Quel bilan cardiovasculaire pour quel sportif ? Ou les
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Quel bilan cardiovasculaire pour quel sportif ? Ou les
18/10/06 12:34 Page 25 Quel bilan cardiovasculaire pour quel sportif ? Ou les réflexions d’un cardiologue du sport Cette question, assez simple en apparence, est en fait complexe, la réponse à y apporter devant intégrer des paramètres purement médicaux, mais également médico-légaux, économiques et démographiques. Dr Laurent Chevalier (Clinique du Sport, Bordeaux-Mérignac) P our commencer, un tel bilan trouve sa justification dans la survenue d’accidents cardiovasculaires à l’effort, plus fréquents qu’on ne le pense. Cependant, la plupart des études dont nous disposons sur les accidents cardiaques en rapport avec la pratique sportive sont des travaux rétrospectifs, menés outre-atlantique (1-5), sur des groupes ethniques assez différents de la population que nous évaluons au quotidien. Un seul travail prospectif d’envergure a été réalisé en Europe, mais ne concerne que des sportifs de moins de 35 ans (6). Toutes ces séries ont néanmoins eu le grand mérite de dégager les principaux groupes étiologiques que sont la myocardiopathie hypertrophique, la dysplasie arythmogène du ventricule droit, une anomalie de naissance des coronaires chez les moins de 35 ans, et la coronaropathie au-delà. Toutes ces causes peuvent, plus ou moins efficacement selon les mécanismes incriminés, être dépistés par un bilan cardiologique. A côté du bilan cardiologique luimême, la population sportive n’a pas le même profil que la “patientèle” classique du cardiologue. En effet, la pratique régulière d’un sport est assimilée, dans l’inconscient collectif, à une bonne santé. Par ailleurs, à des échelons divers, certains sportifs craignent que le bilan cardiologique n’objective une anomalie susceptible de mettre un terme à cette activité sportive. De ces faits, il se dégage une tendance à “négliger” certains symptômes suspects à l’interrogatoire, mais également sur le terrain (précordialgie, arythmie ou syncope d’effort), et en particulier chez ceux subissant la plus lourde charge d’entraînement. De même, les comportements à risque (tabac avant et après l’effort, sport en période fébrile, manque d’hydratation…) sont encore trop répandus, souvent par ignorance du risque luimême (7). les facteurs de risque personnels et les éventuels symptômes suspects, déjà survenus à l’effort. Cet interrogatoire doit également intégrer les contraintes physiques du sport pratiqué, mais aussi celles de l’entraînement, parfois bien différentes. Le degré de motivation du sujet, la pratique ou non de la compétition, les conditions climatiques ne doivent surtout pas être négligées. Cela demande, pour le praticien, une “culture” sportive importante. En effet, la plupart des aides, classification de Mitchell comprise, établies pour guider le cardiologue novice en matière sportive, présentent de nombreuses lacunes et ne peuvent intégrer toutes les variables inhérentes à la pratique d’un sport. Examen clinique > L’aspect cardiologique Interrogatoire Un bilan de non contre-indication passe avant tout par un interrogatoire centré sur les antécédents familiaux (en particulier une éventuelle mort subite avant 40 ans dans l’entourage), 25 L’examen clinique reposera, sans originalité, sur : ● l’auscultation cardiopulmonaire et vasculaire périphérique ; ● la recherche des pouls périphériques et de leur caractère symétrique ; ● la tension artérielle ; ● l’évaluation du capital musculaire et du périmètre abdominal. Cardio&Sport • n°9 mise au point cets9-25a28 mise au point cets9-25a28 18/10/06 12:34 Page 26 ECG de repos L’ECG de repos, comme l’ont souligné les récents travaux de Corrado, ainsi que les dernières recommandations de la Task Force de la Société Européenne de Cardiologie (8), doit devenir un élément incontournable du bilan. En effet, cet examen permet de dépister nombre d’anomalies cardiaques (9, 10), du PR court au QT court ou long, de l’ischémie silencieuse aux arythmies ventriculaires, du BAV de haut degré au BBG complet, en passant par la MCH, le syndrome de Brugada ou la dysplasie arythmogène du ventricule droit. Toute pratique sportive, de loisir ou de compétition, justifie la réalisation d’un tracé, au moins une fois. Epreuve d’effort Le cas de l’épreuve d’effort mérite discussion. Il est vrai que ce test apporte un lot précieux de renseignements rythmiques, chronotropes, tensionnels, à l’effort et en récupération, permettant de mieux cerner l’adaptation cardiovasculaire à l’effort et les capacités du sujet. Il évalue également la présence d’une ischémie myocardique, avec une valeur prédictive tout à fait satisfaisante lorsque l’on prend en compte tous les renseignements fournis (segment ST, mais aussi évolution de l’onde R, de l’onde Q septale et de la boucle ST/FC). Par contre, nous connaissons tous sa mauvaise valeur prédictive vis-à-vis de la rupture de plaque, à l’effort ou dans les minutes suivantes. Mais quel examen complémentaire, non invasif ou non irradiant, peut se targuer de lui être supérieur dans ce domaine ? Pour mémoire, les tests de RuffierDickson, du tabouret et autres, n’ont aucun intérêt dans le cadre du dépistage d’une anomalie et doivent donc être abandonnés jusqu’à nouvel ordre. L’analyse couplée des échanges gazeux, pratiquée régulièrement chez les sportifs de haut niveau, a surtout un intérêt physiologique, permettant Cardio&Sport • n°9 d’évaluer avec précision les différents seuils et de guider l’entraînement. Il peut être cependant utile sur le plan médical chez les asthmatiques, de plus en plus nombreux dans la population générale et a fortiori dans certains sports, pratiqués à haute intensité, qui génèrent de conséquentes inflammations de l’endothélium bronchique. Echographie L’échocardiographie est elle aussi très riche d’enseignements (11-14). Elle permet de dépister et de quantifier, au moins partiellement, une MCH, une cardiopathie dilatée silencieuse, une valvulopathie, mais aussi une dilatation de l’aorte ascendante, une communication inter-cavitaire anormale, potentiellement dangereuse dans certaines activités sportives (plongée sous-marine). Elle peut aussi contribuer au diagnostic d’une dysplasie arythmogène du ventricule droit. La taille des massifs auriculaires et la qualité du remplissage ventriculaire gauche ne manqueront pas, eux non plus, d’être évalués à cette occasion, surtout chez les sportifs vétérans. Cet examen est d’ores et déjà obligatoire, au moins une fois avant l’âge de 20 ans, chez tous les sportifs inscrits sur les listes “Haut Niveau” et chez la plupart des stagiaires des centres de formation de sports collectifs. Examens complémentaires Les autres examens complémentaires ne font pas partie du bilan systématique. Ils ne seront envisagés qu’en cas de doute diagnostique. L’échocardiographie permet de dépister une communication inter-cavitaire anormale, potentiellement dangereuse en plongée par exemple. 26 18/10/06 12:34 Page 27 ● Le Holter ECG Le Holter ECG d’effort, incluant l’activité sportive spécifique sur les 24 h d’enregistrement, peut apporter des informations rythmiques que le test d’effort de laboratoire n’a pas su reproduire. Les potentiels tardifs ventriculaires Les potentiels tardifs ventriculaires contribuent à la prise de décision d’aptitude, lorsque l’extrasystolie ventriculaire est significative. Leur très bonne valeur prédictive négative constitue leur point fort. Mais leur valeur prédictive positive semble supérieure à celle constatée chez les sédentaires (15). ● La scintigraphie et l’échograhie La scintigraphie myocardique ou l’échocardiographie d’effort évitent, la plupart du temps, d’aller jusqu’au bilan coronarographique en cas de doute à l’interrogatoire ou à l’épreuve d’effort. L’échocardiographie d’effort doit également trouver une place dans l’évaluation des valvulopathies peu symptomatiques de sportifs, à la condition que les contraintes hémodynamiques spécifiques à cet examen (précharge bien différente de celle de l’activité physique) n’en faussent pas sensiblement les conclusions. ● Le scanner Le scanner myocardique multibarettes, encore peu accessible en pratique quotidienne sur la grande majorité du territoire français, apporte des renseignements inestimables sur le trajet des coronaires. Il est par contre d’un intérêt relatif pour dépister, en complément de la classique angioscintigraphie ventriculaire, les zones fibro-adipeuses sur le ventricule droit, dans le cadre de la dysplasie arythmogène. ● ● L’IRM L’IRM myocardique est modérément contributive dans le cadre du dépistage. Pas toujours discriminante vis-à-vis de la dysplasie, elle n’apporte un précieux concours diagnostique que dans le cas de la myocardite aiguë, contre-indication classique à la pratique sportive. > L’aspect médico-légal La pratique d’une activité sportive, en club, en salle de sport, en compétition devient quasi systématiquement soumise à l’obtention d’un certificat médical de non contre-indication. Ce certificat sous-entend non pas une obligation de résultat, mais de moyens : en clair, le praticien ne garantit pas l’absence d’accident cardiovasculaire, mais une évaluation sérieuse, calibrée en fonction du risque cardiovasculaire personnel que présente le patient. Or, les patients n’entendent pas toujours ainsi le bilan cardiovasculaire : pour certains, un bilan rassurant est un “blanc-seing” pour toute activité sportive, y compris la plus sollicitante qui soit. Un symptôme suspect, apparaissant dans un deuxième temps, sera donc souvent négligé. Et en cas d’accident, des récriminations pouvant aller jusqu’à la procédure judiciaire deviennent de plus en plus fréquentes. Il faut donc savoir s’entourer d’arguments cliniques et paracliniques solides, avant de délivrer le feu vert, tout en précisant très explicitement au sportif que cette autorisation est soumise à révision, à n’importe quel moment, par l’apparition secondaire d’éléments nouveaux. Beaucoup de sportifs négligent souvent ces éléments, voire les cachent à leurs praticiens, ce qui rend l’idéal “contrôle continu” très délicat à mettre en pratique. > L’aspect économique Le principe du dépistage, outre son intérêt évident et primordial en terme strictement médical, trouve également sa justification sur le plan économique, à la condition expresse qu’à moyen terme, des économies sub- 27 stantielles soient réalisées. Cela suppose donc que les sommes initialement consacrées aux bilans ne dépassent pas un certain seuil. Mais le coût du dépistage “idéal” paraît, déjà intuitivement, prohibitif. Les Américains ont pris la peine de chiffrer trois stratégies diagnostiques différentes, dans une population d’adolescents, donc peu exposée au risque d’accident cardiovasculaire (16). Il ressort de ce travail que l’examen clinique et l’interrogatoire permettent de sauver une année de vie au prix de 84 000 $ dépensés. Le simple ECG de repos, interprété par des cardiologues, permet d’économiser une année de vie pour 44 000 $. Quant à l’échocardiographie, elle améliore sensiblement la qualité du dépistage, mais engendre une dépense de 200 000 $ pour une année de vie sauvée. Tant que la maladie coronaire reste très occasionnelle, ce qui est le cas chez les moins de 35 ans, il semble donc que l’approche consistant à coupler consultation et ECG de repos offre le meilleur rapport qualité/prix, confirmant donc les récentes recommandations de la Société Européenne de Cardiologie. Il en va tout autrement pour les plus de 35 ans, et en particulier les hommes, l’épreuve d’effort devenant beaucoup plus utile, en accord d’ailleurs avec les recommandations de la plupart des sociétés cardiologiques du monde moderne. > L’aspect démographique Réaliser ces bilans de non contreindication demande du temps et des compétences. Or, comme toute spécialité médicale, la cardiologie va connaître, dans les années qui viennent, un manque cruel de praticiens, alors que le nombre de malades et le nombre de sportifs va continuer Cardio&Sport • n°9 mise au point cets9-25a28 18/10/06 12:34 Page 28 mise au point cets9-25a28 Le nombre de sportifs va continuer l’industrie du sport et le développement de la prévention primaire sont autant d’éléments qui mettent sur le marché du sport des sujets de plus en plus âgés, pratiquant des activités de plus en plus intensives. Tout cela alors que la menace médico-légale croît de façon inversement proportionnelle aux possibilités économiques de notre système de santé. Il faut donc un discours médical très explicite, soulignant le bénéfice global d’une activité physique régulière, à la condition de la pratiquer raisonnablement. Cela passe par un bilan de dépistage aussi adapté que possible, mais aussi par une sensibilisation inlassable de notre part vis-à-vis des symptômes d’alerte et des comportements à risque. Persuader la population sportive de ces priorités économisera probablement autant de vies que le bilan cardiologique lui-même. ❚ MOTS CLÉS Bilan cardiovasculaire, accident cardiaque, pratique sportive, interrogatoire, examen clinique, certificat de non contreindication, dépistage, démographie d’augmenter en France. d’augmenter, de par la structure démographique même de la population française. Réserver la réalisation de l’intégralité de ces bilans à la communauté cardiologique n’a d’ores et déjà aucun sens. Pour autant, les autres catégories médicales (médecins traitants, médecins du sport), à même de réaliser le premier étage du bilan (consultation et ECG), sont confrontées, elles aussi, au déclin démographique. Et l’interprétation de l’ECG, parfois franchement ésotérique, nécessiterait, pour la plupart d’entre eux, une formation complémentaire solide afin de ne pas s’exposer dangereusement sur le plan médico-légal. > En conclusion Le bilan cardiovasculaire reste, en France, un exercice à géométrie variable. Un petit échantillon d’athlètes bénéficie d’un bilan relativement exhaustif, quand la grande majorité des sportifs de notre pays, plus âgés, parfois aussi excessifs dans leur pratique sportive, n’ont évidemment pas le même suivi. Et ce, malgré un risque statistique d’accident cardiovasculaire sans commune mesure. Or, les progrès de la médecine, le “jeunisme” ambiant, la pression médiatique de Cardio&Sport • n°9 Bibliographie 1. Siscovick DS, Weiss NS, Fletcher R, Lasky T. The incidence of primary cardiac arrest during vigorous exercise. N Engl J Med 1984 ; 311 : 874-7. 2. Maron BJ, Gohman TE, Aeppli D. Prevalence of sudden cardiac death during competitive sports activities in Minnesota high school athletes. J Am Coll Cardiol 1998 ; 32 : 1881-4. 3. Corrado D, Basso C, Thiene G. Sudden cardiac death in young people with apparently normal heart. Cardiovasc Res 2001 ; 50 : 399-408. 4. Maron BJ. Sudden death in young athletes. N Engl J Med 2003 ; 349 : 106475. 5. Maron BJ, Carney KP, Lever HM et al. Relationship of race to sudden cardiac death in competitive athletes with hypertrophic cardiomyopathy. J Am Coll Cardiol 2003 ; 41 : 974-80. 6. Corrado D, Basso C, Rizzoli G et al. Does sports activity enhance the risk of sudden death in adolescents and young adults? 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