Christophe Basson

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Christophe Basson
Rencontre avec Christophe Bassons
Quel plaisir de pouvoir avoir un échange
avec Christophe, assurément l’un des combattants du dopage parmi les plus courageux
du circuit.
Hello Christophe, tu peux te présenter en quelques
lignes ?
Je suis né le 10 juin 1974 à Mazamet, mesure 1m86 et
pèse 78 kgs.
Côté personnel, je suis marié et père de deux enfants, 9
ans et 7 ans et demi. Je suis athé car je pense que croire
en quelqu'un t'empêche de faire le maximum pour atteindre tes objectifs. Trop de personnes dans la société
actuelle attendent des solutions des autres. Il est important de rester et se savoir maître de son avenir. Pour moi,
le problème dans la société actuelle est le manque d'autonomie des personnes. Se sentant "à la merci" des autres,
les personnes perdent de leur estime de soi, source de
plaisir et de bien être. Avant de se vouloir aimé par les
autres, il est nécessaire de s'aimer soi-même. Bien évidemment, certaines personnes n’ont pas le choix et subissent les inégalités.
Côté sportif, j'ai toujours adoré me dépenser et plus particulièrement dans la nature. J'ai pris ma première licence
cyclisme en 1992, l'année de junior 2. Je suis devenu cycliste professionnel en 1996 en intégrant l'équipe Force
Sud puis Festina. J'ai ensuite intégré l'équipe La Française des Jeux pour la saison 1999 puis l'équipe Jean Delatour pour les saisons 2000 et 2001 (dernière année chez
les pros que j'ai stoppée en juillet pour devenir professeur
de sport).
Côté professionnel, je suis désormais professeur de sport
à la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la
cohésion sociale d'Aquitaine.
Je suis correspondant régional CNDS Equipements sportifs (subventionnement par l'état des équipements sportifs), référent régional des règles fédérales équipements
sportifs, correspondant régional de la réglementation des
activités physiques ou sportives, correspondant régional
antidopage et chargé de la prévention des conduites dopantes. C'est un métier qui me convient et qui me permet
de m'entraîner entre 12h00 et 14h00. Néanmoins, je me
limite à deux entraînements par semaine, plus deux entraînements les WE.
Quelques données physiologiques:
- actuellement, 77 ml.mn.kg de VO2 Max (86 ml.mn.kg
soit 6.5 l.mn lorsque j'étais cycliste professionnel)
- 410 watts au seuil avec un maximum de 500 watts sur
ergocycle
- 19,6 km/h de VMA en course à pied
Tu as commencé par le VTT, puis la “route”, tu as enchainé avec le VTT marathon, le trail, tu peux nous parler de ta préparation dans ses différents sports, tu y
trouves des similitudes dans l’entrainement ?
Je compare beaucoup, le trail, VTT et Contre-la-montre
en cyclisme. Ce sont des disciplines qui se ressemblent
en
termes de gestion de l’effort. Le cyclisme sur route est
différent car tu choisis rarement le rythme de course. Il
peut t’arriver de te mettre « minable » à 100 kms de l’arrivée juste pour rester dans le bon groupe, tu sais que tu
récupèreras dans la descente voire sur le plat. De plus, le
cyclisme est un sport porté contrairement à la course à
pied. Mes souvenirs de douleur sont vraiment différents :
en trail, tu as des douleurs articulaires, musculaires
(traumatismes) et d’effort. En cyclisme, tu n’as que des
douleurs d’efforts qui reviennent à chaque course et plus
intenses qu’en trail. J’ai souvenir d’avoir pleuré de douleur sur un vélo, ça ne m’est jamais arrivé en course à
pied. Si tu es au bout de tes limites en course à pied, tu
tombes ; en cyclisme, tu restes sur le vélo et tu attends
que ça passe.
Côté préparation, il y a en effet des similitudes. Dans
l’ordre, travail de fond (endurance), puis travail de PMA
et de seuil (80-92% de FCM), avec de temps en temps du
travail de force.
La course à pied nécessite un travail technique plus important qu’en cyclisme. C’est difficile d’acquérir « du
pied » si tu ne l’as pas travaillé jeune : faire des gammes,
notamment lors d’entraînements sur la piste, est nécessaire. Par contre, s’entraîner sur un vélo est beaucoup
moins traumatisant et on récupère plus vite des entraînements. Les séances sont tout de même plus longues.
Me concernant, j’aime beaucoup les courses typées
course de montagne plutôt que trail type TTN. Je recherche du gros dénivelé, là où les quadriceps sont privilégiés à la qualité « de pied ». Pour cela, mon entraînement est basé principalement sur du VTT (nature ou sur
route) et du travail technique course à pied.
Ma saison 2012 sera principalement articulée sur des
épreuves de kilomètre vertical, des trails courts typés
montagne, des épreuves VTT marathon et des duathlons
de haute montagne.
...
Rencontre avec Christophe Bassons
Le cyclisme est en avance sur tous les autres sports
en matière de nutrition mais on a l’impression que
l’entrainement n’est pas aussi précis qu’en athlétisme, je me trompe ou c’est un peu ça ?
Je pense que ça a beaucoup évolué ces dernières années. Un cycliste, pour s’entraîner, ne se base pas sur
des temps de passage autour d’une piste mais sur sa
fréquence cardiaque ou la puissance qu’il développe.
Malheureusement, le milieu du cyclisme est encore dirigé par des personnes de l’ancienne génération qui
considérait qu’il était nécessaire de faire des bornes et
des bornes pour être performant. Heureusement, arrivent des entraîneurs maîtrisant l’entraînement qualitatif
qui changent les habitudes. Lorsque j’étais cycliste professionnel, de 1996 à 2001, je rémunérais un entraîneur
(Antoine VAYER) et un nutritionniste (Denis RICHE).
J’ai beaucoup appris à leurs côtés, ce qui m’a ensuite
permis d’obtenir mon professorat de sport. Il ne faut
pas oublier que le sport doit rester un outil permettant
aux jeunes d’acquérir une certaine autonomie et non
devenir dépendants de leur entourage.
Ensuite, il est important de ne pas entrer dans la
« conduite dopante » lorsqu’on résonne nutrition. Dans
un principe d’éthique, on doit considérer la nutrition
comme l’acte normal de s’alimenter le mieux possible
pour répondre aux efforts. La prise d’un complément
alimentaire ou autre substance devient alors une conduite dopante et n’est pas nécessaire, sauf anémie ou
pathologie avérée bien évidemment. Contrairement à
ce que les personnes croient, les cyclistes ne sont pas
très formés en diététique. Par contre, ils sont persuadés
qu’ils ont des besoins autres que les personnes
« normales » et donc justifient la prise de compléments
alimentaires ou médicaments pour pallier à d’éventuelles carences et là, commencent les problèmes. Me
concernant, j’ai fait 6 ans de carrière chez les pros sans
prendre de complément alimentaire et je continue ainsi.
Maintenant tu es sur le trail, tu en as l’état d’esprit où
ton propre dépassement prime sur la course ; il faut
que tu portes un dossard obligatoirement pour ressentir cela ou tu pourrais ne pas faire de compétitions ?
J’ai toujours pris beaucoup de plaisir à l’entraînement,
avoir mes références, battre mes records, avoir le sentiment de progresser. La compétition doit rester un
moyen de dépasser ses limites. Je ne suis pas contre la
compétition, à condition que l’objectif recherché ne
soit pas le résultat mais la performance personnelle. La
confrontation aux autres déforme la construction de
l’estime de soi chez les jeunes. Il est impératif de favoriser l’estime de soi autonome (acceptation de soi) et
non rechercher la reconnaissance des autres. Ce n’est
que lorsqu’on s’estime (à distinguer de narcissique)
qu’on devient par automatisme aimé des autres. Il faut
être bien dans sa tête pour être bien avec les autres. La
société actuelle est basée sur la comparaison et em-
pêche une bonne construction de la personnalité. L’excès de relations humaines en est une des principales
causes. Il faut savoir se laisser du temps pour méditer
et apprendre ainsi à se connaître.
Porter un dossard n’influence pas le degré de dépassement chez moi. Je suis davantage motivé pour battre un
record personnel que gagner une course. Je n’ai jamais
eu l’esprit de compétition, par contre la confrontation à
moi-même me plaît beaucoup et a toujours été mon
leitmotiv.
Faire des compétitions permet de découvrir de nouveaux lieux, de nouvelles personnes et ainsi entamer de
nouvelles réflexions.
As tu un avis sur “l’arrivée d’argent” sur le trail, sachant qu’en Italie par exemple l’argent sur les courses
ne date pas d’hier
Je ne suis ni pour ni contre. Certains disent que ça
risque de changer l’esprit qui règne dans le trail. Moi,
je ne pense pas.
On devrait davantage s’inquiéter de l’arrivée de la télévision avec notamment Amaury Sport Organisation qui
s’investit dans les sports de nature.
Les gens s’inquiètent pour les dérives que peut provoquer l’argent dans un sport. Par expérience, la première
cause du dopage n’est pas l’argent mais la reconnaissance. Pour exemple, tous les adeptes de musculation
qui ont des conduites dopantes ne le font pas pour l’argent mais simplement pour s’accepter ou s’imposer
dans un groupe social. On retrouve d’ailleurs ceci dans
les établissements pénitentiaires où les détenus font
beaucoup de musculation et prennent des stéroïdes anabolisants pour se faire une place dans ce monde où la
violence est permanente.
Rencontre avec Christophe Bassons
En outre, que les sportifs gagnent un peu d’argent provenant des organisateurs ou des sponsors, quelle est la
différence ? Au final, j’en conclus que ces courses sont
relativement rentables et permettent aux organisateurs
d’en retirer un petit bénéfice. Dans tous les cas, espérons que certains organisateurs ne décident pas d’augmenter les coûts d’inscription pour proposer des prices
money. Le principe de faire payer le coureur « de
masse » pour payer les meilleurs n’est pas défendable.
Comptons sur la bonne conscience des organisateurs !
Tu peux nous parler de ton rôle dans la lutte anti dopage maintenant ?
Je suis actuellement correspondant régional antidopage.
Je suis chargé de mettre en place les contrôles antidopage en Aquitaine pour le compte de l’Agence Française de Lutte contre le Dopage. Je contrôle environ
500 sportifs par an, du joueur des Girondins de Bordeaux au 50ème d’une course de village ouverte à des
non licenciés, en passant par des rugbymen, des culturistes, des cyclistes, des golfeurs, …
J’ai également une mission de prévention des conduites
dopantes. On définit la conduite dopante comme l’acte
de prendre une substance, interdite ou pas, pour surmonter un obstacle réel ou imaginé. Depuis 10 ans, je
répète qu’il est inutile de faire de la prévention en basant la prévention sur les dangers du dopage pour la
santé. C’est un discours qui n’est pas entendu par les
jeunes sportifs car rares sont les cas concrets confirmant cette affirmation scientifique.
Me concernant, je m’attache davantage à travailler sur
les personnalités, l’acceptation de soi, l’estime de soi,
les valeurs du sport, l’éthique, le respect, …
Il est important de rappeler que le dopage est avant tout
un acte de tricherie, néanmoins légitime pour la personne qui y a recours.
Une intervention efficace contre le dopage évitera
l’écueil de la stigmatisation du produit et de la personne qui le consomme. La faute et le discrédit constituent le soubassement des politiques de prévention et
d’éradication des conduites dopantes.
Franchement ce n’est pas flippant de se lever le matin, reprendre le vélo en sachant que le peloton,
Lance Amstrong en particulier va te prendre la tête ?
Ce n’est pas ce qu’il y a de plus agréable mais c’est déjà plus facile quand tu n’as rien à te reprocher. Pendant
2 ans et demi chez Festina, j’ai résisté au dopage et aux
pressions ; ensuite, j’ai pensé qu’il était bon de dire la
vérité pour faire changer les choses mais lorsque certaines personnes ont essayé de m’empêcher de parler, je
suis « entré en guerre » pour conserver ma liberté de
parler.
Quand je prenais le départ, je savais que les autres coureurs me regardaient d’un mauvais œil mais je ne changeais rien à ma manière de penser, d’agir et de parler.
Le pire était pour eux : lorsqu’ils m’entendaient parler,
ils voyaient le mal qui était en eux ; je pense que c’était
cela qui les énervait. En appréhendant la situation de
cette manière, je me sentais être sur le bon chemin en
termes de réflexion, par contre, je savais très bien que
je mettais ma carrière de cycliste professionnel en danger.
Avec du recul, tu ne regrettes rien ?
Honnêtement, je ne regrette rien du tout. J’ai fait une
courte carrière de cycliste professionnel (5 ans et demi)
sur 10 années de licence à la FFC (de 1992 à 2001)
mais j’ai gardé essentiellement que des bons souvenirs
et surtout mon intégrité. J’ai assumé tous mes actes et
je continue ainsi. Je parle librement, je suis bien dans
ma peau, j’adore apporter du plaisir aux autres, je ne
serais pas ainsi si je n’avais pas fait ces choix. Comme
je le disais préalablement, l’estime de soi autonome se
construit en réfléchissant sur soi, pour savoir ce qu’on
est réellement, pas ce qu’on veut paraître être.
Par contre, j’ai tout de même un petit regret : face au
dopage, j’avais l’habitude de m’entraîner plus que les
autres (lors des stages, je rallongeais de quelques kms
après chaque entraînement) espérant pouvoir aller aussi
vite qu’eux. Avec du recul, j’aurais dû faire le contraire
car le dopage permet avant tout de mieux récupérer et
ainsi arriver plus frais au départ d’une course. J’ai fait
l’erreur quelques fois de me « cramer ».
Rencontre avec Christophe Bassons
pression des fraudes, un représentant des pharmaciens
et le procureur de la république. L’objectif principal est
de sanctionner les personnes qui facilitent, incitent ou
organisent la prise de produits dopants.
Un point de la loi est important : Les sportifs dopés encourent des sanctions sportives alors que les personnes
qui dopent encourent des sanctions pénales.
Moi perso je dis que les coureurs dopés sont fautifs,
mais ne devrait ‘on pas s’attaquer plus fort aux médecins, labos, pharmaciens qui eux sont les premiers
maillons de la chaîne ?
C’est le coureur qui fait son choix, donc il a sa part de
responsabilité. Néanmoins, j’aurais tendance à employer des termes différents. Les coureurs qui se dopent
sont ceux qui n’ont pas eu la chance de se forger une
personnalité suffisamment forte pour résister aux pressions. C’est une défaite que de se doper car c’est
s’avouer vaincu d’avance mais chacun fait son choix en
fonction de son vécu, son présent et ses objectifs. Le
sportif qui n’a pas eu la chance d’avoir des parents qui
s‘aiment, qui n’a pas reçu l’amour escompté, qui a vécu
dans la misère, dans la violence ne peut pas faire les
mêmes choix qu’un jeune qui a grandi dans du coton
tout en touchant néanmoins du doigt les difficultés de la
vie.
Il est difficile de critiquer un sportif venant d’un quartier en difficulté ou d’un pays pauvre parce qu’il se
dope. Grâce au dopage, il gagne de l’argent et rend heureux sa famille. Que ferions-nous à sa place ? Il est surtout victime de sa place sociale et on ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir été suffisamment aimé.
Pour ce qui est des personnes qui gravitent autour de ces
sportifs, notamment les médecins, labos et pharmaciens,
il est clair qu’il est important qu’ils soient sanctionnés
s’ils sont responsable d’une quelconque dopage. Dans le
cadre de ma profession, je participe à la commission régionale de lutte contre les trafics de produits dopants. Il
existe cette commission dans chaque région. Elle réunit
les différents services de l’état pouvant avoir connaissance ou utiliser des informations sur les trafics de produits dopants. On y retrouve les douanes, les douanes
judiciaires, la gendarmerie, la police judiciaire, la ré-
Pour finir, une partie du milieu du vélo t’a tourné le
dos ou t’as allumé (même chez les dirigeants) mais
une grande partie des coureurs amateurs, spectateurs, supporters et même simples anonymes te soutiennent, ce n’est pas cela le plus important ?
Il est clair que je préfère que ce soit ainsi. Mais, ce que
je ressens concernant ce soutien ne me semble pas important ; ce qui est important est le constat que la majorité des personnes qui n’ont pas subi ce milieu, exempt
de toute pression, reconnaît les personnes honnêtes, respectueuses et franches.
Régulièrement encore, des personnes me reconnaissant
me félicitent pour mon courage et mon honnêteté. Je
leur réponds simplement que j’ai eu la chance de faire
mon choix, le choix de faire les seules choses que je
puisse assumer. Le courage, c’est faire quelque chose
qu’on a peur de faire. Je n’ai jamais eu peur d’affronter
des sportifs dopés, de ne pas être accepté dans le milieu
cycliste professionnel, de perdre mon travail, de dire la
vérité et de ne pas être reconnu socialement. Par contre,
ma grande peur est qu’un jour je fasse une chose sans
trop réfléchir et difficile à assumer. Dans ce cas-là, il
me faudra beaucoup de courage pour l’avouer !