Quel bilan cardiovasculaire pour quel sportif ? Ou les

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Quel bilan cardiovasculaire pour quel sportif ? Ou les
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Quel bilan cardiovasculaire
pour quel sportif ?
Ou les réflexions
d’un cardiologue du sport
Cette question, assez simple en apparence, est en fait complexe, la réponse à y apporter
devant intégrer des paramètres purement médicaux, mais également médico-légaux,
économiques et démographiques.
Dr Laurent Chevalier (Clinique du Sport, Bordeaux-Mérignac)
P
our commencer, un tel bilan
trouve sa justification dans la
survenue d’accidents cardiovasculaires à l’effort, plus fréquents
qu’on ne le pense. Cependant, la plupart des études dont nous disposons
sur les accidents cardiaques en rapport avec la pratique sportive sont
des travaux rétrospectifs, menés
outre-atlantique (1-5), sur des
groupes ethniques assez différents de
la population que nous évaluons au
quotidien. Un seul travail prospectif
d’envergure a été réalisé en Europe,
mais ne concerne que des sportifs de
moins de 35 ans (6).
Toutes ces séries ont néanmoins eu le
grand mérite de dégager les principaux groupes étiologiques que sont la
myocardiopathie hypertrophique, la
dysplasie arythmogène du ventricule
droit, une anomalie de naissance des
coronaires chez les moins de 35 ans,
et la coronaropathie au-delà. Toutes
ces causes peuvent, plus ou moins
efficacement selon les mécanismes
incriminés, être dépistés par un bilan
cardiologique.
A côté du bilan cardiologique luimême, la population sportive n’a pas
le même profil que la “patientèle”
classique du cardiologue. En effet, la
pratique régulière d’un sport est assimilée, dans l’inconscient collectif, à
une bonne santé. Par ailleurs, à des
échelons divers, certains sportifs craignent que le bilan cardiologique n’objective une anomalie susceptible de
mettre un terme à cette activité sportive. De ces faits, il se dégage une tendance à “négliger” certains symptômes
suspects à l’interrogatoire, mais également sur le terrain (précordialgie,
arythmie ou syncope d’effort), et en
particulier chez ceux subissant la plus
lourde charge d’entraînement. De
même, les comportements à risque
(tabac avant et après l’effort, sport en
période fébrile, manque d’hydratation…) sont encore trop répandus,
souvent par ignorance du risque luimême (7).
les facteurs de risque personnels et
les éventuels symptômes suspects,
déjà survenus à l’effort. Cet interrogatoire doit également intégrer les
contraintes physiques du sport pratiqué, mais aussi celles de l’entraînement, parfois bien différentes. Le
degré de motivation du sujet, la pratique ou non de la compétition, les
conditions climatiques ne doivent
surtout pas être négligées. Cela
demande, pour le praticien, une “culture” sportive importante. En effet, la
plupart des aides, classification de
Mitchell comprise, établies pour guider le cardiologue novice en matière
sportive, présentent de nombreuses
lacunes et ne peuvent intégrer toutes
les variables inhérentes à la pratique
d’un sport.
Examen clinique
> L’aspect cardiologique
Interrogatoire
Un bilan de non contre-indication
passe avant tout par un interrogatoire
centré sur les antécédents familiaux
(en particulier une éventuelle mort
subite avant 40 ans dans l’entourage),
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L’examen clinique reposera, sans originalité, sur :
● l’auscultation cardiopulmonaire et
vasculaire périphérique ;
● la recherche des pouls périphériques
et de leur caractère symétrique ;
● la tension artérielle ;
● l’évaluation du capital musculaire
et du périmètre abdominal.
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ECG de repos
L’ECG de repos, comme l’ont souligné
les récents travaux de Corrado, ainsi
que les dernières recommandations
de la Task Force de la Société Européenne
de Cardiologie (8), doit devenir un élément incontournable du bilan. En
effet, cet examen permet de dépister
nombre d’anomalies cardiaques (9, 10),
du PR court au QT court ou long, de
l’ischémie silencieuse aux arythmies
ventriculaires, du BAV de haut degré
au BBG complet, en passant par la
MCH, le syndrome de Brugada ou la
dysplasie arythmogène du ventricule
droit. Toute pratique sportive, de loisir ou de compétition, justifie la réalisation d’un tracé, au moins une fois.
Epreuve d’effort
Le cas de l’épreuve d’effort mérite discussion. Il est vrai que ce test apporte
un lot précieux de renseignements
rythmiques, chronotropes, tensionnels, à l’effort et en récupération, permettant de mieux cerner l’adaptation
cardiovasculaire à l’effort et les capacités du sujet. Il évalue également la
présence d’une ischémie myocardique, avec une valeur prédictive tout
à fait satisfaisante lorsque l’on prend
en compte tous les renseignements
fournis (segment ST, mais aussi évolution de l’onde R, de l’onde Q septale
et de la boucle ST/FC). Par contre,
nous connaissons tous sa mauvaise
valeur prédictive vis-à-vis de la rupture de plaque, à l’effort ou dans les
minutes suivantes. Mais quel examen
complémentaire, non invasif ou non
irradiant, peut se targuer de lui être
supérieur dans ce domaine ?
Pour mémoire, les tests de RuffierDickson, du tabouret et autres, n’ont
aucun intérêt dans le cadre du dépistage d’une anomalie et doivent donc
être abandonnés jusqu’à nouvel ordre.
L’analyse couplée des échanges
gazeux, pratiquée régulièrement chez
les sportifs de haut niveau, a surtout
un intérêt physiologique, permettant
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d’évaluer avec précision les différents
seuils et de guider l’entraînement. Il
peut être cependant utile sur le plan
médical chez les asthmatiques, de
plus en plus nombreux dans la population générale et a fortiori dans certains sports, pratiqués à haute
intensité, qui génèrent de conséquentes inflammations de l’endothélium bronchique.
Echographie
L’échocardiographie est elle aussi très
riche d’enseignements (11-14). Elle
permet de dépister et de quantifier,
au moins partiellement, une MCH,
une cardiopathie dilatée silencieuse,
une valvulopathie, mais aussi une
dilatation de l’aorte ascendante, une
communication inter-cavitaire anormale, potentiellement dangereuse
dans certaines activités sportives
(plongée sous-marine). Elle peut
aussi contribuer au diagnostic d’une
dysplasie arythmogène du ventricule
droit. La taille des massifs auriculaires
et la qualité du remplissage ventriculaire gauche ne manqueront pas, eux
non plus, d’être évalués à cette occasion, surtout chez les sportifs vétérans.
Cet examen est d’ores et déjà obligatoire, au moins une fois avant l’âge de
20 ans, chez tous les sportifs inscrits
sur les listes “Haut Niveau” et chez la
plupart des stagiaires des centres de
formation de sports collectifs.
Examens complémentaires
Les autres examens complémentaires
ne font pas partie du bilan systématique. Ils ne seront envisagés qu’en
cas de doute diagnostique.
L’échocardiographie permet de dépister une communication inter-cavitaire anormale,
potentiellement dangereuse en plongée par exemple.
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● Le Holter ECG
Le Holter ECG d’effort, incluant l’activité sportive spécifique sur les 24 h
d’enregistrement, peut apporter des
informations rythmiques que le test d’effort de laboratoire n’a pas su reproduire.
Les potentiels tardifs ventriculaires
Les potentiels tardifs ventriculaires
contribuent à la prise de décision d’aptitude, lorsque l’extrasystolie ventriculaire est significative. Leur très bonne
valeur prédictive négative constitue leur
point fort. Mais leur valeur prédictive
positive semble supérieure à celle
constatée chez les sédentaires (15).
●
La scintigraphie et l’échograhie
La scintigraphie myocardique ou
l’échocardiographie d’effort évitent,
la plupart du temps, d’aller jusqu’au
bilan coronarographique en cas de
doute à l’interrogatoire ou à l’épreuve
d’effort. L’échocardiographie d’effort
doit également trouver une place
dans l’évaluation des valvulopathies
peu symptomatiques de sportifs, à la
condition que les contraintes hémodynamiques spécifiques à cet examen
(précharge bien différente de celle de
l’activité physique) n’en faussent pas
sensiblement les conclusions.
●
Le scanner
Le scanner myocardique multibarettes,
encore peu accessible en pratique quotidienne sur la grande majorité du
territoire français, apporte des renseignements inestimables sur le trajet des
coronaires. Il est par contre d’un intérêt relatif pour dépister, en complément
de la classique angioscintigraphie ventriculaire, les zones fibro-adipeuses sur
le ventricule droit, dans le cadre de la
dysplasie arythmogène.
●
● L’IRM
L’IRM myocardique est modérément
contributive dans le cadre du dépistage.
Pas toujours discriminante vis-à-vis de
la dysplasie, elle n’apporte un précieux
concours diagnostique que dans le cas
de la myocardite aiguë, contre-indication classique à la pratique sportive.
> L’aspect médico-légal
La pratique d’une activité sportive, en
club, en salle de sport, en compétition devient quasi systématiquement
soumise à l’obtention d’un certificat
médical de non contre-indication.
Ce certificat sous-entend non pas une
obligation de résultat, mais de
moyens : en clair, le praticien ne
garantit pas l’absence d’accident cardiovasculaire, mais une évaluation
sérieuse, calibrée en fonction du
risque cardiovasculaire personnel que
présente le patient. Or, les patients
n’entendent pas toujours ainsi le bilan
cardiovasculaire : pour certains, un
bilan rassurant est un “blanc-seing”
pour toute activité sportive, y compris la plus sollicitante qui soit. Un
symptôme suspect, apparaissant dans
un deuxième temps, sera donc souvent négligé. Et en cas d’accident, des
récriminations pouvant aller jusqu’à
la procédure judiciaire deviennent de
plus en plus fréquentes. Il faut donc
savoir s’entourer d’arguments cliniques et paracliniques solides, avant
de délivrer le feu vert, tout en précisant très explicitement au sportif que
cette autorisation est soumise à révision, à n’importe quel moment, par
l’apparition secondaire d’éléments
nouveaux. Beaucoup de sportifs
négligent souvent ces éléments, voire
les cachent à leurs praticiens, ce qui
rend l’idéal “contrôle continu” très
délicat à mettre en pratique.
> L’aspect économique
Le principe du dépistage, outre son
intérêt évident et primordial en terme
strictement médical, trouve également sa justification sur le plan économique, à la condition expresse qu’à
moyen terme, des économies sub-
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stantielles soient réalisées. Cela suppose donc que les sommes initialement consacrées aux bilans ne
dépassent pas un certain seuil. Mais
le coût du dépistage “idéal” paraît,
déjà intuitivement, prohibitif. Les
Américains ont pris la peine de chiffrer trois stratégies diagnostiques différentes, dans une population
d’adolescents, donc peu exposée au
risque d’accident cardiovasculaire
(16). Il ressort de ce travail que l’examen clinique et l’interrogatoire permettent de sauver une année de vie
au prix de 84 000 $ dépensés. Le
simple ECG de repos, interprété par
des cardiologues, permet d’économiser une année de vie pour 44 000 $.
Quant à l’échocardiographie, elle
améliore sensiblement la qualité du
dépistage, mais engendre une
dépense de 200 000 $ pour une année
de vie sauvée.
Tant que la maladie coronaire reste très
occasionnelle, ce qui est le cas chez les
moins de 35 ans, il semble donc que
l’approche consistant à coupler
consultation et ECG de repos offre le
meilleur rapport qualité/prix, confirmant donc les récentes recommandations de la Société Européenne de
Cardiologie.
Il en va tout autrement pour les plus
de 35 ans, et en particulier les
hommes, l’épreuve d’effort devenant
beaucoup plus utile, en accord
d’ailleurs avec les recommandations
de la plupart des sociétés cardiologiques du monde moderne.
> L’aspect
démographique
Réaliser ces bilans de non contreindication demande du temps et des
compétences. Or, comme toute spécialité médicale, la cardiologie va
connaître, dans les années qui viennent, un manque cruel de praticiens,
alors que le nombre de malades et le
nombre de sportifs va continuer
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Le nombre de sportifs va continuer
l’industrie du sport et le développement de la prévention primaire sont
autant d’éléments qui mettent sur le
marché du sport des sujets de plus en
plus âgés, pratiquant des activités de
plus en plus intensives. Tout cela alors
que la menace médico-légale croît de
façon inversement proportionnelle
aux possibilités économiques de
notre système de santé. Il faut donc
un discours médical très explicite,
soulignant le bénéfice global d’une
activité physique régulière, à la condition de la pratiquer raisonnablement.
Cela passe par un bilan de dépistage
aussi adapté que possible, mais aussi
par une sensibilisation inlassable de
notre part vis-à-vis des symptômes
d’alerte et des comportements à
risque. Persuader la population sportive de ces priorités économisera probablement autant de vies que le bilan
cardiologique lui-même. ❚
MOTS CLÉS
Bilan cardiovasculaire, accident
cardiaque, pratique sportive,
interrogatoire, examen clinique,
certificat de non contreindication, dépistage,
démographie
d’augmenter en France.
d’augmenter, de par la structure
démographique même de la population française. Réserver la réalisation
de l’intégralité de ces bilans à la communauté cardiologique n’a d’ores et
déjà aucun sens. Pour autant, les
autres catégories médicales (médecins
traitants, médecins du sport), à même
de réaliser le premier étage du bilan
(consultation et ECG), sont confrontées, elles aussi, au déclin démographique. Et l’interprétation de l’ECG,
parfois franchement ésotérique, nécessiterait, pour la plupart d’entre eux,
une formation complémentaire solide
afin de ne pas s’exposer dangereusement sur le plan médico-légal.
> En conclusion
Le bilan cardiovasculaire reste, en
France, un exercice à géométrie
variable. Un petit échantillon d’athlètes bénéficie d’un bilan relativement
exhaustif, quand la grande majorité
des sportifs de notre pays, plus âgés,
parfois aussi excessifs dans leur pratique sportive, n’ont évidemment pas
le même suivi. Et ce, malgré un risque
statistique d’accident cardiovasculaire sans commune mesure. Or, les
progrès de la médecine, le “jeunisme”
ambiant, la pression médiatique de
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