Histoire nationale et roman algérien

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Histoire nationale et roman algérien
Histoire nationale et roman algérien
Ernstpeter Ruhe
L'histoire est traitée dans les romans algériens des trois dernières décennies de façons
très diverses. On peut distinguer deux groupes principaux de textes:
1. Tout d'abord, le groupe numériquement le plus fort des romans qui abordent le
sujet de la guerre de libération. Ils sont écrits par des auteurs comme Mouloud
Mammeri, Aicha Lemsine, Abdelhamid Benhedouga, Assia Djebar, Chabane
Ouahioune, pour ne citer que les plus connus.
Sur le plan formel, les romans sur la guerre de libération ont en commun les
caractéristiques suivantes: leur écriture est ordonnée; les événements du récit sont
racontés en respectant la chronologie; la structure des textes est simple et claire,
linéaire.
Cette organisation du récit reflète la base stable qu'est la mémoire collective sur
laquelle ces textes reposent. Les auteurs savent que leur public connaît les faits à
fond, que même beaucoup de lecteurs ont été impliqués dans les événements,
d'une manière très directe et souvent douloureuse. Ils savent surtout aussi que lé
jugement porté sur ces événements fait l'objet d'un consensus national.
2. A côté de ce nombre important de textes, il en existe d'autres dont les particularités sautent aux yeux dès la première lecture. Je pense ici particulièrement aux
textes de Kateb Yacine, de Rachid Boudjedra et de Rachid Mimouni, qui me
serviront de paradigme dans la suite de mon exposé. Ce sont des romans qui sont
difficiles à comprendre et dont le sens ne devient accessible qu'après une ou même
plusieurs relectures.
Contrairement au groupe précédent, ils sont caractérisés par une écriture désordonnée; les événements du récit - en admettant que l'on puisse encore parler de récit
- ne respectent pas la chronologie; la structure des textes est non-linéaire et, à cause
de la combinaison de plusieurs perspectives narratives qui s'entrecroisent sans arrêt,
cette structure est souvent d'une grande complexité.
La critique littéraire aime voir dans ce phénomène ou bien une imitation d'influences littéraires non-algériennes et renvoie à Faulkner, André Breton, James Joyce, et au Nouveau Roman, ou bien elle tente de faire de cette caractéristique une
particularité arabe: ainsi, la structure circulaire complexe de Nedjma serait le résultat
de l"'attitude purement arabe de l'homme face au temps".1
.
Ce sont des jugements trop rapides qui ne résistent pas au premier argument qu'on
leur oppose: En effet, si la structure circulaire est typiquement arabe, cela signifie181
rait-il que l'Irlandais Beckett, le Roumain Ionesco, le Russe Adamov e~ de nombreux
autres auteurs contemporains en Europe seraient Arabes? et, de'autre part ne devrait-il pas alors y avoir beaucoup plus de romans algériens à avoir cette structure
compliquée?
Non seulement "comparaison n'est pas raison", on le sait, mais, pratiquée ainsi,
elle fait même tort à ces textes en les rapprochant faussement de la littérature européenne et les y intégrant en tant qu'œuvres d'épigones. Ou bien, elle les repousse dans
un lointain exotique en escamotant une réelle discussion de ces textes, c'est-à-dire
qu'elle évite par là de s'ouvrir réellement aux romans algériens et de les lire pour euxmêmes. Ce que je tenterai ici.
La structure compliquée des romans qui nous intéressent ici s'explique - et ceci est
l'hypothèse que je voudrais proposer - par le sujet même de ces textes: ils traitent
aussi de l'histoire algérienne, s'en approchent cependant avec une conception tout à
fait différente, qui est soit implicitement inscrite dans les romans soit, à l'intérieur
des textes, devient objet de réflexions concernant la philosophie de l'histoire, comme
c'est le cas chez Boudjedra. La complexité de cette conception se reflète directement
dans la complexité des romans. Je voudrais le démontrer en prenant comme exemples
les trois romans suivants: Nedjma de Kateb Yacine (1956), Le démantèlement de
Rachid Boudjedra2 et Le fleuve détourné de Rachid Mimouni (1982). 3
Dans ces textes, l'histoire n'apparaît pas comme quelque chose de clos, de passé,
que l'on peut résumer facilement, mais comme un passé encore vivant, qui se perpétue dans le présent en le déterminant fortement. Ce présent est, dans les romans,
celui des protagonistes, qui se trouvent dans une situation historique déterminée: il
s'agit, chez Kateb Yacine, des années entre les massacres de Sétif en Mai 1945 et
1949; chez Mimouni de la deuxième moitié des années 70, chez Boudjedra du début
des années 80.
L'histoire apparaît toujours filtrée à travers des individus. De cette façon, les
auteurs montrent bien ce qu'est l'histoire: elle est l'intégration et l'assimilation d'événements, qui n'existent pas en tant que réalité objective, mais seulement après avoir
été interprétés et ordonnés par une conscience qui les vit. L'histoire comprise comme
résultat de l'interprétation d'une personne n'est donc pas quelque chose de fixe,
quelque chose d'établi et de garanti pour toujours, mais elle se modifie nécessairement avec l'individu qui la vit et l'interprète tout comme elle le modifie lui aussi. Le
passé et le présent sont inextricablement mêlés: l'interprétation que l'on fait du passé
a des conséquences directes sur le présent, les changements du présent et leurs
interprétations ont rétrospectivement une influence tout aussi directe sur le passé.
La conscience historique considérée comme un processus ininterrompu, perpétuel
d'interprétation et d'apprentissage qui progresse suivant les trois étapes du raisonnement dialectique: c'est exactement avec cette conception de l'histoire que les romans dont nous parlons ici tentent de familiariser le lecteur. Que ce but ne puisse
être atteint qu'avec les moyens narratifs adéquats c'est à dire, dans notre cas, avec
une structure narrative complexe ne surprendra plus après ce qui vient d'être dit.
182
Ainsi, la différence entre les deux groupes de textes décrits plus haut, peut en
dernier lieu être ramenée à celle existant entre la mémoire collective et la mémoire
individuelle.
La mémoire collective est un résumé, un concentré, un dépôt de tous les souvenirs
rassemblés par beaucoup d'individus, mais purifiés de tout ce qui leur est personnel;
elle est le savoir historique apaisé, non-problématique d'une communauté. - La
mémoire individuelle, par contre, est caractérisée par une surabondance de détails;
elle entretient un rapport problématique avec l'histoire; elle est la recherche continuelle d'une orientation dans les chemins tortueux d'un labyrinthe. Si l'une -l'individuelle - est supérieure à l'autre par sa richesse et sa complexité, l'autre -la collective - rétablit l'équilibre par sa résistance face aux attaques du temps, face à l'oubli.
Rachid Mimouni a très bien exprimé ceci dans un passage lyrique du Fleuve détourné:
Que s'abreuve encore de sang le sol de ce pays, car le soleil dessèche tout, et notre
mémoire est courte;
Que s'abreuve encore de sang le sol de ce pays, pour tatouer la mémoire collective, qui
refusant le silence complice, saura le temps venu, ressusciter nos souvenirs; ... (128).4
Pénétrons dans quelques-uns de ces romans-labyrinthes, pour les analyser plus en
détail et pour y chercher les fils d'Ariane qui pourront nous aider à nous orienter.
Le rapport entre la mémoire collective et la mémoire individuelle est thématisé
dans les textes par le fait que la situation historique de l'Algérie, avant ou après la
guerre de libération, est à chaque fois vue à travers plusieurs protagonistes. Ceci
montre bien que la réaction individuelle face aux événements n'est pas un fait isolé,
mais est représentative d'un groupe de personnes plus important: Chez Kateb Yacine, ce sont les quatre jeunes gens Mustapha, Mourad, Rachid et Lakhdar, et en
outre, le vieux Si Mokhtar, le père de Nedjma. Chez Mimouni, c'est à nouveau un
groupe de même importance, composé de Rachid, d'Omar, de l'Ecrivain, d'un je
anonyme et de Vingt-Cinq, bien plus âgé que ses compagnons. Chez Boudjedra, les
personnages sont principalement la jeune Selma et le vieux Tahar El Ghomri; les
frères de Selma, Latif et Hamid, jouent également un rôle non négligeable.
Dans cette mise en perspective multiple on trouve toujours la même opposition de
deux générations dans la confrontation d'un personnage représentant l'ancienne génération, et de plusieurs autres représentant la jeune génération. La génération des
anciens permet aux jeunes un dialogue direct avec le passé qu'elle leur explique: Si
Mokhtar éclaire Rachid sur les événements importants de l'histoire de la tribu, en
partant de son fondateur, le mythique Keblout (98; 125); le vieillard de Mimouni,
Vingt-Cinq, avec son âge indéfinissable, est l'incarnation même de l'infini du passé,
183
"de ces siècles de souvenirs qu'il savait relater avec un art consommé ... " (213);
Tahar El Ghomri, enfin, est l'image d'un passé plus récent, celui de la guerre de
libération, passé que Selma, représentante de la "génération des séismes" (235; 237),
n'a cependant pas pu connaître elle-même; car elle est née en 1954, l'année du
tremblement de terre d'Orléansville et du début de la guerre de libération.
Le processus d'apprentissage que représente la confrontation avec l'histoire est
donc mis en scène et personnifié par l'intermédiaire de protagonistes.
Le rôle des anciens semble se limiter à l'incarnation du passé. Dans les romans,
soit ils meurent (Kateb, Boudjedra), soit ils sont si proches de la mort qu'ils restent
"sans aucun engagement ... hors de toute atteinte, déconnecté[ s] en quelque sorte,
aucun projet, aucune ambition n'ayant plus de prise sur [eux]" (216) et ne peuvent
plus jouer de rôle actif dans le présent.
Mais en se limitant à cette constatation, on négligerait une évolution importante
que l'on retrouve dans les romans. Chez Kateb Yacine, le représentant de l'ancienne
génération est un personnage qui, dans le rapport professeur - élève, a toujours
l'avantage face aux plus jeunes qu'il domine aisément. Cette distance n'existe pourtant plus pour le vieillard de Mimouni: partageant leur sort difficile, il est accepté par
les plus jeunes qui le prennent amicalement en charge. Boudjedra va un peu plus loin
en retournant la situation de départ: c'est le vieil homme qui est l'isolé, qui s'est retiré
de la société et dont le retour à la vie ne sera possible que par l'intervention de la
jeune Selma qui établit le contact avec lui. Ils ont tous deux des difficultés, tous deux
ont une énigme à résoudre et c'est la jeune femme qui force Tahar à parler et lui
permet d'avancer dans son auto-analyse - c'est une structure que l'on retrouve à
plusieurs reprises chez Boudjedra depuis La répudiation -. Le dialogue qu'ils engagent sur des questions existentielles devient si intensif que - tout comme Selma, la
jeune directrice de bibliothèque - Tahar aussi subit un "démantèlement", qu'il reconnaît ses erreurs passées et qu'il modifie sa conception de l'histoire.
On ne pouvait pas démontrer l'inter-relation existant entre le passé et le présent
d'une manière plus différenciée qu'en laissant les personnages se rectifier l'un l'autre,
s'aidant ainsi à faire un pas important dans leur évolution personnelle. Grâce au
rapprochement des générations qui se rendent compte qu'elles dépendent l'une de
l'autre et qu'elles ne peuvent évoluer qu'ensemble, le double "démantèlement" de la
thèse (Tahar) et de l'antithèse (Selma) conduit à une synthèse optimiste et ouverte sur
l'avenir.
Le changement qui s'opère dans les rapports entre les vieux et les jeunes, entre le
passé et le présent, doit être considéré en rapport avec le contexte du changement de
la situation historique dans laquelle sont placés les protagonistes. Si leur situation
individuelle privée est complexe, celle du pays tout entier l'est également.
Après les massacres de Sétif, la jeune génération de Kateb Yacine cherche quelle
orientation suivre. L'avenir lui semble n'ouvrir aucune perspective. Ils trouvent un
184
appui dans le passé, tout particulièrement dans le mythe magnifique de Keblout.
Cette reconstruction du passé, et tout spécialement l'insistance sur les Beni-Hillal en
tant qu'incarnation du mythe de l'éternelle insurrection, fait naître en eux la conscience de la continuité ("aucun fil n'est jamais rompu pour qui recherche ses origines", 146) et leur redonne courage pour l'avenir; car, en effet, comme Rachid l'apprendra de Si Mokhtar, "la conquête", ce "mal nécessaire", cette "greffe douloureuse" apporte "une promesse de progrès à l'arbre de la nation". (102)
Avec la réalisation de cet avenir, en 1962, la situation s'est totalement modifiée.
Tout l'intérêt de l'action romanesque est maintenant concentrée sur le présent, un
présent qui pourtant s'avère être également problématique, bien que ce soit pour
d'autres raisons.
Pour les protagonistes de Mimouni, le pays se trouve, au milieu des années 70,
dans une impasse, tout comme ils sont eux-mêmes enfermés dans un camp, image
suffisamment symbolique. Partout ils ne voient que des abus, c'est-à-dire égoïsme
éhonté et trahison des anciens idéaux. Les loups ont tiré profit de la naïveté et de la
candeur des idéalistes et les ont mis à distance du monde, les enfermant tels des morts
vivants et gardant tout le pouvoir pour eux. Un moyen essentiel de leur domination
est la perversion de la mémoire collective: ils utilisent les héros morts pendant la
guerre de libération, dont les noms sont gravés sur les monuments aux morts, pour
justifier leurs crimes. Et malheur à celui qui, comme le je-narrateur, est tenu pour
mort et qui revient tout à coup. Sa mémoire individuelle risque de troubler la paix, de
compromettre ce calme de cimetière et de dévoiler le caractère fallacieux du culte des
héros. Ce trouble-fête qui avait déjà été immortalisé comme martyr et qui a eu
l'indélicatesse de survivre et de ne pas s'arranger avec les loups en cheminant avec eux
dans "la voie de l'oubli" (101), est condamné à la mort lente dans le camp et sera ainsi
neutralisé; "le fleuve, détourné de son lit initial, ... a perdu la direction de la mer."
(211-2). Il ne semble rester aux vaincus, dans leur impuissance, derrière leurs fils de
fer barbelés, qu'''une immense lassitude" (191), qu'''une immense indifférence"
(195). Mais, à la fin du roman un espoir de changement s'annonce, "la fin du
cauchemar et l'aube d'une ère nouvelle" (217).
Cette perspective d'un optimisme prudent est accentuée et confirmée par l'action
du Démantèlement, qui est située quelques années plus tard, en 1981. Tahar et Selma
évoquent encore suffisamment de problèmes, comme par exemple, la "démographie
du désastre" (108), ou comme les vaches que le gouvernement avait importées et
oubliées dans le port - symbole des articles de consommation et de production
inadaptés au pays -, mais le climat général est bien différent. Il est maintenant
possible de parler des aspects douloureux et problématiques de l'histoire récente et
de corriger par là la mémoire collective, qui, dans ce domaine est encline aux refoulements. A travers la personne de Tahar, le dernier survivant d'un groupe de combattants, dont il n'existe plus qu'une vieille photo ("l'unique preuve tangible de ce qui
s'était passé réellement"; 18), est posé le problème des communistes qui ont participés à la guerre de libération, et "que des compagnons d'armes" ont égorgés "parce
185
qu'il[ s] étai[ en]t communiste[ s] et de ce fait inscrit[ s] sur la liste noire des personnes
qu'il fallait éliminer d'urgence" (231).
Tahar apprend à reconnaître, grâce à la confrontation avec Selma, quelles étaient
les fautes des communistes; il se rend avant tout compte qu'en s'engageant dans la
guerre de libération, il n'agissait pas poussé par une conception politique mûrement
réfléchie, mais uniquement par vengeance personnelle: sa famille avait été assassinée
sur l'ordre qu'un officier français avait donné à ses soldats sénégalais, au cours du
génocide de Mai 1945. La recherche ininterrompue de Tahar pour trouver des points
de repère dans le labyrinthe de l'histoire aboutit ainsi à une fin qui l'apaise et le
console.
L'optimisme de Boudjedra s'exprime le plus clairement à travers le personnage de
Selma. Si on la compare à Nedjma - d'ailleurs, leurs noms mêmes se font écho -, on
s'aperçoit qu'une véritable révolution s'est produite. Nedjma était "le symbole de
l'Algérie meurtrie, prostituée à tous les prétendants sans titre et sans amour". 5 25 ans
plus tard, chez Boudjedra, Selma lui fait face. Elle est aussi un symbole de l'Algérie
(306), mais c'est maintenant d'une toute autre Algérie qu'il s'agit, d'une Algérie dans
laquelle la nouvelle génération donne le ton, une génération "révoltée, décidée et ne
larmoyant pas sur cette légende des ancêtres héroïques, et, leur reprochant au contraire d'avoir trahi, de s'être laissé avoir pendant des siècles et des siècles." (299)
Selma n'est pas la victime de ses prétendants; au contraire, c'est bien plutôt elle qui
provoque et manipule les hommes "qu'elle effrayait ... [et] tourmentait" (278).
Derrière Selma, le symbole de l'Algérie nouvelle, apparaît Selma, le symbole de la
nouvelle femme qui se pose elle-aussi en anti-Nedjma. Dès l'enfance, elle avait juré
"qu'elle se vengerait de tout ce sort injuste et humiliant qu'on faisait aux femmes,
harcèlerait les ancêtres impardonnables d'avoir imposé des lois, des traditions et des
moeurs détestables et s'en prenant tout particulièrement aux femmes, sources - selon
eux, les ancêtres - de tous les maux et de tous les malheurs." (278) L'allusion au rôle
de Nedjma chez Kateb Yacine ne peut pas passer inaperçue. " Avec sa force de caractère, sa combativité et ses excès" (299), Selma incarne une nouvelle conscience du
rôle de la femme qui contraste avec celui de "la femme méprisée, humiliée, répudiée,
violée" (299), donc finalement avec celui de Nedjma elle-même. Fidèle à son année
de naissance, 1954, l'année des deux séismes, elle devient elle-même un séisme pour
son pays; elle ébranle les fondements traditionnels de la société "régie par les mâles"
et ouvre "une faille dans les traditions et les normes séculaires" (153).
Nous avons déjà tiré de l'écheveau qu'est la structure du roman, les premiers fils
d'Ariane; en analysant la mise en perspective multiple, l'opposition entre jeunes et
vieux, entre passé et présent et l'évolution de ces deux relations de 1956 à 1982. Il
nous en reste d'autres à identifier.
Une raison importante de la complexité des romans est la conception approfondie
de l'histoire individuelle, sur laquelle ils sont basés. L'histoire qui est vécue et
interpretée à travers la perspective de quelques personnages, englobe ici toute l'histoire de ces individus, c'est-à-dire, en outre de l'action extérieure proprement dite,
186
leur vie intérieure dans toutes ses dimensions: elle est régie par des associations et des
souvenirs, des rêves, des visions, des hallucinations et des phantasmes, vers lesquels
l'individu se tourne sans cesse, parfois avec une insistance maniaque. Il en découle
pour les romans une grande profusion de détails qui est accentuée par la répétition de
variantes. Le lecteur est troublé, d'autant plus que ces détails affluent par à-coups,
inopinément, comme le font les associations d'idées; le récit est donc sans arrêt
interrompu; l'action et la représentation des personnages sont morcelées par cette
abondance de détails apparemment désordonnés.
La complexité des romans reflète donc directement la complexité du fonctionnement de la mémoire humaine. Chez Boudjedra, ce processus lui-même est thématisé
et mis en scène tout au début du roman: Tahar El Ghomri se trouve dans un parc, il
veut oublier la photographie qu'il a dans la poche, quand, soudain, un pigeon se pose
devant lui. Un détail qui semble insignifiant, mais qui déclenche chez Tahar une série
d'associations d'idées qui lance le roman. Le pigeon ne distrait Tahar réellement de la
photo que pour peu de temps, et seulement pour le conduire d'autant plus sûrement
à travers les méandres de sa pensée et de ses associations d'idées qui reflètent les
zigzags du pigeon, là où il ne peut plus éviter les signes, ces "traces presque invisibles
... qui ne lui échappaient pas du tout, alors que les autres ne s'en apercevaient même
pas" (8). Tahar est entré dans l'inextricabilité du labyrinthe de ses pensées. Plus tard
dans le roman, ce processus se renouvèlera pour Selma au moment où elle apparaît,
naturellement déclenché d'une manière diverse.
A la fin du roman apparaît une différence intéressante dans le comportement des
deux personnages vis-à-vis de leurs souvenirs personnels. Tahar El Ghomri ne racontait jamais rien ayant trait à son enfance et à sa famille. Selma, par contre, "le
noyait sous les détails et les surcharges concernant la sienne" (307). L'énumération
qui suit et qui est un bon exemple de l'abondance de détails dont je viens de parler,
juxtapose, par exemple, "la mort de son frère aîné, ... l'année du déluge, la dévotion
religieuse de sa mère" d'un côté et "les maniaqueries de tante Fatma, ... l'entêtement
de la tortue, ... les boîtes de punaises, ... les déviations sexuelles de Latif" (307) etc.
de l'autre.
Un changement s'est fait d'une génération à l'autre. On en trouve un parallèle dans
cette partie de l'évolution du roman algérien qui nous intéresse ici: en effet, les héros
de Kateb Yacine parlent beaucoup moins de leur enfance et de leur vie intime que
ceux des auteurs de la jeune génération, Mimouni et Boudjedra. Cette transformation dans le comportement des personnages peut être à son tour comparée à l'évolution du pays dont elle est finalement un symbole. Dans les années où Tahar était
actif, c'est-à-dire à la même époque que celle où Yacine écrivait sa Nedjma, l'Algérie
devait concentrer ses forces et les diriger vers l'extérieur et n'avait pas de temps à
consacrer à l'introspection. Avec l'indépendance, la situation s'est radicalement modifiée. La concentration sur les problèmes internes du pays se reflète chez les différents personnages des romans par l'intensité avec laquelle ils révèlent leur vie intime
et analysent leurs problèmes psychiques.
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Peu à peu, le lecteur attentif peut reconstituer le puzzle de la mémoire indiyiduelle, en tirant une à une les pièces de la profusion des détails, des souvenirs et des
visions. Quand il aura réussi cette opération, il se posera la question du sens de cette
mosaïque.
Il nous faut ici aborder un autre aspect qui contribue à la complexité des romans. Il
s'agit de la superposition de différents niveaux de signification qui peut s'étendre à
tous les éléments des textes et les transformer en un véritable feuilleté de sens.
Certains passages des romans peuvent se lire au sens littéral, d'autres ne permettent à
ce niveau aucune interprétation satisfaisante; ils invitent le lecteur à chercher à un
autre niveau leur signification plus profonde, celui de lecture symbolique, allégorique ou métaphorique, à l'intérieur de laquelle des symbolismes très différents peuvent coexister ou bien se superposer. Ils renvoient aux domaines de l'histoire du
mythe ou de la psychanalyse.
Pour Kateb Yacine, la recherche a depuis longtemps développé ces différents
niveaux de sens dans toute leur richesse et l'auteur lui-même y a fait allusion plus
d'une fois dans le texte même du roman. Il suffit ici de rappeler quelques-uns des
éléments les plus importants de ce réseau symbolique: Nedjma, symbole de l'Algérie
écartelée - au sens étymologique du terme - déchirée entre ses quatre conquérants,
ses quatre prétendants; le symbolisme du nom de Nedjma (Nedjma = étoile) qui se
reflète dans la géographie du texte (les cinq villes ordonnées en forme d'étoile);
symbolisme de celui de Keblout (= corde cassée), qui renvoie à la constante de
l'éternelle insurrection que toutes les étapes de l'histoire algérienne ont confirmée; le
symbole déjà cité de l'arbre, etc.
Chez Mimouni, déjà le titre Le fleuve détourné, incite à une lecture symbolique, et
le roman lui-même en offrira beaucoup d'autres exemples: le lieu décrit comme camp
de concentration, le choix des protagonistes qui sont tous représentatifs d'un certain
type et qui, dans leur ensemble, évoquent le pays tout entier, jusqu'aux éléments de
la nature qui renvoient clairement à un autre niveau de sens: le chant des oiseaux qui
s'interrompt brusquement et qui annonce le malheur, la pluie qui fait reprendre
espoir au fleuve détourné, maltraité. Inversement, une métaphore comme "creuser sa
mémoire", peut être prise au pied de la lettre: Le je, qui était tenu pour mort, réclame
des explications sur le passé et déterre son commandant tombé dans le maquis, pour
l'interroger. La scène symbolique la plus impressionnante est celle qui suggère une
critique de l'industrialisation forcée et de ses conséquences néfastes pour l'homme et
l'environnement (104-105); le symbolisme y est tout à fait évident:
Pendant deux jours, je marchai à travers champs, parallèlement à la route, afin
d'éviter les gendarmes. A l'approche de la ville, je vis un homme assis parmi une herbe
grise. Il ne cillait même pas, totalement immobile, telle une statue. Ses vêtements, ses
cheveux, son visage, ses sourcils étaient recouverts d'une neige sale. Il donnait l'impression d'un jeune homme grimé en vieillard.
Je m'étonnai de voir cette neige en plein été, alors que la chaleur était étouffante. De
plus, il se tenait assis à l'ombre, alors que je ne distinguais aucun arbre, aucun relief qui
188
eût pu ménager cet abri. Partout alentour, le soleil écrasait la vaste plaine, totalement
dénudée.
Après l'avoir salué, je l'interrogeai sur l'origine de l'ombre, sur l'origine de la neige.
Sans mot dire, il pointa son doigt vers le ciel. En me retournant, je vis une énorme
cheminée, qui montait, montait, infinie, son extrémité se perdant parmi les nuages. Son
ombre projetée disséquait impitoyablement la plaine. Je m'aperçus alors que derrière
cet homme, à perte de vue, se tenaient d'autres hommes, assis en rang d'oignons dans la
même position, recouverts de la même neige sale, semblant profiter de cette ombre
miraculeuse étalée sur la plaine tremblante de chaleur.
Je demandai à l'homme quels terribles géants avaient construit cette cheminée sans
fin et pour quel occulte usage.
- Ils Ont amené des machines qui mangent nos montagnes et construit cette cheminée
qui répand partout sa poussière vénéneuse. Meurent les plantes, les bêtes et les hommes
tandis que grandit la cheminée. On nous a promis qu'au bout de peu de temps, nous
deviendrons des statues. Alors nous attendons.
Chez Boudjedra, le réseau de symboles est encore plus serré, la richesse en est
beaucoup plus grande. Tout le roman mériterait un 'démantèlement' systématique de
ses symbolismes multiples et savamment calculés. Quelques-uns de ces phénomènes
ont déjà été cité, il faudrait en rajouter un grand nombre, comme, par ex., la maladie
pulmonaire qui ronge Tahar et qui trouve son écho dans celle de la poule; d'autres
animaux, comme un chat, des punaises, des fourmis, des pigeons sont aussi mis en
parallèle avec une personne, renforçant ainsi leurs liens. - Pour Selma, son père et
son grand frère revivent en Tahar; Tahar, dans sa cabane sur le haut d'une colline
dominant la ville est le symbole de la situation ambivalente de l'intellectuel qui vit, au
sens strict du mot, les et des contradictions de la société qui sont représentées par les
vaches; de sa position dominante, Tahar jete un regard sur la société et, de là, peut
exercer ses fonctions de vigie, mais, dans son isolement, il court le risque de se
marginaliser. Beaucoup d'autres relations symboliques pourraient être énumérées
ici, comme par exemple ce détail de la rose en plastique qui orne la cabane-grotte de
Tahar et dont Boudjedra lui-même donne la signification: "la rose jaune ... artificielle ... Est-ce-aussi une métaphore? Veut-il (= Tahar) mimer les arrivistes friands de
faux-semblants, de faux style ... " (227)
Le verbe "mimer" nous ramène directement à l'hypothèse que je propose ici, c'està-dire la caractéristique principale de ce roman et des deux autres, que je vois dans
leur caractère mimétique. Tout y est renvoi à une autre chose, qui est elle-même
reflétée à un autre niveau, d'une façon différente; tout est inextricablement entremêlé
ainsi, la structure générale des textes avec le sujet principal, l'histoire, tout comme
également tous les détails, qui, finalement renvoient toujours à ce dénominateur
commun.
Au lieu de mimer, on pourrait dire réfléchir, dans le sens de se refléter dans un
miroir. Ceci nous amène à compléter notre analyse de la mise en roman en tant que
mise en symbole par un aspect important, celui du niveau métatextuel. J'entends par
189
là la faculté d'un texte de se prendre lui-même comme objet, de se réfléchir en luimême et de réfléchir sur lui-méme, de thématiser avec les contenus qu'il aborde, et à
travers eux à la fois l'acte d'écriture lui-même et le rôle de l'écrivain.
Ce niveau de signification est déjà implicitement présent chez Kateb Yacine. Des
parties entières du roman sont caractérisées comme étant des extraits du "carnet" ou
du "journal" de Mustapha. On nous apprend de Lakhdar, à un moment donné du
texte, qu'il écrit "sur son cahier ... assis sur le rebord de la fenêtre ... de la chambre
nuptiale" de Nedjma (76). L'acte d'écriture des personnages renvoie à l'écriture du
roman lui-même. Ce rapport entre les deux plans est rendu explicite par le personnage de l'écrivain; il essaie de noter les souvenirs que Rachid lui raconte. La forme
spécifique de ces souvenirs, "ni monologue ni récit" (189), peut se comprendre
comme un commentaire général sur le roman lui-même qui est caractérisé par un
changement permanent de la perspective de narration, ce qui pose bien des difficultés
au lecteur. Pour l'écrivain, le récit de Rachid est l'occasion de réflexions fondamentales: "L'écrivain somnolait, son calepin fermé à la main; il venait de barrer l'unique
page écrite. Se taire ou dire l'indicible." (190) Face à l'aporie de ne pas vouloir se taire
d'une part et de ne pas pouvoir dire l'indicible d'autre part, il cherchera un compromis et essaiera de s'approcher le plus possible de l'indicible. Le roman Nedjma est le
résultat de cette recherche entreprise par Kateb Yacine, qui devait aboutir obligatoirement à la création d'un texte compliqué.
Parmi les personnages de Mimouni, il y en a un qui s'appelle "L'Ecrivain". C'est
sur lui que se concentre l'espoir à la fin du roman. Mimouni introduit en plus un
autre niveau métatextuel quand il laisse Vingt-Cinq discourir longuement sur le rôle
social de la science de l'histoire.
Chez Boudjedra, les deux aspects sont, de nouveau, beaucoup plus fortement
accentués. L'action du roman entier est centrée sur deux personnes, sur Tahar qui,
depuis 20 ans (293), c'est-à-dire depuis l'Indépendance, essaie de résoudre ses problèmes en écrivant son journal et son "Noctual" (21), et sur Selma, qui lit ce qu'il
écrit et en discute avec lui, tout comme elle le fait avec le journal de son grand frère
décédé, Hamid. Les deux personnages reviennent toujours sur le deuxième niveau
métatextuel, celui du problème de l'histoire; car toute écriture dans ce roman est
finalement concentrée sur le problème de savoir comment comprendre l'histoire. Il
est donc tout à fait logique que ce niveau de la métatextualité soit sans cesse sujet de
discussion entre les deux personnages, qui s'efforcent de trouver quelle est la conception juste de l'histoire: l'histoire est-elle, oui ou non, "le produit des hommes", de
leur "action sur le réel" (267) ou bien est-elle née "spontanément (ex nihilo?)" (206)?
Quel rôle y jouent le hasard et la subjectivité humaine (293)?
Le résultat de ce travail commun sur l'histoire est un roman dans lequel la pratique
de l'écriture et le discours métatextuel sur l'écriture s'interpénètrent continuellement. Mon hypothèse que la complexité de ce roman et des deux autres s'explique
par leur sujet même - c'est-à-dire l'histoire - dont la complexité se reflète dans celle
du labyrinthe de leur structure, trouve sa confirmation chez Boudjedra. Selma carac190
térise le style du journal de son frère de la manière suivante, passage qui est une
définition parfaite du style de Boudjedra lui-même:
La trame narrative tissant sa propre toile avec ses ramifications insoupçonnables et
interminables, coulait telle une lave épaisse d'une façon ininterrompue, sans rupture ni
paragraphes ni chapitres, ses digressions qui ne faisaient qu'alimenter le système global
de l'écriture se déroulant fluide et torrentielle, à l'image de l'histoire. (297)
Une fois que, pour le lecteur, grâce à cet auto-commentaire de l'auteur, le style du
roman et celui du journal sont devenus identiques, il ne s'étonnera plus de voir que
Selma, quelques pages plus loin, découvrira que le journal d'Hamid est écrit dans un
style très proche de celui de Tahar; ne traitent-ils pas tous deux de la même chose, de
l'histoire?
... les deux styles étaient similaires, à quelques nuances près, sortes de phrases-fleuves
avec ses paranthèses, ses digressions, ses incises, ses méandres, ses retours en arrière, ses
échappées vers l'avant, coulant fluide et charriant un ensemble de détails et de précisions ... (306).
Et le lecteur qui lit ce passage comme un méta-texte, y trouvera également, livré par
l'auteur lui-même un commentaire très précis sur sa façon d'écrire.
L'analyse du niveau métatextuel serait incomplète si l'on omettait un dernier
aspect essentiel: le discours sur l'écriture implique dans les trois romans une réflexion
sur le rôle de l'écrivain.
C'est à nouveau chez Kateb Yacine que cet élément est le plus dissimulé, mais on
peut cependant déjà nettement le distinguer. Au milieu du roman, à un endroit donc,
qui n'a certainement pas été choisi par hasard, l'auteur entreprend de reconstruire
l'histoire de Keblout, qui se perd dans un lointain mythique. A côté de l'hypothèse
disant qu'il aurait été un "chef de tribu autoritaire", Kateb pose celle de Keblout qui
se définirait comme un "idéologue et artiste ... , un exilé, ayant des goûts et des idées
à part" (125).
De Keblout, l'artiste, il n'y a qu'un pas, et pas seulement sur le plan phonétique,
pour arriver à Kateb, l'écrivain, le plus jeune rejeton de la tribu, qui, dans le roman
Nedjma, introduit beaucoup de son autobiographie et de son histoire familiale, à
travers le prisme des quatre protagonistes: le nom Kateb signifie "écrivain" et renvoie
à la tradition d'une famille de lettrés.
La filiation Keblout-Kateb implique une double revendication: elle revendique
comme une des premières constantes de l'histoire algérienne, celle d'une culture
indépendante, incarnée par ses artistes et ses écrivians. Le rôle social de l'écrivain est
également déduit directement d'une deuxième constante de l'histoire du pays: l'auteur, représenté par les jeunes héros révoltés de l'''autobiographie au pluriel" qui
porte le titre Nedjma, est, fidèle à ses ancêtres Beni-Hillal et Keblout-corde-cassée,
le combattant et l'éternel insurgé, jaloux de sa liberté. Un an après Nedjma, Kateb
avait, dans un poème, décrit sous l'image très pertinente du scorpion, le rôle stimulant - au sens strict du terme - de l'écrivain:
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Pareil au scorpion
Toute colère dehors
J'avance avec le feu du jour
Et le premier esclave que je rencontre
Je le remplis de ma violence. 6
Comme Kateb le soulignait dans une interview en 1967, la fonction de l'écrivain dans
la société postcoloniale reste la même, celle d'un observateur critique et d'un empêcheur de tourner en rond:
Moi, je veux être perturbateur au sein de la perturbation. Il faut révolutionner la
révolution: elle aussi a des ornières. 7
Les auteurs de la génération suivante adhèrent à cette conception. Le seul personnage
de Mimouni qui, à la fin du roman, ait compris ce qui s'est passé, est l'Ecrivain (215).
La question "Cet homme prostré va-t-il enfin relever le front et dénoncer l'injustice?" (213) exprime d'une façon programmatique l'espoir qu'il prenne en charge son
rôle et assume sa responsabilité sociale qui est celle d'être la conscience du pays.
Boudjedra est, sur ce point aussi, beaucoup plus clair et explicite: "clarifier ...
soulever la chape de silence" (297), voilà comment Tahar définit sa tâche. Qu'il
s'agisse de l'histoire du pays ou de sa situation actuelle et de ses problèmes, Selma
l'encourage à "être excessif dans ses défis, implacable dans ses provocations et acharné dans ses choix personnels et inacceptables par la société dans laquelle il vivait".
(258)
Des textes écrits dans cette vision des choses remettent en question et dénoncent.
Ils sont incommodes, gênants parce que les auteurs tout comme les personnages des
romans ne veulent pas se rendre la vie facile. Ils veulent, comme Selma, "aller de
l'autre côté des phénomènes apparents, pour approfondir le réel", partir "à la recherche du tain de la vie, parce que le miroir qui n'en a pas est aveugle." (147)
Les romans qui ont été analysés ici travaillent, chacun à sa manière, la couche
réflexive du tain. Cette couche ne pourra pas être plane, lisse, du même que le récit
linéaire ne suffit plus à la narration romanesque. Tahar El Ghomri avait bien compris
cela:
[il] avait écrit selon le rythme de l'histoire et ses manuscrits ne formaient qu'une seule et
même phrase, certes inachevée, mais ayant cette qualité et cette propriété de refléter le
mouvement houleux du monde et l'afflux ininterrompu de la vie. (297)
Le lecteur, en fixant son regard sur ces romans-miroirs ou miroirs romanesques, est
confronté avec un reflet complexe. Mais, s'il a la patience d'apprendre à déchiffrer les
signes qui sont inscrits dans les différentes couches du tain, il sera récompensé par
une multiplication des perspectives. Il verra désormais plus clair et plus loin.
Traduit de l'allemand
par Isabelle Demangeat
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Anmerkungen
1 Kateb Yacine, Nedjma, Paris 1956, Avertissement, p.6.
2 Ed. Paris, Denoel, 1982 (traduction française; édition de l'original en arabe: Ettafakouk, Beyrouth/
Alger 1981).
3 Ed. Paris, Laffont.
4 La formule "tatouer la mémoire collective" fait allusion au titre du roman La mémoire tatouée d'A.
Khatibi, Paris 1971.
5 J. Arnaud, Kateb, ou la corde tranchée, dans Les Lettres Nouvelles, (mars-avril 1967) pp. 32-54; citation
p.43.
6 Poèmes, dans Etudes Méditerranéennes 1 (1957) pp. 94-98; citation p. 94.
7 Le Maghrébin errant. Interview avec Y. Romi, dans Le Nouvel Observateur 114 (18 janvier 1967) p. 31.
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