La fin des grandes vacances
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La fin des grandes vacances
Page 1/4 Des vacances d’été à la campagne. Elle est là qui s’affaire. Ça fume, ça chauffe. Avec son seau de charbon à côté, et le gros conduit qui envoie la fumée dehors, la cuisinière est comme une locomotive. Elle a mis un foulard sur ses cheveux – sûrement pour la fumée ou les odeurs. Dans la cuisine, elle gesticule avec une poêle, un saladier rempli d’une pâte à crêpes un peu épaisse à coté. Des enfants courent devant la maison, en faisant voler le gravier et en criant. Ma mémé sort de temps en temps, la poêle à la main, l’air menaçant, pour calmer la marmaille et sauver gravier et plates-bandes. C’est l’été, je suis en vacances et on va fêter mon anniversaire, avec les autres enfants du village. Il fait si chaud que la mare dans le jardin a presque disparu ; ne reste qu’un fond vaseux, presque sec. On installe une table et des bancs, sur des planches posées par terre, pour ne pas s’enfoncer. Les feuilles des arbustes, autour de la mare, empêchent le soleil de brûler la terre. C’est une sorte de climatisation naturelle super écolo. Il y a là un air du tableau accroché dans une chambre, où on voit des gens danser, avec plein de taches de lumière, à la même époque que mémé, quand elle dansait au bal. Ma mémé court et souffle comme une vieille chaudière, pour que tout soit prêt, sans casse pour les enfants, comme pour les crêpes ! Il y a de la limonade, des sirops de menthe et de fraise, du sucre glace – le paradis dans la mare. Un autre jour, je m’embête un peu et passe le temps dans le tilleul à côté du cabanon, dans la cour. C’est ma jungle et le petit nid de moineau abrite mes perroquets sauvages. Pour taquiner ma mémé, je saute de temps en temps du tilleul sur le toit du cabanon et elle ne manque pas de sortir en brandissant sa canne comme dans un film de capes et d’épées. Si je n’ai pas fait trop de bêtises, j’ai le droit d’accompagner ma mémé dans sa tournée des clapiers à lapin, pour changer l’eau et leur donner à manger. Mais elle n’aime pas beaucoup quand je m’amuse à les soulever par les oreilles ou la peau du cou... Si j’ai fait trop de bêtises, je suis de corvée d’eau et je dois aller au puits du village, pour ramener des seaux. Je dois prendre la grande brouette en bois sans rebord, et c’est sacrément lourd. Au-dessus du puits, il y a une grosse poutre en bois ronde, assez usée au milieu, avec une chaîne tout autour et un crochet au bout Page 2/4 où on accroche le sceau. On débloque la tirette qui retient la manivelle, et si on est en forme et qu’il n’y a personne autour, on lâche tout ! Ça fait un bruit d’enfer en arrivant en bas et, c’est sûr, le sceau est rempli ! Après, il faut tout remonter et ça va beaucoup moins vite. Et puis ça grince. Il ne faut pas remonter trop haut avant de bloquer la manivelle, sinon on ne peut pas prendre le seau sur le bord pour le décrocher. Je ne me fais plus avoir maintenant. L’eau est gelée, mais ça rafraîchit. Tant pis si mémé râle parce qu’on s’en est mis partout. Parfois, je rencontre une copine que je ne vois que pendant les vacances. Elle est très jolie. Quand elle me court après pour m’arroser, on dirait une fée qui envoie des perles de verres. Le soir, quand ma mémé a fini de nettoyer la cuisine, elle aime bien se reposer sur le banc, dehors, avec une infusion de tilleul. Si on est sage, on se serre contre elle, ma sœur et moi et on ne bouge surtout pas. Je crois qu’elle aime bien ça. On reste souvent comme ça jusque tard dans la nuit et elle nous raconte des histoires « de quand elle était petite ». Parfois, c’est un peu triste. Sinon on compte les étoiles filantes et elle nous raconte plein de choses sur les étoiles. Depuis cette âge-là, je suis expert en détection de satellites dans le ciel. Quand l’été est moins chaud, il y a encore de l’eau dans la mare et, le soir, les grenouilles se mettent à chanter– un vrai concert ! On essaye de s’approcher le plus près possible, mais on n’arrive jamais à les attraper. Elles sautent toutes loin dans la mare, en faisant des gros « floc ! », ou « plouf ! » Je n’ai jamais vraiment su pourquoi, mais parfois un âne venait en pension dans le jardin, derrière la maison. On avait le droit de monter dessus si on avait été sage. Mais il allait où il voulait et n’en faisait qu’à sa tête – un âne, quoi. Tous les jours il fallait ramasser les œufs. Je n’aimais pas beaucoup entrer dans le poulailler. Les poules n’étaient pas très sympathiques et j’avais peur de me faire attaquer. Si on s’approche trop d’elles pour prendre un œuf, elle peuvent donner un coup de bec sec et et ça fait mal. Par contre, trouver les endroits où elles pondaient dans la cour était beaucoup plus drôle. C omme les œufs de Pâques. Les murs de la maison sont en Tuf, c’est une pierre blanche assez molle, on dirait un peu de la craie. Avec les copains, on essayait de graver des petits trucs au couteau, dans des endroits cachés pour que mémé ne tombe pas dessus. Là, c’était la grosse punition : elle n’aimait pas ça du tout. On devait alors tout reboucher avec une espèce de ciment. Il y a une grande vigne accrochée à la maison et qui court sur toute la longueur. À Page 3/4 la fin de l’été, elle offre d’excellents raisins blancs. On prend une échelle en bois pour aller les cueillir. Pour la protéger de la maladie, on pulvérise un produit dessus et le mur est tout bleu derrière. De temps en temps, mémé m’envoyait chercher du fromage frais à la ferme du village. : une espèce de gros pâté blanc avec des petits picots qui baignent dans un jus blanc-jaune un peu transparent qui s’appelle du petit-lait je crois. Du coup, je me suis toujours demandé ce qu’était le « gros lait »... Après, il fallait mettre le fromage dans le cellier, derrière la maison. Je n’aimais pas beaucoup y aller, il y fait froid et plutôt sombre. On a passé beaucoup de mes vacances chez ma mémé. Et puis un jour, c’est elle qui est venue chez nous, à Orsay, parce qu’elle était malade et ne pouvait plus rester toute seule. Au début elle se promenait, mais peu après, elle a commencé à faire la sieste. De plus en plus. Et puis elle a fini par rester tout le temps au lit. Un jour, une ambulance est venue la chercher. On allait la voir souvent à l’hôpital. Le jour du mariage de ma sœur, elle est sortie de l’hôpital et venue en ambulance avec un fauteuil roulant. Elle a beaucoup pleuré. Je crois qu’elle était vraiment contente et très fière de voir sa petite fille en robe de mariée. Elle est morte quelques jours après. La fin des grandes vacances… Page 4/4