31 Juillet 2016

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31 Juillet 2016
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31 Juillet 2016
Genèse 1
La création, la parole, le dialogue
Frères et sœurs en Jésus-Christ,
La parole est une chose intimement humaine. Un proverbe flamand dit : « Il n’y a que les
arbres qui ne se rencontrent pas. » … On se parle entre amis et en famille ; on parle avec des
étrangers – parfois en d’autres langues ; on se parle à soi-même – « je réfléchis tout haut » ;
on parle à Dieu. Être humain c’est se parler. Les animaux parlent aussi, me direz-vous, et
c’est vrai. On dit même que les choses ont un langage. Mais la parole ne caractérise aucun
être autant que l’être humain. L’être humain existe par la parole. Tout le monde ne parle pas :
les bébés lorsqu’ils naissent gazouillent seulement ; il y a des gens qui sont privés de la
parole, pour des raisons variées. Mais on leur parle : on cherche un langage qui passe ; on
leur parle en pensée, même dans l’absence de réponse. La mère qui tient son bébé sait bien
que son petit ne parle pas encore ; pourtant elle lui dit son amour, avec des gestes mais aussi
avec des mots. C’est humain.
Le récit que nous avons lu ce matin, le récit de la création, contient une leçon sur ce
que c’est d’être humain. Beaucoup de croyants comprennent ce chapitre comme un rapport
factuel de ce qui s’est passé au tout début de l’univers. On oppose parfois les données
bibliques aux résultats de la science. Mais l’intention de ce chapitre n’est pas tant d’informer
sur l’histoire naturelle que plutôt sur la place de l’être humain dans le plan de Dieu : qui
sommes-nous par rapport à Dieu, qui sommes-nous par rapport au monde ?
Dans le récit de Genèse 1, la notion de la parole joue un rôle important. Dieu crée par
la parole. « Il dit et la chose arrive, il ordonne et elle existe », dit le Psaume 33. Ce thème de
la création par la parole est bien connu. Cependant, il mérite un regard plus soutenu qui nous
permettra de voir des choses qui n’apparaissent pas au premier coup d’œil.
*
La création par la parole divine n’est pas une spécialité Israélite. Longtemps avant
l’écriture de la Bible on trouve déjà ce thème dans les textes égyptiens : le dieu Ptah crée le
monde par sa pensée et par sa parole : « Que la terre existe » dit-il, et la terre exista. Dans la
suite, Ptah crée par la parole les autres dieux parce qu’il s’ennuie tout seul. Il n’est pas
impossible que les mythes égyptiens aient fourni un modèle aux auteurs bibliques.
Néanmoins, la pointe du texte biblique est un peu différente. La création par la parole illustre
la sagesse et la puissance des dieux : qui peut appeler les choses à l’être sinon un dieu ? Ce
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principe transparaît également dans la Bible. La création commence par cette phrase
majestueuse :
Dieu dit : Que la lumière soit. Et la lumière fut.
C’est tout simple, et c’est sublime. Dieu crée de la même manière l’étendue du ciel, et les
astres. Cependant, quelque chose d’étrange se produit. Au fil du récit, il paraît que la
puissance divine faiblit. Genèse 1 est fait de dix « paroles divines ». Le récit est scandé de la
formule : « Et Dieu dit… » qui revient 10 fois… Or, dès la troisième et la quatrième parole,
Dieu ne crée pas dans un monologue, mais par un ordre adressé aux éléments : « Dieu dit :
Que les eaux qui sont au-dessous du ciel se rassemblent en un seul lieu » (v. 9) ; « Dieu dit :
Que la terre se couvre de verdure » (v. 11). La sixième et la septième parole poursuivent dans
cette logique, mais avec une nuance : les éléments vont activement participer à la création des
êtres vivants. Ainsi : « Que les eaux grouillent d’animaux vivants » (v. 20) ; « Que la terre
produise des animaux vivants » (v. 24). Enfin, lors des trois dernières occurrences de la
formule, la parole divine ne crée plus rien. Elle s’adresse d’abord, par un emploi de la
première personne du pluriel, à un groupe d’interlocuteurs qui reste dans l’ombre : « Dieu dit
(à qui ? le texte ne le dit pas ! peut-être aux anges ?) : Faisons l’homme à notre image, selon
notre ressemblance » (v. 26). Pour finir, Dieu s’adresse par deux fois à l’être humain qui vient
d’être créé : « Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre » (v. 28) ; « Et
Dieu dit : Voici, je vous donne toute herbe… pour nourriture » (v. 29). On passe d’un Dieu
sublime dans sa puissance qui crée les êtres par sa parole seule à un Dieu qui fait aux être
humains des recommandations sur ce qu’ils devraient manger. Au fur et à mesure que le récit
s’approche de son dénouement, la parole de Dieu perd de sa force créatrice.
Dieu ne déploie pas toute sa puissance, mais se limite, délègue une partie de son
pouvoir, se retire. Le dieu grand se fait petit, pour laisser un espace aux êtres qu’il a créés.
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Ce n’est pas tout. Il y a une deuxième dynamique qui est à l’œuvre dans le récit de Genèse 1 :
au fur et à mesure que la puissance de la parole divine diminue, sa valeur dialogique
augmente. Dieu est à la recherche d’un interlocuteur. Au début, Dieu parle tout seul : « que la
lumière soit ». C’est un monologue. Mais dès que le monde existe, dieu parle aussi aux
éléments. Il parle d’abord indirectement, à a troisième personne : « que la terre se couvre de
verdure… que les eaux grouillent d’êtres vivants… ». Ensuite, il s’adresse directement à eux.
Après avoir créé les monstres marins, Dieu leur adresse la parole : « Soyez féconds,
multipliez, et remplissez les eaux des mers… ». Les monstres marins ne répondent pas. Ils
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n’entendent pas, sous les eaux, ils ne savent pas le langage de Dieu Mais Dieu leur parle.
Enfin, avec la création de l’être humain, Dieu trouve finalement une oreille attentive.
Que Dieu soit capable de créer par la parole cela va de soi. Le texte ne s’arrête pas làdessus plus qu’il ne faut. La vraie intention du texte est d’illustrer le désir de Dieu de parler.
La création de la lumière était finalement un pis aller : tout seul en face du chaos, Dieu ne
pouvait s’adresser à personne d’autre qu’à l’objet de ses propres pensées. Dès que les êtres
existent, dès que son action créatrice leur a conféré quelque individualité, Dieu les sollicite,
les associe à son projet, leur parle – même s’ils n’entendent pas. Sa quête trouve un
aboutissement avec l’être humain : créé à sa propre image, celui-ci est capable de comprendre
le discours que Dieu lui adresse.
Le thème de la création par la parole est développé d’une manière surprenante en
Genèse 1. Il ne s’agit pas tant d’illustrer la toute-puissance de Dieu, que de démontrer qu’il
recherche un partenaire. Dieu choisit d’être faible afin de pouvoir dialoguer avec les êtres
qu’il a créés.
On peut faire toutes sortes de choses avec la parole : on peut mentir, on peut induire en
erreur, on peut insulter l’autre, le calomnier. Tout ce qui est bon en soi peut être perverti. Le
récit de la Genèse montre ce qu’est la parole dans l’intention de Dieu : parler c’est se mettre à
la hauteur de l’autre ; lui laisser du temps, et de l’espace ; respecter sa personne et sa liberté…
Ce n’est pas un enseignement spécifiquement religieux—c’est sans doute ce qu’on enseigne
dans toutes nos écoles. Pourtant, la toute première page de la bible est consacrée à cet
enseignement. Qu’est ce que c’est d’être humain ?
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Dieu cherche un partenaire. Il abdique de sa toute-puissance pour permettre une relation avec
sa créature. Dieu crée l’être humain à son image afin que l’humain soit apte à l’entendre, et à
lui répondre. Mais l’être humain lui répond-il ?
En Genèse 1, dans le récit sur la création, l’être humain ne dit rien. Dieu le bénit et
Dieu l’instruit, mais l’homme ne répond pas. Il en a la capacité, mais il sort tout frais de l’œuf
et cherche encore ses repères. Le couple humain créé à l’image de Dieu est un peu comme
Sofia que nous avons baptisée ce matin : tout est là, et tout est encore à venir. Dans le
baptême Dieu lui dit son amour et son engagement, mais Sofia ne peut pas encore parler pour
elle-même.
Dans la suite de l’histoire, nous savons que le dialogue entre Dieu et homme n’a pas
toujours été un succès : « Adam, où es-tu ? » demande Dieu ; mais Adam se cache. Il cherche
de fausses excuses. Il accuse sa femme… Il fait ce que font les humains. Néanmoins, le projet
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initial de Dieu n’est pas annulé : Dieu cherche un partenaire qui lui soit semblable ; il donne
lui-même le bon exemple. C’est son projet pour nous tous, vous et moi : notre vocation est de
répondre à Dieu par la parole, de vivre dans la conversation avec le dieu créateur.
Jan Joosten