Régimes d`aides aux énergies renouvelables Note

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Régimes d`aides aux énergies renouvelables Note
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Europe n° 8-9, Août 2014, comm. 352
Régimes d'aides aux énergies renouvelables
Commentaire par Anne RIGAUX
et Denys SIMON
ÉNERGIE
Sommaire
De la difficile conciliation entre les régimes de certificats verts en faveur de l'électricité produite à partir d'énergies
renouvelables et libre circulation des marchandises.
CJUE, gde ch., 1er juill. 2014, aff. C-573/12, Ålands Vindkraft
Note :
L'enjeu de cette affaire était extrêmement important pour définir plus précisément les rapports entre les mécanismes
nationaux d'aides publiques à la production d'électricité à partir d'énergies vertes, partiellement harmonisés au niveau de
l'Union, qui réservent le bénéfice aux seuls producteurs d'électricité établis sur le territoire national, et les conditions
d'application des règles du marché intérieur aux importations d'électricité entre États membres. En témoignent d'une
part le fait que l'arrêt ait été rendu sur conclusions partiellement contraires de l'Avocat général Yves Bot, et d'autre part,
le fait que la Cour soit appelée à trancher prochainement des questions préjudicielles analogues dans une affaire
pendante, à l'occasion de laquelle l'Avocat général Bot a soutenu une position identique (aff. C-204/12 à C-208/12,
Essent Belgium ; compte tenu du fait que les conclusions ont été prononcées le 8 mai 2013, on relèvera au passage que
la Cour s'est donné le temps de la réflexion...). Même si des questions voisines avaient déjà été abordées dans l'affaire
PreussenElektra AG (CJCE, 13 mars 2001, aff. C-379/98 : Europe 2001, comm. 163, obs. M. Pietri ; comm. 182, obs.
L. Idot), l'évolution du droit applicable au marché européen de l'électricité imposait une réflexion renouvelée,
notamment sur les relations entre les politiques et actions de l'Union d'une part, et, d'autre part, le fonctionnement non
discriminatoire du marché intérieur.
Dans le contexte résultant du refus de l'Agence suédoise de l'énergie (Energimyndigheten) de donner suite à une
demande d'agrément d'un parc éolien finlandais aux fins d'obtention de certificats d'électricité, était en cause
l'interprétation de la directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, relative à la
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promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables (modifiant puis abrogeant les directives
2001/77/CE et 2003/30/CE : JOUE n° L 140, 5 juin 2009, p. 16), notamment au regard de l'article 34 TFUE.
La première question visait en substance à savoir si les États membres étaient autorisés à organiser un système de
soutien aux énergies renouvelables prévoyant l'allocation de certificats négociables aux producteurs d'électricité verte en
considération de la seule électricité verte produite sur le territoire de cet État et qui soumet les fournisseurs et certains
utilisateurs d'électricité à une obligation de remettre, annuellement, à l'autorité compétente, une certaine quantité de tels
certificats correspondant à une quote-part du total de leurs livraisons ou de leur utilisation d'électricité sous peine de
pénalités financières. Sur ce point les analyses de l'avocat général et de la formation de jugement sont convergentes.
Une interprétation littérale et finaliste de la directive conduit à la conclusion que le système suédois des « certificats
verts » constitue bien un « régime d'aides » au sens de la directive. Par ailleurs, les « garanties d'origine » délivrés par
les États membres, qui ont pour fonction d'indiquer aux clients finals la part d'énergie verte que contient le bouquet
énergétique d'un fournisseur d'énergie, ne confèrent pas par eux-mêmes en vertu de la directive un droit d'acquérir des
« certificats verts », notamment au bénéfice des fournisseurs d'électricité verte produite sur le territoire des autres États
membres (pts 38 à 54 ; concl. pts 29 à 51).
Les deuxième et troisième questions préjudicielles portaient pour l'essentiel sur le point de savoir si l'allocation de
certificats négociables aux producteurs d'électricité verte en considération de la seule électricité verte produite sur le
territoire de l'État membre concerné doit être considérée comme une entrave discriminatoire, constitutive d'une mesure
d'effet équivalent au sens de l'article 34 TFUE, et, si tel est le cas, si ce régime peut être justifié par la finalité de
promotion de la production d'électricité verte qu'elle poursuit.
En premier lieu, l'applicabilité de l'article 34 TFUE semble indiscutable. On sait que l'électricité est depuis toujours
considérée comme une marchandise (CJCE, 27 avr. 1994, aff. C-393/92, Cne d'Almelo, spéc. pt 28 : Europe 1994,
comm. 243, obs. L. Idot ; JDI 1995, p. 427, obs. D. Simon. - CJCE, 23 oct. 1997, aff. C-158/94, Commission c/ Italie,
spéc. pts 17-19. - V. déjà, implicitement, CJCE, 15 juill. 1964, aff. 6/64, Costa c/ ENEL). Par ailleurs, l'harmonisation
opérée par les directives communautaires n'est pas exhaustive, et les restrictions aux échanges doivent donc être
appréciées au regard du droit primaire (V. a contrario, CJUE, 14 mars 2013, aff. C-216/11, Commission c/ France :
Europe 2013 comm. 210, obs. A. Rigaux).
En deuxième lieu, la Cour constate que le système des « certificats verts » est susceptible d'entraver, « à tout le moins
indirectement et potentiellement », les importations d'électricité, en particulier verte, en provenance des autres États
membres, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, seuls les certificats d'électricité attribués au titre du régime national
peuvent permettre aux opérateurs de respecter les obligations de détention de « certificats verts » imposé par le droit
suédois, les importateurs d'électricité étant alors tenus d'acheter de tels certificats, ce qui est de nature à entraver les
importations (V. par analogie, CJCE, 15 déc. 1993, aff. C-277/91, C-318/91 et C-319/91, Ligur Carni, spéc. pt 36 :
Europe 1994, comm. 56, obs. D. Simon). Par ailleurs, le système de vente sur un marché concurrentiel des « certificats
verts » n'exclut pas que la vente se fasse conjointement avec la vente d'électricité, ce qui pourrait avoir pour effet de
favoriser la mise en place de relations contractuelles entre consommateurs et fournisseurs nationaux, avec le résultat que
les importations d'électricité en provenance d'autres États membres serait potentiellement freinées. Or comme on le sait,
l'absence de mesures nationales de nature à empêcher les obstacles à la libre circulation des marchandises est de nature
à entraver les échanges au même titre que des actes positifs de restriction (conformément à la jurisprudence « guerre des
fraises », CJCE, 9 déc. 1997, aff. C-265/95, Commission c/ France : Europe 1998, comm. 55, obs. A. Rigaux et
D. Simon. - CJCE, 12 juin 2003, aff. C-112/00, Schmidberger : Europe 2003, comm. 272, obs. A. Rigaux et D. Simon).
En troisième lieu, dès lors que le régime des certificats suédois est constitutif d'une mesure d'effet équivalent, la Grande
chambre se penche sur les justifications éventuelles, en affirmant de manière lapidaire « qu'il ressort d'une jurisprudence
constante, (qu')une réglementation ou une pratique nationale qui constitue une mesure d'effet équivalent à des
restrictions quantitatives peut être justifiée par l'une des raisons d'intérêt général énumérées à l'article 36 TFUE ou par
des exigences impératives » (pt 76). Il est sans doute inutile de mener à cet égard un combat d'arrière-garde, qui semble
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voué à l'échec, mais on ne peut s'empêcher de déplorer à nouveau que, s'agissant d'une mesure formellement
discriminatoire, la Cour envisage une justification tirée d'une exigence impérative au sens de la jurisprudence Cassis de
Dijon, en principe exclusivement applicable en cas d'entrave indistinctement applicable, alors qu'une mesure
discriminatoire, qualifiée par le juge lui-même de mesure d'effet équivalent, ne peut, selon la logique du traité, être
exonérée de l'interdiction posée par l'article 34 TFUE que sur la base des exceptions explicitement et limitativement
prévues à l'article 36 TFUE. Certes, d'aucuns estimeront que ce purisme juridique est secondaire, dès lors que l'examen
de la validation des mesures nationales peut passer, en dehors de l'exigence impérative de protection de
l'environnement, par « la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ainsi que la préservation des
végétaux, raisons d'intérêt général énumérées à l'article 36 TFUE » (pt 80). On pourrait également estimer que la
distinction entre exceptions prévues par le traité et disqualification comme mesures d'effet équivalent des entraves
indistinctement applicables, au nom de l'exigence impérative de protection de l'environnement, pourrait être dépassée
par une structuration du raisonnement qui fait de la politique de l'environnement une notion transversale qui prime sur
les autres règles du droit de l'Union, à la lumière de l'article 11 TFUE. Ce serait reconnaître que les exigences de
promotion des énergies renouvelables, et plus largement la réduction des émissions de gaz à effet de serre, dans le
contexte de la convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique et du protocole de Kyoto, doivent
nécessairement l'emporter sur le strict respect de la prohibition des entraves à la libre circulation des marchandises. Sans
doute serait-il alors préférable de formaliser plus clairement (dans un style moins allusif que dans les points 78, 79 et 81
de l'arrêt) l'articulation entre l'intégration négative liée au marché intérieur et l'intégration positive en forme de
« mainstreaming » des valeurs environnementales.
Enfin, la formation de jugement vérifie le respect du critère de proportionnalité, notamment à la lumière des évolutions
des règles applicables au marché de l'électricité depuis l'arrêt PreussenElektra. Toutefois, après avoir rappelé les
modifications normatives intervenues depuis lors, la Cour juge que demeure néanmoins pertinente la considération
selon laquelle il est difficile de déterminer l'origine, et notamment la source d'énergie dont procède l'électricité admise
dans un réseau de transport et de distribution. Le mécanisme de garantie d'origine prévu par la directive 2009/28/CE est
jugé insuffisant, ce qui justifie que les États membres puissent limiter le bénéfice des dispositifs nationaux de soutien
aux énergies vertes à la production d'électricité située sur leur territoire. Il en résulte que le régime suédois n'est pas a
priori - et dans l'état actuel du droit de l'Union - considéré comme disproportionné. Envisagé dans sa globalité, le
dispositif faisant supporter par le marché, c'est-à-dire par les fournisseurs et acheteurs d'électricité soumis à quotas, et,
in fine, par les consommateurs, la production des énergies renouvelables, n'excède pas la marge d'appréciation que la
directive laisse aux autorités nationales en vue d'atteindre l'objectif de favoriser la promotion de l'électricité verte. Si le
mécanisme paraît apte à poursuivre la finalité légitime visée, encore faut-il, pour que le principe de proportionnalité soit
respecté, que l'accès aux certificats soit possible dans des conditions équitables. À cet égard, l'équilibre entre l'offre et la
demande sur un marché concurrentiel apparaît à la Cour comme de nature à assurer cette accessibilité. Au vu de ces
considérations, la conclusion paraît s'imposer : le dispositif suédois n'est pas incompatible avec le droit de l'Union.
La dernière question portait sur une éventuelle atteinte au principe général de sécurité juridique à raison du fait que la
législation suédoise ne faisait pas apparaître clairement la limitation territoriale quant à l'attribution des « certificats
verts ». A priori, une telle question relève de l'appréciation de la juridiction nationale, étant entendu que le droit de
l'Union impose, dans le champ des mesures prises pour sa mise en oeuvre, le respect des principes généraux du droit de
l'Union, et notamment du principe de sécurité juridique (V. par ex., CJCE, 10 sept. 2009, aff. C-201/08, Plantanol, spéc.
pt 43 et la jurisprudence citée : Europe 2009, comm. 394, obs. J. Dupont Lassalle). En tout état de cause, les opérateurs
doivent connaître à l'avance et avec précision les obligations que leur impose le droit national (V. CJUE, gde ch.,
29 mars 2011, aff. C-201/09 P et C-216/09 P, Arcelor Mittal, spéc. pt 68 et jurisprudence citée : Europe 2011,
comm. 182, obs. L. Idot). Mais l'appréciation finale relève de la juridiction nationale, à la lumière des indications
fournies par le juge de l'Union (pts 129 s.).
Il convient pour conclure de revenir sur les interrogations que suscité la prise de position de la Cour selon laquelle le
régime suédois est justifié au regard des règles sur la libre circulation des marchandises, notamment au regard des
conclusions de l'Avocat général. Pour Yves Bot, la possibilité ouverte par la directive 2009/28/CE de limiter les régimes
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d'aides nationaux au profit de la seule énergie produite sur le territoire national implique qu'on s'interroge sur la
compatibilité entre la directive et le droit primaire, et notamment les règles de libre circulation des marchandises. D'une
part, la directive doit être lue en retenant l'interprétation conforme avec le droit primaire (V. CJCE, 26 juin 2007, aff.
C-305/05, Ordre des barreaux francophones et germanophone et a., spéc. pt 28 : Europe 2007, comm. 201, obs.
D. Simon). Mais d'autre part, l'incompatibilité avérée d'un acte de droit dérivé avec une disposition et a fortiori un
principe fondamental du droit primaire, peut mettre en cause la validité de la directive. Même si les questions posées se
situaient sur le terrain de l'interprétation de la directive, l'avocat général rappelle que la Cour peut d'office se prononcer
sur la validité de l'acte, compte tenu de la logique de coopération juridictionnelle qui préside au mécanisme de renvoi
préjudiciel (V. par ex., CJCE, 15 oct. 1980, aff. 145/79, Roquette Frères, spéc. pt 6). Or le respect des règles de la libre
circulation des marchandises s'impose non seulement aux États membres, mais également aux institutions de l'Union
(V. par ex., CJCE, 17 mai 1984, aff. 15/83, Denkavit Nederland, spéc. pt 15. - CJUE, 12 juill. 2012, aff. C-59/11,
Association Kokopelli, spéc. pt 80 : Europe 2012, comm. 392, obs. S. Roset). En l'occurrence, l'Avocat général Bot
estime - et c'est sans doute sur ce point que se cristallise la différence de son appréciation par rapport à celle de la
formation de jugement - que l'entrave aux échanges ne peut être justifiée, compte tenu de l'évolution du cadre
réglementaire applicable au marché de l'électricité, en particulier du fait de la libéralisation du marché de l'énergie et du
système de reconnaissance mutuelle des garanties d'origine. Sans reprendre ici l'analyse approfondie des justifications à
laquelle se livre l'avocat général (V. concl. pts 95 à 108), il suffit d'indiquer que le rejet des arguments invoqués conduit
Yves Bot à juger nécessaire l'invalidation de la directive, dont il propose par ailleurs de différer les effets dans le temps
pour permettre l'adoption des modifications requises.
Cette divergence entre les conclusions et l'arrêt de Grande Chambre confirme ainsi la complexité croissante des rapports
entre les règles du marché intérieur et la mise en oeuvre des politiques et actions de l'Union.
Énergie. - Électricité verte. - Régime d'aides. - Système favorisant la production nationale
Circulation des marchandises. - Entrave discriminatoire. - Justifications
Renvoi préjudiciel. - Relevé d'office de l'invalidité d'un acte de droit dérivé
Encyclopédies : Europe Traité, Fasc. 360 (1, 2011) mis à jour le 18 oct. 2010 par J. Pertek, Fasc. 551 (5, 2013), mis à
jour le 11 juin 2013 par C. Vial 1910
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