Evaluation des risques des OGM et pesticides : Quand l`EFSA se

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Evaluation des risques des OGM et pesticides : Quand l`EFSA se
Evaluation des risques des OGM et pesticides :
Quand l’EFSA se paye de bonne intentions…
La nature n’est pas qu’un merveilleux patrimoine que nous pouvons admirer lors de nos
promenades du dimanche ; elle fournit aussi à l’Homme d’importants services sans lesquels la
survie de notre espèce serait tout simplement compromise. Or bien des écosystèmes, de par le
monde, sont aujourd’hui menacés par nos pratiques… On comprend donc le souci de nos
dirigeants d’évaluer les pertes et les gains qu’ont subis les écosystèmes au long des dernières
décennies. Dans la même logique, il est aujourd’hui question d’évaluer pesticides et OGM au
travers des effets qu’ils ont sur les services rendus à l’Homme par les écosystèmes. Une belle
et bonne idée ? En apparence, certainement… Mais la question mérite tout de même une
petite analyse !
Texte et photographie de Janine Kievits
On n’en finirait pas d’énumérer les services que prestent les écosystèmes au bénéfice de notre
espèce. Ce sont les plantes, et surtout les forêts, qui fournissent l’oxygène indispensable à la
respiration des êtres vivants. Les mêmes jouent un rôle majeur dans le cycle de l’eau et
l’épuration des eaux de surface. Des prédateurs sauvages régulent bien des pestes qui, sans
cela, se feraient envahissantes. Inlassables nettoyeuses, les fourmis, comme bien d’autres
espèces d’insectes, débarrassent chaque jour la planète de tonnes de déchets, et des bactéries
en dégradent d’autres qu’elles transforment en humus bénéfique à la croissance végétale.
Inlassables, eux aussi, les pollinisateurs assurent la fécondation d’un grand nombre de
cultures…
Evaluer régulièrement l'état des écosystèmes
Mais voilà : sous l’influence des quelque sept milliards d’être humains qui peuplent
aujourd’hui la planète, et surtout de leurs pratiques et de leurs modes de vie, les écosystèmes
sont en pleine mutation ; et leur capacité à répondre à nos besoins pourrait bien en être
affectée. Avec quelles conséquences sur le futur de l’humanité, et sur le bien-être des
populations ?
En 2001, préoccupé par la question, le secrétaire général des Nations-Unies d'alors - Kofi
Annan - interpella le monde scientifique afin qu’il tente d’éclaircir la question (1). De cette
initiative sortit un travail gigantesque mené par des experts issus de plus de cent nations, le
Millenium Ecosystem Assessment (Evaluation des écosystèmes pour le millénaire). Cette
évaluation a porté sur les services rendus à l’homme par vingt-quatre écosystèmes différents ;
elle a conclu au déclin de la plupart d’entre eux (2). Les prévisions pour le futur, selon les
divers scénarios envisagés, ne sont pas toujours plus optimistes. Mais le rapport propose aussi
divers types d’actions pour une amélioration des mécanismes naturels bénéfiques à l’Homme.
Ces travaux ont fait l’objet de multiples rapports et se sont terminés par un appel pressant aux
états : il est indispensable et urgent, dit la communauté scientifique, de procéder
régulièrement à l’évaluation de l’état des écosystèmes et des services qu’ils rendent, et ces
évaluations doivent guider les politiques publiques. Car la conservation des systèmes naturels
est une priorité : sans eux, la lutte contre la famine et la pauvreté risque bien d’être vaine, et
inutiles les initiatives visant à améliorer la santé publique ! En effet, la gestion des problèmes
liés à la dégradation des services prestés par les écosystèmes ancre des milliers de personnes
dans la pauvreté récurrente : que d’efforts de développement sont anéantis ou freinés par des
problèmes liés à la pollution des eaux, à la déforestation…
L’idée centrale de la démarche, qui est d’effectuer une veille constante des services rendus à
l’homme par les écosystèmes, est donc à saluer : elle fournit aux décideurs et aux populations
une aiguille sur le cadran de la planète, qu’il nous faut garder à l’œil comme on surveille, sur
une chaudière, l’aiguille du manomètre. Et pour les mêmes raisons : parce que c’est vital !
Eviter tout effondrement de population ou d'espèce
Voici donc un beau concept, que d’aucuns rêvent d’appliquer, dans le futur, à l’évaluation des
risques liés aux pesticides et aux OGM. D’aucuns, en l’occurrence, c’est l’EFSA, l’autorité
européenne de sécurité alimentaire (3), dont les unités de fonctionnaires, appuyées par des
panels scientifiques, dessinent les grandes lignes du processus d’évaluation que les entreprises
devront suivre, demain, lorsqu’elles souhaiteront mettre sur le marché un produit
phytosanitaire ou un OGM. L’évaluation des risques, c’est, aujourd’hui, une impressionnante
batterie de tests destinés à cerner les effets du pesticide ou de la plante génétiquement
modifiées sur la santé humaine, la santé animale et sur l’environnement. En matière
d’environnement, il s’agit d’évaluer la toxicité aiguë, chronique parfois, pour différentes
espèces-types, et d’en déduire le niveau de risque, pour une espèce donnée - par exemple, le
faisan, l’abeille… - ou un groupe d’espèces - par exemple, les organismes aquatiques, sur
base de deux ou trois espèces représentatives. Selon le niveau de risque, la substance
phytopharmaceutique ou l’OGM sera autorisé, refusé ou encore, le plus souvent, autorisé sous
conditions, muni des phrases de risques appelant les utilisateurs aux précautions censées
éviter les risques identifiés lors de l’évaluation. Pour lourd qu’il soit, ce système ne nous
protège pas entièrement, nous l’avons vu dans un article précédent (4). Mais au moins, il
considère le risque pour chaque espèce testée et prescrit que tout risque identifié doit être
géré : on ne peut accepter le principe qu’une substance phytosanitaire ou un OGM ait pour
effet l’effondrement des populations d’une espèce ou, pire encore, son élimination pure et
simple.
C’est cela qui risque bien de changer à l’avenir. L’EFSA, dans une « opinion scientifique »
sur l’évaluation environnementale des OGM, note ce qui suit :
« (…) Pour une production soutenable, la question est de maintenir un certain niveau de
biodiversité, assurant des services essentiels de l’écosystème, incluant le contrôle biologique
des pestes et des maladies, la fixation et le cycle des nutriments, la décomposition du matériel
végétal, la maintenance de la qualité et de la fertilité des sols, et leur stabilité structurale. Pour
cela, le critère de biodiversité fonctionnelle est considéré comme important (…). Les
notifiants devraient considérer dans quelle mesure une plante GM est potentiellement nocive,
directement ou indirectement, pour les guildes d’espèces impliquées dans les fonctions de
l’écosystème » (5).
Un déclin sans importance si le "service" reste assuré !
En d’autres termes, c’est la fonctionnalité des espèces en regard des besoins de l’être humain
qui devient le pivot central de toute l’évaluation des effets sur l’environnement et, en
particulier, sur la biodiversité.
Avec quelles conséquences ? Dans un document proche (6), l’EFSA, se fonde sur des
publications relatives aux prédateurs des pestes dans des cultures OGM (7) pour déclarer :
« Les fonctions écologiques (comme la pollinisation, le contrôle biologique, les fonctions du
sol) dépendent du nombre d’espèces, de leur abondance et des différents types d’assemblage.
Dans un assemblage particulier, l’abondance de chaque espèce fluctue naturellement et le
déclin de certaines populations pourrait être compensé par une autre espèce au sein d’une
même « guilde » sans que la fonctionnalité soit affectée négativement (Naranjo, 2005a, b).
Pour cette raison, le taux global de prédation d’une guilde de prédateurs peut être sélectionné
comme objectif d’évaluation dans les tests en champ ».
Nous y voici : si l’évaluation montre le déclin d’une espèce, l’OGM pourra néanmoins
recevoir son autorisation, sans restriction particulière d’emploi découlant de ce risque, pour
autant qu’une autre espèce puisse, plus ou moins, prendre sa place pour assurer le
fonctionnement de l’écosystème au service de l’être humain : le déclin n’est pas grave tant
que le service rendu à l’Homme par la nature reste assuré. La même logique serait
d’application en matière de pesticides : si le processus de réflexion y est moins avancé qu’en
matière d’OGM, l’EFSA n’en a pas moins lancé le débat sur la question (8). Certes la notion
de « services rendus à l’homme » est large, puisqu’elle inclut les « services culturels » récréatifs, spirituels, éducationnels… -, outre les services plus concrets cités plus haut (5, p.
11). Il n’en reste pas moins que le concept pose quelques questions, d’ordre pratique autant
que philosophique. Passons-les en revue.
- Question 1 : la compensation du déclin d’une population par une autre ne sera jamais
constatée que dans un milieu donné. Sous d’autres conditions climatiques, météorologiques,
géographiques, la compensation aura-t-elle toujours lieu ?
- Question 2 : le déclin de l’espèce impactée par l’OGM ou le pesticide n’a-t-il pas d’autre
conséquences, sur l’ensemble de la biodiversité, que celles qu’il a sur le service considéré ?
Ou, autrement formulé : la fonction d’une espèce est-elle limitée à celle qu’il assume dans un
service donné ?
- Question 3 : la biodiversité n’est-elle vraiment qu’un ensemble d’espèces dont la seule
raison d’être est de fournir des services à une seule espèce, Homo sapiens ?
Nous n’y avons bien évidemment pas réponse…
Limitons-nous cependant à trois constats ! Le premier est qu’on évolue vers une forme de
pensée où l’être humain exerce une maîtrise totale sur le fonctionnement des écosystèmes. Or
la modélisation complète de ceux-ci est illusoire, vu l’extrême complexité du vivant, et
illusoire est l’idée que la science permet, ou ne permettra jamais, de cerner exactement les
impacts possibles de la disparition d’une espèce ou de l’effondrement d’une population de
prédateurs, de pollinisateurs, ou d’autres « prestataires de services », quels qu’ils soient.
Le second, est que cette forme de pensée relève d’un anthropomorphisme inquiétant. Dans le
schéma avancé, toute l’architecture du vivant de sert qu’un objectif : l’Homme 8 Et ce qui est
extérieur aux services que la nature rend à celui-ci est dénué d’importance…
Le troisième constat est dans un autre registre moins philosophique et plus politique ; il
touche à la démocratie du débat. Car débat il y a eu : l’EFSA a organisé des réunions autour
de cette vision de l’évaluation, telle celle qui a eu lieu à Parme les 15 et 16 avril 2010 (8) à
propos de l’évaluation des pesticides. Ces réunions sont très fréquentées par les experts des
Etats et par l’industrie - et ces derniers semblent plutôt favorables à ce nouveau concept
d’évaluation… Les ONG y sont très peu représentées, et les citoyens, pourtant concernés au
premier chef par les substances et organismes qui seront demain présents dans leur
environnement voire dans leur nourriture, en sont évidemment les grands absents (8, p.7).
Enfin, par rapport à l’idée de départ, celle du Millenium Ecosystem Assessment, cité en source
par l’EFSA, n’a-t-on pas opéré un retournement de perspective ? Car nous voilà bel et bien
passés d’un concept où l’Homme ajuste ses modes de production aux nécessités de
l’écosystème, à une vision quasi opposée, où l’Homme entend plier les systèmes naturels aux
seules nécessités liées à ses besoins !
Et puis, une dernière pour la route…
Dernière question : comment l’EFSA entend-elle en pratique objectiver l’importance de la
perte d’une espèce sur le bien-être de l’humanité ? Cette question est déjà aiguë, s’agissant de
services matériels - la production d’eau potable, la stabilité du climat - ; que devient-elle
lorsqu’il s’agit de besoins d’ordre culturel ? La question a été soulevés par certains
participants au groupe de travail relatif aux pesticides (8, p. 37 notamment) mais n’a pas reçu
de réponse concrète pour le moment. Ce sera pour une étape ultérieure… pour autant que la
démarche ait de l’avenir. Car enfin, de la vache folle au poulet dioxiné, de l’amarante
génétiquement modifiée à la catastrophe du nucléaire à Fukushima, l’Homo pas toujours si
sapiens que ça n’apprend-il pas peu à peu la maturité - c’est à dire l’abandon de ses rêves
enfantins de toute-puissance - et l’accession au respect fraternel de toute vie, valeur
essentielle de la maturité accomplie?
Notes :
(1) Site Web du Millenium Ecosystem Assessment : www.maweb.org/en/index.aspx
(2) Wikipedia : http://en.wikipedia.org/wiki/Millennium_Ecosystem_Assessment
(3) Site Web de l’EFSA : www.efsa.europa.eu/fr/
(4) Voir l’article : Autorisation des pesticides : cherchez l’expert, il est bien caché, dans
Valériane n°87, janvier-février 2011, pp. 12-14.
(5) EFSA 2010 : Scientific Opinion on the assessment of potential impacts of genetically
modified plants on non-target organisms, Panel on Genetically Modified Organisms (GMO
Panel), EFSA Journal 2010; 8 (11) :1877, page 8. Disponible sur le site de l’EFSA :
http://ec.europa.eu/food/food/biotechnology/docs/20101112_era_guidance_nto_opinion.pdf
(6) EFSA 2010 : SCIENTIFIC OPINION Guidance on the environmental risk assessment of
genetically modified plants, Panel on Genetically Modified Organisms (GMO), EFSA Journal
2010; 8(11) :1879, page 58. Disponible sur el site de l’EFSA :
http://www.efsa.europa.eu/en/efsajournal/doc/1879.pdf
(7) Naranjo S, 2005 : Long-Term Assessment of the Effects of Transgenic Bt Cotton on the
Function of the Natural Enemy Community Environ. Entomol. 34(5): 1211-1223.
(8) Report on the PPR Stakeholder Workshop Protection goals for environmental risk
assessment of pesticide: What and where to protect?, EFSA Journal 2010;8(7):1672
Disponible sur le site de l’EFSA : http://www.efsa.europa.eu/en/supporting/pub/1672.htm