Joris-Karl Huysmans Etudes réunies par

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Joris-Karl Huysmans Etudes réunies par
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COMPTES RENDUS
inconnus chez moi et Mes inconnus chez eux (en deux volumes) de
Lucie Cousturier.
Dans son introduction critique, Roger Little nous offre le contexte
de l'Histoire de Moulay Abelmeula, roman de 1740 sur un mariage
interracial, à une époque pré-coloniale. Cette histoire, dont l'identité de
l'auteur reste douteuse (est-ce plutôt une auteure ?) et qui rappelle par
certains aspects l'histoire du captif dans Don Quichotte de la Manche,
pourrait appartenir au récit légendaire puisqu'il en existait déjà une
version très semblable, Y Histoire de Louis Anniaba, sur lequel Roger
Little ne manque pas de nous éclairer.
Ce récit, accompagné de sa présentation critique, intéressera tout
particulièrement les étudiants et les chercheurs aussi bien en littérature
du dix-huitième siècle qu'en études féministes (la protagoniste,
polyglotte, est un personnage très affirmé). Il éveillera aussi
certainement la curiosité des étudiants et des chercheurs en études
comparées, études culturelles et surtout interculturelles. L'ouverture
d'esprit et la philosophie qui s'y révèlent sont, en effet, étonnamment
pertinents aujourd'hui. Par exemple, le roi algérien, converti au
catholicisme par amour d'une Française, conclut ainsi son récit :
« Quelque opposée qu'elle [la religion chrétienne] soit à la musulmane,
j ' y ai si bien pourvu par mes règlements, que les sujets des deux vivent
dans une parfaite union ; et que jusqu'ici cette diversité, qu'on croit
ailleurs si dangereuse, n'a causé aucun désordre dans mes Etats. »
Brigitte Le Juez
Dublin City University
Joris-Karl Huysmans
Etudes réunies par Marc Smeets
Amsterdam / New York, Rodopi, « Crin » 42, 2003,133 pp.
Les études sur Huysmans réunies par Marc Smeets dans les Cahiers de
2003 de l'Université de Nimègue offrent des lectures plus ou moins
focalisées de son œuvre, allant de généralités sans surprise dans le
domaine — il est vrai bien connu — de la critique d'art, à des
recherches très fouillées comme celles d'Anne Larue ou de Guy Ducret.
Cependant, quels que soient leur degré de spécificité et leur mérite
respectif, ces études souffrent toutes d'une certaine faiblesse quant à la
connaissance ou la présentation du contexte où elles se situent. L'article
d'Anne Larue repose sur une intuition très fructueuse, celle de la
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pertinence de « 1'acedia » dans A Rebours, cette « paresse spirituelle qui
accable l'homme devant un feu », aux flammes prémonitoires de l'enfer
qui l'engloutira. Elle mène ensuite une enquête iconographique très
convaincante. Reste que, pour un lecteur de Huysmans, une référence à
« la melancholia », grande sœur de « l'acedia » et de « la tristitia », belle
inspiratrice de Diirer et de Nerval, s'impose et fait défaut ici. La même
insouciance à l'égard du contexte culturel frappe dans le chapitre de
Maarten van Buren : il est dommage de parler de l'irritabilité des nerfs
comme condition de la création artistique sans immédiatement attribuer
sa conception à Baudelaire, ou de l'« art moderne » sans citer d'abord
son Salon de 1846, véritable acte de naissance de la modernité avec son
concept d'« héroïsme de la vie moderne » (plutôt que son texte plus
tardif sur Constantin Guys). Enfin Guy Ducret s'attache à montrer
comment Arthur Symmons fit découvrir Huysmans en GrandeBretagne, un épisode mal connu jusqu'ici, mais dont la présentation
reste très incomplète parce qu'elle ne fait pas référence au rôle
comparable de pionnier joué par George Moore à la même époque. Par
ailleurs, on peut regretter que l'idée de « critic-as-an-artist », si
pertinente ici, apparaisse sans être attribuée à son créateur, Oscar Wilde,
qui gravitait justement dans les mêmes cercles que Symmons.
Pascale McGarry
National University of Ireland, Dublin
Marc Smeets, Huysmans l'inchangé, histoire d'une conversion
Amsterdam / New York, Rodopi, « Faux Titre » 237, 2003, 238 pp.
Huysmans l'inchangé, ou du caractère décidément incontournable de
Baudelaire... Comme l'indique le paradoxe de son titre, le travail de
Marc Smeets vise à démontrer la profonde cohérence de la vie et de
l'œuvre de Huysmans. Ce qui apparaissait tour à tour à ses
contemporains comme une « contradiction bizarre » (être décadent et
chrétien) ou comme une coupure irréversible (avant et après la
conversion) serait en fait une forme de continuité. Et là, tout, ou
presque, prend sa source chez Baudelaire : Marc Smeets se réfère à lui
à juste titre pour expliquer le lien que Huysmans établit entre la
littérature latine du Bas-Empire et la décadence fin-de-siècle (un motif
essentiel de A Rebours) et il a le grand mérite de souligner la place
fondatrice du poème « Une Charogne » dans la culture décadente. On
pourrait cependant regretter qu'il ne poursuive pas cette deuxième idée