Bail commercial et loyer : la consécra tion judiciaire de la validité

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Bail commercial et loyer : la consécra tion judiciaire de la validité
CONSEIL BIENS
BAIL COMMERCIAL
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Bail commercial et loyer : la
consécration judiciaire de la validité
des clauses d’indexation ayant
recours à un indice de base fixe
Conseil par
SÉBASTIEN LEGRIX DE LA SALLE
avocat, département Droit Immobilier
DS Avocats
www.dsavocats.com
Ce Conseil revient sur la consécration judiciaire de la validité des clauses d’indexation ayant
recours à un indice de base fixe.
INTRODUCTION La forte hausse de l’indice du coût de la construc-
tion constatée ces dernières années a entraîné la multiplication des
actions judiciaires des locataires en vue d’obtenir l’annulation des
clauses d’indexation ayant recours audit indice. L’un des arguments
avancé est l’illégalité des clauses d’indexation ayant recours à un
indice de base fixe, sur le fondement de l’article L. 112-1 du Code
monétaire et financier. Après plusieurs décisions de première instance
contradictoires, la cour d’appel de Paris vient dans une série d’arrêts
de clarifier la situation.
1. La validité des clauses d’indexation
en matière de baux commerciaux
En vertu des articles L. 145-37 et L. 145-38 du Code de commerce qui
sont d’ordre public, le bailleur ou le locataire peut demander tous les
trois ans la révision du loyer d’un bail commercial.
Dans un tel cas, à moins que ne soit rapportée la preuve d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné
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auquel cas le loyer est fixé à la valeur locative, la majoration ou la
diminution dudit loyer ne peut excéder la variation de l’indice retenu
par les parties (indice du coût de la construction « ICC », indice des
loyers commerciaux « ILC » ou indice des loyers des activités tertiaires
« ILAT »).
Toutefois, en plus de la révision triennale, les bailleurs ont pris l’habitude de prévoir dans les baux commerciaux une indexation annuelle
du loyer sur la base de l’indice ICC, ILC, ou ILAT ; on parle alors de
clause d’indexation ou de clause d’échelle mobile.
LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 35 - 30 AOÛT 2012
L’article L. 145-39 du Code de commerce, en instituant une faculté de
révision spéciale du loyer pour le cas où le bail commercial est assorti
d’une clause d’indexation, consacre la validité de principe des clauses
d’indexation.
Toutefois, pour être valable, la clause d’indexation doit répondre
aux conditions générales de l’article L. 112-1 du Code monétaire et
financier.
2. La remise en cause judiciaire des
clauses d’indexation ayant un indice de
base fixe
La validité des clauses d’indexation est encadrée par l’article L. 112-1
du Code monétaire et financier qui prévoit que :
« Sous réserve des dispositions du premier alinéa de l’article L. 112-2 et
des articles L. 112-3, L. 112-3-1 et L. 112-4, l’indexation automatique
des prix de biens ou de services est interdite.
Est réputée non écrite toute clause d’un contrat à exécution successive,
et notamment des baux et locations de toute nature, prévoyant la prise
en compte d’une période de variation de l’indice supérieure à la durée
s’écoulant entre chaque révision.
Est interdite toute clause d’une convention portant sur un local d’habitation prévoyant une indexation fondée sur l’indice “loyers et charges”
servant à la détermination des indices généraux des prix de détail. Il en
est de même de toute clause prévoyant une indexation fondée sur le taux
des majorations légales fixées en application de la loi n° 48-1360 du 1er
septembre 1948, à moins que le montant initial n’ait lui-même été fixé
conformément aux dispositions de ladite loi et des textes pris pour son
application ».
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ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES
Le principe des clauses d’indexation ayant recours à un indice de base
fixe est de se référer à un indice de base immuable, seul l’indice d’indexation changeant en fonction de l’année concernée.
En d’autres termes, en présence de clauses ayant recours à un indice
de base fixe, l’indexation se fait comme suit :
- Année 1 : Indice de base 3e trim. 2010 et indice d’indexation 3e trim.
2011
- Année 2 : Indice de base 3èe trim. 2010 et indice d’indexation 3e trim.
2012
- Année 3 : Indice de base 3e trim. 2010 et indice d’indexation 3e trim.
2013
- Année 4 : Indice de base 3e trim. 2010 et indice d’indexation 3e trim.
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- etc.
Or, par deux jugements des 5 janvier et 27 mai 2010 (TGI Paris, 18e ch.,
5 janv. 2010, n° 08/13645 ; TGI Paris, 27 mai 2010, n° 09/09345), le
tribunal de grande instance de Paris a réputé non écrites des clauses
d’indexation ayant recours à un indice fixe en considérant qu’elles
avaient pour effet que la variation de l’indice soit appréciée la première année sur un an, la seconde sur deux ans, etc, et ce, en violation
du second alinéa de l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier
qui prévoit qu’: « Est réputée non écrite toute clause d’un contrat à exécution successive, et notamment des baux et locations de toute nature,
prévoyant la prise en compte d’une période de variation de l’indice supérieure à la durée s’écoulant entre chaque révision ».
Ces jugements, qui font une application stricte de l’article L. 1121 du Code monétaire et financier, ont donné lieu à de nombreuses
critiques de la part d’une partie de la doctrine compte tenu du fait
que le résultat arithmétique de l’indexation est identique selon que
l’on prenne ou pas un indice de base fixe (J.-D. Barbier, Nullité d’une
clause d’indexation comportant un indice de base fixe : Gaz. Pal. 12-13
mars 2012, p. 35).
Bien que controversées, ces décisions du tribunal de grande instance
de Paris ont permis aux locataires de contester la validité de l’indexation des loyers appliquée par les bailleurs.
Ceci d’autant plus que le délai de prescription applicable en la matière
est favorable aux locataires.
En effet, l’action en contestation d’une clause d’indexation ayant recours à un indice de base fixe étant fondée sur le Code monétaire et
financier et non sur une disposition du statut des baux commerciaux,
elle n’est pas soumise au délai de prescription biennale prévue par
l’article L. 145-60 du Code de commerce, applicable seulement dans
la seconde hypothèse.
Il est établi que la prescription ne joue pas à l’encontre d’une clause
réputée non écrite (S. Gaudemet, La clause réputée non écrite : Économica, n° 231, 122) et que le locataire peut à tout moment en contester
judiciairement la validité.
En revanche, en vertu du délai de prescription de droit commun
prévu à l’article 2224 du Code civil, le locataire ne peut se faire rembourser que les sommes indûment perçues par le bailleur au cours
des cinq dernières années.
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3. La récente validation des clauses par
la cour d’appel de Paris
Les critiques d’une partie de la doctrine sur la sévérité de la position
adoptée par le tribunal de grande instance en 2010 ont semble-t-il
porté leurs fruits puisque ce même tribunal, puis la cour d’appel de
Paris, ont finalement validé le principe des clauses d’indexation ayant
recours à un indice de base fixe.
Par trois jugements des 13 janvier, 8 novembre et 1er décembre 2011
(TGI Paris, 18e ch., 13 janv. 2011, n° 09/11087 ; TGI Paris, 18e ch., 8 nov.
2011, n° 09/03794 ; TGI Paris, 18e ch., 1er déc. 2011, n° 10/09206), le
tribunal de grande instance de Paris a procédé à un revirement de
jurisprudence et jugé qu’une clause comportant un indice de base
fixe était valable dès lors que son application n’a pas pour « (…) effet
de faire subir au loyer une variation de l’indice supérieure à la durée
s’écoulant entre chaque révision » (TGI Paris, 18e ch., 13 janv. 2011,
n° 09/11087).
Surtout, les jugements des 5 janvier et 27 mai 2010 ayant fait l’objet
d’un appel, la cour d’appel a été amenée à se prononcer sur les faits
de l’espèce.
Or, par deux arrêts du 4 avril 2012 (CA Paris, 4 avr. 2012, pôle 5, ch. 3,
n° 10/23391 et n° 10/13623), elle a considéré que les clauses d’indexation ayant un indice de base fixe étaient valables en l’absence d’une
distorsion entre la variation indiciaire et la durée s’écoulant entre
deux révisions.
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mé le jugement de premier instance du 5 janvier 2010 et reconnu la
validité de la clause d’indexation.
En revanche, la situation est différente dans l’hypothèse où en cours
de bail, il est procédé à une modification judiciaire ou amiable du
loyer toute en conservant l’indice de base du bail initial.
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฀ ฀ ฀ tembre 2000, les parties avaient intégré des surfaces supplémentaires
dans le bail contre une modification du loyer et en stipulant une révision de ce dernier le 1er mars 2003 sur la base de l’indice fixe du bail
initial (4e trimestre 1997).
La cour d’appel de Paris a retenu à bon droit qu’il y avait une distorsion entre la variation indiciaire et la durée s’écoulant entre deux
révisions et, en conséquence, a confirmé le jugement du 27 mai 2010
qui a réputé non écrite la clause d’indexation et condamné le bailleur
à rembourser au locataire les sommes indument perçues à ce titre.
Pour éviter une telle issue, il aurait convenu dans cette affaire de modifier dans l’avenant l’indice de base fixe et d’opter pour le dernier
indice publié à la date de prise d’effet dudit avenant.
Dans un arrêt du 11 avril 2012 (CA Paris, Pôle 5, ch. 3, 11 avr. 2012,
n° 2009/24676), la cour d’appel confirme ce qui précède de façon on
ne peut plus claire :
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monétaire et financier) d’ordre public n’interdit pas la prise en
considération d’un indice de base fixe ; qu’il prohibe l’organisation
contractuelle d’une distorsion entre la période de variation de l’indice
et la durée s’écoulant entre deux révisions quand la première est supérieure à la seconde ».
LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 35 - 30 AOÛT 2012
ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES
4. - Notre conseil en matière de rédaction de clauses d’indexation
Si l’incertitude née des décisions rendues courant 2010 en matière de
clause d’indexation semble s’estomper, il n’en reste pas moins préférable dans le cadre d’un bail d’éviter de recourir à un indice de base
fixe et de retenir une rédaction similaire à la suivante :
« Les parties conviennent expressément que le loyer sera indexé de
plein droit et sans formalité ni notification préalable, chaque année,
à la date anniversaire de la prise d’effet du bail, sur la base de l’indice
[ICC, ILC ou ILAT] publié trimestriellement par l’INSEE.
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Pour la première indexation, l’indice de base sera celui du dernier indice publié à la date de prise d’effet du bail et l’indice de comparaison
celui du même trimestre de l’année suivante.
Pour les indexations suivantes, l’indice de base sera le précédent
indice de comparaison et l’indice de comparaison, le dernier indice
publié au jour de l’indexation concernée ».
Par ailleurs, en cas de modification amiable ou judicaire du loyer en
cours de bail, il conviendra d’être particulièrement attentif à la rédaction de la clause d’indexation pour éviter d’enfreindre l’alinéa 2 de
l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier.
PANORAMA
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BAIL COMMERCIAL - Prescription
- Action en fixation du loyer du bail
renouvelé - Offre de renouvellement
du bail par le bailleur en cas de rejet de
sa demande principale en dénégation
du statut - Demande introduite dans le
délai de 2 ans à compter de la date de
renouvellement du bail (non) - Prescription (oui)
Des locaux à usage commercial dépendant
d’un bâtiment 33 situé dans un parc d’activités ont été donnés à bail pour 9 années à
compter du 1er janvier 1998. La société locataire a demandé le renouvellement du bail
qui a été accepté par le bailleur sous réserve
que la locataire justifie des conditions lui
permettant d’y prétendre. Le bailleur a saisi
le tribunal pour voir juger que la locataire
était sans droit au renouvellement au motif
qu’elle n’était pas immatriculée au registre
du commerce pour les locaux donnés à bail.
Ayant relevé que l’immatriculation de la
société locataire, bien que comportant un
numéro de bâtiment erroné, correspondait
à l’adresse du parc d’activités au sein duquel
elle exploitait son fonds de commerce et
exactement retenu que le Code de commerce
ne comportait aucune exigence concernant
l’identification d’un bâtiment au sein d’un
ensemble immobilier, la cour d’appel a pu en
déduire que la mention de l’adresse de l’établissement suffisait à son identification.
Ayant exactement retenu que la suspension
de la prescription lorsqu’un droit se trouvait subordonné à la solution d’une action
en cours supposait que soit caractérisée une
impossibilité d’agir, et ayant relevé que le
bailleur avait demandé acte de ce qu’il offrait
le renouvellement du bail si sa demande
principale en dénégation du statut n’était pas
accueillie, qu’il était donc en mesure de former une demande en fixation du prix du bail
renouvelé et ne l’avait pas fait dans le délai
de deux ans à compter de la date de renouvellement du bail, soit le 1er janvier 2007, la
cour d’appel en a déduit à bon droit que la
prescription était acquise.
Cass. 3e civ., 4 juill. 2012, n° 11-13.868, FS-P+B,
Sté Icade c/ Sté André : JurisData n° 2012015194 (CA Paris, 2 févr. 2011)
Rejet
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BAIL COMMERCIAL - Prescription - Action en fixation du loyer du bail renouvelé - Interruption de la prescription par la
notification du mémoire par les bailleurs
- Recherche omise
Les bailleurs ont délivré le 16 novembre 2006
un congé avec offre de renouvellement pour
le 31 mai 2007 moyennant un loyer fixé à la
valeur locative ; par lettre du 28 novembre
2006, le locataire a accepté le renouvellement
LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 35 - 30 AOÛT 2012
mais a refusé le loyer proposé. Le 6 avril
2009, les bailleurs ont notifié au locataire un
mémoire en fixation du loyer puis ont saisi le
juge des loyers commerciaux par acte des 19
et 20 août 2009. Pour dire l’action prescrite et
le bail renouvelé aux conditions antérieures,
l’arrêt retient que le juge des loyers commerciaux doit, à peine de forclusion, être saisi en
fixation du loyer du bail renouvelé dans le
délai de deux ans à compter de la date pour
laquelle le congé a été donné, que les bailleurs ont délivré congé pour le 31 mai 2007
et n’ont saisi le juge des loyers commerciaux
en fixation du loyer du bail renouvelé que par
assignation des 19 et 20 août 2009, que c’est
dès lors à bon droit que le premier juge a dit
leur demande irrecevable et a dit que le bail
s’était trouvé renouvelé aux charges et conditions antérieures.
En statuant ainsi, sans rechercher, comme il
le lui était demandé, si la prescription n’avait
pas été interrompue par la notification de
leur mémoire intervenue le 6 avril 2009, la
cour d’appel n’a pas donné de base légale à
sa décision au regard de l’article L. 145-60 du
Code de commerce.
Cass. 3e civ., 4 juill. 2012, n° 11-18.104, FS-D,
Cts B. c/ SARL Agence du Triangle vert : JurisData n° 2012-015213 (CA Versailles, 12e ch.,
sect. 2, 17 mars 2011)
Cassation
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