Apprendre à problématiser faut
Transcription
Apprendre à problématiser faut
Lycée franco-mexicain – Cours Olivier Verdun ANALYSER UN SUJET DE DISSERTATION – IDENTIFIER LE PROBLEME POSE PAR LE SUJET « Faut-il toujours dire la vérité ? » I) Définitions générales : problématique, problème, problématisation Comprendre un sujet de dissertation, c'est mettre au jour son caractère paradoxal, c'est identifier le ou les problèmes qu'il pose, c'est le problématiser. Tout sujet de dissertation est donc, par définition, paradoxal, en ce sens qu'il invite à questionner un préjugé. Ne pas confondre la question posée par le sujet (avec un pont d'interrogation) et le problème qui lui est sous-jacent (qui ne s'énonce pas nécessairement sous la forme d'une question). Une question (par exemple, « quelle heure est-il ? ») appelle généralement une réponse. Un problème, lui, appelle une discussion, parce que la réponse ne va pas de soi. On entend par problème l'obstacle placé sur le chemin de la réflexion qui en empêche l'avancée et dont la solution est toujours incertaine. Le problème est ce qui produit l’étonnement. Poser un problème, c’est expliquer pourquoi une question se pose, et doit se poser, non à tel ou tel individu, mais pour tout esprit raisonnable. Il y a problème quand deux notions sont associées ou dissociées, association ou dissociation qui n’ont rien d’évident au premier abord et qui semblent donc étranges. Exemple 1 : « Peut-on avoir peur d’être libre ? » Le problème posé par ce sujet est celui de l’association de la peur et de la liberté. Exemple 2 : « Le droit est-il toujours juste ? » Le problème posé est celui de la dissociation du droit et de la justice. Exemple 3 : « Tous les hommes ont-ils droit au respect ? » Le problème posé est celui de la dissociation entre le droit au respect et tous les hommes. D'un côté, en tant qu'ils sont hommes justement, tous les hommes ont droit au respect. D'un autre côté, ne doit-on pas soutenir que certains hommes ont perdu ce droit en raison de ce qu'ils ont fait ? Ou bien tous les hommes sans aucune exception ont droit au respect, ou bien certains ont perdu ce droit, donc tous n'y ont pas droit » (ces deux idées ne peuvent pas être soutenues conjointement). On appelle problématique la manière dont va être traité le problème posé, la recherche d'une solution à ce problème. Comment faire pour résoudre le problème ? Par quelles étapes va-t-il falloir passer pour l’examiner, puis le résoudre ? La problématique d’un sujet, c’est donc l’ensemble des problèmes, des obstacles que l’on aura à résoudre. En dégageant la problématique, on annonce ainsi indirectement son plan. Lycée franco-mexicain – Cours Olivier Verdun II) Comment construire une problématique à partir d’un exemple de sujet de dissertation La problématique résulte de l’analyse du sujet (cf. travail de préparation), ici « Faut-il toujours dire la vérité ? » 1) Analyser le sujet et préciser le sens de la question La première étape face à la question posée, préalable à toutes les autres, est l’analyse de la signification des termes du sujet (tous les termes). Une dissertation est l’analyse précise, rigoureuse, du libellé du sujet. Analyser signifie décomposer, aller d’une totalité vers les éléments de cette totalité. Analyser le sujet signifie le décomposer en ses différents éléments. Il convient de déterminer les différentes significations valant pour chacun des termes du sujet, y compris les « petits mots » du sujet, les verbes, etc. L’idée est de montrer qu’on peut entendre la question en divers sens. a) Définir les termes du sujet Définir, c’est délimiter, circonscrire une notion (cf. fiche de méthode sur la définition). De quoi parle-t-on au juste ? Telle est la question qu’il convient de se poser pour commencer. -Faut-il : est-il obligatoire, a-t-on le devoir, est-il légitime. On distinguera le pouvoir de dire la vérité, la possibilité, du devoir de la dire, de l’obligation : « peut-on » n’est pas « doit-on ». -Toujours : adverbe : dans la totalité du temps, constamment, continuellement, sous-entendu de façon inconditionnelle, en toute circonstance. Il s’agit ici de réfléchir sur les conditions dans lesquelles on pourrait dire ou ne pas dire la vérité. Registre moral. -Dire : exprimer, communiquer, révéler. -La vérité : ce à quoi l’esprit peut et doit donner son assentiment, par suite d’un rapport de conformité avec l’objet de pensée, d’une cohérence interne de la pensée. -Dire la vérité : exprimer ce que l’on pense être vrai, de la façon la plus objective et juste possible ; rapporter les faits tels qu’ils se sont produits ; dire la vérité, c’est être sincère, c’està-dire être disposé à reconnaître la vérité et à faire connaître ce qu’on pense et sent réellement, sans consentir à se tromper soi-même ni à tromper les autres. La signification du sujet est la suivante : a-t-on le devoir de rapporter en toute circonstance les faits tels qu’ils se sont produits ? b) Rechercher les distinctions centrales Distinguer deux termes signifie mettre en évidence ce qui les sépare, les différencie, voire les oppose. Pour ce faire, on peut s’aider de la liste des repères du programme (exemple : obligation/contrainte). Lycée franco-mexicain – Cours Olivier Verdun Les deux mots qui s’opposent sont ici : « vérité » et « toujours » : idée d’une obligation inconditionnelle. c) Identifier le présupposé contenu dans la question Un présupposé (ce qui est « supposé avant ») est une affirmation implicitement contenue dans la question, affirmation que l’on considère comme acquise et qui devra être identifiée, discutée, dépassée. Le présupposé est qu’il faut dire la vérité, que dire la vérité est un signe de vertu et que men tir, par conséquent, est un vice. Jamais personne, en effet, n’enseigne ouvertement l’art du mensonge, même si tout le monde a déjà été amené à mentir. La vérité vertueuse s’oppose donc dans les faits au mensonge condamnable. d) Identifier ce que le sens commun répondrait à la question Il s’agit ici, après avoir identifié le présupposé du sujet, de se demander quelle serait la réponse immédiate à la question posée. Qu’aurait-on tendance à répondre à cette question (« Faut-il toujours dire la vérité ? ») ? Quelle serait la réponse a priori évidente ? La réponse a priori évidente à la question posée serait donc : oui, il faut toujours dire la vérité et ne jamais mentir. e) Imaginer une situation dans laquelle on serait amené à se poser la question Il peut être utile de chercher une situation dans laquelle il serait possible de se poser cette question. Dans quel cas peut-on être amené à se poser cette question ? Exemple : quand vous aurez trompé votre petit ami ou votre petite amie, le lui direzvous ? 6 Le problème et la problématique a) Identifier le paradoxe contenu dans le sujet Un paradoxe (du grec para, « contre », et doxa, « opinion commune ») est une affirmation contraire à l’opinion commune, une affirmation qui semble étrange parce qu’elle déroge à ce que nous avons l’habitude de penser. Pour identifier le paradoxe contenu dans le sujet, il faut au préalable avoir identifié ce que le sens commun répondrait à la question, puisque le paradoxe s’oppose à l’opinion commune. D’un côté, il semble qu’il faille toujours dire la vérité, car sans cela on ne pourrait faire confiance à personne. D’un autre côté, si l’on dit toujours la vérité, on prend le risque de blesser autrui. Dire la vérité à absolument tous ceux que l’on croise quelles que soient les circonstances fera de nous un individu rustre, grossier, sans tact, sans élégance, ignorant la politesse et le savoir-vivre élémentaires. Ainsi dira-t-on aux imbéciles qu’ils le sont, aux importuns qu’ils vous ennuient, aux gens qui ont grossi ou vieilli que les kilos en trop ou les rides ne leur siéent point, que votre patron est incompétent, etc. Ce qui est donc paradoxal, Lycée franco-mexicain – Cours Olivier Verdun c’est que dire la vérité est une exigence, on apprécie les gens francs et sincères, mais en même temps toute vérité ne semble pas bonne à révéler n’importe comment, n’importe quand, à n’importe qui. Il faut dire la vérité, mais le contraire semble, dans certaines occasions, préférable. Comment, dès lors, doit-on et ne doit-on pas dire à la fois la vérité ? b) Identifier le problème posé par le sujet Le problème posé par le sujet est ce dont le sujet nous demande de débattre (cf. Supra). Faut-il toujours dire la vérité ou seulement parfois, dans certains cas ? A-t-on une obligation de dire à autrui ce que l’on pense être vrai ou a-t-on le droit, lorsque les circonstances exigent et que l’on peut ne faire autrement, de dissimuler la vérité ? Il s’agit donc de réfléchir sur les conditions dans lesquelles on pourrait dire la vérité. c) Ebaucher la problématique Dans un premier temps, on notera au brouillon les questions que pose le sujet. Mettre en place, à propos de l'énoncé, des questions ordonnées, s'enchaînant logiquement. Ce sont précisément ces questions qui seront examinées dans le corps du devoir et auxquelles on devra fournir des réponses. Pourquoi faudrait-il toujours dire la vérité et ne jamais mentir ? La résolution de dire la vérité à autrui en toutes circonstances est-elle facile à tenir ? A-t-on les moyens, en toutes circonstances de pas recourir au mensonge ? Ne vaut-il pas parfois mentir pour éviter un mal plus grand ? Mais ne pas dire la vérité, est-ce nécessairement mentir ? N’y a-t-il pas d’autre alternative à la vérité que le mensonge ? d) Détermination de l’enjeu L’enjeu est le gain de pensée apporté par la formulation d’un problème, son intérêt pratique ou théorique; de la solution que nous choisissons au problème philosophique dépendent des choix de vie fondamentaux. Il s’agit donc de s’interroger sur la valeur de la vérité : pourquoi chercher la vérité ? e) Choix de l’idée directrice devant guider la dissertation Définir ici clairement sa propre thèse, ce que l'on entend démontrer, le fil directeur que l'on va suivre. Une dissertation est une argumentation à partir d'une hypothèse que l'on va elle-même confronter à d'autres hypothèses. Il n’y a donc pas de dissertation sans objectif. Il faut vouloir répondre au sujet, produire une thèse personnelle, c’est-à-dire accepter de prendre des risques. Il ne faut pas systématiquement dire la vérité, n’importe comment et dans n’importe quelle circonstance ; il faut la proférer avec tact et délicatesse, de manière pondérée, quitte à recourir à de pieux mensonges ou, si l’on ne veut pas mentir, à toutes les ressources que nous offre le langage (humour, ironie, silence, euphémismes, etc.). Lycée franco-mexicain – Cours Olivier Verdun III) Le plan, le développement Un plan est une démonstration : on examine plusieurs hypothèses successivement dont on évalue le sens, la portée, la pertinence jusqu'à parvenir à celle qui résiste le mieux à la critique. La construction d’ensemble et la cohérence de chacun des paragraphes qui composent une partie donnée sont donc primordiales. La progression impose d’aller du plus évident au moins évident, c’est-à-dire au plus paradoxal. Dans cette optique, il paraît logique de débuter par la thèse adverse, puis de la saper progressivement au moyen d’arguments solides pour ouvrir la voie de la thèse personnelle. Il est conseillé, au début de chaque partie du développement, d’indiquer très clairement et sommairement, dans un court paragraphe, l’objectif poursuivi dans cette partie, le fil conducteur que l’on va suivre, l’hypothèse que l’on va proposer et examiner. a. 1ère partie (I) : hypothèse de réponse exposant le présupposé du sujet, le point de vue «naïf», l’évidence première, la voix du bon sens en quelque sorte (doxa). b. 2e partie (II) : examen des limites de la 1ère hypothèse et proposition d'une 2e hypothèse; à la fin de la 2e partie la tension du sujet est censée être à son comble, puisqu'on est face à deux argumentations contradictoires qui ont pourtant chacune leur légitimité. c. 3e partie (III) : tentative de résolution de la contradiction entre la 1ère et la 2e hypothèses, par proposition d'une 3e hypothèse; la 3e partie propose une solution au problème posé dans l'introduction. La dernière partie du développement examine donc l’hypothèse la plus féconde, pertinente, solide, légitime, vraie (principe d’universalisation). I) Il faut toujours dire la vérité Question 1 : pourquoi faudrait-il toujours dire la vérité ? A) On peut et doit dire la vérité lorsque sa formulation n’entraîne aucune conséquence Dans le cas où dire la vérité suppose la pure et simple expression d’évidences ou lorsqu’elle permet de donner des informations positives : exemple du médecin qui annonce à son patient un bon résultat médical, une rémission dans sa maladie, etc. B) Toujours dire la vérité suppose qu’on ne se soucie pas des conséquences qu’il y à la révéler Idée que toute vérité est bonne à dire : la vérité prime sur ses effets. Peu importe la suite. Pouvoir dire la vérité oblige à la dire. Lycée franco-mexicain – Cours Olivier Verdun C) Le devoir inconditionnel de vérité Pour Kant, le mensonge est – par définition, par nature – un « crime », à la fois social et ontologique (approche déontologique). Le mensonge est une déclaration fausse faite à un autre homme (ou à plusieurs), le mensonge est une assertion sciemment contraire à la vérité faite dans l’intention de tromper. - Social parce qu’il rompt la promesse implicite du langage, toute parole étant un acte qui inclut un engagement, un serment (« tu peux me croire, dis le menteur, car je ne mens pas »). Or, le mensonge rompt cette promesse : tout se passe comme si la personne qui ment disait en même temps « je mens » et « je ne mens pas », absurdité qui exprime une dénaturation du langage, une destruction radicale de sa vocation et de ses conditions de possibilité. Le mensonge est donc le plus souvent condamnable car il infecte les relations sociales ; il tue la confiance. Le menteur est un trompeur, voire un manipulateur. En amour comme en politique, il vaut toujours mieux dire les choses comme on les voit (notion de sincérité) ou comme elles se sont passées (notion d’objectivité), surtout lorsqu’il n’y a pas lieu de mentir, afin d’éviter les disputes et les complications. Et il faut se méfier, comme le rappelle Platon dans le Gorgias, des artifices de rhétorique enseignés par les sophistes, des discours trop jolis, trop brillants, trop séduisants qui peuvent être destinés à trompeur leur auditeur. - Un « crime » ontologique : le mensonge constitue une dénaturation de la conscience, une mystification intentionnelle. Il institue au cœur de l’esprit une duplicité délibérée. C’est pourquoi un homme qui « ne croit plus lui-même ce qu’il dit à un autre régresse », nous dit Kant, « en deçà de la chose ». Il forme de lui-même « une caricature grimaçante de l’humanité ». Et de poursuivre : le mensonge est « un crime contre soi-même, contre l’humanité en soi, contre Dieu » (Doctrine de la vertu, §9). Et ceci reste vrai quelle que soit l’intention du mensonge… C’est pourquoi mentir (en sachant que l’on ment), serait, sinon un « crime » (terme inapproprié), en tout cas une faute morale grave, ou très grave, quelle qu’en soient l’intention et le contexte. Transition : réponse à la question 1 ; annonce de la partie suivante. Pour autant, tous les mensonges sont-ils également blâmables ? II) Il n’est pas toujours nécessaire de dire la vérité Question 2 : N’est-il pas contreproductif, voire dangereux, de toujours dire la vérité ? A) Un individu qui ignorerait le mensonge serait un insupportable personnage Il serait incapable de prévenance, de délicatesse, de diplomatie. Ne pas dire la vérité semble justifié quand on le souci des conséquences (approche utilitariste). Lorsque l’annonce d’une vérité provoque en cascade des conséquences négatives pour celui qui en prend connaissance, il ne semble pas nécessaire de la dire. Un silence, voir un mensonge, est alord préférable. Ainsi d’un malade à qui il resterait quelques semaines à vivre : un médecin Lycée franco-mexicain – Cours Olivier Verdun disciple de Kant lui annoncerait sa condamnation à mort. Il serait certes moral, mais aussi cruel. B) On ne pratiquera pas toujours la vérité dans les cas où son utilité n’apparaîtra pas évidente Faut-il défendre absolument la vérité quelles qu’en soient les conséquences et toujours la faire primer ? La douceur, la gentillesse, la prévenance, la sollicitude sont des vertus parfois préférables à la vérité. On passe trop aisément du désir de vérité à la passion des certitudes toutes faites comme nous l’enseignent du reste, on l’a vu, les sceptiques. Le désir de vérité qui est en soi légitime peut conduire à l’arrogance, au dogmatisme, au fanatisme, à toutes ces formes d’aveuglement qui conduisent directement au crime. Il n’y rien de plus dangereux, en effet, que les gens qui sont sûrs d’avoir raison, d’être dans le bon chemin, de posséder le vrai. C’est au nom de la vérité que les Églises, jadis, tuèrent ou torturèrent. Sont dangereux ceux qui sont prêts à tout pour que la Terre entière reconnaisse leur prétendue supériorité. Le fanatisme peut se dissimuler parfois sous un jour inattendu, celui de la science ou de la passion du pouvoir qui peut sa cacher derrière une science arrogante (exemple de ceux qui prétendent que l’économie est une science exacte à laquelle doit se soumettre la politique ou qui veulent se livrer sur l’espèce humaine à d’obscures manipulations génétiques sous prétexte de l’améliorer – eugénisme). Si la vérité ne veut point tourner au dogme froid ou mortifère, elle ne doit pas trop se prendre au sérieux en quelque sorte – c’est ce que nous enseignent notamment les sceptiques -, elle doit sans cesse douter d’elle-même, accepter de se laisser remettre en cause (cf. la notion poppérienne de falsifiabilité) et jouer avec tout ce qui n’est pas elle. C) Les vertus du mensonge Il y a des degrés de gravité du mensonge. Pour les évaluer, on pourrait retenir deux critères : leur intention, mais aussi le pouvoir et l’autorité morale dont peuvent se prévaloir ceux qui les profèrent. Les mensonges publics, qui introduisent ou banalisent défiance et suspicion, sont potentiellement dévastateurs. Le mensonge d’un homme puissant dont l’intention est sinon de nuire, en tout cas de préserver ses intérêts financiers et sa carrière, sera placé haut dans l’échelle des turpitudes graves. En revanche, les mensonges des responsables politiques proférés pour rassurer (prévisions économiques fantaisistes) ou faire rêver (promesses électorales intenables), s’ils sont faussement anodins, passeront tout de même pour moins répréhensibles. Certains « mensonges d’Etat », enfin, énoncés, par exemple, pour sauver ou préserver le sort d’un otage (« nous ne versons jamais de rançon »), semblent inévitables donc pratiquement justifiés (composante amorale de la politique)… L’autre critère pourrait être l’autorité morale de celui qui s’en rend coupable. Le mensonge d’un pape ou d’un donneur de leçon patenté par exemple (un philosophe ou un Lycée franco-mexicain – Cours Olivier Verdun savant) est évidemment plus grave que celui du citoyen ordinaire. C’est justement le cas du mensonge du grand Rabin de France, dont on sait qu’il vient de l’amener à démissionner. En soi, deux petites impostures bien insignifiantes (faux C.V., plagiat). Le problème, c’est l’utilisation retorse de la présomption d’intégrité morale dont il bénéficie du fait de sa fonction. Sans doute n’y a-t-il là aucune malversation ni malveillance – nulle intention de nuire – mais une défiguration de la parole autorisée et un dévoiement de la promesse de vérité dont une haute autorité morale devrait pourtant faire, plus que quiconque, le plus grand cas. Le mensonge peut être, en même temps, un moyen de jouer avec la vérité. Le vrai menteur est un virtuose de l’évitement, du frôlement risqué, du flirt dangereux avec le vraisemblable, alors que le menteur d’occasion et inexpert, use de si grosses ficelles qu’elles révèlent immédiatement la contrefaçon. Ajoutons qu’il existe des situations où de petits mensonges - mensonges innocents, mensonges pieux, mensonges de politesse ou politiques – ont leur utilité. En sorte que si l’on ment sans intention de tromper, ni volonté de nuire à autrui, on ne ment pas vraiment : « mentir sans profit, ni préjudice de soi, ni d’autrui, n’est pas mentir : ce n’est pas mensonge, c’est fiction » (Rousseau, Quatrième Rêverie du promeneur solitaire). Ce type de mensonges (qui n’en sont plus vraiment) peuvent même comporter une vertu morale ou éducative : Rousseau cite, par exemple, les fables de La Fontaine qui « enveloppent des vérités utiles sous des formes sensibles ou agréables ». Ainsi les parents qui expliquent à leurs enfants que la soupe fait grandir ou que les loups garous kidnappent les enfants désobéissants. Transition : le mensonge n’est pas forcément condamnable puisqu’il est peut-être au service de la vérité, tandis que dire la vérité en toute circonstance sans se soucier des conséquences peut être dévastateur. Plutôt que de toujours dire la vérité, ne vaut-il pas mieux la proférer avec tact et délicatesse ? III) Il faut dire la vérité avec tact et délicatesse Question 3 : entre toujours dire la vérité et ne jamais la dire, n’y a-t-il place pour une pratique mesurée du mensonge et donc de la vérité ? A) Dire toujours la vérité et ne jamais la dire : deux pratiques monstrueuses Celui qui est convaincu qu’il doit toujours dire la vérité exerce sa cruauté au nom de la vérité. Celui qui affirme qu’il vaut mieux ne jamais dire la vérité est un menteur, un dissimulateur, un escroc, il n’est pas digne de confiance. Dans les deux cas, autrui est nié. B) Une pratique mesurée, circonstanciée et exceptionnelle du mensonge La position de Benjamin Constant (ou de Vladimir Jankélévitch) : on peut mentir « par humanité » pour sauver la vie d’un ami, ou pour tromper un officier nazi (Jankélévitch). Le Lycée franco-mexicain – Cours Olivier Verdun mensonge reste toutefois une duperie, mais on peut choisir de mentir pour épargner la souffrance ou la vie de nos amis ou de nos concitoyens. Dans le même ordre d’idées, on sait que le Prince est souvent obligé de mentir, car la vérité n’est pas toujours bien venue. Il ment à son corps défendant : parce qu’il place alors l’intérêt de la République au-dessus du salut de son âme (Machiavel). Une tromperie bien intentionnée reste une tromperie, mais elle peut parfois être un moindre mal. Le mensonge est un mal nécessaire. Nécessité de garder la bonne distance : ni la vérité à tout prix, ni le mensonge systématique, mais un mensonge pratiqué de manière rare, exceptionnellee, dans le but le préserver l’autre de la violence de la vérité, quand celle-ci est violente et dévastatrice ? Mentir pour épargner, ne pas dire la vérité dans le cas où elle est difficile à entendre. Exemple de la tromperie. C) Ne pas dire la vérité sans être obligé de mentir L’idéal est de ne pas se mettre dans la situation d’avoir à mentir, d’éviter l’action que vous vous sentirez obligé de cacher : prévenir pour éviter de guérir ! On peut aussi ne rien dire, sans qu’il soit besoin de mentir : ne pas dire une vérité ne suppose pas obligatoirement de s’installer dans le mensonge. Si l’on ne veut pas, ou peut pas, dire la vérité sans pour autant mentir, nous avons toujours la possibilité de nous en sortir avec une pirouette humoristique, de nous taire, d’utiliser certaines figures de rhétorique comme l’euphémisme ou encore de pratiquer, comme le faisait Socrate, l’ironie, autre façon de jouer avec la vérité. Ainsi l’humour est-il la délicatesse de la vérité, la distance que la vérité devrait toujours garder avec elle-même qui empêche que la vérité ne se prenne trop au sérieux, ne devienne trop lourde, trop figée, trop dogmatique. Ainsi le mot d’esprit parvient-il à rapprocher, l’espace d’un instant, deux inconnus en faisant circuler entre eux, à l’improviste, quelque chose d’universel. A la différence de l’ironie qui peut être méchante, l’humour réussit à trouver, dans des situations désespérées, une raison déraisonnable de rire, comme on le voit dans le film de Roberto Benigni, « La vie est belle », qui raconte une formidable histoire d'amour entre un père et son fils, avant et pendant leur internement dans un camp de concentration ; cherchant à protéger l'innocence et la pureté de son fils de 5 ans, il va au bout de sa folie douce, en lui faisant croire que tout cela n'est qu'un jeu. Peut-on rire de tout ? Oui, répond sans hésiter Roberto Benigni, à condition de rester sincère, pudique et digne, surtout quand il s'agit d'un sujet tabou par excellence : les camps de la mort.