La bonne gouvernance

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La bonne gouvernance
Mamadou SECK
Forum Civil
La Bonne Gouvernance : Enjeux et perspectives pour les acteurs de la
société civile et les médias
La Bonne Gouvernance est un concept nouveau de plus en plus présent dans la terminologie
des institutions internationales et est essentiellement forgé pour rendre compte de la qualité du
management d’un Etat donné. Des déséquilibres et dysfonctionnement relevés dans la marche
des économies de certains pays avaient mené leurs Etats à faire appel aux Institutions de
Bretton Woods pour les aider à assainir leurs cadres macroéconomiques en rétablissant les
grands agrégats.
Les interventions de ces institutions dans le champ économique étaient présentés sous
l’appellation d’ajustements structurels interne ou externe et avaient pour but le redressement
de ces économies.
Plus tard, dans la mouvance du processus de démocratisation, la Bonne Gouvernance devint
un concept très présent dans le cadre des relations bilatérales et multilatérales.
Un bref rappel historique : le discours de la Baule lie l’Aide Publique au Développement à la
capacité d’un Etat de s’ouvrir à la Démocratie. Au bout de quelques années de pratiques dites
« démocratiques », les partenaires bilatéraux et multilatéraux constatent une
instrumentalisation à outrance de la démocratie. Partout en Afrique des conférences nationales
se tiendront, une libéralisation de l’espace politique fut opérée, une ouverture médiatique
également. De même, une société civile sera acceptée, des élections organisées. Cependant, la
même classe politique demeure. C’est ce que Jean François Bayart appellera finement, dans
son ouvrage intitulé «L’Etat en Afrique, la Politique du ventre », la continuité dans le
changement. Partout on parlera de changement cependant, les mêmes pratiques demeurent et
ceci, du fait d’une classe politique, opposition comme pouvoir, qui scelle des accords dans les
coulisses et qui acceptent tacitement les « règles du jeu démocratique » en dévoyant le projet
politique.
Face à ce constat d’échec, l’aide fut désormais conditionnée à la capacité d’un Etat à capter et
à s’approprier un certain nombre de principes dits de Bonne Gouvernance. Chaque institution,
selon son domaine d’intervention, les objectifs qu’il se fixe et son mode de fonctionnement,
donnera un contenu spécifique au concept de Bonne Gouvernance.
La Banque Mondiale définit le concept de Gouvernance comme étant la manière dont le
pouvoir est exercé dans la gestion des ressources économiques et sociales d’un pays.
Le Programme des Nations Unies pour le Développement quant à lui dégagera un certain
nombre de principes indispensables pour une expression totale de la Bonne Gouvernance : la
Transparence, la Participation Citoyenne et l’Accountability (Responsabilité).
Autour de ces principes, nous percevrons indirectement, l’intervention, l’implication d’autres
acteurs indispensables à la vivacité d’une démocratie.
La Transparence et la Responsabilité (comprise comme obligation de rendre compte) sont
intimement liées. En filigrane donc, nous voyons le rôle central que la presse, les médias en
général auront à jouer dans ce cadre. L’accès libre à l’information, son traitement et le relais
de l’information sont des fonctions qui seront dévolues à la presse, entre autres.
De même, la Responsabilité, comprise ici comme l’obligation de rendre compte, ne peut
s’exprimer sans l’entremise de la presse. Il faut cependant noter qu’à l’image d’une
démocratie jeune avec ses difficultés et ses imperfections, les instruments qui l’accompagnent
connaîtront certains travers.
Les professionnels de l’information ont tenté d’établir une typologie de l’information :
- L’information facile : il s’agit de toute l’information quotidiennement traçable :
courriers, lettres, notes d’information, notes de services, etc.
- L’information difficile qui nécessite un traitement complexe, investigation,
collectes de données, traitement de celles – ci, etc.
- L’information sensible qui relève souvent du secret d’Etat avec des conditions
légales contraignante pour le recueil et le traitement de cette information.
Sous ce rapport, quelle est la capacité des médias à saisir le degré de sensibilité d’une
information et à l’aborder spécifiquement, dans un contexte de libéralisation de la presse, de
concurrence et de recherche effrénée du scoop ? Cette problématique constitue un enjeu
majeur, entre autres, car plusieurs observateurs tentent de poser la Responsabilité également
de la presse dans le traitement et le relais de l’information, au sein des Etats africains
présentant une composition disparate sous le rapport du niveau de conscience citoyenne et du
niveau de formation et de compréhension de certains débats de société de la part du Citoyen.
Tout comme la presse, la Société Civile sera partie prenante relativement au contenu donné au
concept de Bonne Gouvernance et ceci par le truchement de la notion de Participation
Citoyenne. Cette notion interpelle directement la société civile.
La Société Civile peut être comprise, trivialement, comme un espace d’actions, hors du
champ de l’Etat, indépendant, cherchant à s’organiser afin de prendre en charge certaines
préoccupations pour un bien être d’un groupe.
Avant tout, dressons une typologie de la société civile par le canal d’une mise en perspective
historique.
Une société civile sociale émergera et se renforcera durant la période pré et post – coloniale.
Durant cette période caractérisée par un début d’exode vers les centres urbains par une
certaine classe rurale, cette dernière s’organisera et les sujets chercheront à se regrouper selon
leurs lieux d’origine. On entendra souvent parler de d’associations de ressortissants de
localités, etc. Cette société civile sociale existera et se renforcera jusqu’au lendemain du
second choque pétrolier vers la fin des années 70. Elle ne prendra en charge que des questions
d’ordre sociale.
A partir de cette période, émergera une société civile qui cherchera à apporter des solutions
face aux problèmes posés par les différents Programmes d’Ajustement Structurels (PAS).
Rappelons que les PAS avaient pour objectifs de réduire le train de vie de l’Etat, de faire que
l’Etat se désengage des secteurs de l’Education et de la Santé, le slogan de ces PAS furent :
« Moins d’Etat, mieux d’Etat ». Ces PAS produiront un certain nombre de résultats
négatifs dont la paupérisation de la population. Dés lors, la réponse apportée par la société
civile sera d’ordre économique, raison pour laquelle on parlera beaucoup d’une société civile
économique durant cette période : multiplication de Groupements d’Intérêts Economiques
(GIE), d’Organisations Non Gouvernementales (ONG), etc.
Plus tard, dans la mouvance du discours de la Baule, on assistera à la naissance d’une société
civile de la gouvernance. Elle vient accompagner le processus de démocratisation, c’est la
société civile de 3ème Génération qui prendra en charge des thématiques transversales,
d’envergure nationale telles que la question de la corruption, du genre, de défense des droits
de l’Hommes, etc. Dans ce cadre, les médias seront des alliés et des collaborateurs immédiats
de cette société civile.
Sous le rapport de la Participation Citoyenne, à bien des égards, l’expérience du Forum Civil
peut être intéressante. Elle fut créée en 1993 et avait pour mission principale de lutter contre
la corruption et de promouvoir la Bonne Gouvernance. Pendant 10 ans d’existence axée
principalement autour du plaidoyer, un nouveau cadre stratégique fut adopté avec une priorité
donnée à la recherche universitaire, scientifique, responsable afin de s’en servir comme levier
de changement au niveau des décideurs. Le Forum Civil s’inscrit dés lors dans une dynamique
de co – production de politiques publiques, dynamique pouvant être lue sous le prisme d’une
participation citoyenne.
Aujourd’hui, la Bonne Gouvernance devient un enjeu de taille. A l’instar du processus de
démocratisation, les dirigeants politiques, en cherchant à donner des gages aux partenaires
financiers bilatéraux et multilatéraux, expriment quelques tendances de manipulations de la
société civile en la faisant jouer le rôle de faire – valoir à travers certaines de leurs initiatives,
sans lui donner de réelles prérogatives. De même, des structures seront montées, ayant pour
vocation de renforcer la Bonne Gouvernance, mais elles seront vidées de contenus adéquats et
d’offres pertinents. Il s’agira plus de manipulations. Ainsi donc, sans beaucoup de retenus,
nous risquons de nous heurter à une instrumentalisation. Nous pouvons prendre l’exemple de
la création d’une Commission Nationale de Lutte contre la Corruption au Sénégal, mise en
place après plusieurs interpellations de la société civile et des bailleurs à l’Etat du Sénégal.
Cependant, cette commission ne peut pas s’autosaisir, elle ne peut non plus, pas saisir
directement la Justice. Après saisine par un citoyen, dans un contexte de très faible
médiatisation pour une meilleure connaissance de son rôle, elle mène ses enquêtes que seul le
Président de la République peut recevoir. A charge à ce dernier de juger l’intérêt, de la
pertinence d’activer les leviers de la Justice. A juste raison, nous pouvons dire que cette
Commission reste une « coquille vide », une institution « tape – à – l’œil » pour les bailleurs.
On assiste dés lors à des tentatives d’instrumentalisation de la notion de Bonne Gouvernance.
Le défi de taille, relativement à la notion de Bonne Gouvernance sera, de la part de tous les
acteurs, la capacité de s’en approprier afin de l’endogénéiser, faire de sorte qu’elle rencontre
leurs préoccupations de tous les jours et ce, sur le terrain de nos réalités sociales, culturelles,
historiques, politiques, etc. car nous demeurons convaincus que la Bonne Gouvernance ne se
décrète pas, elle se vit en permanence, de même, le Nord ne détient pas nécessairement le
monopole des principes de Bonne Gouvernance.