RESMOND-WENZ Evelyne, 2001, Les maisons cachées

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RESMOND-WENZ Evelyne, 2001, Les maisons cachées
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Évelyne Resmond-Wenz
Les maisons cachées
« Derrière les carreaux brouillés,
tous les enfants voient
un bel arbre jaune se changer en oiseau. »
Federico Garcia Lorca
Tant et tant de lectures de La Petite Maison, Grand-mère
sucre et Grand-père chocolat, Bonsoir lune, La Maison à dormir
debout ! Il m’est soudain apparu évident que la figure de la maison tient une grande place dans les livres que les très petits
enfants aiment particulièrement. De nombreux livres, réclamés
par les petits, sont très variés et ont pourtant ce point commun :
une maison est présente. Elle est quelquefois une figure du récit,
d’autres fois un simple décor, elle est même souvent à peine suggérée par l’image d’une fenêtre, et la vue ainsi offerte sur le
dehors.
J’ai commencé un modeste inventaire des livres que je lis si
souvent et je me suis vite rendu compte que cette présence est
récurrente, que le jeu entre le dedans et le dehors tient, dans les
albums qui parlent aux petits enfants, une place tout à fait privilégiée.
Évelyne Resmond-Wenz, coordinatrice de l’association
tél. : 02 96 82 30 98.
ACCES Armor,
Plouër-sur-Rance,
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Image de la maison, image du corps : voilà une notion qui
a souvent été développée par des philosophes, des psychanalystes. Dans un chapitre intitulé La maison et le corps, Michel
Soulé évoque les maisons de nos mémoires, celles qui reviennent
dans nos rêves et cite cette phrase : « L’homme a deux espaces :
son corps et sa maison ; deux cadres : celui qu’il maintient et
celui qu’il construit », attribuée à Artémidore de Daldis, il y a
près de 2000 ans ! On « habite » son corps, comme une maison.
Et la métaphore de la maison image du corps se retrouve encore
plus fréquemment dans notre langage courant. Référence à
l’homme ou à l’animal, on parle du corps : corps de bâtiment,
nez de marche, main courante, aile droite, aile gauche, œil-debœuf, chien assis…
Le patrimoine traditionnel
Du côté des comptines
Cette analogie est jouée avec le visage dans des enfantines
bien connues. Par exemple :
Je fais le tour de mon jardin (la tête)
bonsoir Papy, bonsoir Mamy (les yeux)
je descends l’escalier (le nez)
je m’essuie les pieds sur le paillasson (les lèvres)
j’ouvre la porte (la bouche)
et j’entre…
ou encore :
Mon toit / mon grenier / mes fenêtres / mes gouttières / mon grand
four / mon tambour / mes baguettes / et zim boum boum / zim
boum boum / zim boum boum
Bien que peu nombreuses, certaines formes brèves traditionnelles accordent une place aux maisons. La maison que Pierre
a bâtie est bien connue, ainsi que cette autre randonnée :
Dans Paris il y a une rue / dans cette rue une maison / dans cette
maison un escalier / dans l’escalier une chambre / Dans cette
chambre il y a une table / sur cette table un tapis / Sur ce tapis il y
a une cage / dans cette cage il y a un nid / Dans ce nid il y a un œuf
/ dans cet œuf il y a un oiseau.
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Mais l’oiseau renversa l’œuf / l’œuf renversa le nid / le nid renversa
la cage / et la cage le tapis / le tapis renversa la table / la table renversa la chambre / la chambre renversa l’escalier / l’escalier renversa
la maison / La maison renversa la rue / et la rue renversa Paris.
Paris est renversé !
La maison en carton et son indispensable escalier de papier
sont également présentes dans de nombreuses comptines. Celleci a été recueillie en Belgique par Jean Baucomont et Philippe
Soupault :
Ma maison est en carton / l’escalier en papier / Le numéro est effacé
/ devinez lequel ? / 3 :/ 1, 2, 3 !
La maison de carton abrite parfois un propriétaire en
pomme de terre et un locataire en fil de fer. Elle est aujourd’hui
connue des enfants par l’aventure qu’elle réserve au facteur, dans
la chanson Pirouette, cacahouète.
D’autres chansons, à geste cette fois, permettent de dessiner
la maison dans l’espace. C’est le cas pour Le Grand Cerf, également très célèbre.
Et puis, parfois la maison brûle et les pompiers sont appelés
à la rescousse : Au feu, les pompiers ! Dans le jeu du loup des cours
de récréation, les pourchassés peuvent se mettre à l’abri en choisissant un espace et en criant : « Maison ! ». Mais si le pourchassant qui joue le loup veut passer outre, il crie : « Maison
brulée ! » et la course reprend.
Certaines berceuses évoquent la maison pour rassurer l’enfant qui s’endort. Chez Colas qui va s’endormir, « Papa est en
haut, Maman est en bas ».
Les contes
Dans les contes racontés aux plus jeunes, la maison joue
souvent un rôle important.
Que seraient Les Trois Ours sans cette maison bien organisée
qui sera investie et tourneboulée par l’intruse : Boucle d’or ?
Comment imaginer Le Petit Chaperon rouge chez une grandmère sans domicile fixe ? Que dire de la maison du Petit Poucet,
de sa porte bien particulière qui permet de sortir en catimini
chercher dehors les cailloux qui sauvent ? La maison de l’ogre va
nous apporter d’autres émotions. Il faut la voir de loin, de haut,
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se croire sauvé par ce refuge avant de découvrir qu’il est plein de
dangers.
Avec Hansel et Gretel et la découverte de la maison de pain
d’épice, l’ambivalence est encore plus grande. Une maison de
rêve, si douce et si sucrée peut donc aussi cacher la sorcière. Dans
le conte type, Les Animaux dans leur petite maison, surtout racontée avec les versions mettant en scène Trois Petits Cochons, la
place centrale des maisons est évidente, tout comme dans celui
de La Chèvre et les biquets où le loup, à la porte, devra montrer
patte blanche. Il y a aussi ce beau conte grec, raconté par Natha
Caputo : Letiko, la fille du soleil. Alors que toute la maison est
calfeutrée par les soins de la mère, le Soleil emportera Letiko en
se glissant par le trou de la serrure.
Impossible de clore ce chapitre sans citer Blanche-Neige, qui
fuit le château parental pour se réfugier dans la petite maison des
nains. Elle comprend trop tard que le danger peut venir par la
fenêtre quand la porte est fermée. Parce qu’après deux mésaventures, les nains lui ont interdit d’ouvrir la porte pendant leur
absence, elle acceptera, dans la maison, par la fenêtre, la pomme
empoisonnée.
Les albums d’images
La maison dans le décor
L’album offre des images mais aussi une mise en scène dans
laquelle le décor et l’organisation de l’espace visuel sont essentiels. La maison et le jeu sur les ouvertures peuvent avoir une
fonction discrète mais efficace. Une illustratrice de grand talent,
Angela Barrett, a proposé sa vision de Blanche-Neige dans un
album paru en 1990. En plaçant le lecteur devant une cloison
qui sépare les deux espaces, elle fait apparaître ce jeu entre l’intérieur et l’extérieur avec une évidence saisissante. Sont ainsi mis
en scène l’ouverture, où la mère se pique le doigt à la fenêtre
enneigée, et l’épisode de la pomme empoisonnée.
La même artiste a mis en image le texte de Martin Waddell
paru en 1990 aux éditions Ouest-France sous le titre La Maison
cachée. Là encore, elle propose tout au long du livre un travail
remarquable par les portes et les fenêtres vers l’espace extérieur à
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la maison. C’est seulement la dernière image qui, du jardin
maintenant fleuri, ouvre sur l’intérieur de la maison.
Ces deux livres ont été lus et relus à beaucoup d’enfants qui
ont grandi, et je ne peux plus les lire car ils sont devenus trop
rares sinon introuvables. Ils sont cachés, eux aussi, ils attendent,
avec nous, qu’un éditeur leur redonne vie.
Dominique Rateau a publié Des Livres d’images pour tous les
âges très récemment. Elle y parle de sa découverte du rôle de la
fenêtre dans Flon-Flon et Musette, et de l’éclairage que son
auteur, Elzbieta, apporte dans L’Enfance de l’art. Elzbieta y
évoque ce temps passé à la fenêtre, dans son enfance, pendant
une guerre dont son père ne reviendra pas.
La maison géométrique
Dans La Maison, l’artiste et l’enfant, Bruno Duborgel met
côte à côte des dessins d’enfants et des œuvres d’artistes qui se
révèlent les uns et les autres. Sa réflexion sur la simplicité des
images-signes a évoqué pour moi le travail de Nathalie Parain à
l’atelier du Père Castor. Dès 1932, dans son livre Ronds et carrés
qui vient d’être réédité par Flammarion, comme dans les dessins
d’enfants, les carrés, rectangles et triangles évoquent avec évidence les habitats, les maisons des hommes.
Une artiste contemporaine, Louise-Marie Cumont, raconte
en images de fil brodé sur tissu trois histoires de maisons. C’est
un travail remarquable servi par l’évidente simplicité des formes,
et j’aimerais que ces livres d’artiste, ces Petits Livres des maisons
brodées deviennent aussi des livres de papier afin de rencontrer
un plus large public.
La maison personnage
Les petits enfants que je rencontre aujourd’hui sont friands
d’histoires dans lesquelles la maison est presque un personnage.
Et je lis sans compter La Petite Maison de Barbro Lindgren :
« Voici la petite maison, et voilà la porte de la petite maison… »,
La Maison à dormir debout d’Audrey et Dan Wood qui provoque
des éclats de rire. Beaucoup de rires aussi avec Grand-Mère Sucre,
Grand-Père Chocolat, que leur vie sentimentale va conduire de la
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maison toute en bonbons à une maison de pierre sans doute faite
pour durer davantage. Pour résister au temps, La Petite Maison
créée en 1942 par Virginia Lee Burton, devra quitter un environnement devenu hostile et être transportée dans un coin de
campagne. Les tout-petits aiment aussi La maison de Kimiko.
Ces maisons anthropomorphes évoquent pour moi, Wee Willie
Winkie’s World, créé en 1906 aux États-Unis par le peintre d’origine allemande Lyonel Feininger. Chez ce précurseur de la bande
dessinée, un petit garçon nous fait partager son regard animiste
sur le monde. Une maison s’anime, tire la langue et l’effraie :
c’est sans doute un tapis rouge que l’on agite…
D’une pièce à l’autre
Dans certains albums, un fil conducteur tout simple permet
de visiter les différentes pièces de la maison. Les protagonistes du
récit nous proposent alors un discret repérage des lieux qui
contribue certainement au succès de ces histoires. C’est le cas
pour Papa Ours dans Enfin la paix, pour Juliette dans Bonne
Nuit, et pour le petit garçon qui crie : « Maman ! », d’une pièce
à l’autre dans le livre de Mario Ramos.
Home sweet home : la maison refuge
Bien à l’abri, dans sa chambre, le petit lapin, dessiné en
1947 par Clement Hurd sur un texte de Margaret Wise Brown,
peut bien accepter la nuit qui tombe doucement. Tout est
douillet et paisible. Les fenêtres ouvrant sur l’extérieur ont permis de voir la progression de la nuit. Quand le petit lapin s’est
enfin endormi, la souris, qui s’était cachée dans chaque double
page tout au long du livre, est à la fenêtre et regarde dehors. Elle
incite le lecteur de Bonsoir lune à regarder aussi. Cette souris
semble faire trait d’union entre l’intérieur et l’extérieur.
Ces havres de paix sont valorisés dans de nombreux livres.
John, le chien de John Rose et le chat, fera son possible pour interdire au chat vagabond l’entrée de la maison de Rose. Le lecteur
se régale des jeux sur le dedans et le dehors que l’illustrateur, Ron
Brooks, met si bien en valeur. Si la lune pouvait parler, Toc toc toc
sont d’autres exemples de réussites dans ce registre. Impossible
de parler du refuge sans évoquer les aventures de La Famille
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souris chez qui la construction et la prise de possession d’un abri
sont un enjeu essentiel.
De la maison qui inquiète à la maison cauchemar
Dans le cinéma burlesque, déjà, chez Buster Keaton ou
Charlie Chaplin, les maisons prennent le contre-pied de leur
fonction rassurante : elles peuvent inquiéter. Le supposé refuge
de La Ruée vers l’or menace de tomber dans le précipice avec ses
occupants.
De nombreux livres jouent avec la peur et proposent de visiter ces maisons inquiétantes. Depuis plus de vingt ans, La Maison hantée, livre animé créé par Pienkowski, invite le lecteur à
chercher fantômes et autres créatures, de l’entrée au grenier, dans
les recoins de la maison. (Il tient aujourd’hui dans un petit format pour petites peurs.) La Maison, de Philippe Dumas,
contemporaine de la précédente, réservait bien des surprises à
Georges, héros curieux et intrépide, parti à la rescousse de Laure
Perrault dans un pavillon de banlieue.
Une Histoire sombre très sombre, de Ruth Brown, joue, elle
aussi, sur l’angoisse d’un cheminement au cœur d’un château
sombre, très sombre. Les petits se délectent de cette peur pour
rire qui monte au fil de la visite, pendant qu’ils découvrent le
château, jusqu’à la surprise finale.
Dans les maisons réelles aussi, les dangers sont réels. Les
accidents domestiques, dont la prévention est une nécessité, servent de motif à Pittau et Gervais pour C’est dangereux, paru au
Seuil cette année. Le catalogue annonce : « […] Les bêtises d’un
garçon malicieux mais tellement sympathique […] tirer la queue
du chat, donner un coup de pied à un grand costaud… Elles
sont nombreuses et très inventives […] » La notice du catalogue
ne nous dit pas que, sur le même plan, le lecteur trouve : mettre
un sac plastique sur sa tête, faire des acrobaties sur le bord d’une
fenêtre, se sécher les cheveux dans la baignoire, et autres prétendues facéties. Les professionnels des urgences apprécieront.
Cette démarche relève, je l’espère, de l’inconscience des auteurs,
de l’éditeur et des critiques. Et si, selon Pierre Desproges, « on
peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui », je ne ris décidément pas avec Pittau-Gervais.
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Changer de maison
Un déménagement peut être difficile à vivre pour les
enfants, et cela dès les premiers mois de leur vie. Freud qui a
accordé peu d’importance aux maisons dans son œuvre, n’avaitil pas lui-même souffert d’un déménagement à l’âge de 3 ans ?
L’événement d’un déménagement est un thème abordé dans
quelques livres. Les plus intéressants sont, sans doute, les moins
didactiques, et celui que je lis toujours avec plaisir est Le Chat de
la maison.
Un autre thème « traité » est celui des deux maisons : celle
du père et celle de la mère, quand les enfants doivent y trouver
leur place.
Quitter la maison, le temps d’une aventure
Pas besoin de déménager pour quitter la maison. Dans les
livres dont les enfants redemandent la lecture sans compter, les
héros laissent momentanément la maison pour vivre des aventures imaginaires. C’était déjà le cas de Dorothy, l’héroïne du
Magicien d’Oz. Dans l’adaptation cinématographique de Victor
Fleming (1939), pas de retour possible à la maison avant la répétition de la phrase magique : « There’s no place like home. »
Dans l’univers de Maurice Sendak, Max est prêt à partir à la
découverte du pays des Maximonstres quand sa chambre a laissé
place à la forêt. C’est au moment où les dernières traces de la
chambre ont disparu que le voyage peut commencer. À l’inverse,
la fin du voyage est marquée par le retour à l’intérieur, dans la
chambre où un repas tout chaud attend Max. Juste au-dessus de
la table, la fenêtre est grande ouverte sur une nuit étoilée. Une
pleine lune généreuse – celle du début de la « fête épouvantable »
– laisse imaginer bien d’autres départs. Dans Cuisine de nuit
aussi, la lune accompagne le héros. « Madame la lune le voit » :
c’est sous son regard bienveillant que Mickey quitte un moment
sa chambre, sans réveiller ses parents, le temps d’une aventure
culinaire mi-inquiétante, mi-succulente.
Dans un autre grand succès, La Chasse à l’ours, le père participe à l’expédition. Le retour sous la couette, bien en sécurité
dans la maison, n’en est pas moins essentiel.
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Un troisième livre illustré par Angela Barrett, Prudence !,
met en scène une petite fille attirée par la forêt et mise en garde
avec bienveillance par sa mère. La maison est ici le lieu où va
naître le désir pour l’inconnu : « Mais qu’y a-t-il donc la-bas ? »
La dernière image montre la petite fille revenue dans la chaleur
du foyer après sa première exploration. Elle tourne la tête vers la
fenêtre dont les lourds rideaux sont tirés. Le désir est intact.
Il me semble que l’attirance exercée par la forêt sur la jeune
femme de Détruire, dit-elle, publié en 1969 par Marguerite
Duras, est du même ordre. C’est également la fonction symbolique de la forêt des contes, celle qui incite les héros à quitter la
maison, à quitter le château.
Quitter la maison pour construire ailleurs
Mais si, dans les contes, les héros quittent le plus souvent la
maison ou le château des parents pour vivre leur vie et trouver
leur propre lieu, cette proposition est plus rare dans les albums.
C’est pourtant l’itinéraire courageux de Laurent, le lapin créé par
Anaïs Vaugelade pour Laurent tout seul. La bienveillance de sa
mère l’accompagne, lui aussi, et il mène à bien ce passage à une
vie d’adulte. Il faut quitter la maison de l’enfance pour
construire sa vie ailleurs.
Des lieux pour lire
Les petites maisons des salles d’attente
Dans les salles d’attentes des consultations des services de
protection maternelle infantile, les livres sont à leur aise. Ils sont
partagés, manipulés, lus à voix haute ; ils provoquent échanges
et rires. Certaines des salles d’attente dans lesquelles je transporte
mes paniers de livres abritent elles-mêmes une petite maison.
Ces maisons sont toutes sur le même modèle : un cube surmonté
d’un triangle avec une demi-porte rouge et des volets verts. Pour
proposer des livres aux enfants qui sont dans la maison, il faut
frapper. Libre à eux de refuser le colporteur. Le plus souvent ils
acceptent. Ces livres lus devant un volet ouvert, à un enfant qui
reste dans sa cabane, ont toujours une saveur toute particulière.
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Ils appellent un autre livre, et puis un autre. J’ai vécu cette situation de nombreuses fois, avec des enfants différents, chaque fois,
après la lecture, ils prennent le livre dans la maisonnette. Les
livres lus s’empilent dans la petite maison, dans le secret de la
petite maison inaccessible aux adultes.
Le camion-lecture : une cabane sur roues pour partager des livres
La camionnette aménagée en coin lecture avec laquelle je
sillonne les routes de Bretagne est aussi un lieu idéal pour partager les histoires. Là sont accueillis ceux qui le souhaitent, et l’on
a quelquefois l’impression d’être dans La Moufle du célèbre
conte russe. Dans cette cabane aux albums, il vaut mieux pourtant ne pas être trop nombreux pour que chacun puisse mettre
la main sur le livre qui lui est cher, ou découvrir et se faire lire
celui qui attise sa curiosité. Les réactions des parents comme
celles des enfants montrent que ce lieu si simple a un charme
inattendu : « C’est une merveille », « c’est la caverne d’Ali Baba ».
C’est à coup sûr une cabane sur roues qui permet d’aller partout.
Les plus petits se nichent dans les coussins ou sur les genoux des
plus grands. Tous les visiteurs se sentent chez eux, dans une
cabane à histoires où l’on peut, sur place, lire, se faire lire des histoires et s’inventer des voyages.
Et l’on retrouve ainsi des thèmes de la littérature enfantine.
Dans La Maison qui s’envole, d’abord illustrée dans les années
cinquante par Elsa Henriquez, et plus près de nous par Georges
Lemoine, Claude Roy raconte l’aventure d’une maison : « Les
Glycines ». À son bord, les enfants vivront, en l’absence des
parents, un voyage inoubliable. Chris Van Allsburg aussi, avec Le
rêve de Pierre, propose un voyage autour du monde, à bord d’une
maison. Tous rentreront au bercail, dans l’attente d’autres
voyages…
« … Il est doux, rentré au port, après la tempête,
Couché sous un bon toit, d’entendre sur sa tête,
À demi-assoupi, l’averse crépiter… »
Sophocle/Yourcenar
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Bibliographie
Ouvrages de référence
BAUCOMONT, J. ; SOUPAULT, P. 1961, 1970. Les Comptines de langue française,
Paris, Éditions Seghers.
DUBORGEL, B. 2001. La Maison. L’artiste et l’enfant, Saint-Étienne, publications de l’université de Saint-Étienne.
DURAS, M. 1969. Détruire, dit-elle, Paris, Éditions de Minuit.
ELZBIETA. 1997. L’Enfance de l’Art, Rodez, Éditions du Rouergue.
GARCIA LORCA, F. 1966. Poésies 1921-1927, Paris, Gallimard.
RATEAU, D. 2001. Des livres d’images, pour tous les âges, Ramonville SaintAgne, Érès.
SOPHOCLE, traduction Marguerite Yourcenar. 1979. La Couronne et la lyre,
Gallimard.
SOULE, M. 1988. « La maison et le corps », L’Enfant et sa maison, Paris, ESF.
Livres pour enfants
BANKS, K. ; HALLENSLEBEN, G. 1997. Si la lune pouvait parler, Paris, Gallimard Jeunesse.
BAUM, L. F. Première édition 1899. Le Magicien d’Oz.
BIGOT, G. ; GOFFIN, J. 2001. Grand-Mère Sucre, Grand-Père Chocolat, Paris,
Bayard Jeunesse.
BROWN, R. 1981. Une Histoire sombre, très sombre, Paris, Gallimard Jeunesse.
CAPUTO, N. 1957. Contes des quatre vents, Letiko, la fille du soleil, Paris, Fernand Nathan.
COOPER, H. 1994. Le Chat de la maison, Paris, Kaléidoscope, L’École des loisirs.
CUMONT, L.-M. Petits livres des maisons brodées, Diffusion Les Trois Ourses.
DUMAS, P. 1979. La Maison, Paris, L’École des loisirs.
ELZBIETA. 1993. Flon-Flon et Musette, Paris, Pastel, L’École des loisirs.
FEININGER, L. 1906. Wee Willie Winkie’s world
HILL, S. ; BARRETT, A. 1993. Prudence, Paris, Kaléidoscope, L’École des loisirs.
IWAMURA, K. 1985. Une Nouvelle Maison pour la famille Souris, Paris, L’École
des loisirs.
KOIDE, T. et Y. 1983. Toc, toc, toc, Paris, L’École des loisirs.
LEE BURTON, V. 1996. La Petite Maison, Paris, Circonflexe, Édition originale,
Boston, Hughton Mifflin Company, 1942.
LINDGREN, B. ; ERIKSSON, E. 1995. La Petite Maison, Paris, Pastel, L’École
des loisirs.
MASUREL, C. ; HENRY, M. H. 1993. Bonne nuit ! Paris, Pastel, L’École des loisirs.
MURPHY, J. 1980, 1995. Enfin la paix, Paris, Bayard Éditions.
PARAIN, N. 1932, 2001. Ronds et carrés, Paris, Flammarion.
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PITTAU-GERVAIS. 2001. C’est dangereux, Paris, Le Seuil Jeunesse.
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des loisirs.
RAMOS, M. 1999. Maman ! Paris, Pastel, L’École des loisirs.
ROSEN, M. ; OXENBURY, H. 1997. La Chasse à l’ours. Paris, Kaléidoscope,
L’École des loisirs. Première édition française 1989, Éditions OuestFrance.
ROY, Claude ; HENRIQUEZ, E. 1958. La Maison qui s’envole, Lausanne, La
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ROY, Claude ; LEMOINE, G. 1977. La Maison qui s’envole, Paris, Folio junior,
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SENDAK, M. 1967. Max et les maximonstres, Paris, Delpire/L’École des loisirs,
Édition originale, New York, Harper & Row, 1963.
SENDAK, M. 1972. Cuisine de nuit, Paris, L’École des loisirs.
VAN ALLSBURG, C. 1984. Le Rêve de Pierre, Paris, Folio cadet, Gallimard.
VAUGELADE, A. 1996. Laurent tout seul, Paris, L’École des loisirs.
WADDELL, M. ; BARRETT, A. 1990. La Maison cachée, Rennes, Éditions
Ouest-France.
WAGNER, J. ; BROOKS, R. 1978. John, Rose et le chat, Paris, Deux coqs d’or.
WISEBROWN, M. ; HURD, C. 1981. Bonsoir lune, L’École des loisirs, Édition
originale, New York, Harper & Row, 1947.
WOOD, A. et D. 2000. La Maison à dormir debout, Bruxelles, Mijade.
Annexe (dans l’espoir d’une réédition)
Martin Waddell *
La maison cachée
Dans une petite maison, au bout d’un chemin, vit un vieil
homme du nom de Bruno. Il est très seul dans la petite maison,
c’est pourquoi il fait des poupées de bois pour lui tenir compagnie. Il en a trois. Celle qui tricote s’appelle Maisie, celle qui
tient une pelle est Ralph, et celle qui porte un sac sur le dos est
Winnaker.
Elles s’assoient sur le rebord de la fenêtre et regardent Bruno
qui travaille dans son jardin à faire pousser des pommes de terre
et des choux, des panais et des haricots. Bruno leur parle de
temps à autre, mais peu. Ce ne sont que des poupées de bois :
elles ne peuvent pas lui répondre, Bruno le sait, il n’est pas stu* Texte de Martin Waddell, adaptation française de Claude Lauriot Prévost, Éditions
Ouest-France 1990 (les illustrations étaient d’Angela Barrett).
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pide. Les poupées ne parlent pas, mais je pense qu’elles sont heureuses.
Un jour Bruno s’en va et ne revient pas. Tout se met à changer, lentement. Des plantes sauvages recouvrent le chemin et
grimpent sur la clôture. Des ronces envahissent le jardin, du
lierre se faufile à travers la fenêtre de la petite maison et se répand
à l’intérieur. Un arbre pousse dans la cuisine.
Maisie, Ralph et Winnaker regardent ce qui se passe par la
fenêtre et se couvrent de poussière. Les poupées regardent sans
se lasser, jusqu’au jour où les araignées tapissent leur fenêtre de
toiles. Alors il n’y a plus rien à voir que ces toiles. Elles ne disent
rien, car elles sont en bois, mais je pense qu’elles se sentent seules.
Une souris passe par là et grignote la bêche de Ralph. Une
bestiole s’installe un jour dans le panier de Maisie puis elle s’en
va. Une fourmi explore Winnaker mais ne trouve rien. Lentement, très lentement (cela prend des années et des années), la
petite maison de Bruno disparaît au milieu de la verdure. Elle est
toujours là, mais personne ne peut la voir. Elle est cachée, et
Maisie, Ralph et Winnaker sont cachés aussi à l’intérieur. Je pense
que les poupées observent. Il y a des tas de choses à voir dans la
maison cachée.
La maison est remplie de fourmis et d’insectes, de souris et
de crapauds, de bestioles grimpantes et rampantes. La vie
grouille partout, plus que jamais. Les abeilles bourdonnent dans
la cheminée privée de fumée. La petite maison devient étouffante. Il s’en dégage une odeur de délabrement, mais il s’y passe
toujours une multitude de choses. Maisie, Ralph et Winnaker
deviennent tout moisis et un peu verts, mais je pense que cela ne
leur fait trop rien.
Alors un homme s’engage sur le chemin et trouve la petite
maison en se frayant un passage à travers les branches. Il n’aperçoit pas Maisie, Ralph et Winnaker, parce que les poupées sont
cachées par le lierre. Il aime la petite maison. Le lendemain, il
revient avec sa femme et sa fille. Ils explorent la maison et le jardin. Ils les aiment vraiment beaucoup. Ils disent qu’ils vont revenir, mais du temps s’écoule sans qu’ils reviennent. La maison
cachée est encore une fois oubliée, et je pense que les poupées de
bois en sont tristes.
Enfin, au printemps, l’homme revient avec sa femme et sa
petite fille. Il porte une grosse hache. Il met de l’ordre dans le jardin. Tous trois nettoient la maison. Ils donnent des coups de
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Spirale N° 20
marteau, ils enfoncent des clous, ils peignent et lavent jusqu’à ce
que tout redevienne charmant.
La petite fille trouve Maisie, Ralph et Winnaker. Elle sort ses
pinceaux et entreprend de les repeindre. Puis elle les installe sur
l’appui de la fenêtre en les faisant regarder vers le jardin rempli
de fleurs. « Vous avez tout un monde nouveau à découvrir ! »
leur dit la petite fille. « Et toute une nouvelle famille pour
prendre soin de vous », dit la femme. « Notre famille », dit
l’homme. Et il serre dans ses bras sa femme et sa fille.
Maisie, Ralph et Winnaker ne disent pas un mot. C’est
impossible. Ce sont des poupées de bois. Mais maintenant elles
ont une famille et je pense qu’elles sont à nouveau heureuses.