Editions Hatier © Hatier 1 Corrigé (développement et

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Editions Hatier © Hatier 1 Corrigé (développement et
Editions Hatier
Corrigé
(développement et conclusion rédigés)
1. Histoire et commandement
A. L'histoire conçue comme enchaînement de nos choix libres
Nous croyons être la seule origine de nos actions. Nous pensons par exemple que rien d'autre que nous-mêmes
ne décide si nous devons passer à droite ou à gauche de tel arbre pour le contourner. En disposant de nos
mouvements, nous croyons maîtriser le cours des choses.
Ainsi, l'histoire ne serait que le résultat accumulé des mouvements que l'ensemble des hommes ont librement
accomplis. L'événement consiste simplement dans le passage à l'acte d'une volonté qui dispose de la possibilité
de mouvoir des membres ou des outils, ou la nature pour la cultiver, ou encore d'autres hommes. L'événement
résulte du commandement qu'une volonté exprime, et de la lutte que se mènent les hommes pour imposer leur
pouvoir de commandement.
Pourtant, nous nous heurtons à des obstacles, qui dépassent toute volonté humaine. Ainsi par exemple, l'éruption
d'un volcan qui anéantit une ville est indéniablement un événement historique. Il abolit toute œuvre humaine,
tout ce qui dans l'histoire relevait du pouvoir de commander à la nature, à soi, aux autres hommes. Nous
découvrons que l'événement peut être subi.
Mais alors n'est-il pas toujours subi ? notre action sur la nature, sur nous-mêmes, sur les autres hommes n'est-elle
qu'un rêve, dont la réalité parfois nous éveille en nous montrant que tout ce que nous croyons faire, elle ne fait
que le tolérer ? L'agitation que nous montrons à transformer le monde qui nous entoure en exerçant notre pouvoir
de commander ne serait-elle qu'une illusion propre à l'homme insensé, à l'homme faible, qui croit changer
profondément ce qui demeure toujours profondément dans le même ordre. Et cette agitation même, cette
croyance dans notre pouvoir de commander ne seraient alors qu'une détermination de notre nature ?
B. Histoire et ordre de la nature
L'idée selon laquelle nous sommes libres de nos mouvements est une illusion. La plupart de nos actions
proviennent d'une passion, d'un désordre de notre âme dont nous ne savons rien. Cette agitation intérieure
engendre notre empressement à vouloir changer les choses, à chercher à commander. Le commandement est en
nous une passion maladive, et non une liberté qui se déploie. Elle est ce qui nous arrive et non ce qui arrive par
nous, de la même façon que tous les événements naturels.
Tant que tout nous sourit, nous sommes assurés de la puissance de notre pouvoir de commander ; mais, dans
l'adversité, lorsque tout est contre nous, nous disons que tout est malchance, revers de fortune, et nous imputons
cela au hasard.
Mais ce que nous nommons hasard, ce n'est que ce qui ne peut pas s'expliquer par notre illusion. En réalité, rien
ne se produit selon le hasard, la nature suit une règle qui lui est immanente. Cette règle, c'est ce que les stoïciens
appellent le logos ou la raison dans le monde. Cette règle qui pourvoit à l'unité et à la rationalité du tout, dispose
chaque chose en fonction de ce tout, et lui procure une place. Nos actions ne nous font jamais sortir de cette
place, elles résultent au contraire du lot qui nous est imparti dans le tout.
De sorte que tout ce que nous croyons produire en réalité nous arrive. L'histoire n'amène rien de nouveau, elle est
ce qui suit de l'ordre total, ce qui nous apparaît de cet ordre. Notre liberté ne réside pas dans un pouvoir de
modifier les choses, mais dans un pouvoir de ne pas être détruit par ce que l'ordre des choses ne peut manquer de
nous faire subir, nous mortels, soumis à la maladie et à la mort. L'événement qui nous arrive survient au nom de
l'ordre immanent à l'univers, il nous est toujours déjà imposé. Notre liberté consiste à ne plus croire qu'il pourrait
en aller autrement, et à ne plus céder à la peine qui pourrait résulter de ce que nous nous croyons mal-heureux
(c'est-à-dire mal-chanceux).
C. Par l'homme n'arrive que sa sagesse
Nous pouvons rester droits dans l'adversité en assimilant pour notre compte l'ordre des choses, et voir selon ce
point de vue le détail de ce qui nous arrive : avec indifférence.
Puisque tout ce qui arrive par l'homme n'est en réalité qu'une certaine façon d'arriver à l'homme, puisque nous
héritons de notre place et par conséquent subissons l'événement, nous ne chercherons plus à faire l'histoire, mais
à comprendre en quoi elle est une manifestation du logos, de ce qui nous relie à la nature et aux autres hommes :
nous cesserons de vouloir leur commander et les traiterons en égaux.
Mais ne perdons-nous pas alors ce sentiment de liberté qui accompagne nos actions, cette liberté que nous
croyions à l'œuvre dans tous nos mouvements ? L'histoire elle-même n'est plus qu'une certaine conséquence de
l'ordre, et notre action dans l'histoire n'a plus de sens. L'événement étant subi de part en part, il rend impossible
l'insertion d'une liberté dans la succession des temps. L'homme lui-même est une partie de la nature qui, au
même titre que les autres, n'outrepasse pas les limites de sa place impartie dans l'ordre. Certes, il comprend
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l'ordre, et se libère par cette assimilation, mais jamais il ne pourra le modifier. La question qui se pose alors est
celle de l'action humaine dans le monde.
Si je suis sûr de ne pas pouvoir transformer l'ordre, pourquoi agir ? Si l'on veut rendre compte de l'action
humaine, il faut que celle-ci ait un sens, c'est-à-dire qu'elle puisse aboutir à une transformation. Or si l'on suit la
thèse stoïcienne cela paraît impossible.
2. L'événement et l'heure du choix
A. Événement et prévision
Bien des événements historiques se présentent comme des accidents. “ Accident ” désigne ce qui arrive, sans que
l'on ait pu le prévoir, comme une exception à la règle. L'accidentel s'oppose au nécessaire, qui ne peut pas ne pas
arriver, dès lors qu'il est prévu. Pourquoi les événements historiques se présentent-ils comme des accidents ?
Nous nous trouvons alors face à deux possibilités. Ou bien ils se produisent effectivement sans pouvoir être
prévus, et le monde est livré au hasard, ou bien nous ne parvenons pas à les prévoir. La possibilité que le monde
soit livré au hasard a été écartée plus haut par les stoïciens. La régularité avec laquelle certaines choses se
produisent serait en effet incompréhensible si le hasard régnait partout. Il nous faut retenir la seconde possibilité
: nous croyons que les événements sont accidentels parce que nous ne pouvons pas les prévoir, bien que nous
sachions qu'ils adviennent selon des lois.
Il faut alors chercher à connaître les raisons pour lesquelles nous ne parvenons pas à prévoir les événements. Estce une impossibilité absolue, qui tient à la faiblesse de nos moyens, et qui s'explique par notre nature et la place
qui nous est impartie dans le monde ? ou bien une impossibilité relative, qui peut être modifiée par l'homme luimême ? Or il n'est pas certain que nous soyons naturellement condamnés à subir l'événement.
B. Le cours de l'histoire
En effet, dans le chapitre 25 du Prince, Machiavel suit ce raisonnement, que nous nous permettons de citer :
“ Certains ont pensé et pensent que les affaires de ce monde sont de telle sorte gouvernées par Dieu et par la
fortune, que les hommes avec toute leur sagesse ne les peuvent redresser et n'y trouvent même aucun remède.
Ainsi ils pourraient estimer qu'il est vain de suer sang et eau à les maîtriser, au lieu de se laisser gouverner par le
sort. Cette opinion a repris crédit en notre temps à cause des grandes révolutions qu'on a vues et voit tous les
jours, et qui dépassent toute conjecture des hommes. ”
Machiavel commence donc par présenter les raisons qui font adopter la position des stoïciens. Il indique en outre
que les véritables motifs pourraient relever du simple découragement devant les affaires qui tournent mal.
Machiavel avoue qu'il s'est laissé tenter par cette position mais s'est par la suite ravisé en tenant compte du
raisonnement qui suit : “ Je compare la fortune à l'une de ces rivières torrentueuses qui, dans leur colère, noient à
l'entour les plaines, détruisent les arbres et les maisons, dérobent d'un côté la terre pour la porter ailleurs ; chacun
fuit devant elles, tout le monde cède à leur fureur, sans y pouvoir mettre aucun rempart. Malgré cela, les
hommes, quand le temps est paisible, ne laissent pas d'avoir la liberté d'y pourvoir par digues et levées, de sorte
que, si elles croissent une autre fois, ou elles se dégorgeront dans un canal, ou leur fureur n'aura point si grande
licence et ne sera pas si ruineuse. ”
Ainsi, le cours des choses, lorsqu'il est néfaste, s'apparente à ces phénomènes naturels imprévisibles devant
lesquels nous ne pouvons rien faire, sinon fuir. Mais cette constatation de la limite de l'action des hommes, faite
dans un certain contexte, ne doit pas nous amener à douter de la possibilité même de l'action de l'homme, et de
son pouvoir de prévoir les événements. Si parfois l'événement est tel que nous ne pouvons que le subir, nous
avons néanmoins les moyens d'empêcher qu'il ne se reproduise. Nous pouvons agir par avance dans le monde
lui-même en contraignant les événements à suivre un certain chemin, de la même façon que nous contraignons le
lit des rivières.
De sorte que l'événement n'est subi que par qui, pour telle ou telle raison de faiblesse, doute de ses capacités à
agir dans le monde. La soumission à l'événement est une croyance dont l'homme seul est responsable : “ Ainsi en
est-il de la fortune, qui montre sa puissance aux endroits où il n'y a point de force pour lui résister, et qui porte
ses assauts au lieu où elle sait bien qu'il n'y a point de digues ni de levées pour lui tenir tête. ” Cette force
(Machiavel dit “ vertu ”) qui se dresse contre le cours des choses, c'est celle de l'homme, qui cesse de croire dans
la fatalité des événements, et qui propose d'affirmer que l'histoire est ce qui arrive par l'homme. L'événement de
la crue n'a été subi que par des hommes qui ont négligé de construire des digues, non pas parce que cet
événement était inscrit dans l'ordre des choses.
Nous sommes responsables de notre destin, qui n'est rien d'autre que notre avenir funeste, si nous ne faisons rien
pour le prévenir, ou le rendre meilleur. Ne rien faire, c'est le meilleur moyen pour subir l'événement à venir, qui
nous contraindra alors à l'impuissance, et de pire en pire. L'histoire n'est donc que ce que l'homme en fait, elle est
destin s'il y croit, horizon de liberté s'il veut bien agir dès maintenant.
C. Histoire et liberté
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Nous comprenons à présent pourquoi l'alternative pourrait bien être stricte entre agir et subir. Nous ne subirons
que parce que nous n'avons pas agi. L'action humaine est donc ce qui fait une histoire de la succession des temps.
Elle y inscrit le projet de la liberté. À l'opposé d'une thèse selon laquelle l'histoire n'était que l'apparence d'un
ordre déjà écrit, nous comprenons que l'action humaine écrit l'histoire.
Nous pouvons comprendre pourquoi les hommes cherchent à modifier le cours des événements, et en quoi
l'histoire consiste précisément dans cette tentative. L'être humain perçoit son intérêt et s'efforce de la réaliser.
Mais un problème se pose. Certes, tous les individus d'une ville ont intérêt à ce que l'on construise une digue qui
empêche le fleuve proche d'inonder leurs maisons. Mais il est bien évident que les intérêts des hommes ne
convergent pas toujours. L'histoire résulte donc non pas seulement des projets réalisés par les hommes, mais
aussi de leurs conflits.
Or nul ne peut prévoir l'issue du conflit dans lequel il s'engage, sinon il ne s'engagerait pas dans un conflit. Par
conséquent, l'histoire, si elle arrive par l'homme, doit aussi arriver malgré l'intention de chacun des hommes, et
s'imposer à chacun comme le résultat d'un compromis entre les divers intérêts.
Bref, l'histoire pourrait bien n'être qu'un mot qui désigne l'amas des compromis entre les divers intérêts, n'avoir
aucune cohérence, être une autre forme du hasard. L'histoire serait en elle-même impensable, il n'y aurait pas une
histoire, mais les multiples résultats des compromis entre les divers intérêts de tous les hommes.
Comment comprendre l'unité de l'histoire ?
3. Ruse et raison dans l'histoire
A. L'histoire, ou l'incompréhensible conflit des intérêts
Nous avons cru devoir choisir entre agir et subir. Nous comprenons à présent qu'il ne suffit pas d'agir pour ne pas
subir. Le résultat de notre action n'étant pas toujours équivalent à ce qu'on en attendait, il s'impose à nous en fin
de compte, puisqu'il est différent de ce que nous désirions. En rendant à l'action humaine son sens, nous avions
cru pouvoir comprendre l'histoire. À présent, elle nous apparaît comme l'incompréhensible résultat des actions
humaines, qui suivent chacune un intérêt différent, et se contrecarrent mutuellement. L'histoire est alors le champ
de ruines d'une guerre permanente.
Mais peut-être nous trompons-nous sur ce que nous devons comprendre dans l'histoire. Nous y cherchons la
réalisation de buts particuliers, la réussite d'une action particulière. Nous croyons que ce qui est compréhensible,
c'est la réalisation d'un plan forgé dans une conscience. Il est certain que nous ne trouverons pas dans l'histoire ce
genre de résultat. Est-ce à dire qu'elle est absolument incompréhensible ? Non. La guerre entre les peuples
aboutit à un résultat que ne prévoyaient certes pas les parties en présence. Mais peut-être est-ce ce résultat luimême qui est véritablement rationnel, et non le projet des particuliers ?
B. Raison et devenir historique
Hegel montre en effet, dans la Philosophie du droit, qu'il ne faut pas mesurer la rationalité d'une action à la
conformité avec le projet qui l'a portée, mais à l'aune d'un tout autre critère, celui de la rationalité interne de ce
résultat.
Posons par exemple une société dans laquelle les intérêts des particuliers divergent. L'histoire de cette société
apparaîtra comme une lutte entre les intérêts divergents, qui n'aboutit ni à la satisfaction des uns ni à celle des
autres. Du point de vue de chacune des parties, cette lutte n'a pas en elle-même de sens, puisqu'elle n'aboutit pas
au succès définitif d'une partie sur l'autre. Mais cette lutte, considérée en elle-même, permet d'aboutir à certaines
transformations qui font de cette société une société de plus en plus rationnelle, dans laquelle par exemple les
règles du droit s'exercent d'une manière de plus en plus efficace et de plus en plus cohérente.
Ce développement progressif du droit, n'est-ce pas lui que l'on doit considérer comme rationnel, plutôt que les
intérêts divergents qui n'en sont que les causes concourantes ?
Cela suppose que la rationalité réside non dans la conscience qu'ont les particuliers de leur intérêt, mais dans le
devenir même par lequel ces intérêts transforment la société, et sont en retour amenés à muter par l'évolution de
la société. L'unité de l'histoire réside dans le devenir lui-même, dans le changement qui conduit non pas les
hommes, non pas même les sociétés ni les États, mais l'histoire du monde elle-même vers plus de rationalité.
L'histoire est le processus par lequel le monde devient rationnel.
L'histoire est une, parce qu'en elle œuvre la raison, et que la raison est une, comme le pensaient les stoïciens.
Mais on ne peut pas concevoir l'unité rationnelle du monde si on n'identifie pas la raison au devenir historique
qui dépasse le conflit des intérêts humains. À l'image d'un vivant qui se déploie, et qui possède en lui-même la
puissance de s'organiser selon une règle dans laquelle tout dépend de tout, le devenir historique est le
déploiement de cette règle totale et universelle qu'est la raison. La raison n'est rien d'autre que la règle
immanente au devenir historique.
C. Annonce et ruse rationnelles
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L'événement doit alors être considéré sous deux aspects : d'une part il est le résultat de tout ce qui a précédé,
mais il est aussi et surtout un signe, une annonce de ce qui doit lui succéder, de la même façon que tel
changement intervenu dans le déploiement d'un vivant est tout ensemble le résultat de ce qu'il a été et l'annonce
de ce qu'il va être.
Mais cette annonce est double dans le cas de l'histoire. Annonce pour chaque homme de nouveaux intérêts, d'une
nouvelle action à mener dans le monde pour la préservation de ceux-ci, elle est aussi, pour le philosophe qui
cherche à comprendre le monde dans son ensemble, l'annonce d'une nouvelle forme de rationalité qui doit se
déployer à l'échelle du monde.
Conclusion
Qu'en est-il alors de l'histoire ? Certes, elle arrive par l'homme, mais elle est aussi ce qui lui arrive, dans la
mesure où l'homme ne saurait échapper au devenir rationnel du monde. En agissant selon ses propres passions et
ses propres intérêts, dans toute l'étendue de sa liberté, en affrontant les intérêts divergents des autres hommes, il
réalise collectivement le processus par lequel le monde accède à une rationalisation de lui-même. Il contribue
donc activement et en toute liberté à l'avènement d'un ordre qu'il doit pourtant subir. C'est la raison pour laquelle
Hegel parle d'une “ ruse ” de la raison. En nous laissant croire que nous agissons pour satisfaire nos passions et
nos intérêts, le devenir rationnel du monde accélère son propre déploiement. Liberté et nécessité, agir et subir, ne
sont qu'une seule et même chose, saisie de deux points de vue différents.
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