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LE CINÉMA DU 123 COLLECTION DVD L’Incompris prod db/dr de luigi comencini LE CINÉMA DU 123 Une tragédie familiale J OHN DUNCOMBE, consul de Grande-Bretagne à Florence, vient de perdre sa jeune femme. Après l’enterrement, il revient dans sa belle villa, accablé de chagrin. A l’aîné de ses deux fils, Andrea (11 ans), qu’il considère comme sérieux et déjà mûr, il annonce la mort de la mère. Mais il veut la cacher au petit Milo (6 ans). L’apparent manque de réaction d’Andrea le surprend et le blesse. C’est le point de départ d’un malentendu. Luigi Comencini a tourné L’Incompris en 1966 pour le producteur Angelo Rizzoli. Celui-ci s’était attendri sur un roman larmoyant de Florence Montgomery écrit à la fin du XIXe siècle, complètement oublié de nos jours en Angleterre, mais toujours réédité en Italie dans la littérature enfantine de Noël. Le scénario n’a pas gardé grand-chose du roman, mais les attendrissements d’Angelo Rizzoli ont permis à Comencini d’approfondir magnifiquement cette thématique de l’enfance qu’il avait déjà abordée dans son premier long métrage, De nouveaux hommes sont nés (1948), dans Heidi (1952) et dans La Fenêtre sur Luna-Park (1956). La découverte tardive de L’Incompris [en 1978], plus de dix ans après avoir été présenté à Cannes en 1967, et après sa sortie en version française, en 1968, sous le titre Mon fils, cet incompris, permet donc de Anthony Quayle (le consul), Simone Giannozzi (Milo), Stefano Colagrande (Andrea), et Adriana Facchetti (la nurse). prod db/dr A Cannes, en 1967, puis lors de sa sortie en France en 1968, « L’Incompris » fut un échec. A tort, selon Jacques Siclier, qui, dix ans plus tard, dans « Le Monde », rendait justice au talent de Luigi Comencini reconstituer l’itinéraire qui va, ensuite, de Casanova, un adolescent à Venise aux Aventures de Pinocchio, en passant par Les Enfants et nous, grande enquête pour la télévision. (…) Emouvant, bouleversant même, L’Incompris est l’admirable étude de deux états de l’enfance, de deux attitudes devant la mort et les adultes, dans un petit monde bien clos. Le générique court sur des tableaux de la vie de famille à la campagne au XVIIIe siècle, estampes d’un peintre anglais, George Morland. D’emblée, Comencini définit les limites de son histoire : l’intimité de la cellule familiale. Hors quelques échappées dans Florence, sans communication profonde avec la société réelle, tout se passe dans la villa et le parc, enclos des protections illusoires de la richesse, des domestiques et des nurses. La Fiche technique L’Incompris (Incompreso, It.-Fr., 1966, 105 min). Réalisation : Luigi Comencini. Scénario : Leo Benvenuti, Piero de Bernardi, Lucia Drudi Demby, Giuseppe Mangione, d’après le roman de Florence Montgomery. Photographie : Armando Nannuzzi. Musique : Fiorenzo Carpi. Production : Angelo Rizzoli. Interprètes : Anthony Quayle, Stefano Colagrande, Simone Giannozzi. faille est déjà là, avec la mort de la mère. (…) C’est une absence irrémédiable : un portrait dans le salon, une phrase sur un papier resté épinglé dans l’armoire à pharmacie, une voix sur une bande de magnétophone (qui sera effacée), une pierre tombale. Rien ne renaît de ce qui a péri. Andrea le comprend, et pour lui c’est la souffrance qui vient lorsque tombe l’illusion de la famille protectrice. D’un côté, le père, fermé sur son chagrin, attribuant à une sécheresse de cœur le manque de larmes de l’aîné, interrompant, d’une main agacée, le geste pourtant révélateur de son désarroi ; de l’autre, le petit frère gâté, facilement insupportable, et que la mort de sa mère, lorsqu’elle lui est révélée, n’atteint pas. Andrea n’a pas pleuré quand il le fallait, il n’a pas suivi la loi du père, il n’a pas respecté l’être sensible et fragile qu’est, selon FILMOGRAPHIE (de 1948 à 1972) 1948 DE NOUVEAUX HOMMES SONT NÉS (It., 99 min). Avec Adolfo Celi, Luigi Dermasti, Tina Pica. 1949 L’EMPEREUR DE CAPRI (It., 90 min). Avec Toto, Yvonne Sanson. 1951 VOLETS CLOS (It., 90 min). Avec Massimo Girato, Giulietta Masina, Eleonora Rossi Drago. 1952 LA TRAITE DES BLANCHES (It., 97 min). Avec Silvana Pampanini, Vittorio Gassman, Sophia Loren. HEIDI (Sui., 97 min). Avec Elsbeth Sigmund, Heinrich Gretler. 1953 PAIN, AMOUR ET FANTAISIE (It., 90 min). Avec Vittorio De Sica, Gina Lollobrigida. 1954 LA VALIGIA DEI SOGNI (It., 100 min). Avec Umberto Melnati, Maria-Pia Casilio. PAIN, AMOUR ET JALOUSIE (It., 97 min). Avec Vittorio De Sica, Gina Lollobrigida. 1955 LA BELLE DE ROME (It.-Fr., 99 min). Avec Alberto Sordi, Silvana Pampanini. 1956 TU ES MON FILS (It.-Fr., 90 min). Avec Giulia Rubini, Gastone Renzelli. 1957 MARITI IN CITTA (It., 90 min). Avec Renato II/LE MONDE TÉLÉVISION/DIMANCHE 15-LUNDI 16 MAI 2005 Salvatori, Memmo Carotenuto. 1958 MOGLIE PERICOLOSE (It., 100 min). Avec Renato Salvatori, Mario Carotenuto. 1959 UND DAS AM MONTAGMORGEN (RFA, 91 min). Avec O.W. Fischer, Ulla Jacobsson. LE SORPRESE DELL’AMORE (It., 95 min). Avec Memmo Carotenuto, Mario Carotenuto. 1960 LA GRANDE PAGAILLE (It.-Fr., 120 min). Avec Alberto Sordi, Eduardo De Filippo, Serge Reggiani. 1961 A CHEVAL SUR LE TIGRE (It., 102 min). Avec Nino Manfredi, Mario Adorf. 1962 IL COMMISSARIO (It., 102 min). Avec Alberto Sordi, Carlo Bagno. 1963 LA RAGAZZA (It.-Fr., 106 min). Avec Claudia Cardinale, George Chakiris, Marc Michael. 1964 LE PARTAGE DE CATHERINE (Fr.-Esp.-It., 91 min). Avec Catherine Spaak, Enrico Maria Salerno, Marc Michael. 1965 DON CAMILLO EN RUSSIE (It.-Fr.-RFA, 111 min). Avec Fernandel, Gino Cervi. 1966 L’INCOMPRIS (It.-Fr., 105 min). 1968 LES RUSSES NE BOIRONT PAS DE COCA-COLA ! (It.-Fr., 108 min). Avec Nino Manfredi, Françoise Prévost. 1969 SENZA SAPERE NIENTE DI LEI (It., 96 min). Avce Philippe Leroy, Paola Pitagora, Sara Franchetti. CASANOVA, UN ADOLESCENT À VENISE (It., 123 min). Avec Leonard Whiting, Claudio de Kunert, Maria Grazia Buccella. 1972 L’ARGENT DE LA VIEILLE (It., 116 min). Avec Alberto Sordi, Silvana Mangano, Joseph Cotten, Bette Davis. LE CINÉMA DU celui-ci, le petit Milo. Andrea a tort. Tort de savoir que la famille peut s’effriter, livrant l’enfance à la solitude, au conflit avec le monde des adultes. Une œuvre intime rigueur et sensibilité luigi comencini naît à Salò, au bord du lac de Garde, en 1916, « quand Griffith tournait Intolérance », précise-t-il dans ses Mémoires (Enfance, vocation, expériences d’un cinéaste, éd. Jacqueline Chambon). En quête de prospérité, sa famille s’établit en France, à Agen. Passionné par le Bauhaus, le jeune homme rentre au pays pour étudier l’architecture. Avec son condisciple Alberto Lattuada, il fonde une cinémathèque. Jusqu’à l’aprèsguerre, Comencini jongle entre la photographie, la critique et l’écriture de scénarios. Son second court-métrage, le documentaire Bambini in città, fait sensation. « Aujourd’hui il me semble que mon désir de faire du cinéma est venu d’une longue lutte avec ma mère, qui voulait faire de moi un enfant délicat et gentil, écrit-il. Je voyais dans le cinéma la plus grande des transgressions. » Délicats et gentils en apparence, secrètement travaillés par une violence souterraine, ses plus grands films – L’Incompris, Eugenio, Casanova, un adolescent à Venise ; ou encore son Pinocchio – cachent sous leur grâce ineffable une admirable acuité de regard, une radicale absence de sentimentalisme. Comencini croit, tout simplement, aux sentiments, et il les filme, sans complaisance ni mièvrerie, jusqu’à les porter à incandescence. bamberger helene/gamma A partir du malentendu père-fils, la tragédie est inévitable. Et c’est là où intervient l’efficacité fondamentale du style « classique » de Comencini. En peignant les rapports psychologiques de ses trois personnages, il les analyse sans faire appel à la rhétorique (finalement rassurante) du mélodrame sentimental. Il y a toujours, chez lui, la rigueur d’une fatalité, d’une sensibilité qui refuse la sensiblerie. Le charme élégiaque de cette demeure florentine, de cette nature si joliment photographiée, de ces jeux d’enfants sur les pelouses ou sur le lac, est trompeur. Nous le sentons toujours, même dans les scènes qui font rire. Et si notre émotion est grande, c’est parce que nous atteignent les sentiments d’Andrea, ce garçon blessé qui crève intérieurement de ne pas être « reconnu » comme un ami – un égal – par son père. Tout ce que fait Andrea se retourne contre lui, même et surtout lorsqu’il s’occupe de Milo. Car Milo, habitué à être le centre du monde, ne tolère pas qu’Andrea soit plus grand que lui, autonome, qu’il se rapproche plus que lui du père. Ses tours de gamin malicieux sont des flèches cruelles. L’amour fraternel existe bien entre eux, mais l’enfance de Milo, c’est l’égoïsme capricieux ; l’enfance d’Andrea, c’est la conscience de la souffrance qui se retrouve même dans les comédies drolatiques (L’Argent de la vieille) de Comencini, ce grand moraliste. On pleure à ce film, on ne peut pas faire autrement. On pleure de voir si justement exprimés les états successifs de l’enfance, l’incompréhension dont peut être victime un préadolescent, l’incompréhension dont peut faire preuve un père, pourtant aimant, à l’égard de son fils. La faillite de l’éducation et de la famille traditionnelles est toujours au cœur des grandes œuvres de Comencini. Après L’Incompris, il a replacé l’enfant, l’adolescent, dans la société, et c’est Pinocchio, le pantin de bois, qui, par un renversement total des valeurs familiales et sociales, est devenu un jeune garçon libre et heureux. Jacques Siclier Le Monde du 3 mars 1978 123 Comencini croit, tout simplement, aux sentiments… Passion entêtée de Claudia Cardinale pour George Chakiris dans La Ragazza di Bube (un film nourri de l’amour du cinéaste pour sa femme, dont il s’éprit en la voyant rire aux éclats au cinéma). Douleur dévorante du deuil qui ronge de l’intérieur le petit Andrea dans L’Incompris. Dévotion de Giacomo Casanova enfant pour sa mère. Désarroi d’Eugenio, ballotté entre ses parents divorcés. Prolifique, infatigable, Comencini y va de sa comédie à l’italienne (Pain, amour et fantaisie, L’Argent de la vieille), de son film social (Le Grand Embouteillage), de son adaptation littéraire prestigieuse (Cuore, La Storia). Mais il ne cesse jamais de faire œuvre intime. Le plus bel exemple en est sans doute cet admirable feuilleton Les Aventures de Pinocchio (dont il existe une version de deux heures pour le cinéma), réalisé dans la foulée d’une enquête télévisée en six épisodes, Les Enfants et nous. Nourri par cette plongée dans l’Italie contemporaine, le cinéaste regarde le classique de Collodi d’un œil neuf, moderne. Il en fait – comme le montre Jean A. Gili dans sa monographie consacrée au cinéaste (éd. Gremèse) – une œuvre totale où s’exprime une conception de l’homme généreuse et profonde. Nullement atteint par l’affaiblissement général du cinéma italien, Comencini signe encore quelques films splendides dans les années 1980 (notamment Un enfant de Calabre), mais plusieurs attaques le laissent trop diminué pour continuer à tourner. Ses filles Francesca et Cristina sont elles aussi réalisatrices. Quant à Pinocchio, son fils de cinéma, il est devenu adulte, et lui a rendu un jour visite. Moment « de poignante mélancolie : j’avais plus de 70 ans, lui à peine 20, mais, pendant un instant, nous eûmes le même âge ». Florence Colombani LE MONDE TÉLÉVISION/DIMANCHE 15-LUNDI 16MAI 2005/III LE CINÉMA DU 123 Une apocalypse intérieure prod db/dr H ISTOIRE d’incompris : le premier est le film lui-même, qui lors de sa présentation au Festival de Cannes, en 1967, se trouve conspué par l’ensemble de la critique. Il faut attendre sa deuxième sortie en 1978 pour que L’Incompris obtienne une véritable rédemption. Le second est Luigi Comencini, cinéaste prolixe dont l’œuvre est creusée par un malentendu : ses nombreux succès commerciaux, surtout dans le registre de la comédie et du néoréalisme rose, ont souvent masqué une part d’ombre recelant des trésors d’intelligence et de délicatesse. Le troisième, enfin, est celui qui nous intéresse le plus ici : Andrea, le jeune adolescent du film, incarnation absolue de la fermeture des adultes au monde des enfants. Alors que sa mère vient de mourir, Andrea prend en charge son petit frère Milo. Le père, consul britannique à Florence, est moins une figure d’absence que d’impuissance : il ne voit en Andrea que froideur et insensibilité quand celui-ci est en fait victime de l’égoïsme inconscient mais terriblement destructeur de Milo. L’Incompris est la chronique impressionniste de ces petites incompréhensions du quotidien gonflant à la manière d’un terrible mal intérieur. Et Comencini, ici comme un peu plus tard dans son extraordinaire version de Pinocchio, n’est jamais si à l’aise que dans ces affaires internes. La famille, source et refuge des affects, est le lieu de leur épanouissement : un laboratoire de pulsions et d’émotions en circuit fermé. Tout, dans le film, est ainsi marqué par cet équilibre entre dépense et rétention qui détermine l’adolescence. Immédiatement après l’exposition, retour du père à la demeure familiale après l’enterrement de la mère, Comencini se concentre exclusivement sur Andrea et Milo, remis pour l’occasion entre les mains des voisins. Le ton âpre et sec du début laisse alors place à la légèreté de la chronique enfantine : un univers d’inno- La caméra de Comencini suit chaque péripétie avec une pudeur qui renvoie à égale distance froideur et compassion IV/LE MONDE TÉLÉVISION/DIMANCHE 15-LUNDI 16 MAI 2005 cence et d’ouverture que prend en charge Milo, petite force immédiatement sympathique qui affole et rassemble tous les autres personnages autour de lui. Entre Milo, figure de la dépense et de l’énergie, et le père, figure de la rétention et du souvenir, le personnage d’Andrea fait le lien. Ce sera sa malédiction : demeurer dans le monde d’action de l’enfance – et multiplier ainsi les incidents qui l’éloignent de son père – tout en entrant dans le territoire du secret que gardent jalousement les adultes – emblématisé par la bande magnétique sur laquelle est enregistrée la voix de la mère, cachée dans une armoire. En Andrea se joue l’impossible réunion de deux états contradictoires, un tiraillement entre ouverture et fermeture qui contamine peu à peu l’ensemble du film. Tel est L’Incompris : un paradoxe de générosité dans sa peinture animée de la complicité des deux frères et de retenue dans tout ce qui touche au deuil, rapport au père absent ou à la mère défunte (l’esthétique de la trace qui gouverne ici, le manque d’explications concernant divers événements, le silence qui règne dans la vaste demeure bourgeoise). La force bouleversante du film tient autant dans sa précision psychologique que dans la nuance de la mise en scène quand il s’agit de concilier ces mouvements inversés. Cela passe par un signe (Andrea du haut de l’arbre qui salue Milo quand celui-ci part pour l’hôpital, alors qu’ils sont en froid), un regard ou le frémissement d’un baiser au moment où plus personne ne l’attend (Milo, à la toute fin). L’on s’écroule sur ces minuscules élans, froissements de plans, petits riens qui ne rompent à aucun instant le fil ténu de l’étude de caractères. Souvent en retrait, la caméra suit chaque péripétie avec une pudeur qui renvoie à égale distance froideur et compassion. Que la scène flirte avec le grotesque (le retour hilarant en voiture avec l’oncle Will) ou qu’elle décrive l’impossible (l’agonie finale d’Andrea), pas une fausse note, pas la moindre stridence. Comencini est le maître d’une neutralité bienveillante qui lui permet de pousser le mélodrame dans ses derniers retranchements sans jamais perdre de vue la grande vertu de son cinéma : filmer l’indicible douceur, la terrible cruauté de l’enfance avec la délicatesse d’un prince. Vincent Malausa