Introduction

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Introduction
Le Projet OPIGE :
Observatoire des Projets
Informatiques en Gestion
("OPIGE" Project
Management Information
Projects Watch)
Bernard QUINIO
MCF
Université Paris 13
❒ Résumé
La compréhension de l’évolution des Systèmes
d’Information (SI) dans les entreprises nécessite de
dépasser l’approche classique duale de l’impact des
Technologies de l’Information (TI) sur l’organisation.
En utilisant l’approche triadique de la sémiotique
logique de Peirce, on dispose d’une cadre de réflexion
qui permet d’affronter la complexité du lien qui existe
entre stratégie, organisation et technologie. Après avoir
rapidement exposé ce cadre, on présente le projet de
recherche qui l’utilise de manière concrète.
Mots clefs :
Observatoire, projet, Système d’Information,
évaluation
❒ Abstract
In order to comprehend the evolution of Information
Systems in companies, one needs to go beyond the
classical dual approach to the impact of Information
Technologies on organisations. The triadic approach
of Peirce's logical semiotics gives us a set of references
that allows access to the complexity of the link existing
between strategy, organisation and information
technologies. A short overview of this set of references
will then lead us to present the research project and the
concrete way in which this set is used.
Key-words:
Project, Information system, evaluation
99 Av J.B Clément
93430 Villetaneuse
01 49 40 31 61
[email protected]
Alain LECOEUR
Professeur Assistant
ESCP - EAP
79 Av de la République
75011 Paris
01 49 23 21 05
[email protected]
Le projet OPIGE
Alain Lecoeur, Bernard Quinio
Introduction
Dans l’approche classique duale de l’utilisation des
Technologies de l’Information (TI), les applications
informatiques sont le résultat de choix antérieurs
stratégiques. La logique, qui sous-tend cette approche, se
fonde sur la théorie de la balle magique (Markus et
Benjamin, 1997). Suite aux décisions stratégiques, on
investit pour créer des applications informatiques
(Kathuria et all., 1999). Ces applications vont modifier
l’organisation dans le sens défini et la modification va
(ou devrait !) entraîner une amélioration de la
performance globale (Ward et al., 1996).
Dans des articles récents, on imagine un stade supérieur
dans la compréhension de l’impact des TI sur la stratégie
de l’entreprise (Earl & Feeny ; 2000).. Les TI peuvent
modifier et créer une nouvelle stratégie. (Lardera et
Quinio ; 1996). Mais on reste toujours dans une vision
duale avec d’un côté les TI et de l’autre la stratégie ou
l’organisation de l’entreprise. Cette vision qui est
réductrice et ne permet pas d’affronter la complexité du
lien entre SI, stratégie et organisation.
En utilisant la sémiotique logique de Peirce, rapidement
présentée ici, on dispose d’un cadre conceptuel qui
permet de comprendre l’interaction entre SI, stratégie et
organisation. Ce cadre est utilisé pour le développement
du projet OPIGE qui fournira une aide aux entreprises et
aux équipes d’enseignement et de recherche dans le
domaine des SI.
1 la triade de Peirce et l'interprétation
1.1 La triade de l’information et du SI
Peirce a défini trois catégories de phanéron, concept que
l'on peut rapprocher de celui d'idée au sens platonicien du
terme (Peirce 1978). Ce sont la priméité, la secondéité et
la tiercéité. Les idées de la priméité sont les qualités du
sentiment en dehors de toute perception ou mémorisation.
La secondéité est une existence qui vient de l'expérience
de l'effort, sans aucune idée du but à atteindre. La
secondéité est une relation dyadique, c'est à dire mettant
en relation deux éléments. La tiercéité est le troisième, la
loi de comportement, qui met en relation le premier avec
le second (Morrand, 1995). La tiercéité a deux propriétés
essentielles :
•
elle est indispensable à l’appréhension de toute
mentalité, autrement dit, toute mentalité ou tout
espace de choix implique nécessairement une
relation triadique (Lorino, 1995) ;
•
elle est irréductible à une série de dualité, une loi de
comportement (tiercéité) ne peut jamais être réduite
à une collection de faits (dualité).
Sur la base des travaux de Peirce on définit, en analogie
avec le concept de signe, une information triade (Quinio,
1998 a). L’information est composée d’un code qui est
manipulé par la technique. Ce code porte sur un objet qui
est ce sur quoi l’on s’informe. La règle d’interprétation
permet d’expliquer le lien actuel et futur entre le code et
l’objet, c’est-à-dire qu’elle donne un sens à l’information.
La règle de sens, liée à l’aspect culturel et humain, vient
s’intercaler entre le code de l’information manipulé par
les NTIC et ce sur quoi porte l’information qui est définie
par l’organisation.
Toujours selon la logique triadique de Peirce, on définit
alors le SI comme l’ensemble :
•
de TI (pour manipuler le code)
•
de procédures et d'organisation (pour définir et gérer
ce sur quoi on s’informe – l’objet)
•
d’hommes et femmes liées par un objectif
stratégique (pour définir la règle d’interprétation)
Cette triade fournit aux différents niveaux de l'entreprise
des informations ordonnées permettant d'accompagner et
de soutenir le fonctionnement de l'entreprise. On retrouve
ici la définition classique du SI (Reix, 1995).
Cette vision triadique du SI permet de sortir du
questionnement dual présenté ci-dessus. Le SI n’est pas
le résultat de la stratégie ou de l’organisation, ni la
stratégie ou l’organisation le résultat du SI. On est en
présence d’une triade qui permet de traduire le lien
complexe entre organisation, stratégie et composants
techniques.
1.2
Le processus d’interprétation de
l’information
Chaque information, est le point de départ d'un processus
d'interprétation qui s’achève sur une action (Quinio, 1998
b). On dispose d’une information de départ qui est une
triade : (code / objet / règle). Une première itération peut
consister à remettre en cause le code. Se faisant, on a
modifié la règle d’interprétation. Le processus
d’interprétation peut alors amener à changer d’objet.
Chemin faisant, l’information de départ s’enrichit des
différents codes, objets et règles d’interprétation utilisés,
chacun venant non se substituer mais s’ajouter au
précédent.
La logique de la triade est le support théorique qui a
permis de lancer le programme de recherche OPIGE sur
l’impact des TI sur l’organisation et la stratégie
d’entreprise.
2
Le projet OPIGE
Le projet de recherche action OPIGE consiste à mettre en
commun l’expérience d’entreprises françaises dans le
domaine des projets de NTIC. Il s’agit d’alimenter une
base de connaissances qui regroupera les pratiques de ces
entreprises et permettra d’en suivre les évolutions sur
plusieurs années. L'objectif est de suivre cinquante
entreprises la première année et une centaine en régime
de croisière de l'observatoire.
Pour les entreprises, l’interrogation de cette base de
connaissance permettra de répondre à une question
centrale :
Le projet OPIGE
Alain Lecoeur, Bernard Quinio
•
La NTIC récente, médiatisée, est elle vraiment utilisée ? Pour quoi faire ? Dans quel objectif ?
Pour les structures d’enseignements et de recherches,
l’utilisation de cette base permettra d’adapter le contenu
des enseignements et d’alimenter les enquêtes terrains.
Trois institutions d’enseignements et de recherche sont
impliquées dans ce projet. Ces partenaires apporteront
des ressources (techniques et humaines) et leurs contacts
avec les entreprises. Les trois partenaires de ce projet de
recherche sont :
•
Le groupe ESCP - EAP, représenté par Alain Lecoeur
•
L’université Paris 1, représentée par le professeur
Peaucelle
•
L’université Paris 13, représentée par Bernard Quinio
2.1
Le modèle de la base
La nature d'un observatoire est d'analyser une photographie d'une situation d'entreprise à un instant “ t ” et aussi
d'analyser l'évolution de cette situation ; d'où elle vient et
vers quoi elle tend. Il en découle que l’on doit récolter
des informations sur les projets et les applications de
NTIC dans l’entreprise.
Le premier point d’entrée de la base sera les NTIC, le
“ quoi ”. On référencera les projets et applications utilisant une NTIC présente dans la liste définie par les concepteurs de la base. Cette liste fermée, mais évolutive, est
présentée en annexe.
Le deuxième point d’entrée sera le “ faire ” du projet ou
de l’application. Il faut ici aussi disposer d’une liste fermée et évolutive des projets et des applications en entreprise (voir annexe). On utilise la vision d’un acteur de
l’entreprise (le DSI) et on admet la subjectivité et la non
exhaustivité qui découle de ce choix (un Faire peut ne pas
être cité par le répondant).
Le troisième élément est le “ pourquoi ” du projet ou de
l’application. Cette dimension est caractérisée par trois
éléments :
•
l’orientation qualité ou rentabilité ;
•
l’origine externe ou interne ;
•
le processus délibéré ou émergeant.
La base ne sera constituée que de trois types de données :
d’un choix dans des listes fermées, des caractéristiques
libres et des caractéristiques de type curseur positionné
sur une échelle de dix.
Selon les concepts de la sémiotique logique :
!
!
!
Une NTIC est une potentialité, elle a en elle-même
des effets potentiels mais aucun effet réel. C’est la
priméité, on la baptise le “ quoi ”.
Cette NTIC sera mise en oeuvre dans un contexte
donné d’entreprise dans un objectif d’utilisation
concrète (projet) ou dans une utilisation concrète
(application). Cette utilisation (le faire) est la dualité, le choc de la NTIC sur la réalité de l’entreprise.
On la baptise le “ faire ”.
Le projet de NTIC ou l’application de NTIC n’existe
(ou ne devrait exister) que pour atteindre un objectif
d’entreprise, pour appuyer une finalité de
l’entreprise. C’est la tiercéité, le pourquoi, ce qui
donne sens au projet ou à l’application. On la baptise le “ pourquoi ”.
NTIC
Quoi
Objectif / stratégie
Pourquoi
Projet ou application
Faire
2.2
•
En regardant une photographie triadique de
l’utilisation d’une NTIC (projet et / ou application)
•
En analysant l’évolution de l’utilisation d’une NTIC
par le processus d’interprétation de Peirce
L'analyse de la photographie triadique d'un projet de
NTIC permettra de savoir si une NTIC est réellement
utilisée dans les entreprises et dans quels contextes.
L'analyse de l'évolution via le processus d'interprétation
permettra d'étudier la concrétisation des projets et l'évolution de l'utilisation des NTIC dans leurs objectifs et dans
leurs justifications. Il s’agit de “ tracer ” l’utilisation
d’une NTIC dans une entreprise.
Le traçage de l’utilisation d’une NTIC dans une même
entreprise peut s'illustrer par un exemple :
•
Une première photographie donne la triade (Entrepôt de données / CRM / mimétisme)
•
Une deuxième photographie donne (Entrepôt de
données / CRM / qualité de service)
•
Une troisième photographie donne (Intranet / CRM /
Qualité de service)
Figure 1 : Le modèle de base de l'observatoire
OPIGE
Deux observations de la base seront identiques si elles
sont composées des trois même éléments. Autrement dit,
si dans une même entreprise une NTIC est utilisée dans
plusieurs projets ou pour plusieurs objectifs, elle sera
référencée plusieurs fois.
L’interprétation de la base
L’interprétation de la base s’effectuera de deux manières :
Le projet OPIGE
Alain Lecoeur, Bernard Quinio
De cette évolution (imaginée dans l’exemple) on en déduirait que le point constant est le CRM (obsession
client), que pour les NTIC l’entrepôt de données n'a été
qu'une étape.
sur le même site et un point d’évolution sera mis à jour
tous les 6 mois par le comité scientifique.
Le traçage demande que l’on puisse identifier et suivre
l’évolution d’une observation. Ce point est une des difficultés majeures de la conception de la base.
Pour l’architecture technique cible, la base de données
sera hébergée par un des partenaires. La base doit être
accessible en consultation et en mise à jour via un navigateur Internet standard du marché. Toutes les mises à
jour et consultations doivent être contrôlées et tracées.
2.3
3
Mise à jour et consultation de la
base
Les mises à jour sont faites tous les 6 mois. Dans une
entreprise, on choisit de ne rencontrer qu’une seule personne, le responsable du SI. On ne prend en compte
qu’une vision subjective des projets et des applications
de l’entreprise. Pour assurer la cohérence des observations, le comité scientifique du projet validera la fonction
et les responsabilités des répondants.
La procédure de mise à jour est différente selon qu’il
s’agit ou non de la première entrée d’information pour
l’entreprise. Pour la première fois, la mise à jour est faite
par un entretien en tête-à-tête. Cet entretien est fait par un
membre de l’équipe de recherche ou par un étudiant de
3ème cycle encadré. A partir du deuxième contact, on travaillera par questionnaire administré de manière sécurisée
via Internet. Le répondant se connectera sur le site de la
base et s’identifiera par un mot de passe. On contrôlera le
délai depuis sa dernière mise à jour et on présentera les
informations déjà entrées à l’exception du “ pourquoi ”. Il
pourra alors modifier les caractéristiques du “ faire ” et
saisir le “ pourquoi ” ou ajouter une nouvelle triade
(NTIC / Faire / pourquoi).
L’évolution des listes fermées (NTIC et Faire) sera faite
tous les 6 mois avant la session de mise à jour. Chaque
modification sera validée par le comité scientifique du
projet.
Conclusion et perspectives
L’utilisation d’OPIGE pour la recherche devrait permettre de vérifier ou d’invalider la pertinence de la vision
triadique des SI. L’analyse des informations de la base
devrait montrer une convergence de l’évolution des triades (NTIC / Projet / Stratégie) vers un objectif stratégique
ou organisationnel. On s’attend, peut être à tort, à voir
des NTIC volatiles, de plus en plus imbriquées dans
l’organisation et la stratégie.
4
Annexes
4.1
Première liste de NTIC retenue
La dimension quoi (NTIC) est le point d’entrée
d’informations la base. L’utilisateur devra entrer trois
informations :
1.
Le choix de NTIC dans la liste fermée (voir cidessous) ou la proposition d’une NTIC non référencée
2.
Une caractéristique libre (mémo) sur la NTIC
3.
Une caractéristique curseur sur la NTIC
Internet
Intranet
Extranet
Réseau haut débit
Cette procédure doit permettre :
•
•
•
Mobile/Wan
TV interactive
Lors du premier entretien, de référencer les projets
et les applications. Et dans les entretiens suivants de
tracer les projets qui sont devenus applications (et
ceux qui sont “ morts ”) et l'évolution des applications.
Datawarehouse
D’éviter ou d’atténuer les biais d’ancrage du répondant en ne rappelant pas le pourquoi originel du projet.
Linux
De mettre à jour rapidement la base tous les 6 mois.
La mise à jour à distance ne doit pas prendre plus de
30 minutes par entreprise.
Objets métiers
Datamining
ASP
AGL
ERP Back office
Progiciel Frontoffice
IA
L’accès en consultation sera limité et contrôlé par un mot
de passe. Une entreprise aura le droit de consulter toute la
base d’informations quand elle le souhaite mais ces informations seront présentées de manière anonyme (sans
le nom des entreprises). De plus, pour chaque NTIC
(quoi) une fiche explicative d’une page sera disponible
Groupware
Workflow
Ged
NNTIC (mémo)
Le projet OPIGE
Alain Lecoeur, Bernard Quinio
4.2
Première liste de Faire retenu
La dimension FAIRE peut correspondre à des projets ou
à des applications opérationnelles. L’utilisateur devra
entrer six informations :
Autre
Références
1.
Le choix du faire dans la liste fermée ci-dessous ou
la proposition d’un faire non référencé dans
“ Autre ”
2.
Une caractéristique de précision facultative libre
(mémo) sur le faire qui pourra aussi être renseigné
sur une proposition de faire entrée en 1.
3.
Une caractéristique curseur sur le degré de réalisation
4.
Une caractéristique curseur sur le degré de productivité
Lardera S. et Quinio B. (1996) Stratégie d'entreprise et
Systèmes d'information : accordons les instruments ;
Masson Paris
5.
Une caractéristique curseur sur le degré de complexité
Lorino P. (1995) Comptes et récits de la performance ;
Editions d'Organisation ; Paris
6.
Une caractéristique curseur sur l’organisation du
projet ou de l’application
Markus M.L. et Benjamin R.I. (1997) “ The Magic Bullet
Theory in IT-Enabled Transformation ”, Sloan Management Review, Winter 1997 p.55-68
Gestion de la relation
client (CRM)
Gestion de la chaîne logistique (SCM)
Commerce BtoB stratégique
Commerce BtoB non stratégique
Commerce BtoC
Management des connaissances (KM)
Communication interne
Communication externe
(hors clients)
Aide à la décision (EIS,
SIAD)
Veille stratégique (intell .
économique)
Télé travail
Earl M. & Feeny D. (2000) “ How To Be a CEP for the
Information Age ” ; Sloan Management Review ;
Winter ; p 11-23
Kathuria R., Anandarajan M. & Igbaria M. (1999)
“ Linking IT Applications with Manufacturing Stratégy : An Intelligent Decision Support System Approach ” ; Decision Sciences ; Vol 30 N°4 ; p959-982
Morrand B. (1995) “ Statut épistémologique des modèles
en conception de système d’information ” ; Revue Ingénièrie des Systèmes d’information ; Vol 3 N°5, p
665-700
Quinio B. (1998 a) “ Les réticences à évaluer économiquement les projets de SI: propositions
d’explication ” ; Système d’Information et Management N°2 Vol 3 ; pp. 43-64 1998.
Quinio B. (1998 b) “ La valeur des projets de Système
d’Information : de la valeur à l’action, le passage par
l’interprétation ”, Actes du colloque des IAE
Reix R. (1995) Systèmes d’information et management
des organisation ; Collection Gestion, Vuibert Paris
Ward J., Taylor P. Et Bond P. (1996) “ Evaluation and
realisation of IS/IT benefits: an empirical study of
current pratice ”, European Journal Of Information
Systems, Vol 4, p. 214-225