L`article en PDF - CEDIAS

Transcription

L`article en PDF - CEDIAS
VIE SOCIALE 5 xp8:CF 18/04/14 11:35 Page7
Introduction
Question sociale, questions artistiques
John Ward
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 80.11.208.31 - 27/10/2014 11h12. © ERES
E Champ de la pratique artistique en travail social a connu un développement considérable au cours des dernières décennies. mais
l’apparition des pratiques artistiques au sein des institutions sociales
suscite encore des réactions parfois mitigées : bienveillantes, mais
souvent marquées par une certaine indifférence, voire par un regard
suspicieux. il n’est pas rare d’entendre que les activités « culturelles »
seraient des « danseuses », venant embellir les institutions sociales
grâce à l’initiative de personnalités influentes mais désœuvrées, amusements coûteux destinés à disparaître lors d’une prochaine vague de
rationalisation budgétaire. Ce numéro de Vie sociale prend le contrepied de telles idées. ses auteurs s’efforcent de montrer en quoi l’art est
indispensable pour la pratique du travail social, d’identifier comment
les structures médicosociales s’en enrichissent et de retracer les filiations communes entre l’action sociale et l’action artistique. tel a été le
propos des rencontres régionales européennes tenues à l’irts (institut
régional de travail social) Île-de-france montrouge neuilly-sur-marne
en février 2012, dont certains des articles publiés ici sont issus.
il y a débat sur la définition de la notion « d’art ». À plus forte
raison, quand il s’agit de délimiter le vaste champ recouvert par le
terme polysémique de « culture », aucun consensus ne se dégage. pour
ce qui concerne le travail social, il semble acquis que ce champ ne se
réduit pas à celui de la « culture savante ». L’accès à la culture étant
inscrit dans les objectifs de lutte contre l’exclusion par la loi de 1998,
John Ward, responsable de recherche et développement des dispositifs d’alternance, institut régional de travail social, à neuilly-sur-marne.
Vie Sociale n° 5 – 2014
7
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 80.11.208.31 - 27/10/2014 11h12. © ERES
L
VIE SOCIALE 5 xp8:CF 18/04/14 11:35 Page8
John Ward
il convient d’ouvrir les portes des hauts lieux de la culture légitime aux
plus démunis. plus audacieux, ne serait-il pas possible d’adapter ces
espaces, voire de les transformer grâce à ces publics « empêchés »,
comme le montrent les articles de floriane Gaber, à travers l’expérience du théâtre de rue, de philippe mairesse et Emmanuelle Begon
sur les adaptations réciproques entre le monde du travail et l’exigence
artistique dans la création vestimentaire ?
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 80.11.208.31 - 27/10/2014 11h12. © ERES
8
sur un plan philosophique, comme le dit le philosophe hans-Georg
Gadamer, l’expérience artistique (qu’elle soit celle du spectateur, de
l’interprète ou du créateur) serait « source d’une connaissance du
monde indispensable à la vie humaine, imprégnée d’une signification
éthique la rendant capable de s’ouvrir vers l’altérité en dépassant les
limites inhérentes à sa culture originelle 1 ». savoir se situer en rapport
à l’art est une condition nécessaire à l’existence et à la présence du
sujet au monde. Ces propos philosophiques, développés dans les pages
qui suivent sous différents angles par Gérard Creux, philippe mairesse,
francis Loser et stéphane tessier, ont inspiré de nombreuses pratiques
sociales créatives – présentées ici dans le champ de l’insertion
d’adultes, de la professionnalisation et de l’éducation pour la santé.
ainsi, plutôt que de définir « l’utilité » de l’art en milieu sanitaire
et social, il conviendrait d’en déterminer les bénéfices spirituels, matériels et sociaux : sentiment de libertés acquises, facilité à exprimer
quelque chose de soi, ou encore d’habilités communicationnelles, capacité à accomplir le geste théâtral, pictural ou musical, etc.
L’art interroge aussi le savoir du travailleur social et de son public
tel que formulé et transmis durant la formation professionnelle.
souvent bâties à contre-courant des méthodes éducatives traditionnelles, les identités professionnelles se nourrissent en formation d’un
large apport des savoirs issus du monde de la culture et des arts. L’animateur et l’éducateur acquièrent donc tout un bagage de techniques de
médiation expressive et créative tout au long de leur formation. plus
1. http://plato.stanford.edu/entries/gadamer-aesthetics/, propos librement traduits par l’auteur ; hans-Georg Gadamer, Vérité et méthode, trad. étienne sacré, révision de paul
ricœur, paris, Le seuil, 1976.
Vie Sociale n° 5 – 2014
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 80.11.208.31 - 27/10/2014 11h12. © ERES
tous les auteurs de ce numéro l’affirment, « l’art » n’est rien s’il
n’est pas universel. ainsi, il ne peut se définir qu’en termes d’inclusion sociale, par le lien qu’il permet d’établir en franchissant les
remparts symboliques et matériels qui nous séparent par nos différents
rapports d’altérité. pour bien des artistes, leurs œuvres seraient même
bien plus accessibles à la compréhension intuitive de ceux qui n’ont
pas la prétention d’en posséder le langage qu’à un public en possession d’un quelconque « capital culturel ».
VIE SOCIALE 5 xp8:CF 18/04/14 11:35 Page9
Introduction
récemment, les formations aux métiers de l’intervention sociale et du
management se sont enrichies d’approches réflexives largement inspirées du monde de la culture, comme l’exposent les travaux de francis
Loser, stéphane tessier et Claudia della Croce. dans un autre registre,
la réflexion d’annie Chassagne sur l’histoire du festival de cinéma
documentaire « traces de vie » permet de saisir comment cette création
permet une ouverture, un engagement politique et une autre manière de
faire de la formation.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 80.11.208.31 - 27/10/2014 11h12. © ERES
autre champ : celui souvent désigné par le terme de « médiation ».
Le travailleur social conserve un idéal d’intervention dans la cité
porteur de valeurs humanistes, vecteur d’un projet de société qui, dans
l’idéal, serait débarrassé de tout relent de « contrôle social ». Les
auteurs présentés ici voient dans l’art une forme d’émancipation, une
voie d’autonomisation pour ceux qui ne s’expriment pas et un mode
particulier du rapport à autrui et à la collectivité. L’art serait en outre
une activité humaine ouvrant à la compréhension des rapports entre
des connaissances sensibles et les savoirs rationnels. autrement
formulé, il constitue un levier d’empowerment, cette forme d’accompagnement des exclus qui vise à la fois le « pouvoir sur soi » obtenu par
un travail sur la confiance et le « pouvoir d’agir » facilité par un regard
non stigmatisant porté sur eux.
d’autres interrogations encore que celles du bon usage de l’art
seront soulevées à la lecture de ce numéro. Celle de la légitimité des
productions et de la reconnaissance par le spectateur, par exemple. ne
faudrait-il pas être « artiste » pour faire de l’art ? quelle est la place
justement pour une réflexion proprement « artistique » quand on fait
appel à la sensibilité esthétique du sujet en cherchant à la mettre au
service de son développement personnel ou en tentant de promouvoir
une entraide fondée sur le groupe d’appartenance de l’individu ? Estil pertinent de laisser la pratique au professionnel, en installant celuici au sein des lieux de production de l’action sociale, cela pour mieux
reconnaître sa place d’artiste dans la société et pour valoriser son
travail, fruit d’un labeur intense et d’un long apprentissage ? L’art dont
il est question n’est donc certainement pas celui qui s’adresse à un
public d’élite. pour autant, c’est bien de l’art et non pas d’une « sousproduction » artistique qu’il s’agit, comme le montrent notamment les
articles de floriane Gaber et de Céline fèvres.
Vie Sociale n° 5 – 2014
9
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 80.11.208.31 - 27/10/2014 11h12. © ERES
Enfin, ne faudrait-il pas que les travailleurs sociaux s’intéressent à
leur propre image véhiculée par des productions médiatiques, quitte à
offrir une représentation alternative aux stéréotypes qui entourent nos
métiers, comme le montre le propos d’Elena allegri ? soulignons que
la « créativité » n’est pas proposée « en option », mais qu’elle constitue bien une source indispensable d’enseignements, socle nécessaire
pour toute tentative de transformation des identités professionnelles.
VIE SOCIALE 5 xp8:CF 18/04/14 11:35 Page10
John Ward
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 80.11.208.31 - 27/10/2014 11h12. © ERES
10
Vie Sociale n° 5 – 2014
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 80.11.208.31 - 27/10/2014 11h12. © ERES
quelles que soient les réponses (nécessairement provisoires) que le
lecteur retiendra, gageons que l’extrême vitalité de ce secteur continuera non seulement à interpeller l’action sociale sur un mode bien
plus puissant que celui de la velléité d’individus (aussi charismatiques
soient-ils). Espérons que ces initiatives, souvent fragiles et en quête de
légitimation, trouveront à l’avenir un soutien à la mesure du souffle
d’innovation qu’elles apportent au travail social. Et rendons-nous
compte, comme le souligne patrice meyer-Bisch, qu’il s’agit non pas
simplement d’une démarche humaniste visant l’accès à la beauté et au
bien-être, mais qu’il est bien « question de la revendication la plus
intime qui soit, celle qui conditionne toutes les autres : la revendication
du droit de savoir, de choisir ses propres savoirs, et ainsi ses propres
modes de reconnaissance, de référence, d’affiliation ».

Documents pareils