Riffs Hifi 24.11.2012

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Riffs Hifi 24.11.2012
LE JOURNAL DU JURA SAMEDI 24 NOVEMBRE 2012
24 RIFFS HIFI
PLANÈTE ROCK Toutes ces vieilles légendes qui font encore la une de l’actualité
Who et Led Zep: who’s best?
PIERRE-ALAIN BRENZIKOFER
Il est beaucoup question, par les
temps qui courent, des deux plus
grands groupes de rock de tous
les temps. Evocation, forcément
subjective, des Who et de Led
Zeppelin, les Beatles étant le
groupe préféré de nos parents –
voire grands-parents – et les Stones une entreprise de marketing
terriblement surévaluée.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, deux rumeurs tenaces. Le
plus grand concert du 20e siècle?
Les Who à l’île de Wight, ce qui
ne rajeunit personne. Le plus
grand concert du 21e siècle? Celui de la reformation de Led Zeppelin à Londres en 2007. Evénement hélas unique, qui réunit
quelque 18 000 privilégiés pour
une demande de billets estimés à
20 millions! Oui, vous avez bien
lu.
Depuis, plus rien, si ce n’est ce
«Celebration day» qui vient de
paraître. Soit la retransmission
live de ce rendez-vous historique
en CD, DVD et même Blue Ray.
Pendant ce temps, les Who mènent aux USA et au Canada une
tournée marathon – pas de dates
prévues en Europe pour l’instant
– consacrée à «Quadrophenia»,
mythique opéra rock traitant de
la schizophrénie et du mal-être
adolescent. Avec, en prime, quelques best of. A signaler aussi la
sortie en DVD de «The Who live
in Texas 1975», joyau hélas pénalisé par un son d’époque. Les miracles de la technique ont leurs li-
Les Who ce mois en tournée américaine (à gauche) et Led Zeppelin lors de son concert-événement de 2007.
mites, heureusement.
A éplucher les gazettes spécialisées,parmitouscesgangsvieillissants, seuls Led Zep et les Who
seraient encore capables de proposer des shows oscillant perpétuellement entre la puissance et
la gloire, les Stones faisant figure,
à côté d’eux, de juke box aussi
poussif qu’émoussé. It’s only rock
and roll? Tout dépend de ce
qu’on attend du bruit et de la fureur associés à ce genre existentiel...
Et puis, il y a enfin la parution
de l’autobiographie de Pete
Townshend, leader des Qui. Un
authentique événement littéraire, certes, qui ne concurrencera cependant pas les mémoires
de Keith Richards, beaucoup
plus racoleuses. Selon le très respecté New York Times, cependant, qui, sinon Townshend et
Dylan, parmi les dieux des sixties, étaient plus qualifiés pour
écrire une autobiographie? Allusion au QI exceptionnel de ces
deux géants, terriblement représentatifs des mots et des maux de
leur époque, quand tant de rock
stars se contentent d’évoquer
leurs excès et leurs partouzes.
Précision d’importance, «Who I
am», l’autobiographie en question, fera l’objet d’une traduction
française en février. Et, histoire
d’enfoncer le clou, le New York
Times ne décèle que deux concurrents au précité pour ce qui
est d’une forme d’intellectualisation du rock. On veut bien sûr
parler de la paire LennonMcCartney. Seulement, voilà,
ces derniers étaient deux, justement.
Alors, les Who ou Led Zep?
Côté paroles, forcément, les pre-
LDD
miers pulvérisent les seconds. Au
pointqueRobertPlant,lelionrugissant du Dirigeable, a même
hésité à chanter au fameux concert de 2007 «Stairway to heaven», tellement il juge désormais
les paroles insignifiantes. Ce qui
n’avait pas empêché à l’époque
une tragique poignée de fondamentalistes chrétiens de déceler
une solide pincée de messages
subliminaux et résolument satanistes dans ce texte anodin.
Reste que «Stairway to heaven» demeure l’une des chansons les plus diffusées sur les radios.
Alors, les Who ou Led Zep
(bis)? Le soussigné penche pour
les premiers, même s’il admet lâchement avoir beaucoup plus
écouté les seconds. Ah! le blues
électrifié de Led Zep. La sortie de
leur premier album avait littéra-
lement vieilli de 30 ans tous ceux
qui juraient alors que «My baby
baby bala bala» consistait en un
hymne sauvage.
Anecdote amusante, on doit le
nom de Led Zeppelin à Keith
Moon, batteur défunt des Who,
qui hésita à les rejoindre. Keith
Moon? Le plus grand drummer
de l’histoire du rock avec John
Bonham, le bûcheron fou du Dirigeable et tout autant décédé.
Les chanteurs, dans tout ça? Eh
bien, Robert Plant a tout volé à
Roger Daltrey. La longue chevelure léonine, la veste à franges sur
un torse nu et la façon de se mouvoir. Côté voix, il est autant surestimé que Daltrey est sous-estimé.
Les deux ont en commun de
vieillir et de voir leur organe s’affaiblir, pendant qu’un gratteur
peutsebonifierjusqu’à90ans.La
vie est décidément trop injuste.
En matière de guitare, Jimmy
Page n’est surpassé que par Jeff
Beck. Mais il avait tout révolutionné à l’époque. Et tout électrifié pendant que ses rivaux se contentaient d’imiter Cliff Gallup.
Pete Townshend? Bon, c’est un
rythmique. Mais un rythmique
fou, imbattable à la guitare sèche.
Les Rickenbaker fracassées?
C’est lui. L’effet larsen? C’est lui.
Le psychédélisme? C’est encore
lui, même que ça énervait un certain Jimi Hendrix. Et que dire de
la première utilisation du synthétiseur de l’histoire sur «Who’s
next», n’en déplaise à Pink
Floyd?
Reste à évoquer les bassistes. Le
défuntJohnEntwistle,desWho,a
été désigné quatre-cordiste du
millénaire. Mais la réunion sur
deux disques des seuls Plant et
Page a permis de constater que
sans John Paul Jones, la dimension zeppelinienne était hors de
leur portée. Ah! l’importance des
hommes de l’ombre.
Par souci d’honnêteté, on évoquera encore les ventes d’albums: plus de 300 millions pour
Led Zep, près de 150 pour les
Who.
Touteladifférence,enfait,entre
le jouissif et le cérébral. Pour les
départager, finalement, ne resterait qu’à miser sur un concert
commun. Las, même dans l’univers onirique du rock, faut pas rêver.
Alors, long live rock? Lâchement, on a choisi un titre des
Who...
ANTOINE 25 ans après, enfin un nouvel album pour l’ex-révolutionnaire
Cocasse plaidoyer pour les arts du lit
Pour les jeunes générations,
Antoine n’est que le héros
d’«Atoll, les opticiens!» Oui, la
pub pour les bigleux. Pour les
plus curieux, c’est ce gentil baba
qui filme les îles lointaines et
idylliques, vit neuf mois par an
sur son bateau et ne manque pas
une tournée de «Connaissance
du monde» pour nous rappeler
que la Terre est encore belle. Un
écolo positif – ça nous change
agréablement –, qui préfère
montrer ce qui est encore beau
plutôt que ce qui ne l’est plus.
Avec cette inexorable marche
du temps, qui se souvient que
l’homme fut, bien avant le choc
de Mai 68, le chanteur le plus
révolutionnaire que la France ait
jamais connu? Un rebelle authentique, plus dylanien que
Dylan lui-même. Le premier
beatnik. Un punk avant l’heure.
En proposant de mettre la pilule
en vente dans les monoprix,
n’avait-il pas fait défaillir de
Gaulle et Madame, la peu portée
sur la gaudriole Tante Yvonne?
«Les élucubrations», ça vous
rappelle quelque chose?
Mais il n’y avait pas que ça. «La
loi de 1920» reste le plus grand
protest song jamais écrit par un
Gaulois. Antoine y dénonçait
cette loi inique interdisant toute
forme de contraception et qui
provoqua tant de drames humains. Dans «Juste quelques flo-
cons qui tombent», l’homme à
la chemise à fleurs avait stigmatisé avant tout le monde les dangers du nucléaire. Enfin, «Métamorphoses exceptionnelles»
représente un brûlot punk digne
de «No fun» ou de «God save
the queen». La version des Pistols, of course.
Et quand vous êtes au fond du
gouffre, écoutez «Je reprends la
route demain», ce blues déjà ultime! Hélas, comme les Français
sont des âmes (très) simples,
Antoine avait surtout commis le
crime de lèse-majesté suprême
en voulant mettre Johnny Hallyday en cage à Médrano. Outrage
que l’entourage de «l’idole des
jeunes» ne lui a jamais pardonné.
On ne parlera même pas de la
réplique de Jojo («Cheveux
longs et idées courtes») que cet
âne bêla avant d’entonner «Jésus Christ est un hippie» avec
des longues douilles de circonstance. Mais bien d’Edouard, ce
clone d’Antoine que l’entourage
de Johnny confectionna avec sa
perruque descendant jusqu’aux
mollets pour tenter de ridiculiser l’impertinent. Et que dire de
ces alertes à la bombe et menaces
de mort qui précédaient la plupart de ses concerts, scellant l’alliance entre bien-pensants de
droite et thuriféraires débiles de
M. Hallyday?
Craignant littéralement pour
Antoine: aujourd’hui comme hier
avec sa chemise à fleurs. LDD
sa vie, notre rebelle choisit la
fuite sur un bateau, lui qui
n’avait jamais navigué, ohé, ohé.
La suite, on la connaît: les plateaux télé, les films, les bouquins sur les îles, les passages
sur les ondes et la pub. Et la première partie de ses mémoires
(«Oh yeah»), où il raconte ses
folles années yéyé.
Résurrection
Enfin, soudain, ce disque
(«Demain loin», distribution
Polygram) qui arrive 25 ans
après
l’avant-dernier,
où
l’homme des Elucubrations
avoue avoir cédé à la demande
d’un groupe de jeunes auteurs-
compositeurs qui se sont littéralement mis dans sa peau pour
lui concocter, avec son concours, quelques chansons surtout représentatives de ce qu’il
représente aujourd’hui. Il est
même impressionnant de constater à quel point l’équipe a pu
s’immerger dans la (gentille)
philosophie antoinesque. L’album contient cependant quelques perles comme le très explicite
«Demain
loin»,
«Zimmermann», hommage à
Dylan, et forcément «Les arts
du lit», sorte d’«Elucubrations»
bis où le grand voyageur explique sa philosophie du moment:
«Faire l’amour, c’est bien. Gagner
sa vie, c’est bien. Pourquoi les
deux, ce serait mal?» demandaitil dernièrement à un plumitif.
C’est que, non content de chanter ce nouveau combat,
l’homme vient de publier «Délivrez-nous des dogmes», bouquin où il plaide pour une pratique de la prostitution qui ne
serait pas moyen-âgeuse comme
en France, mais libéralisée
comme en Allemagne, Autriche, Nouvelle-Zélande – il a
voyagé, le bougre – et même en
Suisse.
Gentil, mais toujours rebelle,
Antoine: rien que pour ça, on
n’achètera pas le dernier album
de Johnny. Notez qu’on n’en a jamais acheté un... PABR
LA PLAYLIST DE...
Michael Bassin
[email protected]
LUNIK Through Your Eyes (album Weather 2003)
Nous, avec le groupe suisse Lunik, on est resté figé sur un seul titre.
Un peu comme une moule reste accrochée à son rocher. Car écouter
«Through Your Eyes», c’est voyager au pays de la douceur durant
4 min 12. Alors pourquoi vouloir changer de refrain?
MUSE Knights of Cydonia (Black Holes and Revelations 2006)
Un de ces jours, il se pourrait que ma voiture fasse une indigestion de
«Follow Me», la piste N°6 de «The 2nd Law», le dernier album de
Muse. Le morceau passe en boucle et à coin évidemment, avec un
chanteur-conducteur tentant d’imiter Matthew Bellamy et sa voix
couvrant apparemment 3,5 octaves… Mais au rayon des tubes de
Muse chantés à tue-tête, «Follow Me» n’arrive pas encore à la cheville
de «Knights of Cydonia» figurant sur «Black Holes and Revelations».
COWBOYS FRINGANTS Étoiles filantes (La Grand-Messe 2004)
Chaque fois qu’ils sortent leur pistolet – comprendre un album –, les
Cowboys Fringants visent juste. En 2004 par exemple, les Québécois
invitent leur public à «La Grand-Messe» avec, en guise d’introduction,
quelques notes de piano qui lancent magistralement le titre N°2, «Les
Etoiles filantes». Et, comme à leur habitude, J.-F. Pauzé et ses potes
arrivent à pondre une chanson touchante avec une histoire simple,
celle d’un trentenaire qui se dit que «l’bon temps passe finalement
comme une étoile filante».
DAVID CROWDER BAND Sequence 4 (Give Us Rest 2012)
Dans l’univers musical où tout se fourre dans des cases, David
Crowder Band est rangé au rayon rock chrétien. Leur dernier double
album est une véritable caverne riche de 34 pistes (!) travaillées et
explorant des styles très différents, parfois étonnants. Comme ce
«Kyrie Eleison» revisité en plage N°5. Mais pour commencer en
douceur, on proposera la plus conventionnelle (mais non moins
profonde) piste N°17, intitulée «Sequence 4».