Travail original Vaccination anti-HPV

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Travail original Vaccination anti-HPV
La Revue Sage-femme 2007 ; 6 : 188-191.
Travail original
Vaccination anti-HPV
J.-Ch. Boulanger
Centre de Gynécologie et d’Obstétrique, CHU, Amiens.
RÉSUMÉ
Les progrès dans la connaissance du cancer du col ont été remarquables ces 30 dernières années : il a été démontré
que l’HPV est la condition nécessaire de la cancérogénèse et les types d’HPV potentiellement oncogènes sont maintenant
connus, les plus fréquemment en cause étant les HPV 16 et 18. Cette filiation établie, l’idée de le prévenir par un vaccin
s’imposait et les étapes ont été franchies rapidement et deux vaccins ont été développés. L’un est bivalent, efficace sur
la prévention des lésions précancéreuses du col utérin dues à HPV 16 et 18, l’autre quadrivalent protège en outre contre
les lésions dues à HPV 6 et 11 qui sont à l’origine des condylomes acuminés.
Mots-clés : Papillomavirus humain • HPV • VLP • Vaccin • Cancer du col.
SUMMARY: Anti-HPV vaccination
Remarkable advances have been made in knowledge of cervical cancer over the last thirty years: it has been demonstrated
that HPV is a necessary condition for cancer genesis and the potentially oncogenic types of HPV have been identified,
generally HPV 16 and 18. This causal mechanism being identified, it became clear that a vaccination was necessary,
rapidly leading to the development of two vaccines. One is bivalent and is effective for the prevention of precancerous
cervical lesions due to HPV 16 and 18. The other is a quadrivalent vaccine which also protects against HPV 6 and 11 types
which cause acuminatum condyloma.
Key words: Human papillomavirus • HPV • VLP • Vaccine • Cervical cancer.
INTRODUCTION
Les progrès de la médecine en général et de la
gynécologie obstétrique en particulier ont été fantastiques ces trente dernières années. Citons pêle-mêle
l’échographie, le diagnostic anténatal, la surveillance
monitorisée du cœur fœtal, la cœlio-chirurgie, l’assistance médicale à la procréation, toutes avancées qui
ont révolutionné notre profession. Mais les progrès
dans le domaine du cancer du col ont été non moins
extraordinaires, dans le traitement et dans la connaissance de la cancérogenèse.
— dans le traitement : qui aurait imaginé il y a
seulement quinze ans que l’on pourrait, sous certaines
conditions, préserver la fécondité des femmes présentant un cancer invasif du col de l’utérus ? L’intervention de Dargent, puisque c’est comme cela qu’il
faut dénommer la trachélectomie élargie, le permet
(fig. 1) ;
— dans la connaissance de la cancérogenèse : depuis
25 ans la responsabilité du papillomavirus humain a
été progressivement affirmée ; il est maintenant établi
que le cancer du col utérin est le premier exemple de
tumeur solide viro-induite et que l’HPV en est la condition nécessaire, mais non suffisante.
Cette filiation établie, l’idée de le prévenir par un
vaccin s’imposait comme cela avait été fait avec le
vaccin B pour le cancer du foie, avec le succès que
l’on sait. En raison des difficultés rencontrées dans la
mise au point d’un vaccin VIH ou HVS, on pouvait
douter d’une réalisation rapide, et pourtant 2 vaccins
ont été mis au point en parallèle.
RAPPEL
HPV est un virus épithéliotrope dont il existe une
quarantaine de types impliqués en cancérogénèse cervicale séparés en 2 groupes principaux [1] :
— HPV dits à bas risque (HPV BR), à l’origine des
condylomes acuminés et de lésions cervicales de bas
grade : ce sont les types 6 11 40 42 43 44… ;
— HPV dits à Haut Risque (HPV HR), encore
appelés oncogènes, à l’origine des lésions cervicales
de haut grade et des cancers : ce sont les types
1618313335 39455152…
Correspondance : J.-Ch. Boulanger, CHU d’Amiens, Centre de Gynécologie et d’Obstétrique, 124 rue Camille Desmoulins, 80054 Amiens Cedex 1.
E-mail : [email protected]
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Travail original • Vaccination anti-HPV
MÉCANISME D’ACTION
Les études pratiquées, tant avec Cervarix® qu’avec
Gardasil®, montrent dans 100 % des cas des taux
d’anticorps anti-HPV très élevés, sans aucune comparaison avec ceux générés par l’infection naturelle.
Les mécanismes de protection sont liés à la présence de ces anticorps neutralisants transsudant dans
le mucus cervical. Ces anticorps constituent un tapis
protecteur à la surface du col.
EFFICACITÉ DES VACCINS
Figure 1
Intervention de Dargent.
Dargent intervention.
Ils sont à peu près impossibles à cultiver, il y avait
donc peu d’espoir d’obtenir un virus atténué ou tué.
MISE AU POINT DU VACCIN
La découverte est venue de la constatation de la
possibilité d’auto assemblage spontané de la protéine
L1 de la paroi du virus, la capside, en pseudo virion
d’HPV. Ces structures pseudo-virales ne sont pas
infectantes et, associées à un adjuvant, sont très
immunogènes.
Ce qui est vraiment remarquable, c’est la vitesse à
laquelle les différentes étapes ont été franchies.
Deux vaccins ont été développés en parallèle :
— Cervarix®, par la société Glaxo Smith Kline,
est un vaccin bivalent contre les 2 types principaux
d’HPV potentiellement oncogènes : HPV 16 et
HPV 18 ;
— Gardasil®, par Sanofi Pasteur MSD, est un vaccin quadrivalent contre HPV 16 et 18 et les 2 types
principaux d’HPV à bas risque : 6 et 11, responsables
des condylomes acuminés dont on sait la fréquence
chez les jeunes.
La Revue Sage-femme / Volume 6, n° 4, 2007
Pour Cervarix ® , les premiers résultats ont été
publiés par D. Harper en 2004 [2]. Dans un essai sur
1 113 jeunes femmes entre 15 et 25 ans, séro-négatives
HPV 16-18, HR HPVDNA négatives, la protection
est à 27 mois de 100 % vis-à-vis d’une infection persistante à HPV 16/18, de 93 % vis-à-vis d’une anomalie cytologique associée à HPV 16/18, et de 100 %
vis-à-vis d’une néoplasie intra-épithéliale du col
(CIN) prouvée par biopsie, associée à HPV 16/18.
L’analyse combinée des essais de phase II et III a
été publiée récemment [3]. Plus de 20 000 femmes de
15 à 26 ans ont été incluses dans le monde dont 44 %
en Europe. Chez les femmes qui ont respecté le protocole (3 injections), la protection contre les lésions
précancéreuses de Haut Grade (CIN 2,3 et Adénocarcinome in situ) a été de 99 % : 1 lésion chez 8 579 femmes vaccinées et 85 chez 8 550 ayant reçu le placebo.
En incluant les femmes non parfaitement observantes
appelées population sensible non restreinte la protection est de 95 % : 3 lésions chez les vaccinées contre
62 dans le groupe placebo. Par ailleurs, la protection
est également de 100 % vis-à-vis des lésions génitales
externes liées à HPV 6 et 11, et VIN2-3 et VaIN2-3
liés à HPV 16 et 18 [4].
Dans la population en intention de traiter, incluant
tous les sujets randomisés sans tenir compte de leur
statut HPV initial : la réduction de CIN n’est que de
44 %.
HPV 16 et 18 sont à l’origine de 70,7 % des cancers [5]. Puisque les cancers sont précédés de lésions
précancéreuses de haut grade, on peut en déduire
que le vaccin protégera de 70 % des cancers. Ce
chiffre a été avancé en fonction des résultats publiés
par N. Munoz qui a étudié la responsabilité des HPV
16 et 18 dans les cancers invasifs dans le monde.
Mais ces chiffres varient d’un continent à l’autre.
L’étude a été faite en France par l’équipe de Besançon :
c’est l’étude EDITH [6] (Étude de la distribution des
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J.-Ch. Boulanger
types d’HPV dans les CIN2-3 et les cancers invasifs
du col de l’utérus en France) qui a montré qu’HPV
16 et 18 étaient à l’origine en France de 84 % des
cancers. On peut donc peut-être espérer une protection de 84 % des cancers du col, chiffre auquel il
faudrait encore probablement ajouter 8 % en fonction d’une protection croisée non négligeable contre
les HPV 31 et 45 démontrée avec le Cervarix ® [7]
sur la prévention des CIN, sur le taux d’anticorps
pour le Gardasil®.
TOLÉRANCE
Les essais thérapeutiques ont montré la bonne tolérance de ces vaccins à court terme, tant avec Cervarix® qu’avec Gardasil®, puisque les effets secondaires
ne diffèrent pas significativement de ceux du placebo.
MISE EN ŒUVRE
Leur coût est élevé puisque le vaccin quadrivalent
(6, 11, 16, 18) qui est commercialisé coûte 135,59 €,
qu’il faut multiplier par trois injections.
Il est absolument fondamental que la prescription
ne soit pas galvaudée. Elle devra obéir à des règles
strictes qui découlent des résultats des essais disponibles à ce jour : protection à 100 % des CIN3 liés à
HPV 16,18 lorsqu’administrés à des femmes naïves,
c’est-à-dire sérologie HPV 16,18 négative et HPV
HR DNA négative, mais réduction seulement de
44 % chez les femmes tout venant ne tenant pas
compte de leur statut HPV initial. C’est la raison
pour laquelle la vaccination devrait être réalisée chez
les préadolescentes de 11-13 ans avec éventuellement rattrapage de la tranche d’âge 13-18 ans voire
pour certaines jusqu’à 26 ans. La tentation pourrait
être de vacciner toutes les femmes sans discernement, ce qui constituerait une dépense énorme pour
un bénéfice probablement faible qui amènerait à
déconsidérer le vaccin.
En France, il faut appliquer les directives du Comité
Technique des Vaccinations du Conseil Supérieur
d’Hygiène Publique, section des maladies transmissibles parues en mars 2007 qui recommandent la vaccination des jeunes filles à l’âge de 14 ans, afin de les
protéger avant qu’elles ne soient exposées au risque
de l’infection HPV. Ils recommandent que le vaccin
soit également proposé aux jeunes filles et jeunes
femmes de 15 à 23 ans qui n’auraient pas eu de rap-
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ports sexuels ou au plus tard, dans l’année suivant le
début de leur vie sexuelle.
Il y a donc une information considérable à faire
auprès des prescripteurs et auprès des femmes :
— auprès des prescripteurs, qui logiquement
devraient être les médecins généralistes puisque les
préadolescentes ne vont plus en général chez le pédiatre et pas encore chez le gynécologue ;
— auprès des femmes, et il ne faudrait pas tomber
dans le travers de les vacciner toutes quel que soit
l’âge sous prétexte qu’elles le demandent alors que
les oubliées du dépistage continueront de passer à
côté. Il faudra expliquer à ces patientes qui risquent
d’être les plus demandeuses que le vaccin ne pourrait
éventuellement leur être administré qu’après vérification de leur statut HPV, ce qui représente une dépense
considérable qu’il n’est pas possible de mettre à la
charge de la collectivité.
Nous ne connaissons pas la durée de protection
qu’amèneront ces vaccins : l’étude de Harper [2]
montre qu’à quatre ans et demi, le taux d’anticorps
avec le vaccin bivalent est encore 17 fois plus élevé
qu’après infection naturelle et fait penser que la protection devrait durer au moins cinq ans et probablement beaucoup plus, mais rien n’est encore précisé
sur la nécessité éventuelle d’injections de rappel et
leur rythme. Une publication récente de Villa montre
une efficacité clinique avec Gardasil toujours à 100 %
à 5 ans [8].
Il faudra bien expliquer que la vaccination ne supprime pas le dépistage car les hypothèses de protection sont comprises entre 70 et 92 % d’une part, car
toutes les femmes ne seront pas vaccinées d’autre
part. Le dépistage devra être adapté, dans son rythme
et dans ses modalités, et il y aura vraisemblablement
une place pour le test HPV.
La question de savoir s’il faut vacciner les garçons
est fréquemment posée. Il est clair que les problèmes
de coût seront la clé de la réponse. S’ils étaient vaccinés, les risques de contamination des femmes
seraient réduits d’autant, sans bénéfice propre en
cas d’utilisation de Cervarix ®, avec en outre pour
eux-mêmes protection vis-à-vis des condylomes acuminés si l’on utilise le Gardasil®.
On a tendance à être blasé par les incessants progrès de la médecine, mais quand on y réfléchit un instant, c’est une avancée vraiment considérable : le
cancer du col est la première tumeur solide dont on a
percé le mécanisme et par tant réalisé la prévention
par le vaccin. Il pose un problème de santé publique
majeur dans les pays émergents où c’est le premier
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Travail original • Vaccination anti-HPV
cancer féminin, et l’on tient le moyen de le faire disparaître avant même que dans ces pays, son dépistage
puisse être organisé. C’est le sens de plusieurs articles
récents, tels celui de T.Waa : Prophylactic human
papillomavirus vaccines, the beginning of the end of
cervical cancer [9]. En fonction de son coût, c’est
pour l’instant un rêve dans ces pays.
Mais certains ont déjà dépassé ce rêve en imaginant
des aliments transgéniques contenant des protéines
L1 capables de s’auto assembler en particules pseudo
virales vaccinantes [10]. Va-t-on résoudre les problèmes de famine des pays en voie de développement en
vaccinant contre le cancer du col ?
Pour être complet, il faut dire un mot des vaccins
thérapeutiques qui pourraient permettre de traiter les
lésions précancéreuses et les cancers invasifs. Pour
l’instant, les résultats sont décevants. Mais des guérisons de tumeurs équivalentes au cancer du col ont
été obtenues par une équipe de chercheurs de l’Institut Pasteur chez l’animal. Des essais cliniques sont
attendus.
RÉFÉRENCES
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La Revue Sage-femme / Volume 6, n° 4, 2007
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