Yémen - Centre d`Information Inter
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Membre de Yémen : un désastre en cours DR septembre 2015 Prix : 3 € D epuis le 26 mars 2015, le Yémen, pays le plus pauvre du Moyen-Orient, est la cible d’une campagne de bombardements aériens menée par l'Arabie Saoudite, et fait l’objet d’un embargo meurtrier, à l’origine d’une crise humanitaire sans précédent. Ce sont aujourd'hui plus de 21 millions de Yéménites (soient plus de 80% de la population totale du Yémen) dont la survie dépend d'une aide humanitaire urgente qui ne leur parvient pas, en raison des bombardements et du blocus imposé au Yémen par ladite coalition depuis cette date. Le conflit a fait plus de 4 300 morts dont 400 enfants, et 1,5 million de déplacés, selon l’ONU1. Or, cette guerre, peu traitée par les médias occidentaux, semble se dérouler dans une quasiindifférence générale… alors qu'un désastre humanitaire est en cours. Les textes rassemblés dans ce dossier ont pour vocation d’apporter un éclairage sur la réalité et les enjeux de ce conflit. 1/ Source, La Croix/AFP, 5/09/2015 : www.la-croix.com/Actualite/Monde/La-coalition-arabe-intensifie-ses-raids-auYemen-au-lendemain-de-la-mort-de-50-soldats-2015-09-05-1352662 Sommaire Données de base.................................................................................. 4 Repères chronologiques ....................................................................... 5 Sélection de textes : • "L’importance stratégique du Yémen" Hezam Haidar, 24/07/2015 ......................................................................................... • 6 "Yémen : le Conseil des droits de l'homme de l’ONU doit créer une Commission d’enquête" Amnesty International, 20/08/2015 : http://www.amnesty.fr/Nos-campagnes/Crises-etconflits-armes/Actualites/Yemen-ONU-doit-creer-une-Commission-enquete-15860 .... 8 • "Yémen / Arabie Saoudite : Arabie saoudite versus Al Qaida 1/2" René Naba, 01/05/2015 : http://www.madaniya.info/2015/05/01/yemen-arabie-saouditearabie-saoudite-versus-al-qaida-1-2/ ........................................................................... 10 • "Yémen / Arabie Saoudite : Arabie saoudite versus Houthistes 2/2" René Naba, 04/05/2015 : http://www.madaniya.info/2015/05/04/yemen-arabie-saouditearabie-saoudite-versus-houthistes-2-2/ ....................................................................... 14 • "La revanche inattendue du confessionnalisme au Yémen" Laurent Bonnefoy, 18/09/2014 : http://orientxxi.info/magazine/la-revanche-inattenduedu,0677 ....................................................................................................................... 19 • "Le Yémen abandonné par les grandes puissances aux ambitions saoudiennes… et à ses propres démons" Amat Al Alim Alsoswa, 01/07/2015 : http://orientxxi.info/magazine/le-yemen-abandonnepar-les-grandes-puissances-aux-ambitions-saoudiennes,0952 ................................... 21 2 CIIP / Dossier de presse Données de base de 5 ans ont un retard de croissance (2008-2012) Nombre de médecins : 2,0 pour 10000 personnes (2003-2012) Dépenses de santé : 5,5 % du PIB Alphabétisation : 65,3 % des adultes Dépenses en éducation : 5,2 % du PIB Capitale : Sanaa. Villes principales : Sanaa, Aden, Taëz, Hodeïdah, Mukalla Superficie : 527 970 km2. Langue officielle : arabe. Régime : République depuis 1990 Religions : 60% à 75% de sunnites de rite chaféite, 25% à 40% de chiites zaïdites (nord du pays). Minorités juives et ismaéliennes quelques dizaines de milliers de personnes. Dette extérieure : 20,5 % RNB / Total service de la dette : 0,93 % RNB Commerce international 65,1 % PIB taux d'électrification : 39,6 % de la population Le zaydisme est un rameau modéré du chiisme, qui s’est épanoui en Iran et au Yémen et ne survit aujourd’hui qu’au Yémen Historiquement, l’imamat zaydite a dirigé tout ou partie du Yémen du Nord pendant plus d’un millénaire, jusqu’à la révolution républicaine de 1962, alors que le Sud, où résident un quart environ des Yéménites, était peuplé de façon exclusive de chaféites. Le sunnisme d’école chaféite est très proche sur le plan du dogme, d'où un processus de convergence qui a, entre les années 1970 et 2000, largement effacé la distinction entre sunnites et zaydites. Mais, dans les années 1980 s’est développé un mouvement de renouveau zaydite dans l’extrême nord-ouest du pays, revendiquant une identité zaydite-chiite spécifique, également dénommé houthiste (ou houthi), du nom de leurs dirigeants, Hussein alHouthi et ses frères. Mouvement protestataire local, dans les années 2000, qui s’opposait à la marginalisation de la région et à la discrimination sociale et politique des chiites zaydites. Le mouvement s’est radicalisé et politisé entre 2004 et 2010 (voir repères chronologiques). Taux de chômage (2004-2013) : 16,2 % ; chômage des jeunes : 33,7% Travail des enfants : 22,7 % Proportion de travailleurs pauvres 33,5 % (20032010) (Sources : Rapport PNUD 2014) Forces politiques : • Congrès général populaire (CPG) : Parti de l’ex président dictateur Saleh. • Parti socialiste : héritier du parti "marxisteléniniste" qui gouvernait le Sud-Yémen. • Al-Islah (La réforme) : principal parti islamiste, proche des Frères musulmans, allié au président Abd Rabbo Mansour Hadi. Modéré acceptant l'alternance démocratique. • al-liqaa al-moshtarak - Forum Commun : Forces traditionnelles de l'opposition. coalition hétéroclite composée du Parti socialiste yéménite (sudiste), des nasséristes, du parti Baath, de petits partis zaïdites et du parti islamiste, al-Islah qui en constitue la composante la plus importante. • Mouvement des jeunes de la révolution : lancé par des jeunes qui ne sont pas issus de l'opposition traditionnelle en grande partie assujetti soit par le régime, soit par le régime saoudien. e Indice de développement humain : 0,500 ; 154 sur 186 pays (2013). Indice d’inégalité de genre : 0,733 ; 152e rang (sur 152) Corruption : 161e/175 (Transparency International 2014) • Mouvement chiite houthiste - Ansar Allah ("les partisans d'Allah", également connus sous le nom de Jeunes Croyants) : organisation insurrectionnelle chiite et mouvement sociopolitique de l'école théologique zaïdite du nord-ouest du Yémen. Données démographiques : Population : 24.4 millions d’habitants (2013) Croissance annuelle : 2.3 % (2010-2013) Espérance de vie (2013): 63,1 (ans) / 61,8 ans pour les hommes, 64,5 ans pour les femmes • Al Qaeda dans la péninsule arabique (Aqpa), également nommée Ansar al-Sharia : considéré comme la branche la plus active et la plus dangereuse de l’organisation d’Al-Qaeda. Données socio-économiques : Revenu national brut par habitant : 3 945 (PPA $ 2011) / Femmes : 1775 ; Hommes 6080 PIB : 95,3 PPA milliards $ (2012). PIB par habitant : 3996 PPA $ (2012) Population dont le revenu est inférieur au seuil de pauvreté : 34,8 % • al-Hirak al-Janubi : les "sudistes", mouvement indépendantiste du Yémen du sud, réclame l’indépendance des provinces méridionales qui formaient la République démocratique et populaire jusqu’à son unification avec le Yémen du Nord en 1990. Malnutrition infantile : 57,7 % des enfants de moins 3 CIIP / Dossier de presse Repères Chronologie chronologiques Antiquité, "l'Arabie heureuse" : terme utilisé pour désigner l'Arabie du Sud par les Grecs et les Romains VIe siècle : invasion perse par les Sassanides VIIe siècle : arrivée de l'islam XVIe siècle, période des conquêtes ottomanes : Les Ottomans s'emparent des plaines côtières en 1517, d'Aden en 1537 et organisent le vilayet ottoman du Yémen après la conquête de Sana 1538-1918 : Empire ottoman (nord du Yémen) 1839-1963 : sud du Yémen sous protectorat britannique (autour du port d'Aden), 1918-1962: royaume du Yémen ou royaume mutawakkilite (nord du Yémen) – L’imamat zaydite a gouverné le Nord pendant près d’un millénaire, y compris sous la domination ottomane. 1948 révolution manquée au cours de laquelle différentes forces politiques – dont le mouvement des Frères musulmans tentent d’établir une monarchie constitutionnelle. 1962-1990 : République arabe du Yémen ou Yémen du Nord. Régime autoritaire. Guerre civile jusqu'en 1970. 1963-1967 : période de décolonisation du sud Yémen 1967-1990 : République démocratique populaire du Yémen ou Yémen du Sud, régime d’inspiration socialiste marxiste 22 mai 1990 : proclamation de la République du Yémen, résultant de la fusion entre le Nord et le Sud-Yémen (Capitale : Sanaa). Ali Abdullah Saleh, ancien chef d’Etat du Yémen du Nord devient le président du Yémen unifié tandis qu’Ali Salim alBeidh l’ancien Secrétaire général du Parti socialiste yéménite qui régnait auparavant au sud, prend le poste de Vice-président. Mai à juillet 1994 Guerre civile : tentative de sécession des sudistes. Répression violente contre eux. Victoire du nord et le sud perd tout pouvoir politique. 12 octobre 2000, attentat de l’Armée islamique d’Aden et Al-Qaïda contre le destroyer états-unien USS Cole, alors amarré dans le port d’Aden (17 morts et 50 blessés) 2001 : les attentats du 11 septembre ont fait du Yémen un des champs de bataille de la guerre globale contre le terrorisme. Collaboration totale du régime de Sanaa avec les Etats-Unis contre Al-Qaïda. 2002 : premières frappes de drones de l’US Air Force sur le sol yéménite. 2004, juin, offensive militaire lancée à Saada contre "les partisans d’Al-Houthi" qui mobilisent non seulement au nom du zaydisme mais développent une critique acerbe de l’alliance du gouvernement yéménite avec les États-Unis dans le cadre de la lutte antiterroriste. Entre 2004 et 2010 : six guerres de Sa’ada. Fin officielle des affrontements entre l’Etat yéménite et le mouvement houthiste. 2007 : création du mouvement indépendantiste du Yémen du sud, al-Hirak al-Janubi, 2009 : intervention des forces armées saoudiennes en appui au pouvoir. 2011, 16 janvier, début du "printemps arabe" yéménite : les manifestants réclament la démocratie, la fin de la corruption et de la mainmise du congrès général du peuple (CGP, au pouvoir), de meilleures conditions de vie et le départ du dictateur/ président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis 1978. Prise de contrôle de la région de Saada par les houthistes à la faveur du repli de l’armée vers Sanaa où la protestation révolutionnaire croit. Terrible répression menée par le régime : le 18 mars, répression des manifestant-e-s en sit-in à Sanaa, 52 morts. Décret d'état d’urgence dans tout le pays. 3 juin, attentat à la bombe blessant grièvement Ali Abdallah Saleh. 2012, février, après négociation entre les Etats-Unis et l'Arabie Saoudite, Ali Abdallah Saleh obtient une immunité pour se retirer. Il amnistie tous les responsables des crimes commis par son régime. Il démissionne en transmettant ses pouvoirs à son vice-président Abd Rabbo Mansour Hadi. Le 21 février, élection présidentielle avec un candidat unique, Abdo Rabbo Mansour Hadi, l'ancien viceprésident. Formation d'un gouvernement d'unité nationale composé pour moitié de membres de l’ancien parti gouvernemental et pour moitié d’une 4 CIIP / Dossier de presse alliance de partis de l’opposition mais sans les prinné par l’ONU appelé “Accord sur la Paix et le Partecipaux vecteurs du mouvement révolutionnaire ni nariat” (*Peace & partnership agreement), mais réaliles deux mouvements autonomistes et/ou séparasé que partiellement par Hadi et les Houthistes. Notistes (houthistes au nord et les Hiraks au sud), Mivembre : sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU se en place d'un processus de transition institutioncontre le personnel dirigeant des houthistes de même nelle (saboté par Saleh) que contre l’ancien président Saleh. Mars 2013 – janvier 2014 : Conférence du Dialogue 2015, 20 janvier : prise du palais du président de trannational, accord sur un document final avec 1400 sition Abd Rabbo Mansour Hadi par la milice des recommandations servant de base de travail à une Ansar Allah (houthiste). 22 janvier : démission de commission constitutionnelle. Le principal résultat Abdo Rabbo Mansour Hadi, démission refusée par était une nouvelle structure fédérale comprenant le Parlement, et du Premier ministre Khaled Bahah. six régions. Rejeté par les les houthistes et le mou21 février : Abdo Rabbo Mansour Hadi quitte Sanaa vement sécessionniste du Sud. pour Aden et retire sa démission le 24 février. Depuis le pays s’est enfoncé dans le chaos En mars, 2014, janvier, expulsion des milliers d’étudiants salafisune insurrection populaire et des milices houthistes, tes de Dammaj, en périphérie de Saada marquant la proches de Téhéran, font tomber le régime pro-états fermeture du principal centre d’enseignement salafis-unien du président Hadi et progressent vers le sud. te. Février, prolongation du mandat de Hadi Nouvelle opération de l’armée yéménite, soutenue (initialement élu pour deux ans) par simple décision par des comités populaires, contre Al-Qaeda dans de la "communauté internationale" et sans que les les provinces de Lahj, d’Abyan et de Shabwa parties yéménites aient été consultées ni que son (régions du sud). Depuis le 26 mars : Opération mandat ait été précisé. Avril, offensive terrestre ap"Tempête décisive" suivie de "Redonner l’espoir", de puyée par les drones états-uniens contre les posila coalition militaire de 10 pays : Arabie saoudite, tions d’Al-Qaida, sans succès. Mi-mai, après des Emirats arabes unis, Koweït, Qatar, Bahreïn, Egyptentatives de dialogue entre le pouvoir et le leaderste, Jordanie, Maroc, Soudan et Pakistan. L’intervenhip houthiste, l’armée lance des bombardements sur tion a été déclenchée à la demande du président certaines positions rebelles. 26 juin, attaque d'Alyéménite Abd-Rabbo Mansour Hadi, réfugié à Riyad Qaïda contre l’aéroport de Seyoun dans l’est du pays. pour contrer l’avancée des rebelles houthis. 5 mai : 8 juillet, prise de la ville d’Amran (à 60 kilomètres de Le conflit déborde au-delà des frontières yéménites, Sanaa) par la rébellion "houthiste". Celle-ci affecte les Houthis bombardant la région saoudienne de directement les fondements du régime, à la fois sur le Najrane. 27 août : invasion des forces terrestres plan territorial, tribal et populaire. Août, septembre : saoudiennes. 16 septembre : retour à Aden, déclaaffrontements entre militants "houthistes" et salafistes rée capitale provisoire, du gouvernement yéménite, aboutissant à un accord, négocié notamment par en exil en Arabie saoudite depuis mars. l’envoyé spécial de l’ONU, le Marocain Jamal Ben Omar, qui doit théoriquement conduire à la formation d’un nouveau gouvernement intègrant les houthistes. Prise de contrôle de la capitale Sanaa par les Houthistes. 21 septembre : signature d’un accord parrai- 5 CIIP / Dossier de presse L’importance stratégique du Yémen Hezam Haidar, 24/07/2015 Le Yémen est situé à l’entrée de la Mer Rouge. Le détroit de Bab-el-Mandeb est un des lieux stratégiques les plus importants du Yémen. C’est un passage maritime qui relie la Méditerranée à l’Asie du Sud, et l’Extrême-Orient à la mer Rouge et au Golfe d’Aden, à travers le Canal de Suez: “Un pouvoir qui assurerait sa suprématie maritime dans l’Océan Indien pourrait devenir un acteur dominant sur la scène internationale.” (Alfred ThayusMahan (1840-1914), Géostratégiste américain pour l’US Navy, Rear Admiral) qui a eu pour conséquence une large augmentation des prix, passant de 125 à 200 YER pour l’essence et de 100 à 195 YER pour le diesel. Cela a amené de nombreuses personnes à manifester dans les rues pour protester contre cette décision et pour exiger l’adoption de réformes économiques qui incluraient la supervision et le contrôle des institutions gouvernementales et des ministères gangrénés par la corruption. La présidence et le gouvernement n’ont pas donné suite à ces demandes de la population Yéménite, jusqu’à la signature d’un accord parrainé par l’ONU appelé “Accord sur la Paix et le Partenariat” (*Peace & partnership agreement) signé le 21/09/2014. Le rôle du régime saoudien au Yémen depuis les années 1960. Le régime saoudien est toujours intervenu au Yémen pour le déstabiliser politiquement et économiquement, comme par exemple, en achetant la loyauté des politiques locaux, des autorités locales voire même des chefs de tribus. Le régime saoudien dépense des sommes importantes pour payer ces personnalités, que ce soit de façon régulière, mensuelle ou via d’importantes transactions en cash. Une autre méthode d’intervention du régime saoudien au Yémen consiste à nourrir et à faire se propager les conflits dans le pays, qu’ils soient politiques, sectaires ou tribaux. Parmi les clauses importantes figuraient notamment une entente sur les taux d’augmentation des prix du fuel, en fixant à 150 YER le prix du litre d’essence et de diesel; y figuraient également la garantie de la formation d’un gouvernement basé sur de réelles compétences, et la formation d’une commission économique qui étudierait et analyserait l’adoption d’un pack de réformes économiques en officiant au sein du gouvernement et des ministères, sous un délai de deux mois à compter de la signature de l’accord. Le Président Hadi La situation était relativement calme après la signature de cet “Accord sur la Paix et le Partenariat”, bien que le nouveau gouvernement et la commission économique n’aient pas été mis en place au terme des deux mois, comme le prévoyait l’accord, soit en décembre 2014. En janvier 2015 Hadi demanda une nouvelle fois l’extension de la période de transition. Au cours du printemps arabe au Yémen, les partis politiques étaient parvenus à un accord pour la mise en place d’un gouvernement de transition. Selon cet accord, le président Ali Abdullah Saleh remettait les pouvoirs au vice-président Abed Rabbo Mansour Hadi et des élections présidentielles devaient être organisées, pour lesquelles Hadi serait le seul candidat, et il resterait président pendant la période de transition qui devait durer deux ans, au terme desquels de nouvelles élections seraient organisées par Hadi. Certains partis insistaient déjà depuis la fin de la première période, soit avant la première rallonge de la durée en février 2014, pour la tenue d’une élection présidentielle, et d’autres partis souhaitaient quand même laisser la nouvelle formation gouvernementale, censée être plus compétente, prendre le temps de devenir opérationnelle et profiter de l’avantage d’un moment d’accalmie dans le pays. Donc, au lieu d’appeler à de nouvelles élections, ils ont suggéré de former un conseil présidentiel entre le Nord et le Sud, à égalité, dont Hadi serait le président ; mais il refusa car il voulait absolument un nouvel allongement de la période de transition. Son intransigeance plaça ensuite le pays dans un vide politique puisqu’il annonça sa démission et se retira du poste de président du Yémen le 22/01/2015. Avant que la période de transition n’arrive à son terme, Hadi commença à mettre les partis politiques sous pression pour obtenir une extension de la période de transition, au motif qu’elle n’avait pas encore abouti à un réel accord national. Afin d’éviter plus de conflits, les différents partis politiques ont accepté de prolonger d’un an la phase de transition, jusqu’en février 2015. Durant ce laps de temps, la corruption s’est propagée à travers toutes les institutions gouvernementales et la crise économique a empiré. Fin juillet 2014, le gouvernement a diminué les subventions pour le fuel, ce 6 CIIP / Dossier de presse Le 21 février il quitta Sanaa pour Aden, et le 24 février il retira sa démission. Depuis le pays s’est enfoncé dans le chaos. Un envoyé de l’ONU au Yémen, Jamal Benomar, a tenté d’amener les partis politiques à signer un accord final sur le conseil présidentiel, mais il déclara plus tard que cet accord sur le partage du pouvoir était voué à l’échec dès lors que les frappes saoudiennes avaient commencé : “des accords cruciaux sur le partage du pouvoir avaient été atteints lors des négociations, avant l’escalade du conflit le mois dernier lorsque la coalition menée par l’Arabie Saoudite a débuté ses bombardements aériens”. (J. Benomar dans son dernier rapport au conseil de sécurité des Nations Unies, le 27/04/2015) par des comités populaires, lança une nouvelle opération contre Al-Qaeda dans les provinces de Lahj, d’Abyan et de Shabwa (régions du sud), jusqu’à Aden et Marib, peu avant le début de la campagne de bombardements lancée par l’Arabie Saoudite le 26/03/2015. De nombreux membres d’Al-Qaeda ont alors fui vers les provinces d’Aden, de Marib et d’Hadramout. Cette dernière est aujourd’hui sous le contrôle de l’organisation terroriste. Pour finir, il convient de mettre l’accent sur trois points importants :· un nombre considérable de membres d’ AlQaeda sont de nationalité saoudienne,· la province d’Hadramout, la plus grande du Yémen (36% de la totalité du territoire Yéménite) est très riche en ressources pétrolières, avec une large côte sur la mer d’Arabie au sud et une longue frontière avec l’Arabie saoudite au nord,· D’après les récentes révélations de WikiLeaks sur le ministère des affaires étrangères saoudien, l’Arabie Saoudite envisagerait de prendre le contrôle de la province d’Hadramout, qui lui donnerait accès à un port sur la mer d’Arabie et c’est ce qui pourrait expliquer une des motivations de l’intervention saoudienne au Yémen. Al-Qaeda au Yémen Al-Qaeda dans la péninsule arabique, également nommée Ansar al-Sharia, est considéré comme la branche la plus active et la plus dangereuse de l’organisation d’Al-Qaeda. Cette branche est présente dans de nombreuses provinces au Yémen notamment Abyan, Lahj, Shabwa, Marib et Hadramout. En 2012 cette organisation a pris le contrôle de la province d’Abyan et a annoncé y avoir créé un Etat islamique. L’armée Yéménite lança une opération pour récupérer la province d’Abyan, qui permit de récupérer Zunjbar & Jaar, mais le succès ne fut que relatif car ils échouèrent à complètement repousser les combattants d’Al-Qaeda hors de la province d’Abyan ; ses membres restent actifs notamment à travers des attentats suicides dans divers lieux de cette province et d’autres. En mars 2015 l’armée Yéménite, soutenue Hezam Haidar 7 CIIP / Dossier de presse Yémen : le Conseil des droits de l'Homme de l’ONU doit créer une Commission d’enquête Amnesty International, 20/08/2015 www.amnesty.fr/Nos-campagnes/Crises-et-conflits-armes/Actualites/Yemen-ONU-doit-creer-uneCommission-enquete-15860 23 organisations de défense des droits humains demandent au Conseil des droits de l'homme des Nations unies de créer une commission internationale qui mènera des enquêtes sur les atteintes graves au droit international humanitaire et au droit international relatif aux droits humains attribuées à toutes les parties au conflit depuis septembre 2014. En septembre 2014, un groupe armé houthi a pris le contrôle de Sanaa, la capitale du Yémen. Le 26 mars 2015, une coalition dirigée par l’Arabie saoudite a lancé une campagne aérienne contre les forces houthies. Depuis lors, les parties au conflit ont commis de graves violations du droit international humanitaire, dont certaines sont susceptibles de constituer des crimes de guerre. 90% des réserves de nourriture et de carburant au Yémen, le blocus imposé par la coalition a eu de graves répercussions sur la situation humanitaire, et pourrait constituer un crime de guerre dans la mesure où le recours à la famine contre des civils peut être considéré comme un moyen de guerre. La moitié de la population est désormais menacée par l’insécurité alimentaire ; plus de 15,2 millions de personnes sont privées de soins de santé de base, et plus de 20 millions ne peuvent se procurer d’eau propre, ce qui contribue à la propagation de maladies évitables, telles que la dengue, la polio et les diarrhées aiguës. Frappes aériennes et tirs de mortiers aveugles La coalition emmenée par l’Arabie saoudite a effectué des frappes aériennes aveugles, en violation du droit international humanitaire, qui ont tué des dizaines de civils et touché des biens de caractère civil et des infrastructures. Le 24 juillet, par exemple, des avions de la coalition ont bombardé de manière répétée deux lotissements rattachés à la centrale électrique à vapeur de Mokha. Ces frappes ont tué à elles seules au moins 65 civils, dont 10 enfants. Lire aussi : la coalition a tué des dizaines de civils L’impunité règne au Yémen Le Haut-commissaire aux droits de l'homme a exprimé la vive inquiétude que lui inspire le nombre élevé de victimes civiles au Yémen, et a indiqué au Conseil des droits de l'homme lors de sa 29e session, en juin 2015, que le Haut-Commissariat avait « reçu des informations selon lesquelles des attaques aveugles et disproportionnées sont menées contre des zones densément peuplées. » Les forces houthies et alliées ont enfreint à maintes reprises le droit international humanitaire, notamment en tirant sans discrimination sur des zones habitées par des civils dans le sud du Yémen et de l’autre côté de la frontière, en Arabie saoudite, et en recrutant des mineurs pour grossir leurs rangs. Le 19 juillet, lors d’une des attaques les plus meurtrières qu’aient menées les forces pro-Houthis, des tirs de mortier ont coûté la vie à plusieurs dizaines de civils dans le quartier de Dar Saad, à Aden. Aux termes du droit international humanitaire, les États parties au conflit armé sont tenus d’enquêter sur les crimes de guerre que leurs forces sont accusées d’avoir commis, et de traduire en justice, dans le cadre de procès équitables, les personnes dont la responsabilité pénale serait engagée. À la connaissance d’Amnesty International, aucun des membres de la coalition ne l’a fait. D’autres États sont par ailleurs autorisés à exercer leur compétence universelle dans le cas de crimes de guerre présumés ou d’autres crimes de droit international commis au Yémen. Des groupes armés non étatiques ont porté atteinte à la neutralité de centres médicaux, de professionnels de la santé et de travailleurs humanitaires. Au 4 août, les combats au Yémen avaient fait au moins 1 916 morts parmi les civils, la plupart à la suite de frappes aériennes, selon le Haut-Commissariat aux droits de l'homme des Nations unies. Au moins 207 biens de caractère civil ont été complètement ou partiellement détruits par le conflit armé. Le 14 avril 2015, le Haut-commissaire aux droits de l'homme a demandé que toute atteinte présumée au droit international donne lieu en urgence à une enquête, et a réitéré son appel en faveur d’enquêtes rigoureuses dans son discours d’ouverture de la session de juin du Conseil des droits de l'homme. Lire aussi : Mort et chaos, les civils pris au piège au Yémen La situation humanitaire continue à se dégrader de manière ahurissante : 21 millions de Yéménites - soit 80 % de la population - ont ainsi besoin d’une assistance humanitaire. Les importations représentant Le Conseil des droits de l'homme, dans sa résolution 27/19 adoptée en septembre 2014 sur le Yémen, a demandé à l’unanimité qu’« une enquête soit ouverte 8 CIIP / Dossier de presse sur tous les cas de violations des droits de l’homme et d’atteintes au droit international humanitaire. » Le Haut-Commissariat aux droits de l'homme a également encouragé la création d’un mécanisme international chargé d’enquêter sur les violations des droits humains ayant eu lieu durant le soulèvement de 2011. Le refus des acteurs nationaux et internationaux de suivre ces recommandations n’a fait qu’alimenter la culture de l’impunité au Yémen Signataires : La Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme, Amnesty International, la Coalition arabe pour le Darfour, la Fondation arabe pour la société civile et le soutien aux droits humains, l’Institut arabe pour la démocratie, le Réseau arabe des ONG pour le développement, l’Organisation arabe des droits de l’homme - Libye, l’Organisation arabe des droits de l’homme - Mauritanie, le Programme arabe pour les militants des droits humains, l’Institut du Caire pour les études des droits de l’homme, le Centre d’éducation aux droits des femmes - Maroc, le Centre mondial pour le devoir de protection, Human Rights Watch , la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, l’Initiative internationale pour les droits des réfugiés, le Centre Khatim Adlan pour l'instruction et le développement humain, le Réseau de la non-violence dans les pays arabes, le Mouvement permanent pour la paix, le Centre Phenix pour l’étude de l’économie et de l’informatique, Progressio, Saferworld, le Premier groupe pour la démocratie au Soudan, l’Observateur des droits humains au Soudan. Le Conseil des droits de l’Homme doit agir La réticence de l’Arabie saoudite, d’autres membres de la coalition, et du gouvernement yéménite, à enquêter sur des frappes aériennes semble-t-il illégales au Yémen, ainsi que l’absence de mesures d’obligation de rendre des comptes au sein des autres parties au conflit, démontrent la nécessité pour le Conseil des droits de l'homme d’agir de toute urgence. Lors de sa 30e session, en septembre 2015, le Conseil des droits de l'homme devra agir afin d’en finir avec la culture de l’impunité qui prévaut au Yémen, et adopter une résolution dans le but d’établir une commission d’enquête internationale chargée d’examiner les atteintes au droit international humanitaire et au droit international relatif aux droits humains imputées à l’ensemble des parties depuis septembre 2014, notamment en relation avec les blocus aérien et maritime imposés par les forces de la coalition. L’enquête doit permettre d’établir les faits, de recueillir et conserver des informations liées aux abus et violations, et d’identifier les personnes soupçonnées de responsabilité pénale, dans l’objectif de garantir qu’elles soient traduites en justice dans le cadre de procès équitables. Des hommes assis devant les décombres d’un immeuble résidentiel suite à une frappe aérienne menée le 24 juillet 2015 par la coalition dirigée par l’Arabie saoudite à Mokha, dans le sud-ouest du Yémen. © 2015 Ole Solvang/Human Rights Watch 9 CIIP / Dossier de presse Yémen / Arabie Saoudite : Arabie saoudite versus Al Qaida 1/2 (extraits) René Naba, 01/05/2015 www.madaniya.info/2015/05/01/yemen-arabie-saoudite-arabie-saoudite-versus-al-qaida-1-2/ L’expédition punitive saoudienne au Yémen : un test de la crédibilité du Roi Salmane et de la viabilité de la dynastie wahhabite. L’expédition punitive saoudienne contre le Yémen, première épreuve de feu ouverte depuis la création du Royaume saoudien il y a 86 ans, paraît devoir constituer un test de la crédibilité du nouveau Roi Salmane, de la valeur dissuasive du Royaume, en même temps qu’un test pour la viabilité de la dynastie wahhabite. Fondé en 1978 par Kamal Adham, ancien chef des services de renseignements saoudiens du temps du Roi Faysal dont il était le beau frère, -l’homme du voyage de l’égyptien Anouar El Sadate en Israël- As Chark Al Awsat, le fleuron de ce groupe de presse, sera la pierre angulaire du dispositif médiatique saoudien à une période charnière du Moyen Orient à la veille de la chute de la dynastie Pahlévi en Iran et de l’instauration de la République islamique iranienne (février 1979), de la conclusion du traité de paix israélo-égyptien (Mars 1979) et de la guerre des pétromonarchies contre l’Iran, via l’irakien Saddam Hussein (septembre 1979). [… ] Salmane diluera sa participation dans ce holding, à la mi 2014, dans une démarche symbolique destinée à prendre ses distances avec les collecteurs de fonds des djihadistes au moment où ses anciens compagnons de route faisaient mauvaise presse dans les pays occidentaux par leurs abus, alors que la santé du Roi chancelante lui laissait entrevoir les portes du pouvoir. Gouverneur de Ryad pendant 50 ans, il a fait office de ministre occulte de l’information du Royaume, protecteur de tous les prédicateurs salafistes venus cherchés refuge au royaume, en même temps qu’un mécène de la presse arabe. […] Salmane, un des plus gros collecteurs de fonds pour les djihadistes Deux mois après son entrée en fonction, la nouvelle guerre du Yémen paraît répondre, sur le plan interne, à un double objectif : • Faire taire les critiques sur l’aptitude du nouveau roi, nullement juvénile, à gouverner alors que des informations persistantes font état d’une lourde pathologie handicapante dont l’octogénaire Salmane pâtirait. Le gazouilleur le plus en vue du Royaume, Moujtahed, réputé pour ses informations corrosives de pertinence, a ouvertement mentionné l’Alzheimer, sans susciter ni riposte, ni sanctions. • Provoquer l’Union sacrée autour de la personne du Roi et de neutraliser les pulsions vindicatives du prince Mout’ab, le fils aîné du défunt Roi Abdallah, brutalement évincé de la course à la succession alors qu’il avait été mis sur orbite par son père en tant de 2me vice premier ministre. Le verdict de Moujtahed Moujtahed qui a tenu en haleine le Royaume par ses révélations sur les frasques et manigances de la famille royale saoudienne dans la phase crépusculaire du règne du Roi Abdallah, ne s’est pas résolu au silence à l’avènement de son successeur le Roi Salmane. Bien mieux, faisant preuve d’audace, il a accordé une interview à un périodique du Golfe « Affaires du Golfe »; un dialogue mené par Riham Rifa’at. Contrairement aux assertions de la presse occidentale, qui soutenait inconsidérément que Salmane bénéficie d’une « réputation de probité » et d’un « grand respect » au sein de la famille royale, le nouveau roi est en fait âprement contesté, notamment par la branche Al Shammar, en raison de son obstruction, en tandem avec le Prince Saoud Al Faysal, ministre des Affaires étrangères, à la politique de libéralisation du Royaume menée par son prédécesseur Abdallah. Ci joint son verbatim : « Mout’ab : fils de l’ancien Roi Abdallah, a été rétrogradé lors du remaniement ministériel qui a marqué la promotion du nouveau Roi. 2me vice président du Conseil, c’est à dire 3eme dans l’ordre de succession, il a été rétrogradé au rang de simple ministre en charge de la garde nationale. Il vit « DANS UN GRAND ETAT DE VENGEANCE ET PLANIFIE POUR CELA ». Personne ne sait exactement ce qu’il trame. Il boycotte le Conseil de Sécurité et de Politique » du Royaume, présidé par le ministre de l’Intérieur. Des assassinats ou des attentats ne sont pas à exclure. Tout est possible avec Propriétaire d’un important groupe de presse « Research and Marketing ltd », l’homme a orchestré pendant plus de trente ans, à travers la totalité des 15 périodiques de son empire médiatique les campagnes de collecte de fonds au profit des « arabes afghans », les ancêtres des djihadistes salafistes, tant en Afghanistan, qu’en Bosnie-Herzégovine, qu’en Tchétchénie, qu’au début du printemps arabe contre la Syrie. 10 CIIP / Dossier de presse Mouta’b. En commençant par une guerre médiatique qu’il peut déclencher dans les médias relevant de son camp contre Mohamad Ben Nayef, celui a lui a succédé en tant qu’héritier du prince héritier… jusqu’aux assassinats ou attentats voire des affrontements armés avec l’autre camp », assure Moujtahed. du port d’Aden, la grande ville du sud Yémen, la place forte de la présence britannique à l’Est de Suez pour la sécurisation de la route des Indes. La militarisation des voies maritimes figure d’ailleurs parmi les objectifs de Washington dans cette zone de non droit absolu qui relie la Méditerranée à l’Asie du Sud-est et à l’Extrême-Orient par le canal de Suez, la mer Rouge et le golfe d’Aden. À lui seul, le Golfe d’Aden représente 660 000 kilomètres carrés, mais la zone de rayonnement des pirates de Somalie s’étend désormais jusqu’aux Seychelles, soit deux millions de km2. Les côtes somaliennes courent sur 3700 kilomètres, relevant de trois États, mais le plus souvent hors de toute juridiction. Vingt mille navires empruntent cette autoroute maritime chaque année, transportant le tiers du ravitaillement énergétique de l’Europe. Toutefois, les revers enregistrés par l’Arabie saoudite dans son expédition punitive contre le Yémen (MarsAvril 2015) a contraint Salmane à mobiliser la Garde Nationale pour la protection des frontières du Royaume, replaçant Mout’ab au centre du jeu politique saoudien. Fondée par le défunt Roi Abdallah, la Garde Nationale est constituée de près de 100 000 combattants exclusivement recrutés au sein des rugueux guerriers tribaux. Tenue en suspicion par le clan Sideiry au pouvoir à Riyad en ce qu’il s’agit d’une création d’Abdallah, Chef du Clan Al Shammar, elle était traitée comme un détachement supplétif de l’armée gouvernementale. L’intervention de la Garde Nationale dans la guerre du Yémen signe l’échec de l’armée traditionnelle relevant de l’autorité du ministère de la Défense placée sous l’autorité du clan Sideiriy depuis près de 60 ans. L’Éthiopie, pays africain non musulman, a été désigné par les États-Unis pour faire office de « gendarme régional » dans la Corne de l’Afrique, à l’instar d’Israël pour le Proche Orient. Toutefois l’échec de l’Éthiopie à mater la rébellion du régime des tribunaux islamiques a conduit l’alliance occidentale à mettre en place un dispositif de lutte contre la piraterie maritime s’articulant sur trois volets États-Unis, Union européenne et OTAN. Sur le plan bilatéral : Arabie versus-Al Qaida, un conflit de légitimité sur fond de contentieux territorial En 2009, 168 actes de piraterie ont été recensés, dont douze navires et deux cents cinquante otages détenus sur la côte somalienne au 1er décembre dernier. Le dispositif international est déployé depuis Djibouti (Golfe d’Aden) et les Seychelles (sud océan Indien), qui constituent les principales bases de soutien des opérations maritimes et aériennes d’antipiraterie. Une vingtaine de bâtiments de guerre croisent en permanence dans le Golfe d’Aden et patrouillent le long des côtes somaliennes. La guerre saoudienne contre le Yémen est en outre destinée à purger le conflit de légitimité qui oppose la dynastie wahhabite au fondateur d’Al Qaida, Oussama Ben Laden, yéménite de naissance, ancien sujet du Royaume, en même temps que de couper définitivement court aux velléités yéménites de revendiquer la restitution des trois provinces yéménites annexées par l’Arabie saoudite dans la décennie 1930. Le contentieux territorial Périmètre hautement stratégique, cette zone à forte charge symbolique est le lieu d’immersion présumée d’Oussama Ben Laden, abritant de surcroît en Arabie saoudite la plus importante base de drone dans le secteur, en charge de la traque des djihadistes d’Al Qaida dans la péninsule arabique. Outre le conflit de légitimité qui oppose les disciples de Ben Laden à la dynastie wahhabite, l’intervention saoudienne au Yémen, la 3e de son histoire, vise à couper définitivement court aux velléités yéménites de revendiquer la restitution des trois provinces yéménites annexées par l’Arabie saoudite dans la décennie 1930. Matrice de la culture arabe, son foyer de civilisation, ce pays, placé selon son étymologie à droite sur le chemin du pèlerinage de la Mecque, n’a jamais été colonisé. Situé à la pointe sud-ouest de la péninsule arabique, frontalier de l’Arabie saoudite au Nord, et du Sultanat d’Oman à l’Est, le Yémen possède une façade maritime d’une longueur de 1 906 km de côtes et couvre une surface de 527 970 km², soit presque autant que la France. Ces trois provinces -Assir Jizane et Najrane- avaient été annexées dans la pure tradition israélienne, par l’Arabie saoudite en 1932, annexion ratifiée par l’accord de Taëf de 1934. Le Yémen s’oppose à la reconduction pour vingt ans de cet accord arrivé à expiration en 1992. L’expulsion de près d’un million de travailleurs yéménites d’Arabie saoudite en 1990 pour l’alignement de Sana‘a sur l’irakien Saddam Hussein dans son contentieux territorial avec le Koweït, a conduit le gouvernement yéménite, dans l’espoir d’obtenir une aide économique saoudienne, à mettre une sourdine à ses revendications territoriales, au grand dam d’une fraction de l’opinion yéménite. Via ses trois îles, -Kamran, Perrin, et Socotra- il commande l’accès à la mer Rouge par le détroit de Bab El-Mandeb, et l’île de Socotra (la plus grande des îles) dans l’océan Indien. Signe de l’importance stratégique de la zone, le Royaume Uni, du temps du protectorat britannique sur l’Arabie du sud, avait fait 11 CIIP / Dossier de presse central. Israël et l’Arabie saoudite sont deux des plus grands colonisateurs de la planète. Pour Israël, une colonisation de l’ordre de 20 fois la superficie de la Palestine, alors que l’Arabie saoudite, sous la bannière de la firme Ben Laden, la firme familiale du fondateur d’Al Qaida, se tournait vers l’Afrique et l’Asie pour s’assurer des terres arables pour parvenir à son auto suffisance alimentaire. […] Al Qaida dispose en outre d’une filiale strictement somalienne « les fameux chebab » (les jeunes), qui se sont signalés à l’opinion internationale par un raid meurtrier sur l’Ouganda, le 11 juillet 2010, faisant une soixantaine de morts, et de deux raids particulièrement meurtriers contre le Kenya, en 2013 et 2015. Et d’une légendaire branche maghrébine, faisant la jonction opérationnelle entre le Monde arabe et le Monde africain, « Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) ». Résultante d’un processus de scissiparité, AQMI est la transformation, en janvier 2007, par intégration dans le réseau de Ben Laden du Groupe salafiste algérien pour la prédication et le combat (GSPC), fondé lui-même en 1998 par dissidence du Groupe islamique armé (GIA). Officiant généralement dans les déserts algérien, malien, nigérien et mauritanien, Al Qaida a mis à profit la porosité des frontières pour étendre son théâtre d’opérations dans la zone désertique du Sahel. L’Arabie saoudite, elle, a mis sur pied une société publique pour financer les entreprises privées du royaume qui achètent des terres à l’étranger. Elle s’est tournée vers l’Afrique, en raison de sa proximité avec le Royaume. La firme saoudienne « Haïl Hadco » loue ainsi des milliers d’hectares au Soudan avec pour objectif d’en cultiver 40 000, alors que le groupe Ben Laden, spécialisé dans les travaux publics, s’est engagé en Asie à la tête d’un consortium, espérant, à terme, gérer 500 000 hectares de rizières en Indonésie, dans le cadre d’un projet agricole de 1,6 million d’hectares comprenant la production d’agro carburant. L’implication d’Al Qaida dans le conflit inter yéménite, son environnement somalien et leur prolongement sahélien a retenti comme un camouflet à ses anciens partenaires, l’Arabie saoudite et les États-Unis, en même temps qu’elle a souligné la dérision de la stratégie américaine dans son objectif majeur, « la guerre mondiale contre le terrorisme », la mère de toutes les batailles. Le Yémen, un pays de perdition dans la terminologie saoudienne Le Yémen, dans la terminologie saoudienne, est désigné par le terme de « Qaidat Al Hallak », la base de perdition, un jeu de mot par référence à Al Qaida qui a fait du Yémen une de ses plate formes opérationnelles : un « lieu de débauche » en raison du nombre de femmes saoudiennes qui ont fui leur pays pour se rendre au Yémen participer au Djihad Al Nikah, le mariage de confort pour le repos du guerrier. [… ] L’étouffoir saoudien génère des fugueuses de tous acabits, tous azimuts en ce que les voies du Djihad Al Nikah peuvent emprunter divers chemins aussi bien vers le nord, la Syrie, que vers le sud, le Yémen, que vers l’Ouest… [… ] Al Qaida au Yémen est en fait un retour aux fondamentaux du conflit de légitimité qui oppose le chef du mouvement à la famille Al Saoud. Oussama Ben Laden se considère détenteur d’une légitimité glanée sur les champs de bataille d’Afghanistan, qui a eu pour effet de valoriser la position saoudienne auprès de ses alliés américains, un rôle que lui dénie la famille Al-Saoud. Bénéficiant d’une audience certaine tant au sein de l’Islam asiatique (Afghanistan Pakistan) que de l’Islam africain (Sahel subsaharien), Oussama Ben Laden a longtemps souffert d’un handicap majeur au sein du noyau historique de l’Islam -le monde arabedu fait de son passé d’agents de liaison des Américains dans la guerre anti soviétique d’Afghanistan (1980-1990), détournant près de cinquante mille combattants arabes et musulmans du champ de bataille principal, la Palestine, alors que Yasser Arafat, chef de l’OLP, était assiégé à Beyrouth par les Israéliens avec le soutien américain (juin 1982). S’il peut se targuer d’avoir contribué à précipiter l’implosion d’un « régime athée », l’Union soviétique, ses censeurs lui ont reproché d’avoir privé de leur principal soutien militaire, les pays arabes du « Champ de bataille », l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), l’Égypte, la Syrie, l’Irak, ainsi que l’Algérie, le Sud Yémen, le Soudan, la Libye et la Somalie. Le redéploiement d’Al Qaida au Yémen, un camouflet à ses anciens parrains Al Qaida a procédé à une décentralisation de son mouvement dans une démarche symétrique à la nouvelle doctrine américaine de la furtivité, conférant une large autonomie aux commandements régionaux, en application de la nouvelle stratégie du « combat disséminé » mise en œuvre avec succès par le Hezbollah libanais contre Israël, en 2006. Depuis la reprise des hostilités à grande échelle au Yémen, « Al Qaida » a ainsi procédé à la réunification des deux branches opérant dans la zone, l’Arabie saoudite et le Yémen, pour lancer, en 2008, « Al Qaida pour la Péninsule arabique », s’attaquant aux objectifs stratégiques, l’ambassade de États-Unis, en 2008, et un centre de sécurité d’Aden où étaient détenus des membres de son organisation, en juin 2010 en vue de peser sur la pulsion séparatiste des sudistes yéménites et contribuer à délégitimer le pouvoir Son autorité de ce fait s’est heurté sur la scène arabe au charisme d’authentiques dirigeants à la légitimité avérée aux yeux de larges factions du monde arabo musulman, Cheikh Hassan Nasrallah, chef du Hez12 CIIP / Dossier de presse bollah, le mouvement chiite libanais, auteur de deux exploits militaires contre Israël (2000, 2006), et le Hamas, le mouvement sunnite palestinien, dont l’incomparable avantage sur Oussama Ben Laden a résidé dans le fait qu’ils n’ont jamais déserté, eux, le combat contre Israël, l’ennemi principal du monde arabe. Le mouvement sunnite palestinien a toutefois pâti de son alignement sectaire sur les pétromonarchies sunnites lors de la séquence du « printemps arabe » désertant ses anciens compagnons d’armes, tout comme la branche militaire d’Al Qaida, du fait de sa connivence avec Israël dans le Golan, depuis 2014. déclarer « non grata » Bandar, l’ancien enfant chéri des États-Unis, le « Great Gatsby » de l’establishment américain. Fait significatif, l’un des responsables d’Al-Qaida dans la péninsule Arabique n’est autre que l’imam radical Anwar Al-Aulaqi, un homme que les Américains désignent comme responsable de la stratégie de communications d’Al Qaida à destination du monde anglophone, via le site en ligne « Inspire ». Yéménite né aux États-Unis, il a revendiqué comme disciple l’auteur de l’attentat avorté du vol Amsterdam Detroit le 25 décembre 2009, illustration symptomatique de la confusion régnant dans les rapports entre les États-Unis et le monde musulman et l’instrumentalisation américaine de l’Islam dans son combat contre l’Union soviétique. Il figure désormais comme objectif prioritaire de la doctrine Obama. La destruction par ses alliés talibans des Bouddhas de Bâmiyân, dans le centre de l’Afghanistan, en 2001, en aliénant à l’Islam près d’un milliard de bouddhistes, a accentué cette suspicion à son égard.[… ] L’implantation d’Al Qaida pour la péninsule arabique au Yémen pourrait avoir un effet déstabilisateur sur le royaume, qui « ne sera pas à l’abri d’un effondrement, en cas de chute du régime yéménite », a averti le 17 juillet 2010, le ministre yéménite de l’enseignement supérieur, Saleh Basserrate, déplorant l’absence de coopération de l’Arabie dans le règlement des difficultés économiques du pays (Cf. « L’appel au secours L’ancrage d’une organisation essentiellement sunnite, excroissance du rigorisme wahhabite, sur le flanc sud de l’Arabie saoudite, porte la marque d’un défi personnel de Ben Laden à ses anciens maîtres en ce qu’elle transporte sur le lieu même de leur ancienne alliance la querelle de légitimité qui oppose la monarchie à son ancien serviteur. du Yémen à l’Arabie saoudite », éditorial de Abdel Bari Atwane, directeur du journal pan arabe « Al Qods al Arabi » paraissant à Londres, en date du 17 juillet 2010 ). Sur fond d‘épreuves de force américano-iranien à l’arrière plan du contentieux nucléaire iranien, les disciples d’Oussama Ben Laden, yéménite d’origine, saoudien de nationalité déchue, ont choisi de livrer bataille sur la terre des ancêtres du fondateur de leur mouvement. L’alerte a été jugée suffisamment sérieuse pour conduire le Roi Abdallah à engager ses forces dans les combats du Yémen, à l’automne 2009, aux côtés des forces gouvernementales. L’implication d’un membre de l’entourage familial du Prince Bandar Ben Sultan, fils du ministre de la défense et ancien président du Conseil national de sécurité, dans la réactivation des sympathisants d’Al Qaida tant en Syrie qu’au Nord Liban, dans la région du camp palestinien de Nahr el Bared, a donné la mesure de l’infiltration de l’organisation pan islamiste au sein des cercles dirigeants saoudiens, en même temps qu’elle fragilisait le Royaume vis-à-vis de ses interlocuteurs tant Arabes qu’Américains. De porter, dans l’ordre symbolique, leur bataille décisive contre la monarchie saoudienne, qu’il considère comme un renégat de l’islam, l’usurpateur saoudien des provinces yéménites, dans un combat retourné dont le terme ultime devrait être le rétablissement de la légitimité du label d’une organisation en perte de vitesse au sein du Monde arabe, au profit du nouveau acteur régional Da’ech, excroissance pathologique de l’éradication des assises du pouvoir sunnite en Irak du fait de l’invasion américaine de l’ancien capitale de l’empire abbasside, en 2003. Cheikh Maher Hammoud, Mufti sunnite de la Mosquée « Al Qods » de Saida, (sud Liban), a ouvertement accusé le Prince Bandar depuis la chaîne transfrontière Al Jazira, samedi 26 juin 2010, d’avoir financé des troubles au Liban particulièrement contre les zones chrétiennes de Beyrouth dans une opération de diversion, sans que cette déclaration ne soit démentie ou le dignitaire poursuivi en justice, Le roi Salmane et Oussama Ben Laden conduisant l’Amérique à 13 René Naba CIIP / Dossier de presse Yémen / Arabie Saoudite : Arabie saoudite versus Houthistes 2/2 René Naba, 04/05/2015 www.madaniya.info/2015/05/04/yemen-arabie-saoudite-arabie-saoudite-versus-houthistes-2-2/ Une fermeture totale du Détroit d’Ormuz, par où transitent 90 pour cent du pétrole produit par le Golfe, priverait l’Occident du quart de sa consommation quotidienne d’énergie. Vingt mille navires empruntent cette autoroute maritime chaque année, transportant le tiers du ravitaillement énergétique de l’Europe. La flotte américaine a installé à Manama (Bahreïn) le quartier général de la Vème flotte, en charge de l’Océan Indien. Elle dispose en outre de facilités à l’île de Massirah (Sultanat d’Oman), ainsi que sur la rive africaine de l’Océan indien, à Berbera (Somalie), à Mombasa (Kenya) et dans l’île britannique de Diégo Garcia. Les enjeux énergétiques : le Détroit d’Ormuz Veine jugulaire du système énergétique mondial, le golfe arabo persique constitue, de l’avis de nombreux observateurs, un possible point d’impact dérivé de la confrontation entre l’Iran et l’Arabie saoudite du fait de la guerre du Yémen. Un des principaux ravitailleurs du système énergétique mondial, le golfe arabo-persique sert en même temps de gigantesque base militaire flottante de l’armée américaine, qui s’y ravitaille à profusion, à domicile, à des prix défiants toute concurrence, auprès de ses protégés pétromonarchies. Tous, à des degrés divers, y paient leur tribut, accordant sans états d’âme, des facilités à leur protecteur. La zone est, en effet, couverte d’un réseau de bases aéronavales anglo-saxonnes et françaises, le plus dense du monde. Le Monde arabe regroupe trois des principales voies de navigation transocéaniques, mais n’en contrôle aucune. Le détroit de Gibraltar, qui assure la jonction entre l’Océan Atlantique et la Mer Méditerranée, est sous observation de la base anglaise située sur le promontoire de Gibraltar, une enclave située sur le territoire de l’Espagne. La jonction Méditerranée-Mer Rouge est sous le contrôle des bases anglaises situées aux deux extrémités du Canal de Suez (les bases de Dekhélia et d’Akrotiri (Chypre) et la base de Massirah (Sultanat d’Oman). Enfin, le passage golfe arabo persique Océan indien est sous l’étroit contrôle du chapelet de bases de l’Otan : le camp francoaméricain de Djibouti, la base aéronavale française d’Abou Dhabi, le QG du Centcom du Qatar, et la base aéronavale américaine de Diego Garcia. Voie d’eau d’un millier de km de long et dont la largeur avoisine 50 km dans sa partie la plus resserrée, le Golfe est une zone de jonction entre le Monde arabe et le Monde perse, entre le sunnisme et le chiisme, les deux grands rameaux de l’Islam. Elle borde l’Iran, qui se veut le fer de lance de la Révolution islamique, l’Irak, qui s’est longtemps présenté comme la sentinelle avancée du flanc oriental du Monde arabe, ainsi que six monarchies pétrolières de constitution récente, faiblement peuplées et vulnérables, mais dont la production de brut vient au premier rang du monde. C’est aussi une zone intermédiaire entre l’Europe, dont elle est le premier fournisseur de pétrole, et, l’Asie, qui seraient les premières touchées par une éventuelle interruption du trafic maritime. Le Golfe soutient, enfin, selon les stratèges occidentaux, le fameux « arc de l’islam » de la confrontation dans le tiers-monde, qui va de l’Afghanistan à l’Angola en passant par la Corne de l’Afrique. En vertu du principe de la liberté de navigation, la totalité des voies de passage transocéaniques, à l’exception du Détroit de Behring, sont sous contrôle de l’Occident. Du Détroit de Gibraltar au Détroit du Bosphore, au Détroit des Dardanelles, au Détroit de Malacca, au détroit d’Ormuz. Si la Chine a réussi à contourner ce goulot d’étranglement en développant sa « stratégie du collier de perles » par l’aménagement d’un chapelet de ports amis le long des ses voies de ravitaillement, du Sri Lanka à l’Afrique orientale, à l’Europe avec la zone franche du Pirée, de même que la Russie avec Tartous et Banias, sur la côte syrienne de la Méditerranée, cela n’a pas été le cas pour le monde arabe. La plus forte armada de l’après Vietnam y était concentrée durant la guerre irako iranienne (19791989). Pas moins de 70 navires, avec au total 30 000 hommes, appartenant aux flottes de guerre américaine, soviétique, française et britannique croisaient dans les eaux du Golfe, le détroit d’Ormuz, la Mer d’Arabie et le nord de l’Océan indien. A cette armada s’ajoutaient les flottes consacrées à la défense côtière des pays de la région. Lors de l’extension du conflit irakoiranien, à la suite de la décision de l’Irak de décréter une « zone d’exclusion maritime », 540 bâtiments (pétroliers, cargos) ont été coulés ou endommagés soit près double du tonnage coulé pendant la 2me Guerre mondiale (1939-1945), transformant cette voie d’eau en un gigantesque cimetière marin. Au-delà de la mise au pas de ces deux pays récalcitrants à l’hégémonie occidentale, la double épreuve de force contre la Syrie et l’Iran sous-tend, en complément, une opération de contournement du détroit d’Ormuz par substitution de la voie terrestre à la voie maritime du transport des hydrocarbures du Golfe vers l’Europe, via les ports méditerranéens de la Tur14 CIIP / Dossier de presse quie, à travers le projet TAP, l’oléoduc trans-anatolien chargé d’acheminer vers l’Europe la production de brut des pétromonarchies et de l’Irak. Le développement de la capacité de l’oléoduc de l‘ancienne IPC (Irak Petroleum Cy) des champs pétroliers du nord de l’Irak vers le terminal syrien de Banias figure également dans les projets des pétroliers, en cas de chute du régime syrien, réduisant ainsi la trop grande dépendance de l’Europe occidentale vis-à-vis des hydrocarbures de l’Algérie et de la Russie, deux pays hors de la sphère de l’Alliance Atlantique. tes habitent sur les hauts plateaux yéménites et notamment la province de Saada (Nord du pays) et présentent de nombreuses différences au niveau du dogme par rapport aux chiites duodécimains iraniens. Ils représentent 30 pour cent environ des 22,2 millions de Yéménites qui sont en majorité sunnites. De plus, ils partagent de nombreuses interprétations religieuses avec la majorité sunnite chaféite. Les houthistes dénient toute instrumentalisation de leur cause par une puissance étrangère et insistent au contraire sur l’aide que le royaume saoudien apporterait au président. Un impératif au regard de l’évolution du trafic maritime mondial : sur les vingt plus grands ports porteconteneurs du Monde, treize se trouvent en Asie, un continent qui assurera, en l’an 2020, plus de la moitié des productions mondiales. Dans la perspective d’une épreuve de force, les États-Unis ont aménagé une base de drones en Arabie saoudite et parachevé un nouveau système radar au Qatar en complément de ceux déjà installés en Israël et en Turquie pour former un vaste arc régional de défense antimissile, alors qu’Abou Dhabi confiait la protection de ses champs pétrolifères à une firme israélienne dirigée par l’ancien député de gauche Yossi Sarid et l’Arabie saoudite, le contrôle passager de l’aéroport de Djeddah, voie d’entrée des centaines de milliers de pèlerins vers la Mecque, à un sous traitant saoudien d’une firme israélienne chargée du traitement des prisonniers palestiniens des territoires occupés. Minoritaires, certes, les opposants bénéficient néanmoins du soutien d’une fraction de l’armée yéménite fidèle à l’ancien président Ali Abdallah Saleh, chassé du pouvoir en 2012 et d’un encadrement logistique et militaire des « Gardiens de la Révolution » iranienne. Mais au-delà du conflit inter tribal, les Yéménites nourrissent de solides griefs à l’égard de l’Arabie saoudite à laquelle ils reprochent, au delà du contentieux territorial, d’avoir longtemps entretenu l’instabilité dans le pays en alimentant directement le budget de la défense, contournant ainsi le pouvoir d’état au bénéfice alternatif des deux principales confédérations tribales : les Beni Hached et les Bakil. Cheikh Abdallah Hussein Al Ahmar, homme fort de la tribu des Hached, dirigeant du parti d’Al Islah (la réforme) et Président du Parlement yéménite, passe pour bénéficier des subsides saoudiens dans la nouvelle confrontation. Le parti Islah, à l’instar du Hamas Palestinien, a cédé à son clientélisme habituel, cautionnant cette intervention sur la même base sectaire que la Confrérie des Frères Musulmans, pourtant criminalisés par le royaume. Sur le plan régional : sous prétexte du danger d’un axe chiite, une démonstration de force du pacte sunnite de la contrerévolution arabe La nouvelle guerre du Yémen a éclaté en 2004 à la suite de la capture des principaux chefs houthistes et la mort au combat de leur chef, Hussein Al Houthi, tué en septembre de cette année-là par un missile au cours d‘une opération clandestine de la CIA en représailles contre l’attentat contre le destroyer Cole. Hussein, figure de proue du mouvement, a été remplacé depuis lors par son frère Abdul Malik. Empruntant un mode opératoire identique à la répression du Bahreïn, l’équipée collégiale du pacte sunnite dans une guerre disproportionnée contre le pays le plus pauvre du Monde arabe signe la faiblesse du régime saoudienne et sa crainte d’une nouvelle déconfiture militaire comparable à sa précédente aventure au Yémen en 2009. « Pour un royaume habitué au "soft power" et qui a longtemps sous-traité sa sécurité aux États-Unis, ce qui ressemble au départ à une escarmouche se transforme très vite en épreuve. Elle est suivie de très près par les Américains, appelés à la rescousse pour ravitailler l’armée saoudienne. » Il s’agit de l’engagement le plus significatif depuis qu’Abdel Aziz a combattu pour établir le royaume saoudien », il y a plus d’un siècle, écrit en décembre l’ambassade américaine à Riyad, selon un télégramme obtenu par WikiLeaks et révélé par Le Monde. À la tête du pays depuis trente-deux ans (1978), le président Ali Abdallah Saleh avait alors accusé ses rebelles de vouloir renverser son régime pour rétablir l’imamat zayidite, aboli en 1962 à Sanaa, et d’être manipulés par l’Iran. Les Houthistes, quant à eux, se plaignent d’avoir été marginalisés par le gouvernement sur le plan politique, économique et religieux, et demandent le rétablissement du statut d’autonomie dont ils bénéficiaient avant 1962. Ils assuraient défendre une identité menacée selon eux à la fois par la politique du pouvoir central, qui maintiendrait leur région dans le sous-développement, et par la poussée d’un fondamentalisme sunnite à l’égard duquel Sanaa entretient souvent l’ambiguïté. Mais le bilan dressé par les Américains des bombardements saoudiens jugés « disproportionnés », aussi massifs qu’imprécis dans un théâtre d’opération montagneux, est particulièrement sévère, même si au final les Saoudiens assurent avoir repoussé les rebelles. Au point que lors d’une rencontre avec le vice- Issus du courant religieux chiite zayidite, les Houthis15 CIIP / Dossier de presse ministre saoudien de la défense qui a dirigé les opérations, le prince Khaled Ben Sultan, quelques semaines plus tard, l’ambassadeur américain s’inquiète du bon usage fait par l’aviation saoudienne des images prises par satellite transmises par les États-Unis. L’ambassadeur présente au prince la photo d’un bâtiment bombardé qui, selon les États-Unis, est un hôpital. « Cela me dit quelque chose », remarque le prince, avant d’ajouter : « Si nous avions eu des Predator, peut-être que nous n’aurions pas eu ce genre de problème.» Et le prince de mettre en cause la qualité des informations données par les Yéménites, relate Gilles Paris dans le Journal le Monde en date du 7 Décembre 2012 dans un article intitulé « WikiLeaks : les ombres d’une campagne saoudienne ». La coalition anti Yémen, un assemblage hétéroclite d’obligés du Royaume Sans doute l’effet du hasard, qui n’en est pas moins révélateur, l’annonce du décès du Roi Abdallah le 23 janvier 2015 est intervenue, alors que le Yémen plongeait dans le chaos à la suite de la démission collective du président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi de son gouvernement, sous les coups de butoir de la milice chiite Ansar Allah et que Riyad se hâtait de dresser un mur de 900 kilomètres à sa frontière avec l’Irak pour se protéger d’une invasion par les djihadistes de l’état islamique autoproclamé. L’objectif officiel de la guerre est de rétablir la légalité au Yémen avec le retour du président Abd Rabbo Hadi Mansour. Son objectif sous-jacent : la partition du Yémen et l’aménagement d’une zone de sécurité pour y installer un gouvernement fantoche à la dévotion des princes d’Arabie en vue d’y mener une guerre d’usure contre leurs adversaires. Mais la coalition mise sur pied pour châtier le Yémen représente un assemblage hétéroclite d’obligés du Royaume, ayant tous participé dans leur quasi totalité à la contre révolution lors de la séquence dite du « printemps arabe » (Arabie, Bahreïn, Émirats Arabes Unis, Koweït, Qatar, Jordanie, Maroc). Dans la nouvelle expédition du Yémen, l’Arabie saoudite dispose de Predator et d’un PC conjoint avec les Américains sans pour autant qu’il soit assuré de l’issue de la bataille. Un mois après le début de l’offensive saoudienne, alors que la bataille marque le pas, les Américains ont fait appareiller vers le Golfe d’Aden le porte-avions Theodore Roosevelt et le croiseur lance-missiles Normandy en vue d’épauler leurs alliés monarchiques Démonstration de force ou combat d’arrière garde du pacte sunnite ? Cette « tempête décisive », impressionnante par son déploiement, représente 150 000 militaires et 100 avions de combat, avec une contribution de onze pays : Les Émirats arabes unis 30 avions de combat ; Bahreïn et Koweït 15 appareils chacun et le Qatar 10. Le vent de panique qui s’est emparé de l’Arabie saoudite aux premiers soulèvements populaires arabes, en Tunisie et en Égypte, a déclenché un branlebas de combat sans précédent dans la péninsule arabique, avec le rattachement d’office de la Jordanie et du Maroc au syndicat des pétromonarchies du Golfe et l’opération de police à Bahreïn. Une opération sans risque face une opposition civile désarmée, dans un pays qui abrite la base navale de la 5eme flotte américaine pour la zone Golfe Océan indien. Jadis rivale sur le plan arabe de l’Arabie saoudite et rescapé du néo islamisme de la confrérie des Frères Musulmans avec l’aide saoudienne, l’Égypte est réduite de ce fait au rang d’escorteur. Elle a dépêché quatre navires de guerre pour sécuriser le Golfe d’Aden et le Détroit de Bab El Mandeb (le Détroit des Lamentations) et participé à des manœuvres conjointes égypto-saoudiennes sur le territoire saoudien en vue de donner de l’assurance et de la contenance aux saoudiens. L’équipée du Yémen relève toutefois d’un autre registre. Première guerre frontale du Royaume depuis sa fondation en 1929, elle traduit une rupture avec la stratégie oblique pratiquée par les wahhabites dans leur confrontation avec leurs rivaux depuis la fondation du Royaume. Le Soudan, dont le président Omar Al-Bachir, sous le coup d’un mandat de justice internationale pour crime contre l’humanité au Darfour, opère là un retour remarqué sur la scène internationale, en consentant à l’envoi de « chair à canon » pour la défense du meilleur allié de ses bourreaux occidentaux. Fermnt le ban, la Jordanie et le Maroc, les deux alliés stratégiques souterrains d’Israël dans le Monde arabe, le Hachémite au Machreq et l’Alaouite au Maghreb. Que cela soit au Yémen, dans la décennie 1960 contre les républicains nassériens, ou en Afghanistan, dans la décennie 1980, contre l’Union Soviétique, via les « arabes afghans », ou encore contre l’Iran Khomeiniste, dans la décennie 1980, via l’irakien Saddam Hussein, un dirigeant qui se réclamait pourtant d’une idéologie nationaliste et laïque, qui se muera en factotum de monarques rétrogrades et tribaux et en paiera le prix en termes d’ingratitude ; ou enfin en Syrie (2011-2015), via les djihadistes takfiristes du prince Bandar Ben Sultan. Le Pakistan, longtemps chargé de la défense de l’espace aérien saoudien, traîne les pieds dans une opération qu’il présume sans doute aléatoire. Le sultanat d’Oman, lieu des rencontres secrètes entre les États Unis et l’Iran, s’est abstenu de participer à cette expédition punitive, lancée le 25 mars 2015, en vue de préempter les décisions du sommet arabe à Charm 16 CIIP / Dossier de presse vant un parterre d’officiers supérieurs réunis au palais royal, à la veille de l’offensive saoudienne, le Roi Salmane a assuré ses gradés que son armée avait engagé le combat pour défendre en premier lieu « l’Islam et le pays abritant les deux saintes mosquées de l’islam (La Mecque et Médine) ». El Cheikh (Égypte) qui devait se tenir le lendemain, en le plaçant devant le fait accompli, alors que l’Iran finalisait un accord international sur l’usage de sa capacité technologique nucléaire. La participation du Qatar à cette équipée pose le problème des arrières pensées du rival wahhabite en ce que bon nombre d’observateurs arabes n’excluent pas l’idée que le minuscule émirat n’ait voulu créer les conditions d’un enlisement saoudien dans le conflit yéménite à l’effet de donner à Doha une plus grande marge de manœuvre diplomatique sur le plan régional. Dans cette perspective la participation du Qatar l’expédition punitive collective monarchique s’apparente fort à un « baiser de judas ». Voulant dans doute donner des gages aux Israéliens et aux Américains et faire taire éventuellement les critiques sur ce qui constitue au regard du droit international une « agression caractérisée », le monarque saoudien s’est exclamé, en un style décousu, au débit saccadé, sans que ses propos lapidaires n’aient un lien quelconque avec la thématique de son discours : « Que Dieu ait en sa sainte miséricorde les Juifs (…). ». « Je m’appelle Kamal (terme qui se traduit par plénitude ou perfection), a-t-il assuré, précisant qu’il inscrivait son action dans la fidélité à ses prédécesseurs : Abdel Aziz, Saoud, Faysal, Khaled, Fahd, Abdallah, de même que les deux princes héritiers décédés prématurément Sultan et Nayef »., soit la totalité du clan Sideiry qui a gouverné le Royaume pendant cinquante ans, si l’on excepte les rois Abdel Aziz, Saoud et Abdallah. Le refus de la Turquie et du Pakistan, deux grandes puissances militaires sunnites, de participer à la foire d’empoigne saoudienne a retenti comme un camouflet majeur pour la cohorte des roitelets du Golfe. Cinquante mille (50 000) « arabes afghans » contre l’Union soviétique en Afghanistan et 150 000 soldats contre le Yémen et pas une mobilisation contre Da’ech, leur excroissance générative. Pas un réserviste pour La Mosquée Al Aqsa de Jérusalem, 3me haut lieu de l’Islam, occupé depuis 48 ans par Israël et dont le gardien des hauts lieux de l’Islam en a théoriquement la garde en partage avec le hachémite de Jordanie ? Le discours sur ce lien : https://www.youtube.com/ watch?v=S4y41nnO5fY&sns=em « Le trouble et la confusion constituent la marque de la politique saoudienne au Yémen. Mohamad Ben Nayef, ministre de l’intérieur, est en charge du dossier, mais ignore ce qu’il fait. Lui et les Américains ont fermé l’œil sur les Houthistes pour contrecarrer Al Qaida au Yémen. Il s’est même impliqué avec eux », Dixit Moujtahed. Sous couvert du combat contre l’expansionnisme de « l’axe chiite », l’objectif subliminal de cette guerre du bloc sunnite paraît destinée à entraver tout rapprochement des pays occidentaux avec l’Iran, chef de file du courant chiite et de l’axe de la contestation à l’hégémonie israélo-américaine dans la zone, avec de solides points d’ancrage en Irak, du fait saoudoaméricain, en Syrie, au Liban, via le Hezbollah enfin au Yémen. Dans une démonstration de force destinée à témoigner de sa détermination à mettre en échec les armes saoudiennes, l’Iran a dépêché une demie douzaine de patrouilleurs, forçant les ÉtatsUnis à faire pression sur son allié saoudien pour un arrêt des raids aériens. L’équation désormais est la suivante : Tout soutien accordé par l’Arabie saoudite à une quelconque tribu du Yémen signifie par ricochet un soutien à Al Qaida, dont le fondateur, ne l’oublions pas, est de tout même d’origine yéménite, Oussama Ben Laden. Toutes les tribus ont fait alliance avec Al Qaida contre les Houthistes». L’Irak est aussi une autre sale affaire pour l’Arabie saoudite. L’alliance du gouvernement saoudien avec la coalition anti Da’ech l’a placée en confrontation directe avec Da’ech », soutient le gazouilleur. L’échec de l’Arabie saoudite dans sa première épreuve de force directe sur la scène internationale ferait voler en éclat dispositif arachnéen de la stratégie énergétique façonnée par les États-Unis depuis la découverte du pétrole au début du XXeme siècle, nonobstant les lourdes conséquences sur la structure du régime du pouvoir saoudien. Et, corrélativement à l’issue de la guerre de Syrie, l’expédition du Yémen déterminera, sans nul doute, la hiérarchie des puissances dans l’ordre régional. Ni les États-Unis, la plus ancienne démocratie du Monde contemporain, pas plus que le Royaume Uni, le concepteur de l’« Habeas Corpus », encore moins la France, la « Patrie des droits de l’homme » n’ont jamais émis la moindre critique sur le comportement exorbitant de l’Arabie saoudite, tant dans son rôle d’incubateur du djihadisme planétaire, que pour sa promotion de l’obscurantisme dans la sphère musulmane, que pour son usage inconsidéré de la décapitation en guise de châtiment suprême, que sur la réduction de la gente féminine du royaume à la condition de « dépendante ». Salmane aux forces armées : « Que Dieu ait en sa sainte miséricorde les Juifs. Je m’appelle Kamal (la plénitude ou la perfection) Dans ce combat décisif, déterminant pour l’avenir du royaume, Le roi Salmane a mobilisé la religion. De17 CIIP / Dossier de presse Sans illusion sur les capacités militaires du royaume qu’ils pratiquent depuis soixante dix ans, les ÉtatsUnis ont concédé un viatique à l’allié saoudien par le vote d’une résolution du Conseil de sécurité sous le chapitre VII (Résolution 2216 du 14 avril 2015), davantage dictée par le souci de compenser la décision russe d’autoriser la livraison de missiles S3000 à l’Iran que par la volonté de neutraliser les houthistes dans leur contestation de l’ordre wahhabite. mis occidentaux le droit d’un pays musulman, qui plus est chiite, à accéder au rang du seuil nucléaire sans le consentement occidental, - un camouflet majeur pour les wahhabites -, l’Arabie saoudite, un royaume en plein désarroi, en pleine convulsion, accrédite l’image d’un cheval fou, à la bride lâchée, aux flancs percés, lancé dans une cavalcade éperdue en une continuelle fuite en avant, dont l’échec de son expédition punitive au Yémen remettra immanquablement en question son primat diplomatique sur le Monde arabe et sans doute l’aptitude du leadership saoudien au commandement. Se pose la question de la pertinence d’une alliance des « grandes démocraties du bloc atlantiste » avec un pays parmi les plus répressifs et les plus régressifs de la planète pour l’établissement d’une « ceinture verte » à dresser autour de la Chine et la Russie pour contenir leur montée en puissance. Ce filet de sécurité pourra-t-il indéfiniment se tendre sans rompre ? Sans porter gravement atteinte à la crédibilité des « grandes démocraties occidentales »? Sans que celles ci ne se lassent finalement de ce lourd fardeau et ne songent à emprunter un schéma s’inspirant du précédent du Chah d’Iran ? [… ] Pour emprunter à la métaphore nautique, l’Arabie saoudite est devenue un « canon libre », c’est-à-dire une puissance aux actions imprévisibles, incontrôlables et dangereuses tant pour elle-même que pour les autres ; un comportement typique des êtres en perte de confiance en eux-mêmes, dont plus personne n’a confiance, quand bien même leur assistance est sollicitée ponctuellement de façon spécifique, à court terme. En ce printemps 2015, la folle équipée saoudienne au Yémen se présente comme un test décisif de la viabilité de la dynastie wahhabite. Avec en embuscade, l’État Islamique, au Nord en Irak, et au sud, au Yémen même, Al Qaida qui vient de s’emparer de la base militaire d’Al Moukalla, dans le Hadramaout ; L’Etat Islamique et Al Qaida, ses anciens pupilles, désormais ses deux concurrents les plus directs pour le leadership de la sphère musulmane. L’Arabie saoudite : un cheval fou, aux flancs percés, lancés dans une cavalcade éperdue vers l’inconnu Le Yémen et l’Irak, les deux pays frontaliers de l’Arabie saoudite, ont longtemps constitué les deux balises stratégiques de la défense du Royaume wahhabite, le premier au sud, le second au nord de l’Arabie. C’est dans ces deux pays que l’Arabie saoudite a engagé le combat pour assurer la pérennité de la dynastie wahhabite, à deux reprises au cours des dernières décennies. Le Yémen a servi en effet de champ d’affrontement inter arabe entre Républicains et Monarchistes du temps de la rivalité Nasser-Faysal dans la décennie 1960, et, l’Irak, le théâtre de la confrontation entre le Chiisme révolutionnaire et le sunnisme conservateur du temps de la rivalité Saddam Hussein-Imam Rouhollah Khomeiny dans la décennie 1980. René Naba 36 ans après la chute du Chah d’Iran, alors que la révolution islamique iranienne fait acter par ses enne- 18 CIIP / Dossier de presse La revanche inattendue du confessionnalisme au Yémen : Zaydisme, chiisme et houthistes Laurent Bonnefoy, 18/09/2014 http://orientxxi.info/magazine/la-revanche-inattendue-du,0677 La prise de la ville d’Amran en juillet 2014 par la rébellion « houthiste », la pression exercée sur le pouvoir par cette dernière et les manifestants qu’elle mobilise à Sanaa depuis un mois témoignent de l’ampleur de la crise politique que connaît le Yémen, engagé depuis 2012 dans une périlleuse transition institutionnelle. De façon plus significative encore, les victoires réelles ou symboliques des « houthistes » illustrent une dynamique identitaire et religieuse qui a permis au zaydisme, autrefois décrit comme en déclin, de connaître un nouveau souffle inattendu. pertinent ou alors marginal. Un processus de convergence, instrumentalisé par l’État, appuyé par le système scolaire, validé par les clercs et induit par l’augmentation des migrations internes qui apportaient une nouvelle mixité confessionnelle dans les villes a, entre les années 1970 et 2000, largement effacé la distinction entre sunnites et zaydites. Il faut dire que sur le plan du dogme, le zaydisme chiite apparaissait dès l’origine proche de l’école sunnite chaféite. Dès lors, le processus de convergence aidant, les différences formelles de la pratique du culte (telle la position des bras au cours de la prière ou les mots prononcés lors de l’appel à la prière) n’empêchaient pas nombre de chaféites de prier dans des mosquées zaydites et inversement. Dans ce contexte, la majorité avait tendance à revendiquer une identité musulmane volontiers globale, laissant de côté certaines questions taboues, sur le rôle prééminent alloué aux descendants du prophète Mohammed par la tradition zaydite par exemple. Lorsque l’on évoque la question des identités religieuses au Yémen, il semble entendu que les Yéménites (si l’on excepte les minorités juives et ismaéliennes qui représentent tout au plus quelques dizaines de milliers de personnes) se répartissent selon deux écoles de l’islam : le zaydisme, branche du chiisme, auquel appartient nominalement environ un tiers des 27 millions d’habitants et le sunnisme d’école chaféite. Ce dernier représente l’une des quatre écoles de jurisprudence (madhhab) du sunnisme, il est présent en Égypte, en Irak mais aussi en Asie du Sud-Est et en Afrique de l’Est. Le sens commun a souvent tendance à considérer que l’opposition entre ces deux identités religieuses est structurante du paysage politique et social yéménite. De fait, cette distinction a historiquement joué un grand rôle et c’est bien l’imamat zaydite qui a dirigé tout ou partie du Yémen du Nord pendant plus d’un millénaire, jusqu’à la révolution républicaine de 1962, alors que le Sud, où résident un quart environ des Yéménites, était peuplé de façon exclusive de chaféites. Une telle transaction avait pour l’essentiel permis au Yémen de faire l’économie de tensions confessionnelles et conduit, pour une large partie de la population, à un dépassement des identités primaires. La situation était paradoxale en apparence : les élites, massivement d’origine zaydite, appuyaient un processus de convergence qui, de fait, conduisait à effacer leur référent religieux de naissance. Convergence des identités La République autant que des dynamiques à l’échelle du monde musulman ont, au cours des dernières décennies, contribué à marginaliser le zaydisme, assimilé à l’ancien régime royaliste. Si la majorité des élites yéménites ayant émergé après la guerre civile des années 1960, d’Ali Abdallah Saleh à Abdallah AlAhmar — fondateur du parti islamo-tribal Al-Islah —, était nominalement zaydite, ils n’en revendiquaient aucunement l’identité. Plus encore, nombre de leaders islamistes sunnites, tel le salafiste Mouqbil AlWadii, bien que d’origine zaydite, développaient un discours stigmatisant à l’égard de leur appartenance religieuse et sociale de naissance. Le zaydisme, accordant le monopole politique et religieux à la noblesse des descendants du Prophète, favorisait un rejet chez ceux qui aspiraient au savoir et au pouvoir mais en étaient exclus du fait de leurs origines tribales. Une revendication longtemps marginale L’ensemble du champ zaydite n’était de toute évidence pas disposé à s’inscrire dans une telle convergence et décèle dans cette transaction identitaire une dynamique de « sunnisation ». Dès les années 1980, un mouvement de renouveau zaydite apparaissait dans l’extrême nord-ouest du pays. Badreddin AlHouthi et ses fils en étaient les fers de lance avec d’autres familles de descendants du Prophète. À travers différentes associations, mosquées et maisons d’édition, ils tentaient de redynamiser le zaydisme en le singularisant. Le succès de la révolution iranienne de 1979 mais aussi le dynamisme du Hezbollah libanais inspiraient la revendication d’une identité zaydite En dehors de ces cercles militants, pour la majorité des Yéménites, le référent zaydite apparaissait comme non 19 CIIP / Dossier de presse -chiite spécifique. Pendant longtemps, une telle revendication est restée toutefois particulièrement marginale, cantonnée à certaines zones autour de la ville septentrionale de Saada. Ainsi, la majeure partie de la société semblait continuer à s’inscrire dans un dépassement de l’opposition confessionnelle. sont à l’œuvre : les houthistes trouvent en l’ancien président Saleh un allié de circonstance. Fort de ce positionnement, Al-Houthi décide en août 2014 de mettre la pression sur le gouvernement, exigeant son remplacement et le retour des subventions aux produits pétroliers qui ont conduit au doublement du prix des carburants, menaçant le pouvoir d’achat des Yéménites. Pour obtenir gain de cause, les houthistes convergent vers Sanaa, y installent des sit-ins, bloquent la route vers l’aéroport international et certains ministères tenus par des membres d’Al-Islah. Les forces de sécurité interviennent les 7 et 9 septembre pour déloger les manifestants, tuant neuf d’entre eux. Un accord, négocié notamment par l’envoyé spécial de l’ONU, le Marocain Jamal Ben Omar, est pourtant trouvé. Celui-ci doit théoriquement conduire à la formation d’un nouveau gouvernement qui intègrerait les houthistes et réduirait de moitié la baisse des subventions. Le processus de convergence va toutefois se gripper au cours de la décennie 2000. En juin 2004, une offensive militaire est lancée à Saada contre « les partisans d’Al-Houthi » qui mobilisent non seulement au nom du zaydisme mais développent une critique acerbe de l’alliance du gouvernement yéménite avec les ÉtatsUnis dans le cadre de la lutte antiterroriste. L’enlisement du conflit de Saada, le haut niveau de répression et la propagande étatique ont des implications identitaires fortes : le pouvoir instrumentalise les logiques de stigmatisation du zaydisme portées par les islamistes sunnites, en particulier les Frères musulmans, reliant l’effort de renouveau zaydite à l’ancien régime monarchique de l’imamat et au chiisme duodécimain iranien, négligeant alors l’histoire spécifique du zaydisme. En réaction, le référent zaydite gagne en légitimité et incarne de mieux en mieux l’opposition au pouvoir du point de vue des populations touchées par le conflit. Rébellion et armée font largement jeu égal sur le plan militaire. L’intervention des forces armées saoudiennes en appui au pouvoir en 2009 et les alliances nouées avec les tribus proches du parti islamiste Al-Islah ne changent pas la donne. Flux et reflux des identités Au-delà de cette crise, qui n’est aucunement réglée et qui place le président Abd Rabbo Mansour Hadi dans une situation particulièrement délicate, c’est bien la dynamique identitaire qui retient ici notre attention. Les flux et reflux du zaydisme au cours des décennies passées témoignent de la volatilité des dynamiques politico-religieuses et de leur capacité d’adaptation. En effet, le zaydisme au Yémen constitue véritablement un cas d’école de reconstruction et de redynamisation d’un référent identitaire que les processus historiques semblaient avoir définitivement marginalisé. À travers cette dynamique, le zaydisme a trouvé une nouvelle signification et s’incarne dans de nouvelles pratiques qui ont autant à voir avec des logiques locales que des équilibres régionaux ou internationaux. Face à des citoyens frustrés par les errements du processus de transition, le zaydisme, tout comme les sécessionnistes sudistes et Al-Qaida, joue en quelque sorte sur du velours. Un pouvoir sous pression Début 2011, les houthistes, à la faveur du repli de l’armée vers Sanaa où la protestation révolutionnaire croit, prennent le contrôle effectif de la région de Saada. Dès lors, les gains territoriaux se multiplient et la popularité va croissante. Sur la place du Changement fondée dans la capitale, les houthistes s’alignent sur les mots d’ordre de la jeunesse révolutionnaire, marqués par le pacifisme et la volonté de fonder un État civil et démocratique. Au cours des mois qui suivent, la gestion sécuritaire et administrative de la ville de Saada, « capitale houthiste », apparaît comme moins désastreuse que celle de Sanaa. Les tribus qui avaient un temps combattu la rébellion la soutiennent. La marche vers Sanaa semble engagée. Il reste que ce renouveau zaydite, longtemps souhaité par certaines marges mais aujourd’hui porté par une partie significative des Yéménites (parfois à leur corps défendant), inscrit de plain pied le Yémen dans la cartographie de la confrontation sunnite-chiite. Il offre à la stigmatisation confessionnelle portée par certains courants islamistes sunnites une nouvelle prise et fait entrer la société dans une spirale jusquelà inconnue. Le processus de convergence mais aussi l’histoire si particulière des siècles passés avaient en effet largement permis à la société d’échapper à de telles logiques. Ainsi, le conflit confessionnel, fréquemment instrumentalisé et construit par les pouvoirs et les élites, est malheureusement une réalité avec laquelle, selon toute vraisemblance, il va falloir compter dans les décennies à venir. Ce faisant, les partisans du renouveau zaydite passent d’une logique largement défensive à une approche nettement plus offensive, dont l’expulsion des milliers d’étudiants salafistes de Dammaj, en périphérie de Saada, en janvier 2014 est le symbole. Parallèlement, les houthistes s’érigent habilement en défenseurs de la légitimité révolutionnaire, à travers un discours populiste porté par leur chef charismatique Abd Al-Malik Al-Houthi, jeune trentenaire, et ses porte-paroles, en particulier Ali Al-Boukhaiti. De façon intéressante, le paysage politique se polarise de plus en plus autour de leur opposition à Al-Islah, accusé d’avoir confisqué la révolution. Dès lors, d’étranges rapprochements Laurent Bonnefoy 20 CIIP / Dossier de presse Le Yémen abandonné par les grandes puissances aux ambitions saoudiennes : … et à ses propres démons Amat Al Alim Alsoswa, 01/07/2015 http://orientxxi.info/magazine/le-yemen-abandonne-par-les-grandes-puissances-aux-ambitionssaoudiennes,0952 Comment expliquer la situation du Yémen où la population civile subit une guerre sans merci ? Appartenant à l’arrière-cour du royaume saoudien, ce pays, l’un des plus pauvres au monde, connait actuellement de profonds bouleversements. C’est l’heure du bilan et des questionnements pour une de ses anciennes ministres, Amat Al Alim Alsoswa*. Le conflit actuel qui voit une coalition menée par l’Arabie saoudite bombarder le pays et de multiples factions se combattre sur le terrain est le résultat d’un échec local, régional et international : • le socialisme n’avait pas réussi à forger un modèle alternatif dans le sud du Yémen ; • la République populaire et démocratique du Yémen a cessé d’exister en 1990 et a été absorbée par le Nord, où le modèle qualifié de capitaliste n’a pas davantage fonctionné ; • le pays est resté englué dans la pauvreté, la dépendance et le sous-développement ; • les idées nationalistes, nassériennes et baasistes n’ont pas davantage réussi à proposer une alternative ; Soldats yéménites, Sanaa, 22 mai 2011. Ibrahem Qasim (Wikimedia Commons). Le Yémen paie cher son positionnement géographique. Les grandes puissances considèrent en effet ce pays comme une chasse gardée de l’Arabie saoudite et ont donc de manière totalement décomplexée confié son sort à Riyad. Les déclarations politiques de la communauté internationale ne montrent ainsi nulle considération pour le peuple du Yémen ou pour sa souveraineté nationale. Ce positionnement constitue un bon indicateur de la nature des relations et des intérêts entretenus avec le royaume saoudien par les États du monde entier d’une manière générale, et plus particulièrement par les grandes puissances. Le pétrole et les contrats d’armement offrent au royaume des leviers importants. Et cet état de fait ne s’est qu’accentué dans un contexte de recul de l’influence de l’Égypte, de l’Irak et de la Syrie. • quant au mouvement des Frères musulmans, il a connu un échec historique et particulièrement cuisant à partir de la révolution manquée de 1948 au cours de laquelle différentes forces politiques avaient tenté d’établir une monarchie constitutionnelle au Yémen du Nord. L’implication des Frères musulmans dans ce soulèvement contre l’imam zaydite Yahya Hamid Al-Din et son assassinat en 1948 ont ouvert la voix à une forme de violence politique qui reste encore très présente et marque le conflit qui se déroule actuellement. Les Frères musulmans ont aussi eu à assumer la responsabilité de l’échec de la Révolution des hommes libres (Thawrat Al-ahrar) qui a instauré le régime républicain à compter du 26 septembre 1962. Ils ont enfin, à travers le parti Al-Islah, joué un rôle direct dans la faillite du processus révolutionnaire entamé en 2011 et qui avait conduit à la chute d’Ali Abdallah Saleh. C’est ainsi que les élites yéménites, dans leurs engagements et dans leur ralliement à ces diverses idéologies, n’ont pas permis la construction d’une expérience nationale réussie. Échec des idéologies Le Yémen occupe une place hybride dans l’espace géographique, économique et politique arabe. Il n’est souvent appréhendé qu’à travers sa proximité et son rattachement au Golfe ; et il est exclu de l’espace africain dont il est pourtant proche et auquel il est fortement lié, tant économiquement que par les flux migratoires. Son rôle est négligeable dans les décisions prises par la Ligue arabe et son influence est qualifiée de négligeable. Un déclin ancien Le problème du Yémen, depuis l‘invasion perse par les Sassanides au VIe siècle de notre ère est lié à la perte de son rôle dans le commerce régional et à la 21 CIIP / Dossier de presse Mohsen Al Ahmar, les forces religieuses salafistes et djihadistes — sans parler des membres de l’armée qui étaient restés loyaux à Saleh lui-même et qui ont tous à un moment où à un autre été des incarnations du régime constitué autour de ce dernier. Le mouvement sudiste n’a pour sa part pu se développer qu’à la faveur de la domination qu’il a exercée. chute de sa production — agricole mais aussi industrielle — induisant le déclin progressif d’un pays qualifié dans l’antiquité d’« Arabie heureuse ». Les biens produits au Yémen ou transitant par ses différents royaumes avaient alors une importance capitale pour Rome, la Grèce et l’Égypte. La relégation du Yémen avant même les débuts de l’islam explique ainsi une part de son retard économique, social, culturel et politique. Les luttes qui se déroulent sur le terrain sont non seulement un héritage direct de l’ère Saleh mais aussi l’incarnation des rivalités entre élites pour la prorogation d’un système. Elles ne sont aucunement liées à une volonté de changement ou de réforme. Les acteurs impliqués sont engagés dans le but de préserver leur pouvoir, construit sous la présidence Saleh et avec la bénédiction de celui-ci. Dans le Sud même, la division entre leaders donne lieu à une constatation identique. Qu’est-ce qui différencie Ali Salem Al-Bid, Ali Nasser Mohamed, Haydar al Attas et Abdelrahman Ali Al-Jifri ? Comment ces anciens dirigeants de la République du Yémen du Sud recyclés en leaders du mouvement sécessionniste sudiste parviennent-ils à légitimer les tensions qui existent entre eux ? Sur quelles bases idéologiques ou de programmes reposent les conflits entre le président Hadi, le président Saleh, le général Al-Ahmar et les enfants du cheikh Abdallah Al-Ahmar ? Chaque Yéménite, sous les bombes, se pose la question. Avec l’arrivée de l’islam au VIIe siècle, nombreux sont les Yéménites qui ont émigré afin de répandre la foi musulmane à travers le monde. Ils se sont installés dans le nord de l’Afrique, en Andalousie et en Asie Mineure. Cet exil important a sans nul doute contribué au déclin du Yémen, privant le pays de compétences et de savoirs. La société actuelle s’est bâtie pour l’essentiel entre les Xe et XVe siècles et a pour une large part rompu avec les héritages antiques. Les élites se sont construites via le commerce, les ports ont joué un rôle central dans les processus d’accumulation — tout en accentuant la relégation du pays. C’est ainsi que le Yémen n’a pas réellement profité de la production du café, il s’est d’une certaine manière contenté de l’offrir au monde. Au XIXe siècle, les invasions ottomane au Nord et britannique au Sud n’ont pas provoqué des dynamiques de modernisation. Une fois les Ottomans défaits en 1918 et les Britanniques partis d’Aden en 1967, il n’est plus rien resté de leur présence et les élites yéménites économiques, intellectuelles et sociales, au Nord comme au Sud, semblent être restées en marge et incapable de réactiver la splendeur passée. Des occasions manquées Les forces régionales concurrentes ont profité de ces rivalités pour utiliser le Yémen et le transformer en champ de batailles régionales. Une guerre par procuration s’est établie, impliquant notamment l’Arabie saoudite et l’Iran. Dans les coulisses, et en dépit du soutien exprimé à des processus de négociation sous l’égide des Nations-Unies, plusieurs puissances ont œuvré pour empêcher une solution pacifique. C’est ainsi que l’initiative du Golfe, signée en 2011 pour encadrer le processus de transition vers la démocratie, n’a pas reçu le soutien nécessaire. Elle aurait pu aboutir si elle avait mieux tenté de prendre en compte les équilibres entre les différentes régions du pays et veillé à assurer l’égale représentation de chacune d’elles. Le fait que dans le cadre du processus de transition, les postes de président, de premier ministre et de ministre de la défense aient été occupés par des individus originaires du Sud a généré de la frustration et a mis en danger l’ensemble de l’édifice constitutionnel en construction. La popularité croissante des houthistes en a été l’expression. Mentalité tribalo-rurale reposant sur la vengeance Les deux révolutions du Nord, en 1962, et du Sud, à compter de 1963, puis l’indépendance du Sud en 1967 ont ruralisé les villes. Le phénomène d’affaiblissement de groupes qui s’étaient constitués sur des interactions avec le monde extérieur apparaît comme une source essentielle des divers conflits dont souffre le Yémen. À travers cette relégation des élites, à Aden comme à Sanaa, Taëz ou Hodeida — y compris sous le régime socialiste qualifié de progressiste — les principes de cohabitation pacifique ont été très largement remplacés par une mentalité tribalo-rurale reposant sur la vengeance et la violence physique. Les mouvements du printemps arabe dans le Nord de l’Afrique (en Tunisie et en Égypte) et le printemps yéménite se sont révélés très différents. Alors que les premiers sont parvenus à faire tomber les régimes de Zine El Abbidine Ben Ali et de Hosni Moubarak, le mouvement au Yémen n’est parvenu qu’à secouer le régime et a conduit à une aggravation des tensions entre les différents mouvements politiques et les élites les représentant. Les forces en conflit apparaissent comme un héritage direct du régime Saleh : le président Abd Rabbo Mansour Hadi, les houthistes, Al-Islah, le général Ali La dégradation de la situation économique et le sentiment d’une détérioration par rapport à l’ère Saleh aurait pu être contrés par une aide internationale plus conséquente et mieux organisée. Enfin, l’initiative du Golfe manquait d’outils de contrôle et la situation n’a fait qu’empirer à mesure que le processus de transition prenait du retard. Le conflit 22 CIIP / Dossier de presse s’est noué notamment autour de la prolongation du mandat de Hadi qui avait initialement été élu pour deux ans en février 2012, puis a été renouvelé pour une année en février 2014 par simple décision de la « communauté internationale » et sans que les parties yéménites aient été consultées ni que son mandat ait été précisé. Une nouvelle prolongation se profilait avant le coup de force des houthistes en janvier 2015. Dans ce contexte, les grandes puissances internationales et régionales ont joué un rôle trouble et contreproductif. Hadi a été appuyé sans succès et sans tenir compte des frustrations qui montaient. En résumé, l’échec de la transition au Yémen n’est pas seulement l’échec de ses élites politiques. C’est aussi d’une expérience qui se fondait sur le dialogue, la modération et une volonté de changement pacifique. Au-delà d’une situation humanitaire catastrophique, la situation de guerre au Yémen n’est pas sans implication pour ses voisins. Elle met en danger la stabilité de la navigation en Mer Rouge et dans le Golfe d’Aden et conduit à une augmentation des flux de migrants. Dans un contexte d’effondrement de l’État, il est à craindre qu’Al-Qaïda et l’organisation de l’État islamique soient les grands bénéficiaires du conflit et augmentent leur capacité de nuisance à l’intérieur comme à l’extérieur du Yémen. Amat Al Alim Alsoswa * Première femme ministre du Yémen (aux droits humains), elle a fondé le Comité national des femmes du Yémen. Elle a aussi été membre de la Conférence de dialogue national ; a occupé des fonctions à l’ONU, notamment en tant que directrice régionale du Bureau des Etats arabes pendant plus de six ans. Ambassadrice aux Pays-Bas, Danemark et en Suède, elle a reçu plusieurs prix régionaux et internationaux pour sa lutte pour la démocratie, les droits humains et la liberté d’expression. Le conflit entre houthistes (alliés à Saleh) et Hadi (alliés aux sudistes et aux milices islamistes sunnites) a provoqué le déchirement des derniers signes d’union nationale entre le Nord et le Sud. Les houthistes, à Taëz par exemple, poursuivent leur combat dans des régions et villes qui leur sont très hostiles, notamment pour des raisons confessionnelles. Quoi qu’il arrive, le pays est déjà soumis à une fragmentation en petites régions. Les conséquences de cette évolution et d’une partition restent impossibles à évaluer. Enfin, l’usage excessif de la force de la part de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite depuis fin mars 2015 apparaît comme manifeste. Des armes non conventionnelles (telles des bombes à fragmentation) ont été utilisées, le bombardement par les avions de la coalition d’entrepôts d’armes situés au cœur des villes et près des quartiers d’habitations ainsi que la destruction de centrales électriques et d’infrastructures illustrent un mépris pour les civils. Dans ce contexte, la stabilisation du Yémen apparaît comme bien peu probable et exigera non seulement du temps et l’implication constructive de la communauté internationale mais aussi une réévaluation par les Yéménites de leur histoire et de leur place dans le monde. Amat Al Alim Alsoswa 23 Le Centre d’information Inter-Peuples (Grenoble) est une association de solidarité internationale fondée en 1980. Il est membre du RITIMO (Réseau des Centres de documentation et d’information pour le développement durable et la solidarité internationale) qu’il représente dans l’Isère. Son centre de documentation interculturel et international est ouvert au public (du marrdi au vendredi de 13h30 à 18h). Il propose une documentation, écrite et audiovisuelle, portant sur tous les pays et peuples du monde, et sur de nombreux thèmes : développement, mal -développement, malnutrition, environnement, relations Nord-Sud-Est, racisme, immigration, droit des étrangers, paix, conflits, désarmement, éducation à la paix et à la citoyenneté… Ce dossier de presse "Yémen", a été réalisé par le Centre d’Information Inter-Peuples. Il entre dans le cadre des dossiers qu’il produit régulièrement. DOSSIERS DE PRESSE ou de SYNTHÈSE produits par le CIIP et actuellement disponibles : • • • • • • • • • • • • • Du Maghreb au Moyen-Orient, les luttes des femmes pour leurs droits - CIIP, août 2014, 58 p. / 8 € Lutte des femmes de Ouarzazate (Maroc) contre les dérives du micro-crédit, Maroc Solidarités Citoyennes - CIIP, décembre 2013, 32 p. / 3 € Iran : Continuité ou changement ? Théocratie ou Démocratie ? CIIP, novembre 2013, 52 p. / 6 € Maroc, mobilisations populaires et répressions, Maroc Solidarités Citoyennes et CIIP, mars 2013, 31 p. / 3 € Les enfants de la dictature : "photographie" du Chili contemporain, Elodie Queffélec CIIP, janvier 2013, 100 p. / 8 € Indiens Mapuche (Chili, Argentine) : ces gens de la terre, CIIP, avril 1998 réactualisé en 2013, 48 p. La longue marche des Roms vers la conquête de leurs droits, CIIP, octobre 2012, 31 p. / 5€ La guerre d’Algérie, CIIP, 1985 réactualisé en 2012 - 85 p. / 8€ La décroissance, une idée à forte croissance ! CIIP, janvier 2011, 58 p. / 6 € Razzia sur les terres arables, quelles résistances ? CIIP, janvier 2011, 27 p. / 5 € Enfants des rues, enfants non reconnus, enfants sans droits, Maroc Solidarités Citoyennes et CIIP, novembre 2008, 28 p. / 6 € Esclavages d’hier et d’aujourd’hui CIIP, décembre 1994, réactualisé en 2008 - 120 p. / 8€ Vous avez dit francophonie ? Actes des rencontres organisées le 27/11/2004 à l’IFTS – Echirolles (38), 2005, 32 p. / 3 € PUBLICATIONS du CIIP : • • Paroles de Chiliens de la région grenobloise, Groupe d’Appui franco-chiliens et CIIP, janvier 1990, réimprimé en 2013, 64 p. / 5 € Paroles maghrébines d’immigrés de Grenoble, CIIP, 1982, 123 p. / 10 € CENTRE D’INFORMATION INTER-PEUPLES - Maison des Associations 6, rue Berthe de Boissieux - 38000 Grenoble Tél. : 04.76.87.59.79 Courriel : [email protected] Site web : www.ciip.fr