Pilotage de la liquidité : les prochains enjeux
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Pilotage de la liquidité : les prochains enjeux
Pilotage de la liquidité : les prochains enjeux Par Frédéric VAUSSY, paru dans la Revue Banque le 28/10/2013 Les enjeux induits par les ratios de liquidité sont à la fois techniques, avec la création d’indicateurs internes de pilotage, organisationnels, en raison de la décentralisation de la gestion de la trésorerie au niveau de chaque pays, et commerciaux, avec l’intégration de l’ensemble des coûts de la liquidité dans la tarification des produits. Les nouvelles réglementations préconisées par le Comité de Bâle, dites Bâle III, introduisent pour la première fois au niveau international des normes quantitatives et qualitatives concernant le risque de liquidité. Les banques européennes devront satisfaire aux nouveaux ratios LCR et NSFR, ce qui pèse fortement sur leur rentabilité, alors même que leurs concurrentes américaines n’y seront toujours pas soumises. De plus, le temps de définition de la norme, dont le cadre réglementaire n’est toujours pas fixé, créé un environnement incertain qui pénalise le financement intermédié de l’économie. Pourtant, les enjeux induits par l’instauration des ratios de liquidité sont nombreux, ils sont aussi bien techniques (création d’indicateurs internes de pilotage, collecte de l’information fiable, respect des délais de publication), organisationnels (décentralisation de la gestion de la trésorerie au niveau de chaque pays pour certains établissements) que commerciaux (intégration de l’ensemble des coûts de la liquidité dans la tarification des produits). La prise en compte de l’ensemble de ces facteurs complexifie le pilotage de la liquidité au sein des établissements de crédit. La dualité du risque de liquidité Le risque de liquidité est le risque qu'une banque soit dans l'incapacité d'obtenir de la liquidité à des conditions normales pour satisfaire ses besoins. Il y a deux dimensions pour le risque de liquidité : il se mesure par un besoin de financement quantifiable pour une période donnée et dans une devise donnée. La matérialisation d’un risque de liquidité peut survenir de deux manières. On distingue : le risque de liquidité de financement, correspondant aux besoins de liquidités nécessaires pour faire face aux engagements (identification des gaps de liquidité). Ce risque est idiosyncratique, il concerne individuellement une banque. Sa réalisation se traduit par une mauvaise appréciation des besoins de financement ; le risque de liquidité de marché traduit l’impossibilité de contracter un financement, de compenser ou d'éliminer une position à des conditions normales de marché. Ce risque est idiosyncratique ou systémique ; dans ce cas, il concernera l’ensemble des banques sans distinction. La matérialisation d’un risque de liquidité de marché systémique représente le stade le plus avancé et le plus critique d’une crise financière. Ces deux types de risques de liquidité sont étroitement corrélés : la liquidité de marché permet de satisfaire constamment les besoins de financement des banques. Une banque qui aurait parfaitement identifié ses besoins de financement peut se retrouver dans l’impossibilité de se financer en raison d’une crise de marché. La matérialisation de ce risque de liquidité de marché peut entraîner à son tour le retrait d’une partie des dépôts de la clientèle, matérialisant du même coup l’accroissement du risque de liquidité de financement (besoin de financement supplémentaire). Le pilotage et la mesure du risque de liquidité devra intégrer cette distinction idiosyncratique/ systémique. Piloter sa liquidité en s’appuyant sur des indicateurs internes Une gestion performante du risque de liquidité passe par l’implication de la direction générale dans le pilotage. Elle doit être informée sur l’exposition au risque de liquidité de financement et de liquidité de marché. L’objectif est de permettre une adéquation entre la stratégie groupe et le seuil de tolérance au risque préalablement fixé par la direction générale. Pour gérer le risque de liquidité, les opérationnels calculent et analysent certains indicateurs internes permettant un pilotage court terme et long terme. Les indicateurs clés de pilotage de la liquidité sont notamment : le Liquidity Coverage Ratio (LCR) et le Net Stable Funding Ratio (NSFR) évoqués précédemment : le premier évalue la capacité de l’établissement de crédit à faire face à un choc de liquidité court terme (<30 jours) ; le second garantit que l’établissement dispose de suffisamment de ressources de maturité initiale supérieure à un an pour financer ses actifs à moyen/long terme ; le gap de liquidité qui calcul le décalage de maturité entre les opérations de l’actif et celles du passif ; les indicateurs de diversification qui visent à identifier une éventuelle surexposition (en devise, par investisseur, par zone géographique…) ; les réserves de liquidité qui comprennent notamment les réserves obligatoires et les réserves de trésorerie ; les coûts réels de la liquidité qui prennent en compte les coûts directs d’intérêts sur les emprunts ainsi que les coûts indirects (coûts de détention des stocks d’actifs liquides). Indépendamment de ces indicateurs de « Place », certaines banques développent en complément d’autres indicateurs internes pour s’adapter à leur structure propre. Une grande banque française a par exemple décidé de découper les responsabilités des différents acteurs de la fonction finance pour piloter le plus finement possible son risque de liquidité. Elle segmente son bilan en trois parties : la première partie intègre les actifs et les passifs commerciaux (hors ressources de marché). La banque définit ainsi un BNF (Besoin net de financement) par pays qui servira de base à l’ALM pour piloter le besoin de liquidité avec les métiers. Ainsi, les métiers sont sensibilisés à leur consommation de « cash » et une animation commerciale est créée. Un deuxième indicateur, le BNFR, intègre les hypothèses stressées du LCR dans le calcul des besoins de financement. Les métiers visualisent clairement l’impact de la déformation de la structure du bilan créée par le LCR en fonction des choix commerciaux effectués ; la deuxième est intégralement pilotée par l’ALM-Trésorerie. Elle comprend à l’actif le buffer (stock d’actifs hautement liquides), et au passif les financements de marché ; la troisième partie, supervisée par la direction générale, comprend l’actif structurel (participation, goodwill) et les fonds propres au passif. Ce découpage des responsabilités permet à la direction générale de superviser efficacement l’ensemble du pilotage au sein des comités de liquidité qui intègrent également l’ALM-Trésorerie ainsi que les directeurs de pôle. Dans le cadre de Bâle III et du rôle accru de surveillance du risque de liquidité, les régulateurs (ACP, FSA…) ont introduit des outils de monitoring, c’est-à-dire des indicateurs que les banques doivent fournir à leur superviseur pour faciliter l’évaluation du risque réel encouru. Ces indicateurs dits « externes » (LCR par devise, échelle de maturité, source de financement, actifs disponibles…) s’appuient fortement sur les indicateurs internes développés pour servir ce besoin supplémentaire. Tendre vers une gestion décentralisée de sa trésorerie Avec la crise financière, les régulateurs nationaux favorisent la constitution de stocks de collatéral (venant en garantie des financements et des couvertures contractés) sur leur zone géographique pour limiter la propagation du risque systémique. Ils s’assurent que la réserve de liquidité d’une banque est proportionnée au risque encouru sur un pays donné. Dans cette optique, les banques doivent publier le LCR par devise. Les régulateurs vérifient également que cette réserve de liquidité soit libellée dans la devise du pays donné (découpage du buffer par pays). Aux États-Unis, le superviseur imposera à chaque banque étrangère de créer une filiale qui portera les activités réalisées sur son « sol ». Cette filiale devra être« autosuffisante ». Ainsi, les régulateurs cherchent à protéger leurs systèmes bancaires des situations de non-convertibilité des devises entre elles lors d’une crise. Cette problématique a été rencontrée récemment avec la fermeture du marché desswaps euros/dollars en 2011. Les banques européennes ne pouvaient plus se financer en dollars. La maîtrise des besoins de financement par zones géographiques légitime une tendance à la décentralisation de la gestion de la trésorerie par pays. Jusqu’à présent, c’était le mouvement inverse qui prévalait avec une consolidation des émissions à moyen/long terme. La fragmentation des marchés La zone euro, pourtant théoriquement intégrée monétairement, n’échappe pas à cette tendance de « cloisonnement » de la liquidité par pays. L’hétérogénéité des régulateurs nationaux, les absences de cadres réglementaires harmonisés et de système équivalent d’assurance des dépôts européen poussent à une fragmentation des marchés monétaires au sein même de la zone euro. Chaque pays de la zone euro cherche à attirer et à maintenir la liquidité sur sa zone géographique. Dans le cas de l’Europe, on renforce l’instabilité financière plutôt que de contenir le risque systémique. On assiste à un trop-plein de liquidité sur les pays du nord de l’Europe, compte tenu d’un risque souverain limité. Les taux d’intérêt atteignent des niveaux très faibles et peuvent inciter les gérants à reproduire les erreurs du passé (commercialisation de produits opaques) pour « dynamiser » les rendements. Inversement, les pays du sud de la zone euro au profil de risque plus élevé ne trouvent pas les financements dont ils ont besoin à des coûts raisonnables. On s’éloigne d’un modèle où les banques européennes emprunteraient la liquidité au Nord, où elle abonde, pour la prêter au Sud. Intégrer le coût de la liquidité Le coût de la liquidité facturé aux métiers par la trésorerie est composé de coûts directs (coût moyen de la ressource pour le montant nominal accordé) ainsi que de coûts indirects (coûts de détention des stocks d’actifs liquides). Un des principaux enjeux pour les directions financières et l’ALM sera de définir un mécanisme plus efficace d’allocation du coût de la liquidité, à court terme comme à long terme, pour chacune des activités/métiers de la banque. Dans cette logique, le coût indirect de la liquidité devra désormais être intégré « jusqu’en bout de chaîne » dans ce mécanisme d’allocation. Le ratio LCR a pour objectif de faire constituer un buffer d’actifs liquides au sein des banques pour leur permettre de financer leur activité pendant 30 jours sous des hypothèses de stress extrêmement fortes (retrait d’une partie des dépôts, impossibilité d’émettre de la dette, etc.). Pour répondre aux demandes de financement des métiers et par souci de conformité réglementaire au LCR, l’ALM doit se refinancer pour un montant de dette supérieure aux besoins exprimés, en intégrant les coûts de détention des stocks hautement liquides à mobiliser. Ces coûts supplémentaires appelés « coût du buffer » font partie des coûts indirects de la liquidité. Les métiers devront intégrer dans leur logique commerciale la prise en compte dans un avenir proche des coûts indirects de la liquidité dans le taux de cession interne (en sus des coûts directs). Ainsi, pour pérenniser leur rentabilité, les banques seront amenées à adapter leur tarification en intégrant les coûts indirects liés à la détention du buffer dans la tarification des produits commercialisés. Cette nécessaire adaptation devrait logiquement entraîner une rationalisation de la gamme des produits proposés par branche d’activité ainsi qu’une probable augmentation de la tarification des produits commercialisés. La mise en place de ces nouvelles pratiques sera rythmée par la maturité de chaque établissement bancaire sur ces sujets. L’arbitrage final devra être réalisé au regard de plusieurs critères tels que la stratégie commerciale définie par le groupe, les contraintes de rentabilité de chaque établissement mais également la maturité des systèmes d’information permettant d’intégrer ces nouvelles « contraintes ». Le modèle des banques universelles La crise financière et les normes prudentielles bancaires Bâle III placent aujourd’hui la liquidité au cœur des préoccupations des banques. Ces évolutions combinées aux nouvelles réglementations en cours (gestion du risque de liquidité, renforcement des fonds propres avec Bâle III notamment…) impliqueront des changements en profondeur du modèle des banques universelles, tant en termes de capacité de distribution, de fonctionnement opérationnel que de portefeuille d’activités. Dans cet environnement bancaire en pleine mutation, le pilotage de la liquidité est désormais un enjeu majeur qui, compte tenu de sa complexité de mise en œuvre, nécessite la mobilisation d'importants moyens humains, techniques et financiers. L’appréciation du risque de liquidité tel que défini par le régulateur (EBA, ACP, Comité de Bâle…) peut être différente de celle de la banque qui souhaite disposer de ses propres indicateurs internes. Le dispositif de pilotage de la liquidité doit donc s’appuyer sur des applications informatiques capables de couvrir à la fois les besoins de reportings réglementaires (ratios LCR et NSFR), mais également permettre le pilotage interne de la liquidité pour les phases réalisées et prévisionnelles et pour toutes maturités confondues. La construction, le déploiement et l’utilisation d’un tel dispositif de pilotage de la liquidité nécessitent en prérequis de s’approprier la nouvelle réglementation à partir d’une analyse approfondie des textes, des spécificités métiers du groupe, et de réaliser un inventaire des capacités informatiques de ce dernier. Appréhendée de manière pragmatique et au prix d’efforts constants d’adaptation, la fiabilisation du dispositif de pilotage des ressources rares (liquidité et capital) doit permettre de transformer l’ensemble des contraintes rencontrées (contexte économique, cadre réglementaire, mobilisation interne) en avantage concurrentiel.