RESMOND-WENZ Evelyne, 2001, Les maisons cachées
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RESMOND-WENZ Evelyne, 2001, Les maisons cachées
Spirale 20 12/10/05 17:14 Page 89 Évelyne Resmond-Wenz Les maisons cachées « Derrière les carreaux brouillés, tous les enfants voient un bel arbre jaune se changer en oiseau. » Federico Garcia Lorca Tant et tant de lectures de La Petite Maison, Grand-mère sucre et Grand-père chocolat, Bonsoir lune, La Maison à dormir debout ! Il m’est soudain apparu évident que la figure de la maison tient une grande place dans les livres que les très petits enfants aiment particulièrement. De nombreux livres, réclamés par les petits, sont très variés et ont pourtant ce point commun : une maison est présente. Elle est quelquefois une figure du récit, d’autres fois un simple décor, elle est même souvent à peine suggérée par l’image d’une fenêtre, et la vue ainsi offerte sur le dehors. J’ai commencé un modeste inventaire des livres que je lis si souvent et je me suis vite rendu compte que cette présence est récurrente, que le jeu entre le dedans et le dehors tient, dans les albums qui parlent aux petits enfants, une place tout à fait privilégiée. Évelyne Resmond-Wenz, coordinatrice de l’association tél. : 02 96 82 30 98. ACCES Armor, Plouër-sur-Rance, Spirale 20 12/10/05 17:14 Page 90 90 Spirale N° 20 Image de la maison, image du corps : voilà une notion qui a souvent été développée par des philosophes, des psychanalystes. Dans un chapitre intitulé La maison et le corps, Michel Soulé évoque les maisons de nos mémoires, celles qui reviennent dans nos rêves et cite cette phrase : « L’homme a deux espaces : son corps et sa maison ; deux cadres : celui qu’il maintient et celui qu’il construit », attribuée à Artémidore de Daldis, il y a près de 2000 ans ! On « habite » son corps, comme une maison. Et la métaphore de la maison image du corps se retrouve encore plus fréquemment dans notre langage courant. Référence à l’homme ou à l’animal, on parle du corps : corps de bâtiment, nez de marche, main courante, aile droite, aile gauche, œil-debœuf, chien assis… Le patrimoine traditionnel Du côté des comptines Cette analogie est jouée avec le visage dans des enfantines bien connues. Par exemple : Je fais le tour de mon jardin (la tête) bonsoir Papy, bonsoir Mamy (les yeux) je descends l’escalier (le nez) je m’essuie les pieds sur le paillasson (les lèvres) j’ouvre la porte (la bouche) et j’entre… ou encore : Mon toit / mon grenier / mes fenêtres / mes gouttières / mon grand four / mon tambour / mes baguettes / et zim boum boum / zim boum boum / zim boum boum Bien que peu nombreuses, certaines formes brèves traditionnelles accordent une place aux maisons. La maison que Pierre a bâtie est bien connue, ainsi que cette autre randonnée : Dans Paris il y a une rue / dans cette rue une maison / dans cette maison un escalier / dans l’escalier une chambre / Dans cette chambre il y a une table / sur cette table un tapis / Sur ce tapis il y a une cage / dans cette cage il y a un nid / Dans ce nid il y a un œuf / dans cet œuf il y a un oiseau. Spirale 20 12/10/05 17:14 Les maisons cachées Page 91 91 Mais l’oiseau renversa l’œuf / l’œuf renversa le nid / le nid renversa la cage / et la cage le tapis / le tapis renversa la table / la table renversa la chambre / la chambre renversa l’escalier / l’escalier renversa la maison / La maison renversa la rue / et la rue renversa Paris. Paris est renversé ! La maison en carton et son indispensable escalier de papier sont également présentes dans de nombreuses comptines. Celleci a été recueillie en Belgique par Jean Baucomont et Philippe Soupault : Ma maison est en carton / l’escalier en papier / Le numéro est effacé / devinez lequel ? / 3 :/ 1, 2, 3 ! La maison de carton abrite parfois un propriétaire en pomme de terre et un locataire en fil de fer. Elle est aujourd’hui connue des enfants par l’aventure qu’elle réserve au facteur, dans la chanson Pirouette, cacahouète. D’autres chansons, à geste cette fois, permettent de dessiner la maison dans l’espace. C’est le cas pour Le Grand Cerf, également très célèbre. Et puis, parfois la maison brûle et les pompiers sont appelés à la rescousse : Au feu, les pompiers ! Dans le jeu du loup des cours de récréation, les pourchassés peuvent se mettre à l’abri en choisissant un espace et en criant : « Maison ! ». Mais si le pourchassant qui joue le loup veut passer outre, il crie : « Maison brulée ! » et la course reprend. Certaines berceuses évoquent la maison pour rassurer l’enfant qui s’endort. Chez Colas qui va s’endormir, « Papa est en haut, Maman est en bas ». Les contes Dans les contes racontés aux plus jeunes, la maison joue souvent un rôle important. Que seraient Les Trois Ours sans cette maison bien organisée qui sera investie et tourneboulée par l’intruse : Boucle d’or ? Comment imaginer Le Petit Chaperon rouge chez une grandmère sans domicile fixe ? Que dire de la maison du Petit Poucet, de sa porte bien particulière qui permet de sortir en catimini chercher dehors les cailloux qui sauvent ? La maison de l’ogre va nous apporter d’autres émotions. Il faut la voir de loin, de haut, Spirale 20 12/10/05 17:14 Page 92 92 Spirale N° 20 se croire sauvé par ce refuge avant de découvrir qu’il est plein de dangers. Avec Hansel et Gretel et la découverte de la maison de pain d’épice, l’ambivalence est encore plus grande. Une maison de rêve, si douce et si sucrée peut donc aussi cacher la sorcière. Dans le conte type, Les Animaux dans leur petite maison, surtout racontée avec les versions mettant en scène Trois Petits Cochons, la place centrale des maisons est évidente, tout comme dans celui de La Chèvre et les biquets où le loup, à la porte, devra montrer patte blanche. Il y a aussi ce beau conte grec, raconté par Natha Caputo : Letiko, la fille du soleil. Alors que toute la maison est calfeutrée par les soins de la mère, le Soleil emportera Letiko en se glissant par le trou de la serrure. Impossible de clore ce chapitre sans citer Blanche-Neige, qui fuit le château parental pour se réfugier dans la petite maison des nains. Elle comprend trop tard que le danger peut venir par la fenêtre quand la porte est fermée. Parce qu’après deux mésaventures, les nains lui ont interdit d’ouvrir la porte pendant leur absence, elle acceptera, dans la maison, par la fenêtre, la pomme empoisonnée. Les albums d’images La maison dans le décor L’album offre des images mais aussi une mise en scène dans laquelle le décor et l’organisation de l’espace visuel sont essentiels. La maison et le jeu sur les ouvertures peuvent avoir une fonction discrète mais efficace. Une illustratrice de grand talent, Angela Barrett, a proposé sa vision de Blanche-Neige dans un album paru en 1990. En plaçant le lecteur devant une cloison qui sépare les deux espaces, elle fait apparaître ce jeu entre l’intérieur et l’extérieur avec une évidence saisissante. Sont ainsi mis en scène l’ouverture, où la mère se pique le doigt à la fenêtre enneigée, et l’épisode de la pomme empoisonnée. La même artiste a mis en image le texte de Martin Waddell paru en 1990 aux éditions Ouest-France sous le titre La Maison cachée. Là encore, elle propose tout au long du livre un travail remarquable par les portes et les fenêtres vers l’espace extérieur à Spirale 20 12/10/05 17:14 Page 93 Les maisons cachées 93 la maison. C’est seulement la dernière image qui, du jardin maintenant fleuri, ouvre sur l’intérieur de la maison. Ces deux livres ont été lus et relus à beaucoup d’enfants qui ont grandi, et je ne peux plus les lire car ils sont devenus trop rares sinon introuvables. Ils sont cachés, eux aussi, ils attendent, avec nous, qu’un éditeur leur redonne vie. Dominique Rateau a publié Des Livres d’images pour tous les âges très récemment. Elle y parle de sa découverte du rôle de la fenêtre dans Flon-Flon et Musette, et de l’éclairage que son auteur, Elzbieta, apporte dans L’Enfance de l’art. Elzbieta y évoque ce temps passé à la fenêtre, dans son enfance, pendant une guerre dont son père ne reviendra pas. La maison géométrique Dans La Maison, l’artiste et l’enfant, Bruno Duborgel met côte à côte des dessins d’enfants et des œuvres d’artistes qui se révèlent les uns et les autres. Sa réflexion sur la simplicité des images-signes a évoqué pour moi le travail de Nathalie Parain à l’atelier du Père Castor. Dès 1932, dans son livre Ronds et carrés qui vient d’être réédité par Flammarion, comme dans les dessins d’enfants, les carrés, rectangles et triangles évoquent avec évidence les habitats, les maisons des hommes. Une artiste contemporaine, Louise-Marie Cumont, raconte en images de fil brodé sur tissu trois histoires de maisons. C’est un travail remarquable servi par l’évidente simplicité des formes, et j’aimerais que ces livres d’artiste, ces Petits Livres des maisons brodées deviennent aussi des livres de papier afin de rencontrer un plus large public. La maison personnage Les petits enfants que je rencontre aujourd’hui sont friands d’histoires dans lesquelles la maison est presque un personnage. Et je lis sans compter La Petite Maison de Barbro Lindgren : « Voici la petite maison, et voilà la porte de la petite maison… », La Maison à dormir debout d’Audrey et Dan Wood qui provoque des éclats de rire. Beaucoup de rires aussi avec Grand-Mère Sucre, Grand-Père Chocolat, que leur vie sentimentale va conduire de la Spirale 20 12/10/05 17:14 Page 94 94 Spirale N° 20 maison toute en bonbons à une maison de pierre sans doute faite pour durer davantage. Pour résister au temps, La Petite Maison créée en 1942 par Virginia Lee Burton, devra quitter un environnement devenu hostile et être transportée dans un coin de campagne. Les tout-petits aiment aussi La maison de Kimiko. Ces maisons anthropomorphes évoquent pour moi, Wee Willie Winkie’s World, créé en 1906 aux États-Unis par le peintre d’origine allemande Lyonel Feininger. Chez ce précurseur de la bande dessinée, un petit garçon nous fait partager son regard animiste sur le monde. Une maison s’anime, tire la langue et l’effraie : c’est sans doute un tapis rouge que l’on agite… D’une pièce à l’autre Dans certains albums, un fil conducteur tout simple permet de visiter les différentes pièces de la maison. Les protagonistes du récit nous proposent alors un discret repérage des lieux qui contribue certainement au succès de ces histoires. C’est le cas pour Papa Ours dans Enfin la paix, pour Juliette dans Bonne Nuit, et pour le petit garçon qui crie : « Maman ! », d’une pièce à l’autre dans le livre de Mario Ramos. Home sweet home : la maison refuge Bien à l’abri, dans sa chambre, le petit lapin, dessiné en 1947 par Clement Hurd sur un texte de Margaret Wise Brown, peut bien accepter la nuit qui tombe doucement. Tout est douillet et paisible. Les fenêtres ouvrant sur l’extérieur ont permis de voir la progression de la nuit. Quand le petit lapin s’est enfin endormi, la souris, qui s’était cachée dans chaque double page tout au long du livre, est à la fenêtre et regarde dehors. Elle incite le lecteur de Bonsoir lune à regarder aussi. Cette souris semble faire trait d’union entre l’intérieur et l’extérieur. Ces havres de paix sont valorisés dans de nombreux livres. John, le chien de John Rose et le chat, fera son possible pour interdire au chat vagabond l’entrée de la maison de Rose. Le lecteur se régale des jeux sur le dedans et le dehors que l’illustrateur, Ron Brooks, met si bien en valeur. Si la lune pouvait parler, Toc toc toc sont d’autres exemples de réussites dans ce registre. Impossible de parler du refuge sans évoquer les aventures de La Famille Spirale 20 12/10/05 17:14 Page 95 Les maisons cachées 95 souris chez qui la construction et la prise de possession d’un abri sont un enjeu essentiel. De la maison qui inquiète à la maison cauchemar Dans le cinéma burlesque, déjà, chez Buster Keaton ou Charlie Chaplin, les maisons prennent le contre-pied de leur fonction rassurante : elles peuvent inquiéter. Le supposé refuge de La Ruée vers l’or menace de tomber dans le précipice avec ses occupants. De nombreux livres jouent avec la peur et proposent de visiter ces maisons inquiétantes. Depuis plus de vingt ans, La Maison hantée, livre animé créé par Pienkowski, invite le lecteur à chercher fantômes et autres créatures, de l’entrée au grenier, dans les recoins de la maison. (Il tient aujourd’hui dans un petit format pour petites peurs.) La Maison, de Philippe Dumas, contemporaine de la précédente, réservait bien des surprises à Georges, héros curieux et intrépide, parti à la rescousse de Laure Perrault dans un pavillon de banlieue. Une Histoire sombre très sombre, de Ruth Brown, joue, elle aussi, sur l’angoisse d’un cheminement au cœur d’un château sombre, très sombre. Les petits se délectent de cette peur pour rire qui monte au fil de la visite, pendant qu’ils découvrent le château, jusqu’à la surprise finale. Dans les maisons réelles aussi, les dangers sont réels. Les accidents domestiques, dont la prévention est une nécessité, servent de motif à Pittau et Gervais pour C’est dangereux, paru au Seuil cette année. Le catalogue annonce : « […] Les bêtises d’un garçon malicieux mais tellement sympathique […] tirer la queue du chat, donner un coup de pied à un grand costaud… Elles sont nombreuses et très inventives […] » La notice du catalogue ne nous dit pas que, sur le même plan, le lecteur trouve : mettre un sac plastique sur sa tête, faire des acrobaties sur le bord d’une fenêtre, se sécher les cheveux dans la baignoire, et autres prétendues facéties. Les professionnels des urgences apprécieront. Cette démarche relève, je l’espère, de l’inconscience des auteurs, de l’éditeur et des critiques. Et si, selon Pierre Desproges, « on peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui », je ne ris décidément pas avec Pittau-Gervais. Spirale 20 12/10/05 17:14 Page 96 96 Spirale N° 20 Changer de maison Un déménagement peut être difficile à vivre pour les enfants, et cela dès les premiers mois de leur vie. Freud qui a accordé peu d’importance aux maisons dans son œuvre, n’avaitil pas lui-même souffert d’un déménagement à l’âge de 3 ans ? L’événement d’un déménagement est un thème abordé dans quelques livres. Les plus intéressants sont, sans doute, les moins didactiques, et celui que je lis toujours avec plaisir est Le Chat de la maison. Un autre thème « traité » est celui des deux maisons : celle du père et celle de la mère, quand les enfants doivent y trouver leur place. Quitter la maison, le temps d’une aventure Pas besoin de déménager pour quitter la maison. Dans les livres dont les enfants redemandent la lecture sans compter, les héros laissent momentanément la maison pour vivre des aventures imaginaires. C’était déjà le cas de Dorothy, l’héroïne du Magicien d’Oz. Dans l’adaptation cinématographique de Victor Fleming (1939), pas de retour possible à la maison avant la répétition de la phrase magique : « There’s no place like home. » Dans l’univers de Maurice Sendak, Max est prêt à partir à la découverte du pays des Maximonstres quand sa chambre a laissé place à la forêt. C’est au moment où les dernières traces de la chambre ont disparu que le voyage peut commencer. À l’inverse, la fin du voyage est marquée par le retour à l’intérieur, dans la chambre où un repas tout chaud attend Max. Juste au-dessus de la table, la fenêtre est grande ouverte sur une nuit étoilée. Une pleine lune généreuse – celle du début de la « fête épouvantable » – laisse imaginer bien d’autres départs. Dans Cuisine de nuit aussi, la lune accompagne le héros. « Madame la lune le voit » : c’est sous son regard bienveillant que Mickey quitte un moment sa chambre, sans réveiller ses parents, le temps d’une aventure culinaire mi-inquiétante, mi-succulente. Dans un autre grand succès, La Chasse à l’ours, le père participe à l’expédition. Le retour sous la couette, bien en sécurité dans la maison, n’en est pas moins essentiel. Spirale 20 12/10/05 17:14 Page 97 97 Les maisons cachées Un troisième livre illustré par Angela Barrett, Prudence !, met en scène une petite fille attirée par la forêt et mise en garde avec bienveillance par sa mère. La maison est ici le lieu où va naître le désir pour l’inconnu : « Mais qu’y a-t-il donc la-bas ? » La dernière image montre la petite fille revenue dans la chaleur du foyer après sa première exploration. Elle tourne la tête vers la fenêtre dont les lourds rideaux sont tirés. Le désir est intact. Il me semble que l’attirance exercée par la forêt sur la jeune femme de Détruire, dit-elle, publié en 1969 par Marguerite Duras, est du même ordre. C’est également la fonction symbolique de la forêt des contes, celle qui incite les héros à quitter la maison, à quitter le château. Quitter la maison pour construire ailleurs Mais si, dans les contes, les héros quittent le plus souvent la maison ou le château des parents pour vivre leur vie et trouver leur propre lieu, cette proposition est plus rare dans les albums. C’est pourtant l’itinéraire courageux de Laurent, le lapin créé par Anaïs Vaugelade pour Laurent tout seul. La bienveillance de sa mère l’accompagne, lui aussi, et il mène à bien ce passage à une vie d’adulte. Il faut quitter la maison de l’enfance pour construire sa vie ailleurs. Des lieux pour lire Les petites maisons des salles d’attente Dans les salles d’attentes des consultations des services de protection maternelle infantile, les livres sont à leur aise. Ils sont partagés, manipulés, lus à voix haute ; ils provoquent échanges et rires. Certaines des salles d’attente dans lesquelles je transporte mes paniers de livres abritent elles-mêmes une petite maison. Ces maisons sont toutes sur le même modèle : un cube surmonté d’un triangle avec une demi-porte rouge et des volets verts. Pour proposer des livres aux enfants qui sont dans la maison, il faut frapper. Libre à eux de refuser le colporteur. Le plus souvent ils acceptent. Ces livres lus devant un volet ouvert, à un enfant qui reste dans sa cabane, ont toujours une saveur toute particulière. Spirale 20 98 12/10/05 17:14 Page 98 Spirale N° 20 Ils appellent un autre livre, et puis un autre. J’ai vécu cette situation de nombreuses fois, avec des enfants différents, chaque fois, après la lecture, ils prennent le livre dans la maisonnette. Les livres lus s’empilent dans la petite maison, dans le secret de la petite maison inaccessible aux adultes. Le camion-lecture : une cabane sur roues pour partager des livres La camionnette aménagée en coin lecture avec laquelle je sillonne les routes de Bretagne est aussi un lieu idéal pour partager les histoires. Là sont accueillis ceux qui le souhaitent, et l’on a quelquefois l’impression d’être dans La Moufle du célèbre conte russe. Dans cette cabane aux albums, il vaut mieux pourtant ne pas être trop nombreux pour que chacun puisse mettre la main sur le livre qui lui est cher, ou découvrir et se faire lire celui qui attise sa curiosité. Les réactions des parents comme celles des enfants montrent que ce lieu si simple a un charme inattendu : « C’est une merveille », « c’est la caverne d’Ali Baba ». C’est à coup sûr une cabane sur roues qui permet d’aller partout. Les plus petits se nichent dans les coussins ou sur les genoux des plus grands. Tous les visiteurs se sentent chez eux, dans une cabane à histoires où l’on peut, sur place, lire, se faire lire des histoires et s’inventer des voyages. Et l’on retrouve ainsi des thèmes de la littérature enfantine. Dans La Maison qui s’envole, d’abord illustrée dans les années cinquante par Elsa Henriquez, et plus près de nous par Georges Lemoine, Claude Roy raconte l’aventure d’une maison : « Les Glycines ». À son bord, les enfants vivront, en l’absence des parents, un voyage inoubliable. Chris Van Allsburg aussi, avec Le rêve de Pierre, propose un voyage autour du monde, à bord d’une maison. Tous rentreront au bercail, dans l’attente d’autres voyages… « … Il est doux, rentré au port, après la tempête, Couché sous un bon toit, d’entendre sur sa tête, À demi-assoupi, l’averse crépiter… » Sophocle/Yourcenar La Couronne et la lyre Spirale 20 12/10/05 17:14 Page 99 99 Les maisons cachées Bibliographie Ouvrages de référence BAUCOMONT, J. ; SOUPAULT, P. 1961, 1970. Les Comptines de langue française, Paris, Éditions Seghers. DUBORGEL, B. 2001. La Maison. L’artiste et l’enfant, Saint-Étienne, publications de l’université de Saint-Étienne. DURAS, M. 1969. Détruire, dit-elle, Paris, Éditions de Minuit. 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La Maison, Paris, L’École des loisirs. ELZBIETA. 1993. Flon-Flon et Musette, Paris, Pastel, L’École des loisirs. FEININGER, L. 1906. Wee Willie Winkie’s world HILL, S. ; BARRETT, A. 1993. Prudence, Paris, Kaléidoscope, L’École des loisirs. IWAMURA, K. 1985. Une Nouvelle Maison pour la famille Souris, Paris, L’École des loisirs. KOIDE, T. et Y. 1983. Toc, toc, toc, Paris, L’École des loisirs. LEE BURTON, V. 1996. La Petite Maison, Paris, Circonflexe, Édition originale, Boston, Hughton Mifflin Company, 1942. LINDGREN, B. ; ERIKSSON, E. 1995. La Petite Maison, Paris, Pastel, L’École des loisirs. MASUREL, C. ; HENRY, M. H. 1993. Bonne nuit ! Paris, Pastel, L’École des loisirs. MURPHY, J. 1980, 1995. Enfin la paix, Paris, Bayard Éditions. PARAIN, N. 1932, 2001. Ronds et carrés, Paris, Flammarion. Spirale 20 100 12/10/05 17:14 Page 100 Spirale N° 20 PIENKOWSKI, J. 1979, 2001. La Maison hantée, Paris, Nathan. PITTAU-GERVAIS. 2001. C’est dangereux, Paris, Le Seuil Jeunesse. 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Bonsoir lune, L’École des loisirs, Édition originale, New York, Harper & Row, 1947. WOOD, A. et D. 2000. La Maison à dormir debout, Bruxelles, Mijade. Annexe (dans l’espoir d’une réédition) Martin Waddell * La maison cachée Dans une petite maison, au bout d’un chemin, vit un vieil homme du nom de Bruno. Il est très seul dans la petite maison, c’est pourquoi il fait des poupées de bois pour lui tenir compagnie. Il en a trois. Celle qui tricote s’appelle Maisie, celle qui tient une pelle est Ralph, et celle qui porte un sac sur le dos est Winnaker. Elles s’assoient sur le rebord de la fenêtre et regardent Bruno qui travaille dans son jardin à faire pousser des pommes de terre et des choux, des panais et des haricots. Bruno leur parle de temps à autre, mais peu. Ce ne sont que des poupées de bois : elles ne peuvent pas lui répondre, Bruno le sait, il n’est pas stu* Texte de Martin Waddell, adaptation française de Claude Lauriot Prévost, Éditions Ouest-France 1990 (les illustrations étaient d’Angela Barrett). Spirale 20 12/10/05 17:14 Les maisons cachées Page 101 101 pide. Les poupées ne parlent pas, mais je pense qu’elles sont heureuses. Un jour Bruno s’en va et ne revient pas. Tout se met à changer, lentement. Des plantes sauvages recouvrent le chemin et grimpent sur la clôture. Des ronces envahissent le jardin, du lierre se faufile à travers la fenêtre de la petite maison et se répand à l’intérieur. Un arbre pousse dans la cuisine. Maisie, Ralph et Winnaker regardent ce qui se passe par la fenêtre et se couvrent de poussière. Les poupées regardent sans se lasser, jusqu’au jour où les araignées tapissent leur fenêtre de toiles. Alors il n’y a plus rien à voir que ces toiles. Elles ne disent rien, car elles sont en bois, mais je pense qu’elles se sentent seules. Une souris passe par là et grignote la bêche de Ralph. Une bestiole s’installe un jour dans le panier de Maisie puis elle s’en va. Une fourmi explore Winnaker mais ne trouve rien. Lentement, très lentement (cela prend des années et des années), la petite maison de Bruno disparaît au milieu de la verdure. Elle est toujours là, mais personne ne peut la voir. Elle est cachée, et Maisie, Ralph et Winnaker sont cachés aussi à l’intérieur. Je pense que les poupées observent. Il y a des tas de choses à voir dans la maison cachée. La maison est remplie de fourmis et d’insectes, de souris et de crapauds, de bestioles grimpantes et rampantes. La vie grouille partout, plus que jamais. Les abeilles bourdonnent dans la cheminée privée de fumée. La petite maison devient étouffante. Il s’en dégage une odeur de délabrement, mais il s’y passe toujours une multitude de choses. Maisie, Ralph et Winnaker deviennent tout moisis et un peu verts, mais je pense que cela ne leur fait trop rien. Alors un homme s’engage sur le chemin et trouve la petite maison en se frayant un passage à travers les branches. Il n’aperçoit pas Maisie, Ralph et Winnaker, parce que les poupées sont cachées par le lierre. Il aime la petite maison. Le lendemain, il revient avec sa femme et sa fille. Ils explorent la maison et le jardin. Ils les aiment vraiment beaucoup. Ils disent qu’ils vont revenir, mais du temps s’écoule sans qu’ils reviennent. La maison cachée est encore une fois oubliée, et je pense que les poupées de bois en sont tristes. Enfin, au printemps, l’homme revient avec sa femme et sa petite fille. Il porte une grosse hache. Il met de l’ordre dans le jardin. Tous trois nettoient la maison. Ils donnent des coups de Spirale 20 102 12/10/05 17:14 Page 102 Spirale N° 20 marteau, ils enfoncent des clous, ils peignent et lavent jusqu’à ce que tout redevienne charmant. La petite fille trouve Maisie, Ralph et Winnaker. Elle sort ses pinceaux et entreprend de les repeindre. Puis elle les installe sur l’appui de la fenêtre en les faisant regarder vers le jardin rempli de fleurs. « Vous avez tout un monde nouveau à découvrir ! » leur dit la petite fille. « Et toute une nouvelle famille pour prendre soin de vous », dit la femme. « Notre famille », dit l’homme. Et il serre dans ses bras sa femme et sa fille. Maisie, Ralph et Winnaker ne disent pas un mot. C’est impossible. Ce sont des poupées de bois. Mais maintenant elles ont une famille et je pense qu’elles sont à nouveau heureuses.