Ma femme m`a battu pendant sept ans

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Ma femme m`a battu pendant sept ans
SOCIÉTÉ
Rescapé de longues années
de violences physique et
psychologique de la part
de son ex-épouse, Daniel
vit aujourd’hui seul. Ses
deux enfants, désormais
adultes et dont il a obtenu
la garde après des années
de procédures, sont restés
très proches de lui.
«Ma femme
m’a battu
pendant
sept ans»
Victime d’une épouse violente dont
il est aujourd’hui divorcé, Daniel*
a accepté de sortir du silence pour
raconter son calvaire, qu’il a enduré
des années par peur de laisser
ses enfants seuls avec leur mère.
Photos JULIE DE TRIBOLET - Textes AURÉLIE JAQUET
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SOCIÉTÉ
VIOLENCE DOMESTIQUE
Texte AURÉLIE JAQUET
I
l parle lentement et interrompt parfois son récit,
comme pour mieux faire
ressurgir les souvenirs de ce
calvaire qu’il a si longtemps
cherché à enfouir. Attablé
face à nous dans son séjour,
le regard bleu dans le vague,
Daniel* accepte de raconter
son passé d’homme battu.
Pour briser le tabou de la violence et encourager d’autres
victimes à sortir comme lui
du silence. Rescapé il y a une
quinzaine d’années des griffes
d’une femme qui lui a fait vivre
l’enfer, ce sexagénaire romand
n’a pas souhaité témoigner à
visage découvert, par égard
pour ses deux enfants, adultes
aujourd’hui mais encore profondément marqués par cette
jeunesse témoin de coups, de
dénigrements, d’insultes et de
manipulations.
PHOTO: JULIE DE TRIBOLET
Première violence la veille
de leur mariage
Daniel a la petite trentaine
lorsqu’il fait la connaissance de
celle qui deviendra son épouse.
Une étrangère de dix ans sa
cadette, rencontrée alors qu’il
est en poste pour la Confédération dans un pays du Sud. Le
Suisse tombe sous le charme
de cette belle femme aux longs
cheveux noirs, communiste
convaincue et engagée auprès
des plus démunis. «J’ai été
séduit par son côté vivant, son
aisance avec les autres, son tempérament volontaire.»
Le premier coup survient la
veille de leur mariage, un an
après leur rencontre. «On avait
invité des amis à la maison.
Tout le monde discutait autour
de la table, quand soudain j’ai
reçu un verre de schnaps en
pleine figure. Elle s’est levée et
m’a insulté parce que j’avais
selon elle trop parlé à la femme
assise à côté de moi. J’étais sous
le choc. Quand les invités sont
partis, elle s’est mise à pleurer et
m’a juré qu’elle ne recommencerait plus jamais. J’étais naïf et
amoureux, j’ai mis cet épisode
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sur le compte du stress du
mariage. J’aurais dû le percevoir
comme un signal d’alarme»,
reconnaît-il aujourd’hui.
Leur premier enfant naît un
an après leur union, dans le
pays où ils se sont rencontrés.
Puis arrive le second, trois
ans plus tard. A la maison, les
insultes et les coups se font
de plus en plus fréquents et
violents. «En plus de sa jalousie maladive, elle exerçait un
contrôle absolu sur ma vie.
Elle avait développé un réseau
d’espions parmi mes collègues
de travail, qui lui faisaient un
compte rendu détaillé de mes
journées.» Les soirées virent
régulièrement au cauchemar.
Sous les yeux de leurs deux
enfants, elle s’en prend à lui de
sang-froid.
«Son corps tremblait»
Il se souvient de cette crise, où
elle lui lance une tasse de café
bouillant au visage. Ou de cette
fois où elle le frappe avec un
cadre métallique sur le crâne.
Au fil du temps, Daniel apprend
à anticiper et à reconnaître les
signes annonciateurs des accès
de violence de son épouse.
«Son corps et ses lèvres tremblaient, sa force était décuplée
par la colère. Je n’ai jamais tenté
de lui rendre ses coups, mais
je me défendais tant bien que
mal en lui attrapant les cheveux
et en l’immobilisant à terre. Je
sentais sa tension se relâcher
après dix ou quinze minutes.
Elle entrait presque dans une
forme de relaxation, signe que
la crise était en train de passer.»
L’homme est blessé à plusieurs
reprises. «Il m’arrivait de fuir la
maison les vêtements tachés de
sang pour aller me réfugier la
nuit au bureau avec mon sac de
couchage. Le matin, je croisais
mes collègues. Tout le monde
était au courant.»
Il y avait aussi les insultes,
quasi quotidiennes. «Avec le
recul, je crois d’ailleurs que
cette violence psychologique
me détruisait plus encore que
les coups.» Un soir, alors qu’ils
reçoivent des amis chez eux,
«J’ai souvent
eu peur qu’elle
me tue»
une nouvelle scène éclate. «Cela
faisait une bonne demi-heure
qu’elle me harcelait devant
tout le monde, à répéter que je
la trompais. Je lui ai demandé
trois fois d’arrêter, sans succès.
Je lui ai alors donné une petite
tape sur la joue. Elle a saisi le
gros couteau à gigot et a sauté
par-dessus la table pour essayer
de me le planter dans la poitrine. J’ai réussi à filer juste à
temps. Les invités sont partis. A
mon retour, elle pleurait et me
jurait une fois encore qu’elle ne
recommencerait plus.»
Les enfants victimes aussi
Craignant pour sa vie et celle
de ses enfants, envers qui son
épouse commence également à
montrer quelques signes de violence, Daniel décide de rentrer
en Suisse.
Il nourrit l’espoir que les
structures d’aide psychologiques et le changement de
cadre améliorent les choses. En
vain. Dans son désir de contrôle,
elle le force aussi à des rapports
sexuels. L’instrumentalisation
de leurs enfants s’intensifie, elle
va jusqu’à leur raconter que
Daniel entretient une relation
incestueuse avec sa propre
mère. «Je me souviendrai toujours de ce jour où l’un d’eux
m’a dit: «Papa, pourquoi tu
n’es pas normal?» Ils ont aussi
confié avoir entendu leur mère
affirmer qu’elle comptait me
tuer», poursuit-il la voix tremblante, ajoutant que ses enfants
ont aussi subi des violences
physiques. Daniel tente de discuter à plusieurs reprises, sans
succès. «Je me suis demandé
si elle-même avait été victime
d’abus étant enfant, mais elle
refusait de parler.»
Le coup de trop
Le déclic pour se sortir de cet
enfer survient deux ans après
leur arrivée en Suisse. «Un soir,
alors que je jouais avec mes
enfants dans leur chambre,
mon épouse me bondit dessus,
tente de me crever les yeux et
me lance un immense coup de
▷
pied dans les organes géni-
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VIOLENCE DOMESTIQUE
PHOTO: JULIE DE TRIBOLET
«La violence psychologique m’a fait
plus de mal que les coups»
taux. Cette nuit-là, je me suis
barricadé dans mon bureau
pour dormir seul et je me suis
promis de quitter le domicile
familial avec mes enfants au
petit matin.» Mais sa peur de
réveiller son épouse et de la
rendre dangereuse le fait changer d’avis. «J’ignorais surtout
où partir, car aucune structure
n’existait pour accueillir un
père et ses enfants.» Daniel
se réfugie seul à l’Armée du
Salut, alerte immédiatement le
Service de protection de la jeunesse ainsi que les enseignants
de ses enfants et demande leur
garde. Sans succès. «On croit
facilement la mère, mais pas le
père.» Son ex-épouse le supplie à deux reprises de revenir.
«J’étais déterminé à ce que ça
s’arrête pour de bon. Je ne suis
pas resté toutes ces années par
masochisme ou par culpabilité,
mais uniquement pour protéger
mes enfants. Ça a été difficile à
faire comprendre, surtout qu’en
tant qu’homme on nous prend
rarement au sérieux. Comme si,
aux yeux de la société, admettre
qu’on a été battu ne faisait pas
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vraiment de vous un homme.»
Une longue bataille juridique
s’engage alors entre les époux
jusqu’à ce que Daniel obtienne
enfin, après sept ans, un transfert de la garde de ses enfants.
Déni de la société
Après une longue période de
«trou noir», il a aujourd’hui
réussi à se reconstruire en
partie et a même connu une
ou deux «jolies histoires»
avec d’autres femmes. «Mais
ma confiance reste un peu
ébranlée», avoue-t-il. Il n’a
jamais attendu d’excuses de son
ex-épouse. A l’époque, pour
réussir à tourner la page, il
décide de rejoindre un mouvement de la condition paternelle
pour partager son expérience
avec d’autres pères de famille
victimes du même calvaire que
lui. «Avec le recul, je ne sais
pas ce qui m’a fait le plus de
mal, entre la violence de mon
épouse ou celle de la société de
ne pas reconnaître mon statut
de victime. A mon sens, nier la
violence est encore plus violent
que les actes eux-mêmes.»
* Nom connu de la rédaction
Les chiffres de la violence contre les hommes
24%
La part d’hommes parmi
les victimes de meurtres et
d’assassinats perpétrés dans
le cadre du couple, selon
l’Office fédéral de la statistique (résultats pour 2009 et
2010 ).
20%
La proportion d’hommes
parmi les victimes de lésions
corporelles graves perpétrées
au sein du couple, toujours
selon l’OFS (résultats pour
2009 et 2010 ).
1
Le nombre de foyers pour
hommes battus en Suisse.
Baptisé ZwüscheHalt (arrêt
intermédiaire), il se trouve
près d’Aarau et a ouvert ses
portes en 2009. Ce foyer,
d’une capacité de sept places,
affiche complet depuis
le mois de mai. Les pères
peuvent y emmener leurs
enfants.
6
Le nombre d’organisations
paternelles actives en Suisse
romande, soit une par canton
(dont une commune pour le
Jura et le Jura bernois), regroupées sous l’égide de la CROP,
la Coordination romande des
organisations paternelles.
Ces six structures offrent un
soutien et des conseils aux
pères en voie de séparation ou
de divorce ainsi qu’aux pères
victimes de violence.
www.crop.ch

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