La rupture

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La rupture
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La rupture
C'est la fin du monde que nous avons connu,
mais ce n'est pas la fin du monde
TABLE DES MATIÈRES
1- La question
2- Ses différents noms
3- Elle est provoquée par plusieurs éléments
4- Le passage d'Internet 1 à Internet 2
5- Plusieurs autres phénomènes
6- Les passages
7- Et tout dernièrement
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1- La question
Une société est en rupture quand sa complexité se modifie au point
que ses statistiques deviennent exponentielles. Elle se place alors sur
les bords du chaos oscillant entre la peur de faire des choix sans aucun
point de repère et le bonheur de pouvoir changer sa trajectoire. C’est
la simultanéité de l’émergence des crises de toutes sortes
(économique, énergétique, écologique, géopolitique et
générationnelle) qui révèle l’importance de la rupture actuelle.
La plupart des politiciens et des gestionnaires ont l’excuse facile :
Nous n’avons pas vu venir la crise ou L’avenir est trop complexe pour
être anticipé. En fait, ces boomers attendent de prendre leur retraite
pour abandonnaer aux prochaines générations le soin de régler les
crises en devenir.
2- Ses différents noms
Plusieurs auteurs ont décrit à leur façon la rupture qui émerge :
tournant unique, percée décisive ou grande discontinuité, The Big
Switch, etc. (voir Les synthèses ).
• 2009 : Margaret Atwood pense qu’à l’heure actuelle Le monde
est au bord d’une crise plus grave que ce qu’il ne perçoit…
Aujourd’hui, les gens sont comme des enfants à qui l’on n’a pas
appris comment vivre. Dans Comptes et légendes, la dette et la
face cachée de la richesse, Boréal.
• 2009 : James K, Galbraith qualifie la crise actuelle de crise hors
normes pour laquelle nos modèles récents d’intervention sont
dépassés, Washington Monthly, édition de mars.
• 2008 : Al Gore emploie le mot bascule dans son livre An
Inconvenient Truth, Melcher Media.
• 2008 : Clay Shirky parle de révolution dans Here comes
Everybody, The Pinguin Press.
• 2008 : Thomas L. Friedman, chroniqueur au NewYork Times,
annonce le 7 mars 2008 will be the year when « The Great
Disruption » began.
• 2008 : Ce n’est pas un choc des civilisations (à la Huntington)
mais le commencement d’un monde, écrit Jean-Claude
Guillebaud dans Le Commencement d’un monde, Seuil, page
48.
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• 2008 : Parag Khanna parle de New Global Order dans The
Second World, Empires and Influences in the New Global
Order, Random House.
• 2008 : We are facing an epochal economy and social shift,
perhaps of an importance unsurpassed since the bourgeois
revolution that gave birth to the capitalist economy that we
have today. Adam Arvidsson et Nicolai Peitersen, The Ethical
Economy, sur le Web.
• 1995 : Benjamin R. Barber décrit les luttes qui se déroulent entre
un monde macdonalisé (mondialisé et soumis aux grandes
entreprises) et un monde traditionaliste (intégrismes de toutes
sortes). Dans son livre Jihad vs McWorld : How Globalism and
Tribalism Are Reshaping the World, Ballantine Books.
3- La rupture n’est pas provoquée par un événement isolé
mais par plusieurs qui surviennent durant à peine
cinq ou sept ans.
• 1995 : le Congrès américain vote The Telecommunications
Competition and Deregulation Act qui n’interdit plus la
formation de grands consortiums de technologies
d’information.
• 1995 : l’émergence du Web suscite :
• la banalisation des ordinateurs ;
• l’explosion du courrier électronique ;
• et fait miroiter le rêve du commerce électronique.
• 1995 : l’adoption d’Internet par les pays industrialisés, lors du G7
de Bruxelles, révèle aux gouvernements et aux entreprises le
potentiel planétaire de ce réseau.
• 2000 : l’achat de Time-Warner par AOL signale le début des
alliances internationales entre les grands consortiums de
technologies d’information.
• 2000 : éclatement de la bulle dot.com. Celle-ci ne signale pas
tellement une récession qu’une réorganisation plus disciplinée
de l’économie véhiculée par les NTIC.
• 2001 : avec la création de Wikipédia, des non-professionnels
(simples citoyens) peuvent désormais contribuer à la création de
contenus, ce qui était jusqu’alors l’apanage des professionnels
(journalistes, professeurs, experts, etc.).
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• 2001 : l’attentat terroriste du 11 septembre contre le World Trade
Center de New York révèle non seulement la vulnérabilité des
États-Unis, mais marque surtout le début de leur déclin comme
gendarme de la planète.
• 2002 : plusieurs scandales financiers (Enron, WorldCom, etc.)
ébranlent la confiance des petits investisseurs et forcent les
institutions financières à se réorganiser sous une surveillance
accrue de l’État.
• 2002 : l’explosion du mobile (téléphone sans fil, GPS, Wi-Fi,
RFID, etc.) commence à modifier les notions de temps et
d’espace pour les gens ordinaires.
• 2002 : le début de l’émergence de la netgénération (digital
natives) favorise l’utilisation d’applications de type You Tube et
My Space et donne un essor au Social Networking.
Tout cela a comme toile de fond les conséquences de la chute
du mur de Berlin, de la réunification de l’Allemagne, de
l’implosion de l’URSS, de la renaissance de la Chine et de
l’affirmation de l’Inde.
4- Le passage d’Internet 1 à Internet 2
Ce passage est majeur autant par les changements technologiques
qu’il apporte que par ses impacts sur les activités économiques
(nouvelles clientèles, etc.) et sociétales (apparition des réseaux
sociaux, etc.) Le point de non-retour de ce passage est la première
conférence Web 2.0 organisée à San Francisco en octobre 2004.
• Le passage de la prédominance de la micro-informatique à
l’électronique grand public nous fait basculer des microordinateurs et leurs logiciels d’application en réseaux (ou
Internet 1) vers les appareils sans fil et leurs services en réseau
(ou Internet 2). Le point de non-retour est le lancement du
iTune Music Store en 2003.
• La prise de parole commence sur Internet vers 1990 avec
l’apparition en Californie des Forums, des BBS et les Lists ;
mais ce n’est qu’en 1997 que le terme blog apparaît. Le point
de non-retour de cette tendance est la création des microblogues (Twitter) en 2006.
• En 2007, on assiste à la première cyberattaque d’un pays contre
un autre : la Russie contre l’Estonie (même si la Russie nie
cette attaque).
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• En Amérique du Nord, la place publique de la 2e ère industrielle
fut la télévision que presque tous les citoyens regardaient (75 %
des foyers américains regardaient I Love Lucy en 1975).
Maintenant, cette télévision broadcast n’est regardée que par 25
% des foyers. L’ère postindustrielle réorganise sa diffusion
autour d’Internet 2 en utilisant le narrowcasting : les canaux
spécialisés, le Web, le courrier électronique, les réseaux
sociaux, TiVo et les DVD, etc., qui coexistent désormais sur la
même plateforme numérique. Le point de non-retour de cette
rupture fut le retrait de la série ER des ondes le 2 avril 2009.
• Le mariage Web-Télévision connaît son point de non-retour
lorsque Yahoo et cinq fabricants de téléviseurs signent une
entente permettant d’insérer un logiciel de gestion des contenus
dans leurs prochains appareils, le 11 janvier 2009, au Consumer
Electronics Show à Las Vegas.
• Explosion de l’information en continu pour le mobile en format
texte, audio ou vidéo pour le iPhone, etc. ; le point de nonretour est atteint lorsque l’Associated Press lance son Mobile
News Network en mai 2008.
5- L’analyse de plusieurs autres phénomènes
révèle aussi la rupture.
• Au début du siècle, durant la 1re ère industrielle, une vague de
mondialisation s’esquisse parce que les promoteurs ont réduit
leurs coûts de communication et de transport. Ce qui eut pour
effet, par exemple, de lancer les journaux à grand tirage et à bas
prix grâce à leur diffusion par les nouveaux trains à vapeur.
Durant la 2e ère industrielle, la mondialisation s’est développée
autour d’une vision unipolaire et d’une approche de mise en
concurrence à partir d’une hyperpuissance (les États-Unis),
grâce à une hyperculture (la machine Hollywood) et un
hyperlangage (l’anglo-américain).
• À cause de l’évolution brutale des phénomènes
environnementaux, la Société géologique de Londres vient de
reclasser notre époque. Devant les transformations récentes
apportées à la planète par l’homme (disparition des espèces,
acidité des océans, gaz carbonique, etc.), nous quittons l’époque
Holocène pour vivre maintenant à l’époque Anthropocène.
Durant son histoire, notre planète a subi cinq grandes
extinctions ; l’homme sera-t-il responsable de la sixième ?
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• Il y a à peine quelques années, une société se définissait
principalement par son territoire, sa culture et sa langue.
Certains pays n’utilisent qu’une seule langue identitaire (le
norvégien ou le finlandais par exemple), d’autres pratiquent une
dualité linguistique (le Canada et l’Espagne), et d'autres en
utilisent plusieurs (Inde, etc.). Avec l’avènement d’Internet les
citoyens considèrent maintenant important d’utiliser, outre leur
langue identitaire, l’anglais pour avoir accès aux contenus et
aux services sur Internet. Ils adoptent cette approche réaliste
pour faciliter les transactions commerciales ou les échanges
culturels, forçant ainsi toutes les sociétés à devenir plus
pluralistes. Maintenant, on utilise une majeure et une mineure
comme langues d’usage (anglais et français ou espagnol et
anglais, par exemple). Une société devient dorénavant un milieu
qui communique dans plusieurs langues au lieu de n’être défini
que par sa seule langue identitaire.
• La différence entre les jeunes et les moins jeunes générations de
citoyens explique aussi l’importance de la rupture en cours, du
moins en partie.
• Les générations âgées (la génération silencieuse 19001954, les baby-boomers 1946-1964, Mature Generation,
et partiellement la génération X 1965-1980) forment le
groupe prédominant dans notre société du fait de leur
nombre.
• Contrairement aux conclusions des recherches en cours, la
génération hybride (la génération Y, 1980-1990) serait
plutôt une génération charnière.
• Les jeunes générations (la netgénération, Millenium
Generation, la génération Web, les Baby-burst).
Actuellement, ils communiquent par les réseaux sociaux
tels YouTube, MySpace ou Facebook.
L’un des premiers analystes des générations fut David K.
Foot dans Boom, Burst & Echo, en 2000. Voir aussi les
chercheurs William Strauss et Neil Howe. Lire Grown Up
Digital : How the Net Generation is Changing Your World,
par Don Tapscott, McGraw-Hill, 2008.
6- Les passages
Les nombreux passages, ou paradigmes, observés indiquent
l’importance de la rupture que nous vivons. Un paradigme est une
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nouvelle façon d’interpréter une situation ; il exige un nouveau
cadre de pensée pour expliquer cette nouvelle réalité.
De l’ère industrielle
à l’ère postindustrielle
Les paradigmes technologiques
Internet 1 est un environnement surtout
composé d’ordinateurs personnels,
dominé par Microsoft.
Internet 2 devient un
environnement Web,
dominé par Google.
Internet 1 connecte ensemble les
ordinateurs.
Internet 2 intègre les ordinateurs, le
cinéma, la télévision, le mobile, etc.
Implantation physique des réseaux
(câblo, telco, satellites, etc.) (1G)
essor du mobile (RFID, GPS,
Wi-Fi, smart phone, etc.) (3G)
Analogique passif
numérique interactif
Diffusion du même message
via plusieurs médias
Prépondérance du support
passif qu’est le papier
Diffusion touts azimuts
approche
multiplateforme
utilisation de l’image-écran
interactive
diffusion géoréférencée
Les paradigmes économiques
Wall Street
Main Street
Stratégies orientées vers le produit
stratégies destinées au client
Loi de l’offre
loi de la demande
Produits de masse
produits sur mesure
Vente d’objets : micro-ordinateur,
auto, livre, CD, etc.
vente de services sur mesure via
une googlelisation de la publicité
Locomotive américaine
monde tripolaire : É.-U, + U.-E. + Chine
Les paradigmes sociétaux
Société massifiée
société ramifiée
Médias de masse (broadcasting)
médias personnalisés (narrowcasting)
Information rare
information en continu
Infospectacle qui décourage
la solidarité
Internet 2 participatif qui
suscite des consensus
Stratégie descendante (top-down)
stratégie montante (bottom-up)
Immigrants numériques (boomers)
(digital immigrants)
natifs numériques (la netgénération)
(digital natives)
Utilisateur connecté au préalable
à son réseau
utilisateur toujours connecté
à l’ensemble des réseaux
Contenus créés par des professionnels
contenus autocréés par des utilisateurs
World.inc
World.com
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7- Et tout dernièrement
• Le 8e jour du 8e mois de l’an 2008, deux milliards de
téléspectateurs des cérémonies des Jeux Olympiques à Beijing
réalisent que nous passons d’un monde unipolaire (américain) à
un monde tripolaire (Chine, États-Unis et Union européenne).
• À 23 h le 04/11/08 rupture aux États-Unis : Barack Obama est élu
président.
• C’est la fin de l’ère reaganienne ;
• de l’épopée des baby-boomers ;
• et d’une certaine aristocratie politicienne (Clinton-BushKennedy).
Et parce que, dans une quarantaine d’années, la majorité des
Américains seront des gens de couleur, la couleur du visage
d’Obama annonce l’ère d’une Amérique métisse.
• Le 12 décembre 2008 : la fraude pyramidale du siècle de 50
milliards $ de Bernard Madoff est le point de non-retour
concernant la perte de confiance des gens. Désormais beaucoup
de blogs parlent des mensonges de la classe économique et de
l’incompétence de la classe politique. Tellement qu’aux ÉtatsUnis plusieurs voient se profiler une crise de légitimité des
autorités américaines.