Un café citoyen au cœur de Louvain-La

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Un café citoyen au cœur de Louvain-La
« Altérez-vous »
Un café citoyen au cœur de Louvain-La-Neuve
Nul n'est à l'abri de la malbouffe, pas même dans des milieux qu'on pourrait croire privilégiés.
Nos étudiants, censés passer le plus clair de leur temps dans leurs bouquins, sont aussi de
grands insouciants et de grands "guindailleurs" qui vivent plus de bière et de fast food que
d’une saine alimentation biologique et locale… Mais aux grands maux, les grands remèdes :
des initiatives originales s’efforcent de ramener les habitants de la cité universitaire aux
réalités de l’alimentation et de la vie en société. En voici une qui pourrait en inspirer bien
d'autres…
Par Dominique Parizel
Le café citoyen « Altérez-vous » - une claire invitation à l’alter-mondialisme, à croire qu’un
autre monde est possible - existe depuis quatre ans déjà. Lancé en septembre 2009, il
entendait démontrer que sensibiliser les étudiants à une consommation responsable n’était pas
utopique.
« Mais comme il existait déjà de nombreuses initiatives à Louvain-La-Neuve - comme
Oxfam, la Maison du Développement Durable et d'autres -, explique Sorina Ciucu, nous
avons pensé à ouvrir un café parce que c'est un endroit convivial où on peut prendre
facilement un verre et se rendre compte qu'on n'y trouve pas les mêmes produits que partout
ailleurs… C'est comme cela qu'un processus de réflexion démarre : on nous demande
pourquoi nous n'avons pas tel ou tel produit et le débat est lancé. Nous savions également que
les manifestations liées à l'environnement et à l'écologie attiraient toujours le même public et
nous voulions absolument proposer un lieu pour monsieur et madame tout-le-monde… »
Une coopérative à finalité sociale
En parfaite conformité avec ses objectifs, le café citoyen prit donc d'emblée la forme d’une
coopérative à finalité sociale.
« Nous étions six membres fondateurs, précise Sorina Ciucu, et une dizaine de coopérateurs
au départ. Nous en comptons un peu plus de septante aujourd'hui et le projet reste toujours
ouvert. Celui qui le souhaite peut toujours coopérer ; la part est fixée à deux cent cinquante
euros. Mais pourquoi devenir coopérateur ? Il y a quatre éléments de réponse au moins :
- pour soutenir un projet citoyen ;
- pour devenir acteur et participer aux prises de décisions de la coopérative ;
- pour s'impliquer, par exemple, dans les groupes de travail ou lors des visites chez les
producteurs qui nous fournissent pour le bar et la restauration ;
- pour bénéficier d'une réduction de 10% sur les consommations.
Notre projet est bien ancré localement et le modèle de la coopérative est très sympathique,
notamment en ce qui concerne la manière dont les décisions sont prises. Tout se passe de
manière entièrement démocratique. Nous avons deux assemblées générales annuelles, une qui
est légale et une autre qui nous permet de mieux présenter aux coopérateurs le parcours que
nous avons effectué. Nous en profitons pour vivre ensemble un moment convivial, une visite
ou quelque chose comme cela… Notre conseil d'administration se réunit toutes les six
semaines et un conseil de direction, regroupant les co-gérants se réunit tous les mois. Des
réunions hebdomadaires réunissent les trois co-gérants qui travaillent sur place et des réunions
mensuelles concernent les salariés actifs en cuisine… Des bénévoles et des jobistes
complètent occasionnellement l’équipe, surtout pour le bar. Voilà notre mode de
fonctionnement interne, qui nous permet d'avoir toujours une bonne communication entre
nous. Ajoutons à cela que nous nous efforçons de tendre à un maximum de cohérence : nous
avions un crédit chez Crédal, nous achetons notre énergie chez Belpower, nous n’utilisons
que des produits Ecover pour l'entretien. Jusqu'à ce que nous les fassions nous-mêmes… »
Quatre co-gérants, trois pôles d’activités
Sur la terrain, le café citoyen est géré par trois personnes : Sorina, qui s'occupe principalement
de la cuisine et de la communication, Guillaume Jadot qui a la charge du bar, des animations
et des contacts avec les producteurs, et Charlie Dalimier qui est responsable des concerts car
« Altérez-vous » se veut aussi un véritable lieu culturel. Cette équipe de gérants est complétée
par un spécialiste en gestion, comptabilité et finances, Patrick, qui travaille bénévolement
dans le projet.
« Nous avons trois pôles d'activités, poursuit Sorina. Nous jouons d’abord sur la convivialité
car nous pensons que c'est cela qui va attirer un grand nombre de personnes chez nous. Nous
nous préoccupons ensuite de consommation responsable et de sensibilisation. Pour la
consommation responsable, nous travaillons avec de petits brasseurs et des producteurs
locaux ; pour la sensibilisation, nous organisons des débats et des alter talks, par exemple :
après une conférence, plutôt que de faire le débat citoyen dans n'importe quel café, nous
proposons de le faire plutôt chez nous, dans un café qui a des valeurs et qui les affiche ! Au
début, nous pensions organiser nos propres conférences afin de toucher des personnes qui
n'ont pas l'habitude d'aller par elles-mêmes à de telles activités. Nous nous sommes vite rendu
compte que ce n'était pas le meilleur concept : ceux qui veulent juste venir prendre un verre certes équitable - n'ont pas toujours envie de participer à ce qu'ils n'ont pas choisi eux-mêmes.
Nous avons dû admettre que le café n'était donc pas l'endroit adéquat pour une conférence.
Par contre, initier un débat auquel ne participent que les gens qui le souhaitent était possible. »
« Dans le pôle convivialité, nous avons, par exemple, les tables de conversation ou les ateliers
tricot, explique Guillaume Jadot… Les tables de conversation sont organisées en
collaboration avec des kots à projets : en espagnol avec le kot latino, en néerlandais et en
allemand avec le babbelkot. Les gens viennent discuter, gratuitement et librement, de manière
purement informelle, dans la langue de leur choix, à un moment précis. En général, une fois
par semaine… En allemand, le thème de la conversation est toujours défini ; en espagnol, c'est
un peu plus libre… Nous ne le faisons pas en anglais car un autre café le fait déjà. »
Une alimentation de saison, locale, bio…
« Nous avons deux publics cibles, dit Sorina : les jeunes, bien sûr, parce que ce sont eux les
acteurs et les travailleurs de demain et, s'ils sont davantage dans l'idéologie aujourd'hui, leur
pouvoir d'achat ne fera que croître dans le futur ; il est donc utile de les inciter, dès
maintenant, à manger autrement, à acheter local et de saison, etc. Nous ciblons également les
gens qui travaillent sur le campus et qui peuvent venir boire et manger chez nous car notre
café, comme toute autre entreprise, a d'abord besoin de vivre.
Au début, nous avions une grande épicerie mais nous nous sommes aperçus qu'un tel projet
n'était pas adapté : tout était derrière le bar et les gens avaient des difficultés à toucher les
produits et à bien les voir. Nous avons remplacé cela par une petite vitrine - que nous
appelons toujours "l'épicerie" - placée sur le coin du bar. Nous y proposons, par exemple, des
bougies Amnesty ou des modules des Îles de Paix. Cet espace permet de sensibiliser à une
idée, à un projet, et nous le conservons pour soutenir des démarches que nous apprécions. Au
niveau de la restauration, nous travaillons essentiellement avec des produits de saison, locaux
et bio. A nos yeux, le critère le plus important est que la denrée soit de saison, ensuite qu'elle
soit locale, le critère bio ne venant qu'en troisième lieu. Le bio, vu en terme de consommation
dans une ville comme Louvain-La-Neuve, devient de plus en plus une niche de marché. Or
nous voulons évoluer en termes de sens et de plus-value en nous recentrant sur le local et sur
la qualité. Le bio peut amener un plus dans cette optique mais il peut difficilement être posé
comme une exigence de départ ; nous apparaîtrions comme trop sectaires… Nous proposons
donc une cuisine faite avec les produits de petits producteurs locaux, qui ne sont pas toujours
bio, comme ceux, par exemple, de la Ferme de la Baillerie, à Bousval, qui fait une agriculture
durable, autonome et de qualité. Nous participons notamment à leur journée "betterave", une
fois par an, car les contacts avec les producteurs sont évidemment primordiaux à nos yeux.
Nous travaillons aussi avec l'AMAP de Louvain-La-Neuve, un peu moins avec le GAC…
Nous sommes très soucieux de rester cohérents dans notre fonctionnement mais il n'est
évidemment pas possible de trouver des producteurs locaux pour 100% des produits ; nous
passons donc par Interbio, un distributeur bio, pour les œufs, certains fromages et d'autres
produits car nous n'avons pas la ressource suffisante pour aller tout chercher, chaque jour,
dans une ferme. Le pain nous est fourni par Agribio ; pour tout ce qui n'est pas local et qui
vient du Sud - café, thé, jus de fruits… -, nous privilégions les produits équitables : Oxfam ou
Ethicable… Du reste, notre cohérence réside aussi dans le fait que nous ne travaillons jamais
avec des tomates, des aubergines, des courgettes ou des concombres avant les mois de mai ou
de juin. C'est un défi car cela limite notre offre mais c'est justement cela qui suscite le débat
avec les clients et qui nous permet de faire passer des messages. »
Une démarche originale qui change la vie sur le campus !
« Le choix des bières que nous proposons au bar est difficile, poursuit Guillaume, car il existe
énormément de bières à façon, de bières à étiquettes, brassées chez de gros brasseurs. Notre
volonté est de trouver et de promouvoir de vrais produits artisanaux, faits avec des matières
premières de qualité et avec une philosophie qui traduise un véritable amour de la bière. Nous
proposons, par exemple, les bières de la Brasserie de la Lesse qui développe un projet qui
rencontre vraiment notre vision des choses… Nos clients apprécient vraiment la qualité et
l'originalité de notre démarche, que ce soit au niveau de la cuisine, du bar ou des animations.
Parmi les étudiants, ceux qui sont déjà dans des kots à projets ou dans des mouvements
engagés adorent notre concept. Mais il y a évidemment un gros travail à faire auprès de ceux
qui ne s'intéressent pas du tout au monde alternatif. »
« Dès la rentrée, nous devons rappeler au grand public étudiant que nous existons, insiste
Sorina. Je suis aussi responsable du groupe communication ; nous sommes notamment
présents dans l'"autre pack", le pack alternatif que reçoivent tous les étudiants. Nous
"sponsorisons" aussi différents kots à projets ou différentes animations… Nos animations et
nos concerts touchent aussi beaucoup le public estudiantin mais les étudiants ne sont pas les
plus fréquents à manger ; ils viennent plutôt prendre un verre, à la rigueur une soupe… Nos
tarifs sont calculés sur nos coûts et ne cherchent pas spécialement à s'aligner sur les budgets
étudiants. Proposer du bio n'est pas nécessairement plus cher puisque nous nous fournissons
directement chez les producteurs. C'est surtout le coût de la main-d'œuvre qui est important :
notre éthique nous interdit évidemment de rémunérer au noir, ce qui est pourtant courant dans
l’Horeca, et nous employons également une personne qui vient du CPAS dans le cadre de la
réinsertion socioprofessionnelle. Le côté éthique de notre projet, c'est donc bien cela qui fait
toute la différence par rapport à d'autres cafés… »
« Nous connaissons bien les fermes des producteurs avec lesquels nous travaillons et la
manière dont ils produisent, enchaîne Guillaume. Nous avons noué d'excellentes relations
avec eux. Nous allons proposer des visites des producteurs - avec, au préalable, des goûters de
terroir - auxquelles nous allons convier notre public ; un circuit plus complet pourrait même
nous permettre de passer par les brasseries… Nous savons que certains de nos clients sont
déjà allés visiter spontanément des fermes ou des brasseries dont ils avaient découvert les
produits par notre intermédiaire. Les gens ont un gros besoin d'être rassurés par rapport à leurs
choix et de savoir d'où vient la nourriture qu'ils consomment, comment elle est produite. Or
raffermir les liens permet d'accroître la confiance. Peut-être se rendront-ils même compte que
maintenir un agriculteur en activité peut aussi dépendre d'eux et de leurs choix... ».
Des concerts ! Et d'autres projets…
Bien sûr, « Altérez-vous », c’est également des concerts ou des scènes ouvertes tous les
vendredis soirs.
« Pour les concerts, explique Charlie Dalimier, je suis à la recherche de petits groupes belges
pas très connus mais néanmoins de qualité. Je piste actuellement un groupe canadien qui va
faire une tournée en Belgique et qui a besoin d'un nombre suffisant de dates pour avoir des
financements. Une semaine sur deux, nous proposons des scènes ouvertes, surtout des jam
sessions où des musiciens qui ne se connaissent pas peuvent monter sur scène pour jouer
ensemble. Pour le reste, la scène ouverte accueille tout qui veut dire des contes ou s’essayer à
l'humour, par exemple… Mais, pour l'instant, c'est surtout la musique qui prime. Avis aux
amateurs ! Toutefois, comme notre espace est plutôt réduit et relativement bas de plafond,
nous pouvons difficilement accueillir ce qui est trop puissant d'un point de vue sonore : rock,
métal… Cela mis à part, nous explorons tous les styles : musiques du monde, jazz, blues, folk,
etc. »
« Nous pensons aussi à mettre en place des "assiettes impro", explique Sorina Ciucu ; il
s’agirait de mini-saynètes destinées à interpeller ceux qui viennent juste manger pendant le
temps de midi. Midi est un temps court et intense où les gens n'ont guère le temps de lire les
revues que nous mettons à leur disposition. Nous voulons donc que quelque chose se passe en
deux ou trois minutes maximum, sur un sujet précis, comme quand il y a eu la crise du lait ou
celle de la viande de cheval dans les lasagnes, par exemple… Cela introduirait les sujets dans
les conversations de nos clients sans trop perturber pour autant leur temps de repas. Bien sûr,
nous aimerions ne pas nous limiter aux seules questions alimentaires. Mais jusqu'où
s'aventurer dans les questions plus politiques, c’est une chose dont nous devons encore
débattre entre nous... »
Autre principe auquel tient beaucoup l’équipe d’« Altérez-vous » : depuis l'ouverture, l'eau
plate, l'eau du robinet est entièrement gratuite ! Cette habitude est plutôt courante en France
mais rare en Belgique. « Altérez-vous » a ainsi voulu prendre clairement position sur le fait
que le libre accès à l'eau doit rester un droit pour chacun d'entre nous.
« Privatiser l'eau et forcer le citoyen à acheter très cher un bien aussi commun nous paraît un
grave problème, affirme Sorina Ciucu ! »
Dernière chose : si une telle aventure vous tente, l’équipe du café citoyen ne rechigne pas à
transmettre son expérience. Tout au contraire !
« Beaucoup de gens nous demandent comment créer un café tel que le nôtre, dit Sorina. Nous
travaillons à intégrer notre expérience dans une réponse complète et globale que nous
pourrons proposer à tous. Nous aimerions même que tous ceux qui sont intéressés par la
démarche viennent faire un petit stage chez nous pour vivre notre fonctionnement. Nous
connaissons au moins six personnes, dans différentes villes de Belgique, qui sont déjà
partantes… »
Acteurs de changement !
Certes, on n'attrape pas des mouches avec du vinaigre et, sans sa dimension "culturelle", sans
son intégration "ordinaire" sur le campus, un tel projet passerait sans doute inaperçu à
l'université. Pourtant, l'objectif est clair : bousculer l'irresponsabilité crasse de beaucoup trop
de nos students ! Inscrire la question alimentaire parmi leurs préoccupations quotidiennes est
donc une gageure mais elle n'est envisageable qu'en la posant à la hauteur même de la vie
étudiante. C'est donc une approche festive, politique et solidaire que propose « Altérez-vous ».
Les réponses ne peuvent s'ébaucher que par le biais d'initiatives proprement estudiantines
imaginées par les intéressés eux-mêmes : médias universitaires, découvertes, concerts,
discussions, saynètes, soirées bières...
L'idée que la guindaille n'est pas une fin en soi peut-elle vraiment être expliquée à un étudiant
? C'est difficile mais commencer par la (bonne) nourriture est une stratégie qui se défend comme le savoir, elle construit ce que nous sommes ! - et continuer par le respect et la saine
gestion de biens communs - nos terres agricoles, notre eau… - interpelle assez bien quand on
a la vingtaine, ou juste un peu plus, et qu'on a encore soif de pureté et d'équité. Soit de
salutaires "piqûres de rappel" pour les consciences que l'Alma Mater, la mère nourricière, ne
prodigue plus en suffisance. Et c'est inquiétant car, comme l'a un jour écrit Rabelais, "science
sans conscience n'est que ruine de l'âme"…
« Altérez-vous » café citoyen
Place des Brabançons, 6A
1348 Louvain-La-Neuve
010/84.40.03
La carte très détaillée et la liste des activités sont disponibles sur le site Internet :
www.alterezvous.be