Le droit d`auteur pour les « nuls

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Le droit d`auteur pour les « nuls
Le droit d’auteur pour les « nuls »
Didier VALETTE
Vice-Président de l’Université d’Auvergne (affaires juridiques)
Chargé d’enseignements en propriété intellectuelle
I – Petite histoire de la protection des œuvres
littéraires et artistiques de Gutenberg à Zuckergerg
(1)
Les auteurs d’œuvres littéraires sont à l’origine du phénomène de
patrimonalisation du droit d’auteur. Longtemps, l’octroi des patentes royales et
de privilèges, avait permis de contrôler la production artistique, et de confiner
le droit de l’auteur à la seule reconnaissance de la paternité de son œuvre.
L’acquisition d’un réel droit patrimonial par l’auteur résulte de la pratique de
diffusion des œuvres (écrit) grâce au développement de l’imprimerie. L’auteur
ne se satisfait plus de la seule reconnaissance sociétale de son œuvre. Il
revendique (à partir du XVII ème) un monopole d’exploitation sur ses œuvres,
alors que le droit coutumier considérait que l’auteur cédait l’intégralité de ses
droits à l’éditeur grâce auquel son œuvre était diffusée…
L’amélioration des techniques de reproduction a permis de s’éloigner de l’idée que
l’éditeur devait bénéficier des seules retombées économiques de la diffusion, au
motif que le coût de confection était élevé.
Reconnaissance du droit d’auteur par la loi d’Anne (1709) qui créé un droit exclusif
d’exploitation aux auteurs d’œuvres écrites (durée de 14 ans)
I – Petite histoire de la protection des œuvres
littéraires et artistiques de Gutenberg à Zuckergerg
(2)
1791 et 1793 : Naissance du « droit de représentation » dans le contexte
de la « querelle des théâtres ». Les auteurs dramatiques, auxquels se
joignent les musiciens organisent la lutte contre la représentation
sauvage. Ils obtiennent la consécration d’un droit d’auteur exclusif,
amis limité dans le temps. Pour Lakanal « L’auteur apparaît comme
un agent de l’éveil du public et de l’accroissement des
connaissances et la reconnaissance du droit des auteurs pour une
période limitée, comme un mécanisme établi pour récompenser
les activités intellectuelles et favoriser le rayonnement culturel de
la nation ».
Balzac, Dumas, Hugo créèrent la « Société des gens de lettres » en 1838
pour organiser la défense du droit moral et du droit patrimonial des
auteurs, entendant par là lutter plus activement contre la contrefaçon,
facilitée par la démocratisation des techniques d’imprimerie. Ils furent à
l’origine de la Convention de Berne (1886) organisant la protection
internationale des œuvres littéraires et artistiques.
I – Petite histoire de la protection des œuvres
littéraires et artistiques de Gutenberg à Zuckergerg
(3)
La loi du 14 juillet 1866 installe le droit patrimonial de l’auteur dans la durée :
elle instaure en effet une protection pour une durée allant jusqu’à 50 ans
après le décès de l’auteur de l’œuvre.
De nouvelles formes d’œuvres apparaissent et le droit évolue (Loi du 11 mars
1957).
Le
développement
quasi
simultané
des
œuvres
cinématographiques et audiovisuelles a bouleversé le paysage juridique.
L’histoire semble se répéter… On observera que la loi organise une
présomption de titularité des droits patrimoniaux au profit des producteurs.
Le logiciel est considéré par la loi française comme une œuvre de l’esprit, à la
différence de la conception anglo-saxonne (loi du 10 mai 1994)
II – La notion d’œuvre protégée (1)
Le CPI regroupe l’ensemble des textes consacrés à la protection des droits
d’auteurs.
Art L 112-1 du CPI : « Les dispositions du présent code protègent les droits
des auteurs sur toutes les oeuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre,
la forme d'expression, le mérite ou la destination. »
L’article 112- 2 du CPI donne des exemples d’œuvres de l’esprit (liste non
limitative)
II – La notion d’œuvre protégée (2)
L’article 112-2 CPI considère (notamment) comme œuvres :
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Les écrits littéraires, artistiques et scientifiques
Les conférences, allocutions, sermons, plaidoiries
Les œuvres chorégraphiques, les numéros et tours de cirque, les pantomimes, dont
la mise en œuvre est fixée par écrit ou autrement
Les compositions musicales avec ou sans paroles
Les œuvres audiovisuelles (œuvres consistant dans des séquences animées
d'images, sonorisées ou non)
Dessins de peinture, d'architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie ;
œuvres graphiques et typographiques
Œuvres photographiques et celles réalisées à l'aide de techniques analogues à la
photographie
Les œuvres des arts appliqués, les illustrations et les cartes géographiques, les
plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à
l'architecture et aux sciences
Les logiciels, y compris le matériel de conception préparatoire ;
Les créations des industries saisonnières de l'habillement et de la parure.
II – La notion d’œuvre protégée (3)
Il revient au juge de préciser, au cas par cas, la portée de ces textes. On
retiendra 2 choses :
1 - La protection est indépendante de toute considération MORALE ou
ESTHETIQUE
2 – L’œuvre doit être ORIGINALE (marque de l’empreinte de la personnalité de
l’auteur), mais la simple idée n’est pas protégeable.
Ainsi, si l’idée « d’emballer » des arbres n’est pas une œuvre en soi, l’empaquetage du Pont neuf
constitue une œuvre originale dont la reproduction est soumise au contrôle de l’artiste.
L’originalité résulte du constat d’un apport intellectuel inédit :
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Combinaison du rythme et de la mélodie (musique)
Combinaison de sons et d’images (logiciels de jeux)
Spécificités comportementales attachées à un personnage (Charlot)
II – La notion d’œuvre protégée (4)
L’invention technique n’est pas protégée par le droit d’auteur, mais par
le brevet (A la différence de l’invention brevetable, la protection est
due à l’auteur dès la naissance de l’œuvre).
Mais, parfois, le droit d’auteur vient au secours de certaines créations
non brevetables : la composition olfactive (parfum) peut être
assimilée à une œuvre de l’esprit
Les œuvres des « arts appliqués » peuvent même bénéficier de ces
dispositions, indépendamment de leur protection par le droit de la
propriété industrielle (dessins, modèles, brevets,…), dès lors
qu’elles ne présentent pas un caractère exclusivement fonctionnel :
forme d’un décapsuleur, « design » d’un emballage,…
III – Les droits attachés à l’œuvre protégée
(1)
Le droit moral : l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son
œuvre (Art 121-1 CPI). Ce droit est perpétuel, inaliénable et imprescriptible. La
volonté de l’auteur, exprimée clairement, doit être respectée. Illustrations :
Aucune femme ne peut jouer un personnage de la pièce écrite par Samuel Beckett, « En attendant
Godot »
La Cour de cassation a estimé que l’adaptation d’une œuvre sous forme de suite ne peut constituer,
par principe, un cas d’atteinte au droit moral. Dans un arrêt du 19 décembre 2008, la CA de Paris
a estimé qu’on ne pouvait déduire des déclarations de Victor Hugo que celui-ci était hostile à
toute adaptation ou suite imaginaire apportée à ses œuvres (sous réserve du respect du droit au
nom et à l’intégrité de l’oeuvre adaptée). Nous aurons donc une suite aux Misérables…
Cas des œuvres architecturales qui ne peuvent être modifiées ou détruites sans l’accord de l’auteur
(fontaines, sculptures ,…), sauf erreurs de conception ou circonstances de fait assimilable s à une
force majeure.
Ce droit au respect de l’œuvre est complété par le droit de divulgation : seul l’auteur
peut décider de divulguer son œuvre au public.
II – Les droits attachés à l’œuvre protégée
(2)
Le droit patrimonial consiste en un droit exclusif de représentation et de
reproduction.
La représentation : la communication de l’œuvre au public par un procédé
quelconque (Art 122-2 CPI) : récitation, représentation, projection,
télédiffusion , émission d’une émission vers un satellite…
* le streaming est une représentation
La reproduction consiste en la fixation matérielle de l’œuvre par tous
procédés qui permettent de la communiquer au public (imprimerie,
photographie, enregistrement magnétique, exécution répétée d’un plan…)
(art. 122-3 CPI)
* La numérisation de données est une reproduction (serveurs internet)
II – Les droits attachés à l’œuvre protégée
(3)
L’exclusivité souffre d’exceptions :
* représentation dans le cercle familial
* copie privée à l’usage du copiste
* Les courtes citations
* la parodie
L’auteur peut tirer un profit pécuniaire de l’exploitation de son œuvre (L 123-1
CPI)
Ainsi, en raison de leur caractère patrimonial, ces droits peuvent être cédés au
moyen de contrats d’édition, de représentation, de production,…

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