La fin des grandes vacances

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La fin des grandes vacances
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Des vacances d’été à la campagne.
Elle est là qui s’affaire. Ça fume, ça chauffe. Avec son seau de charbon à côté, et le
gros conduit qui envoie la fumée dehors, la cuisinière est comme une locomotive.
Elle a mis un foulard sur ses cheveux – sûrement pour la fumée ou les odeurs. Dans
la cuisine, elle gesticule avec une poêle, un saladier rempli d’une pâte à crêpes un
peu épaisse à coté. Des enfants courent devant la maison, en faisant voler le gravier
et en criant. Ma mémé sort de temps en temps, la poêle à la main, l’air menaçant,
​pour calmer la marmaille et sauver gravier et plates-bandes.
C’est l’été, je suis en vacances et on va fêter mon anniversaire, avec les autres
enfants du village. Il fait si chaud que la mare dans le jardin a presque disparu ; ne
reste qu’un fond vaseux, presque sec.​
On installe une table et des bancs, sur des planches posées par terre, pour ne pas
s’enfoncer. Les feuilles des arbustes, autour de la mare, empêchent le soleil de
brûler la terre. C’est une sorte de climatisation naturelle super écolo. Il y a là un air
du tableau accroché dans une chambre, où on voit des gens danser, avec plein de
taches de lumière, ​à la même époque que mémé, ​quand elle dansait au bal.
Ma mémé court et souffle comme une vieille chaudière, pour que tout soit prêt,
sans casse pour les enfants, comme pour les crêpes ! Il y a de la limonade, des sirops
de menthe et de fraise, ​du sucre glace – le paradis dans la mare.
Un autre jour, je m’embête un peu et passe le temps dans le tilleul à côté du
cabanon, dans la cour. C’est ma jungle et le petit nid de moineau abrite mes
perroquets sauvages. Pour taquiner ma mémé, je saute de temps en temps du tilleul
sur le toit du cabanon et elle ne manque pas de sortir en brandissant sa canne
comme dans un film de capes et d’épées.
Si je n’ai pas fait trop de bêtises, j’ai le droit d’accompagner ma mémé dans sa
tournée des clapiers à lapin, pour changer l’eau et leur donner à manger. Mais elle
n’aime pas beaucoup quand je m’amuse à les soulever par les oreilles ou la peau du
cou... Si j’ai fait trop de bêtises, je suis de corvée d’eau et je dois aller au puits du
village, pour ramener des seaux. Je dois prendre la grande brouette en bois sans
rebord, et c’est sacrément lourd. Au-dessus du puits, il y a une grosse poutre en
bois ronde, assez usée au milieu, avec une chaîne tout autour et un crochet au bout
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où on accroche le sceau. On débloque la tirette qui retient la manivelle, et si on est
en forme et qu’il n’y a personne autour, on lâche tout ! Ça fait un bruit d’enfer en
arrivant en bas et, c’est sûr, le sceau est rempli ! Après, il faut tout remonter et ça
va beaucoup moins vite. Et puis ça grince. Il ne faut pas remonter trop haut avant
de bloquer la manivelle, sinon on ne peut pas prendre le seau sur le bord pour le
décrocher. Je ne me fais plus avoir maintenant. L’eau est gelée, mais ça rafraîchit.
Tant pis si mémé râle parce qu’on s’en est mis partout. Parfois, je rencontre une
copine que je ne vois que pendant les vacances. Elle est très jolie. Quand elle me
court après pour m’arroser, ​on dirait une fée qui envoie des perles de verres. ​
Le soir, quand ma mémé a fini de nettoyer la cuisine, elle aime bien se reposer sur le
banc, dehors, avec une infusion de tilleul. Si on est sage, on se serre contre elle, ma
sœur et moi et on ne bouge surtout pas. Je crois qu’elle aime bien ça. On reste
souvent comme ça jusque tard dans la nuit et elle nous raconte des histoires « de
quand elle était petite ». Parfois, c’​est un peu triste.
Sinon on compte les étoiles filantes et elle nous raconte plein de choses sur les
étoiles. ​Depuis cette âge-là, je suis expert en détection de satellites dans le ciel.
Quand l’été est moins chaud, il y a encore de l’eau dans la mare et, le soir, les
grenouilles se mettent à chanter– un vrai concert ! ​On essaye de s’approcher le plus
près possible, ​mais on n’arrive jamais à les attraper.
Elles sautent toutes loin dans la mare, ​en faisant des gros « floc ! », ou « plouf ! »
Je n’ai jamais vraiment su pourquoi, mais parfois un âne venait en pension dans le
jardin, derrière la maison. On avait le droit de monter dessus si on avait été sage.
​Mais il allait où il voulait et n’en faisait qu’à sa tête – un âne, quoi.
Tous les jours il fallait ramasser les œufs. Je n’aimais pas beaucoup entrer dans le
poulailler. Les poules n’étaient pas très sympathiques et j’avais peur de me faire
attaquer. Si on s’approche trop d’elles pour prendre un œuf, elle peuvent donner
un coup de bec sec et et ça fait mal. Par contre, trouver les endroits où elles
pondaient dans la cour était beaucoup plus drôle. ​C omme les œufs de Pâques.
Les murs de la maison sont en Tuf, c’est une pierre blanche assez molle, on dirait
un peu de la craie. Avec les copains, on essayait de graver des petits trucs au
couteau, dans des endroits cachés pour que mémé ne tombe pas dessus. Là, c’était
la grosse punition : ​elle n’aimait pas ça du tout. ​On devait alors tout reboucher avec
une espèce de ciment.
Il y a une grande vigne accrochée à la maison et qui court sur toute la longueur. À
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la fin de l’été, elle offre d’excellents raisins blancs. On prend une échelle en bois
pour aller les cueillir.
Pour la protéger de la maladie, on pulvérise un produit dessus et le mur est tout
bleu derrière.
De temps en temps, mémé m’envoyait chercher du fromage frais à la ferme du
village. : une espèce de gros pâté blanc avec des petits picots qui baignent dans un
jus blanc-jaune un peu transparent ​qui s’appelle du petit-lait je crois. ​Du coup, je me
suis toujours demandé ce qu’était le « gros lait »... Après, il fallait mettre le fromage
dans le cellier, derrière la maison. Je n’aimais pas beaucoup y aller, il y fait froid et
plutôt sombre.
On a passé beaucoup de mes vacances chez ma mémé. Et puis un jour, c’est elle qui
est venue chez nous, à Orsay, parce qu’elle était malade et ne pouvait plus rester
toute seule. Au début elle se promenait, mais peu après, elle a commencé à faire la
sieste. De plus en plus. Et puis elle a fini par rester tout le temps au lit.
​Un jour, une ambulance est venue la chercher. ​On allait la voir souvent à l’hôpital.
Le jour du mariage de ma sœur, elle est sortie de l’hôpital et venue en ambulance
avec un fauteuil roulant. Elle a beaucoup pleuré. Je crois qu’elle était vraiment
​contente et très fière de voir sa petite fille en robe de mariée.
Elle est morte quelques jours après.
La fin des grandes vacances…
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