Genève et le Jura sont nés ensemble, en faux jumeaux, de l

Transcription

Genève et le Jura sont nés ensemble, en faux jumeaux, de l
Entre Genève
et Délémont
Un air de famille
Par Joëlle Kuntz
G
enève et le Jura sont nés ensemble, en faux
jumeaux, de l’effondrement de l’Empire napoléonien auquel ils étaient annexés. Ils n’en ont
pas conçu un fort esprit de famille. Non, ils ont
gardé leurs distances. Au Congrès de Vienne, en 1815,
quand se redessinaient les frontières européennes, le
Genevois Charles Pictet de Rochemont soutenait l’idée
que la France prenne l’Ajoie – il disait «le Porrentruy»
– et cède en échange le Pays de Gex à Genève, qui cherchait à s’agrandir. La France hésita puis se refusa à «livrer les catholiques gessiens» à la citadelle protestante,
comme disait Talleyrand. Quand elle «livra» les catholiques du Jura à la Berne réformée, ce fut à la condition
qu’ils puissent garder leur foi. Ils la gardèrent et, de ce
fait, ne devinrent jamais de vrais Bernois. Et c’était avec
Berne que Genève était amie. La Question jurassienne a
commencé à Vienne.
Elle a fait halte à Genève dans les années 1910. Des intellectuels dans la mouvance de Gonzague de Reynold
et Robert de Traz y fondèrent un Mouvement national
jurassien qui s’inscrivit comme la section jurassienne
de la Nouvelle société helvétique. Elitaire, il ne dura pas.
En 1916, une Association des patriotes jurassiens prit la
relève. Elle organisa en 1917 une conférence en ville où
était revendiqué le droit des Jurassiens de fonder leur
canton. La polémique commença aussitôt. Le Journal de
Genève dénonçant les autonomistes comme cléricaux
tandis que le Courrier, l’organe du parti catholique, prenait leur défense.
En 1930, un article publié dans les Cahiers romands, sous
la signature du journaliste genevois Edmond Maître,
exaltait la «race latine» dont le Jura aurait formé la
«Marche du Nord» face au germanisme. Cette prose au
ton maurassien, rêve de poètes voyant le Jura comme la
«troisième île française», «l’île romande», n’a pas fait
école au bout du lac et le courant de droite de la cause
jurassienne a rejoint après la guerre les réseaux de la
Ligue vaudoise.
A Genève, c’est l’Association des amis du Jura, formée
en 1961 autour du professeur Aldo Dami, un spécialiste
des minorités européennes, qui a eu le plus d’influence
comme groupe de pression. Elle a bénéficié du soutien
du Courrier, qui poursuivait sur sa lancée.
Entretemps, l’attitude méprisante du gouvernement
bernois envers les Jurassiens francophones avait rallié
beaucoup de sympathies en faveur d’un nouveau canton. Les Jurassiens eux-mêmes, nombreux dans la place,
popularisaient leurs arguments. En décembre 1962, le
Rassemblement jurassien fondait à Genève l’Association des Jurassiens de l’extérieur, l’une des 22 sections
cantonales qu’il mettait sur pied dans le pays pour faire
avancer son projet.
Les premières manifestations de force des groupes
indépendandistes des années septante déplurent aux
Genevois par leur forme mais pas sur le fond. Comme
ailleurs en Suisse, la crainte de la violence et du désordre inspirait la condamnation de «l’extrémisme»
mais en même temps, la condamnation de l’intransigeance bernoise. A travers ses journaux, l’opinion
genevoise réclamait «de la mesure», du «dialogue»,
de la «bonne foi». Le Journal de Genève avait cessé de
voir dans les Jurassiens des catholiques. Ils étaient
devenus, pour autant qu’ils sachent se tenir, des
Suisses dignes d’un Etat cantonal. Le journal attendait
que Berne reconnût le fait.
Quand ce fut le cas, après tout le processus de négociations, de crises, de votations controversées qui aboutit
au référendum national sur la création du 23e canton, le
Conseil d’Etat genevois sortit de sa réserve habituelle et
proclama in corpore, quelques jours avant le vote, son
plein soutien au nouveau venu. Il était fier du bon fonctionnement des institutions suisses. Le 24 septembre
1978, la participation genevoise au vote (37, 28%) était
un peu plus faible que la moyenne suisse mais Genève
était le deuxième canton le plus enthousiaste après le
Tessin: il était pour le Jura à 91,7%.