UWAGI DO P 2/03

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UWAGI DO P 2/03
Arrêt du 5 mai 2004, P 2/03
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INTERDICTION DE COMMENTER
LA RECTIFICATION DE PRESSE
Type de procédure :
question préjudicielle
Initiateur :
Corps statuant :
Opinions dissidentes :
5 juges
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Tribunal de district de Łódź-Śródmieście
Objet du contrôle
Interdiction de commenter une rectification
dans le même numéro de journal ou de magazine
ou bien dans la même émission – sous menace
d’une peine
[Loi du 26 janvier 1984 droit de la presse : art. 32 al. 6
et art. 46 al. 1]
Repère du contrôle
Principe de l'Etat de droit
Réserve de loi (exigence de la base légale)
sur la restriction des droits et libertés
Principe de proportionnalité
Exigence de la définition légale de l’acte interdit
Liberté d’expression
[Constitution : art. 2, art. 31 al. 3, art. 42. al. 1, art. 54 al. 1 ;
Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme
et des Libertés fondamentales : art.10 ;
Pacte international relatif aux droits civils et politiques : art. 19]
Le droit de la presse en vigueur depuis 1984 impose aux rédacteurs en chef certaines obligations
envers les tierces personnes assorties de sanctions pénales et civiles. Fait partie de ces obligations, en
particulier, la publication gratis, dans les délais et sous le mode définis, des « rectifications » et « réponses » envoyées par les personnes intéressées. Selon la loi, la « rectification » devrait être objective et
se rapporter aux faits et son objet peut être « une information fausse ou imprécise ». Quant à la « la réponse », elle devrait être objective et son objet peut être « une opinion menaçant les biens personnels ». La
loi ne stipule pas les critères de différenciation des deux genres de déclarations en cas de situations
douteuses. Pour autant, cette différenciation a des conséquences pratiques essentielles sur le fond de l'art.
32 al. 6 qui stipule que le texte de la rectification publié ne peut être commenté dans le même numéro de
journal ou lors de la même émission (il est juste permis d'insérer l'annonce des futures clarifications ou de
la polémique) tandis qu'il n'y a pas de restriction similaire dans le cas de la réponse. Cette différenciation a
aussi une portée du point de vue du droit pénal ; aux termes de l'art. 46 al. 1 du droit de la presse, la nonpublication ou la publication non conforme à la loi d'une rectification ou d'une réponse – et donc en
particulier la publication d'une rectification envoyée associée d'un commentaire de la rédaction ou de
l'auteur de la opinion rectifiée – peut être punie d'une amende pécuniaire et d'une restriction de la liberté.
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Devant le Tribunal de district de Łódź-Śródmieście (Centre ville) s'est déroulée une procédure
pénale à l'encontre d’une rédactrice en chef d'un certain journal local accusée de violations de l'art. 46 al. 1
du droit de la presse, au nombre desquelles la publication de rectifications assorties de commentaires. Le
Tribunal de district a décidé de présenter devant le Tribunal constitutionnel une question préjudicielle
relative à la conformité de la réglementation légale sus-mentionnée aux dispositions légales de niveau
supérieur instituant le principe de l'Etat de droit (art. 2 de la Constitution de la RP), l'exigence de la
proportionnalité et de la réserve de loi (i.e. exigence de la base légale) en vue de restreindre les droits et
les libertés constitutionnels (art. 31 al. 3 de la Constitution), les garanties de la liberté d’expression (art. 54
al. 1 de la Constitution, art. 10 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des
Libertés fondamentales, art. 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques) ainsi que
l'exigence de la définition légale de l’acte interdit sous menace d’une peine (art. 42 al. 1 de la
Constitution).
DÉCISION DU TRIBUNAL
1. L'art. 32 al. 6 du droit de la presse, en ce qu'il interdit de commenter le texte de la
rectification dans le même numéro ou la même émission est conforme à :
- l'art. 31 al. 3 en rapport avec l'art. 54 al. 1 de la Constitution,
- l'art. 10 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés
fondamentales,
- l'art. 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
2. L'art. 46 al. 1 en rapport avec l'art. 32 al. 6 du droit de la presse, en ce qu’il interdit
sous menace d’une peine de commenter le texte de rectification dans le même numéro ou la
même émission, sans définir les notions de « rectification » ni de « réponse », n'est pas
conforme aux art. 2 et 42 al. 1 de la Constitution dans la mesure où il ne respecte pas
l’exigence de la précision requise de la définition des éléments constitutifs de l’acte passible
d’une peine.
THESES PRINCIPALES DE LA MOTIVATION
1. Faire dépendre admissibilité de la restriction des droits et des libertés de leur institution
« exclusive par la loi » (réserve de loi ; art. 31 al. 3 de la Constitution) est de nature
supérieure au simple rappel du principe de la réserve de loi en vue de régir la situation
juridique des individus qui constitue un élément classique de la conception de l'Etat de droit.
C'est également la formulation de l'exigence de la précision adéquate de la réglementation
légale. Derrière cette formulation que les restrictions des droits et des libertés
constitutionnels peuvent être instituées « exclusivement » par la loi se cache l'obligation de
restreindre complètement un droit ou une liberté donnée de sorte que, dès l'interprétation de
la disposition de la loi, il soit possible d'indiquer le contour complet de ladite restriction.
2. Trois libertés individuelles sont réglées à l'art. 54 al. 1 de la Constitution : l'expression
d'opinion, recevoir des informations et propager des informations. La notion « d'opinion »
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doit être ici interprétée dans son sens le plus large, à savoir qu'elle recouvre les appréciations
personnelles des faits et des phénomènes de toutes les facettes de la vie, les avis, les
supputations et pronostics, aussi bien que l'information relative à des faits réels ou présumés.
3. Le cadre des restrictions recevables de la liberté d'expression défini à l'art. 10 de la
Convention européenne couvrant la liberté de posséder des opinions ainsi que de recevoir et
communiquer des informations et des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités
publiques et sans considération de frontière, a été similairement fixé à celui qui est formulé à
l'art. 31 al. 3 de la Constitution. Néanmoins, à la lumière de l'art. 19 al. 3 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, l'exercice du droit à la liberté d’expression
peut être soumis à des restrictions allant plus loin puisque ladite disposition du Pacte ne
dispose pas d'avertissement similaire à celui contenu dans l'art. 31 al. 3 de la Constitution qui
stipule que les restrictions se doivent d'être « nécessaires dans un Etat démocratique ».
4. Il est possible, en Europe, de distinguer deux modèles de rectification de presse : le français,
appelé « polémique », et l'allemand, dit « fixateur ». Dans le modèle français, la simple
mention dans la presse donne à l'intéressé le droit à l'exercice du droit de réponse, lui offrant
la possibilité de polémiquer aussi bien sur les faits que sur leur appréciation contenue dans la
publication rectifiée ; la réponse peut servir de préliminaire à une continuation de l'échange
d'opinions. Pendant que dans le système allemand, seule la publication de la rectification
(Gegendarstellung) est obligatoire, laquelle ne peut se rapporter qu'aux faits ; la conséquence
de cette restriction en est une limitation stricte d'une éventuelle adjonction de commentaires
à la rectification. Le droit de la presse polonais a introduit un modèle mixte réglant deux
institutions différentes : la rectification et la réponse (cf. art. 31 du droit de la presse).
5. A la lumière de l'art. 32 al. 6 du droit de la presse, l'interdiction de publier un commentaire à
la rectification n'a pas de caractère absolu puisque le commentaire est autorisé dans le
numéro ou l'émission suivante. L'interdiction de commenter la rectification concomitamment
à la publication de ladite rectification est nécessaire à la sauvegarde de la liberté d'expression
de la personne dont émane la rectification. L'auteur du texte auquel se rapporte la
rectification peut la commenter avec la seule restriction de différer dans le temps l'exercice
de cette possibilité. S'il était autorisé d'assortir la rectification, dont le contenu est soumis à
des restrictions légales (i.e. exigence d'objectivité et de se rapporter exclusivement aux faits)
d'un commentaire de la rectification, il conviendrait alors d'instituer des restrictions
analogues quant au commentaire. Ce, alors que le droit de la presse, actuellement en vigueur,
permet une grande liberté de contenu du commentaire, lequel peut également comporter des
opinions appréciantes. La réglementation examinée permet de conserver l'équilibre des
forces entre le média et la personne dont émane la rectification, laquelle a habituellement de
moindres possibilités de s'exprimer publiquement sur un sujet donné ; et, elle ne viole pas les
dispositions mentionnées, en tant que repères du contrôle, au point 1 de la présente décision.
6. Relativement à la réglementation sus-mentionnée, il est également impossible de parler de
violation du droit de la société à une information objective. Conformément au contenu de la
disposition attaquée, il est possible d'insérer auprès du texte de la rectification une
information annonçant la polémique ou la clarification dans le numéro suivant du magazine
ou de la prochaine émission. Le public intéressé par la suite du débat sur un sujet donné a
une garantie de l'information quant à savoir s'il aura lieu ou non. Ce genre d'information
protège également le public face au risque de la supposition selon laquelle les informations
contenues dans la rectification sont objectivement avérées.
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7. L'obligation, adressée au législateur, de respecter les principes de la propre législation,
découle du principe de l'Etat de droit exprimé à l'art. 2 de la Constitution. Celle obligation est
mécaniquement liée au principe de la certitude et de la sécurité juridique ainsi qu'à la
sauvegarde de la confiance envers l'Etat et dans le Droit. Ces principes sont une portée
particulièrement significative dans le domaine des libertés et des droits de l'homme et du
citoyen.
8. Une interdiction ou une obligation assorties d'une sanction pénale doivent être formulées
avec précision et concision (principe nullum delictum sine lege certa). L'art. 42 al. 1 de la
Constitution institue l'exigence de définition des actes interdits et de leur typologie. En
parlant d' « acte interdit », le législateur a à l'esprit un comportement concret (concrétisé)
qu'il est possible d'assigner à un individu ; en conséquence de quoi, sa définition précise
(spécification) est nécessaire.
9. Le principe de définition contenu dans l'art. 42 al. 1 de la Constitution détermine les limites
de recevabilité de la création des normes de droit pénal de caractère « en blanc ». La
réglementation de droit pénal peut être renvoyante mais, néanmoins, l'imprécision d'un
élément quelconque de cette réglementation, permettant une liberté dans son application, est
inadmissible.
10. Il n'existe pas, dans le droit de la presse, de conditions formelles (p. ex. relative au titre) ou
matérielles (relatives au fond) qui permettraient de déterminer sans équivoque si une opinion
adressée à une rédaction est une rectification ou une réponse. Les destinataires potentiels,
avant tout les rédacteurs en chef de journaux, peuvent avoir, et ont en pratique, des
problèmes sérieux pour déterminer sans équivoque quelles situations de fait sont couvertes
par les règles relatives à l'insertion des commentaires. La Cour suprême est d'avis que c'est
l'expéditeur du texte à la rédaction qui décide de ce le texte adressé doit être inséré en tant
que réponse ou bien comme rectification ; selon la Cour suprême, le changement arbitraire
de forme, par la publication au titre de « réponse » d'un texte qui aurait été envoyé en tant
que « rectification », lié à l'adjonction d'un commentaire à un tel texte, épuise les éléments
constitutifs du délit fixées à l'art 46 al. 1 du droit de la presse (renvoyant, entre autres, à l'art.
32 al. 6). Prenant en considération qu'au sens de l'art. 46 al. 1, il est également délictueux de
se dérober, malgré l'obligation découlant de la loi, devant la publication d'une rectification ou
d'une réponse, il convient de s'attendre à ce que tout cas de définition incorrecte, de la part de
l'auteur, d'une réponse adressée à la rédaction sous l'appellation de « rectification » puisse, à
cause de la crainte de la responsabilité pénale, limiter de facto l'exercice par les rédacteurs en
chef du droit d'insérer dans le même numéro de magazine ou la même émission un
commentaire du texte qui, dans l'essence (au sens matériel), est une réponse et non une
rectification. Etant donné l'impossibilité de reconstituer sans équivoque le contenu de la règle
pénale dans le domaine présentement commenté, il survient une non-conformité de la
réglementation en cause aux principes de la propre législation et de la définition découlant
des art. 2 et 42 al. 1 de la Constitution.
11. La conséquence de la constatation de la non-constitutionnalité dans le champ d'application
indiqué au point 2 de la présente décision en est la suppression de la sanction pénale
(dépénalisation) de l'interdiction, laquelle est en vigueur en vertu de l'art. 32 al. 6 du droit de
la presse, de commenter une rectification dans le même numéro ou dans la même émission.
Les éléments restants de la réglementation de droit pénal, contenus dans l'art. 46 al. 1, restent
en vigueur.
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12. Indépendamment de la responsabilité civile prévue à l'art. 38 al. 1, l'interdiction exprimée à
l'art. 32 al. 6 du droit de la presse doit être adéquatement assortie d'une sanction efficace.
Celle-ci doit prendre en considération le principe de proportionnalité et poser, d’une part, la
sauvegarde des intérêts des personnes lésées par une publication de presse et, d'autre part, les
valeurs liées à la liberté d'expression. La sanction pénale ne sera dès lors
constitutionnellement recevable que si les éléments constitutifs de l'acte passible d’une peine
sont, conformément aux exigences de l'art. 42 al. 1 de la Constitution, précisément définies.
13. Il est de la compétence du législateur de décider de l’utilité du maintien futur de la
distinction entre la rectification et la réponse. Sur cet aspect, les résolutions du droit polonais
diffèrent assez nettement des modèles admis sur le fond des autres législations européennes.
14. Exigée à l'art. 193 de la Constitution, la dépendance de la solution de l'affaire en instance
devant une juridiction, à la réponse du Tribunal constitutionnel à une question juridique
(préjudicielle) adressée par ladite juridiction, n'est pas aussi ferme que l'exigence analogue,
définie à l'art. 79 al. 1 de la Constitution, relative à une plainte constitutionnelle. Autant la
seconde disposition exige l'indication, dans la plainte constitutionnelle, de l'acte normatif
« sur la base duquel » il a été définitivement statué sur les libertés, les droits ou les
obligations constitutionnelles, autant la juridiction peut indiquer, comme l'objet de ses
doutes, toute disposition dont l’utilisation est considérée par ladite juridiction lors de
l'interprétation et de l'application du droit.
Les dispositions de la Constitution, de la Convention (européenne) de sauvegarde des Droits de l’Homme
et des Libertés fondamentales et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
Constitution
Art. 2. La République de Pologne est un Etat démocratique de droit mettant en oeuvre les principes de la justice sociale.
Art. 31. […] 3. L'exercice des libertés et des droits constitutionnels ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la
loi lorsqu'elles sont nécessaires, dans un Etat démocratique, à la sécurité ou à l'ordre public, à la protection de l'environnement,
de la santé et de la moralité publiques ou des libertés et des droits d'autrui. Ces restrictions ne peuvent porter atteinte à l'essence
des libertés et des droits.
Art. 42. 1. Seul encourt la responsabilité pénale celui qui a commis un acte interdit sous menace d'une peine prévue par une loi
en vigueur au moment de la commission de l'acte. Cette règle n'empêche pas de réprimer un acte qui, au moment où il a été
commis, constituait une infraction selon le droit international.
Art. 54. 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression et à la liberté de recevoir et de propager des informations.
Art. 79. 1. Toute personne dont les libertés ou les droits ont été violés, a le droit, conformément aux principes définis par la loi, de
porter plainte devant le Tribunal constitutionnel en matière de conformité à la Constitution de la loi ou d'un autre acte normatif en
vertu duquel l'autorité judiciaire ou l'autorité de l'administration publique se sont définitivement prononcées sur les libertés ou les
droits de cette personne ou sur ses devoirs définis par la Constitution.
Art. 193. Toute juridiction peut adresser au Tribunal constitutionnel une question juridique portant sur la conformité de l'acte
normatif à la Constitution, aux traités ratifiés ou à une loi, lorsque de la réponse à cette question dépend la solution de l'affaire en
instance.
Convention européenne
Art. 10. 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de
communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de
frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à
un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions,
restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la
sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la
protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation
d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.
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Pacte international
Art. 19. 1. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions.
2. Toute personne a droit à la liberté d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des
informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique,
ou par tout autre moyen de son choix.
3. L'exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités
spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et
qui sont nécessaires:
a) au respect des droits ou de la réputation d'autrui;
b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.
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