Une copine comme une autre
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Une copine comme une autre
Une copine comme une autre - page 1 Une copine comme une autre Parlant d'elle entre nous, nous l'appelions la boîte à bittes. Berthe Fal a la fesse dure, la poitrine agressive et mobile. Les tétons auréolés de couleur abricot pointent sous la percale de son chemisier. Un grand décolleté n'est pas indispensable quand on respire comme elle respire, profondément, poitrine au vent, pour capter les regards de tout un auditoire. La couleur du visage est éclatante, cette fille pète de santé. Et sur sa peau finement duvetée perle une infime buée. Surtout, ne pas lui courir après, elle échappe aussitôt. Sérieuse à ce point ? Non pas. Cette fille choisit, elle cueille. C'est une tombeuse. Dès la première semaine de cours, elle a trié les mâles qu'elle attrapera dans son filet. Et elle aborde le premier d'entre eux avec cette simple et innocente entrée en matière. — Je n'ai rien pigé au cours de logique. Tu me prêtes tes notes ? Comment refuser à une aussi jolie fille un service aussi anodin, aussi facile à lui rendre ? Et la voilà qui entraîne le gars chez elle. C'est une maison blanche et bourgeoise dans une rue calme de la ville. Le père de Berthe vend des machines agricoles. L'argent rentre aisément, même en ces temps d'occupation. L'escalier d'émail blanc barré d'une large moquette rouge cerise conduit à une mezzanine. Là, du sol au plafond, des rayons de livres encadrent quatre portes en panneaux de chêne ciré. Berthe ouvre la première et module à la cantonade : — Maman, j'ai ramené Eric, c'est pour le cours de logique. La mère de Berthe pointe le nez et, sans ambage, enchaîne avec allant et bonne humeur : — Bonjour Eric... Je vous fais porter une tasse de thé ? Nous sommes en 42, le thé est une denrée rare. — Oui, si tu veux... Mais déjà Berthe ouvre la quatrième porte. — C'est par ici. Le mâle est à mi-chemin entre la mère et la fille. Il est sidéré par l'allure jeune de la mère. — C'est ta mère ou ta sœur ? — Ma mère. Elle est belle hein ! Elle n'a que dix-huit ans de plus que moi. Chouette comme une sœur. — Ouais...! Berthe prend place au petit secrétaire et compare les notes de cours. Complète les blancs. Semble bien s'amuser à faire ce travail de collationnement. — Reste pas là comme un ballot, ôte ton veston, mets-toi à l'aise. Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction réservés pour tous pays. © EDITIONS DRICOT – LIEGE-BRESSOUX – BELGIQUE. Une copine comme une autre - page 2 Une bonne austère et compassée est entrée. Elle dépose le thé et des biscuits sur le guéridon. — Le thé, Mademoiselle Berthe. Un petit silence. Berthe fait l'occupée. — Ça va, merci. La bonne austère s'en va en glissant sur le parquet. — Tu sers pendant que je termine ? Avec la malgrâce du bourdon butinant sur une fleur trop petite, le mâle sert le thé. — Sucre ? — Deux. Le sucrier est généreusement rempli. Même remarque que pour le thé. Denrée rare. Quelques minutes sans rien dire. Berthe referme les deux cahiers de notes et, en venant s'asseoir dans la bergère, bascule en passant d'un geste décidé et précis le loqueteau de la porte. Mon propos ne se veut en rien porno. J'abrège donc. Encore que tout va très vite chez Berthe. Elle déshabille alors son mâle, sans un mot. Lui, tout idiot et médusé, se laisse faire. Bien sûr qu'il bande. Et ferme encore bien. Berthe bascule sur le canapé, pas n'importe comment, jambes ouvertes. Et elle se fait sauter tout simplement. Auprès de Berthe, le sexe n'hésite pas, le chemin semble tout tracé. L'orgasme vient quasi en même temps. Un miracle. Une minute de repos tout au plus. Eric voudrait bien recommencer, tout a été si vite. Mais Berthe le repousse, elle est debout, lui tend ses fringues et le replace gentiment dans l'azimut de la porte. — Tu reviens quand tu veux. C'était pas mal. Un bisou sur la joue encore toute en feu d'Eric. Elle franchit presque en volant les huit ou dix pas sur la mezzanine, descend, légère, les quinze marches. Le bourdon a du retard, la porte de rue est ouverte. Une main sur l'épaule, Berthe le pousse au-dehors. Un clin d'œil complice. — A bientôt. Le tout n'a pas duré vingt minutes. Le bourdon viendra quatre fois. Toujours dans les mêmes circonstances pour un scénario quasi figé. Aux jours et heures voulus par Berthe. — Maman, je ramène Eric... — Bonjour Eric... Je vous fais porter une tasse de thé. Berthe ferme le loqueteau dès que le thé est sur le guéridon. Le bourdon malhabile, aujourd'hui, a pensé à des caresses pour avant et pour après. Pour prolonger, pour bisser. Mais Berthe bascule, aussitôt déshabillée, la vulve goulue. Elle dévore et absorbe son mâle, a un orgasme court et violent, se débarrasse de lui comme si rien pour elle n'existait en dehors de ce court moment. Berthe n'est ni tendre ni rêveuse, elle n'a besoin que d'un coup de bitte bien donné de temps en temps. Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction réservés pour tous pays. © EDITIONS DRICOT – LIEGE-BRESSOUX – BELGIQUE. Une copine comme une autre - page 3 Elle abandonne son mâle après la cinquième ou la sixième séance. Déjà elle en a choisi un autre. — Maman, je ramène Albert. C'est pour le cours d'histoire. — Bonjour Albert... je fais monter une tasse de thé. A propos, Eric est venu vers deux heures... — Eric ? Laisse tomber, il est collant. La mère n'a pas laissé tomber Eric. Elle a trouvé un gars d'une vingtaine d'années venu dans un but bien précis. Se vider les couilles, pour pas cher, avec des biscuits et une tasse de thé. Elle n'a que trente-six ans et son mari qui bat la campagne à vélo vend des machines agricoles. Il en vend peu, mais très cher. Tout est rare et cher maintenant, c'est la guerre. Et Eric retrouve avec une autre partenaire un peu plus lente, mais très experte aussi, un scénario connu. Seule différence, à deux heures, on ne prend pas le thé, mais un cognac, une très vieille fine, très douce et pleine de bouquet. Comme si ce scénario avait été mis au point par un seul et même metteur en scène. — Tu reviens quand tu veux. Tu as été formidable. Avec la mère, il a réussi le bis qu'il rêvait d'exécuter avec Berthe. Ce fut plus long, plus épuisant. La mère de Berthe, elle, a donné sa bouche. Il reviendra souvent. Tous les jours. Prendra peu à peu ses repas. Un midi, à table, la mère annonce. — Je fais rafraîchir les deux chambres du second. Eric s'y installera dès que possible. Il se sent si bien ici pour travailler. Et ce n'est qu'une étape. Le père qui est toujours parti pour vendre ses machines agricoles a compris. Il a pris ses distances en même temps qu'une maîtresse. Eric terminera ses études de droit et entrera dans l'appareil judiciaire. Je résume la suite qui n'est pas forcément drôle. Berthe a changé de bourdon a raison de deux par mois. La mère a gardé Eric. Mais elle est emportée par un cancer foudroyant moins de trois ans après. Berthe a bissé ses deux années de candidature. Ses cours n'étaient pas bien mis à jour. Elle s'est trouvée enceinte. En juillet 45, si mes souvenirs sont bons. Tant pis pour le énième bourdon. Réaction bourgeoise de l'époque, il épousera Berthe. Mariage en blanc, avec calèches et cochers, à onze heures à l'église. Berthe, celle que nous appelions “la boîte à bittes”. Le début de cette histoire se passait dans les années 42 ou 43. Une telle aventure estelle encore imaginable aujourd'hui ? La pilule en ce temps n'existait pas. Sur les dix ou quinze pharmaciens que compte la ville, un seul expose, très discrètement d'ailleurs, une boîte de préservatifs. Des Durex, naturellement. Dans le coin le plus sombre de son comptoir vitrine. Tout en bas, à droite. Ce qui facilitait les choses. En désignant l'endroit de l'index droit, il suffisait de demander : Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction réservés pour tous pays. © EDITIONS DRICOT – LIEGE-BRESSOUX – BELGIQUE. Une copine comme une autre - page 4 — Je voudrais des... Le pharmacien faisait oui avec componction, passait dans la pièce arrière et posait sur le comptoir une boîte discrètement glissée dans un sachet. Ni vu, ni connu, il suffisait de payer. Des boîtes à bittes, j'en ai connu deux ou trois. Un peu moins organisées que Berthe. Moins audacieuses. Mais chaudes tout de même. Parmi les étudiants de l'époque n'existent que des couples bien établis. Des fiancés profonds. Officiels. Couples plus ou moins engagés et admis. Au sujet desquels il n'est fait aucun commentaire. Entre initiés, nous savons comment nous retrouver et comment partager et vivre notre intimité amoureuse. On se prête ou on se partage les kots d'étudiants. Tous les parents n'ont pas les idées aussi larges que la mère de Berthe. Dans ces parcours d'intimité amoureuse, il y a bien l'un ou l'autre accident. — Merde, Ogino m'a trahi...! C'est ce que l'on entend dire. Pas d'avortement. On assume. Le mariage aura lieu aux plus prochaines vacances ou pendant le congé trimestriel. On prend un kot un peu plus grand et le silence se referme sur un épisode banal de la vie. Tout aurait pu être si simple. Même sans la pilule, sans cette mentalité de fin du dixneuvième. Tout serait si simple aujourd'hui si les jeunes s'aimaient. S'aimer, en terme de vie. Pas pour copuler. Pour vivre ensemble. Et construire ensemble. Comme nous l'avons fait, Boulou et moi. Et d'autres. Pas bestialement, comme Berthe. Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction réservés pour tous pays. © EDITIONS DRICOT – LIEGE-BRESSOUX – BELGIQUE.