Livraison : le nouveau pouvoir des consommateurs

Transcription

Livraison : le nouveau pouvoir des consommateurs
A. PAPAÃS
Décryptage
ACTION. Les associations de consommateurs bénéficient da la législation assez protectrice de l’acheteur.
Livraison L
Le nouveau pouvoir
des consommateurs
Les associations de consommateurs s’appuient sur
une réglementation qui oblige le vendeur à distance
à s’engager sur des délais de livraisons et à les
respecter. Leur vigilance sur le fonctionnement
du e-commerce, à 80 % en ville, n’en est que
plus importante. Avec quels constats ? PAR JOSÉ SOTO
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MAI 2014 /// ACTEURS URBAINS
a livraison, un motif de mécontentement ? Elle arrive au 4e
rang des 85 963 réclamations
de consommateurs recensées
en 2013 par la DGCCRF, sans
distinction du mode (à domicile, en
point relais, en magasin...) ni du type de
commercialisation (internet, magasin,
foire…). La livraison représente 9 % des
réclamations. Celles sur les clauses abusives et l’information générale du consommateur atteignent près du quart des
litiges notifiés. Ce n’est pas le premier sujet
de mobilisation pour les associations de
consommateurs qui, pour combattre les
dysfonctionnements, ont à leur disposition une législation assez protectrice de
l’acheteur en matière de livraisons (1). Mais
c’est un indicateur loin d’être négligeable,
alors que le montant des achats effectués
sur internet a atteint 51,1 Md€ en 2013,
selon la Fevad (fédération e-commerce et
vente à distance), soit une progression de
B.B.
0,7 % en un an. Les litiges liés aux livraisons ne sont donc pas ceux dont les
associations de consommateurs sont
saisies en plus grand nombre. Ainsi,
l’UFC-Que choisir qui traite quelque
100 000 litiges par an, n’a pas estimé
nécessaire jusqu’à présent de réaliser
d’étude sur les livraisons, même si elle
aborde ce service par le biais d’actions
sur les clauses abusives. En 2008, l’Union
fédérale des consommateurs a ainsi
obtenu gain de cause à l’encontre d’une
enseigne du e-commerce qui a dû retirer plus d’une dizaine de clauses de ses
conditions générales de vente, dont la
mention sur des délais moyens de livraison ou la limitation du droit d’annulation
à un défaut de livraison. « Par rapport à
la masse de transactions, il n’y a pas énormément de litiges sur la livraison, mais
parmi ceux qui concernent la vente à distance, c’est souvent une livraison qui se
passe mal », remarque Flavien Bilquez,
juriste de l’AFOC (association Force Ouvrière consommateurs).
PLAINTES. La livraison en quatrième position des motifs des 85 963
réclamations de consommateurs en 2013, soit 8,9% d’entre elles.
« Je l’espère, confie Olivier Gayraud, chargé
de mission consommation de la CLCV
(Consommation logement et cadre de vie).
En tout cas, nous communiquons beaucoup
sur les ventes à distance car il faut avoir
certaines clés et les bons réflexes. » L’influence des associations de consommateurs est pour Flavien Bilquez, indéUINZE ASSOCIATIONS DE CONSOM- niable, notamment sur le e-commerce :
mateurs sont agréées par l’État. « Nous avons beaucoup de discussions avec
Indépendantes et à but non lucra- les pouvoirs publics et même avec les
tif, organisées à l’échelon national dans professionnels du secteur avec lesquels nous
toutes les régions, elles « jouent un rôle négocions pour améliorer les processus. »
fondamental sur le terrain », note l’Institut Ce que confirme Elsa Cohen, responsable
national de la consommation (INC). Elles du pôle économie consommation de la
siègent dans des instances nationales CSF (Confédération syndicale des familles)
comme le Conseil national de la consom- qui table sur « la négociation et le dialomation (CNC) et peuvent saisir les or- gue pour garantir au mieux les droits des
ganismes officiels, comme l’Agence consommateurs dans le commerce sur
nationale de sécurité sanitaire de l’ali- internet. » Elle est ainsi en relation régumentation, de l’environnement et du lière avec certaines enseignes et fédétravail (ANSES), l’Autorité de la concur- rations de commerçants comme la Fevad.
rence ou la Commission des clauses « Nous travaillons régulièrement avec elles
abusives. Elles ont participé à l’élabora- sur les litiges, les médiations parce que
tion du texte de la loi Hamon du 17 mars s’installe une tradition de discussion et parce
Que dit la récente
loi Hamon ?
Q
D.R.
« Par leurs remarques, les associations
contribuent à améliorer le service des
livraisons, elles ont une influence. […]
Nous avons encore une meilleure
lisibilité des pratiques sur le marché ».
2014 relative à la consommation qui a
notamment introduit un principe qui leur
est cher, celui de l’action de groupe. L’influence de ces associations est reconnue.
Laure Baëté, juriste à la Fevad
que nous sommes en relation avec les
autorités de tutelle, avec la DGCCRF, Bercy…
Nous nous retrouvons à travailler sur
des dossiers économiques, sur le droit du
consommateur sur internet, le e-commerce… Cela nous amène à aborder des
points problématiques », poursuit Elsa
Cohen. La Fevad, qui joue aussi un
rôle de médiateur entre les enseignes
du e-commerce et les associations de
consommateurs, ne considère pas cellesci comme des «adversaires». « Certes,
nous n’avons pas les mêmes objectifs ni les
mêmes points de vue. Mais sur certains
dossiers nous pouvons nous entendre, note
Laure Baëté, juriste de la fédération. Par
leurs remarques, les associations contribuent
à améliorer le service des livraisons, elles
ont une influence. Par le biais de leurs réclamations nous avons encore une meilleure
lisibilité des pratiques sur le marché. Elles
sont des sortes de relais d’information. Nous
avons des divergences parfois, mais nous
sommes soucieux de garder le dialogue. »
Que faire des
colis abîmés ?
L
A FEVAD, QUI REVENDIQUE PLUS DE
370 entreprises et près de 600 sites
internet, a travaillé avec les associations de consommateurs lors de la
discussion du texte de la loi Hamon qui,
outre la mise en place de l’action de
groupe, porte à 14 jours le droit de rétractation. « Il y a parfois des blocages,
répète Laure Baëté. Mais nous arrivons
à discuter car même si notre objectif est
de développer le e-commerce et de promouvoir le secteur, nous essayons de le
faire aussi d’une manière qui protège ACTEURS URBAINS /// MAI 2014
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Décryptage
B.B.
vendeur. Mais des pistes d’amélioration
existent. »
E
BERCY. Le droit des
consommateurs et son
évolution n’échappent
pas à la tutelle du
ministère de l’Économie.
VIGILANCE DÉSORMAIS
PLUS GRANDE SUR LES
CONDITIONS DE LA PRISE
EN CHARGE DU COLIS
PAR L’ACHETEUR.
le consommateur parce que pour nos
adhérents la concurrence est à portée
de clic et donc il est très important pour eux
d’avoir cette confiance du consommateur.
Il faut toujours trouver un juste équilibre
entre le développement économique du
e-commerce et la protection du consommateur ». Les associations de consommateurs, alertées par leurs adhérents,
sont en première ligne pour dénoncer les
dérapages et dysfonctionnements. C’est
le de la fermeture des points relais pendant les vacances. Certains livreurs n’en
tiendraient pas compte. Elsa Cohen, de la
CSF, a constaté que depuis trois ans, son
association est alertée chaque été sur
ces problèmes. « Pendant les vacances, des
livreurs qui ont trouvé le point relais fermé,
quand le commerçant était en congés, sont
allés livrer dans un autre point relais, voire
dans une autre commune, sans en informer
le consommateur qui devait alors se débrouiller pour retrouver son colis. Beaucoup
de ces cas ont eu lieu en Ile-de-France et
cela concernait surtout des livraisons suite
à des ventes flash sur internet. »
Un autre point sensible, dont les associations de consommateurs pourraient se
saisir, concerne les conditions de la prise
en charge du colis par l’acheteur. Flavien
Bilquez, juriste de l’AFOC, constate que
« là où le consommateur est encore le
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MAI 2014 /// ACTEURS URBAINS
Médiation ou
recours en justice ?
moins protégé, c’est sur les biens livrés
abîmés. S’il n’a pas émis des réserves
strictes sur le bon de livraison, il peut très
vite se retrouver désarmé. Écrire sur ce bon
“sous réserve de déballage” ne le protège
pas du tout. Il faut des réserves précises et
pour cela prendre le temps d’ouvrir le colis,
de le vérifier, ce qui n’est pas forcément aisé
devant un livreur qui a une feuille de route
à respecter. »
Pour le juriste de l’AFOC, il faudra réglementer l’organisation du travail du livreur
ou élargir les possibilités de recours du
consommateur. « Déballer en magasin,
c’est compliqué mais il faut au moins faire
le tour du colis, noter s’il y a des impacts…
Une société de vente de meubles à monter
soi-même précise bien sur le bon de commande la mention “vérifier le nombre et
l’état des colis”. C’est une pratique vertueuse
mais ce genre d’information, on ne l’a pas
toujours ou trop tard. » Laure Baëté, de
la Fevad, reconnaît que « c’est encore un
souci. Le transporteur ne laisse pas toujours le temps à l’acheteur de vérifier
l’état de la marchandise et cela peut-être
une source de conflits. C’est un problème
directement lié aux transporteurs, même
si pour l’acheteur, l’interlocuteur est le
N MATIÈRE DE RÈGLEMENT DES
litiges liés aux livraisons, les associations de consommateurs préfèrent généralement travailler en amont,
tant sur l’information ou la prévention
que sur les réglementations, puis sur
les médiations auprès des enseignes ou
les « rappels au règlement » plutôt qu’engager des recours devant la justice. « Nous
ne sommes pas pour le recours en justice
à tous crins quand il suffit d’un rappel de
la législation à l’entreprise. Nous sommes
là pour que le droit du consommateur soit
respecté et généralement, ces questions
se règlent assez facilement avec les entreprises », assure Elsa Cohen, de la CSF.
Selon Flavien Bilquez, de l’AFOC, « il est
rare d’arriver devant le juge pour des problèmes de livraison car en général ils sont
réglés grâce aux possibilités réglementaires offertes au consommateur de résilier le
contrat de vente, par exemple si le délai de
livraison n’a pas été respecté. Le professionnel est responsable de la bonne exécution
du contrat, y compris des prestations assurées par des tiers, comme la livraison. » Il
reste que sur internet, le commerçant
exerce souvent depuis l’étranger et alors
« il est plus difficile d’aboutir devant un
tribunal », reconnaît le juriste selon lequel, « il y a beaucoup de points à améliorer sur les achats à l’étranger. » Mais quand,
en France, le rappel de la réglementation
ne suffit pas, c’est souvent, selon lui,
« parce que le commerçant n’exerce plus,
soit en raison d’une liquidation judiciaire,
soit parce que c’était un margoulin qui a
disparu ! » (1) En cas de non-respect du délai de livraison,
l’acheteur peut demander l’annulation de la vente
(Code de la consommation).
RETARD DE LIVRAISON, PREMIER SOUCI
La réception du colis
après la date annoncée
est « le désagrément
le plus courant pour 49 %
des Français », indique
une enquête réalisée
en janvier 2014 par Get it’
Lab – Ifop, un observatoire centré sur les
attentes des consommateurs, composé de quinze
enseignes françaises.
Selon l’enquête menée
les 9 et 10 janvier 2014,
68 % des Français effectuant des achats en
ligne se plaignent d’avoir
été confrontés à au moins
un problème au cours
des 12 derniers mois.
Arrivent en tête de liste :
la réception de la com-
mande après la date
annoncée (49 %), l’annulation en raison d’une
rupture de stock (27 %)
et une différence entre le
produit livré et la description présentée (21 %).
L’an dernier, 15 % des
personnes interrogées
n’ont jamais reçu leur
commande !

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