Cécile et Marie-France, bénévoles auprès de personnes malades

Transcription

Cécile et Marie-France, bénévoles auprès de personnes malades
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Etre jeune retraité( e) et devenir bénévole d’accompagnement de personnes malades
Une étude de l’IFOP, ‘’Le bénévolat en France, en 2013‘’, menée en partenariat avec l’Association
France Bénévolat, montre que parmi les 50 ans et plus, 37% des actifs et 49% des retraités
déclarent ‘’donner du temps gratuitement pour les autres’’
Au Pôle Accompagnement de personnes malades des petits frères des Pauvres, écoutons le
témoignage des bénévoles aînées Cécile et Marie-France. Oui, elles donnent de leur temps
gratuitement. Leur bénévolat a commencé au début de leur retraite, et elles continuent, des
années après, à s’y investir avec plaisir
Cécile, mariée, un enfant
Les personnes m’accompagnent autant que je les
accompagne. Et c’est drôle, je ne pense pas à leur
vieillesse ni à leur maladie. Je suis juste en face de
quelqu’un qui est là et qui vit.
Marie-France, deux enfants
Tous mes accompagnements des mourants, je les ai
toujours faits dans la vie
Marie-France, devenue bénévole à l’âge de 60 ans,
et qui continue à répondre « présente» !
Cécile, Marie-France, à des bénévoles potentiels,
y compris des jeunes retraités ou prochainement
à la retraite, quels messages auriez-vous envie
de leur transmettre ?
Cécile :
Ce temps partagé engendre une vraie solidarité, et en
même temps une vraie solidité psychique.
Maintenant, j’ai 78 ans : mon bonheur de rencontrer
l’autre est intact, et ça génère en moi force et
dynamisme.
Cécile, devenue bénévole à l’âge de 59 ans, et
qui s’investit toujours dans l’accompagnement
Marie-France :
Je leur dirais tout simplement : être bénévole
d’accompagnement de personnes malades, ce n’est
pas une affaire de courage. Si intérieurement, vous
avez le désir d’être bénévole auprès de personnes
malades, allez-y, ayez confiance en vous, ce n’est pas
une affaire de courage. Les choses se placent
instinctivement.
J’ai 72 ans, je galope vers mes 73, et je continue mon
chemin vers l’autre.
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Et comment a commencé votre bénévolat d’accompagnement de personnes malades ?
Cécile
J’ai commencé à l’âge de 59 ans. Ma profession, elle s’était exercée dans le travail social. J’étais aide
familiale rurale. J’ai pris contact avec plusieurs associations et puis c’est les petits frères des Pauvres
qui m’ont accueillie. Dès le départ, j’ai senti que ça correspondait à ce que j’étais.
Pendant 6 à 7 ans, j’étais bénévole au domicile privé de personnes âgées très pauvres, très
abandonnées.
Marie-France
Je savais qu’à 60 ans, je pouvais prendre ma retraite. J’étais DRH dans le secteur bancaire. Je sentais
que j’avais besoin d’aller vers les autres. J’adore la peinture et j’aurais pu ne faire que de la peinture
mais ca ne m’aurait pas satisfaite car il n’y a pas suffisamment de rapports à l’autre. Je ressentais le
besoin de faire un chemin vers l’autre.
Donc vers 59 ans, j’ai commencé à réfléchir à ce sujet. Faire du bénévolat bien-sûr, mais lequel ?
J’avais d’abord pensé à la possibilité d’accompagner des enfants de personnes incarcérées, leur
montrer par là toute l’importance de ce père ou de cette mère qui a un moment chuté mais reste
leur parent.
Et puis j’ai eu l’opportunité, par une amie bénévole, de rencontrer Chantal Grimaud, la fondatrice du
pôle Accompagnement de malades. C’est comme ça, grâce à elle, que j’ai pris le chemin de
l’accompagnement de personnes malades, et que j’ai commencé dans une Unité de Soins Palliatifs.
Quelle est la nature de votre bénévolat, maintenant ?
Cécile
Je suis bénévole dans un Ehpad (Etablissement d’Hébergement et d’Accueil de Personnes Agées), et
il est dédié aux personnes âgées malades. Bien-sûr, chaque fois que les personnes que j’accompagne
ont un épisode d’hospitalisation, je vais les visiter, là où la maladie les a immobilisées. Toujours, on
peut continuer de s’apporter mutuellement, d’apporter quelque chose à quelqu’un, ne serait-ce
que notre présence. Alors moi je continue, je me sens toujours proche de l’Association, et ça fait
maintenant 18 ans !
Marie-France
Maintenant, je m’occupe de la bibliothèque de la Fraternité Accompagnement des malades. C’est
une autre forme de don de moi. Je donne en me préservant quelque part, en me protégeant. J’étais
fatiguée, mon corps ne me suivait plus, et je sentais qu’il me fallait parcourir un morceau de chemin
avec plus d’attention à moi-même ! Mais gérer une bibliothèque, c’est donner une sorte de
nourriture à travers les ouvrages, et j’ai toujours eu plaisir à transmettre.
Pouvez-vous nous dire comment vous percevez ce que votre bénévolat apporte / a pu apporter
aux personnes que vous avez accompagnées ?
Marie-France
Qu’est ce que ça a apporté aux personnes que j’ai accompagnées ?
Tout de suite, j’avoue que je tique à cette question… Je ne me la suis jamais posée, cette question de
savoir ce que je leur apportais. Ca me semble une interrogation un peu présomptueuse parce que je
ne me mets pas au centre. Je n’étais pas là pour obtenir des résultats. Mais je garde en mémoire
certains échanges, des moments de partage uniques et excessivement forts.
En revanche, oui, je leur dois tant, aux personnes que j’ai accompagnées. Grâce à elles, j’ai renforcé
ma capacité d’être dans le don à l’autre. Et ce don, c’est une totale présence à l’autre. Ce don, ce
n’est pas être dans l’action. Au contraire, le don de soi, c’est écouter, c’est être dans une vraie
attention, dans une présence intense.
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Cécile
Les personnes malades attendent. Elles attendent. Peut-être qu’on les sorte de leur solitude. Toutes
les personnes qu’on accompagne - quand elles peuvent encore parler -, ont envie de parler de leur
parcours de vie. Elles se sentent diminuées. Comment elles en sont arrivées là. Alors, s’il y a
quelqu’un pour écouter les personnes malades, il faut voir comment elles l’accueillent. Moi, je
reçois ça comme un cadeau. C’est un cadeau qu’elles me font, c’est un plaisir de les écouter.
J’écoute, je ne suis pas dans la critique ou dans le jugement. Je suis là. De très belles histoires ont
ainsi été partagées. Ca les libère de leurs pensées, et nous voilà dans l’ouverture, ici et maintenant.
Tu as précisé, Cécile « quand les personnes peuvent encore parler »
Cécile
Oui, il y a des souffrances non exprimées car elles ne peuvent pas les exprimer. Je pense à une
personne qui est décédée il n’y a pas longtemps. J’ai appris par des tiers qu’il y a quelques années,
son fils s’était suicidé. Jamais elle ne m’en avait parlé. A nous les bénévoles de rester dans le respect
de ce qu’elles veulent, peuvent ou ne peuvent pas exprimer.
… Il y a aussi les personnes qui ne peuvent plus parler car elles ne savent plus parler. Des personnes
affectées par une démence sénile, perdues dans le temps, qui s’égarent aussi dans leur espace de
vie.
Si chacune de vous devait retenir un souvenir, lequel s’offre à vous ?
Cécile :
Oh, il y en a tellement des souvenirs importants ! Des lointains et des récents.
Je pense à une dame. La 1ère fois que je l’ai vue pour commencer à l’accompagner, elle était alitée.
Avec son accord, je m’asseyais près d’elle. Je la laissais se reposer, et nous parlions à peine.
Au bout de quelques semaines, un jour, alors que je venais d’arriver, elle m’a dit « Vraiment, vous
êtes dévouée pour venir voir des personnes comme moi ». Moi, je l’avoue, j’étais suffoquée. Je lui ai
répondu : « Mais pour moi, être là ce n’est pas du dévouement ! C’est que j’ai du plaisir à passer du
temps avec vous ! »
Les personnes m’accompagnent autant que je les accompagne. Et c’est drôle, je ne pense pas à leur
vieillesse ni à leur maladie. Je suis juste en face de quelqu’un qui est là et qui vit.
Marie-France :
Un jour une aide soignante m’a dit :
« Marie-France, est-ce que tu peux venir samedi de nouveau ? C’est pour voir Monsieur X. Sa petitefille va se marier, et il l’adore. On l’a boosté avec une transfusion sanguine pour qu’il parvienne au
mariage de sa petite-fille qui se marie loin d’ici, à Bayonne. La famille nous a fait parvenir un livret
pour qu’à distance, il puisse vivre en tant que grand-père le mariage de sa petite-fille ».
Je suis venue. Quand je suis arrivée, un de ses fils était là, avec sa belle-fille. Ils m’attendaient. J’ai
dit : « Nous allons vivre ensemble le mariage de votre petite-fille, je suis là avec vous »
Quand l’heure du mariage est arrivée, on a un peu imaginé la situation : là, elle doit être en train de
rentrer dans l’église. Et avec l’aide du livret, nous avons suivi les prières, les chants, ensemble. Cette
cérémonie à distance, ça a été un moment assez exceptionnel. J’étais le chef d’orchestre de ce
moment, c’était vraiment de l’action mais le but était de générer la musique, le bonheur du plus
grand partage.
Dans l’exercice de votre bénévolat, vous est-il arrivé d’être confrontées à des difficultés ?
Cécile :
Oh oui ! Il m’est arrivé d’avoir des difficultés à créer le lien humain. Et puis un jour, ça devient
d’une incroyable facilité.
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Exemple ? J’ai connu un monsieur alité qui était « dément » et difficile à approcher. Les premières
fois, en me voyant, il se mettait à crier, à gigoter. Alors à chaque fois, calmement, je le remerciais et
je lui disais : « Je respecte votre décision. Je passerai vous faire un petit coucou la semaine
prochaine ». Ça a duré comme ça plusieurs mois. Jusqu’au jour où il a accepté que je sois à ses côtés.
Ce nouvel accueil m’a beaucoup touchée. Ce monsieur n’avait plus la maîtrise du langage, mais le
langage des corps et des regards, ça, il l’avait !
Marie-France :
La 1ère fois, dès mon 1er accompagnement à l’Unité de Soins Palliatifs, je me suis sentie très
déstabilisée dans ce couloir, comme une poule qui a trouvé un couteau. Je n’avais jamais toqué à une
porte fermée. Aller vers quelque chose d’inattendu, de nouveau, d’étranger… J’ai dit à l’infirmière :
- « Je ne sais pas comment faire pour commencer ».
L’infirmière m’a dit :
- « Tu vas faire une chose. Dans cette chambre, il y a un malade qui est dans le coma. Il est
mourant. Va t’asseoir à côté de lui, il a besoin de ta présence »
Je n’avais jamais été auprès d’un mourant. Je suis rentrée doucement et je me suis assise à ses côtés.
Qu’est-ce que j’ai fait ? Je me suis mise tout simplement au rythme de sa respiration,
instinctivement, sans réfléchir. Comme ça je me sentais présente à lui. J’ai eu un apaisement. J’ai
commencé par la fin, c’est-à-dire la mort. C’est cette mort justement, c’est cet état d’apaisement
dans la mort qui m’a permis d’entrer dans ma mission. Cheminer vers la frontière.
Tous mes accompagnements des mourants, je les ai toujours faits dans la vie. Quand j’allais à leur
rencontre, les personnes ne m’ont jamais parlé de leur fin de vie, de leur mort. Quand j’allais au
groupe de parole, je constatais que j’avais auprès de moi des bénévoles qui avaient abordé le sujet
de la mort parce que des malades avaient tenu à l’aborder. Avec moi, jamais. J’ai l’intuition que les
patients souhaitaient me protéger, moi, de cette épreuve.
La chose la plus belle que vous ayez vécue dans votre bénévolat ?
Marie-France
Tous mes accompagnements ont été extrêmement vivants. Je ne peux pas dire mieux… Pour moi, il
y a quelque chose qui nous grandit : tous les humains participent du divin. A chaque fois que je
faisais ces accompagnements, je percevais dans leur courage quelque chose de divin. Je suis dans le
respect des personnes qui m’ont devancée en allant vers cet « après » mystérieux. Je suis dans le
respect aussi de leurs croyances. Je pense aux personnes qui ne sont pas croyantes, et qui ont
souvent la perception d’un au-delà mystérieux. Qu’est-ce qu’il y a après ? On va vers ce mystère. Je
pense à cette dame croyante : elle était rayonnante, elle allait vers quelque chose de lumineux. Je
pense à ce monsieur sénégalais musulman qui avait une connaissance parfaite des trois religions du
Livre, un homme très généreux à la porte de cet après mystérieux. J’allais vers un frère ou une sœur
qui vivaient une expérience exceptionnelle qu’on va tous vivre un jour.
Cécile
Beaucoup de personnes qu’on accompagne nous donnent des cadeaux humains inestimables : un
sourire, un vrai regard, une pression de la main, un merci.
Et quand on peut sortir les personnes âgées malades de leur domicile, juste pour une mini ballade à
proximité, l’autre cadeau qu’on peut partager c’est la beauté de la nature : le soleil à travers les
feuilles des arbres, le vent, le bruit de la vie des voitures qui passent le long du square public.
Aux personnes qui croient qu’elles ne sont pas capables d’être bénévoles en accompagnant des
personnes malades, c’est bien qu’elles sachent que nous sommes tous pareils, c’est comme un
manque de confiance en soi. Mais tout ça, dès qu’on commence à accompagner, ça se dépasse. Et ça
s’acquiert aussi, avec l’Association qui nous aide beaucoup !
Oui, aux futurs bénévoles, je leur dis qu’à chaque fois on a du bonheur, et on vit la joie !
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Marie-France
Ah, ne pas oublier de dire que quand on fait du bénévolat auprès de personnes malades, on n’est pas
seul ! On est très accompagné par ses pairs, les bénévoles et les salariés de la Fraternité. Quand
j’avais commencé à faire ce bénévolat en Unité de Soins Palliatifs, dans mon entourage personnel, on
m’avait dit : « Il faut être forte ! ». Mais non je ne suis pas forte ! On a tous notre part de fragilité, et
on vient avec notre cœur. Le psychologue du groupe de parole m’avait rassurée : nous ne sommes
pas des super héros ! Aux futurs bénévoles qui vont un jour accompagner des personnes malades
ou gravement malades et en fin de vie, je leur dis : ces personnes, je les ai toujours perçues comme
frères ou sœurs de même chair. Avec l’écoute, les silences, l’intuition de notre regard intérieur, on
se lance dans une expérience de vie !
Dessin numérique créé par Marie-France
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Communication Fraternité Accompagnement de Personnes Malades
Propos recueillis par Maryvonne Sendra