Faut-il toujours dire la vérité aux gens po

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Faut-il toujours dire aux gens la vérité pour leur bien ?
Supports de réflexion
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La capacité à mentir, une capacité bien humaine
Qu'est-ce que le mensonge ? Pourquoi et comment est-on amené à mentir ? Un enfant qui ment,
cherche-t-il à nous tromper volontairement ? On a pour habitude d'opposer le mensonge à la
vérité... et de condamner rapidement le menteur au nom de cette même vérité. Pourtant, et nous
le savons bien, nous adultes, qui nous accordons des «petits mensonges», ces distinctions sont
loin d'être aussi simples. Car la fabulation, l'imaginaire, l'art ressortissent d'une certaine façon à ce
que nous appelons le mensonge et sont parés cependant à nos yeux de qualités admirables. Or,
l'enfance, surtout dans la période qui précède l'acquisition du langage, est dominée par
l'imaginaire lié aux sensations. Et l'enfant, peu à peu, va découvrir l'effet de ses fabulations sur les
autres. Le mensonge peut avoir différentes causes et ce sont elles qui permettent d'approcher la
vérité: quand l'enfant cherche à se rendre important, «intéressant », ou quand il veut fuir une
réalité qui le blesse.
L'enfant va découvrir les catégories du vrai et du faux, du réel et du fictif: il lui faudra du temps
pour les faire siennes, un temps d'apprentissage que nous, adultes, devons soutenir et
encourager, mais qui pourra être marqué d'erreurs ou d'échecs. C'est pourquoi, je crois fortement
que l'apprentissage de la vérité passe par le mensonge à condition que celui-ci soit repéré dans
une dynamique initiatique. Plus encore, il est souvent l'indice d'une vérité que l'enfant ne sait pas
toujours bien exprimer. Pendant une longue période, l'enfant ne maîtrise pas le langage: si ses
mots «mentent», la vérité sans doute est à chercher dans ce qu'il ressent, dans son corps et ses
perceptions. Ne sous-estimons pas non plus le fait que, lorsqu'il ment (pour capter notre attention,
par exemple), il est pris dans sa fiction: il croit à ce qu'il dit, tout au moins jusqu'à environ 7 ans,
justement appelé âge de raison. Cela ne signifie pas que nous devions faire «comme si de rien
n'était» : essayer de comprendre avec lui, l'aider à mettre les mots justes sur ses sentiments, lui
montrer clairement où sont les limites entre la réalité et l'imaginaire, tel est notre rôle de parents,
qui a commencé dès sa naissance.
Danielle Dalloz
Introduction in Le mensonge
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Deux positions contradictoires dans le rapport à la vérité
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La vérité, quand bien même elle nous ferait mourir, est supérieure au mensonge le plus brillant et
le plus fécond.
Nikos Kazantzaki (1883 - 1957)
Lettre au Gréco
A une vérité ténue et plate, je préfère un mensonge exaltant.
Alexandre Pouchkine (1799 - 1837)
Récits de Belkine
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Il y a plusieurs sources du mensonge : mensonge de lʼénoncé et mensonge de lʼénonceur
Tant que nous restons à un plan banal de la vérité - à l'énoncé paresseux des propositions
coutumières (du style: « il pleut »), - le problème du mensonge concerne seulement le dire (je dis
faussement cela même que je sais ou crois ne pas être vrai; je ne dis pas ce que je sais ou crois
être vrai). Ce mensonge, qui suppose donc la vérité connue, a pour contraire la véracité, tandis
que la vérité a pour contraire l'erreur. Les deux couples de contraires - mensonge-véracité, erreurvérité - paraissent alors sans rapport.
A mesure, pourtant, que nous nous élevons vers des vérités qu'il faut former, travailler, la vérité
entre dans le champ des œuvres, principalement des œuvres de civilisation. Alors le mensonge
peut concerner de très près l'œuvre de la vérité cherchée; le mensonge vraiment «dissimulé» n'est
pas celui qui concerne le dire de la vérité connue, mais celui qui pervertit la recherche de la vérité.
Il m'a semblé avoir touché un point où l'esprit de mensonge - qui est antérieur aux mensonges est le plus contigu à l'esprit de vérité, antérieur lui-même aux vérités formées; ce point, c'est celui
où la question de la vérité culmine dans le problème de l'unité totale des vérités et des plans de
vérité. L'esprit de mensonge contamine la recherche de la vérité par le cœur, c'est-à-dire par son
exigence unitaire; il est le faux pas du total au totalitaire. Ce glissement se produit historiquement
quand un pouvoir sociologique incline et réussit plus ou moins complètement à regrouper tous les
ordres de vérité et à ployer les hommes à la violence de l'unité. Ce pouvoir sociologique a deux
figures typiques: le pouvoir clérical (1), et le pouvoir politique. Il se trouve en effet que l'un et l'autre
ont une fonction authentique de regroupement; la totalité religieuse et la totalité politique sont des
totalisations réelles de notre existence; c'est bien pourquoi elles sont les deux plus grandes
tentations pour l'esprit de mensonge, pour la chute du total au totalitaire.
Paul Ricœur
Vérité et Mensonge (1951)
(1) « Clérical » = qui concerne le clergé (les prêtres); est pris dans un sens péjoratif, en ce qu'il
renvoie ici au pouvoir d'une - caste », et s'oppose à « ecclésial » (= qui concerne l'Eglise, en tant
que communauté des chrétiens). ***
Le droit à la vérité pour le malade
Tromper un malade, c'est le mener sur une route différente de celle qui va être la sienne. Ce n'est
plus la route de sa vie, assombrie peut-être par la maladie, mais dont la lumière demeure celle de
son ciel. C'est un chemin illuminé par les lampes et les sunlights dont vous réglez vous-même
l'intensité. Il est en représentation malgré lui. Il n'a rien à dire. Rien à penser. A ses questions, les
réponses sont données d'avance. Il est devenu un pantin. Un écran le sépare désormais des
autres. On ne parle plus à Claire, 35 ans, 3 enfants, archéologue; on parle à Claire cancéreuse.
On ne parle plus à Philippe, 50 ans, célibataire, sculpteur; on parle à Philippe cancéreux. On ne
parle plus à Robert, 40 ans, marié, 2 enfants, ajusteur; on parle à Robert cancéreux. On ne parle
plus à Roger, écrivain, marié; on parle à Roger cancéreux. Tous cancéreux sans le savoir. Ce qui
les signale le plus à l'attention d'autrui est inconnu d'eux-mêmes. Marionnettes dont les autres
tirent les ficelles, même dorées. « Oui, tu pourras jouer le rôle d'Elvire dans six mois. Oui, tu
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pourras refaire de la plongée sous-marine dans un an. Oui, nous irons skier ensemble à Pâques.
Oui, tu assisteras au mariage de ta petite-fille. Oui, tu iras au Paradis... » Déjà enchaîné par la
maladie, limité dans ses mouvements, on l'enchaîne dans ses pensées en le laissant construire
des projets qui sont autant d'illusions.
Léon Schwartzenberg (1923 - 2003)
Requiem pour la vie
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Quʼest-ce que la vérité ?
La vérité, dit-on, consiste dans l'accord de la connaissance avec l'objet. Selon cette simple
définition de mot, ma connaissance doit donc s'accorder avec l'objet pour avoir valeur de vérité.
Or, le seul moyen que j'ai de comparer l'objet avec ma connaissance, c'est que je le connaisse.
Ainsi ma connaissance doit se confirmer elle-même; mais c'est bien loin de suffire à la vérité. Car
puisque l'objet est hors de moi et que la connaissance est en moi, tout ce que je puis apprécier,
c'est si ma connaissance de l'objet s'accorde avec ma connaissance de l'objet. Les anciens
appelaient diallèle un tel cercle dans la définition. Et effectivement, c'est cette faute que les
sceptiques n'ont cessé de reprocher aux logiciens; ils remarquaient qu'il en est de cette définition
de la vérité comme d'un homme qui ferait une déposition au tribunal et invoquerait comme témoin
quelqu'un que personne ne connaît, mais qui voudrait être cru en affirmant que celui qu'il invoque
comme témoin est un honnête homme. Reproche absolument fondé, mais la solution du problème
en question est totalement impossible pour tout le monde.
Emmanuel Kant
Critique de la Raison Pure
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Si dire la vérité était un devoir, la vie collective serait impossible
Le principe moral que dire la vérité est un devoir, sʼil était pris de manière absolue et
isolée,rendrait toute société impossible[...]. Dire la vérité est un devoir. Quʼest-ce quʼun devoir?
Lʼidée de devoir est inséparable de celle de droits: un devoir est ce qui, dans un être, correspond
aux droits dʼun autre. Là où il nʼy a pas de droits,il nʼy a pas de devoirs. Dire la vérité nʼest donc un
devoir quʼenvers ceux qui ont droit à la vérité. Or nul homme nʼa droit à la vérité qui nuit à autrui.
Constant
Des réactions politiques (1797)
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Y a-t-il un doit à la vérité ?
Lʼexpression «avoir droit à la vérité» est dépourvue de sens. Il faut dire plutôt quʼun homme a droit
à sa propre véracité,cʼest-à-dire à la vérité subjective dans sa personne [...].La véracité dans les
déclarations quʼon ne peut éluder est le devoir formel de lʼhomme envers chacun, si grave que
soit le préjudice qui puisse en résulter pour lui [...]; je commets une injustice certaine à lʼendroit de
la partie la plus essentielle du devoir en général par une telle falsification, qui, de ce fait, peut
également être appelée mensonge [...], cʼest-à-dire que je fais, autant quʼil dépend de moi,que
des déclarations de façon générale ne trouvent aucune créance et que, par suite aussi, tous les
droits qui sont fondés sur des contrats deviennent caducs et perdent vigueur,ce qui est une
injustice commise à lʼégard de lʼhumanité en général. Ainsi,il suit de définir le mensonge une
déclaration intentionnellement fausse,et point nʼest besoin dʼajouter cette clause quʼil faut quʼelle
nuise à autrui, que les juristes exigent pour leur définition. Car il nuit toujours à autrui: même si ce
nʼest pas à un autre homme,cʼest à lʼhumanité en général,puisquʼil disqualifie la source du droit.
Mais ce mensonge par bonté dʼâme [que défend Constant] peut même par accident tomber sous
le coup des lois civiles [...]. Cʼest ainsi que,si tu as,par un mensonge,empêché dʼagir quelquʼun qui
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sʼapprêtait à commettre un meurtre, tu es juridiquement responsable de toutes les conséquences
qui pourraient en découler. Mais si tu tʼen es tenu à la stricte vérité, la justice publique ne peut sʼen
prendre à toi, quelles que puissent être les conséquences imprévues qui sʼensuivent. Il est
cependant possible que,après que tu as loyalement répondu par lʼaffirmative au meunier qui te
demandait si celui à qui il en voulait était dans ta maison, ce dernier en soit sorti sans quʼon le
remarque et ait ainsi échappé au meunier,et quʼainsi le forfait nʼait pas eu lieu; mais si tu as menti
et dit quʼil nʼétait pas à la maison,et que de fait il soit réellement sorti (encore que tu ne le saches
pas), supposé que le meurtrier le rencontre lors de sa sortie et perpètre son acte,cʼest à bon droit
quʼon peut tʼaccuser dʼêtre à lʼorigine de sa mort. Car si tu avais dit la vérité exactement comme tu
la savais, peut-être le meunier, cherchant son ennemi dans la maison,aurait-il été arrêté par les
voisins accourus et le crime aurait-il été empêché. Celui qui ment,si généreuse puisse être son
intention en mentant,doit répondre des conséquences de son mensonge, même devant les
tribunaux civils, si imprévues quʼelles puissent être [...]. Cʼest donc un commandement de la raison
qui est sacré, absolument impératif,qui ne peut être limité par aucune convenance: en toute
déclaration, il faut être véridique.
Kant
Dʼun prétendu droit de mentir par humanité
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Le mensonge, un mal en soi ? Vérité et véracité
Si les hommes peuvent se tromper, mais ils ne peuvent tromper
(Les textes suivants sont tous de Kant)
Le mensonge, quelles que soient les intentions de celui qui lʼexerce, nʼen demeure pas moins
quelque chose de vil en soi,parce quʼil est mauvais dans sa forme même
Leçons dʼéthique
Que soit vrai tout ce que lʼon dit, tant aux autres quʼà soi-même, cʼest ce quʼil est impossible de
garantir dans tous les cas, parce quʼon peut se tromper; mais que ce soit sincère,cʼest ce que lʼon
peut et doit toujours garantir
Sur lʼinsuccès de toutes les tentatives des philosophes en matière de théodicée
La plus grande transgression du devoir de lʼhomme envers lui-même,considéré uniquement
comme être moral (envers lʼhumanité en sa personne),est le contraire de la véracité: le mensonge
[...]. Par le mensonge extérieur, lʼhomme se rend méprisable aux yeux dʼautrui,mais,par le
mensonge intérieur, ce qui est encore bien pis, il se rend méprisable à ses propres yeux et attente
à la dignité de lʼhumanité en sa propre personne [...].Le mensonge est abandon et pour ainsi dire
négation de la dignité humaine [...]. Comme être moral, lʼhomme [...]est obligé envers lui-même à
la véracité.
Doctrine de la vertu
Même sʼil est tout à fait inoffensif,le mensonge nʼen est pas pour autant innocent. Bien plus,il lèse
gravement le devoir envers soi-même,devoir tout à fait irrémissible, parce que sa transgression
porte atteinte à la dignité humaine dans notre propre personne
Lettre à Maria von Herbert
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Pour approfondir ce sujet
Quelques livres sur le sujet :
- Histoire du mensonge, Jacques Derrida, Herne, 2005
- Le médecin , le malade et le philosophe, Jacqueline Lagrée , Bayard, 2002
- Esquisse dʼune philosophie du mensonge, Jean-françois Kahn , Flammarion, 1989
- Eloge de la fuite, Henri Laborit, Robert Laffont, 1976
- Du mensonge à la violence, essai de politique contemporaine; Hannah Arendt (1969); CalmannLévy; 1972
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