Il prend en compte, entre autres,
le nombre de prix Nobel parmi les anciens élèves, le nombre de prix Nobel parmi les
chercheurs de l’université, le nombre de chercheurs les plus cités dans leurs disciplines mais
aussi le nombre de publications dans deux revues scientifiques Nature et Science. Voici ce
que le Président d’une université française écrit au sujet du classement de Shanghai :
89
MATZKIN, Alexandre. L’évaluation en sciences exactes : quand la quantité tue la qualité. Cités, 2009/1. N° 37, 44 p. ISBN :
9782130572510
MAULET Léa_2010
43
L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
« Tous les classements sont contestables, et les critères de celui-ci, ne portent
que sur la recherche, font la part belle aux sciences dures classiques, minorent
la technologie et les mathématiques, et font à peu près disparaître les sciences
90
humaines (seule l’économie est prise en compte) ».
Ce classement se base donc largement sur des critères comptables censés évaluer
l’excellence de l’université, des chercheurs et de leurs travaux. Ce type de procédé s’appelle
la bibliométrie. En 1969, Pritchard la définit déjà comme « l’application mathématique et
91
des méthodes statistiques aux livres, articles et autres moyens de communication » . Elle
a aussi un volet opérationnel, en liaison avec l’évaluation, le positionnement des acteurs
et le management scientifique. Dans ce dernier cas, les études bibliométriques permettent
de quantifier la communication d’un individu ou d’un groupe, non seulement en termes
de volume, mais également de visibilité, d’influence, de partenariats et d’insertion dans
les réseaux. Bien qu’une partie des chercheurs expliquent que les indices de citation ne
suffisent pas à détecter la recherche d’excellence, cette technique est très utilisée.
Les procédés de la bibliométrie sont variés mais il apparaît pertinent d’en donner
quelques exemples. Certaines revues scientifiques se sont vues attribuer le statut de
« revues excellentes ». Ce sont celles dont les articles sont le plus souvent cités par les
chercheurs. Pour calculer ce niveau d’excellence, un indice appelé le Facteur d’Impact
(IF) a été créé. Le facteur d’impact est le plus utilisé et est calculé sur deux ans. Il est
défini par le nombre de citations d’articles parus dans la revue au cours des deux années
précédentes. Le fait que l’indice soit calculé sur deux ans souligne que les procédés actuels
de la bibliométrie favorisent le court terme. Cependant, cette méthode n’est pas adéquate
pour certaines sous disciplines, et tout particulièrement pour les Sciences Sociales.
Pour mesurer l’excellence ou la qualité d’un article, l’indice de citation le plus utilisé est
le facteur H. Ce facteur, calculé automatiquement par les bases de données, répertorie le
nombre n d’articles d’un auteur cité au moins n fois. Il est basé sur le postulat que la qualité
d’un article est corrélée avec son influence et donc par conséquent, avec le nombre de fois
où il est cité. En clair, plus un article est cité, plus il est censé être pertinent. Comme la
« qualité » du chercheur est intrinsèquement liée à la « qualité » de ses recherches, un
chercheur est lui aussi évalué à l’aune du facteur H. Cette évaluation quantitative va prendre
le dessus sur le qualitatif et comme il n’y a pas d’argumentation qualitative globale lors
des commissions d’évaluation, des chercheurs peuvent se sont vus refuser des promotions
alors que l’examen qualitatif de leur travail était très positif.
Les problèmes soulevés par la bibliométrie sont importants. Non seulement les
bases bibliométriques sont nécessairement incomplètes, mais la variété des pratiques de
publication en fonction des domaines scientifiques, du fait de la différence des champs
explorés, rend ces indices de qualité caduques. Enfin, la prolifération de ce type de facteurs
pousse à la création de stratégies de citation. Cela peut entrainer les chercheurs à constituer
des réseaux et les amener à se citer mutuellement pour obtenir de meilleurs indices. Ainsi,
le recours exclusif aux indices quantitatifs pour définir la « bonne » recherche donne peutêtre l’illusion aux gouvernements d’une hausse de la productivité et d’un bon retour sur
l’investissement mais il risque surtout de se révéler catastrophique pour le progrès des
90
VINOKUR, Annie. Mesure de la qualité des services d’enseignement et restructuration des secteurs éducatifs. 100 p.
URL : http://netx.u-paris10.fr/foreduc/publications/mesure_4_vinokur.pdf
91
44
MAULET Léa_2010
II/ La mise en place d’un projet européen guidé par une vision managériale de l’Université : Une
seconde dénaturation du processus de Bologne
92
connaissances sur le long terme.
A ce sujet, le plan stratégique du CNRS contient
une ferme mise en garde à l’encontre des dérives visant à donner à la bibliométrie un rôle
prépondérant, voire exclusif. Selon le plan stratégique, ces dérives : « s’accompagneraient
d’un certain formatage des carrières et d’effets pervers pour l’activité de recherche, comme
la minimisation de la prise de risque scientifique, la minimisation de la mobilité thématique,
93
le frein aux échanges public-privé et les stratégies de citations».
Il est donc possible
de conclure qu’une réelle évaluation de qualité ne peut se faire sans comprendre les enjeux
scientifiques propres aux travaux examinés ni sans tenir compte de leur spécificité.
94
2.2.2 Une évaluation basée sur des critères comptables présentés
comme objectifs, en réalité porteuse d’une idéologie et d’un système
L’évaluation a toujours posé la question de l’objectivité ou de la subjectivité des critères
retenus. En effet, évaluer consiste tout d’abord déterminer la valeurde ce que l’on
évalue. Cette opération nécessite par conséquent l’établissement d’une échelle de valeurs,
positives et négatives, qui fait naitre immédiatement différents problèmes. Lorsqu’il est
question de fixer une échelle de valeurs, la question de l’universalité de celles-ci se pose
immédiatement. Il semble normal de se demander quelle est la « valeur » de ces valeurs car
95
aucun système n’a d’objectivité inhérente sauf si l’on prouve son universalité.
Comme
cela a déjà été souligné précédemment, il y avait, avant l’introduction des méthodes de
la Nouvelle Gestion Publique, une confrontation des subjectivités au sujet des évaluations
des enseignants chercheurs et de leurs travaux. Les différents rapporteurs ne prétendaient
pas à l’objectivité absolue contrairement aux méthodes actuelles de l’évaluation. Les
valeurs posées depuis l’introduction de la Nouvelle Gestion Publique dans le monde de
l’Enseignement supérieur et de la Recherche, sont posées par un acte, un acte de volonté
et de pouvoir.
96
La principale particularité du nouveau type d’évaluation utilisé est le souhait de masquer
la subjectivité des valeurs. Comme nous l’avons démontré précédemment, il va y avoir
un passage d’une évaluation qualitative à une évaluation quantitative. On va donc voir
apparaître une généralisation du chiffrage pour justifier un classement et une hiérarchie
en matière de recherche. Pourtant, la mise en place de cette évaluation quantitative ne
s’est pas faite au hasard. L’idée est bien celle de construire une légitimité scientifique et
de trouver un support dans le pilotage de la recherche menée par le gros des chercheurs.
Par le biais du paradigme de la qualité, on voit se mettre en place un « contrôle » ou plutôt
une orientation de la recherche et des universités car les chercheurs se voient indiqués les
92
MATZKIN, Alexandre. L’évaluation en sciences exactes : quand la quantité tue la qualité. Cités, 2009/1. N° 37, 48 p. ISBN :
9782130572510
93
Plan stratégique du CNRS « Horizon 2020 », adopté par le conseil d’administration du CNRS le 1 er juillet 2008, p. 53. Les
différents conseils scientifiques et instances du CoNRS ont également fait part de leur préoccupation dans plusieurs recommandations
et motions publiées en 2007 et 2008.
94
MATZKIN, Alexandre. L’évaluation en sciences exactes : quand la quantité tue la qualité. Cités, 2009/1. N° 37, 49 p. ISBN :
9782130572510
95
96
ZARKA Y.C, L’évaluation : un pouvoir supposé savoir. Cités, 2009/1. N°37, p. 113-123. ISBN : 9782130572510
Ibid.
MAULET Léa_2010
45
L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
97
travaux qui seront soutenus.
Le pouvoir (l’Etat, la Commission Européenne..) utiliserait
des savoirs ou des discours à prétention scientifique, par instrumentalisation de certains
acteurs de ces savoirs ou de ces discours, pour assurer son hégémonie et couvrir des choix
perçus comme simplement arbitraire.
98
La démarche utilisée n’est pas seulement construite sur la supposée objectivité des
valeurs mais aussi sur l’idée de la neutralité scientifique de l’évaluation. La transparence
de l’évaluation, des experts donc et des agences de notations apparaît comme un leitmotiv.
L’intention est de définir les universitaires comme des profanes et les experts comme des
professionnels. L’expert apparaît comme un individu disposant, par la vertu du pouvoir, d’un
savoir plus valide, ou supposé comme tel, que ceux qu’il juge. Il faut pourtant s’intéresser
à la nomination des experts et à la formation et composition des agences de notation. Les
experts nommés par l’Etat ne peuvent se targuer d’une autonomie à l’égard du pouvoir
politique. Il y a en fait proximité de l’agence d’évaluation vis-à-vis du pouvoir politique à
travers le partage de la même vision gestionnaire et économique de la « qualité » qu’impose
99
l’évaluation.
L’Etat s’appuie en réalité sur des experts qui focalisent l’échec de
l’université sur les performances pédagogiques ou plutôt sur l’incompétence pédagogique
des universitaires. On voit s’opérer une inversion des rôles entre politiques et experts.
Le travail de l’expert ne consiste plus à apporter des réponses « techniques » à des
problèmes posés par le politique, mais à offrir à ce dernier un appui dans leur construction
même. Cette observation est menée par Schwartz qui décrit une évolution dans les figures
de l’expertise depuis 1981. L’auteur fait la distinction entre l’expert intellectuel et l’expert
technique dont les intérêts et la production sont parfaitement ajustés à la demande politique.
100
En effet, l’expert doit désormais montrer son caractère nécessaire et par conséquent le
manque de professionnalité des acteurs « établis », exigeant par là même un encadrement
institutionnel. L’expert et donc l’évaluation en elle-même apparaissent dès lors comme un
outil du pouvoir.
Le système d’évaluation mis en place, présenté comme neutre, rationnel et objectif, va
donc orienter et encadrer les universités et la recherche, mais encore faut-il se demander à
quelles fins. Ce système d’évaluation construit sur des critères comptables va introduire une
régulation politique des activités selon un modèle particulier, celui de l’entreprise. Puisque
l’évaluation vise à mesurer la qualité des universités et de la Recherche, il faut s’intéresser à
la définition qui est donnée à cette « qualité ». La définition qui revient le plus souvent dans la
littérature contemporaine sur la qualité en éducation est celle de l’International Organization
for Standardization (ISO) :
« La qualité est l’ensemble des propriétés et caractéristiques d’un produit ou
d’un service qui lui confèrent l’aptitude à satisfaire des besoins exprimés ou
97
GARCIA, Sandrine. L’expert et le profane : qui est juge de la qualité universitaire ? Genèses, 2008/1, N° 70. 68 p. ISBN :
2-7011-4835-9
98
99
ZARKA Y.C. L’évaluation : un pouvoir supposé savoir. Cités, 2009/1. N°37, p. 113-123. ISBN : 9782130572510
GARCIA, Sandrine. L’expert et le profane : qui est juge de la qualité universitaire ? Genèses, 2008/1, N° 70. 81 p. ISBN :
2-7011-4835-9
100
46
Ibid., 78 p.
MAULET Léa_2010
II/ La mise en place d’un projet européen guidé par une vision managériale de l’Université : Une
seconde dénaturation du processus de Bologne
implicites. Pour un établissement, ce peut être l’aptitude à produire au moindre
101
coût, c’est-à-dire la productivité.»
Cette définition est déjà idéologiquement orientée puisque la dernière phrase de la citation
met en avant la production à moindre de coût et la productivité. La qualité d’une université
ou d’un travail de recherche semble être corrélée à sa rentabilité. Le Processus de Bologne
a largement diffusé cette définition spécifique de la qualité universitaire, nécessaire à
l’inscription de l’Enseignement Supérieur dans une politique économique européenne. Par
ailleurs, dans les rapports post 1998 du Comité National d’Evaluation (CNE), l’adhésion aux
enjeux de construction d’un marché de la formation supérieure l’emporte. Les critères de
qualité avancés sont, par exemple, le taux d’insertion professionnelle ou le taux de réussite
des étudiants. Comme le souligne Schwartz, la composition du CNE a, elle aussi, évolué
en ce sens. Non seulement, ses acteurs s’éloignent du profile de l’intellectuel expert, mais
l’institution se situe à l’interface entre l’Etat et l’université et offre une perméabilité aux enjeux
économiques.
L’évaluation telle qu’elle est orchestrée véhicule aussi une conception managériale de
l’université et de la Recherche. L’expertise qui a été mise en place n’a pas rencontré dans
le champ scientifique de contre expertise qui aurait pu relativiser le sens d’une « obligation
de résultat » ayant aboutit à indexer l’allocation des moyens aux résultats. En effet, la
distribution des moyens humains et financiers se fait actuellement en fonction de la capacité
des bénéficiaires à s’adapter aux objectifs et à s’y conformer. L’objectif n’est dès lors plus
l’émergence de la connaissance. Charles Yves Zarka précise même que l’introduction de ce
type particulier d’évaluation, au sein du système universitaire, va introduire une dynamique
qu’il définit par le terme de « mimesis ». Les enseignants chercheurs vont s’efforcer de se
conformer aux exigences managériales de l’évaluation c'est-à-dire aux principes établis et
aux valeurs accréditées, plutôt que d’avoir comme objectif la production du savoir.
102
L’évaluation apparaît dès lors comme un instrument de la vision managériale car elle
entend administrer et normaliser les activités et les pratiques de savoir en les soumettant
à des critères d’efficacité productiviste.
103
Dans cette conception instrumentale de la qualité et de l’évaluation, l’autonomie
traditionnelle des universités et de la Recherche doit donc être bridée. En 1992, Sanyal
soulignait déjà que :
« Partout dans le monde les pratiques d’évaluation traditionnelles focalisées sur
l’excellence intrinsèque sont remplacées par des évaluations formelles d’excellence
extrinsèque, au détriment de la première. »
On peut espérer que le rapide passage de l’une à l’autre, qui suscite des résistances
dans les milieux universitaires et dans le monde de la Recherche, permettra peut-être de
poser à nouveau, et dans de nouveaux termes, la question de la “valeur” de l’éducation et
de la science pour la société.
La mise en pratique du Processus de Bologne au sein des Etats partis a été opérée
sous l’aune de la Nouvelle gestion Publique. Ce recours a été présenté comme inévitable
101
VINOKUR, Annie. Mesure de la qualité des services d’enseignement et restructuration des secteurs éducatifs. 86 p.
URL : http://netx.u-paris10.fr/foreduc/publications/mesure_4_vinokur.pdf
102
103
ZARKA Y.C. L’évaluation : un pouvoir supposé savoir. Cités, 2009/1. N°37, p. 113-123. ISBN : 9782130572510
Ibid.
MAULET Léa_2010
47
L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
dans le contexte de la réforme de l’Etat Providence. L’introduction de ce nouveau mode
de gestion au sein de l’Enseignement Supérieur a consisté à transférer des principes
issus du marché et des techniques du management issues au sein de l’université. Les
réformes visaient à mettre en place un nouveau modèle universitaire visant à améliorer la
compétitivité des universités européennes et à les mener à l’excellence. Articulé autour du
principe d’autonomie et de la mise en place d’une politique par objectif avec obligation de
résultats, le modèle institué est en réalité porteur d’une idéologie basée sur la rentabilité et la
productivité. L’entreprise a été pris comme modèle de référence pour transformer l’université
tant dans son organisation que dans sa finalité. La transmission et la diffusion du savoir
concerne certes toute la société, mais leur pilotage à flux tendu, par des incitations et des
sanctions qui sont étrangères à leur culture propre, et en fonction des besoins immédiats
des intérêts économiques et politiques, est à courte vue.
Afin de mesurer la qualité des universités européennes et de la Recherche européenne,
un nouveau type d’évaluation a par ailleurs été institué. Issu lui aussi de la Nouvelle
Gestion Publique, il se base sur des critères comptables donnant la préférence à l’évaluation
quantitative. Pour que les universités et la Recherche correspondent au projet politique
attendu, l’évaluation est aujourd’hui utilisée comme un instrument du pouvoir. Les Etats
membres du Processus de Bologne ont construit une légitimité scientifique sur laquelle
l’évaluation est censée reposer. Cependant, il a été démontré que celle-ci était porteuse de
l’idéologie managériale mais aussi néolibérale.
Prés de trente ans après la mise en application du programme libéral dans
l’enseignement aux USA, de nombreux rapports préconisent la rémunération des
établissements à la performance. Le Pr. Faust, nouvelle présidente de Harvard, y répond
en ces termes dans son discours inaugural du 12 octobre 2007 :
« Les universités sont en vérité responsables. Mais nous, dans l'Enseignement
supérieur, avons besoin d'avoir l'initiative de la définition de ce dont nous
sommes responsables. On nous demande de fournir des statistiques d'admission
et d'achèvement, des résultats de tests standardisés destinés à mesurer
la "valeur ajoutée" des années d'université, le montant des recettes tirées
de la recherche, le nombre de publications des enseignants. Ces mesures
sont certainement utiles, mais nos objectifs sont beaucoup plus ambitieux
et par conséquent notre responsabilité plus difficile à expliquer. L'essence
de l'université est qu'elle est responsable envers le passé et l'avenir d'une
manière qui peut (doit) entrer en conflit avec les demandes du moment. Nos
engagements sont intemporels et nous sommes mal à l'aise pour les justifier
en termes instrumentaux. Nous les poursuivons "pour eux-mêmes" parce qu'ils
définissent ce qui au cours des siècles nous a fait humains, non parce qu'ils
peuvent accroître notre compétitivité internationale, et ces investissements ont
des rendements que nous ne pouvons ni prédire ni mesurer.. Les universités,
par nature, nourrissent une culture de turbulence et même d'indiscipline. Il
n'est pas facile de convaincre une nation ou le monde de respecter, encore
moins de financer, des institutions dont la vocation est de défier les postulats
fondamentaux de la société. Harvard maintiendra, j'en suis sûre, les traditions de
104
liberté académique et de tolérance envers l'hérésie.»
104
48
GILPIN FAUST, Drew. Le discours de Harvard. Revue du Mauss, 2009/01. N°33, p. 33-34. ISBN : 978-2-7071-580
MAULET Léa_2010
II/ La mise en place d’un projet européen guidé par une vision managériale de l’Université : Une
seconde dénaturation du processus de Bologne
Comme le souligne si justement Annie Vinokur, il serait regrettable que ce luxe soit réservé
à des universités qui, comme Harvard, disposent d’un capital de trente cinq milliards de
dollars.
MAULET Léa_2010
49
L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
Conclusion générale
Dans l’intention d’établir une conclusion constructive, il faut en premier lieu rappeler la
problématique du mémoire :
« Dans quelles mesures le processus de Bologne, engagement
intergouvernemental visant à construire un Espace Européen de l’Enseignement
Supérieur, va-t-il subir deux dénaturations : la première résultant de son
imbrication à la Stratégie de Lisbonne, dont l’objectif est de construire la société
de la connaissance la plus compétitive au monde ; la seconde résultant de sa
mise en place guidée par une vision managériale de l’Université ? »
Afin de comprendre la première dénaturation que le processus de Bologne a subie, il a fallu
mener une réflexion sur le pré Bologne. Il a été observé que le processus de Bologne n’était
en réalité que peu novateur, dans la mesure où le domaine de l’Enseignement Supérieur
en Europe avait été largement exploré par le Conseil de l’Europe ,mais aussi , par la
Commission Européenne. De nombreuses conventions visant à instaurer des équivalences
universitaires en Europe ont vu le jour avant la Déclaration de la Sorbonne, et le projet
ERASMUS traduit, à lui seul ,l’intérêt que la Commission Européenne portait déjà, à la
mobilité étudiante. Ainsi, si le projet initial du processus de Bologne était novateur dans
sa forme, il l’était un peu moins dans son contenu. Cependant, les initiatives pré Bologne
étaient disparates et non coordonnées. Par ailleurs, le processus de Bologne symbolise la
mise en relation de différents acteurs mais aussi de différentes réflexions sur l’Enseignement
Supérieur même si Claude Allègre s’est évertué à ne faire participer, au début, que les
ministres de l’Education Supérieure des différents pays européens.
Le processus de Bologne est donc initialement l’expression d’une volonté ministérielle
de rapprocher les systèmes d’Enseignement Supérieur en Europe. Il visait une
harmonisation de la structure européenne des diplômes. Sa principale mesure est la
création de deux, puis trois cycles d’Enseignement Supérieur en Europe : la réforme
Licence, Master, Doctorat. Il portait ensuite en lui, l’ambition de faciliter la mobilité des
étudiants européens. Enfin, il s’érigeait en modèle d’un nouveau type d’européanisation,
opérée loin des institutions de l’Union Européenne. Pourtant, ces objectifs passeront au
second plan à partir de 2000 quand des liens seront tissés entre le processus et la Stratégie
de Lisbonne. Ce mémoire a pris la liberté de créer une nouvelle expression pour rendre plus
lisible la transformation établie. Le « Nouveau Bologne » est une expression qui qualifie
le processus de Bologne après sa première dénaturation. Elle exprime la mutation des
ambitions contenues dans le projet initial. Ainsi, si le processus de Bologne se fixait aussi
pour objectif de rendre les systèmes universitaires européens plus compétents, il n’avait pas
pour fin de mettre en place l’économie de la connaissance la plus compétitive au monde.
La première dénaturation du processus consiste en une instrumentalisation du processus
de Bologne dont la fin serait l’avènement d’un capitalisme cognitif en Europe. Cet objectif
politique était absent du projet originaire. La priorité n’est plus de construire un Espace
Européen de l’Enseignement Supérieur mais de construire une Europe compétitive dans le
domaine de la connaissance.
Cette dénaturation ne peut être pleinement comprise en dehors d’une analyse poussée
de la place de la Commission Européenne dans le processus. Pour cette raison, ce mémoire
50
MAULET Léa_2010
Conclusion générale
octroie une place importante à la description de l’intégration progressive de l’institution
au sein du processus. Exclue d’emblée du projet par Claude Allègre, la Commission
Européenne va multiplier les tentatives pour intégrer le processus. Elle va, de manière
tactique, endosser le rôle d’acteur-traducteur en faisant le lien entre différentes institutions
et associations travaillant sur l’Enseignement Supérieur. Enfin, elle va parvenir à intégrer
les structures de pilotage du processus de Bologne grâce à deux phénomènes simultanés :
la passivité des Etats face à cette montée en puissance de l’institution et l’élaboration par
la Commission de stratégies de financement et d’expertise. Le point qui nous intéresse ici
est que le nouveau statut de macro- acteur de la Commission Européenne va lui permettre
d’inscrire sa propre vision dans les textes. Cependant, elle sera aussi celle qui établira des
liens ténus entre la Stratégie de Lisbonne et le processus. Ainsi, il est possible d’affirmer que
la Commission Européenne a partiellement contribué à la création du « Nouveau Bologne ».
La seconde dénaturation du processus intervient lors de sa mise en pratique. Elle est
symbolisée par le recours aux instruments de la Nouvelle Gestion Publique, comme
méthode, pour la mise en place d’un projet politique pour l’Université et la Recherche en
Europe. Comme il a été expliqué, ce recours a été présenté comme inévitable, dans le
contexte de la réforme de l’Etat et prône de nouveaux objectifs pour le service public comme
l’efficacité, la rentabilité, la productivité et l’excellence. La dénaturation du processus peut
se décliner selon deux axes. Tout d’abord, le processus n’était pas initialement porteur
d’un projet politique, teinté d’une idéologie managériale et néolibérale, de transformation
de l’université. Ensuite, il n’a jamais promu un type d’évaluation basé sur des critères
comptables présentés comme objectifs. En effet, le recours aux instruments de la NGP avait
comme finalité de mettre en place le modèle de l’université entrepreneuriale, qui correspond
bien mieux à l’objectif politique de créer l’économie de la connaissance la plus compétitive.
Le recours à un système d’évaluation porteur de l’idéologie managériale sous-entendait,
quant à lui, l’organisation d’un processus d’accréditation d’une pensée comme vraie. Le
monde de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche s’est ainsi vu indiqué ,ce qui était
« en toute objectivité » une bonne université et une bonne recherche.
La réflexion menée dans ce mémoire sur la double dénaturation du processus de
Bologne a fait émerger une problématique plus globale : celle de la relation entre pouvoir et
savoir. La question est abordée dans de nombreuses parties du mémoire, sous des formes
différentes mais aussi sur des aspects variés du processus.
Cette réflexion est introduite en premier lieu par le concept de « dispositif » de Michel
Foucault. Si le dispositif est toujours inscrit dans un jeu de pouvoir, il est toujours lié à
des bornes de savoir. Le processus de Bologne est né de cette manière. Il repose sur
différentes bornes de savoir, c'est-à-dire différents savoirs avancés par différents acteurs.
L’étape importante du processus de Bologne est évidement sa première dénaturation, au
cours de laquelle le discours sur l’économie de la connaissance va s’imposer en savoir, en
vérité. Le dispositif qu’est le processus de Bologne va donc faire naitre une borne de savoir,
ou des bornes de savoir si l’on intègre la rhétorique sur la Nouvelle Gestion Publique. La
particularité du dispositif est qu’il oriente les pensées et les comportements des acteurs, qui
relayent alors ces savoirs. Mais il est intéressant de souligner que ces savoirs vont aussi
conditionner le processus dans sa forme et dans son expression politique, les réformes
nationales des universités.
Le deuxième questionnement, qui recoupe la problématique de la relation que le
pouvoir entretient avec le savoir, est bien évidemment l’assertion que le pouvoir politique
crée un outil pour obtenir une reconfiguration des usages de la science vers une finalité
économique. Qu’elle s’exprime à travers la mise en place d’un nouveau modèle universitaire
MAULET Léa_2010
51
L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
tourné vers l’efficacité marchande, à travers un type d’évaluation qui défavorise certains
domaines de recherche ou encore à travers une incitation à se focaliser sur les recherches
convertibles en innovation, la volonté d’encadrement du savoir par le pouvoir est bien réelle.
Enfin, la volonté de réformer les systèmes universitaires comme on restructure un
secteur industriel pose la question de la spécificité et de la Science, et de la Recherche.
Tout simplement, cela nous amène à poser une très vaste et belle question : Quelle est la
finalité de la Recherche Scientifique ?
On peut se demander dès lors ,si la Science est une exigence de vérité ou bien
une production pour de l’efficacité technique. Selon Y.C Zarka, « la science est visée de
105
vérité. C’est une liberté et une exigence intellectuelle ».
L’approche managériale de
la NGP impulsée par le processus de Bologne apparaît contraire à l’histoire et à l’esprit
de l’Université et de la Recherche, et de la Science en général car elle présente le
savoir comme un produit commercial comme les autres. Or, la science n’est pas qu’une
production pour de l’efficacité technique. La science appartient aussi à la société puisque
la connaissance pousse à une réflexion politique et sociale.
Pour conclure, ces mots de Michel Foucault résument bien l’état d’esprit dans lequel
nous devons nous trouver, surtout de nos jours :
106
105
106
« Partout, ce qu’il faut remettre en question, c’est la forme de rationalité en présence.»
ZARKA Y.C, L’évaluation : un pouvoir supposé savoir. Cités, 2009/1. N°37, p. 113-123. ISBN : 9782130572510
Michel FOUCAULT, « ‘Omnes et singulatim’ : vers une critique de la raison politique », in Dits et écrits II (1976-1988),
Paris, Quarto Gallimard, p. 980.
52
MAULET Léa_2010
Bibliographie
Bibliographie
Ouvrages
Dictionnaire et Abécédaires
Abécédaire de Michel Foucault. Collection Abécédaire, n°1. 38 p. Les Editions Sils
Maria - Editions Vrin coédition. 2004/05. ISBN : 2-930242-45-0
Ouvrages d’un seul auteur
FOUCAULT, Michel. « Le jeu de Michel Foucault » (entretien avec D. Colas, A.
Grosrichard, G. Le Gaufey, J. Livi, G. Miller, J. Miller, J-A Miller, C. Millot, G..
Wajeman) dans Dits et écrits 1954-1988 par Michel Foucault. Editions Gallimard,
1994.
MUSSELIN, Christine. Vers un marché international de l’enseignement
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Ouvrages collectifs
BRUNO, Isabelle. 2010 : L’Odyssée de l’ «espace européen de la connaissance »,
comment la stratégie de Lisbonne gouverne les politiques d’enseignement supérieur
, dans L'Enseignement Supérieur entre Nouvelle Gestion Publique et Dépression
Economique, Analyse comparée et essai de prospective. Université de Paris Ouest
Nanterre La Défense, 2009/12.
COALDRAKE, Peter. Répondre aux nouvelles attentes des étudiants dans Gestion de
l’enseignement supérieur, enseignement et compétences . Vol 13. OCDE, 2001. 100
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DUFOURT, Daniel. Chapitre 9 : Etat stratège. Quelles missions pour la puissance
publique pour quelle modernité économique et sociale dans L’Economie française:
Eléments fondamentaux.2008. ISBN : 978-2-89509-111-0
SCOTT, Alan. NMP in perspective dans L'Enseignement Supérieur entre Nouvelle
Gestion Publique et Dépression Economique, Analyse comparée et essai de
prospective. Université de Paris Ouest Nanterre La Défense, 2009/12.
MAULET Léa_2010
53
L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
Revues, périodiques
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d’une technologie de gouvernement. Belin, 2008/5. Revue d’Histoire Moderne
Contemporaine, n°55-4bis. ISBN : 978-2-7011-4786-4
CHARLIER, Jean-Emile et CROCHE, Sarah. Le processus de Bologne, ses acteurs et
leurs complices. 2003/2. Collection Education et Sociétés, n° 12
CHARLIER, Jean-Emile, Faire du processus de Bologne un objet d’analyse. Cairn. Info,
2009/2. Collection Education et Sociétés, n°24. ISBN 97828041026992
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chemins. Revue Etudes Européennes
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de l’Espace Européen d’Enseignement Supérieur. 2009/2. Collection Education et
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Documents institutionnels et communications
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MAULET Léa_2010
Bibliographie
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%20versus%20la%20politique.pdf (page consultée le 30 juillet 2010)
VINOKUR, Annie. « La loi relative aux libertés et responsabilités des universités : essai
de mise en perspective ». Revue de la régulation, n°2, 2008/1. Mis en ligne le 28
novembre 2007. URL : http://regulation.revues.org/document1783.html
VINOKUR, Annie. Mesure de la qualité des services d’enseignement et
restructuration des secteurs éducatifs. URL : http://netx.u-paris10.fr/foreduc/publ
ications/mesure_4_vinokur.pdf
Sites Web
Wikipédia, encyclopédie en ligne, url : http://fr.wikipedia.org
Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, URL : http://
www.nouvelleuniversite.gouv.fr/-le-projet-de-loi-relatif-aux-libertes-desuniversites-.html
MAULET Léa_2010
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L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
Annexes
DOCUMENT 1 : DECLARATION DE LA SORBONNE (25
MAI 1998)
Harmoniser l'architecture du système européen d'enseignement supérieur
A l'occasion du 800ème anniversaire de l'Université de Paris, déclaration conjointe des
quatre ministres en charge de l'enseignement supérieur en Allemagne, en France, en Italie
et au Royaume-Uni. lundi 25 mai 1998
Paris, en Sorbonne, le 25 mai 1998
La construction européenne a tout récemment effectué des progrès très importants.
Mais si pertinents que soient ces progrès, ils ne doivent pas nous faire oublier que
l'Europe que nous bâtissons n'est pas seulement celle de l'Euro, des banques et de
l'économie ; elle doit être aussi une Europe du savoir. Nous devons renforcer et utiliser
dans notre construction les dimensions intellectuelles, culturelles, sociales et techniques de
notre continent. Elles ont été, dans une large mesure, modelées par ses universités, qui
continuent à jouer un rôle central dans leur développement.
Les universités sont nées en Europe, pour certaines depuis environ trois quarts de
millénaire. Nos quatre pays sont fiers de posséder quelques unes des plus anciennes, qui
célèbrent en ce moment d'importants anniversaires, comme le fait aujourd'hui l'université de
Paris. Autrefois, étudiants et professeurs circulaient librement et disséminaient rapidement
leur savoir à travers le continent. Aujourd'hui, il existe encore un trop grand nombre de
nos étudiants qui obtiennent leurs diplômes sans avoir bénéficié d'une période d'études en
dehors des frontières nationales.
Nous abordons une période de changements majeurs dans l'éducation, dans les
conditions de travail, une période de diversification du déroulement des carrières
professionnelles ; l'éducation et la formation tout au long de la vie deviennent une évidente
obligation. Nous devons à nos étudiants et à notre société dans son ensemble un système
d'enseignement supérieur qui leur offre les meilleures chances de trouver leur propre
domaine d'excellence.
Un espace européen ouvert de l'enseignement supérieur offre d'abondantes
perspectives positives, tout en respectant, bien sûr, nos diversités, mais exige par ailleurs
des efforts vigoureux pour abolir les barrières et développer un cadre d'enseignement, afin
de promouvoir la mobilité et une coopération toujours plus étroite.
La reconnaissance internationale et le potentiel attractif de nos systèmes sont
directement liés à leur lisibilité en interne et à l'extérieur. Un système semble émerger, dans
lequel deux cycles principaux - pré-licence et post-licence - devraient être reconnus pour
faciliter comparaisons et équivalences au niveau international.
56
MAULET Léa_2010
Annexes
Une grand part de l'originalité et de la souplesse d'un tel système passeront, dans une
large mesure, par l'utilisation de "crédits" (comme dans le schéma ECTS) et de semestres.
Cela permettra la validation des crédits acquis par ceux qui choisiraient de conduire leur
éducation, initiale ou continue, dans différentes universités européennes et souhaiteraient
acquérir leurs diplômes à leur rythme, tout au long de leur vie. En fait, les étudiants
devraient pouvoir avoir accès au monde universitaire à n'importe quel moment de leur vie
professionnelle, en venant des milieux les plus divers.
Dans le cycle conduisant à la licence, les étudiants devraient se voir offrir des
programmes suffisamment diversifiés, comprenant notamment la possibilité de suivre des
études pluridisciplinaires, d'acquérir une compétence en langues vivantes et d'utiliser les
nouvelles technologies de l'information.
La reconnaissance internationale du diplôme couronnant le cycle pré-licence comme
niveau pertinent de qualification est importante pour le succès de ce projet, par lequel nous
souhaitons rendre transparents nos systèmes d'enseignement supérieur.
Dans le cycle postérieur à la licence, il y aurait le choix entre un diplôme plus court de
"master" et un doctorat plus long, en ménageant les passerelles entre l'un et l'autre. Dans
les deux diplômes, on mettrait l'accent, comme il convient, sur la recherche et le travail
individuel.
Aux deux niveaux - pré-licence et post-licence - les étudiants seraient encouragés à
passer un semestre au moins dans des universités étrangères. En même temps, un plus
grand nombre d'enseignants et de chercheurs devraient travailler dans des pays européens
autres que le leur. Le soutien croissant de l'Union européenne à la mobilité des étudiants
et des professeurs devrait être pleinement utilisé.
La plupart des pays, et pas seulement à l'intérieur de l'Europe, ont désormais
pleinement conscience du besoin de promouvoir cette évolution. Les Conférences de
recteurs européens, des présidents d'universités, des groupes d'experts et d'universitaires,
dans nos pays respectifs, se sont engagées dans une vaste réflexion en ce sens.
Une convention sur la reconnaissance des qualifications universitaires en Europe a été
signée l'an dernier à Lisbonne. Cette convention établit un certain nombre de conditions de
base, tout en reconnaissant que les pays, de leur côté, pouvaient s'engager dans des projets
encore plus constructifs. Partant de ces conclusions, nous pouvons les utiliser pour aller
plus loin. Il existe déjà beaucoup de points communs pour cette reconnaissance mutuelle
des diplômes d'enseignement supérieur à des fins professionnelles, à travers les directives
de l'Union européenne.
Nos gouvernements, cependant, continuent à avoir un rôle significatif à jouer en
ce sens, en encourageant tous les moyens de valider les connaissances acquises et
de mieux reconnaître nos diplômes respectifs. Nous comptons promouvoir ainsi des
accords interuniversitaires allant dans ce sens. L'harmonisation progressive des structures
d'ensemble de nos diplômes et de nos cycles d'études sera rendue possible par un
renforcement de l'expérience existante, par des diplômes conjoints, des projets-pilotes et
par un dialogue avec toutes les parties concernées.
Nous nous engageons ici à encourager l'émergence d'un cadre commun de référence,
visant à améliorer la lisibilité des diplômes, à faciliter la mobilité des étudiants ainsi que
leur employabilité. L'anniversaire de l'université de Paris, qui se déroule aujourd'hui en
Sorbonne, nous offre l'occasion solennelle de nous engager dans cet effort de création
d'un espace européen de l'enseignement supérieur, où puissent entrer en interaction nos
identités nationales et nos intérêts communs, où nous nous renforcions les uns les autres
MAULET Léa_2010
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L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
pour le profit de l'Europe, de ses étudiants, et plus généralement de ses citoyens. Nous
lançons un appel aux autres États-membres de l'Union, aux autres pays de l'Europe pour
nous rejoindre dans cet objectif, à toutes les universités européennes pour consolider la
place de l'Europe dans le monde en améliorant et en remettant sans cesse à jour l'éducation
offerte à ses citoyens.
Claude Allègre, Ministre de l'Éducation Nationale, de la Recherche et de la Technologie
(France)
Luigi Berlinguer Ministre de l'Instruction Publique de l'Université et de la Recherche
(Italie)
Tessa Blackstone Ministre de l'Enseignement Supérieur (Royaume Uni)
Jürgen Ruettgers Ministre de l'Éducation, des Sciences, de la Recherche et de la
Technologie (Allemagne)
DOCUMENT 2 : LA MÉTHODE OUVERTE DE
COORDINATION
CONCLUSIONS DE LA PRÉSIDENCE
CONSEIL EUROPÉEN DE LISBONNE – 23 ET 24 MARS 2000
[extrait]
MISE EN PRATIQUE DES DÉCISIONS : UNE APPROCHE PLUS COHÉRENTE ET
PLUS SYSTÉMATIQUE
«La mise en œuvre de l’objectif stratégique sera facilitée par le recours à une nouvelle
méthode ouverte de coordination permettant de diffuser les meilleures pratiques et d’assurer
une plus grande convergence au regard des principaux objectifs de l’UE.
Conçue pour aider les États membres à développer progressivement leurs propres
politiques, cette méthode consiste à:
– définir des lignes directrices pour l’Union, assorties de calendriers spécifiques pour
réaliser les objectifs à court, moyen et long terme fixés par les États membres;
– établir, le cas échéant, des indicateurs quantitatifs et qualitatifs et des critères
d’évaluation par rapport aux meilleures performances mondiales, qui soient adaptés aux
besoins des différents États membres et des divers secteurs, de manière à pouvoir
comparer les meilleures pratiques;
– traduire ces lignes directrices européennes en politiques nationales et régionales
en fixant des objectifs spécifiques et en adoptant des mesures qui tiennent compte des
diversités nationales et régionales;
– procéder périodiquement à un suivi, une évaluation et un examen par les pairs, ce
qui permettra à chacun d’en tirer des enseignements.» (§ 37).
58
MAULET Léa_2010
Annexes
DOCUMENT 3 : LA LOI DU 10 AOUT 2007 RELATIVE
AUX LIBERTES ET RESPONSABILITES DES
UNIVERSITES
J.O n° 185 du 11 août 2007 page 13468 texte n° 2
LOIS
LOI n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des
universités (1)
NOR: ESRX0757893L
L’Assemblée nationale et le Sénat ont adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :
TITRE Ier
LES MISSIONS DU SERVICE PUBLIC
DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
Article 1
L’article L. 123-3 du code de l’éducation est ainsi rédigé :
« Art. L. 123-3. - Les missions du service public de l’enseignement supérieur sont :
« 1° La formation initiale et continue ;
« 2° La recherche scientifique et technologique, la diffusion et la valorisation de ses
résultats ;
« 3° L’orientation et l’insertion professionnelle ;
« 4° La diffusion de la culture et l’information scientifique et technique ;
« 5° La participation à la construction de l’Espace européen de l’enseignement
supérieur et de la recherche ;
« 6° La coopération internationale. »
TITRE II
LA GOUVERNANCE DES UNIVERSITÉS
Chapitre Ier
Organisation et administration
Article 2
Après le quatrième alinéa de l’article L. 711-1 du code de l’éducation, il est inséré un
alinéa ainsi rédigé :
« Les établissements peuvent demander, par délibération statutaire du conseil
d’administration prise à la majorité absolue des membres en exercice, le regroupement au
sein d’un nouvel établissement ou d’un établissement déjà constitué. Le regroupement est
approuvé par décret. »
Article 3
Le premier alinéa de l’article L. 711-7 du code de l’éducation est ainsi rédigé :
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L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
« Les établissements déterminent, par délibérations statutaires du conseil
d’administration prises à la majorité absolue des membres en exercice, leurs statuts et leurs
structures internes, conformément aux dispositions du présent code et des décrets pris pour
son application. »
Article 4
Dans le chapitre II du titre Ier du livre VII du code de l’éducation, il est créé une section
1 intitulée : « Gouvernance », comprenant les articles L. 712-1 à L. 712-7.
Article 5
L’article L. 712-1 du code de l’éducation est ainsi rédigé :
« Art. L. 712-1. - Le président de l’université par ses décisions, le conseil
d’administration par ses délibérations, le conseil scientifique et le conseil des études et de
la vie universitaire par leurs avis assurent l’administration de l’université. »
Chapitre II
Le président
Article 6
L’article L. 712-2 du code de l’éducation est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« Le président de l’université est élu à la majorité absolue des membres élus du conseil
d’administration parmi les enseignants-chercheurs, chercheurs, professeurs ou maîtres de
conférences, associés ou invités, ou tous autres personnels assimilés, sans condition de
nationalité. Son mandat, d’une durée de quatre ans, expire à l’échéance du mandat des
représentants élus des personnels du conseil d’administration. Il est renouvelable une fois.
« Dans le cas où le président cesse ses fonctions, pour quelque cause que ce soit, un
nouveau président est élu pour la durée du mandat de son prédécesseur restant à courir. » ;
2° Les troisième et quatrième alinéas sont remplacés par douze alinéas ainsi rédigés :
« Le président assure la direction de l’université. A ce titre :
« 1° Il préside le conseil d’administration, prépare et exécute ses délibérations. Il
prépare et met en oeuvre le contrat pluriannuel d’établissement. Il préside également le
conseil scientifique et le conseil des études et de la vie universitaire ; il reçoit leurs avis et
leurs voeux ;
« 2° Il représente l’université à l’égard des tiers ainsi qu’en justice, conclut les accords
et les conventions ;
« 3° Il est ordonnateur des recettes et des dépenses de l’université ;
« 4° Il a autorité sur l’ensemble des personnels de l’université.
« Sous réserve des dispositions statutaires relatives à la première affectation des
personnels recrutés par concours national d’agrégation de l’enseignement supérieur,
aucune affectation ne peut être prononcée si le président émet un avis défavorable motivé.
« Il affecte dans les différents services de l’université les personnels administratifs,
techniques, ouvriers et de service ;
« 5° Il nomme les différents jurys ;
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MAULET Léa_2010
Annexes
« 6° Il est responsable du maintien de l’ordre et peut faire appel à la force publique dans
des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat ;
« 7° Il est responsable de la sécurité dans l’enceinte de son établissement et assure
le suivi des recommandations du comité d’hygiène et de sécurité permettant d’assurer la
sécurité des personnels et des usagers accueillis dans les locaux ;
« 8° Il exerce, au nom de l’université, les compétences de gestion et d’administration
qui ne sont pas attribuées à une autre autorité par la loi ou le règlement ;
« 9° Il veille à l’accessibilité des enseignements et des bâtiments aux personnes
handicapées, étudiants et personnels de l’université. » ;
3° Le dernier alinéa est ainsi rédigé :
« Le président peut déléguer sa signature aux vice-présidents des trois conseils, aux
membres élus du bureau âgés de plus de dix-huit ans, au secrétaire général et aux agents de
catégorie A placés sous son autorité ainsi que, pour les affaires intéressant les composantes
énumérées à l’article L. 713-1, les services communs prévus à l’article L. 714-1 et les unités
de recherche constituées avec d’autres établissements publics d’enseignement supérieur
ou de recherche, à leurs responsables respectifs. »
Chapitre III
Les conseils
Article 7
L’article L. 712-3 du code de l’éducation est ainsi rédigé :
« Art. L. 712-3. - I. - Le conseil d’administration comprend de vingt à trente membres
ainsi répartis :
« 1° De huit à quatorze représentants des enseignants-chercheurs et des personnels
assimilés, des enseignants et des chercheurs, en exercice dans l’établissement, dont la
moitié de professeurs des universités et personnels assimilés ;
« 2° Sept ou huit personnalités extérieures à l’établissement ;
« 3° De trois à cinq représentants des étudiants et des personnes bénéficiant de la
formation continue inscrits dans l’établissement ;
« 4° Deux ou trois représentants des personnels ingénieurs, administratifs, techniques
et des bibliothèques, en exercice dans l’établissement.
« Le nombre de membres du conseil est augmenté d’une unité lorsque le président est
choisi hors du conseil d’administration.
« II. - Les personnalités extérieures à l’établissement, membres du conseil
d’administration, sont nommées par le président de l’université pour la durée de son mandat.
Elles comprennent, par dérogation à l’article L. 719-3, notamment :
« 1° Au moins un chef d’entreprise ou cadre dirigeant d’entreprise ;
« 2° Au moins un autre acteur du monde économique et social ;
« 3° Deux ou trois représentants des collectivités territoriales ou de leurs groupements,
dont un du conseil régional, désignés par les collectivités concernées.
« La liste des personnalités extérieures est approuvée par les membres élus du
conseil d’administration à l’exclusion des représentants des collectivités territoriales qui sont
désignés par celles-ci.
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L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
« III. - Le mandat des membres élus du conseil d’administration court à compter
de la première réunion convoquée pour l’élection du président. Les membres du conseil
d’administration siègent valablement jusqu’à la désignation de leurs successeurs.
« IV. - Le conseil d’administration détermine la politique de l’établissement. A ce titre :
« 1° Il approuve le contrat d’établissement de l’université ;
« 2° Il vote le budget et approuve les comptes ;
« 3° Il approuve les accords et les conventions signés par le président de l’établissement
et, sous réserve des conditions particulières fixées par décret, les emprunts, les prises
de participation, les créations de filiales et de fondations prévues à l’article L. 719-12,
l’acceptation de dons et legs et les acquisitions et cessions immobilières ;
« 4° Il adopte le règlement intérieur de l’université ;
« 5° Il fixe, sur proposition du président et dans le respect des priorités nationales, la
répartition des emplois qui lui sont alloués par les ministres compétents ;
« 6° Il autorise le président à engager toute action en justice ;
« 7° Il adopte les règles relatives aux examens ;
« 8° Il approuve le rapport annuel d’activité, qui comprend un bilan et un projet, présenté
par le président.
« Il peut déléguer certaines de ses attributions au président à l’exception de celles
mentionnées aux 1°, 2°, 4° et 8°. Celui-ci rend compte, dans les meilleurs délais, au conseil
d’administration des décisions prises en vertu de cette délégation.
« Toutefois, le conseil d’administration peut, dans des conditions qu’il détermine,
déléguer au président le pouvoir d’adopter les décisions modificatives du budget.
« En cas de partage égal des voix, le président a voix prépondérante. »
Article 8
L’article L. 712-5 du code de l’éducation est ainsi modifié :
1° Le troisième alinéa (2°) est ainsi rédigé :
« 2° De 10 à 15 % de représentants des doctorants inscrits en formation initiale ou
continue ; »
2° Le dernier alinéa est ainsi modifié :
a) La première phrase est ainsi rédigée :
« Le conseil scientifique est consulté sur les orientations des politiques de recherche,
de documentation scientifique et technique, ainsi que sur la répartition des crédits de
recherche. » ;
b) Après la première phrase, il est inséré une phrase ainsi rédigée :
« Il peut émettre des voeux. » ;
c) La dernière phrase est ainsi rédigée :
« Il assure la liaison entre l’enseignement et la recherche. » ;
3° Sont ajoutés trois alinéas ainsi rédigés :
« Dans le respect des dispositions statutaires applicables aux enseignants-chercheurs,
le conseil scientifique en formation restreinte aux enseignants-chercheurs donne un avis
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MAULET Léa_2010
Annexes
sur les mutations des enseignants-chercheurs, sur l’intégration des fonctionnaires des
autres corps dans le corps des enseignants-chercheurs, sur la titularisation des maîtres de
conférences stagiaires et sur le recrutement ou le renouvellement des attachés temporaires
d’enseignement et de recherche.
« Le nombre des membres du conseil est augmenté d’une unité lorsque le président
est choisi hors du conseil.
« En cas de partage égal des voix, le président a voix prépondérante. »
Article 9
Le dernier alinéa de l’article L. 712-6 du code de l’éducation est remplacé par quatre
alinéas ainsi rédigés :
« Le conseil des études et de la vie universitaire est consulté sur les orientations
des enseignements de formation initiale et continue, sur les demandes d’habilitation et les
projets de nouvelles filières et sur l’évaluation des enseignements.
« Le conseil est en outre consulté sur les mesures de nature à permettre la mise en
oeuvre de l’orientation des étudiants et de la validation des acquis, à faciliter leur entrée
dans la vie active et à favoriser les activités culturelles, sportives, sociales ou associatives
offertes aux étudiants et sur les mesures de nature à améliorer les conditions de vie et
de travail, notamment sur les mesures relatives aux activités de soutien, aux oeuvres
universitaires et scolaires, aux services médicaux et sociaux, aux bibliothèques et aux
centres de documentation. Il est également consulté sur les mesures d’aménagement de
nature à favoriser l’accueil des étudiants handicapés. Il est le garant des libertés politiques
et syndicales étudiantes.
« Il peut émettre des voeux.
« Le conseil élit en son sein un vice-président étudiant chargé des questions de vie
étudiante en lien avec les centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires. »
Article 10
Après l’article L. 712-6 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 712-6-1 ainsi
rédigé :
« Art. L. 712-6-1. - Les statuts de l’université prévoient les conditions dans lesquelles
est assurée la représentation des grands secteurs de formation au conseil scientifique et
au conseil des études et de la vie universitaire.
« Ces conseils sont renouvelés à chaque renouvellement de conseil d’administration. »
Article 11
L’article L. 719-1 du code de l’éducation est ainsi modifié :
1° La première phrase du premier alinéa est remplacée par deux phrases ainsi
rédigées :
« Les membres des conseils prévus au présent titre, en dehors des personnalités
extérieures et du président de l’établissement, sont élus au scrutin secret par collèges
distincts et au suffrage direct. A l’exception du président, nul ne peut siéger dans plus d’un
conseil de l’université. » ;
2° Les deuxième et troisième alinéas sont remplacés par quatre alinéas ainsi rédigés :
« En cas de vacance d’un siège, un nouveau membre est désigné pour la durée du
mandat restant à courir selon des modalités fixées par décret.
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L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
« L’élection s’effectue, pour l’ensemble des représentants des personnels, des
étudiants et des personnes bénéficiant de la formation continue, au scrutin de liste à un
tour avec représentation proportionnelle au plus fort reste, possibilité de listes incomplètes
et sans panachage.
« Pour les élections des représentants des enseignants-chercheurs et des personnels
assimilés au conseil d’administration de l’université, une liste de professeurs des universités
et des personnels assimilés et une liste de maîtres de conférences et des personnels
assimilés peuvent s’associer autour d’un projet d’établissement. Chaque liste assure la
représentation des grands secteurs de formation enseignés dans l’université concernée, à
savoir les disciplines juridiques, économiques et de gestion, les lettres et sciences humaines
et sociales, les sciences et technologies et les disciplines de santé. Dans chacun des
collèges, il est attribué à la liste qui obtient le plus de voix un nombre de sièges égal à la
moitié des sièges à pourvoir ou, dans le cas où le nombre de sièges à pouvoir est impair, le
nombre entier immédiatement supérieur à la moitié des sièges à pourvoir. Les autres sièges
sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle au plus fort reste.
« Pour les élections des représentants des étudiants et des personnes bénéficiant de
la formation continue, chaque liste assure la représentation d’au moins deux des grands
secteurs de formation enseignés dans l’université concernée. Pour chaque représentant,
un suppléant est élu dans les mêmes conditions que le titulaire ; il ne siège qu’en l’absence
de ce dernier. » ;
3° L’avant-dernier alinéa est ainsi rédigé :
« Nul ne peut être élu à plus d’un conseil d’administration d’université. » ;
4° Le dernier alinéa est ainsi rédigé :
« Nul ne peut être président de plus d’une université. »
Article 12
L’article L. 719-8 du code de l’éducation est ainsi rédigé :
« Art. L. 719-8. - En cas de difficulté grave dans le fonctionnement des organes
statutaires des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel
ou de défaut d’exercice de leurs responsabilités, le ministre chargé de l’enseignement
supérieur peut prendre, à titre exceptionnel, toutes dispositions imposées par les
circonstances. Pour l’exercice de ces pouvoirs, le ministre informe le Conseil national de
l’enseignement supérieur et de la recherche dans les meilleurs délais. Dans ces mêmes
cas, le recteur, chancelier des universités, a qualité pour prendre, à titre provisoire, les
mesures conservatoires nécessaires après avoir consulté le président ou le directeur de
l’établissement. »
Article 13
Les présidents d’université peuvent rester en fonction jusqu’au 31 août suivant la date
à laquelle ils ont atteint l’âge de soixante-huit ans.
Chapitre IV
Les composantes
Article 14
L’article L. 713-1 du code de l’éducation est ainsi rédigé :
« Art. L. 713-1. - Les universités regroupent diverses composantes qui sont :
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MAULET Léa_2010
Annexes
« 1° Des unités de formation et de recherche, des départements, laboratoires et centres
de recherche, créés par délibération du conseil d’administration de l’université après avis
du conseil scientifique ;
« 2° Des écoles ou des instituts, créés par arrêté du ministre chargé de l’enseignement
supérieur sur proposition ou après avis du conseil d’administration de l’université et du
Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche.
« Les composantes de l’université déterminent leurs statuts, qui sont approuvés par le
conseil d’administration de l’université, et leurs structures internes. Le président associe les
composantes de l’université à la préparation et à la mise en oeuvre du contrat pluriannuel
d’établissement. La création, la suppression ou le regroupement de composantes sont
inscrits dans le contrat pluriannuel d’établissement, le cas échéant, par voie d’avenant. »
Article 15
Le I de l’article L. 713-4 du code de l’éducation est ainsi rédigé :
« I. - Par dérogation aux articles L. 712-2, L. 712-3, L. 712-5 et L. 712-6, les unités
de formation et de recherche de médecine, de pharmacie et d’odontologie ou, à défaut,
les départements qui assurent ces formations concluent, conjointement avec les centres
hospitaliers régionaux, conformément aux articles L. 713-5 et L. 713-6, et, le cas échéant,
avec les centres de lutte contre le cancer, conformément à l’article L. 6142-5 du code de la
santé publique, les conventions qui ont pour objet de déterminer la structure et les modalités
de fonctionnement du centre hospitalier et universitaire. Elles respectent les orientations
stratégiques de l’université définies dans le contrat pluriannuel d’établissement, notamment
dans le domaine de la recherche biomédicale.
« Le directeur de l’unité ou du département a qualité pour signer ces conventions au
nom de l’université.
« Ces conventions ne peuvent être exécutées qu’après avoir été approuvées par le
président de l’université et votées par le conseil d’administration de l’université.
« Le président de l’université peut déléguer sa signature au directeur pour ordonnancer
les recettes et les dépenses de l’unité de formation et de recherche ou du département.
« Les emplois du personnel enseignant et hospitalier des centres hospitaliers et
universitaires sont affectés dans le respect des dispositions de l’article L. 952-21.
« La révision des effectifs enseignants et hospitaliers prend en compte les besoins de
santé publique, d’une part, et d’enseignement et de recherche, d’autre part. »
Chapitre V
Le comité technique paritaire
Article 16
I. - Après l’article L. 951-1 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 951-1-1
ainsi rédigé :
« Art. L. 951-1-1. - Un comité technique paritaire est créé dans chaque établissement
public à caractère scientifique, culturel et professionnel par délibération du conseil
d’administration. Outre les compétences qui lui sont conférées en application de l’article 15
de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction
publique de l’Etat, il est consulté sur la politique de gestion des ressources humaines de
l’établissement. Un bilan de la politique sociale de l’établissement lui est présenté chaque
année. »
MAULET Léa_2010
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L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
II. - Le cinquième alinéa de l’article L. 953-6 du même code est ainsi rédigé :
« La commission paritaire d’établissement prépare les travaux des commissions
administratives paritaires des corps mentionnés au premier alinéa. »
Chapitre VI
Le contrat pluriannuel d’établissement
Article 17
I. - Les deux premières phrases du cinquième alinéa de l’article L. 711-1 du code de
l’éducation sont remplacées par trois phrases ainsi rédigées :
« Les activités de formation, de recherche et de documentation des établissements font
l’objet de contrats pluriannuels d’établissement dans le cadre de la carte des formations
supérieures définie à l’article L. 614-3. Ces contrats prévoient les conditions dans lesquelles
les personnels titulaires et contractuels de l’établissement sont évalués, conformément aux
dispositions de l’article L. 114-3-1 du code de la recherche relatives à l’Agence d’évaluation
de la recherche et de l’enseignement supérieur, ainsi que, le cas échéant, les modalités de
la participation de l’établissement à un pôle de recherche et d’enseignement supérieur. Ils
fixent en outre certaines obligations des établissements et prévoient les moyens et emplois
correspondants pouvant être mis à leur disposition par l’Etat. »
II. - Après le cinquième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Ils mettent en place un outil de contrôle de gestion et d’aide à la décision de nature
à leur permettre d’assumer l’ensemble de leurs missions, compétences et responsabilités
ainsi que d’assurer le suivi des contrats pluriannuels d’établissement. »
TITRE III
LES NOUVELLES RESPONSABILITÉS
DES UNIVERSITÉS
Chapitre Ier
Les responsabilités en matière budgétaire
et de gestion des ressources humaines
Article 18
Dans le chapitre II du titre Ier du livre VII du code de l’éducation, il est inséré une section
2 ainsi rédigée :
« Section 2
« Responsabilités et compétences élargies
« Art. L. 712-8. - Les universités peuvent, par délibération adoptée dans les conditions
prévues à l’article L. 711-7, demander à bénéficier des responsabilités et des compétences
élargies en matière budgétaire et de gestion des ressources humaines prévues aux articles
L. 712-9, L. 712-10 et L. 954-1 à L. 954-3.
« Les dispositions des articles mentionnés au premier alinéa s’appliquent sous réserve
que la délibération du conseil d’administration soit approuvée par arrêté conjoint du ministre
chargé du budget et du ministre chargé de l’enseignement supérieur.
« Art. L. 712-9. - Le contrat pluriannuel d’établissement conclu par l’université avec
l’Etat prévoit, pour chacune des années du contrat et sous réserve des crédits inscrits en loi
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MAULET Léa_2010
Annexes
de finances, le montant global de la dotation de l’Etat en distinguant les montants affectés
à la masse salariale, les autres crédits de fonctionnement et les crédits d’investissement.
« Les montants affectés à la masse salariale au sein de la dotation annuelle de
l’Etat sont limitatifs et assortis du plafond des emplois que l’établissement est autorisé à
rémunérer. Le contrat pluriannuel d’établissement fixe le pourcentage maximum de cette
masse salariale que l’établissement peut consacrer au recrutement des agents contractuels
mentionnés à l’article L. 954-3.
« L’établissement assure l’information régulière du ministre chargé de l’enseignement
supérieur et se dote d’instruments d’audit interne et de pilotage financier et patrimonial selon
des modalités précisées par décret.
« Les comptes de l’université font l’objet d’une certification annuelle par un commissaire
aux comptes.
« Art. L. 712-10. - Les unités et les services communs des universités bénéficiant des
responsabilités et compétences élargies en matière budgétaire prévues à l’article L. 712-9
sont associés à l’élaboration du budget de l’établissement dont ils font partie. Ces unités et
services communs reçoivent chaque année une dotation de fonctionnement arrêtée par le
conseil d’administration de l’université. »
Article 19
I. - Le titre V du livre IX du code de l’éducation est complété par un chapitre IV ainsi
rédigé :
« Chapitre IV
« Dispositions applicables aux universités bénéficiant de responsabilités et de
compétences élargies mentionnées à l’article L. 712-8
« Art. L. 954-1. - Le conseil d’administration définit, dans le respect des dispositions
statutaires applicables et des missions de formation initiale et continue de l’établissement,
les principes généraux de répartition des obligations de service des personnels enseignants
et de recherche entre les activités d’enseignement, de recherche et les autres missions qui
peuvent être confiées à ces personnels.
« Art. L. 954-2. - Le président est responsable de l’attribution des primes aux personnels
qui sont affectés à l’établissement, selon des règles générales définies par le conseil
d’administration. La prime d’encadrement doctoral et de recherche est accordée après avis
du conseil scientifique.
« Le conseil d’administration peut créer des dispositifs d’intéressement permettant
d’améliorer la rémunération des personnels.
« Les conditions d’application du présent article peuvent être précisées par décret.
« Art. L. 954-3. - Sous réserve de l’application de l’article L. 712-9, le président peut
recruter, pour une durée déterminée ou indéterminée, des agents contractuels :
« 1° Pour occuper des fonctions techniques ou administratives correspondant à des
emplois de catégorie A ;
« 2° Pour assurer, par dérogation au premier alinéa de l’article L. 952-6, des fonctions
d’enseignement, de recherche ou d’enseignement et de recherche, après avis du comité
de sélection prévu à l’article L. 952-6-1. »
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L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
II. - Les conséquences de la mise en oeuvre de l’article 18 et du I du présent article font
l’objet d’un avenant au contrat pluriannuel d’établissement en cours.
III. - Le deuxième alinéa de l’article L. 951-2 du code de l’éducation est supprimé.
Chapitre II
Les autres responsabilités
Section 1
Les compétences générales
Article 20
I. - Le deuxième alinéa de l’article L. 612-3 du code de l’éducation est ainsi modifié :
1° La première phrase est ainsi rédigée :
« Tout candidat est libre de s’inscrire dans l’établissement de son choix, sous réserve
d’avoir, au préalable, sollicité une préinscription lui permettant de bénéficier du dispositif
d’information et d’orientation dudit établissement, qui doit être établi en concertation avec
les lycées. » ;
2° Dans la deuxième phrase, les mots : « , en cas de dispense, » sont supprimés.
II. - L’article L. 612-1 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les établissements dispensant des formations sanctionnées par un diplôme d’études
supérieures rendent publiques des statistiques comportant des indicateurs de réussite aux
examens et aux diplômes, de poursuite d’études et d’insertion professionnelle des étudiants.
»
Article 21
Le chapitre Ier du titre Ier du livre VI du code de l’éducation est complété par un article
L. 611-5 ainsi rédigé :
« Art. L. 611-5. - Un bureau d’aide à l’insertion professionnelle des étudiants est créé
dans chaque université par délibération du conseil d’administration après avis du conseil
des études et de la vie universitaire. Ce bureau est notamment chargé de diffuser aux
étudiants une offre de stages et d’emplois variée et en lien avec les formations proposées
par l’université et d’assister les étudiants dans leur recherche de stages et d’un premier
emploi.
« Il conseille les étudiants sur leurs problématiques liées à l’emploi et à l’insertion
professionnelle.
« Le bureau d’aide à l’insertion professionnelle des étudiants présente un rapport
annuel au conseil des études et de la vie universitaire sur le nombre et la qualité des stages
effectués par les étudiants, ainsi que sur l’insertion professionnelle de ceux-ci dans leur
premier emploi. »
Article 22
L’article L. 811-2 du code de l’éducation est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« A cette fin, le chef d’établissement peut recruter, dans des conditions fixées par
décret, tout étudiant, notamment pour des activités de tutorat ou de service en bibliothèque,
sous réserve que l’étudiant soit inscrit en formation initiale dans un établissement public
d’enseignement supérieur.
« Le recrutement s’opère prioritairement sur des critères académiques et sociaux. »
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MAULET Léa_2010
Annexes
Article 23
Après l’article L. 811-3 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 811-3-1 ainsi
rédigé :
« Art. L. 811-3-1. - Les élus étudiants aux différentes instances des établissements
publics d’enseignement supérieur bénéficient d’une information et d’actions de formation, le
cas échéant qualifiantes, définies par les établissements et leur permettant d’exercer leurs
mandats. »
Article 24
I. - Le chapitre II du titre V du livre IX du code de l’éducation est complété par une
section 4 ainsi rédigée :
« Section 4
« Dispositions propres aux personnels de recherche
« Art. L. 952-24. - Les chercheurs des organismes de recherche, les chercheurs
et, dès lors que leurs activités d’enseignement sont au moins égales au tiers des
obligations d’enseignement de référence, les personnels contractuels exerçant des
fonctions d’enseignement ou de recherche dans les établissements publics à caractère
scientifique, culturel et professionnel participent à la vie démocratique des établissements.
Ils sont assimilés aux enseignants et enseignants-chercheurs pour leur participation aux
différents conseils et instances des établissements. »
II. - Après l’article L. 953-6 du même code, il est inséré un article L. 953-7 ainsi rédigé :
« Art. L. 953-7. - Les personnels ingénieurs, techniques et administratifs des
organismes de recherche ou les personnels contractuels qui exercent des fonctions
techniques ou administratives dans les établissements publics à caractère scientifique,
culturel et professionnel participent à la vie démocratique des établissements. Ils sont
assimilés aux personnels ingénieurs, administratifs, techniques, et des bibliothèques,
nommés dans l’établissement pour leur participation aux différents conseils et instances des
établissements. »
Article 25
Après l’article L. 952-6 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 952-6-1 ainsi
rédigé :
« Art. L. 952-6-1. - Sous réserve des dispositions statutaires relatives à la première
affectation des personnels recrutés par concours national d’agrégation d’enseignement
supérieur, lorsqu’un emploi d’enseignant-chercheur est créé ou déclaré vacant, les
candidatures des personnes dont la qualification est reconnue par l’instance nationale
prévue à l’article L. 952-6 sont soumises à l’examen d’un comité de sélection créé par
délibération du conseil d’administration siégeant en formation restreinte aux représentants
élus des enseignants-chercheurs, des chercheurs et des personnels assimilés.
« Le comité est composé d’enseignants-chercheurs et de personnels assimilés, pour
moitié au moins extérieurs à l’établissement, d’un rang au moins égal à celui postulé
par l’intéressé. Ses membres sont proposés par le président et nommés par le conseil
d’administration siégeant en formation restreinte aux représentants élus des enseignantschercheurs et personnels assimilés. Ils sont choisis en raison de leurs compétences, en
majorité parmi les spécialistes de la discipline en cause et après avis du conseil scientifique.
En l’absence d’avis rendu par le conseil scientifique dans un délai de quinze jours, l’avis est
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L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
réputé favorable. Le comité siège valablement si au moins la moitié des membres présents
sont extérieurs à l’établissement.
« Au vu de son avis motivé, le conseil d’administration, siégeant en formation restreinte
aux enseignants-chercheurs et personnels assimilés de rang au moins égal à celui postulé,
transmet au ministre compétent le nom du candidat dont il propose la nomination ou une liste
de candidats classés par ordre de préférence, sous réserve de l’absence d’avis défavorable
du président tel que prévu à l’article L. 712-2.
« Un comité de sélection commun à plusieurs établissements d’enseignement supérieur
peut être mis en place, notamment dans le cadre d’un pôle de recherche et d’enseignement
supérieur. »
Article 26
Après l’article L. 952-1 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 952-1-1 ainsi
rédigé :
« Art. L. 952-1-1. - Dans le cadre des contrats pluriannuels d’établissement mentionnés
à l’article L. 711-1, chaque établissement public à caractère scientifique, culturel et
professionnel présente les objectifs qu’il se fixe en matière de recrutement de maîtres
de conférences n’ayant pas obtenu leur grade universitaire dans l’établissement, ainsi
qu’en matière de recrutement de professeurs des universités n’ayant pas exercé,
immédiatement avant leur promotion à ce grade, des fonctions de maître de conférences
dans l’établissement. »
Article 27
L’antépénultième phrase du sixième alinéa de l’article L. 711-1 du code de l’éducation
est ainsi rédigée :
« Ils peuvent prendre des participations, participer à des groupements et créer des
filiales dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. »
Section 2
Les compétences particulières
Article 28
Le chapitre IX du titre Ier du livre VII du code de l’éducation est complété par les
dispositions suivantes :
« Section 5
« Autres dispositions communes
« Art. L. 719-12. - Les établissements publics à caractère scientifique, culturel et
professionnel peuvent créer en leur sein une ou plusieurs fondations universitaires, non
dotées de la personnalité morale, résultant de l’affectation irrévocable à l’établissement
intéressé de biens, droits ou ressources apportés par un ou plusieurs fondateurs pour la
réalisation d’une ou plusieurs oeuvres ou activités d’intérêt général et à but non lucratif
conformes aux missions du service public de l’enseignement supérieur visées à l’article L.
123-3.
« Ces fondations disposent de l’autonomie financière.
« Les règles relatives aux fondations reconnues d’utilité publique, dans les conditions
fixées notamment par la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat,
s’appliquent aux fondations universitaires sous réserve des dispositions du présent article.
70
MAULET Léa_2010
Annexes
« Les opérations de recettes et de dépenses effectuées au titre de chacune des
fondations créées dans les conditions prévues au premier alinéa respectent les actes
constitutifs de chacune des fondations et, le cas échéant, les règles applicables aux comptes
des fondations.
« Un décret en Conseil d’Etat détermine les règles générales de fonctionnement de
ces fondations et, notamment, la composition de leur conseil de gestion, la place au sein
de celui-ci du collège des fondateurs, les modalités d’exercice d’un contrôle de l’Etat et les
conditions dans lesquelles la dotation peut être affectée à l’activité de la fondation.
« Les règles particulières de fonctionnement de chaque fondation sont fixées dans ses
statuts qui sont approuvés par le conseil d’administration de l’établissement.
« Art. L. 719-13. - Les établissements publics à caractère scientifique, culturel et
professionnel peuvent créer, en vue de la réalisation d’une ou plusieurs oeuvres ou activités
d’intérêt général conformes aux missions de l’établissement, une personne morale à but non
lucratif dénommée fondation partenariale. Ils peuvent créer cette fondation seuls ou avec
les personnes morales visées à l’article 19 de la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 précitée.
« Les règles relatives aux fondations d’entreprise, dans les conditions fixées notamment
par la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 précitée, s’appliquent aux fondations partenariales
sous réserve des dispositions du présent article.
« Outre les ressources visées à l’article 19-8 de la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987
précitée, les ressources de ces fondations comprennent les legs, les donations et le
mécénat.
« Les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel
disposent de la majorité des sièges au conseil d’administration.
« Les règles particulières de fonctionnement de chaque fondation sont fixées dans ses
statuts qui sont approuvés par le conseil d’administration de l’établissement. »
Article 29
Le code général des impôts est ainsi modifié :
1° Dans le a du 1 de l’article 200, après les mots : « sous réserve du 2 bis », sont insérés
les mots : « , de fondations universitaires ou de fondations partenariales mentionnées
respectivement aux articles L. 719-12 et L. 719-13 du code de l’éducation » ;
2° Dans la première phrase du a du 1 de l’article 238 bis, avant les mots : « d’une
fondation d’entreprise », sont insérés les mots : « d’une fondation universitaire, d’une
fondation partenariale mentionnées respectivement aux articles L. 719-12 et L. 719-13 du
code de l’éducation ou ».
Article 30
Après le e du 1 de l’article 238 bis du code général des impôts, il est inséré un e bis
ainsi rédigé :
« e bis. De projets de thèse proposés au mécénat de doctorat par les écoles doctorales
dans des conditions fixées par décret ; ».
Article 31
I. - Le premier alinéa du I de l’article 1716 bis du code général des impôts est complété
par les mots : « , ou par la remise de blocs de titres de sociétés cotées, de titres d’organismes
de placement collectif en valeurs mobilières investis en titres de sociétés cotées ou en
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71
L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
obligations négociables, ainsi que d’obligations négociables, afin de les céder à titre gratuit,
en tant que dotation destinée à financer un projet de recherche ou d’enseignement dont
l’intérêt est reconnu par le ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, à
un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel, un établissement
à caractère scientifique et technologique ou à une fondation de recherche reconnue d’utilité
publique ou assimilée ».
II. - Après le 1° de l’article 1723 ter-00 A du même code, il est inséré un 1° bis ainsi
rédigé :
« 1° bis Les dispositions de l’article 1716 bis relatives au paiement des droits par
remise de blocs de titres de sociétés cotées, de titres d’organismes de placement collectif
en valeurs mobilières investis en titres de sociétés cotées ou en obligations négociables ou
d’obligations négociables ; ».
Article 32
Après l’article L. 719-13 du code de l’éducation, tel qu’il résulte de l’article 28, il est
inséré un article L. 719-14 ainsi rédigé :
« Art. L. 719-14. - L’Etat peut transférer aux établissements publics à caractère
scientifique, culturel et professionnel qui en font la demande la pleine propriété des biens
mobiliers et immobiliers appartenant à l’Etat qui leur sont affectés ou sont mis à leur
disposition. Ce transfert s’effectue à titre gratuit. Il s’accompagne, le cas échéant, d’une
convention visant à la mise en sécurité du patrimoine, après expertise contradictoire. Il
ne donne lieu ni à un versement de salaires ou honoraires au profit de l’Etat ni à aucune
indemnité ou perception de droits ou de taxes au profit de l’Etat. Les biens qui sont utilisés
par l’établissement pour l’accomplissement de ses missions de service public peuvent faire
l’objet d’un contrat conférant des droits réels à un tiers, sous réserve de l’accord préalable
de l’autorité administrative compétente et de clauses permettant d’assurer la continuité du
service public. »
Article 33
La deuxième phrase du premier alinéa de l’article L. 719-4 du code de l’éducation est
ainsi rédigée :
« Ils peuvent disposer des ressources provenant notamment de la vente des biens, des
legs, donations et fondations, rémunérations de services, droits de propriété intellectuelle,
fonds de concours, de la participation des employeurs au financement des premières
formations technologiques et professionnelles et de subventions diverses. »
TITRE IV
DISPOSITIONS DIVERSES
Article 34
L’article L. 711-8 du code de l’éducation est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le rapport établi chaque année par le recteur, chancelier des universités, sur
l’exercice du contrôle de légalité des décisions et délibérations des organes statutaires des
établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel est rendu public. »
Article 35
Le deuxième alinéa de l’article L. 612-1 du code de l’éducation est ainsi rédigé :
72
MAULET Léa_2010
Annexes
« Au cours de chaque cycle sont délivrés des diplômes nationaux ou des diplômes
d’établissement sanctionnant les connaissances, les compétences ou les éléments de
qualification professionnelle acquis. Les grades de licence, de master et de doctorat sont
conférés respectivement dans le cadre du premier, du deuxième et du troisième cycle. »
Article 36
Le chapitre III du titre III du livre II du code de l’éducation est ainsi rédigé :
« Chapitre III
« La Conférence des chefs d’établissements
de l’enseignement supérieur
« Art. L. 233-1. - I. - La Conférence des chefs d’établissements de l’enseignement
supérieur est composée des responsables des écoles françaises à l’étranger, des directeurs
des instituts et des écoles extérieurs aux universités ainsi que des membres de deux
conférences constituées respectivement :
« - des présidents d’université, des responsables des grands établissements et des
directeurs d’écoles normales supérieures ;
« - des responsables d’établissements d’enseignement supérieur, d’instituts ou écoles
internes à ces établissements habilités à délivrer le diplôme d’ingénieur et des directeurs
des écoles d’ingénieurs, autres que celles relevant du ministre chargé de l’enseignement
supérieur, ayant, le cas échéant, reçu l’approbation de leur autorité de tutelle.
« Ces deux conférences se réunissent séparément pour examiner les questions qui
les concernent.
« Chacune de ces deux conférences peut se constituer en une association régie par la
loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association.
« II. - La Conférence des chefs d’établissements de l’enseignement supérieur, en
formation plénière, élit en son sein un président et un bureau pour une durée de deux ans.
Elle étudie toutes les questions intéressant les établissements qu’elle représente. Elle peut
formuler des voeux à l’intention du ministre chargé de l’enseignement supérieur. Celui-ci lui
soumet les problèmes pour lesquels il requiert son avis motivé.
« Art. L. 233-2. - Les associations mentionnées au dernier alinéa du I de l’article L. 233-1
ont vocation à représenter auprès de l’Etat, de l’Union européenne et des autres instances
internationales compétentes en matière d’enseignement supérieur et de recherche les
intérêts communs des établissements qu’elles regroupent. Elles bénéficient, sous réserve
de leur agrément par le ministre chargé de l’enseignement supérieur, du régime des
associations reconnues d’utilité publique.
« A cette fin, elles peuvent percevoir, outre les cotisations annuelles versées par les
établissements qu’elles représentent, des subventions de l’Etat et des autres collectivités
publiques, ainsi que toute autre ressource conforme à leur statut. Elles sont soumises au
contrôle de la Cour des comptes.
« Ces associations peuvent bénéficier du concours d’agents publics titulaires ou
contractuels mis à leur disposition par l’administration ou l’établissement public dont ils
dépendent ou de fonctionnaires placés en position de détachement. »
Article 37
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L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
La première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 232-1 du code de l’éducation est
ainsi rédigée :
« Les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel sont
représentés par les deux conférences composant la Conférence des chefs d’établissements
de l’enseignement supérieur, qui désignent leurs représentants, et par des représentants
élus des personnels et des étudiants, élus au scrutin secret par collèges distincts. »
Article 38
Le c du 1 des articles 200 et 238 bis du code général des impôts est ainsi rédigé :
« c) Des établissements d’enseignement supérieur ou d’enseignement artistique
publics ou privés, d’intérêt général, à but non lucratif ; ».
Article 39
A compter de l’année universitaire 2008-2009, les épreuves classantes nationales du
troisième cycle des études médicales comportent une épreuve de lecture critique d’un ou
plusieurs articles scientifiques.
Article 40
Le titre III du livre II de la première partie du code de l’éducation est complété par un
chapitre X ainsi rédigé :
« Chapitre X
« Le médiateur de l’éducation nationale
et de l’enseignement supérieur
« Art. L. 23-10-1. - Un médiateur de l’éducation nationale et de l’enseignement
supérieur, des médiateurs académiques et leurs correspondants reçoivent les réclamations
concernant le fonctionnement du service public de l’éducation nationale et de
l’enseignement supérieur dans ses relations avec les usagers et ses agents. »
Article 41
Le premier alinéa de l’article L. 353-21 du code de la construction et de l’habitation est
ainsi modifié :
1° Après le mot : « mixte », sont insérés les mots : « et les centres régionaux des
oeuvres universitaires et scolaires » ;
2° Le mot : « elles » est remplacé par le mot : « ils ».
TITRE V
DISPOSITIONS RELATIVES À L’OUTRE-MER
Article 42
I. - Les articles 22, 23 et 37 s’appliquent à Mayotte.
Les articles 1er, 20, 22, 23, 27, 33 à 35, 37 et 47 ainsi que l’article 36, à l’exclusion de
ses trois derniers alinéas, s’appliquent en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.
II. - Le code de l’éducation est ainsi modifié :
1° Dans les articles L. 263-1 et L. 264-1, après la référence : « L. 233-1 », est insérée
la référence : « , L. 233-2 » ;
2° Avant le premier alinéa de l’article L. 772-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
74
MAULET Léa_2010
Annexes
« L’article L. 719-14 est applicable à Mayotte. » ;
3° Les articles L. 973-1 et L. 974-1 sont ainsi modifiés :
a) Sont ajoutés le mot et la référence : « et L. 953-7 » ;
b) Après la référence : « L. 952-1 » sont insérées les références : « , L. 952-2 à L.
952-6, L. 952-7 » ;
c) Après la référence : « L. 952-20 », est insérée la référence : « , L. 952-24 ».
III. - Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est
autorisé à prendre par ordonnances, dans un délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur
de la présente loi, les mesures législatives nécessaires à l’extension et à l’adaptation à la
Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française des dispositions de la présente loi.
Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est
autorisé à modifier par ordonnance le code de l’éducation, dans un délai d’un an à compter
de l’entrée en vigueur de la présente loi, pour apporter les adaptations nécessaires à
l’application des dispositions de ce code relatives à l’enseignement supérieur dans les îles
Wallis et Futuna.
Les projets de loi de ratification sont déposés devant le Parlement au plus tard six mois
à compter de la publication des ordonnances.
IV. - Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est
autorisé à prendre par ordonnances, dans un délai de six mois à compter de la publication
de la présente loi, des mesures portant adaptation des titres II et III aux caractéristiques et
contraintes particulières des régions et départements d’outre-mer, en particulier pour leur
application aux universités implantées dans plusieurs régions et départements d’outre-mer.
Le projet de loi de ratification est déposé au plus tard six mois à compter de la publication
des ordonnances.
L’application des titres II et III de la présente loi aux universités implantées dans
plusieurs départements ou régions d’outre-mer est repoussée de six mois.
TITRE VI
DISPOSITIONS TRANSITOIRES ET FINALES
Article 43
I. - Le conseil d’administration de l’université en exercice à la date de publication de
la présente loi détermine, par délibération statutaire, la composition du nouveau conseil
d’administration conformément aux dispositions de l’article 7.
En l’absence de délibération statutaire adoptée dans un délai de six mois à compter de
la publication de la présente loi, le premier conseil d’administration élu conformément aux
dispositions de la présente loi comprend vingt membres.
II. - Un nouveau conseil d’administration est désigné conformément aux dispositions
de la présente loi au plus tard dans un délai d’un an à compter de sa publication.
Les membres des conseils d’administration en place à la date de publication de la
présente loi dont le mandat expire avant la date fixée pour l’élection des membres élus
du premier conseil constitué conformément aux dispositions du premier alinéa siègent
valablement jusqu’à cette date.
III. - Les conseils scientifiques et les conseils des études et de la vie universitaire en
exercice à la date de publication de la présente loi siègent valablement jusqu’à la première
MAULET Léa_2010
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L'Espace Européen de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche: Histoire d'un projet dénaturé
élection du conseil d’administration suivant l’entrée en vigueur de la présente loi. Le 1° de
l’article 8 s’applique au premier renouvellement du conseil scientifique.
IV. - Les présidents en fonction au 1er septembre 2007 dont le mandat expire
avant la date fixée pour l’élection des membres du premier conseil d’administration élu
conformément à la présente loi sont maintenus en fonction jusqu’à cette date dans la limite
du délai d’un an prévu au II.
Lorsque la durée de leur mandat restant à courir est supérieure à six mois,
les présidents en exercice à la date de l’élection des membres du nouveau conseil
d’administration restent en fonction jusqu’au terme de leur mandat. Ils proposent
à l’approbation des membres élus du nouveau conseil d’administration la liste des
personnalités extérieures nommées conformément au II de l’article L. 712-3 du code de
l’éducation. Le nouveau conseil d’administration délibère sur le maintien en exercice desdits
présidents. Au terme de leur mandat, de nouveaux présidents sont élus conformément à
la présente loi, dont le mandat prend fin avec celui des membres non étudiants du conseil
d’administration en fonction à la date de leur élection.
Le mandat des présidents en fonction à la date de l’élection du nouveau conseil
d’administration peut être renouvelé une fois.
Article 44
Par dérogation au II de l’article 43, la désignation du nouveau conseil d’administration,
conformément aux dispositions de la présente loi, est repoussée de six mois dans les
universités ayant décidé, avant la publication de la présente loi, de se regrouper dans une
université unique au plus tard le 1er janvier 2009.
Article 45
Les articles 5, 6, 9 à l’exception de son dernier alinéa, la dernière phrase du troisième
alinéa de l’article 11, les articles 12, 14, 15, 18, 19 et 25, ainsi que le IV de l’article L. 712-3
du code de l’éducation et le 2° de l’article 8 de la présente loi s’appliquent à compter de
l’installation du nouveau conseil d’administration.
Article 46
Les commissions de spécialistes en exercice à la date de publication de la présente
loi sont maintenues en fonction dans un délai d’un an à compter de la publication de la
présente loi.
Au terme de ce délai, les compétences précédemment exercées par les commissions
susmentionnées sont exercées, sous réserve des dérogations qui peuvent être prévues
par décret en Conseil d’Etat et à l’exception des compétences dévolues aux comités de
sélection institués par la présente loi, par le conseil scientifique en formation restreinte aux
enseignants-chercheurs.
Article 47
Le I de l’article 20 s’applique pour la rentrée 2008-2009.
Article 48
Les comités techniques paritaires existant à la date d’entrée en vigueur de la présente
loi exercent l’ensemble des compétences prévues à l’article L. 951-1-1 du code de
l’éducation. Les textes qui les ont institués ne peuvent être modifiés que conformément à
la procédure prévue au même article.
Article 49
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Annexes
Le chapitre Ier du titre III de la présente loi s’applique de plein droit à toutes les
universités au plus tard dans un délai de cinq ans à compter de sa publication.
Article 50
Après l’article L. 711-8 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 711-9 ainsi
rédigé :
« Art. L. 711-9. - I. - Les établissements publics à caractère scientifique, culturel et
professionnel autres que les universités peuvent demander à bénéficier, dans les conditions
fixées par l’article L. 712-8, des responsabilités et des compétences élargies en matière
budgétaire et de gestion des ressources humaines mentionnées aux articles L. 712-9, L.
712-10 et L. 954-1 à L. 954-3.
« II. - Un décret en Conseil d’Etat précise les conditions dans lesquelles les
établissements publics administratifs dont les missions comportent l’enseignement
supérieur et la recherche peuvent demander à bénéficier, dans les conditions fixées
par l’article L. 712-8, des responsabilités et des compétences élargies mentionnées au
I du présent article. Ce décret précise également les conditions dans lesquelles ces
établissements sont habilités à créer une fondation partenariale, dans les conditions
définies à l’article L. 719-13, et à bénéficier du transfert des biens mobiliers et immobiliers
appartenant à l’Etat qui leur sont affectés ou sont mis à leur disposition, dans les conditions
fixées à l’article L. 719-14. »
Article 51
Un décret institue un comité de suivi chargé d’évaluer l’application de la présente loi.
Ce comité comprend notamment deux députés et deux sénateurs, dont respectivement un
titulaire et un suppléant, désignés par leurs assemblées respectives. Il transmet chaque
année au Parlement un rapport sur ses travaux.
La présente loi sera exécutée comme loi de l’Etat.
Fait à Paris, le 10 août 2007.
Nicolas Sarkozy
Par le Président de la République :
Le Premier ministre,
François Fillon
La ministre de l’enseignement supérieur
et de la recherche,
Valérie Pécresse
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