La découverte de l`Amérique

Transcription

La découverte de l`Amérique
La découverte de l’Amérique :
La fondation des Etats-Unis coïncide avec l’émergence de l’Angleterre, à la fin du
XVIème siècle, comme puissance coloniale. Ce n’est pourtant pas un anglais qui aborde le
premier le continent américain. Au XVème siècle ce sont d’abord les portugais qui mènent les
grandes expéditions de découverte. Ses navigateurs longent les côtes africaines, franchissent
l’Equateur, puis le Cap de Bonne Espérance. L’Océan Indien leur est désormais ouvert. Ce
qu’ils recherchent c’est la route des Indes pour se fournir en épices et accessoirement pour
découvrir des mines d’or et convertir au christianisme. Bientôt les espagnols, en pleine
période de reconquista, leur emboîtent le pas. Isabelle la catholique accorde son soutien au
marin génois Christophe Colomb qui propose une nouvelle route non pas vers l’Est mais par
l’Ouest, en partant du principe très simple que la terre est ronde. En 1492 Colomb découvre
l’Amérique sans le savoir en débarquant aux Antilles et en explorant par la suite les rives de
l’Amérique du sud. Les habitants qu’il rencontre il les nomme Indiens par erreur. Il faut du
temps pour que les colons espagnols et portugais s’aperçoivent de la réalité du nouveau
continent qui s’offre à eux. Les portugais prennent possession du Brésil et les espagnols
d‘abord du Mexique, puis du reste de l’amérique Centrale avant d’annexer à son tour la
majeure partie de l’Amérique du sud. L’Amérique du nord ne les intéresse pas. Certes,
quelques explorateurs, à la recherche de mines d’or et d’argent y font des excursions. Ainsi en
1513 Juan Ponce de Léon atteint la Floride qu’il prend pour une ile. Puis de 1539 à 1543
Hernando de Soto s’aventure sur les grands fleuves comme le Mississippi ou l’Arkansas.
Mais cela ne conduit à aucune installation. Les Espagnols préfèrent ne pas disperser leurs
forces au moment ou leurs implantations en Amérique latine suscitent la convoitise des
Portugais. Et puis les territoires au Nord, outre leurs climats inhospitaliers ne semblent pas
regorger des richesses convoitées. L’Amérique du nord ne possède pas aux yeux des
espagnols le profil d’un nouvel Eldorado.
Une autre puissance va tenter sa chance sur le continent américain c’est la France.
François 1er prend très mal la bulle inter caetera promulguée par Alexandre VI qui a conduit
au traité de Tordesillas en 1494, ce traité attribuant par décret divin les nouveaux territoires en
les partageant entre espagnols et portugais. En 1533 François 1er demandera au pape Clément
VII de changer la bulle en faveur de la France. Le souverain pontife lui répondra que la bulle
n’affecte que les territoires occupés par l’Espagne et le Portugal. Toutes les terres nouvelles
peuvent être revendiquées par d’autres monarques du moment qu’ils sont catholiques. Le roi
de France avait de toutes façons pris les devants, quelques années plus tôt il envoie un
navigateur florentin, Giovanni de Verrazano, vers ce Nouveau Monde qui a été baptisé
amérique en mémoire du géographe Amerigo Vespucci. Sa mission : découvrir plus au nord
un accès direct vers la Chine. Le 17 avril 1524 il accoste avec cinquante hommes d’équipage
sur l’actuelle baie de New York. Constatant assez vite son erreur il baptise Nouvelle
Angoulême un emplacement à l’entrée de la baie où s’élèvera plus tard la ville de New York.
Mais les provisions à bord du navire s’épuisant Verrazanno fait demi-tour et rejoint Dieppe.
Dix ans plus tard les français tentent à nouveau leur chance en envoyant une expédition avec à
leur tête un excellent marin du nom de Jacques Cartier. Celui-ci a pour objectif de découvrir
de l’or et des diamants. Son premier voyage l’emmène jusqu’à l’embouchure du Saint
Laurent. En 1535, il fait un second voyage, cette fois Cartier s’enhardit et remonte le Saint
Laurent. Il fonde la première colonie de Québec. Il pousse jusqu’au point où se bâtira la ville
de Montréal. Les fameux diamants du Canada qu’il ramènera en France ne sont que de
pauvres pierres de pyrite. Mais Jacques Cartier a posé les bases d’une présence française au
Canada qui se développera au cours du XVIIème siècle. Une fois, bien sûr, que l’épisode
sanglant des guerres de religion fut passé.
1
Pour le moment les anglais ne participent pas à ses expéditions. L’Angleterre est trop
faible, tiraillé par ses propres conflits internes et notamment par le schisme Anglican qui a
amené la rupture avec le pape. C’est au milieu du règne d’Elisabeth 1er qui est montée sur le
trône en 1558 que les choses changent. L’idée d’une grande expédition anglaise est dans l’air.
Un riche négociant Sir Humphrey Gilbert convainc la reine de lui accorder une charte aux
termes de laquelle Gilbert reçoit la permission de fonder dans les six ans une colonie en
Amérique, d’y exercer l’autorité absolue et d’en tirer les bénéfices, exception faite de l’or et
l’argent dont un cinquième ira dans les coffres royaux. En 1583 Gilbert embarque 260
hommes sur cinq bateaux. En juin la flotille prend possession de Terre Neuve qui est alors
déclarée solennellement possession royale. Puis Gilbert met le cap sur le sud avec seulement
deux navires, les autres étant restés à Terre Neuve. Mais les conditions pénibles du voyage
invitent Gilbert à renoncer. Pendant le voyage du retour une violente tempête envoie tous les
bateaux au fond de l’Océan.
Le demi-frère de Gilbert, Sir Walter Raleigh obtient de la reine en 1584 une nouvelle
charte. Il envoie une expédition de reconnaissance qui longe la cote Nord Américaine et les
explorateurs en reviennent avec des récits éblouis. Raleigh décide de donner le surnom de la
reine Elisabeth dit « la vierge » à cette nouvelle terre qui devient alors la Virginie. Mais la
première tentative de colonisation est là aussi un échec. Les premiers colons britanniques sont
déroutés par la région inhospitalière, mais aussi par le climat très dur et l’absence de pierres
précieuses. Beaucoup préfèrent repartir.
Il faut attendre le successeur d’Elisabeth le roi Jacques 1er pour que la colonisation
commence vraiment. En 1606, trois ans après son avènement il accorde une charte royale à
deux sociétés commerciales toutes deux baptisées Compagnie de Virginie, mais dont l’une se
situe à Plymouth et l’autre à Londres. Leurs buts sont identiques. Armer des bateaux pour
l’Amérique qui transporteront des colons. Si les colons paient leurs voyages, ils pourront dès
leur débarquement travailler à leur propre compte. Si à l’inverse le colon ne peut pas payer, la
société bénéficiera pendant sept ans des fruits de son travail. Il n’y a pas de temps à perdre,
les deux compagnies se font une rude concurrence, la compagnie de Plymouth envoie une
première expédition qui accoste au cœur du Maine. Mais les conditions de vie sont très rudes
et la colonie ne survit pas. La compagnie de Londres réussit mieux, elle arme trois bateaux
sous la responsabilité du commandant Newport qui reçoit pour consigne de choisir un site sur
un cours d’eau ; une sorte de base pour rejoindre ensuite les Indes orientales. Le 26 avril 1607
les trois navires abordent la Virginie et ses occupants fondent la première colonie de
Jamestown. C’est l’acte officiel de la naissance des Etats Unis.
Mais les débuts sont précaires, l’endroit est insalubre, en plein milieu d’une zone
marécageuse propice à la diffusion de la malaria. L’hiver la température descend très bas et
les fortifications de bois que les Anglais ont érigé en plein milieu de la forêt les protègent bien
mal. Du froid comme de la maladie. La vie y est si difficile, la nourriture si peu saine que la
mort décime la colonie. Deux hommes sur trois mourront durant le premier hiver. Malgré
l’arrivée de nouveaux colons le gouverneur de la colonie écrira en 1611 que chacun se plaint
d’être ici. Et il conclut en demandant au roi de lui envoyer tous les condamnés à mort anglais
car eux au moins ne se plaindront pas d’être ici.
La colonie de Jamestown possède parmi ses responsables une figure demeurée
légendaire celle du capitaine John Smith. L’homme a 27 ans, il a le profil typique du
marchand aventurier. Il connaît l’Europe où il a combattu. Alors que ses compagnons
d’infortune sombrent dans le désespoir, il parvient à maintenir une discipline militaire, il
s’enfonce à l’intérieur du pays où il procède à des relevés topographiques. La légende veut
que les indiens du coin s’emparent de lui et il ne devra la vie sauve que grâce à la princesse
Pocahontas, fille du roi Pohatawn. Grâce à ses relations avec les indiens John Smith
comprend que la colonie ne survivra que si elle a recours au blé indien c'est-à-dire le maïs.
2
Les indiens lui donnent des graines et les colons se transforment en cultivateurs. L’anecdote
prend valeur de symbole. Elle démontre l’importance d’un chef, John Smith qui deviendra le
nom propre par excellence de citoyen américain. Elle démontre aussi l’importance du travail,
les colons qui venaient dans le but d’amasser des richesses pour repartir ensuite chez eux
doivent cultiver la terre s’ils veulent s’en sortir. Le seul souci c’est que les colons anglais
n’ont pas une âme de cultivateurs. Il faut les contraindre pour qu’ils se livrent aux travaux des
champs. John Smith élabore un emploi du temps et recommande, en 1608 : « quatre heures de
travaux par jours (…) le reste en distractions ». Plus tard de retour à Londres, il réfléchit à la
question et suggère finalement six heures. Les gouverneurs qui lui succèderont seront
confrontés au même problème. Il faut préciser cependant que ce qui ressemble à de la paresse
chez les colons peut aisément se comprendre. Le colon est en piteux état, des maladies comme
le scorbut, la diphtérie, la fièvre typhoïde ou la malaria font des ravages. La mortalité est très
élevée. Malgré l’arrivée de 4000 nouveaux colons entre 1607 et 1613, la population ne
dépassera pas les 1200 âmes en 1625. Et puis les habitudes qu’avaient prises les colons
espagnols de faire travailler la main d’œuvre indigène et d’être juste présents pour ramasser
les profits ne peuvent s’appliquer à Jamestown. Les indiens du coin refusent toute forme de
servage. Donc la première colonie américaine sera contrainte à pratiquer l’agriculture et à
négocier avec les populations indigènes. Ces derniers, en plus du maïs, leur fournissent des
plans de tabac. Le succès est immédiat, la colonie de Jamestown devient assez rapidement une
affaire florissante. Le succès de l’entreprise attire l’intérêt du Roi qui dissout la compagnie de
Londres en 1624. La colonie de Jamestown devient alors une colonie royale. La colonisation
de l’Amérique est en marche.
La Nouvelle Angleterre :
En 1620 une autre colonie anglaise est fondée sur le continent américain. Ses
motivations ne sont pas cette fois économiques mais religieuses. Là encore il faut chercher les
raisons profondes en Angleterre. Depuis 1534, l’Eglise d’Angleterre ne reconnaît plus la
suprématie de Rome. Depuis Henri VIII l’Eglise d’Angleterre a pour unique chef le Roi. A la
mort de Henri VIII sa fille Marie Tudor décide de rétablir le catholicisme et commence à
exercer de telles persécutions qu’on finit par la nommer Marie la sanguinaire. Mais Marie est
renversée par sa demi-sœur donc la future Reine Elisabeth Ier, qui décide de rétablir
l’Anglicanisme avec un peu plus de ménagements. Sous son règne l’influence des idées
calvinistes s’accentue et les anglicans évoluent de plus en plus vers le protestantisme.
Elisabeth 1er échoue à ramener la concorde dans son Royaume malgré un compromis qui
établit une Eglise d’Angleterre alliant théologie calviniste d’un coté et structure épiscopale et
liturgie catholique de l’autre.
Seulement en cette période de bouleversements religieux, la poussée des idées
nouvelles en matière de foi se radicalise. En Ecosse, par exemple, qui est alors un royaume
souverain, John Knox (qui fut un proche de Jean Calvin) fait adopter, dès 1560, une réforme
typiquement calviniste qui se définit ainsi : il n’y a plus d’évêques, plus de hiérarchie
pyramidale qui exhalerait un relent nauséabond du papisme, les pasteurs sont élus par les
fidèles, et l’église est structurée sous forme de conseils d’anciens. Cette réforme de Knox a un
nom c’est le presbytérianisme.
Un peu plus tard, en Angleterre, vers 1580, un autre réformateur, Robert Browne
rompt avec l’Anglicanisme, devient de fait, séparatiste, et fonde à Norwich la première église
congrégationnaliste. Comme chez les presbytériens, les pasteurs sont eux aussi élus, l’idée
même de structuration hiérarchique disparaît et il n’y a même pas de conseils. Chaque
membre d’une congrégation s’unit à Dieu par une alliance : un covenant.
3
Je rappelle assez vite un thème essentiel du calvinisme, seuls les gens qui ont la foi en
Jésus-Christ mort et ressuscité seront sauvés, mais la foi n’est pas quelque chose que l’homme
se donne, c’est au contraire un cadeau que Dieu fait à certains. Pas à tous. Et c’est un cadeau
qui sauve. C’est ce que l’on nomme la prédestination. Il ne sert à rien d’entretenir des rites
puisque seule la foi personnelle sauve. Il y a les élus et il y a les autres. Ce covenant, ce pacte
d’alliance avec Dieu est relativement peu exigeant. Aucune preuve n’est exigée de l’existence
intime d’une foi authentique. Comment alors reconnaître un impie d’un membre de la
congrégation qui possède la foi véritable ? Pur don de Dieu la foi d’un individu ne peut être
connue que de Dieu même, mais il est permis au croyant, selon les termes même de Browne
de « soupçonner des indices virtuels de son élection » à savoir « à partir d’une pratique de la
foi affirmée et durable et par la manifestation d’une vie professionnelle réussie et conforme à
sa vocation ».
Un autre pasteur Henry Barrow, pousse plus loin encore le congrégationnalisme, en
postulant alors une idée vraiment nouvelle pour l’époque et qui est que l’Eglise et l’Etat
doivent être séparés. Pour Barrow les Eglises locales doivent être mises toutes sur un pied
d’égalité, il estime aussi que la seule manière de ne pas reproduire l’hérésie papiste c’est de
mettre un terme à toute structuration cléricale, Les pasteurs, estime Barrow, sont des laïcs
comme les autres. Seulement le souci vient qu’à l’image des autres confessions protestantes
qui voient le jour en cette période, les congrégationnalistes ont tendances à se diviser. Il y a
ceux qui veulent rester en communion avec l’Eglise anglicane et ceux qui estiment que la
réforme anglicane ne va pas assez loin, qu’elle a tendance à reproduire les travers du
catholicisme. En 1612 le mouvement baptiste fait ainsi son apparition. Et ensuite les diggers,
les quakers – dont on reparlera -, les hommes de la cinquième monarchie, etc.
Malgré leurs divergences qui se transforment à l’occasion en de farouches oppositions,
les dissidents ont des points communs. D’abord l’Eglise Anglicane n’éprouve aucune
bienveillance à leur égard. Ni la reine Elisabeth, ni ses successeurs ne comprennent le sens du
mot tolérance. D’autant plus que les souverains britanniques estiment qu’une religion
majoritaire sert les intérêts de la monarchie et qu’il n’y a aucun intérêt pour eux à encourager
la dissidence. Et puis ces dissidents ne se contentent pas d’avoir des convictions religieuses,
ils s’efforcent aussi de les exprimer dans la vie sociale. Pour eux le royaume de Dieu se
construit aussi sur la terre. Et tout gouvernement doit obéir aux règles que Dieu a fixées.
Toute société doit se plier à la morale qui découle des commandements de Dieu. Beaucoup de
réformateurs anglais sont hostiles aux séquelles du papisme que l’Eglise anglicane charrie
dans son organisation comme dans ses rites. Les mêmes s’opposent au relâchement des
mœurs dans lequel ils voient la conséquence directe d’une Eglise corrompue. Ils aspirent à un
christianisme plus pur. D’où leur surnom de puritains.
Ceux que l’on nomme les pèlerins appartiennent à cette catégorie de puritains. Ils
appartiennent à la branche congrégationnaliste. A une différence près – ils sont séparatistes,
ce qui veut dire qu’ils ont rompu la communion avec les Anglicans. Une partie d’entre eux,
qu’inquiète la répression que commence à exercer le pouvoir royal, va émigrer d’abord durant
l’hiver 1608-1609 vers la Hollande où règne un esprit de tolérance, ce qui en fait une
exception en Europe. Mais cette tolérance semble un peu trop régner aux yeux des Pélerins
qui s’inquiètent de l’assimilation excessive de leurs enfants en milieu hollandais. Mais c’est
surtout la menace d’une invasion de la Hollande par les troupes espagnoles qui fournit un
sujet de préoccupations autrement plus grave. Comme ils ont entendu parler de la Virginie, les
pèlerins prennent contact avec la compagnie de Londres et parviennent à un accord. Ils
vendent leurs biens, retournent en Angleterre et embarquent à bord du Mayflower. Avec eux
prennent place d’autres séparatistes qui viennent de Londres et des artisans et ouvriers que la
compagnie envoie en Virginie. Au total, 131 passagers dont une trentaine d’enfants quittent le
port de Plymouth le 16 septembre 1620. La traversée dure 65 jours. La terre où ils accostent à
4
la fin du voyage ce n’est pas la Virginie mais une baie qui se nomme Cap Cod que John Smith
a exploré quelques années avant et qui relève du conseil de Nouvel Angleterre. Les pèlerins
décident de ne pas poursuivre. Comme ils n’ont aucun titre pour s’établir en ces lieux les
Pélerins rédigent une charte le mayflower compact qui servira de base au système de
gouvernement de la colonie qu’ils s’apprêtent à fonder. Nous sommes le 21 novembre 1620.
Un mois plus tard ils donnent le nom de Plymouth à la colonie qu’ils ont fondée. La colonie
grossit lentement : 24 en 1624, ils sont 390 en 1630 puis 2000 en 1660. En 1691 la colonie de
Plymouth sera absorbée par celle plus importante du Massachussetts. Pourtant quelque part le
symbole vaut plus que la réalité. La jeune nation américaine, au lendemain de l’indépendance,
qui a besoin de mythes et de récits pour célébrer sa propre histoire va utiliser largement
l’image des pilgrims fathers, des pères pèlerins que rien n’a vraiment préparé à l’aventure
américaine. Ils souhaitaient vivre de la pêche mais ils ne sont pas pêcheurs. Ils ont emmené
des fusils pour se défendre contre les Indiens mais ils ne savent pas s’en servir. Ils ont voulu
gagner la Virginie mais ils ont fondé la Nouvelle Angleterre, aux prises avec une terre ingrate,
sous un climat rude. La moitié des passagers meurent de faim et de froid durant le premier
hiver. Et pourtant, à l’inverse des premiers colons de Jamestown, aucun des survivants n’a
voulu rentrer en Angleterre. Les puritains sont tombés amoureux de l’Amérique. Ils voient
dans ce large territoire encore sauvage, le lieu ou bâtir la nouvelle Jérusalem terrestre. C’est le
cadeau que Dieu leur donne pour vivre pleinement leur idéal d’un christianisme régénéré. On
comprend mieux alors pourquoi en novembre 1621 les Pélerins survivants célébrèrent une
journée d’action de grâces (Thanksgiving Day) et pourquoi le pacte du Mayflower, premier
pas vers une démocratie égalitaire, est devenu pour les américains le symbole de leurs
origines en tant que nation et le texte fondateur qui va donner sa légitimité à la future
conception américaine des libertés politiques.
Grâce à la colonie de Plymouth la Nouvelle Angleterre attire d’autres puritains qui,
eux, ne sont pas des séparatistes. Pourtant s’ils quittent l’Angleterre c’est qu’ils redoutent
l’hostilité du nouveau monarque Charles 1er, monté sur le trône en 1625, qui manifeste une
sympathie croissante pour l’arminianisme, doctrine promulguée par le théologien hollandais
Jacobius Arminius, qui accorde une moindre importance au thème de la prédestination que
développait le Calvinisme et qui insiste sur le rôle de chaque individu dans son propre salut et
donc remet en valeur l’importance du rite liturgique. Qui plus est Charles 1er a épousé la très
catholique Henriette-Marie, la sœur du roi de France Louis XIII. Les puritains redoutent donc
le pire pour eux. D’autant plus que sous le règne de Charles 1 er les anglicans et les catholiques
font alliance contre les puritains qui ont le mauvais goût d’être républicains et non pas
monarchistes. Autre fait marquant, en 1633, l’ennemi juré des puritains, William Laud,
accède à l’archevêché de Cantorbéry, la dignité la plus haute au sein de l’Eglise Anglicane. Le
roi subit son influence. L’Angleterre connaît alors une période de remise en ordre politique et
religieuse. Laud décide de mettre au pas les dissidents. La présence à la messe dominicale
devient obligatoire pour les Anglicans comme pour les autres. Pour les puritains c’est le temps
de l’émigration, on pourrait dire de « l’Hégire » vers l’Amérique, où ils construiront la
Nouvelle Sion, une autre Angleterre débarrassée de ses péchés et de ses anglicans arminiens.
La colonisation américaine va connaître un énorme succès parmi les puritains qui
quittent l’Angleterre en abandonnant l’espoir d’y retourner un jour. Ils ont vendu leurs biens
et partent en famille. Plus rien ne les retient dans la métropole. En outre, ce sont des
congrégations, pasteurs en tête, qui vont s’établir en Amérique où ils vont reconstituer le
village qu’ils ont quitté. Même si l’installation n’est pas facile, même si la terre ne permet pas
la culture du tabac comme en Virginie et ne permet pas ainsi d’asseoir l’économie de la
colonie. Les puritains ne doutent pas du succès de leur entreprise. C’est que pour eux la
Virginie repose sur une colonisation essentiellement « charnelle » c'est-à-dire basée sur une
recherche exclusive du profit. Tandis que la Nouvelle Angleterre se construit sur des
5
motivations religieuses. C’est bien Dieu qui leur accorde une terre. Et les épreuves sont
d’abord là pour purifier la communauté, sur le même modèle que le peuple hébreu était lui
aussi purifié par Dieu dans le livre de l’Exode. Comment pourraient-ils alors échouer ?
Et puis les puritains ont la chance d’avoir adopté une charte politique qui les met à
l’abri d’une intervention royale. La colonie est pratiquement indépendante de la Couronne.
Les « hommes libres » c’est ainsi que se nomment les actionnaires, élisent chaque année le
gouverneur et ses assistants. A l’intérieur des villages puritains qu’ils édifient, ils forment
l’assemblée générale le General Court. Comme la colonie s’agrandit, il est de plus en plus
difficile de réunir l’assemblée, un système représentatif est mis en place à partir de 1644. Au
centre du village puritain est construit l’église, qu’on préfère nommer la meeting house, avec
sur le devant le green soit une pelouse qui sert de lieu de réunion. Tout autour, la maison du
pasteur et des principaux colons, les actionnaires. Chaque villageois reçoit un espace où bâtir
sa maison, un champ pour y cultiver le maïs, un pré le long du cours d’eau. Le bétail est
nourri sur les pâturages communaux.
Dans la réalité les difficultés ne manquent pas. Le synode que les puritains vont tenir
en 1679 s’alarme de la séduction exercée par les marins sur les jeunes femmes et du nombre
croissant de bâtards qui voient le jour, les puritains s’indignent de la tentative d’ouvrir dans la
ville de Boston une maison de passe, mais aussi des femmes qui dénudent leurs bras, leurs
cous ou pire qui exhibent des décolletés pigeonnant selon la mode française. Enfin bref outre
le relâchement des mœurs le temps des disputes religieuses commence ou plutôt se poursuit.
La plus célèbre d’entre elles porte au premier plan Roger Williams, un séparatiste qui arrive
en Amérique en 1631. Il déteste l’église Anglicane, il clame haut et fort que les anglais n’ont
aucun droit sur une région qui appartient aux indiens, mais en outre il affirme qu’aucun
gouvernement, fut-il puritain, ne saurait se mêler des affaires religieuses. C’est là que le bat
blesse. En 1636, les autorités de Salem l’expulsent. Williams va alors se fixer dans le Rhode
Island où il ne tarde pas à fonder la première communauté baptiste d’Amérique.
En somme ce qui compte à Plymouth c’est la foi. Pélerins et puritains offrent au
monde un modèle de société théocratique. Ils remplissent une mission, suivent
scrupuleusement les instructions de Dieu dans les Ecritures et prouvent, en bons calvinistes
qu’ils sont, par les succès matériels qu’ils rencontrent qu’ils sont bien les « élus » de Dieu.
La « sainte expérience » Quaker :
Pendant ce temps là en Angleterre la guerre civile a pris fin entre le camp du
parlement soutenu par les puritains et le camp du roi (soutenue par la High Church ou si vous
préférez la Haute église Anglicane qui s’est ralliée aux catholiques et à l’aristocratie
royaliste). C’est l’armée du parlement conduite par Oliver Cromwell qui a triomphé. En 1649
Charles 1er est décapité. La république britannique est placée en 1653 sous le protectorat de
Cromwell. Ce protectorat ne durera que quelques années. Cromwell meurt le 3 septembre
1658 et son fils Richard est dépourvu de toutes ambitions. La restauration du trône par les
Stuart ne se fait pas attendre. En 1660 Charles II reprend avec fermeté les rênes du pays.
Revenons en Amérique : la Virginie et la Nouvelle Angleterre ont donné l’exemple.
D’autres tentatives de création de colonies vont suivre, tantôt inspirées par la force des
convictions religieuses, tantôt par la recherche exclusive du profit.
Un cas un peu particulier c’est le Maryland. Sa fondation remonte au temps de Charles
1er. Georges Calvert, plus connu sous le nom de Lord Baltimore, voulait fonder une seigneurie
de l’autre coté de l’Atlantique. Calvert a été un membre éminent de la compagnie de Virginie.
Il meurt en 1632 avant d’avoir pu réaliser son rêve. C’est donc son fils Cécilius qui reprend le
flambeau et obtient une charte royale pour créer une colonie le long de la baie de Cheasapeke.
Cecilus baptise la colonie du nom de Maryland. La terre de Marie. Une belle ambiguïté
6
toponymique Mary c’est l’un des prénoms de la Reine Henriette-Marie mais c’est aussi le
nom de la mère de Jésus. La famille Calvert est en effet catholique. A une époque où le
papisme est fort mal vu en Angleterre et ou l’archevêque William Laud veille au respect le
plus strict de l’orthodoxie anglicane, Calvert nourrit le projet de faire du Maryland un refuge
pour les catholiques comme le Massachussetts est devenu un refuge pour les puritains. Ce fut
à la fois un succès et un échec. Le Maryland bénéficie de l’aide des colonies voisines. Grâce à
son climat et à son sol, le Maryland devient un excellent producteur de tabac. Sur le plan
économique les Calvert ont donc fait une bonne affaire. Ils sont propriétaires des terres
publiques, seigneurs de domaines qu’ils ont concédés à des amis ou à des clients. Ils
recueillent les loyers que leur versent les colons.
Mais sur le plan religieux l’entreprise échoue. Le Maryland n’a pas attiré les
catholiques par milliers. Pourquoi ces derniers auraient-ils d’ailleurs quitté la vieille Europe
où ils sont encore majoritaires dans les pays latins ? Très vite c’est même l’inverse qui se
produit. Les protestants, anglicans et dissidents puritains s’installent en force. Le nouveau
Lord Baltimore doit jouer serré, d’autant plus qu’à partir de 1640 les puritains détiennent le
pouvoir dans l’Etat du Maryland. Cette forte présence explique d’ailleurs qu’en 1641 les
jésuites – considérés à l’époque comme les légions noires du pape – ne soient pas autorisés à
posséder de terres dans le Maryland. En 1649, un acte de tolérance est promulgué accordant à
tous les chrétiens la liberté de pratiquer leurs cultes respectifs, pourvu qu’ils acceptent le
dogme de la Trinité.
La fondation d’une autre colonie va ici nous intéresser plus fortement. C’est la
Pennsylvanie qui constitue un autre exemple d’une colonie implantée en Amérique par un
Lord propriétaire : le dénommé William Penn, un individu très étonnant. Par ses origines
familiales d’abord : bien que n’appartenant pas à la noblesse, le père de William Penn a été
amiral avant d’être disgrâcié par Cromwell, il en a profité pour retourner sa veste et déclarer
une fidélité toute neuve au nouveau souverain Charles II. Le roi prendra soin de récompenser
avec largesse son tout nouvel ami. Le jeune William Penn qui est né en 1644, a fait ses études
à Oxford où il a étudié le droit et voyage souvent à l’étranger. Il sera un temps membre de
l’académie protestante de Saumur. Sauf que William, pour le plus grand désespoir de son
père, est aussi un membre de la société des Amis. En un mot il est quaker. Les disciples de
Georges Fox s’appellent entre eux les amis, le terme quaker (qui veut dire trembleur) leur est
appliqué par dérision à cause des visions et des transes qui se produisent durant leurs
assemblées. Tous les hommes sont égaux affirment avec conviction les disciples de Georges
Fox, puisqu’ils possèdent tous en eux une parcelle de l’étincelle divine. Dès lors le croyant –
et au-delà tout homme – est appelé à une liberté radicale, irrépressible puisqu’elle se fonde sur
Dieu lui-même. Comme le dit Georges Fox à ses sympathisants : « Songez qu’en vous il y a
quelque chose de Dieu ». Ce « quelque chose » existant en chacun, le rend digne du plus
grand respect, qu’il soit croyant ou non. Ce qui aux yeux de Fox implique aussi le rejet de
tous les filtres et de tous les intermédiaires : églises, clergé, hiérarchie, rituels des sacrements,
credo comme prière écrite. Tout cela doit disparaître. L’Ecriture, rien que l’Ecriture, et
l’inspiration personnelle qui en découle. L’homme n’a pas vocation à appartenir à une société,
à une quelconque institution : il est face à Dieu et il ne doit rien y avoir entre les deux. Cette
« étincelle divine » guide les quakers qui refusent de prêter serment et de porter les armes.
La branche Quaker appartient au puritanisme le plus radical. Inutile de préciser qu’ils
sont peu appréciés par les autres dissidents et encore moins par les anglicans. Persécutés en
Angleterre, 3000 d’entre eux ont été emprisonnés dans les deux premières années du règne de
Charles II. Ils continuent malgré tout à prêcher et à faire des conversions. Les voici qui
s’installent bientôt dans les colonies américaines ou, partout sauf dans le Rhode island, ils
sont mis hors la loi. Ce qui ne refroidit pas leur zèle car les quakers du XVIIème siècle
nourrissent une forte inclination pour le martyre.
7
Donc William Penn appartient aux quakers tout en demeurant l’ami du duc d’York, un
catholique, futur souverain d’Angleterre en 1685 sous le nom de Jacques II, et qui, après la
mort de son père, devient son protecteur officiel. En 1666, alors qu’il a juste 22 ans, il est
particulièrement troublé par la Grande peste de Londres qui fait cent mille morts en quelques
semaines. Est ce à cause de la date – 1666 ce qui renvoie au chiffre de la bête dans le livre de
l’Apocalypse – en tous cas le jeune Penn veut changer de vie. Ce qu’il veut de toutes ses
forces ce n’est pas seulement un refuge pour les quakers mais un lieu dans lequel une société,
inspirée par les principes de George Fox, puisse naître et se développer. Penn souhaite
appliquer ses idées et conduire comme il le dit une « sainte expérience ». L’occasion lui en est
donnée en 1681. Le Duc d’York qui vient de prendre possession de la Nouvelle Amsterdam
qui deviendra dès lors New York, devait 16 000 livres sterling à la famille Penn. Pour
s’acquitter de sa dette, il octroie à William Penn une grande partie de son domaine américain.
C’est ainsi que William Penn va fonder la Pennsylvanie (ou la forêt de Penn). Il en est le Lord
propriétaire. Immédiatement il publie en anglais, en français, en allemand et en néerlandais
une brochure qui s’intitule « récits sur la province de Pennsylvanie ». Il fait appel à tous ceux
qui ont un métier et qui ont envie de travailler, promet à tous la liberté religieuse, s’engage à
donner ou à louer des terres. William Penn va aussi faire quelque chose d’étonnant pour
l’époque, lui, le pacifiste invétéré, refuse de prendre ce territoire aux indiens par la force, il
leur achète donc ces terres. Bientôt il érige sa capitale, Philadelphie, la « cité de l’amour
fraternel ». Cette ville va compter 357 maisons deux ans après sa fondation tandis que la
Pennsylvanie compte 9000 habitants en 1685. Des quakers traversent l’Atlantique mais aussi
des piétistes de la vallée du Rhin qui apportent une forte coloration germanique à la colonie.
La Pennsylvanie doit une grande partie de sa réussite à son esprit de tolérance religieuse. De
ce point de vue rien n’est semblable ici à ce qui passe ailleurs, par exemple dans le
Massachussetts que commence à agiter les procès en sorcellerie, comme la fameuse affaire
des sorcières de Salem en 1692 qui aboutit à la torture et à la pendaison d’une vingtaine de
personnes et ce, sur simple dénonciation. Cette affaire frappe d’autant plus les esprits qu’elle
se produit au moment même où s’achève en Europe la chasse aux sorcières et que la cruauté
des accusateurs scandalise les personnalités les plus éduquées parmi les colons qui
commencent à rejeter le concept même de sorcellerie.
Rien de tel chez les quakers, ce qui ne peut qu’impressionner, en plein cœur du
XVIIIème siècle, les philosophes des Lumières, qui s’attaquent à la rédaction de
l’Encyclopédie, comme l’abbé Raynal ou Voltaire. Ce dernier considère la confession quaker
comme « un modèle qui serait presque parfait sans son pacifisme aveugle » et dans laquelle il
voit une alternative à la pompe surannée, aux dogmes et aux sacrements de la religion
romaine. Quelques années plus tard, vers 1759, un auteur français beaucoup moins
prestigieux, Michel-Guillaume-Jean de Crèvecœur fait publier Les lettres d’un cultivateur
américain où il exprime lui aussi une évidente sympathie pour les Quakers. Avec la seule
nuance c’est que lui contrairement à Voltaire qui ne connaît que le Quakerisme anglais, il a
visité la colonie de Pennsylvanie. Comme ses contemporains, il est impressionné par la
simplicité de leurs mœurs, par un système religieux « sans hiérarchie, sans lois coercitives et
sans culte extérieur ». Crévecoeur est particulièrement frappé par le manque d’ornementation
de l’Eglise qu’il visite. Le lieu de réunion quaker est d’une sobriété totale. Quatre murs
blancs, des bancs et rien d’autre : ni fonds baptismaux, ni autel, ni tabernacle, pas d’orgue, pas
de peinture ou sculpture…L’assemblée des « amis » à laquelle il assiste dans la petite ville de
Chester est composée d’hommes, de femmes, de blancs et de noirs, en proportions à peu près
égales. A son grand étonnement rien ne se passe durant le culte. Un silence absolu règne
pendant une bonne demi-heure jusqu’à ce qu’une femme amie se lève de son siège et déclare
en toute modestie, que l’esprit de l’univers daignant l’inspirer, elle allait se mettre à parler.
Son discours fut, d’après ce qu’écrit Crevecoeur, d’une parfaite simplicité : « Elle n’y méla
8
point ni vaine théologie, ni citations scientifiques. Son style était pur, sa déclaration noble
(…) Je n’ai jamais vu de ma vie un plus grand recueillement, une plus grande attention au
service divin. Je n’aperçus aucune contorsion du corps comme je l’avais tant de fois entendu
dire, aucune affectation ; ses gestes, son discours, le ton de sa voix, tout en elle était simple,
naturel et agréable. Je vous dirai de plus que c’était une fort belle femme ». En tout cas notre
visiteur est avec l’abbé Raynal, l’un des premiers observateurs français à noter la place
importante accordée aux femmes, traitées sur le même pied d’égalité que les hommes,
participant à toutes les activités de la Société des Amis, incitées à instruire les autres quand
elles se sentent inspirées. Le contraste est forcément saisissant quand on vient d’un vieux pays
catholique où les religieuses françaises n’ont-elles pas le droit d’ouvrir la Bible.
A coté de l’aspect religieux, le succès économique de la Pennsylvanie n’est pas moins
évident, la région est prospère, son sol fertile et Penn a le sens des affaires. La situation
économique de Philadelphie est florissante. La vie politique en revanche est plus compliquée.
Pourtant quelque part William Penn agit comme un précurseur : le document qu’il rédige et
qui précise la législation de la Pennsylvanie annonce à plus d’un siècle de distance la future
constitution américaine, et bien au-delà, la future déclaration des droits de l’homme.
L’originalité de la démarche de Penn est d’oser étendre le champ de la liberté au-delà du
cercle de la religion dominante. Ici, la liberté de conscience et l’inviolabilité de la personne et
de la propriété établissent l’égalité des droits entre les hommes parce qu’ils sont hommes
avant d’être catholique, protestant, quaker ou athée. Mais au lendemain de la chute du
souverain anglais Jacques II, l’amitié de Penn avec ce souverain catholique devient plus un
handicap qu’un avantage. Etre un souverain catholique en plein pays anglican et protestant
n’est pas commode surtout quand au même moment Louis XIV révoque violemment l’édit de
Nantes. Sous la pression populaire Jacques II finit par s’enfuir en 1688 et c’est son gendre, le
protestant Guillaume d’Orange, qui régnait jusque là sur les Provinces Unies qui débarque en
Angleterre pour s’y faire couronner. Celui-ci édictera un Acte de tolérance mais cet Acte ne
protège ni les juifs, ni les catholiques, ni les unitariens – ces derniers refusant de reconnaître
le principe d’un dieu en trois personnes.
Alors, outre cette amitié avec un souverain maintenant déchu William Penn est bien
embarrassé lorsqu’il doit appliquer au sens strict ses principes. Comment exercer le pouvoir
quand personne n’est tenu de prêter serment ? Comment faire exercer la simple justice civile
lorsque les tenants de l’ordre n’ont pas le droit de porter les armes ? La sainte expérience de
Penn s’englue de plus en plus dans les compromis inhérents à toute vie politique. En 1692
Guillaume d’Orange en plein conflit avec Louis XIV goûte modérément le pacifisme de la
Pennsylvanie. Il confisque la colonie à Penn et confie le gouvernement provisoire à Fletcher,
le belliqueux gouverneur de New York. Accusé de trahison, William Penn rejoint la
clandestinité. L’utopie Quaker en Pennsylvanie se prolongera, après son départ, avec des
hauts et des bas. Quoi qu’il en soit William Penn a prouvé quelque chose de fondamental :
l’Amérique est un territoire où les utopies sont possibles, où, malgré les difficultés, les rêves
philantropiques peuvent prendre corps.
Un chiffre à retenir : 13 c’est le nombre de colonies, disséminées le long de la côte
atlantique, que l’Angleterre a fondée en un siècle et demi. A la réflexion cette réussite est
étonnante. L’Angleterre vers 1700 ne compte sur son sol que 6 millions d’habitants. Ses
souverains se considèrent propriétaires d’un bout de continent qu’ils ne connaissent pas, qu’ils
n’ont jamais pris la peine de visiter et dont ils ne soupçonnent pas qu’il n’est que la petite
partie d’un territoire qui est infiniment plus vaste. Des milliers de colons prennent la mer,
affrontent les rigueurs d’une traversée de plusieurs mois qui en tue un sur trois, acceptent une
transplantation brutale dans un pays qu’ils ne connaissent pas, au climat rude, tout cela pour
se donner la chance d’une nouvelle vie. Vue du XVIIème siècle l’Amérique c’est un fantasme
que rien ne peut faire disparaître, c’est aussi l’expression d’un volontarisme à toute épreuve.
9
L’Amérique est un rêve qui attire les pionniers, les négociants, tous ceux qui veulent faire
fortune ou fonder un christianisme régénéré. Tous ceux qui, comme William Penn, veulent
mettre en place une utopie aussi bien sociale que religieuse. Le rêve américain historiquement
parlant cela veut bien dire quelque chose.
Une question se pose : l’amérique du XVIIème siècle est-elle une autre Angleterre ?
On peut dire cela dans la mesure où les colons se considèrent eux même comme des Anglais.
Même les colons suédois, irlandais ou allemands s’intègrent assez vite sous cette tutelle. Mais
il ne faut pas oublier que ces sujets de la couronne sont éloignés de la métropole anglaise par
plus de 5000 km, qu’ils prennent l’habitude de se gouverner eux même, de cultiver
d’immenses étendues et de prier Dieu comme ils l’entendent. Bref la société coloniale
américaine ressemble de moins en moins à la société anglaise et les conditions sont bientôt
prêtes avant qu’elle ne vienne à réclamer son indépendance.
Vers l’indépendance :
L’impression qui se dégage en observant la société américaine du XVIIIème siècle
c’est celle d’une société fragmentée. Les colonies semblent former des entités distinctes qui
cultivent soigneusement leurs particularismes et parfois s’ignorent respectivement. On est
membre d’une colonie, d’une communauté, on ne se sent pas encore pleinement citoyen
américain.
La vie religieuse conforte cette observation. On peut affirmer sans peine, vers 1750
que 98 % des américains sont protestants. Les 2000 juifs et les 25 000 catholiques ne forment
qu’une infime minorité. Pourtant le mot protestant reste vague. Les confessions s’opposent les
une aux autres. Les schismes et les dissidences se multiplient. Une jalouse indépendance et la
volonté de garder sa singularité religieuse marquent les esprits. Les puritains regroupent
600 000 fidèles. Après le Massachussetts ils sont solidement implantés dans le Connecticut.
Les anglicans qui, au lendemain de l’indépendance américaine, vont rejeter leur allégeance au
roi d’Angleterre et choisiront de s’appeler épiscopaliens sont un demi-million en 1750. On les
trouve surtout dans les colonies du Sud. La zone de la frontière – soit les territoires qui
jouxtent le reste de l’Amérique encore inexplorée – est principalement occupée par des
presbytériens écossais puis par les méthodistes. Les quakers dominent la vie religieuse en
Pennsylvanie, les baptistes sont dans le Rhode Island. Les luthériens, les réformés hollandais
et allemands et les innombrables sectes piétistes complètent le panorama des convictions
religieuses. La Pennsylvanie illustre à merveille la mosaïque à cause de son esprit de
tolérance. Les piétistes, les mennonites et les anabaptistes y affluent rejoints par des tendances
encore plus radicales comme les Amish, qui forment une branche rigoriste de la doctrine
mennonite et qui suivent l’enseignement d’un prédicateur suisse Jacob Amman. On connaît
les Amish par le film « Witness », on connaît le fait que, jusqu’à notre époque, ils rejettent
toute modernité, toute évolution sociale, pour rester fidèles à la manière de vivre du
XVIIIème siècle. La liste des églises protestantes ne cesse de s’allonger. On peut citer aussi
les Frères Moraves qui fondent en Pennsylvanie, en 1738 la ville de Nazareth et en 1741 la
ville de Bethléem, ainsi que les luthériens suédois, les calvinistes de stricte observance, les
Schwenckfelders, l’Eglise renouvelée des Frères unis, etc…
On pourrait en conclure que la tolérance règne dans les colonies. En apparence, elle est
indispensable au développement de l’Amérique. Si l’on a besoin de bras pour travailler la
terre ou repousser les attaques indiennes, si l’on souhaite la présence d’artisans, de
commerçants, peu importe les convictions religieuses. Tant pis si le voisin est catholique,
quaker ou juif, l’important est d’avoir un voisin. D’ailleurs la plupart des colons sont
d’anciens persécutés ou des descendants de persécutés qui ont choisi de traverser l’Atlantique
pour vivre en sureté. Victimes de l’intolérance, ils ne devraient pas la pratiquer. Erreur. En
10
Nouvelle Angleterre les puritains n’aiment que les puritains. Les quakers et les baptistes y ont
été pourchassés et parfois mis à mort. Les anglicans eux même se sentent toujours proches de
la mère patrie et n’ont pas de bons rapports avec les dissidents et les séparatistes. Notons
toutefois que l’intolérance qui peut exister au sein des colonies est moins absolue et brutale
que dans la France de Louis XIV ou l’Angleterre de Cromwell, puis de Charles II.
Les tensions religieuses vont s’apaiser au début du XVIIIème siècle. Tout simplement
parce que la foi décline. Le sentiment religieux s’affadit et laisse place à une montée du
rationalisme. Fini le temps où les quakers ne pensaient qu’à construire la cité de l’amour
fraternel, ils se passionnent, et de plus en plus pour leurs affaires. Les puritains, quant à eux,
ne font plus preuve de cette intransigeance qui caractérisait les débuts de la colonie de
Plymouth. Un mouvement de réveil spirituel va alors naître autour de la figure de Georges
Whitefield. Celui-ci est un pasteur anglican d’Angleterre qui franchit plusieurs fois
l’Atlantique. En 1739 il entreprend une « tournée américaine ». En 73 jours il parcourt de
1200 km et prononce plus de 1300 sermons. La légende veut qu’il possède une voix si forte
qu’il se fit entendre un jour par plus de 20 000 personnes. Et puis il possède un formidable
talent oratoire. Il effraie son auditoire, il mime des situations où il tient le rôle tantôt des
pécheurs, tantôt celui de Dieu. Ses descriptions de l’enfer sont saisissantes. Il arrache des
larmes aux criminels et invite sans cesse son public à se repentir. Il est difficile de lui résister.
Un rationaliste comme Benjamin Franklin ne restera pas insensible à ses prêches. Bien des
américains qui n’éprouvaient guère d’inquiétudes religieuses en repartent bouleversés. La
tornade Whitefield passée, qu’en reste-t’il ? Des idées d’abord comme la supériorité de la loi
divine sur les lois humaines, la conviction que le droit naturel à occuper le territoire américain
a été donné par Dieu et que ce droit est de fait inaliénable et imprescriptible. Des convictions
aussi, car ce mouvement qu’on nomme bientôt le Grand Réveil dans lesquels s’inscrit
Whitefield mais aussi le puritain Jonathan Edwards ou le presbytérien William Tennent, sape
l’autorité du clergé, de tous les clergés. Ou bien les pasteurs acceptent l’émergence de ces
nouveaux prédicateurs et perdent une grande partie de leur influence au profit d’une vague
d’émotions et de recherche individuelle du salut. Ou bien ils s’en tiennent à leurs vieilles
manières de faire qui accentuent le dessèchement de la foi. Une certitude : Whitefield a
influencé toutes les communautés. Lui, l’anglais, a prêché comme un américain. Sans se
soucier des tensions entre colonies ou des conflits entre les doctrines religieuses. Après son
passage le sentiment religieux redevient plus fort parmi les colons de toutes obédiences. Mine
de rien, à travers le Grand Réveil, c’est la marche vers l’unité américaine qui commence.
Un élément décisif va jouer dans l’histoire de l’indépendance américaine c’est la
guerre de 7 ans qui oppose en Europe l’Angleterre à la France. Cette guerre va se déplacer en
Amérique du nord. Pour un colon américain rien de plus normal que de se battre contre les
Français du Canada et leurs alliés indiens, le français c’est l’ennemi héréditaire. Le commerce
des fourrures et la catholicisation des indigènes sont les premières motivations des français
qui doivent toutefois affronter un handicap majeur : leur petit nombre face aux anglo-saxons.
Québec tombe en 1759, puis Montréal en 1760. La paix est signée en 1763. L’Angleterre
triomphe. La France abandonne le Canada, cède la Louisiane à son allié espagnol et se
contente désormais de la Guadeloupe, de la Martinique et de Saint Pierre & Miquelon.
L’Angleterre n’a plus aucun adversaire en Amérique. Est-ce le triomphalisme qui en découle
qui explique la politique coloniale des anglais, politique qui va réussir l’exploit de se mettre
tous les américains à dos ? Le 7 octobre 1763 le Roi Georges III, signe une proclamation qui
crée, à l’ouest de la chaîne montagneuse des Appalaches, le territoire indien. En conséquence
les achats de terre aux indiens sont interdits, le commerce sera très sévèrement contrôlé par
les gouverneurs. Enfin les blancs, qui, malgré ces interdictions se sont installés à l’Ouest de la
Nouvelle Frontière, devront détruire leurs habitations et revenir à l’Est. Les colonies
protestent contre cette atteinte à leurs libertés mais sans résultats.
11
Ensuite la guerre de Sept ans a épuisé les caisses royales, il faut bien les renflouer. On
commence à prélever des taxes sur le sucre puis sur l’émission de timbres. Les colons qui
vivaient aussi de la contrebande voient s’exercer soudain une répression beaucoup plus dure.
Tout acte officiel, tout écrit public qu’il s’agisse de donation, de contrat, d’obtention d’un
diplôme universitaire ou de l’achat d’un jeu de cartes est frappé d’une taxe qui varie de deux
pences à dix shillings. Les motivations des législateurs sont simples : puisque la victoire
contre la France a assuré la sécurité des colonies, les colons ne peuvent pas refuser de verser
une contribution à l’effort de guerre. Mais les colons ne voient pas les choses ainsi.
Cette crise repose sur un malentendu. L’Angleterre ne s’emploie pas à tyranniser les
colonies. Elle souhaite les faire participer aux dépenses de l’Empire tout en s’octroyant un
avantage substantiel sur leur prospérité. Puisque les anglais ont assuré la sécurité des colonies
face à la menace française il est normal que les colons paient des taxes pour leur sécurité.
Pour la couronne britannique, les sujets des colonies sont des citoyens anglais qui ont pour
devoir de se plier aux décisions de Londres. Et en 1767, les anglais récidivent avec le
chancelier de l’Echiquier, Charles Townsend, qui fixe de nouveaux droits d’importations qui
frappent, dans les ports américains, différentes matières comme le verre, le plomb, la peinture,
le thé ou le papier. Autre vexation, le 10 mai 1773, le parlement anglais qui veut remettre sur
pied la Compagnie des Indes proche de la banqueroute lui permet d’importer son thé à un taux
préférentiel sur le sol américain. Mais cette fois la coupe est pleine. Lorsque trois bateaux,
chargés de thé appartenant à la Compagnie des Indes pénètrent dans le port de Boston, une
étrange manifestation se produit. Le 16 décembre, des colons américains déguisés en indiens,
montent à bord et vident dans les eaux toute la cargaison. C’est la Boston tea party qui
marquera une date symbolique pour tous les adeptes du protectionnisme à l’américaine.
Maintenant les colons n’ont pas tous la même conception de la lutte contre la
métropole. Les uns se contentent de boycotter ou d’envoyer des pétitions au Parlement en
s’empressant de calmer les esprits échauffés. Pour cette catégorie le souci principal c’est la
prospérité des colonies. Ces modérés ont pour noms Georges Washington, Thomas Jefferson,
Benjamin Franklin. Une autre tendance c’est celle des « radicaux », des « patriotes ». Celle
des Patrick Henry, Samuel Adams ou James Otis. Tous ces radicaux sont issus de milieux
aisés. Et les évènements vont encore les renforcer dans leur parti pris car la boston tea party
invite Londres à la répression. Il faut punir Boston. Des lois sont promulguées pour fermer le
port, renforcer l’autorité du roi sur la colonie du Massachussetts et augmenter la présence
militaire anglaise parmi la population civile. Mais ces lois ne font qu’attiser le foyer
révolutionnaire. Pour la première fois les autres colonies manifestent leur solidarité pour la
colonie des puritains. La cause de Boston devient celle de l’Amérique. Le premier congrès
des Etats-Unis se réunit le 5 septembre 1774 à Philadelphie et réunit les représentants des
différentes colonies. Les modérés s’opposent aux radicaux. Le patriote Patrick Henry
prononce un discours programme : « Nous sommes dans l’état de nature, dit-il (…)
Virginiens, Pennsylvaniens, New-Yorkais, habitants de la Nouvelle Angleterre, la distinction
n’existe plus. Je ne suis pas un Virginien, je suis un Américain ». Les radicaux et les modérés
se neutralisent et aucune décision n’est prise en faveur de l’indépendance. Mais il suffit d’un
incident, d’une étincelle pour tout embraser. Celui-ci se produit le 19 avril 1775 à Lexington
où une altercation entre troupes anglaises et miliciens américains tourne au bain de sang. Un
deuxième Congrès se réunit et la décision est prise de rompre avec la souveraineté
britannique. On confie le commandement en chef de l’insurrection à Georges Washington.
Celui-ci remplit trois conditions pour ce poste, il est populaire auprès des membres du
congrès, il est dévoué à la cause américaine et surtout il vient d’une famille riche. Selon la
mentalité puritaine c’est un élu. Ce qui veut dire aussi aux yeux des congressistes qu’il est à
l’abri de la corruption. Pendant ce congrès une autre décision est prise : celle de rédiger une
déclaration d’Indépendance. Une commission de 5 membres est nommée pour cette tâche :
12
Benjamin Franklin, Thomas Jefferson, John Adams, Robert Livingston et Roger Sherman.
Mais le principal auteur de cette déclaration c’est Jefferson, cet avocat âgé de 33 ans, est issu
d’une famille parmi les plus riches de Virginie. Du 11 au 28 juin 1776 il a travaillé sans
relâche sur ce texte en s’inspirant principalement du Traité du gouvernement un ouvrage du
philosophe anglais John Locke. Certaines expressions qu’utilise Jefferson comme « les lois de
la nature », « le Dieu de la nature », « tous les hommes sont créés égaux dans l’état de
nature » ou « le juste pouvoir émane du consentement des gouvernés » ce sont des citations de
Locke. Cette déclaration ne s’adresse pas exclusivement à l’Angleterre. Elle en appelle aux
« puissances de la terre », aux « jugements d’un monde impartial » et même au « juge
suprême du monde ». Cela signifie que les américains renoncent à convaincre les anglais. Il
ne sert plus rien d’aller à Londres pour entreprendre des tractations. Le temps de la
négociation est terminé. La déclaration met en accusation le roi d’Angleterre devant le
tribunal des nations. L’auditoire de l’Amérique c’est maintenant la communauté
internationale. Les Etats-Unis d’Amérique estiment en faire désormais partie. Ils entendent y
entrer avec tous les attributs et les droits d’une puissance souveraine.
Cette déclaration comporte une lacune évidente. C’est beau d’écrire que « tous les
hommes sont égaux » mais cette phrase n’inclut pas les femmes, ni les indiens, ni les esclaves.
Jefferson avait pourtant écrit un passage sur la condamnation de l’esclavage en faisant porter
la responsabilité de ce système inique au roi d’Angleterre. Mais le Congrès a supprimé le
passage. Plusieurs colonies du Sud ont rappelé avec force que leur prospérité dépendait du
travail servile fourni par les noirs d’Afrique.
Maintenant que la déclaration d’indépendance est proclamée encore faut-il la
conquérir cette indépendance ! Les troupes anglaises font peur, leurs chefs sont aguerris par la
guerre de sept ans, les soldats, eux, sont disciplinés, très bien équipées et forment en 1776 un
contingent de 30 000 hommes. En face les colons sont plus expérimentés dans la culture du
tabac que dans le maniement des armes, des armes d’ailleurs ils n’en ont pas beaucoup. C’est
un miracle, en cette année 1776, que Washington puisse lever une armée de 16 000 hommes.
Ce chiffre baissera d’ailleurs avec le temps. La faute aux services d’intendance qui
fonctionnent très mal. Alors les soldats en viennent à piller les fermes pour se procurer de la
nourriture et du fourrage pour leurs chevaux. Et comme les américains ont le sens de la
propriété privée, les fermiers américains n’hésitent pas à tirer à coup de fusil sur leurs propres
soldats. Les spectacles désolants se succèdent. En janvier 1781, six régiments de Pennsylvanie
se mutinent parce qu’ils ont froid et faim, qu’ils réclament en vain des vêtements et que leur
solde n’est pas arrivé depuis dix huit mois.
Et pourtant face à la puissante machine de guerre britannique, les américains ne
s’effondrent pas. Mieux ils vont gagner la guerre. On peut avancer quelques explications à
cela : d’abord Washington est un bon tacticien qui applique à sa situation ce que le connétable
Bertrand Du Guesclin avait pratiqué durant la guerre de cent ans. Non pas la guerre mais la
guérilla. Avec son armée dépenaillée, Washington, cherche d’abord des succès faciles, jamais
d’affrontement direct, il opère des coups de main, monte des attaques surprises et très rapides,
de façon à ce que le contingent anglais soit toujours harcelé et jamais en mesure de se
rassembler pour riposter. Ensuite l’aide des Français sera décisive. Mais ceux-ci sont d’abord
prudents, réticents à s’engager. On est très content à Versailles de ce qui arrive aux anglais.
Mais s’immiscer dans un conflit interne qui en plus remet en cause l’autorité royale n’est pas
forcément du goût de Louis XVI. Ainsi il se garde bien de recevoir Benjamin Franklin quand
celui-ci vient en décembre 1776 défendre la cause des Etats-Unis à Paris. Tandis que des
volontaires français comme le marquis de La Fayette rejoignent le camp des insurgés, Louis
XVI et son ministre des Affaires étrangères, Vergennes, maintiennent une position attentiste.
Peut-être au fond soupèse-t’il les chances des américains face aux tuniques rouges de Georges
III. C’est la capitulation du général anglais John Burgoyne à Saratoga, le 17 octobre 1777, qui
13
emporte la décision. C’est la preuve pour les Français que la cause américaine est solide. Une
petite armée de 6000 hommes sous le commandement du comte de Rochambeau embarque
alors pour l’Amérique. Quelle étrange alliance il faut bien le reconnaître entre une toute jeune
république et une vieille monarchie de droit divin, entre des protestants et un roi catholique
qui se sont combattu quelques années auparavant.
Le 10 mai 1781, apprenant que le comte de Grasse traverse l’atlantique avec une
puissante escadre, Washington et Rochambeau décident de se porter à sa rencontre et de
déloger par la même occasion les troupes anglaises du général Cornwallis installés à
Yorktown-Virginie. Après un siège de plusieurs semaines la ville tombe. Cette bataille a
décidé de l’issue de la guerre. Cette fois l’indépendance est inexorable.
Le 5 mars 1782 la chambre des communes autorise la Courone à entamer des
pourparlers avec les colonies. La négociation qui commence à Paris bute sur l’inévitable
question : s’agit-il pour l’Angleterre de reconnaître l’indépendance des colonies ? Ou bien
peut-on trouver une autre solution pour que les treize colonies d’Amérique, très intéressantes
pour les finances de Londres, puissent rester dans le giron de la Couronne britannique ? Dans
un premier temps il est mis fin à la guerre et l’armistice est signée le 4 février 1783. Et ensuite
les négociateurs anglais vont finir par se rendre à l’évidence : un pays vaincu ne peut rien
exiger. Les Etats-Unis d’Amérique sont proclamés libres et indépendants. C’est la première
fois dans l’histoire du monde moderne, que des colonies révoltées vont accéder à
l’indépendance et entrer ainsi parmi le concert des nations. Cette guerre d’indépendance
annonce les futures guerres de libération nationale qui se dérouleront par la suite. Et puis cette
victoire américaine conforte les opinions de ceux qui, en France, veulent en finir avec la
monarchie, mais aussi avec l’hégémonie du catholicisme comme religion d’état. Il faut juste
attendre une étincelle, comme celle de Lexington, elle se produira six plus tard avec la prise
de la Bastille.
Pour conclure cette première séance encore quelques faits : pour satisfaire le désir de
ceux qui redoutent la tyrannie d’un gouvernement national, la toute jeune démocratie
américaine se donne, en plus de sa déclaration d’indépendance, une constitution et une
déclaration des droits (qu’on nomme aussi bill of rights) composée de dix amendements. Les
deux premiers sont biens connus et forment le substrat de la mentalité américaine pour le
meilleur et pour le pire. Le premier amendement commence ainsi : « Le Congrès ne fera
aucune loi qui touche l’établissement ou interdise le libre exercice d’une religion… ». Ce qui
induit dès lors que le débat actuel en France entre ce qu’est une religion et ce qu’est une secte
est impensable en Amérique. Ensuite le second amendement : « Une milice bien ordonnée
étant nécessaire à la sécurité d’un état, le droit qu’a le peuple de détenir et de porter des armes
ne sera pas enfreint ». De fait avant son élection Barack Obama n’évoquera jamais ce point
sensible, quand bien même la prolifération des armes à feu est totalement aberrante. Légiférer
en la matière c’est attaquer le second amendement rédigé au lendemain de l’indépendance
américaine. Et changer la constitution est-ce que Barack Obama le pourra ? Le veut-il au
demeurant ?
En 1789 la jeune nation américaine s’est donnée une constitution et un régime fédéral
qui garantit les droits respectifs de ses 13 états membres. Chaque état est doté d’un collège de
grands électeurs. Ces grands électeurs peuvent voter pour élire un président. C’est ce qu’ils
font le 6 avril 1789 en élisant à l’unanimité Georges Washington, premier président des EtatsUnis. Ce dernier, héros de la guerre d’indépendance, est un véritable mythe. Et les américains
à défaut d’avoir une longue histoire derrière eux ont besoin plus que tout de se forger une
mythologie. Washington donnera son nom à un état, à 7 montagnes, 8 cours d’eau, 10 lacs, 33
comtés, 9 universités et 123 villes. Le 30 avril il fait une entrée triomphale dans New-York où
il prête serment. La boucle est bouclée. C’est bien une nouvelle nation qui fait ses premiers
pas et qui va maintenant exercer une grande influence sur le cours de l’histoire.
14