la ville de kairouan. archéologie urbaine et patrimoine
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la ville de kairouan. archéologie urbaine et patrimoine
LA VILLE DE KAIROUAN. ARCHÉOLOGIE URBAINE ET PATRIMOINE Mourad Rammah, Conservateur de la Medina de Kairouan APERCU HISTORIQUE : Fondée en l'an 50H/670 pour servir de place d'arme pour la conquête du Maghreb, Kairouan profite du prolongement de la résistance berbère pour se transformer en capitale politique et économique de la Tunisie. La ville connut une époque d'essor urbain essentiellement à partir du milieu du VIIIèmes. jusqu'au milieu du XIès. et les aghlabides ( 800-909 ap.J.C) la dotèrent de ses plus beaux monuments, la Grande Mosquée (226/836 ), La Mosquée des trois portes ( 252/866 ) édifiée par un riche commerçant andalous, et les bassins fondés en l'an 248/862 . Ce fut une période de prospérité économique et commerciale. En 909, les fatimides s'installèrent à Raqqada (Kairouan) qui devint siège de califat, et leur pouvoir couvrit tout le Maghreb avant de parvenir à envahir l'Egypte et fonder le Caire. Depuis, les califes fatimides quittèrent la Tunisie et déléguèrent le pouvoir à leurs lieutenants les Zirides,qui firent de Kairouan un grand centre de culture et d'art. L'apogée de leur action coïncide avec les invasions hilaliennes ; des tribus venues de la Basse-Egypte déferlèrent sur l'Afrique du Nord et saccagèrent sa capitale, Kairouan (449/1057 ), qui fut désertée par la majorité de sa population. Depuis la ville a perdu son rôle politico économique et s'est retranchée derrière ses murailles rompant avec une campagne hostile et gardant un rôle purement spirituel, tout en se contentant d'une renaissance relative à l'avènement des Hafsides, (début du XIIIème). Des le XIIIème siècle la ville fut de nouveau protégée par des remparts d'une longueur de 3 Kms mais ils couvraient à peine le dixième de sa superficie initiale au moment de son apogée. Al Mustansir et les princes qui lui avaient succédé se sont occupés de sort de la grande Mosquée, ils consolidèrent ses murs et renouvelèrent ses plafonds. Mausolées, marabouts et coupoles édifiées par des soufis, des ascètes et des hommes de religion se répandirent dans la ville lui offrant un cachet d'une grande spiritualité. Les habitants y affluèrent, des bédouins s'y installèrent. Les mosquées telles que la Mosquée d'Ibn Khayrun et la mosquée Al Muallaq se réanimèrent. Les souks, tel le souk des citernes, se réorganisèrent et les Kairouanais s'adaptèrent au contexte environnant. La ville se transforma en centre de tannage, de pelleterie et de tissage: elle devint un marché commercial qui approvisionnait l'arrière pays. Alors que El Hassen El Ouazzan qui visita Kairouan en 1516 ne remarqua que la misère de ses habitants qui s'adonnaient au tannage et à la maroquinerie, le Wazir alsarraj (m.1736) rapporte dans ses "hulal" à propos de Kairouan: Nous ne connaissons pas de ville en ifriqiyya après Tunis, qui soit plus grande, ses habitants sont des plus savants, des plus habiles et les meilleurs connaisseurs du négoce. Kairouan bénéficia de la sollicitude des Husseinites qui remédièrent à la négligence dont la ville était l'objet à l'époque des gouverneurs ottomans, pire encore, Mourad III se fâcha contre les, il rasa leurs demeures et les chassa de la ville. Husseïn Ben Ali prodigua une attention particulière à Kairouan en reconstruisant ses remparts et en édifiant la Medersa Husseinite. Ses successeurs suivirent son exemple en signe de reconnaissance pour la position prise par la ville lors de la rébellion de Ali Bacha. Le voyageur français Des fontaines, qui visita la ville en 1784, note qu'elle était la plus grande du royaume après Tunis. Elle est même mieux bâtie et moins sale que celle-ci. Le commerce de Kairouan consiste principalement en pelleteries, que les habitants savent employer à divers usages. On y fait des brides. Des selles, des souliers à la mode du pays. Ils fabriquent aussi des étoffes de laine appelées baracan. Le peuple y mène une vie plus heureuse que partout ailleurs. Le voyageur Guérin estime sa population en 1861, à 12.000 habitants. Elle dépasse Sfax avec ses 10.000 habitants. Sousse, Mahdia et Monastir dont le nombre d'habitants variait de 5.000 à 8.000 âmes. Kairouan garda ainsi parmi les autres villes de la régence une importance relative qu'elle ne perdra que sous le protectorat français. CARACTERISTIQUES MORPHOLOGIQUES : La Médina de Kairouan est un ensemble urbain de forme trapézoïdale, d'une superficie de 54 ha, d'une longueur moyenne de 1000 m et d'une largeur moyenne de 500 m, dimensions des axes majeurs de la ville implantés selon des orientations Nord-Sud et Est-Ouest. Contrairement aux autres Médina, la grande mosquée de la ville, la grande mosquée "Okba Ibn Nafaa", est située à l'extrémité Est de la ville, détachée du centre du négoce où sont concentrées les activités commerciales et artisanales. Cette position contribue à conférer à cette mosquée un rayonnement qui dépasse la Médina de Kairouan. Par sa taille particulièrement importante (122mx75m), son implantation totalement détachée des îlots qui l'entourent et l'aspect monumental de ses façades, la grande mosquée constitue un élément majeur dans la morphologie générale de la Médina de Kairouan. La Médina présente un axe structurant de direction Nord-Sud, la rue de 7 Novembre, nettement décentrée vers l'Ouest, reliant les deux portes principales de la ville et donnant accès aux souks situés au coeur du tissu urbain. Le tramage des voies de la Médina montre une prédominance nette des voies de direction Est-Ouest (voies longitudinales). Les voies de direction Nord-Sud (voies transversales) sont peu nombreuses, mais structurantes telles que la rue du 7 Novembre et la rue "Okba Ibn Nafaa".Les rues principales présentent des ramifications dont certaines finissent en impasses. Il n'existe pas une hiérarchisation systématique dans la structuration de la voirie dans la mesure où plusieurs impasses sont directement desservies par les rues principales (par exemple la rue "El Mâr").La structure viaire se ramifie de plus en plus que l'on se rapproche de la grande mosquée. L'observation du rapport plein-vide dans la Médina de Kairouan montre une dominante absolue du plein ce qui caractérise les tissus traditionnels de type arabo-musulman. Il s'agit d'un tissu d'une densité particulièrement importante. Les vides sont constitués par les patios des logements, par les rues et les impasses et par les places et placettes. Les patios sont de taille relativement importante et représentent la partie la plus perceptible du vide alors que les espaces publics apparaissent particulièrement exigus. Les places, ou du moins les espaces non construits, sont concentrées dans la périphérie du tissu urbain, au Nord et à l'Est de la ville et dans les alentours de la grande mosquée. A l'intérieur même du tissu, une seule place se distingue au coeur de la Médina, la place "Jreba", faisant partie intégrante des souks. Dans les zones périphériques du tissu urbain, les places présentent l'aspect d'espaces résiduels (pas de fonction propre, pas de forme structurée), à l'exception de la place "Ghassela" dont l'ancien rôle de lieu de lavage de peaux de moutons, fait d'elle, aujourd'hui encore, une place publique notoirement connue. Quand au plein, il est constitué de constructions à rez-de-chaussée ou à R+1 dans des proportions quasi égales. Ce plein est constitué de divers îlots de logements à patios accolés les uns aux autres, structurés autour d'une masse centrale constituée par les souks. 1 - Le "vide" : Les espaces vides de la Médina sont donc les places et les placettes, un axe structurant : la rue du 7 Novembre, les rues principales et secondaires et les impasses. a/ Les places et les placettes : Points d'articulation entre les principales rues de la Médina, les places et les placettes sont des lieux de repère et des espaces de rencontre et de rassemblement. Les places les plus importantes sont la place "Jreba" et la place "Ghassela" qui font partie du secteur d'étude. La place "jreba" En position centrale, "Batehet Ejjraba"présente un intérêt majeur dans l'organisation urbaine et fonctionnelle de la Médina par son rôle de lieu de convergence d'importantes rues (rue El Khadhraouine, rue Gandoura, rue Moulay Taïeb...) et par la présence des activités artisanales qui s'y concentrent. Ce rôle est à l'origine de son animation toute particulière et de l'intensité de sa circulation piétonne. La forme de la place "Jreba" est irrégulière, sa surface est d'environ 900 m2 (35m x 25m). La faible hauteur des bâtiments qui la bordent ne dépassant pas 8 m (sauf pour une nouvelle construction à R+2 qui porte atteinte à l'harmonie originelle de cet espace) lui donne un caractère convivial et sobre. Cette sobriété est accentuée par la nature de la couverture rudimentaire de son sol. A l'image de l'ensemble de la Médina, la place "Jreba" est un espace uniquement minérale. Les façades de la place "Jreba" sont régulièrement percées par les portes des boutiques de type traditionnel qui la bordent. De nouveaux types d'ouvertures sont, malheureusement, venus perturber cet harmonie. La place "Ghassela" "Bathet El Ghassela" a une forme trapézoïdale, une superficie d'environ 4 000 m2 (80mx50m) et l'état de couverture de son sol est aussi rudimentaire que celui de la place "Jreba". Cette place se caractérise par l'hétérogénéité des bâtiments qui la bordent dont plusieurs ont été rénovés. Les placettes Situées à la bifurcation de deux ou trois rues, de nombreuses placettes jalonnent les îlots d'habitation. Ces placettes desservent souvent des grandes demeures dont elles portent le nom ("bathat Bouras", "bathat Essdedma"...) ; leurs façades sont caractérisées par le contraste entre la richesse de celle de la grande demeure et la simplicité des façades des autres logements qui l'entourent. bathat Bouras b La place Ghassela Le "souk " (la rue du 7 novembre) : Artère principale et centre de négoce majeur, le "souk" (ainsi est couramment appelée la rue du 7 Novembre) relie les deux principales portes de la ville : la porte Jalledines et la porte de Tunis (la rue du 7 Novembre constitue l'une des trois entités du secteur d'étude). Malgré sa largeur et sa longueur (425 métres environ) particulièrement importantes, son irrégularité (rue non rectiligne et de largeur variable) offre de belles séquences visuelles et des perspectives dynamiques changeant sans cesse. Cette voie est encadrée par des bâtiments de faible hauteur (R.D.C. ou R+1). Dans le cadre de son action de mise en valeur, l'ASM a couvert une partie de la rue par un claustrât en bois qui offre à l'entrée des souks une zone ombragée. Cette action enrichit cette rue, qui ne présente qu'une partie minime couverte par un "sabat", d'un élément de confort thermique fort appréciable et qui se réfère à la morphologie des souks traditionnels. Rue asphaltée particulièrement large pour une rue de Médina (de 10 à 20m), la rue du 7 Novembre est le support de deux types de circulation piétonne et véhiculaire qui se côtoient et se gênent. C Les rues principales et secondaires : Les rues de la Médina ont des largeurs comprises entre 3 et 5m et les constructions qui les longent sont généralement, soit à rez-de-chaussée, soit à un étage, dans des proportions pratiquement égales. Chaque rue se caractérise par les spécificités architecturales des façades qui la longent et les monuments qu'elle dessert, et par son rôle hiérarchique dans l'organisation urbaine de ville. Les rues sont jalonnées d'événements architecturaux tel que le minaret d'un mesjed, un traitement d'angle, un "Sabat" qui marque souvent la transition entre les différents types de rues et de places. En règle générale, l'état de couverture des voies est assez médiocre ; cependant, certaines d'entre elles sont pavées ou asphaltées. d/ Les impasses : Les impasses représentent le lieu de transition entre l'espace public (la rue) et l'espace privé (le logement) et sont considérées comme étant le prolongement immédiat de la "Driba" ou de la "Skifa" (hall d'entrée). Une impasse peut présenter deux ou même trois coudes et sa largeur est souvent inférieure à un mètre. Elle dessert le plus souvent des logements de différents types. Comme pour les autres médinas, le logement le plus grand se trouve situé au fond de l'impasse devancer par des logements plus modestes. Cependant, l'implantation systématique des grandes demeures sur les voies principales constitue une caractéristique de la Médina de Kairouan. Impasse Rue 7 novembre (souk) Rue secondaire 2 - Le "plein" : Le "plein" est constitué de constructions occupant les différentes parcelles (logements, boutiques, équipements collectifs, monuments historiques...) et de l'espace central des souks. A / Les îlots d'habitation : Comme développé précédemment, les îlots sont de tailles et de formes variables, souvent irrigués par une ou plusieurs impasses selon leurs tailles, comme le montrent les exemples ci-après. Selon les exemples étudiés (dont le troisième fait partie du secteur d'étude) la superficie des îlots varie de 4 000 à 15 000 m2. Ils comportent de une à six impasses desservant de 14 à 57 logements. Le vide représente 12%, 16% et 20% de la surface totale de l'îlot. B / L'espace central des souks : Au coeur de la Médina et au centre de toutes les activités, les souks se présentent comme la plus importante masse du tissu urbain. L'implantation de la mosquée du "BEY" au dessus des souks confirme le lien intime qui existe entre les lieux de culte et le centre du négoce. Celui-ci est rendu bien visible par le caractère imposant du minaret de la mosquée "El Maâlak" située dans la proximité immédiate des souks. A l'instar de tous les tissus urbains traditionnels de type arabo-musulmans, la hiérarchisation spatiale qui caractérise l'organisation des différentes composantes urbaine de la Médina offre aux habitants et aux visiteurs une grande richesse séquentielle et des perspectives visuelles particulièrement animées par le vocabulaire architectural et les éléments architectoniques utilisés et par la succession des zones d'ombre et de lumière. Du point de vue morphologique, la Médina de Kairouan se caractérise par plusieurs aspects originaux : -la séparation spatiale entre les souks et la Grande Mosquée. -l'importance fonctionnelle et spatiale de son axe commercial. -la hiérarchisation partielle de ses voies. -la compacité de son tissu. CARACTERISTIQUES TYPOLOGIQUES ET MODES DE CONSTRUCTION : L'habitat représente près de 80% du tissu urbain de la Médina. L'enquête logement-ménage effectuée sur un secteur comprenant 303 logements a montré que 20% des parcelles occupées par des logements comportent un logement indépendant à l'étage ("ali") et que 20% par des parcelles comportent des logements à R+1. Pour l'ensemble de la Médina, 1340 parcelles occupées par des logements ont pu être dénombrées sur plan. En appliquant le même ratio constaté pour le secteur enquêté, le nombre de "ali" dans l'ensemble de la Médina serait de près de 300 logements (268), ce qui donne un nombre total de logements de 1610 logements (1340 + 270) que l'on arrondi à 1600 logements dont 300 sont des 'ali", 300 sont des 'dar" sans étage et 1000 sont des "dar" à rez de chaussée seulement. Si l'on estime que seul 80% de l'espace intra-muros de la Médina est occupé par de l'habitat, on constate que la densité résidentielle nette serait de l'ordre de 38 log/ha et la densité brute de 30 log/haj soit 154 hab. /ha. La superficie moyenne des logements serait de l'ordre de 285 m2 avec d'énormes patios dont les superficies les plus courantes varient de 75 à 125 m2. Ces dimensions sont particulièrement importantes par rapport aux habitations de la Médina de Tunis par exemple. La typologie de la maison Kairouanaise peut être subdivisée en trois types de logements correspondant à la hiérarchie des classes sociales, allant de la grande demeure à la maison modeste : -la grande demeure appartient aux familles aristocratiques telles que les Bouras, les Ltaïf, les Mrabet ... -la maison bourgeoise appartient aux grands commerçants, aux hommes de lettres et de sciences et aux hommes de Loi, tels que les Rammeh, les Boujeh, les Allani ... -la maison modeste correspond au logement commun du Kairouanais. L'organisation de l'îlot est contraire à tout principe de ségrégation sociale. Les grandes demeures avoisinent les maisons modestes. D'une manière assez originale par rapport à la Médina de Tunis par exemple, les grandes demeures sont situées à la périphérie des îlots et leurs façades donnent directement sur les rues principales et les places. La richesse architecturale de leurs façades (nombre, taille et traitement des ouvertures, utilisation du moucharabieh...) contraste avec la sobriété des façades presque aveugles des logements communs qui les jouxtent. Les éléments constitutifs de base de la maison traditionnelle kairouanaise sont le patio, les dribas et les skifas, les pièces d'habitation organisées autour du patio, les espaces de services et les lieux de stockage des biens consommable~. L'importance des espaces de réserves sont une caractéristique de la Médina de Kairouan. Rappelons en effet que historiquement l'approvisionnement et l'emmagasinage constituaient un élément central de la vie quotidienne des kairouanais. Ceux-ci vivaient retranchés à l'intérieur des murailles de la ville hantée par les famines, les disettes et la présence dans les environs des tribus arabes hostiles qui la guettaient. Les silos occupent une partie considérable du logement. Dar Bouras (plan) Dar Bouras (coupe, façade) LES ESPACES DE LA MAISON 1- Patio : Tous les espaces de la maison s'organisent autour d'une cour centrale où se déroule une grande part des activités familiales. Le patio, dallé généralement de blocs de "sawen", permet l'aération et l'éclairage des espaces intérieurs du logement. C'est un quadrilatère entouré par quatre façades dont l'ornementation et la composition varient selon les types de logements. La façade classique d'un patio, côté chambre d'habitation, est constituée d'une porte centrale encadrée de part et d'autre par deux fenêtres selon une composition symétrique. Le système de "bortal" (galerie au R.D.C.) est rarement présent dans le logement kairouanais contrairement au logement traditionnel tunisois, soussien ou sfaxien par exemple.Pour les grandes demeures et les maisons bourgeoises, la richesse des éléments architecturaux utilisés pour l'ornementation des façades du patio contraste avec la simplicité et la sobriété des façades extérieures. Dans l'espace du patio on retrouve presque invariablement : -la citerne "el mejel" où sont collectées les eaux pluviales, marquée par un petit soubassement en marbre -le puits "el bir" accessible depuis la cuisine et l'étage ; -"el âssar", baguette en bois accrochée à l'une des façades du patio, utilisée pour l'essorage du linge. 2 - Chicane d'entrée : La chicane d'entrée constitue un ou plusieurs écrans de séparation entre le monde intérieur et le monde extérieur. Dans les grandes demeures, la "driba" est la première pièce de distribution qu'on découvre en ouvrant la porte d'entrée ("beb eddar") et qui permet l'accès à un deuxième espace de la chicane, la "skifa", à l'étage "el ali", au "makhzen" et à la maison des domestiques,. C'est dans la "driba", qui comporte généralement une "doukena" (banc construit en dur), que l'hôte de la demeure reçoit ses visiteurs, amis, clients, ou administrés. Dans les maisons bourgeoises, on accède directement dans la "skifa", qui est constituée par une, deux ou trois pièces articulées en angles droits. Dans les logements modestes, la "skifa" est constituée d'une seule pièce ou un simple coude. C'est dans le deuxième espace de la chicane de la "skifa" que se tiennent les tisserandes, "essebahat", jeunes filles employées par la maîtresse de maison pour les travaux de tapisserie et de tissage. Les "driba" et les "skifa" sont des espaces sobres, sans ornementations particulières, et généralement couverts de voutes d'arêtes. 3 - Pièces d'habitation : Trois à quatre pièces d'habitation s'organisent autour du patio qui les dessert directement. Ces pièces peuvent être de forme simplement rectangulaire ou plus élaborées en forme de T, appelées alors, "mejless". a) Le " mejless" ou "bit ras ed-dar" : Présent surtout dans les grandes demeures ou les maisons bourgeoises, orienté généralement Est ou Sud-Est, le mejless constitue la pièce principale de la maison. Il est subdivisé en plusieurs sous-espaces : trois alcôves et deux chambrettes, les "maksouras". L'alcôve médiane, appelée "kbou" ou "rutba", fait usage d'espace de séjour familial. Elle est meublée de bancs à accoudoirs, surmontés d'étagères décorées et chargées de biblots. Deux arcs s'ouvrent sur les alcôves latérales "bit hajjem" avec des lits ou "serir», surmontées par une "sedda" ou un "mestrak" utilisés pour le rangement. L e plafond du "mejless», dans les grandes demeures, est en bois décoré de motifs floraux, tandis que les murs intérieurs sont recouverts par des carreaux de faïences. Le mejless est la pièce la plus grande et la plus décorée de la maison. Un logement peut en contenir un ou plusieurs selon son "standing". Certaines grandes demeures peuvent comporter trois ou même quatre "mejless" (ex :"dar Errammeh"), dont "el mejless el kbir" et "el mejless essaghir". b) Le "ardhi" ou "bit eddiwan" : C'est une pièce rectangulaire avec quelques fois une alcôve centrale de moindre importance que celle de "bit ras ed-dar". Sa forme est particulièrement longitudinale (sa longueur est beaucoup plus importante que sa largeur). Elle sert de chambre à coucher mais aussi de pièce de séjour, "bit kaâd", pour la maîtresse de maison où elle se tient habituellement. 4 - "Naouela" ou "dwiria": Ce sont deux synonymes désignant la cuisine et ses annexes, où sont aménagés un coin de préparation ou "oujak", des placards à provisions, les toilettes et une salle d'eau ("mathara"). L'éclairage et l'aération de la "dwiria" se font par un lanterneau ou "madhoua" situé au niveau de la clé de la voûte croisée qui surplombe généralement l'espace de préparation. 5 -Lieux d'emmagasinage : Rappelons que la maison kairouanaise se distingue par l'importance des espaces réservés à l'emmagasinage des biens de consommation (denrées alimentaires, produits de nettoyage, etc...) a) Le "dehliz" et la "matmoura" : A partir du patio, une petite porte permet l'accès au "dehliz", pavé généralement de dalles de "chaouat" et éclairé par des ouvertures en biais. Dans le "dehliz" sont entreposées d'énormes jarres de stockage de denrées alimentaires qui bénéficient d'une température ambiante quasi constante permettant leur conservation durant toute l'année . On accède aussi, à partir de la cour, par un rebord en marbre à une "matmoura" souterraine où sont stockés les "bharat" (épices) et les graines avant de les monter au "hri". b) Le "hri" : Il s'agit de plusieurs pièces qui se succèdent, situées à l'étage et réservées au dépôt et au séchage de la laine et des "bharat" et au stockage des graines. "El hri" est spécifique aux grandes demeures et aux maisons bourgeoises. La hauteur sous plafond de cet espace ne dépasse pas 2,10 mètres et le plafond est en "oud el ârâr". L'éclairage et l'aération du "hri" se font à partir de petites ouvertures en forme de meurtrières. Les denrées sont acheminées dans le "hri"par un système de poulie ("jarrar") fixé à une grande ouverture donnant sur le patio. c) Le "kemmi" ou la "bit el harka" : Jouxtant le "hri", le "kemmi" ou "bit el harka" est une pièce où sont moulus les grains de blé pour être par la suite stockés dans le "dehliz" et où ont lieu les préparatifs pour la préparation des gâteaux et autres aliments à l'occasion des fêtes et des mariages. 6 - "Ali" : Sont ainsi désignés les appartements situés à l'étage réservés au maître de maison et aux invités. "El ali" est composé d'une ou de plusieurs pièces et même d'un "mejless aloui", réservé exclusivement à la retraite du maître. Ce "mejless" est pourvu, dans les grandes demeures, de deux fenêtres et d'un moucharabieh "gannaria" qui dominent les terrasses avoisinantes et offrent au maître des lieux une vue panoramique de la ville. Au niveau de l'étage on trouve aussi l'appartement des invités "bit ou dar eddhiafa" et la maison des domestiques située à coté du "hri". 7 - "Matlâa" : Le "matlaa" est un espace qui couvre les escaliers donnant accès à la terrasse. La multiplicité des "mtalaa" et les innombrables minarets offrent une grande richesse volumétrique à la Médina vue à partir des terrasses. Chicane d'entrée Hri mejless dehliz MATERIAUX ET TECHNIQUES DE CONSTRUCTION : Les techniques de construction Kairouanaises reposent depuis le moyen-âge jusqu'à une date récente, sur l'emploi de plusieurs matériaux dont on distingue : -Le « Siflani » sorte de centre provenant des résidus des fours de briques qui entouraient la ville. Cette matière qu'on place au niveau des fondations assure l'isolation et élimine l'humidité. -Les fondations sont faites en nisf (moitiés) : il s'agit d'un mélange de gros tessons de briques avec du sable et de la chaux compressés à l'aide d'une dame en bois. -Dans les premières assises des murs, essentiellement ceux de la façade, on utilise de la pierre taillée de gros calibre, récupérée des constructions anciennes, et ce afin d'assurer, à la façade donnant sur la rue et non consolidée par d'autres constructions latérales, la solidité nécessaire pour résister à la montée capillaire et afin de pallier à l'écoulement des fortes pluies. La construction se poursuit en briques cuites et pein et en nisf qu'on se procure habituellement dans des fours qui entouraient la ville ou des bâtisses en ruines ou dans les fouilles de Sabra al-Mansuriya. Les joints sont exécutés en argile agrémentée de chaux. Ce mortier est couvert d'une couche extérieure de badigeon de chaux distillée qui assure la protection prolongée de l'ouvrage surtout contre l'humidité. Le répertoire architectural kairouanais se distingue par les éléments suivants : -Arcs outrepassés et brisés -Coupole sur trompe à tambour octogonal et à calotte côtelée ou arrondie -Plafonds en bois à solives -Machrabiyyas -Voûtes d’arêtes et en berceau -Maisons à cour centrale -Revêtement en plâtre et en céramique Coupoles Revêtement en plâtre et en céramique Arcs outrepassés Distillation de chaux Toitures Murs Pilier KAIROUAN : UN PATRIMOINE EN PERIL Comme c'est souvent le cas pour les anciens centres urbains, la Médina de Kairouan apparaît comme une entité urbaine un peu désuète tenue à l'écart des évolutions sociales et répondant très mal aux besoins en équipement socioculturels des jeunes notamment. La Médina de Kairouan ne connaît pas la même dynamique que connaît la Médina de Tunis qui se dote d'équipements culturels et touristiques tel que des galeries d'art, des clubs culturels, des musées, des hôtels, etc..., et on peut même constater un recul en la matière puisque l'unique musée de la Médina a fermé ses portes de même que le Touring Club. Le caractère pratiquement figé du tissu urbain de la Médina de Kairouan (pas de "soukalisation" comme pour la Médina de Sfax par exemple, pas d'introduction de nouveaux équipements de type "moderne", transformation limitée et périphérique des logements en commerces, etc...) a permis de préserver son harmonie originelle pratiquement intacte et d'éviter l'apparition de tensions sociales qui seraient liées à la cohabitation de l'habitat, des activités économiques et des équipements collectifs. Les villes du patrimoine sont appelées aujourd'hui à relever un grand défi comment mener une action de sauvegarde et de conservation tout en s'intégrant dans leur environnement et tout en assurant un développement économique et social sur une base culturelle ? Autrement dit quelles sont les possibilités de planification, de gestion et de développement des villes historiques ? La sauvegarde de Kairouan : Une approche globale et non monumentale La sauvegarde de la Médina de Kairouan doit être conçue d'une façon globale. La Vision monumentale doit être dépassée. Ce site historique, sans doute le plus préservé de la Tunisie, a conservé une bonne partie de son patrimoine ; près de 160 monuments dont 100 mosquées, 50 zaouias, 3,2 km de remparts, un espace commerciale très importante (plus de 20 souks). En aucun cas, on ne peut ignorer la vie urbaine et son effervescence pour se limiter à restaurer quelques monuments. Cette approche ne remet pas en cause l'importance de la restauration des monuments et son effet d'entraînement sur les divers aspects d'une sauvegarde globale. Cette approche allie : -les méthodes de conservation physique à celle de la planification urbaine, -les méthodes de réhabilitation des monuments aux méthodes de gestion urbaine, -les méthodes d'interventions gouvernementales aux initiatives des citoyens. Les études de reconnaissance et d'identification On ne peut agir sur les villes historiques en ignorant les aspects physiques et sociaux. Les typologies architecturales en relation avec l'évolution historique, la structure urbaine, l'organisation des activités, les données démographiques et sociales, constituent autant d'aspects dont la connaissance et l'analyse sont nécessaires à l'action de sauvegarde. Les études et enquêtes sur le bâti, sont nécessaires à l'élaboration d'une stratégie de réhabilitation et de sauvegarde de la ville historique. Stratégie de réhabilitation et de sauvegarde Dans un projet global de réhabilitation et de sauvegarde comme celui de Kairouan, on peut identifier les projets générateurs - constituant l'épine dorsale du grand projet, et les projets d'accompagnement (-lui sont non moins déterminants de l'avenir de la ville historique et dont les effets indirects sont d'une importance majeure (cas de restauration des monuments). Le projet global vise les objectifs suivants 1) L'arrêt du processus de dégradation, 2) Le rétablissement de l'équilibre entre les habitants, les activités et le bâti, 3) L'amélioration du niveau d'équipement du bâti historique, 4) La réussite de l'équation authenticité-exigences de la vie moderne. La réalisation de ces objectifs nécessite plusieurs solutions -l'élaboration d'un plan de sauvegarde de la Médina et de ses faubourgs, -la mise en place d'un organisme chargé de la réhabilitation du bâti historique et de la promotion des populations et des activités, -la création du cadre financier relatif aux crédits de la réhabilitation, -la participation de la population à la décision et au financement, -une politique plus audacieuse de sensibilisation de la population et des services techniques des institutions intervenant au sein de la Médina, la définition d'un cadre juridique adéquat à une bonne gestion du problème des maisons- en ruine et du foncier tout en étudiant les possibilités d'expropriations, - la réalisation d'actions d'urgence pour la restauration oü la rénovation des maisons ou édifices menaçant ruine, -une meilleure coordination entre les organismes chargés de la Médina, -la création d'un institut de formation aux métiers traditionnels (essentiellement le bâtiment) afin de répondre aux besoins de grands projets de sauvegarde), -augmenter la production et augmenter les performances techniques des matériaux traditionnels servant à la rénovation des bâtiments anciens (brique, chaux, fer forgé, pierre sculptée ...). Le financement des opérations de réhabilitation Le bâti historique ne dispose d'aucun mécanisme de financement. Ainsi la population considérée "non solvable" ne bénéficie d'aucune sorte de crédits pour accéder à la propriété à l'intérieur de la Médina, restaurer ou réhabiliter les logements ou, plus généralement, améliorer les conditions de vie. Des études comme celle menée actuellement s'avèrent nécessaires pour s'approcher de la réalité de la population de la Médina et de l'état du cadre bâti historique. Les premiers résultats de l'observation socio-économique et urbaine ont démontré que 40% de la population est non solvable et doit bénéficier de programmes sociaux, 50% peut supporter un crédit à un taux préférentiel pour pouvoir réhabiliter son logement, accéder à la propriété ou acquérir un logement neuf, le reste (10%0) peut prendre en charge son logement. Sur cette base, il peut être créé "un crédit à la réhabilitation" du bâti historique composé des trois rubriques suivantes : -crédit à la réhabilitation : il est réservé à toute personne ou organe désirant réhabiliter un immeuble traditionnel ancien situé dans la Médina, - fonds d'aide à la restauration : il permet à toute personne possédant un immeuble de grande valeur architecturale et artistique de pouvoir le restaurer, -fonds d'action d'urgence : il permet d'activer les actions dans le bâti menaçant ruine.