D-un(e)-prof-a-l-autre-Numero-81-Septembre-2015
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D-un(e)-prof-a-l-autre-Numero-81-Septembre-2015
Numéro 81 – Septembre 2015 2015 Aube J’ai embrassé l’aube d’été. Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte. Les camps d’ombres ne quittaient pas la route du bois. J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit. La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom. Arthur Rimbaud Au sommaire : p. 2 p. 3 Editorial : Gérer la complexité... Décret Paysage : une nouvelle logique, des acquis à préserver, des progrès à intégrer DOSSIER ORALITÉ ORALITÉ (1) p. 7 Parler coyote ou parler girafe ? TFE sur la communication non violente p. 12 De l'oral pendant un an p. 16 Index des articles de la revue sur l'oral p. 17 Stromae est-il si formidable ? Tournures et vocabulaire du débat p. 21 On vous informe ! D'un(e) prof ... à l'autre La lettre du bac en français de HELMo Sainte-Croix 61, Hors-Château – 4000 Liège Comité de rédaction : Sylvie Bougelet, Aurélie Cintori, Anne Dister, Pierre-Yves Duchâteau, Jean Kattus Informations – abonnement – numéros précédents - index : www.helmo.be > Formation continuée > D'un(e) prof à l'autre Contact : [email protected] 1 Editorial - Gérer la complexité... Discussion de vacances, lors d'une balade, entre deux amis... - Finalement, qu'est-ce que tu as fait avec les taupinères de ta pelouse ? - J'ai mis des pièges à pétard, ça marche très bien ! - Tu es tranquille maintenant... - Ben..., non. Des mulots ont envahi les galeries abandonnées et ont remplacé les taupes. Mais ça va, je les ai empoisonnés ! - Te voilà avec une belle pelouse bien verte, alors... - Attends, ce n'est pas si simple : des guêpes sont venues faire leurs nids dans les galeries... - Quoi ? - Alors, j'ai voulu les noyer au tuyau d'arrosage, j'en avais marre, tu comprends ? J'ai essayé deux fois, sans résultat, mais à la troisième tentative, elles avaient compris : j'ai récolté 6 piqures... Analyse : Que nous dit cette histoire de taupes à nous, étudiants en formation et enseignants ? Le raisonnement suivi par le propriétaire de la pelouse – à savoir qu'il suffit d'éliminer la cause (ici les taupes) pour supprimer la conséquence (les taupinières) – ne fonctionne manifestement pas. Or, il s'agit d'un raisonnement très habituel, directement issu de notre culture cartésienne, encore sous la coupe de ce 2e précepte énoncé au XVIIe siècle par DESCARTES dans son fameux Discours de la méthode : « Diviser chacune des difficultés afin de mieux les examiner et les résoudre ». C'est que nous oublions souvent le 4e précepte énoncé par Descartes, « Passer toutes les choses en revue afin de ne rien omettre »... C'est évidemment beaucoup plus complexe d'envisager la question qui pose problème (ici les taupinières) comme faisant partie d'un ensemble plus large (tout l'écosystème d'un jardin à la campagne), entretenant ainsi de multiples liens avec des éléments connexes (mulots, guêpes, ...) et faisant donc partie d'un système dont toutes les composantes interagissent. Mais pour quelle raison parler de cette notion de système complexe ici, dans cette revue, et maintenant, à la rentrée de septembre ? ● Parce que.... ce numéro est consacré en grande partie à l'oralité, compétence éminemment complexe car touchant à des composantes très diverses du locuteur : émotivité et confiance en soi, dynamique du groupe, gestion de la voix et de l'image corporelle, etc. ● Parce que... le 1er article de ce numéro présente la nouvelle configuration de la formation des enseignants qui résulte du décret « Paysage » : pour faire sens, la mise en œuvre de ce décret a nécessité, vous le comprendrez sans doute un peu mieux à la lecture de l'article, de prendre en compte tous les éléments d'un système éminemment complexe. ● Parce que... nous nous retrouvons tous ce 1er septembre plongés dans un système éminemment complexe, l'Ecole, et que pour être efficaces, nous avons tout intérêt à intégrer cette complexité (éminemment intéressante par ailleurs) dans nos raisonnements, que nous soyons étudiants ou enseignants. ● Parce que... l'actualité (le droit d'asile, le climat, l'économie...) ne reste pas à l'extérieur de la classe : l'Ecole fait partie intégrante du système complexe « Société »... ● Et aussi parce que... les réponses simples ou simplistes (par exemple celle qu'illustre cette sculpture de Maurizio CATTELAN) sont toujours tentantes, mais, comme l'illustre la petite histoire de taupes, de mulots et de guêpes, toujours dangereuses. Excellente rentrée à tous ! L'équipe de rédaction 2 « Paysage » – Blocs 1, 2 et 3 Une nouvelle logique, des acquis à conserver, des progrès à intégrer Le décret « Paysage » entrait en vigueur en première année en septembre dernier, introduisant de nombreuses nouveautés dans l'organisation des études supérieures. Nous sommes en mesure de vous présenter aujourd'hui l'ensemble de la formation de bachelier en français (option FLES ou religion) telle qu'elle a été réorganisée, de la première année, appelée aujourd'hui bloc 1, aux blocs 2 et 3. Il nous parait en effet important d'informer chacun, et en particulier les maitres de stage, de l'organisation des apprentissages réalisés par les étudiants qu'ils accueillent dans leurs classes et de la logique générale de la formation. La complexité de cette organisation est grande... raison pour laquelle nous vous présentons d'abord ci-dessous quelques clés de lecture des tableaux qui suivent (sans vouloir être exhaustifs) et quelques-uns des principes qui nous ont guidés dans l'élaboration de ce programme. 1. Une année d'études est dorénavant organisée en UE (= Unités d'Enseignement) qui regroupent des AA (= Activités d'Apprentissage). En principe, le décret pousse à ce que les UE soient indépendantes les unes des autres et couvrent un seul quadrimestre. Cela correspond à une conception de l'enseignement supérieur de type traditionnel, qui « empile » des « briques de savoirs » indépendantes les unes des autres. Mais dans une formation professionnalisante comme les études d'enseignant, cela pose évidemment de nombreux problèmes... Nous avons donc cherché des solutions variées : ● certaines UE couvrent la totalité de l'année (elles ne sont donc évaluées qu'en juin). Trois exemples : la formation optionnelle en FLES ou en religion (des blocs 1 et 2), la formation professionnelle centrée autour des stages (« Enseigner et faire apprendre ») aux blocs 2 et 3 ou encore le TFE. ● les principaux axes de la formation (1) formation professionnelle d'enseignants spécialisés dans l'apprentissage du français, (2) formation littéraire, (3) formation linguistique, (4) formation pédagogique (au sens large) et (5) option (FLES ou religion) sont préservés et aisément repérables d'un bloc à l'autre (ils sont distingués dans les tableaux par les différentes couleurs ci-dessus). Deux exemples : la formation professionnelle en 1re année, bien que répartie sur deux UE évaluées séparément, articule une première approche de l'enseignement (« Décol(l)age ») et le passage à la pratique lors des stages de mars et avril (« Atterri'stage »). Idem pour la formation littéraire : « S'immerger dans la culture littéraire » au premier quadrimestre et « S'immerger dans la littérature de jeunesse » au 2e quadrimestre. 2. Les UE regroupent d'anciens cours (une des contraintes du décret imposait de respecter la grille de cours précédente et l'emploi, bien entendu), ou des parties d'anciens cours, selon une nouvelle logique d'intégration des apprentissages, destinée à leur apporter un surcroit de sens. Cette logique de regroupement fut dans certains cas relativement simple à trouver : les cours s'intègrent alors harmonieusement dans des unités supérieures comme, par exemple, les cours de « Grammaire », de « Maitrise de la langue » et de « Linguistique » (Bloc 1 - UE 124). Dans ce cas, des épreuves d'évaluation intégrées peuvent alors être plus facilement mises en place. Par contre, d'autres « mariages » sont plus « forcés ». Par exemple, si la littérature de jeunesse peut ouvrir effectivement à un questionnement philosophique sur le monde, le cours de philosophie qui lui est adjoint dans l'UE 123 (bloc 1) doit se donner obligatoirement très grand groupe, réuni en auditoire. Il est donc suivi par des régents en français, mais aussi en sciences ou en mathématiques, pour qui la littérature de jeunesse ne constitue nullement un objet d'apprentissage... 3. Dernière clé : les heures attribuées à chaque AA sont données en présenciel à raison de 75 %, les 3 25 % derniers correspondant à du travail autonome. Cette mesure permet ainsi de limiter les heures à prester par les étudiants sur les bancs de l'école (dans la formule précédente, elles s'élevaient jusqu'à 30h de 60 minutes par semaine) et développe leur autonomie. 4. Les principales difficultés vécues ? Les multiples contraintes à intégrer, la rapidité avec laquelle il a fallu mettre en œuvre des textes parfois bien peu précis et fluctuants, les accords à trouver en équipe... 5. Les principaux apports ? Plus de cohérence, une meilleure connaissance réciproque par les enseignants de ce qui se fait dans chaque cours et une collaboration progressivement accrue. Bloc 1 (= 1re année) Quadrimestre 1 Quadrimestre 2 Crédits UE 101 AA Heures Crédits Option : Français Langue Etrangère et Seconde ou Religion 6 FLES / Religion 45 AA Ateliers de formation professionnelle FLES / Religion UE 112 Décol(l)age : observer et se poser des questions pour se préparer à faire apprendre AA FLES / Religion Heures 30 15 9 UE 122 Atterri'stage : observer et se poser des questions, faire apprendre 16 AA Ateliers de formation professionnelle 70 AA Ateliers de formation professionnelle 37 AA Didactique du français 15 AA Préparation de stage 12 AA Pédagogie générale 30 AA Stage d'ouverture 15 AA Identité de l'enseignant 15 AA Stage pédagogique (2 x 1 semaine) 60 AA Stage d'observation et de participation 15 AA Didactique du français 15 AA Didactique du FLES / de la religion 15 AA Psychologie des apprentissages 30 AA Identité de l'enseignant 15 AA Module « Expression » 12 UE 113 S'immerger dans la culture littéraire 7 UE 123 S'immerger dans le littérature de jeunesse 6 AA Littérature 75 AA Littérature de jeunesse 45 AA Histoire des religions 15 AA Philosophie des religions 15 UE 114 Pratiquer et analyser la langue 6 UE 124 Pratiquer, analyser et enseigner la langue 6 AA Grammaire 35 AA Grammaire 30 AA Maitrise de la langue française 25 AA Linguistique 30 AA Maitrise de la langue française 20 UE 115 Grandir et communiquer 4 AA Psychologie de la relation et de la communication 30 AA Psychologie du développement A 15 AA Psychologie du développement B 15 TOTAL 425 TOTAL 371 4 Bloc 2 Quadrimestre 1 Quadrimestre 2 Crédits UE 201 AA Heures Crédits Option : Français Langue Etrangère et Seconde ou Religion FLES / Religion UE 202 60 52 7 AA FLES / Religion 30 AA Ateliers de formation professionnelle FLES / Religion 15 Enseigner et faire apprendre AA Ateliers de formation professionnelle Heures 24 AA Ateliers de formation professionnelle 17 AA Préparation de stage 12 AA Préparation de stage 12 AA Stage pédagogique (2 semaines) 60 AA Stage essai 24 AA Didactique générale du français 25 AA Stage pédagogique (2 semaines) 60 AA Psychologie des apprentissages 30 AA Didactique générale du français 15 4 AA Evaluation des apprentissages A 15 AA Evaluation des apprentissages B 15 AA Initiation à la recherche en éducation 30 AA Citoyenneté UE 213 Pratiquer, analyser et enseigner la langue 8 UE 223 (Faire) lire et écrire 9 AA Grammaire 45 AA Littérature 40 AA Linguistique 25 AA Littérature de jeunesse 15 AA Didactique de la lecture 25 AA Didactique de l'écriture 30 UE 214 Préparer et vivre un projet de voyage culturel 5 UE 224 Former un citoyen 7 AA Ouverture de l'école vers le monde extérieur 15 AA Citoyenneté 26 AA Techniques de gestion de groupe 30 AA TICE 30 AA. Didactique générale du français 10 AA Français 15 AA Voyage culturel 12 AA Psychologie du développement 30 TOTAL 410 TOTAL 444 5 Bloc 3, à l'état de projet, en application en 2016-2017 Quadrimestre 1 Quadrimestre 2 Crédits UE 301 AA Heures Crédits Réaliser un TFE TFE Heures 16 40 AA TFE 15 AA Initiation à la recherche en éducation 15 AA TICE 30 AA Activité optionnelle 1 15 AA Maitrise de la langue 15 AA Activité optionnelle 2 15 UE 302 Faire apprendre AA Ateliers de formation professionnelle AA 23 Préparation de stage 26 AA Ateliers de formation professionnelle 8 12 AA Préparation de stage 12 AA Stage dans l'enseignement ordinaire (3 semaines) 90 AA Stage dans l'enseignement ordinaire (3 semaines) 90 AA Stage dans l'enseignement spécialisé ou les CEFA (1 semaine) 30 AA Stage projet personnel (2 semaines) 60 AA 30 AA Stage dans l'enseignement primaire (1 semaine) 30 AA Approche théorique de la diversité culturelle B 15 Différenciation des apprentissages UE 313 Formation sociale 3 AA Elaboration du projet professionnel 15 AA Accès à la profession 12 UE 323 Formation générale 2 AA Sociologie et politique de l'éducation 30 AA Initiation aux arts et à la culture 15 AA Approche théorique de la diversité culturelle A 15 AA Etude critique des grands courants pédagogiques 15 AA. Formation à la neutralité 20 UE 314 (Faire) apprendre le français 9 AA Langue-grammaire-linguistique 30 AA Didactique générale du français 30 AA Didactique de l'oral 30 AA Littérature 60 UE 315 Option : FLES ou Religion 4 AA FLES ou Religion 60 AA Ateliers de formation professionnelle FLES ou Religion 5 TOTAL 535 TOTAL 382 Pour l'équipe, Jean KATTUS 6 Parler coyote ou parler girafe ? La communication non violente au service du vivre-ensemble - TFE - L’idée que l’Ecole est effectivement un lieu où les élèves acquièrent, entre autres, des compétences les rendant aptes à se connaitre pour, ensuite, prendre leur juste place dans la société et entrer en relation de manière authentique avec les autres n’est pas partagée par tout le monde. Divers articles et témoignages accusent même cette institution de ne pas répondre aux « vrais » besoins des élèves et de ne pas les préparer à la vie. Pourtant, je reste intimement convaincue que l’école est un lieu qui doit aider les élèves à devenir des citoyens à part entière, capables d'affirmer leur individualité tout en étant aptes au vivre-ensemble. C’est pourquoi j’ai décidé, dans le cadre de mon TFE, de réfléchir à la manière d’enseigner aux élèves l’esprit critique, de leur apprendre à trouver leur juste place dans la société, de pouvoir se protéger de ses dangers ainsi que d’être capables d’affirmer leurs droits, tout en étant conscients de leurs obligations. Tout cela sans pour autant adopter des comportements violents. Voici donc un aperçu rapide des recherches que j’ai menées. Tout d’abord, une problématique à cibler… Durant mes recherches, j’ai découvert la notion d’assertivité. Il s’agit d’une attitude affirmée et sûre de soi qui favorise l’égalité dans les relations humaines en nous permettant d’agir au mieux de nos intérêts, de nous défendre sans éprouver d’anxiété excessive, d’exprimer nos sentiments librement et sans détour, et d’exercer nos droits sans nier ceux des autres.1 Au fil de mes lectures, il m’a semblé que l’apprentissage d’une attitude assertive, visant donc à apprendre à s’affirmer dans le respect de l’autre, permettrait d’aborder avec les élèves les notions de respect de soi, de respect de l’autre et par conséquent du vivre-ensemble. Je me suis alors penchée sur la question de savoir comment les cours de français et de religion pourraient permettre aux élèves d’améliorer leur assertivité. J’ai découvert qu’en 2005, Marshall ROSENBERG avait développé une méthode dite de « la Communication Non Violente» (CNV) qui permettrait d’adopter une attitude assertive. Je me suis aperçue que l’apprentissage de cette méthode était intimement lié aux compétences de l’oralité travaillées dans le cours de français et à la thématique de la violence traitée dans celui de religion. J’ai donc choisi d’approfondir cette problématique au sein de mon TFE en articulant ma réflexion autour de cette question : En quoi l’apprentissage de la CNV (Communication Non Violente) aux cours de français et de religion peut-il permettre aux élèves d’améliorer leur assertivité et d’instaurer un climat de bienveillance dans le groupe classe, climat propice aux apprentissages ? 1 Alberti, Emmons et Robert, S'affirmer, savoir prendre sa place. Le jour Editeur, 1992. 7 Ensuite, un dispositif à mettre en place… Par mes lectures, j’ai appris que l’apprentissage de l’assertivité pouvait être abordé par des portes d’entrée différentes, telles qu’illustrées dans le schéma ci-dessous. C’est pourquoi le dispositif que j’ai mis en place consistait, dans un premier temps, à préexpérimenter chaque facette individuellement dans différentes classes pour, dans un deuxième temps, expérimenter toutes les facettes dans un même parcours ayant comme projet la création d’un cercle de parole bimensuel dans une classe de première différenciée. L’objectif de ce projet était de réinstaurer un climat de bienveillance dans le groupe classe et une relation de confiance entre les élèves. Durant le cercle de parole, les élèves ont la liberté d’exprimer leurs besoins tout en prenant en compte ceux des autres. Chaque demande est traitée selon la méthode de la CNV. Celle-ci vise à permettre à l’élève de pouvoir entendre une contestation ou une remarque sans s’en offenser et à oser énoncer ce qui lui pose problème sans adopter de comportement agressif. Quelques idées… Voici quelques-uns des outils qui me semblent être les plus pertinents. Frasbee Cette animation se déroule en deux parties. Dans un premier temps, les jeunes étaient séparés en deux groupes et chaque sousgroupe avait en sa possession huit affirmations. Chaque groupe devait, sur base d’un consensus, trier les phrases en quatre tas : deux phrases avec lesquelles les participants étaient d’accord, deux avec lesquelles ils n’étaient pas d’accord, deux avec lesquelles ils étaient plus ou moins d’accord et deux à mettre de côté. Dans un deuxième temps, les animés ont dû faire part de leurs choix à l’autre groupe en veillant à argumenter. Par cet échange, un débat se crée autour des huit phrases. (Outil proposé par la Mutualité Chrétienne http://www.et-toi.be ) Jeu : création d’une exposition Un cercle de parole fictif dans lequel les élèves doivent se parler et s’écouter afin de trouver des compromis leur permettant de réussir l’organisation d’une exposition scolaire. Pour ce jeu, les élèves étaient séparés en trois groupes. Chaque groupe représentait un acteur de l’école : les professeurs, le directeur et les élèves. Chaque groupe avait en sa possession une fiche reprenant les exigences sur lesquelles ils ne pouvaient pas transiger. L’objectif de ces fiches était de ne pas donner la possibilité aux élèves d’adopter un comportement de fuite. C’est ensemble que les élèves devaient résoudre les conflits. Le choix de mettre les élèves en situation fictive a été fait pour éviter de les mettre dans une situation où ils devaient s’impliquer personnellement et qui pouvait devenir stressante. 8 Création de saynètes Par groupes, les élèves reçoivent une situation conflictuelle à résoudre et à transformer en saynète. Ensuite, ils présentent leur production à l’ensemble de la classe. En tant qu’activité fonctionnelle de départ, cette activité permet de dégager et de théoriser les quatre types de comportements face au conflit (fuite, agressivité, manipulation, assertivité). En tant qu’activité fonctionnelle de réinvestissement, cette activité permet aux élèves de réinvestir les apprentissages en utilisant la méthode en quatre étapes de la CNV pour résoudre le conflit. Histoire du pommier Un pommier porte des pommes rouges à gauche et vertes à droite. Deux hommes, Albert et Roger, se tiennent respectivement à gauche et à droite de cet arbre. Albert, étant à gauche, est persuadé que les pommes sont rouges et Roger, étant à droite, est certain que les pommes sont vertes. Comme ils ne sont pas d’accord, une dispute éclate. Après un certain temps, Albert décide de se déplacer et de rejoindre Roger. Voyant l’arbre du point de vue de Roger, il se rend compte que sa vision était subjective. Il invite Roger à venir observer le pommier du côté gauche. Ce dernier s’aperçoit également que sa vision était erronée. Une conclusion plutôt positive… Pour répondre à la question de départ de mon travail, j’ai mis en place deux moyens différents : le premier consiste à analyser les résultats d’un questionnaire donné aux élèves avant et après l’expérimentation et le deuxième moyen consiste en une analyse qualitative réalisée sur base de mes observations et des observations faites par le maitre de stage. Les résultats du questionnaire sont plutôt positifs : je constate une augmentation, même si elle reste légère, du nombre d’élèves ayant un comportement assertif comme comportement dominant après l’expérimentation. De plus, il y a également une diminution voire une disparition du nombre d’élèves ayant un comportement agressif comme comportement dominant. Les observations sont aussi concluantes. La sécurité affective, la confiance, la recherche de sens et de motivation ainsi que la coopération se sont améliorées durant l’expérimentation. Par exemple, lors des exposés oraux des élèves, j’ai constaté plus de confiance chez eux: ils étaient moins timides, demandaient pour intervenir les premiers, étaient souriants et contents de passer devant la classe. J’ai aussi observé, de la part des élèves-spectateurs, une écoute plus attentive, une diminution voire une disparition des paroles et gestes blessants et humiliants vis-à-vis des élèves qui passaient. Cependant, je pense que cet apprentissage serait plus pertinent s'il était mis en place en début d’année et si le dispositif était moins condensé et planifié sur une plus longue période. D’autres bénéfices ont été constatés : ce sont également les pratiques relationnelles de l’enseignant qui s’améliorent. Avant de l'enseigner à d’autres, la méthode de la CNV doit être maitrisée. En l’utilisant et en adoptant un comportement assertif vis-à-vis des élèves et des autres acteurs de l’école, l’enseignant se transforme. Tout au long de ce travail, j’ai pris conscience des bénéfices 9 issus de ces transformations. D’ailleurs, une amélioration, entre autres, de mes capacités en tant que « personne en relation » et « acteur social »2 a été observée. De plus, l’assertivité tend à favoriser chez l’enseignant une analyse réflexive plus objective et, du coup, plus efficace. Par les observations que j’ai réalisées, je reste convaincue de l’intérêt de cet enseignement pour les élèves. Ce travail fut donc très enrichissant. Il m’a permis de remettre en question mes pratiques et d’enrichir ma vision de l’enseignement. La CNV est une méthode en quatre étapes qui permet d’adopter un comportement assertif. L’objectif de cette méthode est donc de devenir capable de s’exprimer avec authenticité et d’écouter avec empathie. Pour y arriver, la CNV est composée de trois clés : parler de soi, écouter en silence et reformuler. Le schéma ci-dessus représente les relations entre ces différents éléments. Et la bande dessinée de la page suivante peut constituer un poster à afficher en classe et auquel les élèves pourront se référer. 2 Deux des six facettes de la personne enseignante à développer (voir les rapports de stage de HELMo Sainte-Croix), avec “maitre instruit”, “praticien réflexif”, “pédagogue” et “didacticien”. 10 Alicia BUSCEMI 11 De l'oral pendant un an Au terme de leur formation, il importe que les étudiant(e)s / jeunes diplômé(e)s aient réfléchi à la programmation de l'enseignement des compétences sur une année scolaire entière puisque cette question se posera immanquablement à la rentrée, pour ceux qui, bien sûr, auront la chance de trouver de suite un emploi d'une année complète. C'était l'objet d'une des questions de l'examen de juin en didactique de l'oral : Nous sommes le 1er septembre et tu abordes une classe de 1re année, dont tu seras la/le titulaire. Tu disposeras de 28 semaines de cours à 6 périodes de français, soit un total théorique de 168 h. Comment, dans ce cadre-horaire, organiseras-tu l'apprentissage de l'oral ? Quelle proportion pour l'oral et quels choix principaux (contenus et méthodologies) ? Tes nouveaux collègues t'ont demandé de leur expliquer tes choix et tu as donc préparé cette réunion par écrit. Explique et argumente à chaque fois, de façon très structurée : choix 1 + argument(s), choix 2 + argument(s), etc. Va à l'essentiel : tu disposes de 2 faces maximum. En guise d'information, voici des extraits significatifs du programme du 1er degré commun, relatifs à l'oral : Fiche 6 : Ecouter et dire des textes littéraires pour partager sa lecture grâce aux ressources expressives de l'oralité Compétence : Ecouter et dire des textes littéraires (textes narratifs, poétiques et dialogués) pour produire du sens à partir de moyens non verbaux. Objets à produire : Lecture à voix haute de textes Déclamation de textes poétiques Jeu (mise en espace ou en scène) de textes dialogués Prescrit : La lecture à voix haute et un autre genre oral au choix Fiche 7 : s'écouter et se parler dans le cadre scolaire et social Compétence : (s')écouter, (se) dire, échanger et demander en ajustant sa communication aux caractéristiques et aux normes de la situation pour mieux participer à la vie collective Objets à produire : Ecouter - Manifester des signes non verbaux d’écoute durant la communication - Rendre compte de son écoute après la communication par des signes verbaux (question, demande d’explicitation, réaction...) ou par une médiation Parler : - Prise de parole individuelle en public (en direct ou enregistrée) : présentation de soi, d’un avis, d’un document, du fruit d’un travail de groupe, d’une expérience, d’une activité, d’une lecture - Echanges entre pairs : travail de groupe, conseil de tous, discussion sur une lecture - Echanges avec un adulte : demande de renseignements, d’explication, d’aide, d’autorisation ... Prescrit : Objets à produire : un genre de prise de parole individuelle, un genre d’échange entre pairs et un genre d’échange avec un adulte. 12 Voici copie, avec son autorisation, de la (très bonne, à mon sens) réponse de Florine DE POTTER. En bleu, quelques notions commentées à la suite de la copie de l'examen. Notes pour la réunion sur l'oral 1. Horaire = Enseigner quand ? Pour enseigner l'oral, il faut respecter le principe « Chacun, un peu, souvent » difficile de calculer précisément le nombre de périodes consacrées à l'apprentissage de l'oral (= environ un tiers du total ?) 2. Enseigner quoi ? Pour pratiquer l'oral, je vais m'organiser en fonction des objets à produire : c'est plus simple et plus structuré. Ne pas oublier de varier les perspectives et de pratiquer un « oral vrai » (>< oral purement scolaire). ORAL Perspective expressive Perspective communicationnelle sans interactions avec interactions à deux Par exemple : slam extrait de théâtre ... exposé lecture à voix haute ... interview discussion ... à plusieurs débat réunion ... 3. Programme a) la lecture à voix haute : oraliser un conte du pourquoi (Fiche 6 – perspective expressive). b) l'exposé : intéressant en 1re année pour apprendre à se connaitre mutuellement et créer un bon climat de classe : demander de se présenter de façon approfondie, présenter une passion/un domaine dont on est le spécialiste... (Fiche 7 – perspective communicationnelle). c) la conversation : c'est moins « vaste » que le débat (qui serait abordé en 2e année ? : à décider ensemble – Je suis ouverte à la négociation bien entendu. Si ces choix ne conviennent pas, nous pouvons en discuter. De toute façon, nous suivons une approche spiralaire en ce qui concerne les apprentissages de l'oral (revoir et réactiver ce qui a déjà été abordé et y greffer de nouveaux apprentissages). 4. Sens des activités : mettre les élèves en projet de communiquer, relier les activités à la « vie réelle ». 5. Quelques principes à retenir lorsqu'on travaille l'oral avec les élèves : 13 - Oralité = deux compétences : parler et aussi écouter : enseigner l'écoute active est très important (reformulations, questions exploratoires...). - Lecture à voix haute = deux compétences en interaction : 1) comprendre le sens du texte choisi (par exemple les émotions des personnages) et 2) oraliser à l'aide des outils de la voix tâche très complexe. - Renforcement positif : identifier en premier lieu les points forts, valoriser l'élève et sa production le plus souvent possible (applaudir par exemple) l'élève prend confiance et entre dans un « cercle vertueux ». C'est une condition pour qu'il puisse s'améliorer. Ces renforcements sont importants car prendre la parole, c'est s'exposer au regard des autres. Or, « complexe du homard 3». C'est donc une action à encourager, à féliciter. - « Tous capables ». Et même le professeur peut participer : lui aussi communique et s'exprime, comme les élèves. 6. Objectifs et évaluation Evaluer les élèves de façon formative et continue (cf le principe « Chacun, un peu, souvent »), par exemple à l'aide d'une grille complétée à chaque prise de parole. Cela permet à l'élève de prendre conscience de son profil d'orateur et d'enrichir sa palette de possibilités expressives. Commentaires didactiques : 1 « Chacun, un peu, souvent » / approche spiralaire Vingt-quatre élèves font un exposé de 5 minutes, à la suite les uns des autres, exposé suivi d'une rapide analyse... Ennui assuré, non ? Sans vouloir supprimer l'exercice de l'exposé, au demeurant très formatif, sans doute vaut-il mieux choisir d'autres modes d'intervention moins gourmands en temps : par exemple demander à quelques élèves de préparer la lecture à voix haute du passage qu'on lira en classe au cours prochain, profiter des réponses des élèves à nos questions pour souligner les qualités ou les difficultés évidentes de leurs interventions, mettre à profit les 5 dernières minutes du cours pour proposer aux élèves de dire leur phrase « fétiche » du moment avec force de conviction, etc. Les critères de qualité 4 émergent ainsi peu à peu, sont répétés (= approche spiralaire) et on peut y faire référence (on peut aussi les noter sur une affiche épinglée au mur de la classe)... L'oral, ce n'est pas difficile, il « suffit » d'y être attentif pour trouver constamment des occasions de le travailler chacun, un peu, souvent... 2. Un oral vrai Parler, oui, mais pour dire quoi ? Ânonner un texte écrit au préalable, auquel on ne croit pas, qu'on a produit parce qu'il le faut bien et parce qu'on croit que c'est ce que le professeur attend, et en plus mal appris par coeur ? Quel dommage et quelle perte de temps, alors que la plupart des jeunes, une fois hors de la salle de classe, retrouvent leur langue pour se raconter des histoires, échanger des informations, parler de ce qu'ils aiment, etc. Je suggère donc que régulièrement (chacun, un peu, souvent...), le professeur demande aux élèves de raconter, en quelques mots (une à deux minutes maximum), des histoires, des anecdotes, qui leur sont arrivées : une minute par personne sur des thématiques variées : « J'ai eu la peur de ma vie », « Ce qui m'a impressionné, c'est... », « J'ai éprouvé beaucoup d'admiration pour... », « Ce jour-là, j'ai compris que... ». 3 4 Françoise Dolto a inventé cette image (le complexe du homard) pour représenter la crise d’adolescence. L’enfant se défait de sa carapace, soudain étroite, pour en acquérir une autre. Entre les deux, il est vulnérable, agressif ou replié sur lui-même. Voir l'article les présentant dans le numéro 1 de cette revue. 14 Une contrainte : pas question d'inventer quoi que ce soit : chacun raconte un épisode réel de sa vie. Un droit : choisir ce que l'on dit (il ne s'agit pas de dévoiler des éléments intimes de sa vie). Des aides : peu à peu, on peut chercher avec les élèves ce qui aide à bien raconter, comme par exemple : - commencer par la mention du lieu et du moment où l'histoire s'est passée : « C'était il y a deux ans, pendant les vacnces que je passais à la mer. » - terminer par une conclusion, par exemple la leçon que l'on tire pour l'avenir de l'expérience vécue. 3. Conversation Un sujet imposé, deux élèves qui en discutent pendant 2 minutes, et le reste de la classe qui observe les stratégies de chacun : ce qui est dit, la voix, l'image corporelle. Le lendemain, deux autres élèves, qui réinvestissent les apprentissages de la veille. 4. Oralité = deux compétences Travailler l'oral est souvent confondu avec le seul travail de la compétence parler. Or, lorsqu'une personne de la classe parle, les 24 autres écoutent ! Il s'agit donc d'amener peu à peu l'ensemble de la classe à développer une écoute attentive et de modifier ainsi les représentations que les élèves ont de l'oral : quand on écoute, on travaille, car on a le projet de comprendre et on apprend à observer précisément la façon dont celui qui parle s'y prend. 5. Outils de la voix / Enrichir sa palette de possibilités expressives La voix est un couteau suisse : certains se servent toujours de la grande lame, d'autres de la petite... Un des objectifs de la formation des élèves à l'oral est de les rendre conscients de toutes les facettes de la voix, qu'ils peuvent utiliser pour convaincre, émouvoir, capter l'attention... et de les amener, à partir de leur usage habituel de leur voix, à se doter de nouvelles possibilités. 6. Confiance / « Tous capables5 » Comme jeune, comme adolescent, comment oser prendre la parole devant le groupe sans être assuré d'un minimum de bienveillance de la part de l'enseignant et du groupe ? Et si cette confiance est mise à mal, comment envisager un quelconque progrès ? D'où l'absolue nécessité pour l'enseignant de donner confiance aux élèves, de les mettre à l'aise, de créer les conditions d'un travail dans le respect de chacun, de valoriser les réussites et de répéter autant de fois que nécessaire cette conviction que chacun est capable d'apprendre. 7. Grille d'évaluation formative et continue / Profil d'orateur Chaque élève reçoit ce profil d'orateur et le complète dès qu'il prend la parole et reçoit un retour : Ce que je dis : mes mots, mes phrases... Ma voix : volume, intonation, ... Mon corps : mes gestes, mon regard... Séance 1 Objectif essentiel à poursuivre : Séance 2 Objectif essentiel à poursuivre : Séance 3 Objectif essentiel à poursuivre : Et surtout... amusez-vous à parler, échanger, jouer de la voix et des gestes ! Jean KATTUS 5 « Tous capables ! » La formule portée avec audace par le GFEN (mouvement pédagogique héritier de Langevin et de Wallon, présidents successifs de 1936 à 1962) fut d'abord un parti-pris éthique (relevant d'une philosophie de l'éducation) et simultanément un défi pédagogique (pour en attester) avant de trouver un étayage scientifique, puis de devenir un principe institutionnalisé. http://www.gfen.asso.fr/fr/touscapables_jacques_bernardin_2014 15 L'index des articles de D'un(e) prof... à l'autre pour nourrir la réflexion et l'action concernant le travail de l'oral Plusieurs articles touchant à l'oralité ont été publiés au fil des ans dans cette revue. Ils sont classés en deux rubriques, « Parler » et « Voix ». Consultez-les afin de poursuivre votre réflexion et récolter des idées variées pour enseigner les compétences d'oralité. Pour rappel... 1. Tous les numéros de la revue sont téléchargeables sur le site www.helmo.be > Formation continuée > D'un(e) prof à l'autre > Publications 2. L'index complet des articles est également disponible en suivant la même procédure. 18. Parler Audio-guide – Je vous emmène au BAL (2) N° 57 / p. 8 Bu sur le web N° 59 / p. 9 Conjuguer citoyenneté et apprentissage de l’oral –10 décembre, journée internationale des N° 51 / p. 2 Droits de l’Homme Déterminer le profil d’orateur d’un conférencier N° 1 / p. 22 Discuter : Lecture en réseau pour réfléchir à l’écologie N° 61 / p. 9 Ecrit et oral réflexifs N° 44 / p. 21 Exposé – Travailler l’exposé N° 3 / p. 17 Fable – Dire une fable : La Tortue et les deux Canards N° 50 / p. 6 GTA5 : débattre N° 60 / p. 7 Kamishibaï N° 56 / p. 8 Kamishibaï : un outil pour développer l'écriture et l'oralité N° 69 / p. 5, N° 70 / p. 13 Intonation et rythme – Une comptine et dialogue pour les travailler N° 35 / p. 11 Lecture-spectacle N° 69 / p. 2 Lire des histoires à voix haute à des enfants N° 24 / p. 9 Parler d’un souvenir de vacances N° 37 / p. 3 Phrase boule de neige N° 20 / p. 2 « Scène » de prise de parole - Extrait d’un roman N°25 / p. 2 24. Voix Audio-guide – Je vous emmène au BAL (1) N° 56 / p. 2 Audio-guide – Je vous emmène au BAL (2) N° 57 / p. 8 Fable – Dire une fable : La Tortue et les deux Canards N° 50 / p. 6 Intonation et rythme – Une comptine et dialogue pour les travailler N° 35 / p. 11 Lecture-spectacle N° 69 / p. 2 16 Stromae est-il si formidable ? Travailler sur les caractéristiques verbales du débat argumentatif : 1re approche Pour qui pratique le débat en classe, une question se posera immanquablement : quels savoir-faire langagiers sont susceptibles d’amener les élèves à exprimer plus aisément leurs idées ? Les compétences le plus souvent abordées et travaillées concernant ce genre oral portent sur les niveaux 1, 2, 6 et 7 du texte : il s’agit donc avant tout d’attirer l’attention de l’élève sur les enjeux du débat, les intérêts de chacun des protagonistes et le contexte dans lequel il prend forme (niveau 1), les idées qui peuvent étayer les différentes positions (niveau 2), les paramètres de la voix (niveau 6) et les attitudes qui accompagnent la parole (niveau 7). Pourtant, parmi les faiblesses récurrentes manifestées par les débatteurs, les lacunes verbales se taillent une part remarquable. Nombreux sont en effet les étudiants qui, lors des débats qu’on organise en classe, peinent à développer leurs idées et expriment leur position de façon minimaliste. N’ont-ils pas d’idées ? Leur manque-t-il les mots et les tournures qui permettent de les exprimer ? Peut-être les deux font-ils défaut de manière concomitante, tout intriqués qu’ils sont ? Dans le présent article, je propose de mener une analyse du niveau verbal (et non paraverbal ni corporel) de la langue parlée à partir de la transcription6 d’une interview (reproduite page 40). L’objectif de cette analyse est d’isoler des structures plus ou moins propres au débat oral et de retenir au final les plus fonctionnelles d’entre elles. Délicat, à partir d’un seul texte, de prétendre à une quelconque scientificité de la démarche : l’objectif est moins théorique que pragmatique et l’élève ne doit pas disposer d’un arsenal exhaustif de structures langagières appropriées pour être en mesure de prendre part à ses premiers débats. En outre, une telle démarche pourra se répéter à plusieurs reprises et l’arsenal s’étoffera ainsi progressivement. Je laisse à vos soins, lecteurs didacticiens, d’insérer cette analyse dans une séquence complète : à vous donc d’imaginer une première activité fonctionnelle à partir ou non du support que je propose ainsi qu’une activité fonctionnelle de réinvestissement. Je vais tâcher en ce qui me concerne de prendre en charge les activités de structuration. Quelles critiques Nicolas Capart, journaliste indépendant et critique musical, adresse-t-il à Stromae ? Recopions-les dans la 1re colonne du tableau ci-dessous : Critiques concernant l’artiste Stromae Tournure remarquable Vocabulaire intéressant 1. C’est un artiste intéressant, mais on en fait trop. 2. "Racine Carrée" est un bon 2e disque mais pas la panacée. 3. Si je considère que Stromae n’a pas de génie mais du talent, je vise ses grandes qualités de producteur. 4. Prendre comme marqueur son buzz aux 300.000 vues sur YouTube me gêne. 5. N’est pas forcément populaire celui qui a la meilleure proposition artistique. 6. On devine en filigrane des influences hip hop, de rumba congolaise, mais dans sa globalité, cela reste une machine à tubes eurodance, soit le niveau zéro pour les vrais amateurs de musique. 6 Une transcription retouchée, forcément. Ce n’est plus de l’oral spontané. 17 7. Quand il se dit gêné par cette comparaison, c’est de la com. 8. Il surfe allègrement sur la vague belgitude. 9. Du coup, il y a un trop plein. 10. Le ketje est devenu star d’un public pas vraiment fan de musique. 11. Et naviguer en vents contraires, c’est s’exposer à la foudre populaire qui le vénère, forcément. 12. Cette espèce de faux complexe d’infériorité du Belge que Stromae a su parfaitement digérer et incarne en surfant sur la vague de l’humilité. 13. Au diable le politiquement correct, ce que je voudrais parfois, c’est le secouer. Du point de vue du lexique, on pourrait épingler certaines expressions que l’on utilisera plus volontiers à l’oral qu’à l’écrit : on en fait trop, il y a un trop plein, une machine à tubes, c’est de la com, fan. Attardons-nous à présent sur quelques structures intéressantes – ressortissant autant que possible davantage à l’oral –, notamment employées dans l’expression d’un jugement. Des mots de liaison : mais semble s’imposer (phrases 1, 2 et 6) pour introduire une idée que l’on oppose à celle qui précède la conjonction ; du coup (9), signalé comme familier par le Robert, pour introduire une conséquence ; soit pour expliciter ce qui vient d’être dit. La conjonction si (3) n’introduit pas ici une condition mais plutôt une affirmation que l’on se propose d’affiner, de compléter. Dans le même ordre d’idées, quand (7) n’a pas vraiment une valeur temporelle dans l’exemple qui précède : son rôle est plutôt d’indiquer un comportement ou des propos (quand il dit que) que l’émetteur entend par la suite démystifier. Des constructions particulières : La vague belgitude (7)… Autres exemples de cette construction trouvés sur la toile : la vague tablettes, la vague SUV, le style Renaissance : les compléments sont directement liés à leur nom, sans l’intermédiaire d’une préposition, construction aussi bien attestée à l’écrit qu’à l’oral. Placer l’infinitif en position de sujet (4, 11) n’est pas une tournure propre à l’oral, loin s’en faut. De telles constructions témoignent d’une maitrise stylistique assez fine. On notera que dans la phrase 11, l’infinitif est antécédent de c’ – sujet de est – et détaché en tête de phrase. Cette construction (A, c'est B) est particulièrement fréquente à l'oral. La phrase 5 comporte une inversion qui relève plutôt d’un registre assez soutenu, tournure conférant aux vérités générales une allure proverbiale qui en accentue l’aspect incontestable. On notera aussi des structures averbales comme Au diable le politiquement correct et Cette espèce de sentiment d’infériorité du Belge que… La première revêt un caractère péremptoire intéressant ; la seconde est à considérer comme une reformulation nuancée de compléments qui précèdent. Enfin, dans la phrase 13, on relève une structure propre à l’oral et qui consiste à scinder le groupe verbal au moyen de ce qui/ce que/ce dont… c’est…, scission qui permet d’isoler et donc de mettre en évidence le complément du verbe. Conclusion de cette brève analyse : il n’est pas facile d’isoler des tournures propres à l’oral. On peut d’ailleurs se demander si l’exercice est pertinent. La grammaire, traditionnellement portée sur la langue écrite « contrôlée », devrait aussi rendre compte de tournures plus spontanées, moins 18 élaborées, telles que celles que nous émettons sans trop réfléchir lorsque nous parlons. L’objectif d’une telle étude, rappelons-le, consiste à faciliter le déstockage des idées dans le chef de l’élève, en lui fournissant, progressivement, un répertoire de mots et de tournures appropriés. Et il me semble que l’on peut considérer que ces mots et tournures sont appropriés s’ils répondent à nos intentions communicationnelles et si leur construction ne contrevient pas au sentiment linguistique des locuteurs ou, plus objectivement, s’il est possible d’établir des liens de dépendance attestés par ailleurs entre les éléments de la construction examinée. Comment aborder ce matériau avec les élèves ? La « stratégie » argumentative de Nicolas Cappart revient à reprendre les mérites que l’on attribue d’ordinaire à Stromae pour les contester, les réfuter. Et quels sont les mots par lesquels s’exprime cette réfutation ? Voici la question à partir de laquelle nous pourrions mener l’analyse des 13 arguments ci-dessus avec les élèves. On pourrait aussi demander à l’élève de sélectionner lui-même les constructions qui lui paraissent particulièrement « adaptées » au débat argumentatif. On aura soin au préalable de définir avec son aide ce que recouvre dans ce cadre le participe « adapté » (= clair, efficace, lapidaire, incisif… ?). Enfin, on ne se contentera pas d’un simple relevé de formes plus ou moins intéressantes. On veillera à ce que certaines d’entre elles fassent l’objet d’une étude particulière, toujours dans le but d’amplifier le répertoire langagier des élèves. Voici quelques questions qui permettraient un tel approfondissement : Peut-on remplacer mais par d’autres mots de liaison dans les 2 premières phrases ? Fais-le, en modifiant au besoin la ponctuation des phrases. Les expressions que tu as utilisées conviendraientelles, ainsi que mais, à un débat oral ? Reformule autrement la phrase 4, afin qu’elle ne commence pas par prendre. Compare la phrase que tu obtiens avec celle de l’interview. Laquelle te parait la plus efficace dans un débat ? Pourquoi ? Reformule la phrase 5 en te contentant de changer la place de ses éléments. Compare ta phrase à l’originale au point de vue des effets sur le lecteur. Stromae est selon Nicolas Cappart une machine à tubes… Que penses-tu de l’expression ? Pourrais-tu formuler cette idée de manière plus avantageuse pour Stromae ? Dans les phrases 8 et 12, compare les compléments du nom vague. Que constates-tu au niveau de la construction du complément du nom ? Connais-tu d’autres expressions semblables, de par leur construction, au syntagme la vague belgitude ? Dans la phrase 11, remplace c’est par une expression équivalente7. Est-ce possible/souhaitable ? Ce que je voudrais, c’est le secouer. Essaie de réduire cette phrase à ses éléments essentiels, en supprimant ce qui te parait facultatif. Compare, au niveau des effets obtenus, ta phrase à l’originale. Sur la base de ce modèle, construis 5 autres phrases, relatives à toi-même : Ce que je déteste, ce sont les films d’horreur. Ce qui m’inquiète, c’est… Voilà. Il vous reste, chers lecteurs, à imaginer des activités fonctionnelles qui puissent encadrer cette étape de recensement et d’analyse. A votre place, je ne chercherais pas midi à 14 heures : la question qui a suscité le texte qui suit et l’article que vous venez de lire est suffisamment motivante, non ? Pierre-Yves DUCHATEAU 7 Je pense à revient à : Et naviguer en vents contraires revient à s'exposer à la foudre populaire qui le vénère, forcément. 19 Stromae est-il si fôôôôrmidable ? Non, selon Nicolas CAPART, critique musical et journaliste indépendant. Depuis le buzz youtubesque d'un Stromae faussement éméché dans les rues de la Capitale, les louanges tombent du ciel comme les gouttes de pluie un jour de drache nationale. Pourtant, la question mérite d'être posée : cet artiste, unanimement porté aux nues depuis que les premières notes de Racine Carrée sont arrivées aux oreilles de la critique et du public, est-il vraiment si formidable ? Stromae est-il si formidable ? C’est un artiste intéressant mais on en fait trop. "Racine Carrée" est un bon 2e disque mais pas la panacée. Il est très malin, instruit, sympa et cultivé, ce qui aide dans une carrière et lui permet d’appréhender sans problème un schéma médiatique. Ce qui lui a permis de s’entourer d’une armada de professionnels qui gère tout. Si je considère que Stromae n’a pas de génie mais du talent, je vise ses grandes qualités de producteur. "Formidable", s’il m’horripile par son phrasé, n’en est pas moins un morceau extrêmement bien produit par ses soins et s’appuyant sur un instrumental magnifique. Peu de gens en parlent, c’est pourtant son plus bel atout. Son buzz en a marqué beaucoup… Prendre comme marqueur son buzz aux 300 000 vues sur YouTube me gêne. Une vidéo sur Internet d’un bébé qui hoquette de rire ou d’un chat qui danse avec un chien fera aussi 300 000 vues… sans qu’ils aient de talent intrinsèque. On ne transforme pas en or des vues sur YouTube. Ses chiffres de vente impressionnent… Ils s’emballent. Maintenant quand on décortique l’historique des meilleures ventes en France, on tombe sur des Michael Youn, des Patrick Sébastien, pas tellement sur des artistes musicaux. N’est pas forcément populaire celui qui a la meilleure proposition artistique. Il est bon de le rappeler. Les médias l’encensent… Ça me rappelle la chanteuse américaine Lana Del Rey. Elle a commencé à distiller des clips mystérieux sur la toile, bien cadrée par sa maison de disques. L’effet démultiplicateur Internet et sa mise en valeur ont été incroyables. Avec la même personne et la même voix qui n’intéressaient personne trois ans plus tôt, ils ont créé de toutes pièces une artiste qui cartonne dans le monde entier. L’emballement de la machine a dépassé sa propre production. Idem avec Stromae, même s’il a plus de talent. Sa musique ? On devine en filigrane des influences hip hop, de rumba congolaise, mais dans sa globalité, cela reste une machine à tubes eurodance, soit le niveau zéro pour les vrais amateurs de musique. Le ketje est devenu star d’un public pas vraiment fan de musique. Les autres n’ont pas le choix d’aimer ou pas Stromae, ils sont contraints de faire avec. Le digne successeur de Jaques Brel ? Quand il se dit gêné par cette comparaison, c’est de la com. Il a tout fait pour que cette référence s’impose. Jacques Brel a chanté l’ivrogne, Stromae offre la version du mec bourré en roulant les "r". Il surfe allègrement sur la vague belgitude. Il est bien sous tous rapports, aime la langue française, la mixité, les valeurs de la famille… Oui, il sait toujours quoi dire. Un gendre idéal consensuel qui dégaine toujours la bonne carte. Passé maître dans l’art de se rendre sympa. Les médias signent et suivent. Du coup, il y a un trop-plein. Paradoxe, celui qui a maximalisé sa com a sorti lors d’une interview sur la RTBF : "Je suis le premier à être dégoûté de quelqu’un, d’un artiste, quand je n’arrête pas de le voir dans les médias et c’est normal… Mais il faut avoir l’humilité de dire stop." C’est le moment, c’est l’instant. Stromae, intouchable ? Il est curieux d’observer le consensus quasi absolu des médias qui entoure Stromae et la sortie de son second album. Et naviguer en vents contraires, c’est s’exposer à la foudre populaire qui le vénère, forcément. C’est aussi le signe d’un certain chauvinisme noir-jaune-rouge. Celui-là même qui incite à porter aux nues le moindre artiste du cru et à s’indigner à la moindre critique négative. Cette tendance à glorifier envers et contre tous nos héros locaux. Cette espèce de faux complexe d’infériorité du Belge que Stromae a su parfaitement digérer et incarne en surfant sur la vague de l’humilité. Au diable le politiquement correct, ce que je voudrais parfois c’est simplement le secouer. Entretien réalisé par Thierry BOUTTE et publié sur le site de La Libre Belgique le mercredi 2 octobre 2013, mis à jour le mardi 15 octobre. 20 On vous informe ! J’ai le plaisir de vous informer de la publication de la 2e édition du document Caractéristiques de 50 genres pour développer les compétences langagières en français. Nous avons développé la partie qui porte sur l’oralité pour les genres oraux. Ce document vise à soutenir le travail des enseignants de français du primaire et du secondaire (inférieur et supérieur) dans le cadre de l’enseignement du français et de la littérature et celui de leurs formateurs. Afin d’avoir la plus large audience possible auprès des enseignants québécois, le choix des genres, leur regroupement et le métalangage utilisé est conforme au document prescriptif ministère de l’Éducation du Québec (Progression des apprentissages) pour l’enseignement français, langue première, au secondaire québécois. Cet outil peut néanmoins être utile à tous enseignants de la francophonie. 50 du du les L’ouvrage est gratuit et disponible en ligne sur le Portail pour l’enseignement du français à l’adresse suivante : http://www.enseignementdufrancais.fse.ulaval.ca/document/?no_document=2306 Suzanne CHARTRAND 21 Prix Versele – 5 chouettes : pensez-y ! Le prix Versele est LE prix littéraire des enfants, porté depuis de nombreuses années par la Ligue des Familles, comme le prix Farniente est celui des adolescents. Mais la sélection « 5 chouettes » du prix Versele convient parfaitement pour assurer la transition entre le primaire et le secondaire : intérêt des thématiques, qualité de l'écriture, variété des ouvrages, tout ce qu'il faut pour accrocher les grands enfants ou les pré-ados à la lecture. Pensez-y en ce début d'année ! Le Ligueur, 26 aout 2015. 22