dossier de presse - Dauphine Culture
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dossier de presse - Dauphine Culture
Table Ronde 4 L’emploi culturel Animation DOMINIQUE BOUTEL Productrice, Radio France Intervenants PATRICK OLIVIER Inspecteur Général de l’Administration au Ministère de la Culture et de la Communication, Directeur du Master II “Management des Organisations Culturelles” - formation continue, Univ. Paris Dauphine JEAN-PIERRE SAEZ Directeur de l’Observatoire des Politiques Culturelles DENIS THÉVENIN Directeur de l’AGECIF ARMIN KLEIN Professeur, Directeur du Master “Management Culturel” Université de Ludwigsburg p. 1 Dominique Boutel Après une riche expérience dans l’enseignement, Dominique Boutel est entrée à France Musique en 1989, où elle a produit diverses émissions : Le Grand Bécarre, Un fauteuil pour l’Orchestre,L’été des festivals…, avant d’animer Micro en 1996. Elle est par ailleurs traductrice de livres pour enfants et collabore régulièrement avec des maisons d’éditions ou des journaux destinés à la jeunesse : Gallimard Jeunesse,Bayard,... Dominique Boutel anime également des ateliers pédagogiques (Cité de la Musique, etc.) et a fondé un festival de musique pour enfants Les Ponts du Nord. Patrick Olivier Inspecteur général de l’administration au Ministère de la Culture et de la Communication, a mené une grande partie de sa carrière, depuis sa sortie de l’ENA, dans la coopération internationale culturelle et audiovisuelle : UNESCO, échanges universitaires, création du service des affaires internationales au Ministère de la Culture, direction d’un organisme audiovisuel européen à Bruxelles. Agrégé de l’université, il a conduit parallèlement une carrière d’enseignant en participant notamment à la création du DESS de « Gestion des institutions culturelles», et en assurant maintenant, comme professeurassocié, la co-direction du Master 2 qui en est issu, après y avoir ouvert en 2002 une filière pour les professionnels en formation continue. Dominique Boutel : Cette dernière table ronde, qui clôt cette journée, s’attachera aux formations liées au management culturel. Cela nous conduira, je l’espère, à une réflexion sur les contenus de ces formations. Nous commencerons par entendre Patrick Olivier, actuellement inspecteur général de l’administration au Ministère de la Culture et de la Communication après avoir œuvré dans le secteur de la coopération internationale, culturelle et audiovisuelle. Il enseigne également en assurant la codirection du Master II “Management des Organisations Culturelles”. Il évoquera la création et l’évolution de cette formation, la multiplication des possibilités offertes, et abordera la question de l’évaluation. Interviendront ensuite Jean-Pierre Saez, Denis Thévenin, et Armin Klein qui fera l’effort de s’exprimer en français. Patrick Olivier : Je serai très bref. Je préfère intervenir ensuite dans le débat. Nous avons commencé ce matin par débattre du gestionnaire, du manager et de l’administrateur. C’est un débat tout à fait noble et intéressant. Cet après-midi, nous avons entendu des témoignages plus concrets comme le cas de ce jeune homme qui possède un DESS mais qui est au chômage. La réflexion a donc progressé en partant de la théorie, qui intéresse forcément les universitaires, à la réalité du terrain. Après ce long cheminement se pose la question fondamentale : quelle formation ? Cette question se pose pour l’avenir individuel des étudiants dans un monde professionnel dont nous ne savons pas s’il sera public, semi-public ou privé et où la relation entre l’art et le commerce sera de toutes façons posée. Nous sommes censés former des « Indiana Jones », des aventuriers que nous allons lâcher dans la nature et qui seront capables d’aller affronter cette jungle qui nous a été décrite. Je voudrais pour commencer faire part de l’expérience de ce DESS, puisque c’est aujourd’hui son vingtième anniversaire. J’ai participé à sa création et j’aimerais évoquer son évolution depuis 1985 à titre d’exemple. Je parlerai ensuite des formations de façon plus générale. Le DESS a donc été créé en 1985. Les choses étaient alors extrêmement simples : depuis le changement de gouvernement en 1981, le Ministère de la culture essayait de promouvoir la gestion des entreprises culturelles. La gestion avait été identifiée comme un vrai problème au Ministère. C’était alors presque une question de principe dans le secteur : on travaillait dans le domaine de l’art, donc on considérait que la gestion n’était pas très importante. En 1985, lorsque nous avons créé le DESS, qui était d’ailleurs le premier en formation initiale, il y avait un vide universitaire. Peu de personnes s’interrogeaient sur l’utilité de cette formation puisqu’il n’y en avait pas d’autres. p. 2 En vingt ans, nous avons changé d’univers aussi bien dans le monde universitaire que dans le monde de la culture. Les esprits et les pratiques ont beaucoup évolué. Pourquoi cette évolution vers toujours plus de gestion et de rigueur économique ? Ceci s’explique par une double pression. D’une part, une pression est venue des administrations fiscales: certaines associations ont peu à peu été imposées comme des sociétés commerciales, ce qui est un dur rappel à la gestion pour ces structures qui travaillaient dans l’art et l’improvisation. D’autre part, le Ministère de la Culture a aussi travaillé à ce que tout cela soit mieux administré. De plus en plus de paperasses et de dossiers ont été demandés pour renouveler les subventions. Maintenant, tout le monde se plaint de cette quantité de papiers demandés, mais cela conduit en même temps à plus d’exigence et de rigueur dans le domaine de la gestion : cela oblige à tenir un minimum de comptabilité et à progresser dans ce domaine. Et cela ne se réduit pas puisque le Ministère est en train de mettre en place avec la LOLF de nouveaux modes budgétaires. Le Ministère est en train d’instaurer le contrôle de gestion pour lui-même et ses principaux établissements publics. Nous en sommes arrivés à une sorte d’hérésie dans le domaine de la culture avec la nécessité de définir des indicateurs. Dans un théâtre par exemple, on mesurera le nombre de spectateurs, le type de spectateurs etc. C’est un peu comme l’audimat pour l’audiovisuel. Cela est très difficile à faire dans la culture où tout est qualitatif. Essayez de mesurer l’impact d’un théâtre avec des indicateurs, vous verrez que c’est difficile. Pourtant, nous allons dans ce sens et cela ne va pas se relâcher. A Dauphine, le DESS s’est modifié très régulièrement. Nous sommes partis d’une formation assez universitaire et nous l’avons progressivement adaptée aux demandes des employeurs et du marché. De plus en plus, nous avons introduit une base obligatoire de matières comme la comptabilité, la fiscalité et autres matières pratiques… Cela s’est mis en place progressivement et nous sommes devenus de plus en plus techniques tout en formant des généralistes. Ainsi, les métiers qu’exercent nos étudiants à la sortie du DESS sont très divers. Je ne reviendrai pas sur le foisonnement des formations dans ce domaine. Il y en a sans doute beaucoup trop. Je ne pense pas que le marché puisse absorber tous les gens formés dans ce domaine. Je découvre tous les jours de nouvelles formations. La gamme est aujourd’hui extrêmement large, même beaucoup trop large. Les autres pays commencent progressivement à nous imiter mais le développement est inégal selon les continents. Pour terminer, je pense que s’il y a une proposition à faire aujourd’hui, c’est bien celle qui consiste à regarder globalement la situation pour voir plus clairement où nous en sommes dans le domaine des formations. Le Ministère de la Culture pourrait p. 3 peut-être s’en charger. Nous avons vraiment besoin d’une analyse sur les formations existantes en les recensant et en mesurant leur impact et leur adaptation aux besoins du marché. Il serait temps de nous appliquer à nous-mêmes un de nos enseignements : la science de l’évaluation, qui fait apparemment défaut actuellement. Dominique Boutel : Merci beaucoup. La deuxième intervention est celle de Jean-Pierre Saez, directeur de l’Observatoire des Politiques Culturelles. Il a créé en 1990 la revue « L’Observatoire » et travaille actuellement sur le management des affaires culturelles de la ville à l’échelon européen. Il enseigne également à l’IEP de Grenoble et préside le festival « Les 38èmes Rugissants ». Vous allez aborder la question des formations à l’échelle internationale, leur interaction avec la réalité du terrain ainsi que l’adéquation et la régulation de ces formations. Jean-Pierre Saez Directeur de l’Observatoire national des politiques culturelles, il est, depuis 1990, fondateur et rédacteur en chef de l’Observatoire, revue semestrielle éditée par l’Observatoire national des politiques culturelles. Expert auprès du Conseil de l’Europe, il prépare actuellement un manuel consacré à la direction des affaires culturelles des villes pour les pays européens émergeants (à paraître début 2006). Chargé de cours à l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble, il est également président du Festival des Musiques Nouvelles, « Les 38e rugissants » à Grenoble. Jean-Pierre Saez : J’aimerais reprendre un mot de Jacques Rigaud ce matin. Il invitait à ce que nous nous situions dans une « histoire ». L’enjeu est de comprendre le sens de cette histoire dans le domaine des formations au management culturel : d’où venons-nous et pourquoi ? Cela permettrait de mieux comprendre où nous allons, ce que nous ne savons généralement pas très précisément. Les premières formations au management culturel et à la direction de projets culturels sont apparues en France au milieu des années 80. En 1984, l’IEP de Grenoble crée le premier DESS de « Direction de projets culturels » en France, en formation continue et à temps plein, en partenariat avec le Centre de Formation National d’Avignon (le CFNA disparaît en 1987). C’est de ce DESS dont hérite l’Observatoire des politiques culturelles qui, en 1989, met en place, à partir de ce même DESS et avec l’IEP et l’Université Pierre Mendès France de Grenoble, un cycle de formation continue en alternance. En 1985, le DESS de Paris Dauphine voit également le jour. Historiquement il s’agit donc des premières formations professionnalisantes de 3ème cycle – c’est ainsi que l’on définit alors les DESS - à avoir été créées dans le domaine culturel. Elles sont rapidement suivies à la fin des années 80 et au début des années 90 par celles de l’Université de Dijon, puis de Lyon 2 avec l’Arsec, de Paris 8, etc. Cette émergence de formations s’inscrit dans un double mouvement : le développement des politiques culturelles, de l’État et des collectivités territoriales d’une part ; la professionnalisation et même « l’économicisation » de la culture d’autre part. Cette tendance n’est pas spécifiquement française. p. 4 * Cf. Jean-Pierre Saez, Le réseau européen des centres de formation d’administrateurs culturels, Conseil de l’Europe, Grenoble-Strasbourg, 1990. Dès la fin des années 80 et le début des années 90, d’autres pays européens ont développé des formations au management artistique et culturel. C’est particulièrement le cas en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Autriche, aux Pays-Bas, dans les pays nordiques, en Espagne et, dans une moindre mesure, en Italie. À la même époque, sous l’impulsion du Conseil de l’Europe, ces formations se sont très vite organisées en un réseau européen de centres de formation d’administrateurs culturels (RECFACENCATC). Ce réseau existe d’ailleurs toujours et son secrétariat est basé à Bruxelles*. Il comptait une trentaine de formations représentant 13 pays européens au début des années 90 et regroupe aujourd’hui 135 formations de plus de trente pays européens. Constituée en association de droit belge depuis 1994, REFCAC-ENCATC joue un rôle important dans les échanges d’informations et d’expertises entre formations européennes. Ce réseau, qui était bilingue à sa création, communique essentiellement aujourd’hui en anglais. Toutes ces formations oeuvrent dans le cadre de systèmes culturels différents et ne reposent pas nécessairement sur les mêmes principes. Le réseau européen est justement un espace de confrontation de valeurs, de savoir-faire et de visions de la culture. Quels types de professionnels ces formations visent-elles à former ? Nous avons employé plusieurs mots jusqu’à maintenant : administrateur, manager, médiateur, responsable ou directeur de projet culturel. Claude Mollard avait même inventé dans les années 80 le terme d’« ingénieur culturel » pour qualifier ces mêmes métiers. Les mots ont leur importance, mais une partie des débats conflictuels qui ont traversé le milieu culturel autour de ces notions dans les premières phases de développement de ces formations sont désormais en partie derrière nous. À propos de vocabulaire, si nous nous mettons à la place des jeunes qui veulent choisir une filière aujourd’hui, comment pourraient-ils ne pas être embarrassés devant les intitulés et l’affichage des intentions des formations du secteur ? C’est que les mots qu’elles utilisent pour se définir ne sont pas nécessairement des indicateurs de différenciation. Une partie du monde professionnel a exprimé une certaine défiance vis-à-vis de ces formations lors de leur émergence et jusqu’aux années 90, car elles introduisaient une nouvelle rationalité dans la conduite de projets culturels, ce qui bousculait les habitudes. De plus, ces formations étaient vécues par certains comme pouvant porter atteinte au système de valeurs dans lequel se reconnaissait une grande partie du champ culturel de l’époque, fondé sur le compagnonnage, la cooptation, le militantisme, la formation sur le terrain et le bricolage inventif. On revendiquait son inscription dans une histoire de l’action culturelle plutôt que dans un métier ou une carrière. En réalité, beaucoup de formations continuent de se reconnaître dans bon nombre de ces valeurs en y ajoutant de nouveaux principes. Cette polémique s’est apaisée, non pas parce que les anciens combattants ont cédé leur place, mais parce que ces formations p. 5 ont peu à peu fait leurs preuves, démontrant leur utilité et leur pertinence. La polémique n’est plus d’actualité également parce que d’anciens étudiants-stagiaires deviennent à leur tour employeurs. L’appartenance à un ou des réseaux est d’ailleurs un élément-clé de la professionnalisation : un élément nécessaire, mais non suffisant. Il va de soi que lorsqu’on embauche quelqu’un, ce n’est pas parce qu’il fait partie d’un réseau mais parce qu’il a les qualités pour occuper le poste. Le paradoxe de cette histoire, c’est que certains professionnels formés sur le terrain et n’ayant pas reçu de formation supérieure sont de plus en plus venus vers ces formations diplômantes pour actualiser leurs connaissances, acquérir un diplôme reconnu et des méthodologies de travail nouvelles. Cette tendance résulte également de la confrontation, notamment au sein de petites structures, entre des jeunes précisément issus de DESS et des responsables culturels qui ont construit leur savoir et leur savoir-faire à partir de leur expérience de terrain. * Xavier Dupuis, Geneviève Gentil, Jean-Pierre Saez (dir.), Formation et emploi culturel, Observatoire des politiques culturelles, Université Pierre Mendès France, DEP-DAG, Ministère de la Culture, 1992 La question de l’adéquation entre formations et emploi, qui constitue l’un des thèmes centraux de notre réflexion d’aujourd’hui, s’est très vite posée dès le début des années 90. Ainsi en 1992, une journée d’étude organisée par l’Observatoire des politiques culturelles, l’Université Pierre Mendès France et le Département des études et de la prospective du Ministère de la culture avait réuni divers responsables de formation qui s’inquiétaient déjà de ce problème* . De nombreux éléments d’analyse évoqués dans le cadre de notre colloque étaient déjà au cœur des débats de l’époque : la séduction exercée par le secteur culturel sur les jeunes générations, la prolifération des formations sans analyse du marché de l’emploi, la faiblesse des informations les concernant, l’absence de stratégie de régulation du champ. Toutes choses très proches de ce qui se dit aujourd’hui. Sauf que le développement des formations s’est poursuivi au point de connaître un véritable emballement ces deux dernières années. Pourquoi une telle situation ? Le phénomène est largement lié au processus d’harmonisation des cursus dans le cadre du processus de Bologne (le système Licence-Master-Doctorat). Celui-ci est très certainement une bonne chose. Néanmoins, la transformation des DESS en Masters a incité les Universités à démultiplier l’offre de formations sans la moindre méthode, c’est-à-dire sans se préoccuper des besoins en emplois culturels. Cette prolifération est inquiétante. Dans toutes les régions, les universités cherchent à offrir de nouvelles pistes de formation à leurs étudiants, ce qui est louable, mais cela se fait de façon anarchique, sans concertation entre le monde universitaire et celui de la culture, sans stratégie d’aménagement du territoire à une échelle qui devrait être à la fois régionale, interrégionale et nationale. Des études nationales et européennes en cours permettront d’ici quelque temps d’y voir plus clair. Elles ne pourront qu’inciter à plus de dialogue entre les parties prenantes, institutionnelles et professionnelles, pour que les formations au management culturel puissent continuer de tenir leurs promesses. p. 6 Bien sûr, nous savons que le secteur va continuer de dégager de l’emploi, du fait des départs à la retraite dans la décennie à venir, du fait du développement des industries culturelles ou de certaines politiques culturelles territoriales. Mais quand bien même les outils prospectifs sont encore insuffisants sur cette question, une chose est probable : les débouchés ne seront pas assurés pour tous ceux qui souhaiteront s’insérer dans le domaine culturel dans les prochaines années. Des ajustements s’imposeront. Dominique Boutel : Denis Thévenin, vous disposez de dix minutes pour nous expliquer concrètement quelles sont les questions qui se posent au formateur et comment un formateur peut y répondre. Vous êtes bien placé pour le faire puisque vous êtes directeur de l’AGECIF, qui est un organisme de formation continue en gestion culturelle. Denis Thévenin Directeur et fondateur de l’AGECIF, organisme de formation continue en gestion culturelle. Denis Thévenin : L’AGECIF est en effet un organisme de formation continue en gestion culturelle. Nous existons depuis le milieu des années 80 et avons été lancés dans la grande mouvance de l’économie culturelle. Nous réalisons 500 à 600 journées de formation par an. Mais nous avons aussi un centre de traitement des salaires pour les employeurs occasionnels d’intermittents du spectacle. Dans le domaine de la formation, nous accompagnons également des projets et des mises en place de programmes dans les DOM, en particulier en Martinique, en Guadeloupe et à la Réunion. Nous travaillons aussi sur des études économiques qui concernent l’emploi et l’économie culturelle. Mais notre activité principale est bien celle de la formation professionnelle continue. J’aimerais d’abord déterminer quelques grandes phases que l’AGECIF a connues et repérées. Certaines de ces phases ont même déterminé l’apparition de certains modules de nos formations. La première phase est celle des années 80, où s’établit la croyance en ce que la culture doit accompagner le développement économique. Les organismes comme l’AGECIF avaient en charge d’accompagner ce développement des structures culturelles, d’autant qu’à cette époque le Ministère de la culture investissait plus dans les questions culturelles et était suivi par les collectivités. A cette époque, nos formations étaient plutôt techniques (comptabilité, droit, marketing). Dans les années 90, la France a connu des difficultés dans les banlieues comparables à celles de novembre dernier. Cela a contribué à l’idée que la culture peut avoir un rôle à jouer dans le domaine de l’insertion et de la prévention. Des programmes culturels ont été développés dans les banlieues, en particulier p. 7 le programme « Café Musique ». Cela a influé sur les formations de l’AGECIF puisque celles-ci se sont alors recentrées un peu plus sur l’accompagnement de projets, le travail sur les rapports entre l’Etat, les collectivités et les porteurs de projets culturels. La troisième période correspond à la fin des années 90. La question du chômage y est très présente, en particulier celle du chômage des jeunes. Les emplois-jeunes apparaissent et la culture devient un vecteur de professionnalisation, d’insertion et de création d’emplois. Dans nos formations, nous nous mettons alors à travailler sur les questions de l’emploi, du travail à l’intérieur des structures culturelles et de l’organisation du travail. Aujourd’hui, un nouveau rapport à la culture apparaît avec en germe la nécessité de travailler à nouveau sur les rapports entre les partenaires, les collectivités et les structures culturelles, en particulier sur la complexité de la LOLF. Les formations s’orientent plus vers les rapports avec les collectivités publiques. Les formateurs de l’AGECIF sont des professionnels du secteur culturel mais aussi des professionnels de la formation. Nous avons en effet réussi à créer des équipes de professionnels qui ont rajouté à leur CV des qualités pédagogiques. Concernant nos stagiaires et l’orientation que nous cherchons à avoir, nous tenons au principe de la mixité. Dans notre catalogue, vous ne verrez aucune formation à un métier particulier ou à un seul secteur. Nos formations portent sur des compétences précises mais s’adressent à un public large. Notre philosophie est plutôt de préserver une mixité au niveau des métiers, des secteurs et des publics. Pour faire coller nos formations à la réalité du secteur culturel, nous avons comme premier terreau l’ensemble de nos stagiaires. Nos stagiaires évaluent nos modules et s’expriment sur les points positifs et négatifs de leur formation. Ils peuvent aussi proposer de nouveaux thèmes de formations. Tout ceci permet de faire évoluer notre catalogue. En plus, nous avons notre soixantaine de formateurs composée de professionnels tout à fait susceptibles de nous dire ce qui leur semble important au niveau de la formation. Enfin, nous faisons partie de ce réseau européen dont parlait Jean-Pierre Saez tout à l’heure, ce qui permet de confronter nos expériences franco-françaises à d’autres expériences. Pour terminer, je citerai une phrase de Nietzsche : « faire un poème, c’est danser dans des chaînes ». Faire de la création culturelle, c’est aussi danser dans des chaînes. Nous autres, managers ou stagiaires, travaillons sur des maillons de cette chaîne. De même, l’artiste travaille sur le maillon artistique, le décorateur travaille sur le maillon décor, le manager travaille sur le maillon des questions d’organisation, de gestion et d’argent. Chacun de ces personnages joue un rôle dans le projet culturel. Nous ne sommes pas pour l’image du manager qui devrait être l’âne sur lequel est assis le prophète. Le manager est une p. 8 personne avec qui il faut travailler. Toutes ces personnes se rencontrent. C’est ce que nous rappelons dans toutes nos formations. Nous devons tous travailler dans le même sens. Dominique Boutel : Armin Klein, vous êtes Directeur de l’Institut de Gestion Culturelle de l’Université de Ludwigsburg. Vous travaillez sur les politiques culturelles et sur la gestion des lieux culturels. Votre intervention va nous inviter à imaginer quel sera le secteur des arts dans le futur. Vous avez une vision plutôt optimiste, ce qui est plutôt rassurant après ce que nous avons entendu. Prof. Dr. Armin Klein Né en 1951, il est directeur de l’Institut de gestion culturelle à l’Université de Ludwigsburg. Ses travaux concernent essentiellement le marketing culturel, les politiques culturelles, le management des théâtres et musées. Il est aussi éditeur du journal annuel allemand de Kulturmanagement et co-éditeur du Journal of Arts Management de Montréal. Armin Klein : Le domaine culturel allemand est constitué de trois différents secteurs : - premièrement, le secteur public de la production culturelle, que vous avez aussi en France, qui compte les musées, les théâtres, les orchestres publics, les écoles de musique, les bibliothèques ainsi que le Ministère de la culture et les administrations culturelles des villes ; - deuxièmement, le secteur privé de la production culturelle de nature commerciale. Il comprend les maisons d’édition, les industries du film, les théâtres privés, les galeries etc ; - troisièmement, il existe un secteur plus important en Allemagne qu’en France, qui est le secteur privé de la production culturelle de nature non commerciale. Il regroupe les associations des Beaux-arts, de littérature, les chorales, les orphéons etc. Très rapidement, je vais vous présenter quelques hypothèses concernant la gestion culturelle actuelle en Allemagne. En 1990, quand les premières filières de gestion culturelle sont apparues à Ludwigsburg, Hambourg, et Berlin, nous nous sommes concentrés sur des matières concernant le premier secteur. Il s’agissait de transmettre des aptitudes pour se débrouiller avec la bureaucratie et l’administration. Mais au cours des dernières années, nous avons pu constater que l’importance du secteur public s’est constamment amenuisée en Allemagne avec une forte diminution des financements publics. Et si nous connaissons une hausse du nombre de spectateurs dans les théâtres (plus de quatre millions), il ne s’agit que des théâtres privés. Face à cette situation, il était nécessaire pour la formation culturelle d’avoir de nouvelles matières d’enseignement. Nous avons essayé de trouver de nouveaux instruments pour trouver de nouvelles sources de fonds (sponsoring, fund-raising, merchandising). Simultanément, nous pouvions constater une croissance rapide du deuxième secteur. Ce développement s’est manifesté avec un nombre croissant d’employés ainsi qu’une demande en p. 9 constante augmentation. Les professions libérales étaient particulièrement concernées. De plus en plus de diplômes conduisaient à exercer en profession libérale. En conséquence, d’autres matières ont été intégrées aux formations, comme le développement d’un business plan ou le fonctionnement d’une fondation d’entreprise. En sus, le troisième secteur, qui menait jusqu’alors une existence plutôt dans l’ombre, connaissait une expansion rapide. La production culturelle de droit privé mais de nature non commerciale a suscité un accroissement du bénévolat. Ainsi, le management des bénévoles est devenu une matière supplémentaire. Jusqu’à maintenant, l’Etat et les politiques culturelles n’ont pas assez tenu compte de ces développements récents. Derrière les raisons de la misère financière de l’Etat se dessine un changement d’esprit. La tendance va vers le slogan « plus d’Etat actif pour un Etat activateur ». Cette phrase est même soutenue depuis cette année par le Ministère allemand des finances. Actuellement, nous ne voyons pas encore clair en ce qui concerne le futur de la gestion culturelle. D’un côté, certains ont tendance à vouloir s’agripper au secteur public en ignorant les nouveaux développements. De l’autre, certains réclament un processus de modernisation qui réaménagerait et pondérerait l’ensemble des trois secteurs. Dans le cas d’une modernisation rapide, cette transformation se développerait dans les institutions culturelles du troisième secteur qui pourraient être réorganisées tout en continuant à être soutenues, dans les limites du possible, par des moyens publics. Ce modèle s’inspire d’ailleurs du modèle canadien. Les éléments principaux de ce nouveau modèle sont les suivants : - des institutions dotées d’objectifs de politique culturelle donnés par l’Etat ou la ville ; - une convention fixant les moyens publics attribués pour une période déterminée, par exemple de quatre ans ; - après la période déterminée, une évaluation approfondie au regard des objectifs. C’est un modèle qui fonctionne depuis des années aux PaysBas et qui est actuellement en cours de discussion en Suisse. Mais ce modèle est un grand défi pour le manager culturel. Il devra acquérir de nouvelles aptitudes, par exemple dans la négociation des objectifs politiques ou le développement des instruments d’évaluation appropriés. Il devra en plus posséder toutes les qualités d’un « change manager », manager du changement, pour transformer les organisations bureaucratiques en organisations « apprenantes ». De nouvelles formes de coopération multiples vont apparaître entre les différents secteurs tant sur le plan national qu’international et un élément central de la formation doit être la stabilisation et le développement des réseaux culturels. p. 10 Dominique Boutel : Merci à tous les quatre. Il nous reste un petit quart d’heure pour d’éventuelles questions. Nous aurons ensuite une intervention qui clôturera l’ensemble de la journée. Intervention du public : Bonjour. J’ai une question concernant le passage de l’intitulé du DESS en Master 2. J’ai fait le DESS en 1999 et par curiosité, je voudrais savoir ce que ça change et si les élèves du Master 2 doivent forcément passer par le Master 1. Patrick Olivier : Non, cela n’a pas changé énormément de choses. L’ancien DESS a été réhabilité avec quelques petites modifications mais l’appellation est simplement plus connue à l’échelle européenne. Par ailleurs, un accès direct en Master 2 est maintenu afin de préserver un recrutement diversifié. Intervention du public : Bonjour. Claude Patriat, je suis professeur à l’Université de Bourgogne où je dirige la filière « engineering des métiers de la culture ». Parallèlement, je suis président de Cortex emploi, site dédié aux métiers de la culture qui nous aide depuis dix ans à travailler à l’insertion professionnelle des jeunes diplômés notamment. Tout à l’heure, une discussion a été amorcée sur les formations et je n’ai pas posé de question concernant le profil d’emploi et son évolution mais j’aimerais revenir à la question des formations. Aujourd’hui, nous vivons une situation proprement honteuse au niveau de l’immense prolifération des formations prétendument destinées aux métiers de la culture. Il se passe quelque chose de grave que le LMD a complètement démultiplié. Le premier recensement des formations qui a été fait nous amène déjà à 400 ou 500 formations sous des appellations diverses sur le champ des métiers de la culture. Si je suis ici, c’est d’abord par amitié et en souvenir de mon ami Hyacinthe Léna. Jean-Pierre Saez évoquait tout à l’heure les premières formations. Nous étions quatre : le DESS de Dauphine, Grenoble, Lyon et Dijon. Après, les formations se sont développées avec des sauts qualitatifs au point que la première réunion de 1996 s’est interrogée sur cette multiplication. Mais aujourd’hui, avec la mise en place du LMD et le système des gros masters (droit, sciences humaines et sociales), vous trouvez des mentions qui coiffent des spécialités, dans lesquelles vous avez des options, dans lesquelles vous p. 11 avez différents parcours. En chevauchant tout cela, vous avez les parcours professionnels qui sont labellisés « professionnels des métiers de la culture » sans qu’il y ait de véritable analyse sur la pertinence de la formation par rapport au marché et les compétences délivrées. Je ne parle pas des vielles formations ayant intégré le système et gardé les principes fondateurs de la professionnalisation mais de cette efflorescence qui vient faussement combler une inquiétude des étudiants et une attente sur un secteur qui reste flou, donc attirant. Les étudiants sont piégés. Sur Cortex, il faut voir l’énorme cortège d’étudiants qui ont des désillusions en sortant de leur formation, qui ne trouvent pas de travail, tout ça parce qu’ils n’ont pas été armés et préparés à cela. Créer des formations ne résulte pas de la peur de la concurrence. Ni Dauphine, ni nous, ni Grenoble, ni d’autres n’ont d’inquiétudes : nous avons trente fois plus de demandes d’inscriptions dans nos formations que notre capacité à les y accueillir. Le problème n’est pas là. Je songe aux étudiants et aux diplômés. Il y a mensonge sur la marchandise. Il y a un deuxième effet encore plus insidieux qui a été abordé tout à l’heure trop rapidement : qui dit « formation professionnalisante » dit souvent que des collègues ont créé une option professionnelle uniquement parce qu’ils devaient passer par là pour créer une option recherche et ce que sousentend le terme de « professionnalisant » ne correspond bien souvent qu’à une ou deux conférences professionnelles et à un stage. Cela a pour conséquence une démultiplication des demandes de stages, qui fait que dans l’état actuel du marché de la culture et dans la désorganisation des emplois (je ne parle même pas de flexibilité mais plutôt d’émiettement et d’instabilité chronique), un grand nombre d’employeurs se jette sur cette manne de demandes de stagiaires, les intègre, les recycle à l’aide de quelques salaires misérables et d’indemnités à 30% du SMIC pour faire fonctionner le système. Dans le dispositif Cortex, nous nous sommes battus pour ne pas soutenir ces employeurs, ce que nous pouvons faire puisque nous ne les faisons pas payer et donc que nous pouvons les dénoncer. Nous avons exigé qu’aucune offre de stage ne passe par la bourse d’emplois. Il faut distinguer ce qui peut être la bourse des stages et la bourse d’emplois. Un travail doit être fait à la fois par les formateurs et les professionnels pour régulariser cette question des stages car elle devient scandaleuse. L’amertume de ne pas pouvoir s’insérer s’accompagne alors très facilement du sentiment d’avoir été mené en bateau. Je pense qu’il était nécessaire de dire cela. Intervention du public : Fabrice Thurieux, de l’Université de Reims. Les premières formations ont été citées en oubliant celle de Reims, qui a été créée en même temps que les autres. Le DESS est spécialisé sur les collectivités locales et le développement culturel. p. 12 J’aimerais juste dire qu’une première évaluation de ces cinq DESS a été faite en 1995 à l’initiative du Ministère de la culture avant de déconcentrer les crédits pour ces formations, crédits qui ont été d’ailleurs entre temps supprimés. Sur le fond, je rejoins ce qui a été dit concernant la multiplication et je pense que chaque université - voire chaque enseignant voulant créer son propre diplôme - ne se préoccupe pas suffisamment des débouchés. Je voudrais dire aux étudiants qu’il faut continuer à développer la double compétence. L’étudiant a un parcours avant le Master II. C’est une première spécialisation sur une discipline. Une deuxième spécialisation se fait sur le secteur culturel. Il faut savoir mettre en valeur ces différentes compétences pour trouver un travail, éventuellement en faisant un détour par un autre secteur avant d’intégrer le secteur culturel. Enfin, ce qui manque à certains étudiants est l’investissement personnel dans le secteur culturel. Certains étudiants viennent dans une filière comme ils iraient dans n’importe quelle autre. Or il existe une spécificité au secteur culturel qui est celle de la nécessaire implication personnelle. Dominique Boutel : Les professeurs parlent beaucoup, ce qui est très bien, mais il serait peut-être intéressant d’avoir la réaction d’un étudiant. Intervention du public : Bonjour. Je suis actuellement étudiante au Master 2 de Dauphine. Ma question porte sur la labellisation du Ministère de la culture concernant ces formations. Qu’en est-il ? Les formations ne devraient-elles pas être un peu plus régularisées? Est-ce qu’une labellisation peut permettre de faire le tri ? Patrick Olivier : Certaines formations sont subventionnées, ce qui est bien sûr une façon de les reconnaître car on considère qu’elles ont un impact sur le marché du travail plus fort et peut-être plus clair que d’autres. Dominique Boutel : Monsieur Saez disait que certaines étaient agréées. Jean-Pierre Saez : Certaines formations peuvent demander l’agrément du Ministère de la culture. Mais ce n’est pas lui qui organise le marché de la formation supérieure. Ce sont d’abord le Ministère de l’éducation p. 13 nationale et les universités. Une responsabilité très particulière revient à l’ensemble des acteurs mais surtout au Ministère de l’éducation nationale. Intervention du public : Ma question rejoint ce que vous êtes en train de dire. Je voudrais signaler qu’il y a beaucoup d’écoles privées qui délivrent des diplômes du niveau soi-disant bac+5 et je voudrais savoir ce que vous pensez de la valeur de ces diplômes. Sontils réellement reconnus ? Ma deuxième question s’adresse à Monsieur Olivier qui représente l’université de Paris Dauphine. Votre université est réputée et j’aimerais savoir si vous avez des statistiques sur le taux de placement des étudiants. Ont-ils trouvé un travail correspondant à leurs qualifications ? Jean-Pierre Saez : Nous sommes en train de repérer justement les bonnes formations privées. Mais porter un jugement de valeur est extrêmement compliqué. Je ne m’y aventurerai pas parce que je ne connais pas bien ces formations. Pour les évaluer, il faut avoir les outils. Le taux de placement en est un. Le fait qu’il existe un réseau des anciens en est un autre. Mais l’évaluation qualitative des formations serait très compliquée à mettre en place. Patrick Olivier : Pour répondre rapidement à la deuxième question, nous connaissons le taux de placement de nos étudiants par contacts. Il n’y a pas eu d’étude de faite depuis 1995 ou 1997. Ils trouvent tous du travail mais cela varie en fonction du marché de l’emploi. Cela peut parfois prendre quelques mois de plus. Mais d’après les retours informels, nos étudiants vont plutôt bien. Gilles Duffau Président de l’Association Biz’Art Intervention du public (Gilles Duffau) : Une dernière remarque sur ce que deviennent les étudiants de Dauphine. Nous avons eu quelques soucis à remettre la main sur les 650 diplômés, mais si ma mémoire est bonne, ce sont 550 personnes avec qui l’association des anciens reste en contact et ils sont aujourd’hui tous dans le secteur culturel, qu’il s’agisse du privé ou du public. Cela veut dire qu’il est encore possible de faire à peu près ce qu’on veut après. Cela peut prendre du temps, mais on finit par y arriver. Dominique Boutel : Nous allons clore ce débat sur cette excellente nouvelle ! Merci au public et aux participants. Monsieur de Canchy va intervenir pour clore cette journée. p. 14