Le Pirate - Opéra de Marseille

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Le Pirate - Opéra de Marseille
LE PIRATE CHEZ LES CHEMISES NOIRES
La Marseillaise 19-02-2009
Le « Pirate » tient musicalement et scéniquement ses promesses. (Photo MIGUE MARIOTTI)
Opéra. Evénement de la saison, un opéra méconnu de Bellini. Belle distribution et mise en scène modernisante.
A Marseille, on n’avait pas entendu Il Pirata, troisième opéra de Bellini, depuis 1838. Certes, ce n’est pas Norma, mais la partition,
même un peu convenue, méritait la curiosité. Servi par une distribution tout ce qu’il y a de passionnant, ce Pirate inouï depuis si
longtemps tient musicalement et scéniquement ses promesses.
Le spectacle se laisse voir, dès le moment où l’on accepte l’inévitable modernisation des décors et des costumes. On ne dira jamais
assez combien fascisme, nazisme et autres dictatures ont pu nourrir l’inspiration des metteurs en scène contemporains. Stephen
Medcalf n’échappe pas à la règle de l’imagerie « militaro-sado-masochiste ». Sa marge de manœuvre est mince, ses choix réduits, il
opte donc pour l’uniforme mussolinien, la gabardine gestapiste et la chemise noire (très beau travail de Katia Duflot). Le héros
devient un partisan franc-tireur et le duc un dictateur façon Amérique latine.
Le dépoussiérage n’évite pas le cliché, mais Medcalf, aidé par les beaux décors de Jamie Vartan s’en sort plutôt bien. La mer,
omniprésente, ronge les fondations d’un palais sicilien décati, comme sont rongés les fondements d’un pouvoir inique et cruel. Le lit
conjugal devient un radeau de la Méduse où sombrent les désirs inassouvis ou contrariés des protagonistes. Medcalf, par une
impeccable direction d’acteurs, pose du réalisme sur l’invraisemblance d’un livret à l’emporte-pièce, qui dessine de beaux caractères,
hélas sacrifiés à la banalité romanesque d’une intrigue très convenue. Il s’agit alors d’exacerber les lieux communs du romantisme au
risque de frôler le mauvais goût en jouant le gothique d’un Lewis ou d’une Radcliffe : cadavre tombant de son cercueil, pendaison par
les pieds, et, pour la touche moderne, la kalachnikov à la place de la rapière. On sourit, on passe.
Le défi du bel canto relevé
La distribution, impeccablement constituée, réunit des voix à la hauteur des défis que le bel canto bellinien pose à chaque rôle.
Incontestablement l’Imogène d’Angeles Blancas Gulin remporte la mise. Une voix large, bien timbrée dans les graves, puissante,
parfois un peu trop présente, lui permet de démarrer en force et de nuancer davantage son personnage par la suite. Le rôle est
écrasant ; à la fois colorature par l’ornementation et puissamment dramatique. La scène de la folie, passage obligé de tout bon opéra
romantique, offre un final tendu à l’extrême. La soprano espagnole se double d’une comédienne hors paire. Du très beau chant.
Giuseppe Gipali a toujours ce magnifique ténor clair et distinct, mais on peut regretter une certaine étroitesse de puissance,
heureusement compensée par un art consommé du bel canto. Fabio Maria Capitanucci compose, pour son rôle de méchant, un
croisement cocasse entre un Mussolini gominé et le Général Alcazar. La silhouette frise la caricature. On préfère en sourire que s’en
offusquer, car la voix est belle, le baryton puissant et l’incarnation finalement convaincante. Murielle Oger-Tomao, Ugo Guagliardo
et Bruno Comparetti tirent leur épingle d’un jeu vocal redoutable avec grandeur et panache.
Le chef italien Fabrizio Maria Carminati mène l’orchestre et le chœur de l’opéra d’une battue ferme et précise. Il déploie une trame
orchestrale qui, certes a un goût de déjà entendu, mais qui réserve de très beaux moments.
Quelques huées injustes (pour ne pas dire imbéciles) ont accroché la mise en scène qui n’a pourtant pas de quoi prendre à
rebrousse-poil, même les plus conservateurs. Depuis le temps, on devrait avoir l’habitude. Il n’en fallait pas plus pour donner à cette
première comme un goût d’inachevé. Or ce spectacle bien plus que regardable devrait séduire une grande majorité de vrais
amateurs d’opéra.
PATRICK DE MARIA
Il Pirata, opéra en 2 actes de Vincenzo Bellini, m.e.s. Stephen Medcalf, décors Jamie Vartan, costumes Katia Duflot, lumières Simon Cordier, avec
l’Orchestre et les chœurs de l’Opéra de Marseille sous la direction musicale de Fabrizio Maria Carminati, Angeles Blancas Gulin (Imogène), Murielle
Oger-Tomao (Adèle), Giuseppe Gipali (Gualtiero), Fabio Capitanucci (Ernesto), Ugo Guagliardo (Goffredo) et Bruno Comparetti (Itulbo),
représentations les vendredi 20 et mercredi 25 février à 20h30, le dimanche 22 février à 14h30 à l’Opéra de Marseille. Infos 04.91.55.11.10 et
opera.marseille.fr