de l`acceptation à la reconnaissance de la personne handicapée en

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de l`acceptation à la reconnaissance de la personne handicapée en
DE L'ACCEPTATION À LA RECONNAISSANCE DE LA PERSONNE
HANDICAPÉE EN FRANCE : UN LONG ET DIFFICILE PROCESSUS
D'INTÉGRATION
Roy Compte
ERES | Empan
2008/2 - n° 70
pages 115 à 122
ISSN 1152-3336
Article disponible en ligne à l'adresse:
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Compte Roy, « De l'acceptation à la reconnaissance de la personne handicapée en France : un long et difficile
processus d'intégration »,
Empan, 2008/2 n° 70, p. 115-122. DOI : 10.3917/empa.070.0115
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Ainsi 42 % de la population française
déclarent être affectés d’au moins une
déficience, 21 % disent avoir au moins
une incapacité et 9 % doivent recourir à
une aide humaine régulière pour accomplir des actes de la vie quotidienne ou de
participation à la vie sociale et culturelle.
6,6 % de la population française vivant en
institution ou en domicile ordinaire souffrent de déficience mentale ou intellectuelle, 13,4 % souffrent d’une déficience
motrice plus ou moins invalidante (du
rhumatisme à la tétraplégie) et 11,4 %
sont atteints d’une déficience sensorielle.
Notons que 650 000 à 700 000 personnes
handicapées sont accueillies dans des
institutions spécialisées.
LES PERSONNES HANDICAPÉES
EN FRANCE, UNE POPULATION
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TRÈS HÉTÉROGÈNE
S’interroger sur la question du handicap
et la situation des personnes handicapées
en France c’est s’interroger sur une réalité
complexe, difficile à cerner, tant la
nature, l’origine, et le degré de la déficience, tout autant que l’environnement
qui révèle le handicap, sont divers.
Cependant, l’enquête HID (handicaps,
incapacité, dépendance), première
enquête d’envergure sur le handicap,
menée par l’INSEE 1 nous permet de
donner une estimation du nombre de
personnes vivant en domicile ordinaire ou
en institution, touchées par les différents
types de handicaps. Cette enquête repose
sur les déclarations des personnes enquêtées sur leur état de santé.
Ces chiffres montrent que le phénomène
handicap, par son importance, sa
complexité, sa diversité et par la réalité
sociale qu’il recouvre, est d’un point de
Roy Compte, docteur en sociologie, chercheur associé au laboratoire RELACS, université du Littoral, côte d’Opale,
BP 5528, 59140 Dunkerque. [email protected]
1. Enquête de population menée par l’INSEE de 1998 à 2000 pour la population résidant dans les institutions
sociales et médico-sociales et de 1999 à 2001 pour la population résidant à domicile. Voir P. Mormiche et le
groupe de projet HID, Le handicap se conjugue au pluriel, INSEE Première, n° 742, octobre 2000.
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Actualités du secteur
De l’acceptation
à la reconnaissance
de la personne handicapée
en France : un long et difficile
processus d’intégration
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vue sociologique un phénomène social
total. Le handicap, réalité sociale objective
par ce qu’il représente comme poids économique et social 2 est investi de sens par les
acteurs sociaux c’est-à-dire par ceux qui
sont confrontés idéologiquement, physiquement, affectivement, intellectuellement,
économiquement, politiquement avec la
réalité du handicap. Et c’est l’investissement de sens qui construit cette réalité et
qui lui donne forme, existence, cadre,
norme, figure sans toutefois lui donner une
transparence idéologique 3.
dienne…) les personnes, entre 3 et 15 % de
la population française de 17-59 ans, se
déclarent plus ou moins « handicapées 6 ».
Le handicap apparaît donc comme une
question tout autant subjective, ressentie et
vécue par les individus concernés que relevant d’un problème de société dans ce que
celle-ci peut faire pour rendre accessible,
viable, l’environnement physique et
humain. La Classification internationale du
fonctionnement, du handicap et de la santé
(CIF 7) marque bien cette orientation
nouvelle de la pensée sur le handicap en
intégrant dans l’apparition, la réduction ou
l’aggravation des handicaps, les facteurs
contextuels et environnementaux.
DE LA NÉCESSITÉ DE PRÉCISER
LA NOTION DE HANDICAP
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Handicap, handicapé, des mots qui recouvrent des réalités bien différentes dont le
trisomique et le paraplégique, tous deux
figures emblématiques de handicaps caractérisés, mental ou physique, ne peuvent
pour autant en donner la mesure. Malgré la
loi du 11 février 2005 pour l’égalité de droit
et des chances de la participation et la
citoyenneté des personnes handicapées, qui
pour la première fois donne une définition
du handicap 4, les handicapés constituent,
comme le notait Claude Veil, un groupe
social aux contours imprécis 5. L’enquête
HID montre bien que selon les critères retenus (santé, travail, loisirs, vie quoti-
Le vocable handicap, handicapé, a été
employé pour la première fois dans un texte
de loi concernant l’emploi des travailleurs
handicapés en 1957 8. Ce recours d’un
vocable jugé moins discriminatoire après
d’autres dénominations comme infirme,
inadapté, incapable, invalide va être officialisé et entrer dans le langage courant avec la
loi d’orientation en faveur des personnes
handicapées du 30 juin 1975.
En changeant de vocabulaire et en adoptant
les termes handicap/handicapé, la société a
cherché d’une part à supprimer les connotations négatives et stigmatisantes des
2. En 2001, les prestations sociales versées au titre du handicap, de l’invalidité et des accidents de travail se sont
élevées à 25,6 milliards d’euros, soit 6,1 % de l’ensemble des dépenses de prestations de protection sociale. Voir le
compte social du handicap de 1995 à 2001, dans Le handicap en chiffres, Paris, CTNERHI, février 2004.
3. Roy Compte, La figure du handicap, analyse d’une construction sociale et politique, thèse de doctorat,
Montpellier III, 1999.
4. Article 2, « constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de
participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison de son altération
substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou
psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble invalidant ».
5. C. Veil, Handicap et société, Paris, Flammarion, 1968, p. 130.
6. A. Fronteau, P. Le Quéau, « Le handicap : du problème personnel à la reconnaissance sociale », Credoc
consommation et mode de vie, n° 163, avril 2003.
7. Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé, OMS, http://www.who.int/icidh
8. Cf. Loi n° 57-1223 du 23 novembre 1957, article 13.
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termes utilisés jusqu’alors pour désigner les
personnes différentes et en difficultés,
d’autre part à ancrer le handicap dans le
social comme notion éminemment sociale.
Le choix d’un tel vocable marque aussi la
volonté de notre société d’utiliser un
nouveau mode de gestion de l’altérité.
handicap et normaliser son image, le structure à son corps défendant autour de l’anormalité et de la marginalité. Aussi, on peut
penser que le champ du handicap se constitue autant dans l’oscillation permanente
entre médical et social que dans la représentation du normal et du pathologique.
La notion de handicap se trouve ainsi
imbriquée dans le champ de la santé par sa
dimension individuelle et dans le champ
législatif par sa dimension sociale car c’est
la loi qui définit qui est handicapé ou qui ne
l’est pas. C’est au travers la commission
des Droits et de l’autonomie des personnes
handicapées 9, instance de désignation seule
compétente pour apprécier le taux d’incapacité de la personne handicapée, attribuer
la prestation de compensation, reconnaître
la qualité de travailleur handicapé, se
prononcer sur les mesures de compensation
facilitant l’insertion scolaire… que la
personne handicapée accède au statut
d’ayant droit tel que le stipule la loi du
11 février 2005 (art. 2) : droit à la solidarité
nationale qui lui garantit l’accès aux droits
fondamentaux reconnus à tous les citoyens
ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté.
De ce point de vue, notre manière de penser
le handicap se construit certes, autour des
organisations, des institutions qui sont
autant de déterminants sociaux qui génèrent des modèles de pensée mais aussi dans
les rapports complexes qui peuvent se
nouer entre sujet handicapé et non handicapé.
Face aux situations de handicap et d’inadaptation (physiques, mentales, sociales)
et des réponses apportées par les politiques
sociales, le rapport au handicap évolue dans
le cadre d’une réalité objectivée, concrète,
observable à laquelle se juxtapose une
interface imaginaire et symbolique 10. Ici,
les représentations sociales du handicap ont
une place primordiale dans la construction
de la figure du handicap.
LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES
DU HANDICAP AU CENTRE DU PROCESSUS
D’ACCEPTATION DU SUJET HANDICAPÉ
Le terme de handicap, handicapé, est utilisé
aussi bien et indifféremment dans le champ
médical pour désigner les personnes souffrant de déficiences et/ou d’incapacités,
celles-ci désignant le handicap, que dans le
champ social pour spécifier le niveau de
contrainte, de difficulté ou de désavantage.
Ainsi, si la prise en charge socio-économique essaie de gommer, dans un modèle
social du handicap, la singularité du sujet,
celui-ci se trouve au centre d’enjeux de
« pouvoir » (médical, politique, économique,…) qui, au lieu de banaliser le
Les représentations sociales sont au centre
de cette construction de la réalité sociale du
handicap en étant la traduction de relations
complexes, réelles et imaginaires, objectives et symboliques à l’égard du handicap.
Ainsi le statut de la personne en situation de
handicap a les plus grandes difficultés à se
démarquer du statut du corps handicapé.
D’une pathologisation extrême à une stigmatisation sournoise, le corps handicapé
n’échappe pas au cadre normatif dominant
9. Cf. Loi n° 2005-102 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes
handicapées, Article 66.
10. Ali Sami, L’espace imaginaire, Paris Gallimard, 1974.
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Actualités du secteur
De l’acceptation à la reconnaissance de la personne handicapée en France
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d’un corps esthétique, productif et rentable
et le problème que pose toute réflexion sur
le handicap est celui de l’écart à la norme,
à la normalité.
la réalité. La personne handicapée physique
appelle à la compassion mais rassure. Sa
souffrance, son état sont compréhensibles
par la raison. Ils ont un sens.
S’interroger sur le handicap, c’est s’interroger sur l’apparence, sur l’intégrité et la
conformité de l’être. C’est poser la question
de la différence et de son acceptation
qu’Albert Jacquard 11 nous demande de
reconnaître comme une richesse mais qui,
dans notre société, marginalise ou exclut.
Toute différence physique, psychologique,
mentale, intellectuelle de l’ordre du hors
norme n’est pas admise comme expression
particulière de l’essence de l’homme mais
comme expression anormale de celle-ci.
Pour comprendre le système de représentation du handicap et de la personne handicapée, il ne faut pas y voir simplement
l’expression d’une singularité, mais en
reconnaître la dimension symbolique qui
surligne le handicap comme figures
troubles, inquiétantes, fantasmatiques dans
l’organisation sociale, remettant en cause
l’état de cohésion interne à laquelle aspire
toute société.
La figure du handicap comme figure de
l’étranger
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Les représentations sociales de la personne
handicapée viennent s’inscrire dans un
univers symbolique où la place du malade
mental, du handicapé mental ou du handicapé physique est différente et caractéristique 12. Si les personnes handicapées
physiques apparaissent comme la représentation iconique du handicap recentrant tous
les discours du champ, il reste comme
insensible à toute approche, ancré dans
l’imaginaire, la représentation inquiétante
du handicapé mental, du malade mental,
confondus dans une même globalité
sémantique.
De ce point de vue, la figure du handicap
est figure de l’étranger car elle renvoie à cet
autre, à la fois si différent et si semblable à
soi, inconnu menaçant, « inquiétante étrangeté 13 », difficile à intérioriser. La réduction au même souhaitée par les personnes
handicapées et les associations représentatives du handicap en voulant que la
personne handicapée soit « comme les
autres » est l’expression inconsciente d’une
volonté de réduire toute altérité. Impossible
quête, surtout quand l’autre éveille en nous
l’insupportable, le caché, l’ignoré, le
refoulé et nous confronte à notre fantasme
d’une unité intérieure.
La nature de la déficience, motrice, mentale
ou psychique, n’est pas étrangère à l’acceptation du sujet handicapé dans une société
de valides, qui vit et qui pense sur ce
modèle. Le malade mental, et par extension
le handicapé mental, font peur d’autant plus
s’ils portent sur eux les stigmates de leur
« folie ». D’une certaine façon, ils sont l’incarnation de la déraison et leur déficience
met le sujet hors de l’ordre symbolique de
L’expérience de l’altérité à laquelle nous
soumet la vision du handicap constitue
donc une rupture dans la croyance du
même, rupture conflictuelle et douloureuse
que cherchent à atténuer la négation de
l’étranger et le refus de voir ce qu’il y a de
l’autre en soi. Il y a, dans cette attitude, un
réflexe protecteur, face à la régression, l’al-
11. A. Jacquard, Éloge de la différence, Paris, Le Seuil, 1978.
12. A. Giami, La figure fondamentale du handicap, représentations et figures fantasmatiques, rapport de la
convention de recherche entre Mire et le Geral, 1988.
13. S. Freud, L’inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard, 1985.
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tération, la déchirure de l’image de soi que
nous impose la personne handicapée.
les certitudes d’une vision normée sur les
individus. Ainsi, toute réflexion sur le
handicap s’inscrit dans une problématique
du regard. Regard construit à travers le
prisme des représentations d’une réalité qui
mêle, articule, entrechoque ses trois dimensions : le réel, l’imaginaire et le symbolique.
La figure du handicap est aussi figure de
l’étranger à la fois comme autre stigmatisé
et « autre culturel 14 » car le handicap peut
être perçu avec son langage propre, son
organisation sociale particulière, ses modes
d’interactions, comme autre culture par
rapport à la culture dominante des valides.
Actualités du secteur
De l’acceptation à la reconnaissance de la personne handicapée en France
L’image de l’autre handicapé se construit à
travers un regard trop souvent biaisé par les
préjugés et les stéréotypes divers. La
manière dont nous percevons autrui tel
qu’il est mais plus encore tel que nous nous
le représentons, nous conduit à penser et à
agir en fonction de cette représentation. Il
s’agit alors, pour répondre à la formule
incantatoire, de « changer le regard », de
voir dans l’autre, non plus l’autiste, le trisomique, le handicapé mais la personne.
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Voir le handicap comme l’expression d’une
autre culture, c’est rejoindre l’idée d’une
différence culturelle exprimée par René
Kaës 15 dont il résulte, pour ceux qui y sont
confrontés, deux sortes de conjonctures :
soit un effort pour mieux connaître l’autre
culture, en emprunter les valeurs dans un
phénomène d’acculturation (immigrés,
exilés) soit, au contraire, un refus de reconnaître l’autre comme identique à soi, répondant à un phénomène de distanciation entre
soi et l’autre, refusant le risque d’être
envahi, contaminé, assimilé. Ainsi, l’autre
culturel, hors de système de représentation
partagée ou partageable par un groupe
social ou un ensemble humain est l’étranger, un monstre, un sous-homme, un
sauvage… figuration de l’inquiétant, de
l’inconnu et de l’imprévisible.
C’est la seule façon possible, la seule
posture éthique qui institue le sujet, lui
donne consistance et fait accéder chacun à
une égale dignité. Si Kant nous affirme que
tous les hommes sont dignes et que cette
dignité est intrinsèque et inaliénable à la
personne humaine, cette dignité a besoin du
regard d’autrui pour advenir à la reconnaissance, alors, la personne sera traitée, selon
la formule kantienne, comme « une fin et
jamais simplement comme un moyen 16 ».
C’est le sens de l’article 4 de la loi du
2 janvier 2002 qui garantit à la personne
handicapée l’exercice des droits et des
libertés individuels, le respect de sa dignité,
de son intégrité, de sa vie privée, de son
intimité et de sa sécurité 17.
CHANGER LE REGARD SUR LE HANDICAP ET
SUR LA PERSONNE HANDICAPÉE
Le regard porté sur l’anormalité humaine
est la projection d’une vision de la société,
car c’est bien en fonction des normes
sociales que l’individu apparaît conforme
ou non conforme, normal ou anormal. Le
handicap est toujours le signe patent d’un
semblable qui est différent, en cela il détruit
Le regard porté sur le handicap et sur la
personne handicapée est au fondement des
14. R. Shusterman, « Identité, multiculturalisme et l’autre en moi », dans Prétentaine, n° 9-10, Montpellier, avril
1998, p. 199 à 205.
15. R. Kaës, « Différence culturelle, souffrance de la langue et travail du préconscient dans deux dispositifs de
groupe », dans Différence culturelle et souffrances de l’identité, ouvrage collectif, Paris, Dunod, 1998, p. 45 à 87.
16. E. Kant, Fondement de la métaphysique des mœurs, Paris, Delegrave, 1957.
17. Loi 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale.
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représentations sur le sujet. Son importance
est cruciale car le rapport entre la personne
handicapée et son environnement est largement conditionné, altéré par les représentations du handicap et de celui qui en souffre.
Les stigmates, c’est-à-dire « l’attribut qui
jette un discrédit profond 18 », dont sont
porteuses les personnes handicapées, les
placent dans une position inégalitaire
permanente qui se traduit non seulement
par le « regard implacable car normatif et
exclusif 19 » dont ils sont l’objet, mais aussi
par une dépendance plus ou moins importante à l’égard des actes et relations de la
vie quotidienne. La question de l’intégration est alors émergente.
tion voire d’exclusion, aussi bien matérielles que psychosociales à l’égard des
personnes en situation de handicap, qu’une
politique d’intégration doit s’exercer.
Pour le haut conseil de l’intégration, il faut
penser « l’intégration non comme une voie
moyenne entre l’assimilation et l’insertion,
mais comme une sorte de processus spécifique 22 ». L’emploi parfois indifférencié de
termes tels que assimilation, insertion, intégration, inclusion utilisés pour des populations en butte à des formes de marginalisation ou d’exclusions diverses mérite que
nous les définissions au regard du champ
du handicap.
Le terme assimilation, comme nous l’indique le dictionnaire Le Robert, signifie à la
fois l’action de rendre semblable mais aussi
l’acte de l’esprit qui considère comme
semblable ce qui est distinct. Le processus
d’assimilation serait donc un processus
initié unilatéralement pour résorber,
gommer toutes différences et conduire à
l’unité.
LA QUESTION RÉCURRENTE
DE L’INTÉGRATION DES PERSONNES
EN SITUATION DE HANDICAP
DANS NOTRE SOCIÉTÉ
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La problématique de l’intégration reste
toujours posée de manière récurrente quand
les politiques sociales, dans un souci égalitaire, renvoient à la logique de la compensation 20. La compensation plutôt que
l’assistance, comme l’expression d’un droit
d’équité. Certes, aujourd’hui il s’agit d’un
droit nouveau inscrit dans la loi 21. Droit qui
reconnaît les conséquences sociales du
handicap et la nécessaire solidarité nationale « pour garantir les conditions d’une vie
autonome et digne » mais qui, in fine,
renforce le statut particulier de ce public et
réactive l’idée que c’est bien parce qu’il y a
des pratiques de discrimination, de ségréga-
La notion d’insertion, « action de mettre
dans », marque une incorporation de fait
sans qu’il y ait pour autant une modification ou une transformation de l’ensemble
du fait de l’insertion d’un élément.
L’inclusion, « action d’inclure, mettre
dans » vient, sous l’influence anglosaxonne, supplanter ici ou là la notion d’intégration sans pour autant en apporter un
éclairage nouveau.
18. E. Goffman, Stigmates. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Édition de minuit, 1975.
19. Nuss, « Un autre regard », dans Une nouvelle approche de la différence, comment repenser le handicap, Éd.
Médecine de Genève, 2001.
20. En 1995, lors de leur 36e congrès l’Association des Paralysés de France (AFP) ne veut plus s’inscrire dans une
logique d’assistance et être assimilée à l’ensemble des catégories d’assistés. Elle revendique des moyens
nécessaires pour compenser leur différence et pour choisir leur mode de vie.
21. Loi du 11 février 2005 sur l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes
handicapées, article.
22. Cf. Pour un modèle français d’intégration, rapport au Premier ministre, Haut Conseil à l’immigration, Paris, la
Documentation française, 1991.
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l’intégration à quatre niveaux qui sont
autant d’étapes permettant de juger de la
dimension de l’action intégrative entreprise.
La notion d’intégration, « faire entrer dans
un ensemble en tant que partie intégrante »
pose l’idée d’une incorporation, d’une
dynamique interactive, d’une compréhension au sens de « prendre avec ». Appliquée
aux groupes sociaux, l’intégration établit
donc une relation d’interdépendance qui
modifie en profondeur les différents
éléments de la relation pour en donner un
contenu nouveau, original.
La notion d’intégration est floue. Elle
prend sens dans les interactions sujetsociété et dans des contextes bien définis.
La réussite ou l’échec de l’intégration pour
les personnes handicapées se jouent au
travers d’échanges d’histoires individuelles
tout autant que dans son rapport à l’environnement culturel, social, économique ou
politique. L’accompagnement prenant une
place prépondérante dans le processus intégratif.
L’intégration est donc un processus d’ajustements réciproques des rapports sociaux
qui implique autant des acteurs que des
structures, une dynamique de transformation. Transformation parfois difficile
amenant à un conflit de représentations car
comme on ne saurait décréter l’intégration,
celle-ci ne s’impose pas d’elle-même.
Actualités du secteur
De l’acceptation à la reconnaissance de la personne handicapée en France
L’EXEMPLE DE L’INTÉGRATION SCOLAIRE
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L’accent mis par la loi du 11 février 2005 24,
après la loi fondatrice de 1975 et une
pléthore de circulaires, sur la scolarisation
en milieu ordinaire des enfants et des
jeunes en situation de handicap soulignent
les objectifs d’intégration poursuivis à leur
encontre depuis plus de trente ans. Ce qui
montre que les textes de loi, les dispositifs
et les politiques mises en place ont les plus
grandes difficultés à lever les freins et les
blocages autant matériels que psychologiques ou sociologiques.
À propos de l’intégration des personnes en
situation de handicap, il semble difficile
d’en donner la pertinence et la réalité en
référence à une définition générale. Il est
alors nécessaire d’avoir une grille de
lecture concernant cette intégration en
rapport avec le handicap de la personne et
la situation dans laquelle elle se trouve. De
l’intégration physique qui consiste en une
coprésence réduisant la distance qui sépare
physiquement la personne handicapée de
celle qui ne l’est pas, à l’intégration sociétale où chacun a la même possibilité d’accès aux ressources sociales disponibles, des
chances égales d’agir sur les conditions
d’existence et de faire partie d’une communauté sociale. Martin Söder 23 nous propose
une grille de lecture et d’interprétation de
Cependant, au regard des derniers chiffres
statistiques 25, on constate aujourd’hui une
évolution significative de la scolarisation
de ces publics. 67 % (151 500) de l’ensemble des élèves handicapés 26 en 2006
contre 52 % en 1999 ont été scolarisés dans
23. M. Söder, « Les chemins de la participation », dans Le courrier de l’UNESCO, juin 1981. Les quatre niveaux
d’intégration concernant les personnes handicapées définis par Martin Söder, sociologue suédois, sont :
l’intégration physique, l’intégration fonctionnelle, l’intégration sociale, l’intégration sociétale.
24. « Tout enfant, tout adolescent présentant un handicap ou un trouble invalidant de la santé est inscrit dans
l’école, le collège ou le lycée le plus proche de son domicile qui constitue son établissement de référence », loi du
11 février 2005, art. 19.
25. Cf. DRESS, Études et résultats, n° 564 mars 2007.
26. Des élèves scolarisés dans une structure de l’éducation nationale ou dans un établissement médico-éducatif ou
hospitalier.
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laisser croire qu’à le porter, il ait pu devenir
différent de nous ; en même temps, on
exige qu’il se tienne à une distance telle que
nous puissions entretenir sans peine
l’image que nous nous faisons de lui. En
d’autres termes, on lui conseille de s’accepter et de nous accepter, en remerciement
naturel d’une tolérance première que nous
ne lui avons jamais totalement accordée.
Ainsi une acceptation fantôme est à la base
d’une normalité fantôme 29. »
une structure de l’éducation nationale.
Notons que la scolarisation dans un établissement de l’éducation nationale peut
prendre deux formes : une scolarisation
individuelle dans une classe ordinaire ou
dans une classe adaptée 27, une scolarisation
dite « collective » dans des classes spécifiques pour accueillir avec un enseignement différencié, les élèves en situation de
handicap. 104 824 élèves ont été ainsi
scolarisés en milieu ordinaire, dont 64 994
scolarisés individuellement.
Dans l’acceptation et la reconnaissance,
seules à même de favoriser un processus
d’intégration de la personne en situation de
handicap dans notre société, le non-dit est
omniprésent. La résurgence d’un « effroi
archaïque » marque les comportements et
les attitudes ambivalentes à l’égard de ceux
qui sont porteurs d’une différence radicale.
Les interactions qui en découlent sont
marquées inconsciemment par ces représentations que l’exigence sociale de la relation atténue sans leur enlever leur force
évocatrice. Aujourd’hui les réponses institutionnelles tendent à uniformiser les
opinions, à banaliser, à normaliser ce qui
constitue une perpétuelle provocation à
l’harmonie d’un système visant à la cohésion sociale. Ainsi, la figure du handicap
remet en question un imaginaire collectif
qui se voudrait sans fracture et dénie, en
définitive, toute tentative de reconnaissance
et d’intégration qui reposerait sur le seul
principe de solidarité.
En 2006, 119 700 élèves étaient accueillis
dans les 2 100 établissements spécialisés.
13 345 en établissements hospitaliers,
104 378 en établissements médico-éducatifs.
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Ces chiffres, significatifs, montrent que
l’intégration scolaire (terme non repris dans
la loi de 2005) comme prérequis à l’intégration sociale, comme le définissaient
déjà les circulaires du 22 avril 1976, et du
29 janvier 1982 28, peut jouer aujourd’hui
son rôle et participer à l’acceptation et
à la reconnaissance des personnes en
situation de handicap dès le plus jeune
âge. Il reste encore 20 000 enfants et
adolescents, soumis à l’obligation scolaire,
non scolarisés.
CONCLUSION
« On demande à l’individu stigmatisé de
nier le poids de son fardeau et de ne jamais
27. Section d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) mises en place dans 1 500 établissements
d’enseignement du second degré, établissements régionaux d’enseignement adapté 6 300 élèves en 2006 (EREA),
80 établissements existants, 1 500 élèves en 2006.
28. Circulaire du 22 avril 1976 relative aux commissions d’éducation spéciale, circulaire du 29 janvier 1982 pour la
mise en œuvre d’une politique d’intégration en faveur des enfants et adolescents handicapés.
29. E. Goffman, op. cit., p. 145.
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