critiques de livres - Revue militaire canadienne
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critiques de livres - Revue militaire canadienne
CRITIQUES DE LIVRES DON’T GIVE UP THE SHIP! THE MYTHS OF THE WAR OF 1812 par Donald R. Hickey, préface de Donald E. Graves Toronto, Robin Brass Studio, 2006 430 pages, 34,95 $ US ISBN 978-0-252-03179-3 Compte rendu de Terry Loveridge D onald Hickey est professeur d’histoire américaine et a occupé plusieurs postes prestigieux, dont celui de professeur au United States Army Command and General Staff College et au Naval War College. Son livre intitulé The War of 1812: A Forgotten Conflict, écrit en 1989, ne s’écarte pas du traitement habituel réservé à ce conflit aux États-Unis. Pourtant, son plus récent ouvrage est publié par une maison d’édition canadienne, qui, ce faisant, prend un risque curieux. Les Américains, engagés de nouveau dans une guerre controversée, n’apprécieront peut-être pas de lire le récit d’une maladresse antérieure et les Canadiens n’aimeront certainement pas voir leurs mythes nationaux égratignés (ou pire, ignorés) par un Américain. Les Américains peuvent se permettre de passer l’éponge sur la guerre de 1812 (après tout, ils ont Gettysburg et Iwo Jima), mais les Canadiens ont besoin de s’en souvenir. Elle est la seule qui fait l’unanimité parmi les combattants des deux parties. Toutes les autres guerres viennent remuer le fer dans les plaies causées par les disputes entourant, par exemple, les nations fondatrices, l’affaire Louis Riel, la conscription, l’internement, la responsabilité limitée, l’impérialisme et l’offensive de bombardement alliée. Plus du tiers des valeureux dont les statues et les bustes ont été dévoilés récemment à Ottawa sont honorés pour les actions qu’ils ont menées contre les États-Unis. Il y a un peu plus de un an, des parents ontariens présentaient une pétition demandant que la guerre de 1812 soit enseignée en tant que victoire décisive du Canada et, il y a quelques mois seulement, une publicité faisant la promotion d’un nouveau livre racontait comment les troupes canadiennes avaient réduit en cendres la Maison-Blanche. Dans de telles conditions, comment un Américain peut-il même penser à aborder la guerre favorite des Canadiens? Pour ceux que les ouvrages américains de Donald Hickey pourraient inquiéter, sachez que le Canadien Donald Graves, fier descendant de loyalistes, signe l’imposante préface de cet ouvrage. M. Graves nous rappelle que le bicentenaire de cette guerre approche et que, pour l’occasion, un nombre incalculable de livres tentant de capitaliser sur cet événement, qui est le moins bien compris de l’histoire du Canada et des États-Unis, paraîtront inévitablement. Le problème, c’est que bon nombre de ces livres reposeront sur des mythes acceptés et acceptables. Selon Donald Graves, l’ouvrage de Hickey évitera au lecteur de confondre patrimoine et histoire. été 2007 ● Revue militaire canadienne Donald Hickey connaît son auditoire, et son livre est suffisamment bien documenté pour plaire tant au lecteur avisé qu’à l’universitaire exigeant. Il regorge de surprises pour tout Canadien ou Américain connaissant un tant soit peu l’histoire de cette guerre. L’ouvrage contient également de nombreuses cartes et une excellente chronologie de la guerre, qui poussera les lecteurs les plus enthousiastes à chercher à en savoir davantage sur des événements obscurs, mais apparemment importants, tels que l’accord d’Erskine. Malgré ce souci du détail évident, M. Hickey n’oublie jamais qu’il rédige un récit populaire. Son écriture demeure intelligente, claire et accrocheuse tout au long de l’ouvrage. Par contre, les néophytes risquent de se sentir un peu désorientés, car la narration n’est pas toujours chronologique. Donald Hickey commence bel et bien avec le début de la guerre et termine avec ses retombées. Toutefois, étant donné qu’il traite des mythes, il doit prendre de nombreux détours. Par exemple, les détails de la bataille de Châteauguay n’apparaissent pas dans la section des campagnes et des batailles mais dans les derniers passages traitant du leadership et des soldats. De plus, l’examen de l’approche de la guerre dévie rapidement vers l’analyse de la réputation de Thomas Jefferson, révéré par les Américains pour avoir donné forme à leurs rêves les plus nobles et adoré des Canadiens pour sa citation affirmant que la conquête du Canada ne serait qu’une simple promenade. À ce point de l’ouvrage, si le lecteur canadien sent qu’il s’agit d’une perspective américaine de la guerre, il doit poursuivre sa lecture, car l’auteur lèvera le voile sur le contexte géopolitique américain et britannique remarquablement alambiqué avant l’entrée en scène théâtrale de Laura Secord. Ce faisant, il expose l’un des plus grands mythes de l’histoire du Canada, à savoir que la guerre de 1812 était en fait une guerre entre l’Empire britannique et les États-Unis. Le mot Canada n’apparaît pas avant la page 36, et le pays ne joue un rôle actif qu’à partir de la page 48. Les chapitres suivants portent sur les principales campagnes terrestres, la guerre maritime, les soldats, les marins, les civils et les rouages de la guerre. Chaque chapitre présente un aperçu des hypothèses populaires, des légendes et des mythes ainsi qu’un ensemble de questions sur ceux-ci. Ces questions étant également incluses dans la table des matières, le lecteur peut choisir de lire seulement ce qui l’intéresse, ce qui ajoute au charme de cet ouvrage. Il est possible (voire préférable) d’aborder ce livre comme un repas six services où chacun des services complète le précédent, mais aussi comme un buffet dans lequel le lecteur peut piger ce qui lui semble le plus intéressant. Le lecteur peut donc aller directement aux questions d’ordre stratégique (l’occupation britannique du Maine), opérationnel (à quel point telle ou telle bataille a-t-elle été décisive?) et tactique (pourquoi Hull a-t-il capitulé à Détroit?); il peut également s’attarder sur des questions de nature personnelle (Brock avait-il une fiancée?), mythique 97 CRITIQUES DE LIVRES (les Britanniques ont-ils dîné à la Maison-Blanche?) et classique (qui a remporté la bataille de Lundy’s Lane?). Ces questions traditionnelles ou habituelles, comme celles portant sur le Shannon et le Chesapeake ou sur la course aux armements navals dans les Grands Lacs, sont contrebalancées par des questions plus profondes et plus recherchées, qui concernent par exemple le rôle capital joué par les corsaires de la Nouvelle-Écosse et l’importance fondamentale du blocus mis en place par la Marine royale. Les chapitres consacrés aux soldats, aux marins et aux civils ainsi qu’aux rouages de la guerre sont extrêmement captivants, car ils traitent des événements les plus déformés par les croyances populaires. M. Hickey met en vedette les dirigeants (les meilleurs comme les pires) et les différents combattants (des Canadiens membres de la force régulière, des miliciens, des marins, des Autochtones, des soldats de race noire et enfin des femmes, dont Laura Secord, Américaine de souche), sans oublier les héros méconnus (par exemple, les lieutenants John Gamble et Miller Worsley) et les personnages les plus détestés (comme l’amiral Cockburn aux États-Unis et Joseph Willcocks au Canada). C’est dans ces chapitres que se trouvent les éléments peu connus qui ont influé sur les tactiques, l’artillerie, les lancements de roquettes, les tirs de fusils, la logistique, les forts, les déserteurs, le renseignement et la loi martiale. Par exemple, il est presque triste de découvrir que, dépouillé de son enveloppe mythologique et romantique, le destin de Tecumseh s’est ainsi soldé à cause de la vulnérabilité de l’équipement militaire dans ce milieu sauvage et non à cause de la nature désespérée de la bataille. une fois la guerre finie, comme on le croit à tort. Le livre de Donald Hickey s’achève comme il a débuté : par des tractations politiques anglo-américaines. L’interminable processus menant à la signature d’un traité de paix permet à M. Hickey de consacrer les gagnants et les perdants de « la guerre » et de « la paix », une catégorisation sur laquelle s’appuie sa conclusion. Dans une longue récapitulation, il aborde la question des victimes de tous bords (10 000 du côté canado-britannique, 15 000 du côté américain et 10 000 du côté autochtone) et livre un essai inspirant sur l’héritage de la guerre. Le Canada semble bien s’en tirer : la guerre assure un avenir indépendant à l’Amérique du Nord britannique. Toutefois, elle comporte aussi un côté sombre, car elle génère un cocktail de loyalisme démesuré, de ferveur anti-immigration, de peur de la démocratie et, rapidement, de rébellion ouverte. Alors, l’éditeur a-t-il bien fait de prendre le risque de publier ce livre? Un Américain peut-il explorer l’un des piliers centraux de la mythologie canadienne? Ce livre incitera-t-il les lecteurs à pousser plus loin leurs recherches? À ces trois questions je réponds oui sans hésitation. Soit dit en passant, c’est le capitaine américain du Chesapeake qui a prononcé la phrase immortelle « Don’t give up the ship » (N’abandonnez pas le navire) juste avant la capture de son vaisseau, qui a ensuite été halé jusqu’à Halifax. Pour les Canadiens, l’histoire de la guerre de 1812 se termine peu de temps après la bataille de Lundy’s Lane. Par contre, pour les Américains, elle dure un an de plus, jusqu’à la bataille de la Nouvelle-Orléans, qui ne s’est pas déroulée Le lieutenant-colonel Terry Loveridge, officier d’infanterie, enseigne l’histoire au Collège militaire royal du Canada et est actuellement officier supérieur d’état-major à la Direction de la gestion de l’apprentissage, à l’Académie canadienne de la Défense. WE LEAD, OTHERS FOLLOW: FIRST CANADIAN DIVISION 1914-1918 lequel était consigné pour l’éternité le nom de ceux qui avaient servi dans les rangs de l’unité, même pendant une courte période. Cependant, avec le temps, l’écriture de telles histoires tombe généralement en disgrâce, tout comme l’écriture de l’histoire militaire. Pourtant, au cours de la dernière décennie, un certain nombre de récits, publiés et non publiés, ont décrit le fonctionnement interne et les réalisations sur le terrain d’une unité en particulier. Le livre récent de Kenneth Radley au sujet de la 1 re Division du corps d’armée canadien, l’armée canadienne en France, peut désormais être ajouté à cette liste croissante. Il est également important de signaler qu’il s’agit du premier livre publié, dédié entièrement à une division canadienne ayant participé à la Grande Guerre. par Kenneth Radley St. Catharines, Vanwell Publishing, 2006 192 pages (livre relié), 49,95 $ Reviewed by Craig Mantle la fin de la Première Guerre mondiale, les anciens combattants, les proches et les notables de la communauté ont fait leur part pour que l’on se souvienne des récents sacrifices des leurs en publiant une multitude d’histoires régimentaires. Rarement critiques ou inquisiteurs, ces documents « officiels » contenaient l’information essentielle sur l’histoire d’une unité – traits de caractère, décorations, mouvements et victoires. Souvent, ils présentaient un « tableau d’honneur » dans À 98 En se basant sur de nombreuses sources, issues d’archives et de publications, Kenneth Radley explique de façon convaincante que la transformation progressive de la Revue militaire canadienne ● été 2007