Yémen - Centre d`Information Inter

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Yémen - Centre d`Information Inter
Membre de
Yémen : un désastre
en cours
DR
septembre 2015
Prix : 3 €
D
epuis le 26 mars 2015, le Yémen, pays le plus pauvre du Moyen-Orient, est la cible d’une
campagne de bombardements aériens menée par l'Arabie Saoudite, et fait l’objet d’un
embargo meurtrier, à l’origine d’une crise humanitaire sans précédent. Ce sont aujourd'hui plus
de 21 millions de Yéménites (soient plus de 80% de la population totale du Yémen) dont la survie
dépend d'une aide humanitaire urgente qui ne leur parvient pas, en raison des bombardements et
du blocus imposé au Yémen par ladite coalition depuis cette date.
Le conflit a fait plus de 4 300 morts dont 400 enfants, et 1,5 million de déplacés, selon
l’ONU1.
Or, cette guerre, peu traitée par les médias occidentaux, semble se dérouler dans une quasiindifférence générale… alors qu'un désastre humanitaire est en cours.
Les textes rassemblés dans ce dossier ont pour vocation d’apporter un éclairage sur la réalité et
les enjeux de ce conflit.
1/ Source, La Croix/AFP, 5/09/2015 : www.la-croix.com/Actualite/Monde/La-coalition-arabe-intensifie-ses-raids-auYemen-au-lendemain-de-la-mort-de-50-soldats-2015-09-05-1352662
Sommaire
Données de base.................................................................................. 4
Repères chronologiques ....................................................................... 5
Sélection de textes :
•
"L’importance stratégique du Yémen"
Hezam Haidar, 24/07/2015 .........................................................................................
•
6
"Yémen : le Conseil des droits de l'homme de l’ONU doit créer une
Commission d’enquête"
Amnesty International, 20/08/2015 : http://www.amnesty.fr/Nos-campagnes/Crises-etconflits-armes/Actualites/Yemen-ONU-doit-creer-une-Commission-enquete-15860 .... 8
•
"Yémen / Arabie Saoudite : Arabie saoudite versus Al Qaida 1/2"
René Naba, 01/05/2015 : http://www.madaniya.info/2015/05/01/yemen-arabie-saouditearabie-saoudite-versus-al-qaida-1-2/ ........................................................................... 10
•
"Yémen / Arabie Saoudite : Arabie saoudite versus Houthistes 2/2"
René Naba, 04/05/2015 : http://www.madaniya.info/2015/05/04/yemen-arabie-saouditearabie-saoudite-versus-houthistes-2-2/ ....................................................................... 14
•
"La revanche inattendue du confessionnalisme au Yémen"
Laurent Bonnefoy, 18/09/2014 : http://orientxxi.info/magazine/la-revanche-inattenduedu,0677 ....................................................................................................................... 19
•
"Le Yémen abandonné par les grandes puissances aux ambitions
saoudiennes… et à ses propres démons"
Amat Al Alim Alsoswa, 01/07/2015 : http://orientxxi.info/magazine/le-yemen-abandonnepar-les-grandes-puissances-aux-ambitions-saoudiennes,0952 ................................... 21
2
CIIP / Dossier de presse
Données de base
de 5 ans ont un retard de croissance (2008-2012)
Nombre de médecins : 2,0 pour 10000 personnes
(2003-2012)
Dépenses de santé : 5,5 % du PIB
Alphabétisation : 65,3 % des adultes
Dépenses en éducation : 5,2 % du PIB
Capitale : Sanaa. Villes principales : Sanaa, Aden,
Taëz, Hodeïdah, Mukalla
Superficie : 527 970 km2.
Langue officielle : arabe.
Régime : République depuis 1990
Religions : 60% à 75% de sunnites de rite chaféite,
25% à 40% de chiites zaïdites (nord du pays). Minorités juives et ismaéliennes quelques dizaines de
milliers de personnes.
Dette extérieure : 20,5 % RNB / Total service de la
dette : 0,93 % RNB
Commerce international 65,1 % PIB
taux d'électrification : 39,6 % de la population
Le zaydisme est un rameau modéré du chiisme, qui s’est épanoui en Iran et au Yémen et
ne survit aujourd’hui qu’au Yémen
Historiquement, l’imamat zaydite a dirigé tout
ou partie du Yémen du Nord pendant plus d’un
millénaire, jusqu’à la révolution républicaine de
1962, alors que le Sud, où résident un quart
environ des Yéménites, était peuplé de façon
exclusive de chaféites.
Le sunnisme d’école chaféite est très proche
sur le plan du dogme, d'où un processus de
convergence qui a, entre les années 1970 et
2000, largement effacé la distinction entre sunnites et zaydites. Mais, dans les années 1980
s’est développé un mouvement de renouveau zaydite dans l’extrême nord-ouest du
pays, revendiquant une identité zaydite-chiite
spécifique, également dénommé houthiste (ou
houthi), du nom de leurs dirigeants, Hussein alHouthi et ses frères. Mouvement protestataire
local, dans les années 2000, qui s’opposait à la
marginalisation de la région et à la discrimination
sociale et politique des chiites zaydites. Le mouvement s’est radicalisé et politisé entre 2004 et
2010 (voir repères chronologiques).
Taux de chômage (2004-2013) : 16,2 % ; chômage
des jeunes : 33,7%
Travail des enfants : 22,7 %
Proportion de travailleurs pauvres 33,5 % (20032010)
(Sources : Rapport PNUD 2014)
Forces politiques :
• Congrès général populaire (CPG) : Parti de
l’ex président dictateur Saleh.
• Parti socialiste : héritier du parti "marxisteléniniste" qui gouvernait le Sud-Yémen.
• Al-Islah (La réforme) : principal parti islamiste,
proche des Frères musulmans, allié au président
Abd Rabbo Mansour Hadi. Modéré acceptant
l'alternance démocratique.
• al-liqaa al-moshtarak - Forum Commun : Forces traditionnelles de l'opposition. coalition hétéroclite composée du Parti socialiste yéménite
(sudiste), des nasséristes, du parti Baath, de petits partis zaïdites et du parti islamiste, al-Islah qui
en constitue la composante la plus importante.
• Mouvement des jeunes de la révolution : lancé par des jeunes qui ne sont pas issus de l'opposition traditionnelle en grande partie assujetti
soit par le régime, soit par le régime saoudien.
e
Indice de développement humain : 0,500 ; 154
sur 186 pays (2013).
Indice d’inégalité de genre : 0,733 ; 152e rang (sur
152)
Corruption : 161e/175 (Transparency International 2014)
• Mouvement chiite houthiste - Ansar Allah
("les partisans d'Allah", également connus sous
le nom de Jeunes Croyants) : organisation insurrectionnelle chiite et mouvement sociopolitique
de l'école théologique zaïdite du nord-ouest du
Yémen.
Données démographiques :
Population : 24.4 millions d’habitants (2013)
Croissance annuelle : 2.3 % (2010-2013)
Espérance de vie (2013): 63,1 (ans) / 61,8 ans
pour les hommes, 64,5 ans pour les femmes
• Al Qaeda dans la péninsule arabique (Aqpa),
également nommée Ansar al-Sharia : considéré
comme la branche la plus active et la plus dangereuse de l’organisation d’Al-Qaeda.
Données socio-économiques :
Revenu national brut par habitant : 3 945 (PPA $
2011) / Femmes : 1775 ; Hommes 6080
PIB : 95,3 PPA milliards $ (2012).
PIB par habitant : 3996 PPA $ (2012)
Population dont le revenu est inférieur au seuil
de pauvreté : 34,8 %
• al-Hirak al-Janubi : les "sudistes", mouvement
indépendantiste du Yémen du sud, réclame l’indépendance des provinces méridionales qui formaient la République démocratique et populaire
jusqu’à son unification avec le Yémen du Nord
en 1990.
Malnutrition infantile : 57,7 % des enfants de moins
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CIIP / Dossier de presse
Repères
Chronologie
chronologiques
Antiquité, "l'Arabie heureuse" :
terme utilisé pour désigner
l'Arabie du Sud par les Grecs
et les Romains
VIe siècle : invasion perse par
les Sassanides
VIIe siècle : arrivée de l'islam
XVIe siècle, période des
conquêtes ottomanes : Les
Ottomans s'emparent des
plaines côtières en 1517,
d'Aden en 1537 et organisent
le vilayet ottoman du Yémen
après la conquête de Sana
1538-1918 : Empire ottoman
(nord du Yémen)
1839-1963 : sud du Yémen
sous protectorat britannique
(autour du port d'Aden),
1918-1962: royaume du Yémen ou royaume mutawakkilite (nord du Yémen) – L’imamat zaydite a gouverné le Nord pendant près d’un millénaire, y compris
sous la domination ottomane. 1948 révolution manquée au cours de laquelle différentes forces politiques – dont le mouvement des Frères musulmans tentent d’établir une monarchie constitutionnelle.
1962-1990 : République arabe du Yémen ou Yémen
du Nord. Régime autoritaire. Guerre civile jusqu'en 1970.
1963-1967 : période de décolonisation du sud Yémen
1967-1990 : République démocratique populaire du
Yémen ou Yémen du Sud, régime d’inspiration
socialiste marxiste
22 mai 1990 : proclamation de la République du
Yémen, résultant de la fusion entre le Nord et le
Sud-Yémen (Capitale : Sanaa). Ali Abdullah Saleh,
ancien chef d’Etat du Yémen du Nord devient le
président du Yémen unifié tandis qu’Ali Salim alBeidh l’ancien Secrétaire général du Parti socialiste yéménite qui régnait auparavant au sud, prend
le poste de Vice-président.
Mai à juillet 1994 Guerre civile : tentative de sécession
des sudistes. Répression violente contre eux. Victoire du nord et le sud perd tout pouvoir politique.
12 octobre 2000, attentat de l’Armée islamique d’Aden et Al-Qaïda contre le destroyer états-unien
USS Cole, alors amarré dans le port d’Aden (17
morts et 50 blessés)
2001 : les attentats du 11 septembre ont fait du Yémen un des champs de bataille de la guerre globale contre le terrorisme. Collaboration totale du régime de Sanaa avec les Etats-Unis contre Al-Qaïda.
2002 : premières frappes de drones de l’US Air Force
sur le sol yéménite.
2004, juin, offensive militaire lancée à Saada contre
"les partisans d’Al-Houthi" qui mobilisent non seulement au nom du zaydisme mais développent une
critique acerbe de l’alliance du gouvernement yéménite avec les États-Unis dans le cadre de la lutte antiterroriste.
Entre 2004 et 2010 : six guerres de Sa’ada. Fin officielle des affrontements entre l’Etat yéménite et le
mouvement houthiste. 2007 : création du mouvement indépendantiste du Yémen du sud, al-Hirak
al-Janubi, 2009 : intervention des forces armées
saoudiennes en appui au pouvoir.
2011, 16 janvier, début du "printemps arabe" yéménite : les manifestants réclament la démocratie, la
fin de la corruption et de la mainmise du congrès
général du peuple (CGP, au pouvoir), de meilleures conditions de vie et le départ du dictateur/
président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis
1978. Prise de contrôle de la région de Saada par
les houthistes à la faveur du repli de l’armée vers
Sanaa où la protestation révolutionnaire croit. Terrible répression menée par le régime : le 18 mars,
répression des manifestant-e-s en sit-in à Sanaa,
52 morts. Décret d'état d’urgence dans tout le
pays. 3 juin, attentat à la bombe blessant grièvement Ali Abdallah Saleh.
2012, février, après négociation entre les Etats-Unis
et l'Arabie Saoudite, Ali Abdallah Saleh obtient une
immunité pour se retirer. Il amnistie tous les responsables des crimes commis par son régime. Il
démissionne en transmettant ses pouvoirs à son
vice-président Abd Rabbo Mansour Hadi. Le 21
février, élection présidentielle avec un candidat
unique, Abdo Rabbo Mansour Hadi, l'ancien viceprésident. Formation d'un gouvernement d'unité
nationale composé pour moitié de membres de
l’ancien parti gouvernemental et pour moitié d’une
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CIIP / Dossier de presse
alliance de partis de l’opposition mais sans les prinné par l’ONU appelé “Accord sur la Paix et le Partecipaux vecteurs du mouvement révolutionnaire ni
nariat” (*Peace & partnership agreement), mais réaliles deux mouvements autonomistes et/ou séparasé que partiellement par Hadi et les Houthistes. Notistes (houthistes au nord et les Hiraks au sud), Mivembre : sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU
se en place d'un processus de transition institutioncontre le personnel dirigeant des houthistes de même
nelle (saboté par Saleh)
que contre l’ancien président Saleh.
Mars 2013 – janvier 2014 : Conférence du Dialogue 2015, 20 janvier : prise du palais du président de trannational, accord sur un document final avec 1400
sition Abd Rabbo Mansour Hadi par la milice des
recommandations servant de base de travail à une
Ansar Allah (houthiste). 22 janvier : démission de
commission constitutionnelle. Le principal résultat
Abdo Rabbo Mansour Hadi, démission refusée par
était une nouvelle structure fédérale comprenant
le Parlement, et du Premier ministre Khaled Bahah.
six régions. Rejeté par les les houthistes et le mou21 février : Abdo Rabbo Mansour Hadi quitte Sanaa
vement sécessionniste du Sud.
pour Aden et retire sa démission le 24 février. Depuis le pays s’est enfoncé dans le chaos En mars,
2014, janvier, expulsion des milliers d’étudiants salafisune insurrection populaire et des milices houthistes,
tes de Dammaj, en périphérie de Saada marquant la
proches de Téhéran, font tomber le régime pro-états
fermeture du principal centre d’enseignement salafis-unien du président Hadi et progressent vers le sud.
te. Février, prolongation du mandat de Hadi
Nouvelle opération de l’armée yéménite, soutenue
(initialement élu pour deux ans) par simple décision
par
des comités populaires, contre Al-Qaeda dans
de la "communauté internationale" et sans que les
les provinces de Lahj, d’Abyan et de Shabwa
parties yéménites aient été consultées ni que son
(régions du sud). Depuis le 26 mars : Opération
mandat ait été précisé. Avril, offensive terrestre ap"Tempête décisive" suivie de "Redonner l’espoir", de
puyée par les drones états-uniens contre les posila coalition militaire de 10 pays : Arabie saoudite,
tions d’Al-Qaida, sans succès. Mi-mai, après des
Emirats arabes unis, Koweït, Qatar, Bahreïn, Egyptentatives de dialogue entre le pouvoir et le leaderste, Jordanie, Maroc, Soudan et Pakistan. L’intervenhip houthiste, l’armée lance des bombardements sur
tion a été déclenchée à la demande du président
certaines positions rebelles. 26 juin, attaque d'Alyéménite Abd-Rabbo Mansour Hadi, réfugié à Riyad
Qaïda contre l’aéroport de Seyoun dans l’est du pays.
pour contrer l’avancée des rebelles houthis. 5 mai :
8 juillet, prise de la ville d’Amran (à 60 kilomètres de
Le conflit déborde au-delà des frontières yéménites,
Sanaa) par la rébellion "houthiste". Celle-ci affecte
les Houthis bombardant la région saoudienne de
directement les fondements du régime, à la fois sur le
Najrane. 27 août : invasion des forces terrestres
plan territorial, tribal et populaire. Août, septembre :
saoudiennes. 16 septembre : retour à Aden, déclaaffrontements entre militants "houthistes" et salafistes
rée capitale provisoire, du gouvernement yéménite,
aboutissant à un accord, négocié notamment par
en exil en Arabie saoudite depuis mars.
l’envoyé spécial de l’ONU, le Marocain Jamal Ben
Omar, qui doit théoriquement conduire à la formation
d’un nouveau gouvernement intègrant les houthistes.
Prise de contrôle de la capitale Sanaa par les Houthistes. 21 septembre : signature d’un accord parrai-
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CIIP / Dossier de presse
L’importance stratégique du Yémen
Hezam Haidar, 24/07/2015
Le Yémen est situé à l’entrée de la Mer Rouge. Le
détroit de Bab-el-Mandeb est un des lieux stratégiques
les plus importants du Yémen. C’est un passage maritime qui relie la Méditerranée à l’Asie du Sud, et l’Extrême-Orient à la mer Rouge et au Golfe d’Aden, à
travers le Canal de Suez: “Un pouvoir qui assurerait sa
suprématie maritime dans l’Océan Indien pourrait devenir un acteur dominant sur la scène internationale.” (Alfred ThayusMahan (1840-1914), Géostratégiste américain pour l’US Navy, Rear Admiral)
qui a eu pour conséquence une large augmentation
des prix, passant de 125 à 200 YER pour l’essence
et de 100 à 195 YER pour le diesel. Cela a amené de
nombreuses personnes à manifester dans les rues
pour protester contre cette décision et pour exiger
l’adoption de réformes économiques qui incluraient la
supervision et le contrôle des institutions gouvernementales et des ministères gangrénés par la corruption. La présidence et le gouvernement n’ont pas
donné suite à ces demandes de la population Yéménite, jusqu’à la signature d’un accord parrainé par
l’ONU appelé “Accord sur la Paix et le Partenariat” (*Peace & partnership agreement) signé le
21/09/2014.
Le rôle du régime saoudien au Yémen depuis
les années 1960.
Le régime saoudien est toujours intervenu au Yémen
pour le déstabiliser politiquement et économiquement,
comme par exemple, en achetant la loyauté des politiques locaux, des autorités locales voire même des
chefs de tribus. Le régime saoudien dépense des
sommes importantes pour payer ces personnalités,
que ce soit de façon régulière, mensuelle ou via d’importantes transactions en cash. Une autre méthode
d’intervention du régime saoudien au Yémen consiste
à nourrir et à faire se propager les conflits dans le
pays, qu’ils soient politiques, sectaires ou tribaux.
Parmi les clauses importantes figuraient notamment
une entente sur les taux d’augmentation des prix du
fuel, en fixant à 150 YER le prix du litre d’essence et
de diesel; y figuraient également la garantie de la
formation d’un gouvernement basé sur de réelles
compétences, et la formation d’une commission économique qui étudierait et analyserait l’adoption d’un
pack de réformes économiques en officiant au sein
du gouvernement et des ministères, sous un délai de
deux mois à compter de la signature de l’accord.
Le Président Hadi
La situation était relativement calme après la signature de cet “Accord sur la Paix et le Partenariat”, bien
que le nouveau gouvernement et la commission économique n’aient pas été mis en place au terme des
deux mois, comme le prévoyait l’accord, soit en décembre 2014. En janvier 2015 Hadi demanda une
nouvelle fois l’extension de la période de transition.
Au cours du printemps arabe au Yémen, les partis
politiques étaient parvenus à un accord pour la mise
en place d’un gouvernement de transition. Selon cet
accord, le président Ali Abdullah Saleh remettait les
pouvoirs au vice-président Abed Rabbo Mansour Hadi et des élections présidentielles devaient être organisées, pour lesquelles Hadi serait le seul candidat,
et il resterait président pendant la période de transition qui devait durer deux ans, au terme desquels de
nouvelles élections seraient organisées par Hadi.
Certains partis insistaient déjà depuis la fin de la première période, soit avant la première rallonge de la
durée en février 2014, pour la tenue d’une élection
présidentielle, et d’autres partis souhaitaient quand
même laisser la nouvelle formation gouvernementale,
censée être plus compétente, prendre le temps de
devenir opérationnelle et profiter de l’avantage d’un
moment d’accalmie dans le pays. Donc, au lieu d’appeler à de nouvelles élections, ils ont suggéré de former un conseil présidentiel entre le Nord et le Sud, à
égalité, dont Hadi serait le président ; mais il refusa
car il voulait absolument un nouvel allongement de la
période de transition. Son intransigeance plaça ensuite le pays dans un vide politique puisqu’il annonça
sa démission et se retira du poste de président du
Yémen le 22/01/2015.
Avant que la période de transition n’arrive à son terme, Hadi commença à mettre les partis politiques
sous pression pour obtenir une extension de la période de transition, au motif qu’elle n’avait pas encore
abouti à un réel accord national. Afin d’éviter plus de
conflits, les différents partis politiques ont accepté de
prolonger d’un an la phase de transition, jusqu’en
février 2015.
Durant ce laps de temps, la corruption s’est propagée
à travers toutes les institutions gouvernementales et
la crise économique a empiré. Fin juillet 2014, le gouvernement a diminué les subventions pour le fuel, ce
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CIIP / Dossier de presse
Le 21 février il quitta Sanaa pour Aden, et le 24 février il retira sa démission. Depuis le pays s’est enfoncé dans le chaos. Un envoyé de l’ONU au Yémen,
Jamal Benomar, a tenté d’amener les partis politiques à signer un accord final sur le conseil présidentiel, mais il déclara plus tard que cet accord sur le
partage du pouvoir était voué à l’échec dès lors que
les frappes saoudiennes avaient commencé : “des
accords cruciaux sur le partage du pouvoir avaient
été atteints lors des négociations, avant l’escalade du
conflit le mois dernier lorsque la coalition menée par
l’Arabie Saoudite a débuté ses bombardements aériens”. (J. Benomar dans son dernier rapport au
conseil de sécurité des Nations Unies, le 27/04/2015)
par des comités populaires, lança une nouvelle opération contre Al-Qaeda dans les provinces de Lahj,
d’Abyan et de Shabwa (régions du sud), jusqu’à
Aden et Marib, peu avant le début de la campagne de
bombardements lancée par l’Arabie Saoudite le
26/03/2015. De nombreux membres d’Al-Qaeda ont
alors fui vers les provinces d’Aden, de Marib et d’Hadramout. Cette dernière est aujourd’hui sous le
contrôle de l’organisation terroriste. Pour finir, il
convient de mettre l’accent sur trois points importants :· un nombre considérable de membres d’ AlQaeda sont de nationalité saoudienne,· la province
d’Hadramout, la plus grande du Yémen (36% de la
totalité du territoire Yéménite) est très riche en ressources pétrolières, avec une large côte sur la mer
d’Arabie au sud et une longue frontière avec l’Arabie
saoudite au nord,· D’après les récentes révélations
de WikiLeaks sur le ministère des affaires étrangères
saoudien, l’Arabie Saoudite envisagerait de prendre
le contrôle de la province d’Hadramout, qui lui donnerait accès à un port sur la mer d’Arabie et c’est ce qui
pourrait expliquer une des motivations de l’intervention saoudienne au Yémen.
Al-Qaeda au Yémen
Al-Qaeda dans la péninsule arabique, également
nommée Ansar al-Sharia, est considéré comme la
branche la plus active et la plus dangereuse de l’organisation d’Al-Qaeda. Cette branche est présente
dans de nombreuses provinces au Yémen notamment Abyan, Lahj, Shabwa, Marib et Hadramout. En
2012 cette organisation a pris le contrôle de la province d’Abyan et a annoncé y avoir créé un Etat islamique. L’armée Yéménite lança une opération pour récupérer la province d’Abyan, qui permit de récupérer
Zunjbar & Jaar, mais le succès ne fut que relatif car
ils échouèrent à complètement repousser les combattants d’Al-Qaeda hors de la province d’Abyan ; ses
membres restent actifs notamment à travers des attentats suicides dans divers lieux de cette province et
d’autres. En mars 2015 l’armée Yéménite, soutenue
Hezam Haidar
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CIIP / Dossier de presse
Yémen : le Conseil des droits de l'Homme
de l’ONU doit créer une Commission d’enquête
Amnesty International, 20/08/2015
www.amnesty.fr/Nos-campagnes/Crises-et-conflits-armes/Actualites/Yemen-ONU-doit-creer-uneCommission-enquete-15860
23 organisations de défense des droits humains demandent au Conseil des droits de l'homme des
Nations unies de créer une commission internationale qui mènera des enquêtes sur les atteintes
graves au droit international humanitaire et au droit international relatif aux droits humains attribuées à toutes les parties au conflit depuis septembre 2014.
En septembre 2014, un groupe armé houthi a pris le
contrôle de Sanaa, la capitale du Yémen. Le 26 mars
2015, une coalition dirigée par l’Arabie saoudite a
lancé une campagne aérienne contre les forces houthies. Depuis lors, les parties au conflit ont commis
de graves violations du droit international humanitaire, dont certaines sont susceptibles de constituer des
crimes de guerre.
90% des réserves de nourriture et de carburant au
Yémen, le blocus imposé par la coalition a eu de graves répercussions sur la situation humanitaire, et
pourrait constituer un crime de guerre dans la mesure
où le recours à la famine contre des civils peut être
considéré comme un moyen de guerre.
La moitié de la population est désormais menacée
par l’insécurité alimentaire ; plus de 15,2 millions de
personnes sont privées de soins de santé de base, et
plus de 20 millions ne peuvent se procurer d’eau propre, ce qui contribue à la propagation de maladies
évitables, telles que la dengue, la polio et les diarrhées aiguës.
Frappes aériennes et tirs de mortiers aveugles
La coalition emmenée par l’Arabie saoudite a effectué des frappes aériennes aveugles, en violation du
droit international humanitaire, qui ont tué des dizaines de civils et touché des biens de caractère civil et
des infrastructures. Le 24 juillet, par exemple, des
avions de la coalition ont bombardé de manière répétée deux lotissements rattachés à la centrale électrique à vapeur de Mokha. Ces frappes ont tué à elles
seules au moins 65 civils, dont 10 enfants.
Lire aussi : la coalition a tué des dizaines de civils
L’impunité règne au Yémen
Le Haut-commissaire aux droits de l'homme a exprimé la vive inquiétude que lui inspire le nombre élevé
de victimes civiles au Yémen, et a indiqué au Conseil
des droits de l'homme lors de sa 29e session, en juin
2015, que le Haut-Commissariat avait « reçu des informations selon lesquelles des attaques aveugles et
disproportionnées sont menées contre des zones
densément peuplées. »
Les forces houthies et alliées ont enfreint à maintes
reprises le droit international humanitaire, notamment
en tirant sans discrimination sur des zones habitées
par des civils dans le sud du Yémen et de l’autre côté
de la frontière, en Arabie saoudite, et en recrutant
des mineurs pour grossir leurs rangs. Le 19 juillet,
lors d’une des attaques les plus meurtrières qu’aient
menées les forces pro-Houthis, des tirs de mortier ont
coûté la vie à plusieurs dizaines de civils dans le
quartier de Dar Saad, à Aden.
Aux termes du droit international humanitaire, les
États parties au conflit armé sont tenus d’enquêter
sur les crimes de guerre que leurs forces sont accusées d’avoir commis, et de traduire en justice, dans le
cadre de procès équitables, les personnes dont la
responsabilité pénale serait engagée. À la connaissance d’Amnesty International, aucun des membres
de la coalition ne l’a fait. D’autres États sont par ailleurs autorisés à exercer leur compétence universelle
dans le cas de crimes de guerre présumés ou d’autres crimes de droit international commis au Yémen.
Des groupes armés non étatiques ont porté atteinte à
la neutralité de centres médicaux, de professionnels
de la santé et de travailleurs humanitaires.
Au 4 août, les combats au Yémen avaient fait au
moins 1 916 morts parmi les civils, la plupart à la suite de frappes aériennes, selon le Haut-Commissariat
aux droits de l'homme des Nations unies. Au moins
207 biens de caractère civil ont été complètement ou
partiellement détruits par le conflit armé.
Le 14 avril 2015, le Haut-commissaire aux droits de
l'homme a demandé que toute atteinte présumée au
droit international donne lieu en urgence à une enquête, et a réitéré son appel en faveur d’enquêtes
rigoureuses dans son discours d’ouverture de la session de juin du Conseil des droits de l'homme.
Lire aussi : Mort et chaos, les civils pris au piège au
Yémen
La situation humanitaire continue à se dégrader de
manière ahurissante : 21 millions de Yéménites - soit
80 % de la population - ont ainsi besoin d’une assistance humanitaire. Les importations représentant
Le Conseil des droits de l'homme, dans sa résolution
27/19 adoptée en septembre 2014 sur le Yémen, a
demandé à l’unanimité qu’« une enquête soit ouverte
8
CIIP / Dossier de presse
sur tous les cas de violations des droits de l’homme
et d’atteintes au droit international humanitaire. » Le
Haut-Commissariat aux droits de l'homme a également encouragé la création d’un mécanisme international chargé d’enquêter sur les violations des droits
humains ayant eu lieu durant le soulèvement de
2011. Le refus des acteurs nationaux et internationaux de suivre ces recommandations n’a fait qu’alimenter la culture de l’impunité au Yémen
Signataires :
La Ligue algérienne pour la défense des droits de
l’homme, Amnesty International, la Coalition arabe
pour le Darfour, la Fondation arabe pour la société
civile et le soutien aux droits humains, l’Institut arabe
pour la démocratie, le Réseau arabe des ONG pour
le développement, l’Organisation arabe des droits de
l’homme - Libye, l’Organisation arabe des droits de
l’homme - Mauritanie, le Programme arabe pour les
militants des droits humains, l’Institut du Caire pour
les études des droits de l’homme, le Centre d’éducation aux droits des femmes - Maroc, le Centre mondial pour le devoir de protection, Human Rights
Watch , la Fédération internationale des ligues des
droits de l’homme, l’Initiative internationale pour les
droits des réfugiés, le Centre Khatim Adlan pour l'instruction et le développement humain, le Réseau de la
non-violence dans les pays arabes, le Mouvement
permanent pour la paix, le Centre Phenix pour l’étude
de l’économie et de l’informatique, Progressio, Saferworld, le Premier groupe pour la démocratie au Soudan, l’Observateur des droits humains au Soudan.
Le Conseil des droits de l’Homme doit agir
La réticence de l’Arabie saoudite, d’autres membres
de la coalition, et du gouvernement yéménite, à enquêter sur des frappes aériennes semble-t-il illégales
au Yémen, ainsi que l’absence de mesures d’obligation de rendre des comptes au sein des autres parties
au conflit, démontrent la nécessité pour le Conseil des
droits de l'homme d’agir de toute urgence.
Lors de sa 30e session, en septembre 2015, le
Conseil des droits de l'homme devra agir afin d’en
finir avec la culture de l’impunité qui prévaut au Yémen, et adopter une résolution dans le but d’établir
une commission d’enquête internationale chargée
d’examiner les atteintes au droit international humanitaire et au droit international relatif aux droits humains
imputées à l’ensemble des parties depuis septembre
2014, notamment en relation avec les blocus aérien
et maritime imposés par les forces de la coalition.
L’enquête doit permettre d’établir les faits, de recueillir et conserver des informations liées aux abus et
violations, et d’identifier les personnes soupçonnées
de responsabilité pénale, dans l’objectif de garantir
qu’elles soient traduites en justice dans le cadre de
procès équitables.
Des hommes assis devant les décombres d’un immeuble résidentiel
suite à une frappe aérienne menée le 24 juillet 2015
par la coalition dirigée par l’Arabie saoudite
à Mokha, dans le sud-ouest du Yémen.
© 2015 Ole Solvang/Human Rights Watch
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CIIP / Dossier de presse
Yémen / Arabie Saoudite :
Arabie saoudite versus Al Qaida 1/2 (extraits)
René Naba, 01/05/2015
www.madaniya.info/2015/05/01/yemen-arabie-saoudite-arabie-saoudite-versus-al-qaida-1-2/
L’expédition punitive saoudienne au Yémen : un test de la crédibilité du Roi Salmane et de la viabilité de la dynastie wahhabite.
L’expédition punitive saoudienne contre le Yémen,
première épreuve de feu ouverte depuis la création
du Royaume saoudien il y a 86 ans, paraît devoir
constituer un test de la crédibilité du nouveau Roi
Salmane, de la valeur dissuasive du Royaume, en
même temps qu’un test pour la viabilité de la dynastie
wahhabite.
Fondé en 1978 par Kamal Adham, ancien chef des
services de renseignements saoudiens du temps du
Roi Faysal dont il était le beau frère, -l’homme du
voyage de l’égyptien Anouar El Sadate en Israël- As
Chark Al Awsat, le fleuron de ce groupe de presse,
sera la pierre angulaire du dispositif médiatique saoudien à une période charnière du Moyen Orient à la
veille de la chute de la dynastie Pahlévi en Iran et de
l’instauration de la République islamique iranienne
(février 1979), de la conclusion du traité de paix
israélo-égyptien (Mars 1979) et de la guerre des pétromonarchies contre l’Iran, via l’irakien Saddam Hussein (septembre 1979). [… ] Salmane diluera sa participation dans ce holding, à la mi 2014, dans une démarche symbolique destinée à prendre ses distances
avec les collecteurs de fonds des djihadistes au moment où ses anciens compagnons de route faisaient
mauvaise presse dans les pays occidentaux par leurs
abus, alors que la santé du Roi chancelante lui laissait entrevoir les portes du pouvoir. Gouverneur de
Ryad pendant 50 ans, il a fait office de ministre occulte de l’information du Royaume, protecteur de tous
les prédicateurs salafistes venus cherchés refuge au
royaume, en même temps qu’un mécène de la presse arabe. […]
Salmane, un des plus gros collecteurs de
fonds pour les djihadistes
Deux mois après son entrée en fonction, la nouvelle
guerre du Yémen paraît répondre, sur le plan interne,
à un double objectif :
•
Faire taire les critiques sur l’aptitude du nouveau
roi, nullement juvénile, à gouverner alors que des
informations persistantes font état d’une lourde
pathologie handicapante dont l’octogénaire Salmane pâtirait. Le gazouilleur le plus en vue du
Royaume, Moujtahed, réputé pour ses informations corrosives de pertinence, a ouvertement
mentionné l’Alzheimer, sans susciter ni riposte, ni
sanctions.
•
Provoquer l’Union sacrée autour de la personne
du Roi et de neutraliser les pulsions vindicatives
du prince Mout’ab, le fils aîné du défunt Roi Abdallah, brutalement évincé de la course à la succession alors qu’il avait été mis sur orbite par son
père en tant de 2me vice premier ministre.
Le verdict de Moujtahed
Moujtahed qui a tenu en haleine le Royaume par ses
révélations sur les frasques et manigances de la famille royale saoudienne dans la phase crépusculaire
du règne du Roi Abdallah, ne s’est pas résolu au silence à l’avènement de son successeur le Roi Salmane. Bien mieux, faisant preuve d’audace, il a accordé
une interview à un périodique du Golfe « Affaires du
Golfe »; un dialogue mené par Riham Rifa’at.
Contrairement aux assertions de la presse occidentale, qui soutenait inconsidérément que Salmane bénéficie d’une « réputation de probité » et d’un « grand
respect » au sein de la famille royale, le nouveau roi
est en fait âprement contesté, notamment par la
branche Al Shammar, en raison de son obstruction,
en tandem avec le Prince Saoud Al Faysal, ministre
des Affaires étrangères, à la politique de libéralisation
du Royaume menée par son prédécesseur Abdallah.
Ci joint son verbatim : « Mout’ab : fils de l’ancien Roi
Abdallah, a été rétrogradé lors du remaniement ministériel qui a marqué la promotion du nouveau Roi.
2me vice président du Conseil, c’est à dire 3eme
dans l’ordre de succession, il a été rétrogradé au
rang de simple ministre en charge de la garde nationale. Il vit « DANS UN GRAND ETAT DE VENGEANCE ET PLANIFIE POUR CELA ». Personne ne sait
exactement ce qu’il trame. Il boycotte le Conseil de
Sécurité et de Politique » du Royaume, présidé par le
ministre de l’Intérieur. Des assassinats ou des attentats ne sont pas à exclure. Tout est possible avec
Propriétaire d’un important groupe de presse « Research and Marketing ltd », l’homme a orchestré pendant plus de trente ans, à travers la totalité des 15
périodiques de son empire médiatique les campagnes de collecte de fonds au profit des « arabes afghans », les ancêtres des djihadistes salafistes, tant
en Afghanistan, qu’en Bosnie-Herzégovine, qu’en
Tchétchénie, qu’au début du printemps arabe contre
la Syrie.
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CIIP / Dossier de presse
Mouta’b. En commençant par une guerre médiatique
qu’il peut déclencher dans les médias relevant de son
camp contre Mohamad Ben Nayef, celui a lui a succédé en tant qu’héritier du prince héritier… jusqu’aux
assassinats ou attentats voire des affrontements armés avec l’autre camp », assure Moujtahed.
du port d’Aden, la grande ville du sud Yémen, la place forte de la présence britannique à l’Est de Suez
pour la sécurisation de la route des Indes.
La militarisation des voies maritimes figure d’ailleurs
parmi les objectifs de Washington dans cette zone de
non droit absolu qui relie la Méditerranée à l’Asie du
Sud-est et à l’Extrême-Orient par le canal de Suez, la
mer Rouge et le golfe d’Aden. À lui seul, le Golfe d’Aden représente 660 000 kilomètres carrés, mais la
zone de rayonnement des pirates de Somalie s’étend
désormais jusqu’aux Seychelles, soit deux millions de
km2. Les côtes somaliennes courent sur 3700 kilomètres, relevant de trois États, mais le plus souvent hors
de toute juridiction. Vingt mille navires empruntent
cette autoroute maritime chaque année, transportant
le tiers du ravitaillement énergétique de l’Europe.
Toutefois, les revers enregistrés par l’Arabie saoudite
dans son expédition punitive contre le Yémen (MarsAvril 2015) a contraint Salmane à mobiliser la Garde
Nationale pour la protection des frontières du Royaume, replaçant Mout’ab au centre du jeu politique
saoudien.
Fondée par le défunt Roi Abdallah, la Garde Nationale est constituée de près de 100 000 combattants
exclusivement recrutés au sein des rugueux guerriers
tribaux. Tenue en suspicion par le clan Sideiry au
pouvoir à Riyad en ce qu’il s’agit d’une création d’Abdallah, Chef du Clan Al Shammar, elle était traitée
comme un détachement supplétif de l’armée gouvernementale. L’intervention de la Garde Nationale dans
la guerre du Yémen signe l’échec de l’armée traditionnelle relevant de l’autorité du ministère de la Défense placée sous l’autorité du clan Sideiriy depuis
près de 60 ans.
L’Éthiopie, pays africain non musulman, a été désigné par les États-Unis pour faire office de « gendarme régional » dans la Corne de l’Afrique, à l’instar
d’Israël pour le Proche Orient. Toutefois l’échec de
l’Éthiopie à mater la rébellion du régime des tribunaux islamiques a conduit l’alliance occidentale à
mettre en place un dispositif de lutte contre la piraterie maritime s’articulant sur trois volets États-Unis,
Union européenne et OTAN.
Sur le plan bilatéral : Arabie versus-Al Qaida,
un conflit de légitimité sur fond de contentieux territorial
En 2009, 168 actes de piraterie ont été recensés,
dont douze navires et deux cents cinquante otages
détenus sur la côte somalienne au 1er décembre dernier. Le dispositif international est déployé depuis
Djibouti (Golfe d’Aden) et les Seychelles (sud océan
Indien), qui constituent les principales bases de soutien des opérations maritimes et aériennes d’antipiraterie. Une vingtaine de bâtiments de guerre croisent en permanence dans le Golfe d’Aden et patrouillent le long des côtes somaliennes.
La guerre saoudienne contre le Yémen est en outre
destinée à purger le conflit de légitimité qui oppose la
dynastie wahhabite au fondateur d’Al Qaida, Oussama Ben Laden, yéménite de naissance, ancien sujet
du Royaume, en même temps que de couper définitivement court aux velléités yéménites de revendiquer
la restitution des trois provinces yéménites annexées
par l’Arabie saoudite dans la décennie 1930.
Le contentieux territorial
Périmètre hautement stratégique, cette zone à forte
charge symbolique est le lieu d’immersion présumée
d’Oussama Ben Laden, abritant de surcroît en Arabie
saoudite la plus importante base de drone dans le
secteur, en charge de la traque des djihadistes d’Al
Qaida dans la péninsule arabique.
Outre le conflit de légitimité qui oppose les disciples
de Ben Laden à la dynastie wahhabite, l’intervention
saoudienne au Yémen, la 3e de son histoire, vise à
couper définitivement court aux velléités yéménites
de revendiquer la restitution des trois provinces yéménites annexées par l’Arabie saoudite dans la décennie 1930.
Matrice de la culture arabe, son foyer de civilisation,
ce pays, placé selon son étymologie à droite sur le
chemin du pèlerinage de la Mecque, n’a jamais été
colonisé. Situé à la pointe sud-ouest de la péninsule
arabique, frontalier de l’Arabie saoudite au Nord, et
du Sultanat d’Oman à l’Est, le Yémen possède une
façade maritime d’une longueur de 1 906 km de côtes et couvre une surface de 527 970 km², soit presque autant que la France.
Ces trois provinces -Assir Jizane et Najrane- avaient
été annexées dans la pure tradition israélienne, par
l’Arabie saoudite en 1932, annexion ratifiée par l’accord de Taëf de 1934. Le Yémen s’oppose à la reconduction pour vingt ans de cet accord arrivé à expiration en 1992. L’expulsion de près d’un million de
travailleurs yéménites d’Arabie saoudite en 1990
pour l’alignement de Sana‘a sur l’irakien Saddam
Hussein dans son contentieux territorial avec le Koweït, a conduit le gouvernement yéménite, dans l’espoir d’obtenir une aide économique saoudienne, à
mettre une sourdine à ses revendications territoriales,
au grand dam d’une fraction de l’opinion yéménite.
Via ses trois îles, -Kamran, Perrin, et Socotra- il commande l’accès à la mer Rouge par le détroit de Bab
El-Mandeb, et l’île de Socotra (la plus grande des
îles) dans l’océan Indien. Signe de l’importance stratégique de la zone, le Royaume Uni, du temps du
protectorat britannique sur l’Arabie du sud, avait fait
11
CIIP / Dossier de presse
central.
Israël et l’Arabie saoudite sont deux des plus grands
colonisateurs de la planète. Pour Israël, une colonisation de l’ordre de 20 fois la superficie de la Palestine,
alors que l’Arabie saoudite, sous la bannière de la
firme Ben Laden, la firme familiale du fondateur d’Al
Qaida, se tournait vers l’Afrique et l’Asie pour s’assurer des terres arables pour parvenir à son auto suffisance alimentaire. […]
Al Qaida dispose en outre d’une filiale strictement
somalienne « les fameux chebab » (les jeunes), qui
se sont signalés à l’opinion internationale par un raid
meurtrier sur l’Ouganda, le 11 juillet 2010, faisant une
soixantaine de morts, et de deux raids particulièrement meurtriers contre le Kenya, en 2013 et 2015. Et
d’une légendaire branche maghrébine, faisant la
jonction opérationnelle entre le Monde arabe et le
Monde africain, « Al-Qaida au Maghreb islamique
(AQMI) ». Résultante d’un processus de scissiparité,
AQMI est la transformation, en janvier 2007, par intégration dans le réseau de Ben Laden du Groupe salafiste algérien pour la prédication et le combat
(GSPC), fondé lui-même en 1998 par dissidence du
Groupe islamique armé (GIA). Officiant généralement
dans les déserts algérien, malien, nigérien et mauritanien, Al Qaida a mis à profit la porosité des frontières
pour étendre son théâtre d’opérations dans la zone
désertique du Sahel.
L’Arabie saoudite, elle, a mis sur pied une société
publique pour financer les entreprises privées du
royaume qui achètent des terres à l’étranger. Elle
s’est tournée vers l’Afrique, en raison de sa proximité
avec le Royaume.
La firme saoudienne « Haïl Hadco » loue ainsi des
milliers d’hectares au Soudan avec pour objectif d’en
cultiver 40 000, alors que le groupe Ben Laden, spécialisé dans les travaux publics, s’est engagé en Asie
à la tête d’un consortium, espérant, à terme, gérer
500 000 hectares de rizières en Indonésie, dans le
cadre d’un projet agricole de 1,6 million d’hectares
comprenant la production d’agro carburant.
L’implication d’Al Qaida dans le conflit inter yéménite,
son environnement somalien et leur prolongement sahélien a retenti comme un camouflet à ses anciens partenaires, l’Arabie saoudite et les États-Unis, en même
temps qu’elle a souligné la dérision de la stratégie américaine dans son objectif majeur, « la guerre mondiale
contre le terrorisme », la mère de toutes les batailles.
Le Yémen, un pays de perdition dans la terminologie saoudienne
Le Yémen, dans la terminologie saoudienne, est désigné par le terme de « Qaidat Al Hallak », la base de
perdition, un jeu de mot par référence à Al Qaida qui
a fait du Yémen une de ses plate formes opérationnelles : un « lieu de débauche » en raison du nombre
de femmes saoudiennes qui ont fui leur pays pour se
rendre au Yémen participer au Djihad Al Nikah, le
mariage de confort pour le repos du guerrier. [… ]
L’étouffoir saoudien génère des fugueuses de tous
acabits, tous azimuts en ce que les voies du Djihad
Al Nikah peuvent emprunter divers chemins aussi
bien vers le nord, la Syrie, que vers le sud, le Yémen,
que vers l’Ouest… [… ]
Al Qaida au Yémen est en fait un retour aux fondamentaux du conflit de légitimité qui oppose le chef du mouvement à la famille Al Saoud. Oussama Ben Laden se
considère détenteur d’une légitimité glanée sur les
champs de bataille d’Afghanistan, qui a eu pour effet de
valoriser la position saoudienne auprès de ses alliés
américains, un rôle que lui dénie la famille Al-Saoud.
Bénéficiant d’une audience certaine tant au sein de
l’Islam asiatique (Afghanistan Pakistan) que de l’Islam africain (Sahel subsaharien), Oussama Ben Laden a longtemps souffert d’un handicap majeur au
sein du noyau historique de l’Islam -le monde arabedu fait de son passé d’agents de liaison des Américains dans la guerre anti soviétique d’Afghanistan
(1980-1990), détournant près de cinquante mille
combattants arabes et musulmans du champ de bataille principal, la Palestine, alors que Yasser Arafat,
chef de l’OLP, était assiégé à Beyrouth par les Israéliens avec le soutien américain (juin 1982). S’il peut
se targuer d’avoir contribué à précipiter l’implosion
d’un « régime athée », l’Union soviétique, ses censeurs lui ont reproché d’avoir privé de leur principal
soutien militaire, les pays arabes du « Champ de bataille », l’Organisation de Libération de la Palestine
(OLP), l’Égypte, la Syrie, l’Irak, ainsi que l’Algérie, le
Sud Yémen, le Soudan, la Libye et la Somalie.
Le redéploiement d’Al Qaida au Yémen, un
camouflet à ses anciens parrains
Al Qaida a procédé à une décentralisation de son
mouvement dans une démarche symétrique à la nouvelle doctrine américaine de la furtivité, conférant une
large autonomie aux commandements régionaux, en
application de la nouvelle stratégie du « combat disséminé » mise en œuvre avec succès par le Hezbollah libanais contre Israël, en 2006.
Depuis la reprise des hostilités à grande échelle au
Yémen, « Al Qaida » a ainsi procédé à la réunification des deux branches opérant dans la zone, l’Arabie saoudite et le Yémen, pour lancer, en 2008, « Al
Qaida pour la Péninsule arabique », s’attaquant aux
objectifs stratégiques, l’ambassade de États-Unis, en
2008, et un centre de sécurité d’Aden où étaient détenus des membres de son organisation, en juin 2010
en vue de peser sur la pulsion séparatiste des sudistes yéménites et contribuer à délégitimer le pouvoir
Son autorité de ce fait s’est heurté sur la scène arabe
au charisme d’authentiques dirigeants à la légitimité
avérée aux yeux de larges factions du monde arabo
musulman, Cheikh Hassan Nasrallah, chef du Hez12
CIIP / Dossier de presse
bollah, le mouvement chiite libanais, auteur de deux
exploits militaires contre Israël (2000, 2006), et le Hamas, le mouvement sunnite palestinien, dont l’incomparable avantage sur Oussama Ben Laden a résidé
dans le fait qu’ils n’ont jamais déserté, eux, le combat
contre Israël, l’ennemi principal du monde arabe. Le
mouvement sunnite palestinien a toutefois pâti de son
alignement sectaire sur les pétromonarchies sunnites
lors de la séquence du « printemps arabe » désertant
ses anciens compagnons d’armes, tout comme la
branche militaire d’Al Qaida, du fait de sa connivence
avec Israël dans le Golan, depuis 2014.
déclarer « non grata » Bandar, l’ancien enfant chéri
des États-Unis, le « Great Gatsby » de l’establishment américain.
Fait significatif, l’un des responsables d’Al-Qaida
dans la péninsule Arabique n’est autre que l’imam
radical Anwar Al-Aulaqi, un homme que les Américains désignent comme responsable de la stratégie
de communications d’Al Qaida à destination du monde anglophone, via le site en ligne « Inspire ». Yéménite né aux États-Unis, il a revendiqué comme disciple l’auteur de l’attentat avorté du vol Amsterdam Detroit le 25 décembre 2009, illustration symptomatique
de la confusion régnant dans les rapports entre les
États-Unis et le monde musulman et l’instrumentalisation américaine de l’Islam dans son combat contre
l’Union soviétique. Il figure désormais comme objectif
prioritaire de la doctrine Obama.
La destruction par ses alliés talibans des Bouddhas de
Bâmiyân, dans le centre de l’Afghanistan, en 2001, en
aliénant à l’Islam près d’un milliard de bouddhistes, a
accentué cette suspicion à son égard.[… ]
L’implantation d’Al Qaida pour la péninsule arabique
au Yémen pourrait avoir un effet déstabilisateur sur le
royaume, qui « ne sera pas à l’abri d’un effondrement, en cas de chute du régime yéménite », a averti
le 17 juillet 2010, le ministre yéménite de l’enseignement supérieur, Saleh Basserrate, déplorant l’absence de coopération de l’Arabie dans le règlement des
difficultés économiques du pays (Cf. « L’appel au secours
L’ancrage d’une organisation essentiellement sunnite, excroissance du rigorisme wahhabite, sur le flanc
sud de l’Arabie saoudite, porte la marque d’un défi
personnel de Ben Laden à ses anciens maîtres en ce
qu’elle transporte sur le lieu même de leur ancienne
alliance la querelle de légitimité qui oppose la monarchie à son ancien serviteur.
du Yémen à l’Arabie saoudite », éditorial de Abdel Bari Atwane,
directeur du journal pan arabe « Al Qods al Arabi » paraissant à
Londres, en date du 17 juillet 2010 ).
Sur fond d‘épreuves de force américano-iranien à
l’arrière plan du contentieux nucléaire iranien, les disciples d’Oussama Ben Laden, yéménite d’origine,
saoudien de nationalité déchue, ont choisi de livrer
bataille sur la terre des ancêtres du fondateur de leur
mouvement.
L’alerte a été jugée suffisamment sérieuse pour
conduire le Roi Abdallah à engager ses forces dans
les combats du Yémen, à l’automne 2009, aux côtés
des forces gouvernementales. L’implication d’un
membre de l’entourage familial du Prince Bandar Ben
Sultan, fils du ministre de la défense et ancien président du Conseil national de sécurité, dans la réactivation des sympathisants d’Al Qaida tant en Syrie qu’au
Nord Liban, dans la région du camp palestinien de
Nahr el Bared, a donné la mesure de l’infiltration de
l’organisation pan islamiste au sein des cercles dirigeants saoudiens, en même temps qu’elle fragilisait
le Royaume vis-à-vis de ses interlocuteurs tant Arabes qu’Américains.
De porter, dans l’ordre symbolique, leur bataille décisive contre la monarchie saoudienne, qu’il considère
comme un renégat de l’islam, l’usurpateur saoudien
des provinces yéménites, dans un combat retourné
dont le terme ultime devrait être le rétablissement de
la légitimité du label d’une organisation en perte de
vitesse au sein du Monde arabe, au profit du nouveau acteur régional Da’ech, excroissance pathologique de l’éradication des assises du pouvoir sunnite
en Irak du fait de l’invasion américaine de l’ancien
capitale de l’empire abbasside, en 2003.
Cheikh Maher Hammoud, Mufti sunnite de la Mosquée « Al Qods » de Saida,
(sud Liban), a ouvertement
accusé le Prince Bandar
depuis la chaîne transfrontière Al Jazira, samedi
26 juin 2010, d’avoir financé
des troubles au Liban particulièrement contre les zones
chrétiennes
de
Beyrouth dans une opération de diversion, sans que
cette déclaration ne soit
démentie ou le dignitaire
poursuivi
en
justice,
Le roi Salmane et Oussama Ben Laden
conduisant l’Amérique à
13
René Naba
CIIP / Dossier de presse
Yémen / Arabie Saoudite :
Arabie saoudite versus Houthistes 2/2
René Naba, 04/05/2015
www.madaniya.info/2015/05/04/yemen-arabie-saoudite-arabie-saoudite-versus-houthistes-2-2/
Une fermeture totale du Détroit d’Ormuz, par où transitent 90 pour cent du pétrole produit par le Golfe, priverait l’Occident du quart de sa consommation quotidienne d’énergie.
Vingt mille navires empruntent cette autoroute maritime chaque année, transportant le tiers du
ravitaillement énergétique de l’Europe. La flotte américaine a installé à Manama (Bahreïn) le quartier général
de la Vème flotte, en charge de l’Océan Indien. Elle
dispose en outre de facilités à l’île de Massirah
(Sultanat d’Oman), ainsi que sur la rive africaine de
l’Océan indien, à Berbera (Somalie), à Mombasa
(Kenya) et dans l’île britannique de Diégo Garcia.
Les enjeux énergétiques : le Détroit d’Ormuz
Veine jugulaire du système énergétique mondial, le
golfe arabo persique constitue, de l’avis de nombreux
observateurs, un possible point d’impact dérivé de la
confrontation entre l’Iran et l’Arabie saoudite du fait
de la guerre du Yémen.
Un des principaux ravitailleurs du système énergétique
mondial, le golfe arabo-persique sert en même temps
de gigantesque base militaire flottante de l’armée américaine, qui s’y ravitaille à profusion, à domicile, à des
prix défiants toute concurrence, auprès de ses protégés pétromonarchies. Tous, à des degrés divers, y
paient leur tribut, accordant sans états d’âme, des facilités à leur protecteur. La zone est, en effet, couverte
d’un réseau de bases aéronavales anglo-saxonnes et
françaises, le plus dense du monde.
Le Monde arabe regroupe trois des principales voies
de navigation transocéaniques, mais n’en contrôle
aucune. Le détroit de Gibraltar, qui assure la jonction
entre l’Océan Atlantique et la Mer Méditerranée, est
sous observation de la base anglaise située sur le
promontoire de Gibraltar, une enclave située sur le
territoire de l’Espagne. La jonction Méditerranée-Mer
Rouge est sous le contrôle des bases anglaises situées aux deux extrémités du Canal de Suez (les
bases de Dekhélia et d’Akrotiri (Chypre) et la base de
Massirah (Sultanat d’Oman). Enfin, le passage golfe
arabo persique Océan indien est sous l’étroit contrôle
du chapelet de bases de l’Otan : le camp francoaméricain de Djibouti, la base aéronavale française
d’Abou Dhabi, le QG du Centcom du Qatar, et la base aéronavale américaine de Diego Garcia.
Voie d’eau d’un millier de km de long et dont la largeur
avoisine 50 km dans sa partie la plus resserrée, le Golfe est une zone de jonction entre le Monde arabe et le
Monde perse, entre le sunnisme et le chiisme, les deux
grands rameaux de l’Islam. Elle borde l’Iran, qui se
veut le fer de lance de la Révolution islamique, l’Irak,
qui s’est longtemps présenté comme la sentinelle
avancée du flanc oriental du Monde arabe, ainsi que
six monarchies pétrolières de constitution récente, faiblement peuplées et vulnérables, mais dont la production de brut vient au premier rang du monde. C’est aussi une zone intermédiaire entre l’Europe, dont elle est
le premier fournisseur de pétrole, et, l’Asie, qui seraient
les premières touchées par une éventuelle interruption
du trafic maritime. Le Golfe soutient, enfin, selon les
stratèges occidentaux, le fameux « arc de l’islam » de
la confrontation dans le tiers-monde, qui va de l’Afghanistan à l’Angola en passant par la Corne de l’Afrique.
En vertu du principe de la liberté de navigation, la
totalité des voies de passage transocéaniques, à l’exception du Détroit de Behring, sont sous contrôle de
l’Occident. Du Détroit de Gibraltar au Détroit du Bosphore, au Détroit des Dardanelles, au Détroit de Malacca, au détroit d’Ormuz.
Si la Chine a réussi à contourner ce goulot d’étranglement en développant sa « stratégie du collier de
perles » par l’aménagement d’un chapelet de ports
amis le long des ses voies de ravitaillement, du Sri
Lanka à l’Afrique orientale, à l’Europe avec la zone
franche du Pirée, de même que la Russie avec Tartous et Banias, sur la côte syrienne de la Méditerranée, cela n’a pas été le cas pour le monde arabe.
La plus forte armada de l’après Vietnam y était
concentrée durant la guerre irako iranienne (19791989). Pas moins de 70 navires, avec au total 30 000
hommes, appartenant aux flottes de guerre américaine, soviétique, française et britannique croisaient dans
les eaux du Golfe, le détroit d’Ormuz, la Mer d’Arabie
et le nord de l’Océan indien. A cette armada s’ajoutaient les flottes consacrées à la défense côtière des
pays de la région. Lors de l’extension du conflit irakoiranien, à la suite de la décision de l’Irak de décréter
une « zone d’exclusion maritime », 540 bâtiments
(pétroliers, cargos) ont été coulés ou endommagés soit près double du tonnage coulé pendant la 2me
Guerre mondiale (1939-1945), transformant cette voie
d’eau en un gigantesque cimetière marin.
Au-delà de la mise au pas de ces deux pays récalcitrants à l’hégémonie occidentale, la double épreuve
de force contre la Syrie et l’Iran sous-tend, en complément, une opération de contournement du détroit
d’Ormuz par substitution de la voie terrestre à la voie
maritime du transport des hydrocarbures du Golfe
vers l’Europe, via les ports méditerranéens de la Tur14
CIIP / Dossier de presse
quie, à travers le projet TAP, l’oléoduc trans-anatolien
chargé d’acheminer vers l’Europe la production de
brut des pétromonarchies et de l’Irak. Le développement de la capacité de l’oléoduc de l‘ancienne IPC
(Irak Petroleum Cy) des champs pétroliers du nord de
l’Irak vers le terminal syrien de Banias figure également dans les projets des pétroliers, en cas de chute
du régime syrien, réduisant ainsi la trop grande dépendance de l’Europe occidentale vis-à-vis des hydrocarbures de l’Algérie et de la Russie, deux pays
hors de la sphère de l’Alliance Atlantique.
tes habitent sur les hauts plateaux yéménites et notamment la province de Saada (Nord du pays) et présentent de nombreuses différences au niveau du
dogme par rapport aux chiites duodécimains iraniens.
Ils représentent 30 pour cent environ des 22,2 millions de Yéménites qui sont en majorité sunnites. De
plus, ils partagent de nombreuses interprétations religieuses avec la majorité sunnite chaféite. Les houthistes dénient toute instrumentalisation de leur cause par une puissance étrangère et insistent au
contraire sur l’aide que le royaume saoudien apporterait au président.
Un impératif au regard de l’évolution du trafic maritime mondial : sur les vingt plus grands ports porteconteneurs du Monde, treize se trouvent en Asie, un
continent qui assurera, en l’an 2020, plus de la moitié
des productions mondiales. Dans la perspective d’une épreuve de force, les États-Unis ont aménagé une
base de drones en Arabie saoudite et parachevé un
nouveau système radar au Qatar en complément de
ceux déjà installés en Israël et en Turquie pour former un vaste arc régional de défense antimissile,
alors qu’Abou Dhabi confiait la protection de ses
champs pétrolifères à une firme israélienne dirigée
par l’ancien député de gauche Yossi Sarid et l’Arabie
saoudite, le contrôle passager de l’aéroport de Djeddah, voie d’entrée des centaines de milliers de pèlerins vers la Mecque, à un sous traitant saoudien d’une firme israélienne chargée du traitement des prisonniers palestiniens des territoires occupés.
Minoritaires, certes, les opposants bénéficient néanmoins du soutien d’une fraction de l’armée yéménite
fidèle à l’ancien président Ali Abdallah Saleh, chassé
du pouvoir en 2012 et d’un encadrement logistique et
militaire des « Gardiens de la Révolution » iranienne.
Mais au-delà du conflit inter tribal, les Yéménites
nourrissent de solides griefs à l’égard de l’Arabie
saoudite à laquelle ils reprochent, au delà du contentieux territorial, d’avoir longtemps entretenu l’instabilité dans le pays en alimentant directement le budget
de la défense, contournant ainsi le pouvoir d’état au
bénéfice alternatif des deux principales confédérations tribales : les Beni Hached et les Bakil. Cheikh
Abdallah Hussein Al Ahmar, homme fort de la tribu
des Hached, dirigeant du parti d’Al Islah (la réforme)
et Président du Parlement yéménite, passe pour bénéficier des subsides saoudiens dans la nouvelle
confrontation. Le parti Islah, à l’instar du Hamas Palestinien, a cédé à son clientélisme habituel, cautionnant cette intervention sur la même base sectaire que
la Confrérie des Frères Musulmans, pourtant criminalisés par le royaume.
Sur le plan régional : sous prétexte du danger d’un axe chiite, une démonstration de
force du pacte sunnite de la contrerévolution arabe
La nouvelle guerre du Yémen a éclaté en 2004 à la
suite de la capture des principaux chefs houthistes et
la mort au combat de leur chef, Hussein Al Houthi,
tué en septembre de cette année-là par un missile au
cours d‘une opération clandestine de la CIA en représailles contre l’attentat contre le destroyer Cole. Hussein, figure de proue du mouvement, a été remplacé
depuis lors par son frère Abdul Malik.
Empruntant un mode opératoire identique à la répression du Bahreïn, l’équipée collégiale du pacte sunnite
dans une guerre disproportionnée contre le pays le
plus pauvre du Monde arabe signe la faiblesse du régime saoudienne et sa crainte d’une nouvelle déconfiture militaire comparable à sa précédente aventure au
Yémen en 2009. « Pour un royaume habitué au "soft
power" et qui a longtemps sous-traité sa sécurité aux
États-Unis, ce qui ressemble au départ à une escarmouche se transforme très vite en épreuve. Elle est
suivie de très près par les Américains, appelés à la
rescousse pour ravitailler l’armée saoudienne. » Il s’agit de l’engagement le plus significatif depuis qu’Abdel
Aziz a combattu pour établir le royaume saoudien », il
y a plus d’un siècle, écrit en décembre l’ambassade
américaine à Riyad, selon un télégramme obtenu par
WikiLeaks et révélé par Le Monde.
À la tête du pays depuis trente-deux ans (1978), le
président Ali Abdallah Saleh avait alors accusé ses
rebelles de vouloir renverser son régime pour rétablir
l’imamat zayidite, aboli en 1962 à Sanaa, et d’être
manipulés par l’Iran. Les Houthistes, quant à eux, se
plaignent d’avoir été marginalisés par le gouvernement sur le plan politique, économique et religieux, et
demandent le rétablissement du statut d’autonomie
dont ils bénéficiaient avant 1962. Ils assuraient défendre une identité menacée selon eux à la fois par la
politique du pouvoir central, qui maintiendrait leur
région dans le sous-développement, et par la poussée d’un fondamentalisme sunnite à l’égard duquel
Sanaa entretient souvent l’ambiguïté.
Mais le bilan dressé par les Américains des bombardements saoudiens jugés « disproportionnés », aussi
massifs qu’imprécis dans un théâtre d’opération montagneux, est particulièrement sévère, même si au
final les Saoudiens assurent avoir repoussé les rebelles. Au point que lors d’une rencontre avec le vice-
Issus du courant religieux chiite zayidite, les Houthis15
CIIP / Dossier de presse
ministre saoudien de la défense qui a dirigé les opérations, le prince Khaled Ben Sultan, quelques semaines plus tard, l’ambassadeur américain s’inquiète du
bon usage fait par l’aviation saoudienne des images
prises par satellite transmises par les États-Unis.
L’ambassadeur présente au prince la photo d’un bâtiment bombardé qui, selon les États-Unis, est un hôpital. « Cela me dit quelque chose », remarque le prince, avant d’ajouter : « Si nous avions eu des Predator, peut-être que nous n’aurions pas eu ce genre de
problème.» Et le prince de mettre en cause la qualité
des informations données par les Yéménites, relate
Gilles Paris dans le Journal le Monde en date du 7
Décembre 2012 dans un article intitulé « WikiLeaks :
les ombres d’une campagne saoudienne ».
La coalition anti Yémen, un assemblage hétéroclite d’obligés du Royaume
Sans doute l’effet du hasard, qui n’en est pas moins
révélateur, l’annonce du décès du Roi Abdallah le 23
janvier 2015 est intervenue, alors que le Yémen plongeait dans le chaos à la suite de la démission collective du président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi
de son gouvernement, sous les coups de butoir de la
milice chiite Ansar Allah et que Riyad se hâtait de
dresser un mur de 900 kilomètres à sa frontière avec
l’Irak pour se protéger d’une invasion par les djihadistes de l’état islamique autoproclamé.
L’objectif officiel de la guerre est de rétablir la légalité
au Yémen avec le retour du président Abd Rabbo
Hadi Mansour. Son objectif sous-jacent : la partition
du Yémen et l’aménagement d’une zone de sécurité
pour y installer un gouvernement fantoche à la dévotion des princes d’Arabie en vue d’y mener une guerre d’usure contre leurs adversaires. Mais la coalition
mise sur pied pour châtier le Yémen représente un
assemblage hétéroclite d’obligés du Royaume, ayant
tous participé dans leur quasi totalité à la contre révolution lors de la séquence dite du « printemps arabe » (Arabie, Bahreïn, Émirats Arabes Unis, Koweït,
Qatar, Jordanie, Maroc).
Dans la nouvelle expédition du Yémen, l’Arabie saoudite dispose de Predator et d’un PC conjoint avec les
Américains sans pour autant qu’il soit assuré de l’issue de la bataille. Un mois après le début de l’offensive saoudienne, alors que la bataille marque le pas,
les Américains ont fait appareiller vers le Golfe d’Aden le porte-avions Theodore Roosevelt et le croiseur
lance-missiles Normandy en vue d’épauler leurs alliés monarchiques
Démonstration de force ou combat d’arrière
garde du pacte sunnite ?
Cette « tempête décisive », impressionnante par son
déploiement, représente 150 000 militaires et 100
avions de combat, avec une contribution de onze
pays : Les Émirats arabes unis 30 avions de combat ;
Bahreïn et Koweït 15 appareils chacun et le Qatar 10.
Le vent de panique qui s’est emparé de l’Arabie
saoudite aux premiers soulèvements populaires arabes, en Tunisie et en Égypte, a déclenché un branlebas de combat sans précédent dans la péninsule arabique, avec le rattachement d’office de la Jordanie et
du Maroc au syndicat des pétromonarchies du Golfe
et l’opération de police à Bahreïn. Une opération
sans risque face une opposition civile désarmée,
dans un pays qui abrite la base navale de la 5eme flotte américaine pour la zone Golfe Océan indien.
Jadis rivale sur le plan arabe de l’Arabie saoudite et
rescapé du néo islamisme de la confrérie des Frères
Musulmans avec l’aide saoudienne, l’Égypte est réduite de ce fait au rang d’escorteur. Elle a dépêché
quatre navires de guerre pour sécuriser le Golfe d’Aden et le Détroit de Bab El Mandeb (le Détroit des
Lamentations) et participé à des manœuvres conjointes égypto-saoudiennes sur le territoire saoudien en
vue de donner de l’assurance et de la contenance
aux saoudiens.
L’équipée du Yémen relève toutefois d’un autre registre. Première guerre frontale du Royaume depuis sa
fondation en 1929, elle traduit une rupture avec la
stratégie oblique pratiquée par les wahhabites dans
leur confrontation avec leurs rivaux depuis la fondation du Royaume.
Le Soudan, dont le président Omar Al-Bachir, sous le
coup d’un mandat de justice internationale pour crime
contre l’humanité au Darfour, opère là un retour remarqué sur la scène internationale, en consentant à
l’envoi de « chair à canon » pour la défense du meilleur allié de ses bourreaux occidentaux. Fermnt le
ban, la Jordanie et le Maroc, les deux alliés stratégiques souterrains d’Israël dans le Monde arabe, le
Hachémite au Machreq et l’Alaouite au Maghreb.
Que cela soit au Yémen, dans la décennie 1960
contre les républicains nassériens, ou en Afghanistan, dans la décennie 1980, contre l’Union Soviétique, via les « arabes afghans », ou encore contre
l’Iran Khomeiniste, dans la décennie 1980, via l’irakien Saddam Hussein, un dirigeant qui se réclamait
pourtant d’une idéologie nationaliste et laïque, qui se
muera en factotum de monarques rétrogrades et tribaux et en paiera le prix en termes d’ingratitude ; ou
enfin en Syrie (2011-2015), via les djihadistes takfiristes du prince Bandar Ben Sultan.
Le Pakistan, longtemps chargé de la défense de l’espace aérien saoudien, traîne les pieds dans une opération qu’il présume sans doute aléatoire. Le sultanat
d’Oman, lieu des rencontres secrètes entre les États
Unis et l’Iran, s’est abstenu de participer à cette expédition punitive, lancée le 25 mars 2015, en vue de
préempter les décisions du sommet arabe à Charm
16
CIIP / Dossier de presse
vant un parterre d’officiers supérieurs réunis au palais
royal, à la veille de l’offensive saoudienne, le Roi Salmane a assuré ses gradés que son armée avait engagé le combat pour défendre en premier lieu « l’Islam et le pays abritant les deux saintes mosquées
de l’islam (La Mecque et Médine) ».
El Cheikh (Égypte) qui devait se tenir le lendemain,
en le plaçant devant le fait accompli, alors que l’Iran
finalisait un accord international sur l’usage de sa
capacité technologique nucléaire.
La participation du Qatar à cette équipée pose le problème des arrières pensées du rival wahhabite en ce
que bon nombre d’observateurs arabes n’excluent
pas l’idée que le minuscule émirat n’ait voulu créer
les conditions d’un enlisement saoudien dans le
conflit yéménite à l’effet de donner à Doha une plus
grande marge de manœuvre diplomatique sur le plan
régional. Dans cette perspective la participation du
Qatar l’expédition punitive collective monarchique
s’apparente fort à un « baiser de judas ».
Voulant dans doute donner des gages aux Israéliens
et aux Américains et faire taire éventuellement les
critiques sur ce qui constitue au regard du droit international une « agression caractérisée », le monarque
saoudien s’est exclamé, en un style décousu, au débit saccadé, sans que ses propos lapidaires n’aient
un lien quelconque avec la thématique de son discours : « Que Dieu ait en sa sainte miséricorde les
Juifs (…). ». « Je m’appelle Kamal (terme qui se traduit par plénitude ou perfection), a-t-il assuré, précisant qu’il inscrivait son action dans la fidélité à ses
prédécesseurs : Abdel Aziz, Saoud, Faysal, Khaled,
Fahd, Abdallah, de même que les deux princes héritiers décédés prématurément Sultan et Nayef »., soit
la totalité du clan Sideiry qui a gouverné le Royaume
pendant cinquante ans, si l’on excepte les rois Abdel
Aziz, Saoud et Abdallah.
Le refus de la Turquie et du Pakistan, deux grandes
puissances militaires sunnites, de participer à la foire
d’empoigne saoudienne a retenti comme un camouflet majeur pour la cohorte des roitelets du Golfe.
Cinquante mille (50 000) « arabes afghans » contre
l’Union soviétique en Afghanistan et 150 000 soldats
contre le Yémen et pas une mobilisation contre
Da’ech, leur excroissance générative. Pas un réserviste pour La Mosquée Al Aqsa de Jérusalem, 3me
haut lieu de l’Islam, occupé depuis 48 ans par Israël
et dont le gardien des hauts lieux de l’Islam en a
théoriquement la garde en partage avec le hachémite
de Jordanie ?
Le discours sur ce lien : https://www.youtube.com/
watch?v=S4y41nnO5fY&sns=em
« Le trouble et la confusion constituent la marque de
la politique saoudienne au Yémen. Mohamad Ben
Nayef, ministre de l’intérieur, est en charge du dossier, mais ignore ce qu’il fait. Lui et les Américains ont
fermé l’œil sur les Houthistes pour contrecarrer Al
Qaida au Yémen. Il s’est même impliqué avec eux »,
Dixit Moujtahed.
Sous couvert du combat contre l’expansionnisme de
« l’axe chiite », l’objectif subliminal de cette guerre du
bloc sunnite paraît destinée à entraver tout rapprochement des pays occidentaux avec l’Iran, chef de
file du courant chiite et de l’axe de la contestation à
l’hégémonie israélo-américaine dans la zone, avec
de solides points d’ancrage en Irak, du fait saoudoaméricain, en Syrie, au Liban, via le Hezbollah enfin
au Yémen. Dans une démonstration de force destinée à témoigner de sa détermination à mettre en
échec les armes saoudiennes, l’Iran a dépêché une
demie douzaine de patrouilleurs, forçant les ÉtatsUnis à faire pression sur son allié saoudien pour un
arrêt des raids aériens.
L’équation désormais est la suivante : Tout soutien
accordé par l’Arabie saoudite à une quelconque tribu
du Yémen signifie par ricochet un soutien à Al Qaida,
dont le fondateur, ne l’oublions pas, est de tout même
d’origine yéménite, Oussama Ben Laden. Toutes les
tribus ont fait alliance avec Al Qaida contre les Houthistes». L’Irak est aussi une autre sale affaire pour
l’Arabie saoudite.
L’alliance du gouvernement saoudien avec la coalition anti Da’ech l’a placée en confrontation directe
avec Da’ech », soutient le gazouilleur.
L’échec de l’Arabie saoudite dans sa première épreuve de force directe sur la scène internationale ferait
voler en éclat dispositif arachnéen de la stratégie
énergétique façonnée par les États-Unis depuis la
découverte du pétrole au début du XXeme siècle, nonobstant les lourdes conséquences sur la structure
du régime du pouvoir saoudien. Et, corrélativement à
l’issue de la guerre de Syrie, l’expédition du Yémen
déterminera, sans nul doute, la hiérarchie des puissances dans l’ordre régional.
Ni les États-Unis, la plus ancienne démocratie du
Monde contemporain, pas plus que le Royaume Uni,
le concepteur de l’« Habeas Corpus », encore moins
la France, la « Patrie des droits de l’homme » n’ont
jamais émis la moindre critique sur le comportement
exorbitant de l’Arabie saoudite, tant dans son rôle
d’incubateur du djihadisme planétaire, que pour sa
promotion de l’obscurantisme dans la sphère musulmane, que pour son usage inconsidéré de la décapitation en guise de châtiment suprême, que sur la réduction de la gente féminine du royaume à la condition de « dépendante ».
Salmane aux forces armées : « Que Dieu ait
en sa sainte miséricorde les Juifs. Je m’appelle Kamal (la plénitude ou la perfection)
Dans ce combat décisif, déterminant pour l’avenir du
royaume, Le roi Salmane a mobilisé la religion. De17
CIIP / Dossier de presse
Sans illusion sur les capacités militaires du royaume
qu’ils pratiquent depuis soixante dix ans, les ÉtatsUnis ont concédé un viatique à l’allié saoudien par le
vote d’une résolution du Conseil de sécurité sous le
chapitre VII (Résolution 2216 du 14 avril 2015), davantage dictée par le souci de compenser la décision
russe d’autoriser la livraison de missiles S3000 à l’Iran que par la volonté de neutraliser les houthistes
dans leur contestation de l’ordre wahhabite.
mis occidentaux le droit d’un pays musulman, qui
plus est chiite, à accéder au rang du seuil nucléaire
sans le consentement occidental, - un camouflet majeur pour les wahhabites -, l’Arabie saoudite, un
royaume en plein désarroi, en pleine convulsion, accrédite l’image d’un cheval fou, à la bride lâchée, aux
flancs percés, lancé dans une cavalcade éperdue en
une continuelle fuite en avant, dont l’échec de son
expédition punitive au Yémen remettra immanquablement en question son primat diplomatique sur le
Monde arabe et sans doute l’aptitude du leadership
saoudien au commandement.
Se pose la question de la pertinence d’une alliance
des « grandes démocraties du bloc atlantiste » avec
un pays parmi les plus répressifs et les plus régressifs de la planète pour l’établissement d’une « ceinture verte » à dresser autour de la Chine et la Russie
pour contenir leur montée en puissance. Ce filet de
sécurité pourra-t-il indéfiniment se tendre sans rompre ? Sans porter gravement atteinte à la crédibilité
des « grandes démocraties occidentales »? Sans que
celles ci ne se lassent finalement de ce lourd fardeau
et ne songent à emprunter un schéma s’inspirant du
précédent du Chah d’Iran ? [… ]
Pour emprunter à la métaphore nautique, l’Arabie
saoudite est devenue un « canon libre », c’est-à-dire
une puissance aux actions imprévisibles, incontrôlables et dangereuses tant pour elle-même que pour
les autres ; un comportement typique des êtres en
perte de confiance en eux-mêmes, dont plus personne n’a confiance, quand bien même leur assistance
est sollicitée ponctuellement de façon spécifique, à
court terme.
En ce printemps 2015, la folle équipée saoudienne
au Yémen se présente comme un test décisif de la
viabilité de la dynastie wahhabite. Avec en embuscade, l’État Islamique, au Nord en Irak, et au sud, au
Yémen même, Al Qaida qui vient de s’emparer de la
base militaire d’Al Moukalla, dans le Hadramaout ;
L’Etat Islamique et Al Qaida, ses anciens pupilles,
désormais ses deux concurrents les plus directs pour
le leadership de la sphère musulmane.
L’Arabie saoudite : un cheval fou, aux flancs
percés, lancés dans une cavalcade éperdue
vers l’inconnu
Le Yémen et l’Irak, les deux pays frontaliers de l’Arabie saoudite, ont longtemps constitué les deux balises
stratégiques de la défense du Royaume wahhabite, le
premier au sud, le second au nord de l’Arabie. C’est
dans ces deux pays que l’Arabie saoudite a engagé le
combat pour assurer la pérennité de la dynastie wahhabite, à deux reprises au cours des dernières décennies. Le Yémen a servi en effet de champ d’affrontement inter arabe entre Républicains et Monarchistes
du temps de la rivalité Nasser-Faysal dans la décennie
1960, et, l’Irak, le théâtre de la confrontation entre le
Chiisme révolutionnaire et le sunnisme conservateur
du temps de la rivalité Saddam Hussein-Imam Rouhollah Khomeiny dans la décennie 1980.
René Naba
36 ans après la chute du Chah d’Iran, alors que la
révolution islamique iranienne fait acter par ses enne-
18
CIIP / Dossier de presse
La revanche inattendue du confessionnalisme
au Yémen : Zaydisme, chiisme et houthistes
Laurent Bonnefoy, 18/09/2014
http://orientxxi.info/magazine/la-revanche-inattendue-du,0677
La prise de la ville d’Amran en juillet 2014 par la rébellion « houthiste », la pression exercée sur le
pouvoir par cette dernière et les manifestants qu’elle mobilise à Sanaa depuis un mois témoignent
de l’ampleur de la crise politique que connaît le Yémen, engagé depuis 2012 dans une périlleuse
transition institutionnelle. De façon plus significative encore, les victoires réelles ou symboliques
des « houthistes » illustrent une dynamique identitaire et religieuse qui a permis au zaydisme, autrefois décrit comme en déclin, de connaître un nouveau souffle inattendu.
pertinent ou alors marginal. Un processus de convergence, instrumentalisé par l’État, appuyé par le système scolaire, validé par les clercs et induit par l’augmentation des migrations internes qui apportaient une
nouvelle mixité confessionnelle dans les villes a, entre
les années 1970 et 2000, largement effacé la distinction entre sunnites et zaydites. Il faut dire que sur le
plan du dogme, le zaydisme chiite apparaissait dès
l’origine proche de l’école sunnite chaféite. Dès lors, le
processus de convergence aidant, les différences formelles de la pratique du culte (telle la position des bras
au cours de la prière ou les mots prononcés lors de
l’appel à la prière) n’empêchaient pas nombre de chaféites de prier dans des mosquées zaydites et inversement. Dans ce contexte, la majorité avait tendance à
revendiquer une identité musulmane volontiers globale,
laissant de côté certaines questions taboues, sur le
rôle prééminent alloué aux descendants du prophète
Mohammed par la tradition zaydite par exemple.
Lorsque l’on évoque la question des identités religieuses au Yémen, il semble entendu que les Yéménites (si l’on excepte les minorités juives et ismaéliennes qui représentent tout au plus quelques dizaines
de milliers de personnes) se répartissent selon deux
écoles de l’islam : le zaydisme, branche du chiisme,
auquel appartient nominalement environ un tiers des
27 millions d’habitants et le sunnisme d’école chaféite. Ce dernier représente l’une des quatre écoles de
jurisprudence (madhhab) du sunnisme, il est présent
en Égypte, en Irak mais aussi en Asie du Sud-Est et
en Afrique de l’Est.
Le sens commun a souvent tendance à considérer que
l’opposition entre ces deux identités religieuses est
structurante du paysage politique et social yéménite. De
fait, cette distinction a historiquement joué un grand rôle
et c’est bien l’imamat zaydite qui a dirigé tout ou partie
du Yémen du Nord pendant plus d’un millénaire, jusqu’à
la révolution républicaine de 1962, alors que le Sud, où
résident un quart environ des Yéménites, était peuplé
de façon exclusive de chaféites.
Une telle transaction avait pour l’essentiel permis au
Yémen de faire l’économie de tensions confessionnelles et conduit, pour une large partie de la population, à un dépassement des identités primaires. La
situation était paradoxale en apparence : les élites,
massivement d’origine zaydite, appuyaient un processus de convergence qui, de fait, conduisait à effacer leur référent religieux de naissance.
Convergence des identités
La République autant que des dynamiques à l’échelle
du monde musulman ont, au cours des dernières décennies, contribué à marginaliser le zaydisme, assimilé à l’ancien régime royaliste. Si la majorité des
élites yéménites ayant émergé après la guerre civile
des années 1960, d’Ali Abdallah Saleh à Abdallah AlAhmar — fondateur du parti islamo-tribal Al-Islah —,
était nominalement zaydite, ils n’en revendiquaient
aucunement l’identité. Plus encore, nombre de leaders islamistes sunnites, tel le salafiste Mouqbil AlWadii, bien que d’origine zaydite, développaient un
discours stigmatisant à l’égard de leur appartenance
religieuse et sociale de naissance. Le zaydisme, accordant le monopole politique et religieux à la noblesse des descendants du Prophète, favorisait un rejet
chez ceux qui aspiraient au savoir et au pouvoir mais
en étaient exclus du fait de leurs origines tribales.
Une revendication longtemps marginale
L’ensemble du champ zaydite n’était de toute évidence pas disposé à s’inscrire dans une telle convergence et décèle dans cette transaction identitaire une
dynamique de « sunnisation ». Dès les années 1980,
un mouvement de renouveau zaydite apparaissait
dans l’extrême nord-ouest du pays. Badreddin AlHouthi et ses fils en étaient les fers de lance avec
d’autres familles de descendants du Prophète. À travers différentes associations, mosquées et maisons
d’édition, ils tentaient de redynamiser le zaydisme en
le singularisant. Le succès de la révolution iranienne
de 1979 mais aussi le dynamisme du Hezbollah libanais inspiraient la revendication d’une identité zaydite
En dehors de ces cercles militants, pour la majorité des
Yéménites, le référent zaydite apparaissait comme non
19
CIIP / Dossier de presse
-chiite spécifique. Pendant longtemps, une telle revendication est restée toutefois particulièrement marginale, cantonnée à certaines zones autour de la ville
septentrionale de Saada. Ainsi, la majeure partie de
la société semblait continuer à s’inscrire dans un dépassement de l’opposition confessionnelle.
sont à l’œuvre : les houthistes trouvent en l’ancien
président Saleh un allié de circonstance.
Fort de ce positionnement, Al-Houthi décide en
août 2014 de mettre la pression sur le gouvernement,
exigeant son remplacement et le retour des subventions aux produits pétroliers qui ont conduit au doublement du prix des carburants, menaçant le pouvoir
d’achat des Yéménites. Pour obtenir gain de cause,
les houthistes convergent vers Sanaa, y installent
des sit-ins, bloquent la route vers l’aéroport international et certains ministères tenus par des membres
d’Al-Islah. Les forces de sécurité interviennent les 7
et 9 septembre pour déloger les manifestants, tuant
neuf d’entre eux. Un accord, négocié notamment par
l’envoyé spécial de l’ONU, le Marocain Jamal Ben
Omar, est pourtant trouvé. Celui-ci doit théoriquement conduire à la formation d’un nouveau gouvernement qui intègrerait les houthistes et réduirait de moitié la baisse des subventions.
Le processus de convergence va toutefois se gripper
au cours de la décennie 2000. En juin 2004, une offensive militaire est lancée à Saada contre « les partisans
d’Al-Houthi » qui mobilisent non seulement au nom du
zaydisme mais développent une critique acerbe de
l’alliance du gouvernement yéménite avec les ÉtatsUnis dans le cadre de la lutte antiterroriste. L’enlisement du conflit de Saada, le haut niveau de répression
et la propagande étatique ont des implications identitaires fortes : le pouvoir instrumentalise les logiques de
stigmatisation du zaydisme portées par les islamistes
sunnites, en particulier les Frères musulmans, reliant
l’effort de renouveau zaydite à l’ancien régime monarchique de l’imamat et au chiisme duodécimain iranien,
négligeant alors l’histoire spécifique du zaydisme. En
réaction, le référent zaydite gagne en légitimité et incarne de mieux en mieux l’opposition au pouvoir du
point de vue des populations touchées par le conflit.
Rébellion et armée font largement jeu égal sur le plan
militaire. L’intervention des forces armées saoudiennes
en appui au pouvoir en 2009 et les alliances nouées
avec les tribus proches du parti islamiste Al-Islah ne
changent pas la donne.
Flux et reflux des identités
Au-delà de cette crise, qui n’est aucunement réglée
et qui place le président Abd Rabbo Mansour Hadi
dans une situation particulièrement délicate, c’est
bien la dynamique identitaire qui retient ici notre attention. Les flux et reflux du zaydisme au cours des
décennies passées témoignent de la volatilité des
dynamiques politico-religieuses et de leur capacité
d’adaptation. En effet, le zaydisme au Yémen constitue véritablement un cas d’école de reconstruction et
de redynamisation d’un référent identitaire que les
processus historiques semblaient avoir définitivement
marginalisé. À travers cette dynamique, le zaydisme
a trouvé une nouvelle signification et s’incarne dans
de nouvelles pratiques qui ont autant à voir avec des
logiques locales que des équilibres régionaux ou internationaux. Face à des citoyens frustrés par les
errements du processus de transition, le zaydisme,
tout comme les sécessionnistes sudistes et Al-Qaida,
joue en quelque sorte sur du velours.
Un pouvoir sous pression
Début 2011, les houthistes, à la faveur du repli de
l’armée vers Sanaa où la protestation révolutionnaire
croit, prennent le contrôle effectif de la région de Saada. Dès lors, les gains territoriaux se multiplient et la
popularité va croissante. Sur la place du Changement
fondée dans la capitale, les houthistes s’alignent sur
les mots d’ordre de la jeunesse révolutionnaire, marqués par le pacifisme et la volonté de fonder un État
civil et démocratique. Au cours des mois qui suivent,
la gestion sécuritaire et administrative de la ville de
Saada, « capitale houthiste », apparaît comme moins
désastreuse que celle de Sanaa. Les tribus qui
avaient un temps combattu la rébellion la soutiennent. La marche vers Sanaa semble engagée.
Il reste que ce renouveau zaydite, longtemps souhaité par certaines marges mais aujourd’hui porté par
une partie significative des Yéménites (parfois à leur
corps défendant), inscrit de plain pied le Yémen dans
la cartographie de la confrontation sunnite-chiite. Il
offre à la stigmatisation confessionnelle portée par
certains courants islamistes sunnites une nouvelle
prise et fait entrer la société dans une spirale jusquelà inconnue. Le processus de convergence mais aussi l’histoire si particulière des siècles passés avaient
en effet largement permis à la société d’échapper à
de telles logiques. Ainsi, le conflit confessionnel, fréquemment instrumentalisé et construit par les pouvoirs et les élites, est malheureusement une réalité
avec laquelle, selon toute vraisemblance, il va falloir
compter dans les décennies à venir.
Ce faisant, les partisans du renouveau zaydite passent
d’une logique largement défensive à une approche
nettement plus offensive, dont l’expulsion des milliers
d’étudiants salafistes de Dammaj, en périphérie de
Saada, en janvier 2014 est le symbole. Parallèlement,
les houthistes s’érigent habilement en défenseurs de
la légitimité révolutionnaire, à travers un discours populiste porté par leur chef charismatique Abd Al-Malik
Al-Houthi, jeune trentenaire, et ses porte-paroles, en
particulier Ali Al-Boukhaiti. De façon intéressante, le
paysage politique se polarise de plus en plus autour
de leur opposition à Al-Islah, accusé d’avoir confisqué
la révolution. Dès lors, d’étranges rapprochements
Laurent Bonnefoy
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CIIP / Dossier de presse
Le Yémen abandonné par les grandes puissances
aux ambitions saoudiennes : … et à ses propres démons
Amat Al Alim Alsoswa, 01/07/2015
http://orientxxi.info/magazine/le-yemen-abandonne-par-les-grandes-puissances-aux-ambitionssaoudiennes,0952
Comment expliquer la situation du Yémen où la population civile subit une guerre sans merci ? Appartenant à l’arrière-cour du royaume saoudien, ce pays, l’un des plus pauvres au monde, connait
actuellement de profonds bouleversements. C’est l’heure du bilan et des questionnements pour
une de ses anciennes ministres, Amat Al Alim Alsoswa*.
Le conflit actuel qui voit une coalition menée par l’Arabie saoudite bombarder le pays et de multiples factions se combattre sur le terrain est le résultat d’un
échec local, régional et international :
• le socialisme n’avait pas réussi à forger un modèle alternatif dans le sud du Yémen ;
• la République populaire et démocratique du Yémen a cessé d’exister en 1990 et a été absorbée par le Nord, où le modèle qualifié de capitaliste n’a pas davantage fonctionné ;
• le pays est resté englué dans la pauvreté, la
dépendance et le sous-développement ;
• les idées nationalistes, nassériennes et baasistes n’ont pas davantage réussi à proposer une
alternative ;
Soldats yéménites, Sanaa, 22 mai 2011.
Ibrahem Qasim (Wikimedia Commons).
Le Yémen paie cher son positionnement géographique. Les grandes puissances considèrent en effet ce
pays comme une chasse gardée de l’Arabie saoudite
et ont donc de manière totalement décomplexée
confié son sort à Riyad. Les déclarations politiques
de la communauté internationale ne montrent ainsi
nulle considération pour le peuple du Yémen ou pour
sa souveraineté nationale. Ce positionnement constitue un bon indicateur de la nature des relations et
des intérêts entretenus avec le royaume saoudien
par les États du monde entier d’une manière générale, et plus particulièrement par les grandes puissances. Le pétrole et les contrats d’armement offrent au
royaume des leviers importants. Et cet état de fait ne
s’est qu’accentué dans un contexte de recul de l’influence de l’Égypte, de l’Irak et de la Syrie.
• quant au mouvement des Frères musulmans, il
a connu un échec historique et particulièrement
cuisant à partir de la révolution manquée de
1948 au cours de laquelle différentes forces politiques avaient tenté d’établir une monarchie
constitutionnelle au Yémen du Nord.
L’implication des Frères musulmans dans ce soulèvement contre l’imam zaydite Yahya Hamid Al-Din et
son assassinat en 1948 ont ouvert la voix à une forme de violence politique qui reste encore très présente et marque le conflit qui se déroule actuellement.
Les Frères musulmans ont aussi eu à assumer la
responsabilité de l’échec de la Révolution des hommes libres (Thawrat Al-ahrar) qui a instauré le régime
républicain à compter du 26 septembre 1962. Ils ont
enfin, à travers le parti Al-Islah, joué un rôle direct
dans la faillite du processus révolutionnaire entamé
en 2011 et qui avait conduit à la chute d’Ali Abdallah
Saleh. C’est ainsi que les élites yéménites, dans
leurs engagements et dans leur ralliement à ces diverses idéologies, n’ont pas permis la construction
d’une expérience nationale réussie.
Échec des idéologies
Le Yémen occupe une place hybride dans l’espace
géographique, économique et politique arabe. Il n’est
souvent appréhendé qu’à travers sa proximité et son
rattachement au Golfe ; et il est exclu de l’espace
africain dont il est pourtant proche et auquel il est
fortement lié, tant économiquement que par les flux
migratoires. Son rôle est négligeable dans les décisions prises par la Ligue arabe et son influence est
qualifiée de négligeable.
Un déclin ancien
Le problème du Yémen, depuis l‘invasion perse par
les Sassanides au VIe siècle de notre ère est lié à la
perte de son rôle dans le commerce régional et à la
21
CIIP / Dossier de presse
Mohsen Al Ahmar, les forces religieuses salafistes et
djihadistes — sans parler des membres de l’armée qui
étaient restés loyaux à Saleh lui-même et qui ont tous à
un moment où à un autre été des incarnations du régime constitué autour de ce dernier. Le mouvement sudiste n’a pour sa part pu se développer qu’à la faveur
de la domination qu’il a exercée.
chute de sa production — agricole mais aussi industrielle — induisant le déclin progressif d’un pays qualifié
dans l’antiquité d’« Arabie heureuse ». Les biens produits au Yémen ou transitant par ses différents royaumes avaient alors une importance capitale pour Rome,
la Grèce et l’Égypte. La relégation du Yémen avant
même les débuts de l’islam explique ainsi une part de
son retard économique, social, culturel et politique.
Les luttes qui se déroulent sur le terrain sont non
seulement un héritage direct de l’ère Saleh mais aussi l’incarnation des rivalités entre élites pour la prorogation d’un système. Elles ne sont aucunement liées
à une volonté de changement ou de réforme. Les
acteurs impliqués sont engagés dans le but de préserver leur pouvoir, construit sous la présidence Saleh et avec la bénédiction de celui-ci. Dans le Sud
même, la division entre leaders donne lieu à une
constatation identique. Qu’est-ce qui différencie Ali
Salem Al-Bid, Ali Nasser Mohamed, Haydar al Attas
et Abdelrahman Ali Al-Jifri ? Comment ces anciens
dirigeants de la République du Yémen du Sud recyclés en leaders du mouvement sécessionniste sudiste parviennent-ils à légitimer les tensions qui existent
entre eux ? Sur quelles bases idéologiques ou de
programmes reposent les conflits entre le président
Hadi, le président Saleh, le général Al-Ahmar et les
enfants du cheikh Abdallah Al-Ahmar ? Chaque Yéménite, sous les bombes, se pose la question.
Avec l’arrivée de l’islam au VIIe siècle, nombreux sont
les Yéménites qui ont émigré afin de répandre la foi
musulmane à travers le monde. Ils se sont installés
dans le nord de l’Afrique, en Andalousie et en Asie
Mineure. Cet exil important a sans nul doute contribué au déclin du Yémen, privant le pays de compétences et de savoirs. La société actuelle s’est bâtie
pour l’essentiel entre les Xe et XVe siècles et a pour
une large part rompu avec les héritages antiques.
Les élites se sont construites via le commerce, les
ports ont joué un rôle central dans les processus
d’accumulation — tout en accentuant la relégation du
pays. C’est ainsi que le Yémen n’a pas réellement
profité de la production du café, il s’est d’une certaine
manière contenté de l’offrir au monde.
Au XIXe siècle, les invasions ottomane au Nord et
britannique au Sud n’ont pas provoqué des dynamiques de modernisation. Une fois les Ottomans défaits
en 1918 et les Britanniques partis d’Aden en 1967, il
n’est plus rien resté de leur présence et les élites yéménites économiques, intellectuelles et sociales, au
Nord comme au Sud, semblent être restées en marge et incapable de réactiver la splendeur passée.
Des occasions manquées
Les forces régionales concurrentes ont profité de ces
rivalités pour utiliser le Yémen et le transformer en
champ de batailles régionales. Une guerre par procuration s’est établie, impliquant notamment l’Arabie
saoudite et l’Iran. Dans les coulisses, et en dépit du
soutien exprimé à des processus de négociation sous
l’égide des Nations-Unies, plusieurs puissances ont
œuvré pour empêcher une solution pacifique. C’est
ainsi que l’initiative du Golfe, signée en 2011 pour
encadrer le processus de transition vers la démocratie, n’a pas reçu le soutien nécessaire. Elle aurait pu
aboutir si elle avait mieux tenté de prendre en compte
les équilibres entre les différentes régions du pays et
veillé à assurer l’égale représentation de chacune
d’elles. Le fait que dans le cadre du processus de
transition, les postes de président, de premier ministre et de ministre de la défense aient été occupés par
des individus originaires du Sud a généré de la frustration et a mis en danger l’ensemble de l’édifice
constitutionnel en construction. La popularité croissante des houthistes en a été l’expression.
Mentalité tribalo-rurale reposant sur la
vengeance
Les deux révolutions du Nord, en 1962, et du Sud, à
compter de 1963, puis l’indépendance du Sud en
1967 ont ruralisé les villes. Le phénomène d’affaiblissement de groupes qui s’étaient constitués sur des
interactions avec le monde extérieur apparaît comme
une source essentielle des divers conflits dont souffre
le Yémen. À travers cette relégation des élites, à
Aden comme à Sanaa, Taëz ou Hodeida — y compris sous le régime socialiste qualifié de progressiste
— les principes de cohabitation pacifique ont été très
largement remplacés par une mentalité tribalo-rurale
reposant sur la vengeance et la violence physique.
Les mouvements du printemps arabe dans le Nord de
l’Afrique (en Tunisie et en Égypte) et le printemps yéménite se sont révélés très différents. Alors que les premiers sont parvenus à faire tomber les régimes de Zine
El Abbidine Ben Ali et de Hosni Moubarak, le mouvement au Yémen n’est parvenu qu’à secouer le régime
et a conduit à une aggravation des tensions entre les
différents mouvements politiques et les élites les représentant. Les forces en conflit apparaissent comme un
héritage direct du régime Saleh : le président Abd Rabbo Mansour Hadi, les houthistes, Al-Islah, le général Ali
La dégradation de la situation économique et le sentiment d’une détérioration par rapport à l’ère Saleh
aurait pu être contrés par une aide internationale plus
conséquente et mieux organisée.
Enfin, l’initiative du Golfe manquait d’outils de contrôle et la situation n’a fait qu’empirer à mesure que le
processus de transition prenait du retard. Le conflit
22
CIIP / Dossier de presse
s’est noué notamment autour de la prolongation du
mandat de Hadi qui avait initialement été élu pour
deux ans en février 2012, puis a été renouvelé pour
une année en février 2014 par simple décision de la
« communauté internationale » et sans que les parties yéménites aient été consultées ni que son mandat ait été précisé. Une nouvelle prolongation se profilait avant le coup de force des houthistes en janvier 2015. Dans ce contexte, les grandes puissances
internationales et régionales ont joué un rôle trouble
et contreproductif. Hadi a été appuyé sans succès et
sans tenir compte des frustrations qui montaient.
En résumé, l’échec de la transition au Yémen n’est
pas seulement l’échec de ses élites politiques. C’est
aussi d’une expérience qui se fondait sur le dialogue,
la modération et une volonté de changement pacifique. Au-delà d’une situation humanitaire catastrophique, la situation de guerre au Yémen n’est pas sans
implication pour ses voisins. Elle met en danger la
stabilité de la navigation en Mer Rouge et dans le
Golfe d’Aden et conduit à une augmentation des flux
de migrants. Dans un contexte d’effondrement de
l’État, il est à craindre qu’Al-Qaïda et l’organisation de
l’État islamique soient les grands bénéficiaires du
conflit et augmentent leur capacité de nuisance à l’intérieur comme à l’extérieur du Yémen.
Amat Al Alim Alsoswa
* Première femme ministre du Yémen (aux droits humains),
elle a fondé le Comité national des femmes du Yémen. Elle
a aussi été membre de la Conférence de dialogue national ;
a occupé des fonctions à l’ONU, notamment en tant que
directrice régionale du Bureau des Etats arabes pendant
plus de six ans. Ambassadrice aux Pays-Bas, Danemark et
en Suède, elle a reçu plusieurs prix régionaux et internationaux pour sa lutte pour la démocratie, les droits humains et
la liberté d’expression.
Le conflit entre houthistes (alliés à Saleh) et Hadi
(alliés aux sudistes et aux milices islamistes sunnites)
a provoqué le déchirement des derniers signes d’union nationale entre le Nord et le Sud. Les houthistes,
à Taëz par exemple, poursuivent leur combat dans
des régions et villes qui leur sont très hostiles, notamment pour des raisons confessionnelles. Quoi qu’il
arrive, le pays est déjà soumis à une fragmentation
en petites régions. Les conséquences de cette évolution et d’une partition restent impossibles à évaluer.
Enfin, l’usage excessif de la force de la part de la
coalition dirigée par l’Arabie saoudite depuis fin
mars 2015 apparaît comme manifeste. Des armes
non conventionnelles (telles des bombes à fragmentation) ont été utilisées, le bombardement par les
avions de la coalition d’entrepôts d’armes situés au
cœur des villes et près des quartiers d’habitations
ainsi que la destruction de centrales électriques et
d’infrastructures illustrent un mépris pour les civils.
Dans ce contexte, la stabilisation du Yémen apparaît
comme bien peu probable et exigera non seulement
du temps et l’implication constructive de la communauté internationale mais aussi une réévaluation par
les Yéménites de leur histoire et de leur place dans le
monde.
Amat Al Alim Alsoswa
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Le Centre d’information Inter-Peuples (Grenoble) est une association de solidarité
internationale fondée en 1980. Il est membre du RITIMO (Réseau des Centres de documentation
et d’information pour le développement durable et la solidarité internationale) qu’il représente
dans l’Isère. Son centre de documentation interculturel et international est ouvert au public (du
marrdi au vendredi de 13h30 à 18h). Il propose une documentation, écrite et audiovisuelle,
portant sur tous les pays et peuples du monde, et sur de nombreux thèmes : développement, mal
-développement, malnutrition, environnement, relations Nord-Sud-Est, racisme, immigration, droit
des étrangers, paix, conflits, désarmement, éducation à la paix et à la citoyenneté…
Ce dossier de presse "Yémen", a été réalisé par le Centre d’Information Inter-Peuples. Il entre
dans le cadre des dossiers qu’il produit régulièrement.
DOSSIERS DE PRESSE ou de SYNTHÈSE produits par le CIIP et actuellement disponibles :
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Du Maghreb au Moyen-Orient, les luttes des femmes pour leurs droits - CIIP, août
2014, 58 p. / 8 €
Lutte des femmes de Ouarzazate (Maroc) contre les dérives du micro-crédit, Maroc
Solidarités Citoyennes - CIIP, décembre 2013, 32 p. / 3 €
Iran : Continuité ou changement ? Théocratie ou Démocratie ? CIIP, novembre 2013,
52 p. / 6 €
Maroc, mobilisations populaires et répressions, Maroc Solidarités Citoyennes et CIIP,
mars 2013, 31 p. / 3 €
Les enfants de la dictature : "photographie" du Chili contemporain, Elodie Queffélec CIIP, janvier 2013, 100 p. / 8 €
Indiens Mapuche (Chili, Argentine) : ces gens de la terre, CIIP, avril 1998 réactualisé en
2013, 48 p.
La longue marche des Roms vers la conquête de leurs droits, CIIP, octobre 2012, 31 p. /
5€
La guerre d’Algérie, CIIP, 1985 réactualisé en 2012 - 85 p. / 8€
La décroissance, une idée à forte croissance ! CIIP, janvier 2011, 58 p. / 6 €
Razzia sur les terres arables, quelles résistances ? CIIP, janvier 2011, 27 p. / 5 €
Enfants des rues, enfants non reconnus, enfants sans droits, Maroc Solidarités
Citoyennes et CIIP, novembre 2008, 28 p. / 6 €
Esclavages d’hier et d’aujourd’hui CIIP, décembre 1994, réactualisé en 2008 - 120 p. /
8€
Vous avez dit francophonie ? Actes des rencontres organisées le 27/11/2004 à l’IFTS –
Echirolles (38), 2005, 32 p. / 3 €
PUBLICATIONS du CIIP :
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Paroles de Chiliens de la région grenobloise, Groupe d’Appui franco-chiliens et CIIP,
janvier 1990, réimprimé en 2013, 64 p. / 5 €
Paroles maghrébines d’immigrés de Grenoble, CIIP, 1982, 123 p. / 10 €
CENTRE D’INFORMATION INTER-PEUPLES - Maison des Associations
6, rue Berthe de Boissieux - 38000 Grenoble
Tél. : 04.76.87.59.79
Courriel : [email protected] Site web : www.ciip.fr