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Le design de la visibilité. Un essai de cartographie du web 2.0
par Dominique CARDON
| Lavoisi e r | Rése aux
2008/6 - n ° 152
ISSN 0751-7971 | ISBN 978-2-7462-2312-7 | pages 93 à 137
Pour citer cet article :
— Cardon D., Le design de la visibilité. Un essai de cartographie du web 2.0 , R éseaux 2008/6, n° 152, p. 93-137.
Distribution électronique Cairn pour Lavoisier.
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LE DESIGN DE LA VISIBILITÉ
Un essai de cartographie du web 2.0
Dominique CARDON
DOI:10.3166/Réseaux.152.93-137 © UMLV/Lavoisier – 2008
S
ur le web 2.0, l’identité en ligne apparaît comme un vaste bazar où
tout semble faire signe 1 . Les personnes se rendent certes
caractérisables par les coordonnées que l’on assigne habituellement à
la reconnaissance identitaire comme la photo, le sexe, l’âge ou la profession.
Mais la dynamique qui concourt à la réussite du web 2.0 tient surtout au fait
que de plus en plus d’informations beaucoup moins stables sont aussi
promues au rang d’indices identitaires. C’est d’abord le cas du réseau
relationnel des individus qui est devenu un opérateur central de l’existence et
de la visibilité des personnes sur la toile. Mais les goûts, les textes, les
photos ou les vidéos que l’on aime ou que l’on a faites constituent aussi de
puissants instruments de reconnaissance et d’affiliation aux autres, si bien
que les personnes endossent les contours et les couleurs des productions
auxquels elles (se) sont attachées. A travers les petites phrases de statut et les
humeurs, la mise en récit de soi s’est aussi généralisée auprès de publics bien
plus larges que la population « lettrée » des bloggeurs. Enfin, dans certains
contextes, la disponibilité temporelle et la localisation géographique
apparaissent comme des critères efficaces de caractérisation des individus.
La manière dont sont rendus visibles ces multiples signes d’identité sur les
sites du web 2.0 constitue l’une des variables les plus pertinentes pour
apprécier la diversité des plateformes et des activités relationnelles qui y ont
cours. Que montre-t-on de soi aux autres ? Comment sont rendus visibles les
liens que l’on a tissés sur les plateformes d’interaction ? Et, conséquemment,
comment ces sites permettent-ils aux visiteurs de retrouver les personnes
1. Ce texte a bénéficié des travaux entrepris dans AUTOGRAPH (ANR) et dans le groupe de
recherche sur le web 2.0 d’Orange Labs. Les multiples discussions du mercredi matin avec
N. Pissard, dont les intuitions sont à l’origine de cette typologie, C. Aguiton, J.-S. Beuscart,
M. Crepel, B. Hatt, et C. Prieur ont nourri l’élaboration progressive des idées présentées dans
ce texte. Les remarques de J.-S. Bedo, S. Bertrand et A. Martin sur des versions antérieures
ont permis d’améliorer la formulation de certains arguments. Une version courte présentant
cette typologie a été publiée en février 2008 sur le site d’internet Actu :
http://www.internetactu.net/2008/02/01/le-design-de-la-visibilite-un-essai-de-typologie-duweb-20/
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Réseaux n° 152/2008
qu’ils connaissent et d’en découvrir de nouvelles ? Les formats identitaires et
les stratégies de visibilité/invisibilité proposés par les sites du web 2.0
doivent être regardés ensemble. En effet, un examen transverse des
différentes familles de sites relationnels, qu’il s’agisse des services de
rencontre, d’échanges entre amis, des communautés de goût ou d’intérêt, des
plateformes de partage d’œuvres autoproduites ou des mondes virtuels,
montre que la manière dont les individus apparaissent et dont ils peuvent
tisser des liens est souvent architecturée très différemment. D’une part,
certains sites demandent au participant une fiche signalétique enregistrant
son identité civile et sociale sans proposer d’inscrire avec soi un réseau
d’amis ou de proches, alors que d’autres suggèrent à l’utilisateur de se rendre
visible derrière un pseudo, tout en invitant son réseau relationnel à partager
ses activités sur la plateforme. D’autre part, certains sites privilégient la
recherche par le truchement d’un moteur critériel, alors que d’autres, souvent
à dessein, ne proposent pas de moteur, mais invitent à une navigation à
travers les « amis d’amis », l’appartenance à des groupes ou les tags. Pour
mineurs qu’ils soient, les choix opérés dans le design des fonctionnalités des
plateformes du web 2.0 ont des conséquences très importantes sur les publics
auxquels elles s’adressent et les activités qu’elles accueillent.
Aussi voudrions-nous proposer une réflexion visant à clarifier les différentes
manières dont les personnes et leurs liens sont rendus visibles sur les
plateformes du web 2.0. Cette synthèse de multiples travaux de recherche et
de la littérature sur les social networks sites (SNS) ne propose donc pas une
recherche originale. La typologie et les représentations cartographiques
associées n’ont pas été construites à partir d’un corpus de donnée spécifiques,
mais s’efforcent de résumer en les synthétisant les résultats de ces différents
travaux. Il conviendra donc de lire ces cartes comme des propositions
fragiles et éminemment discutables destinées à encourager la mise en œuvre
de démarches empiriques2.
L’IDENTITÉ NUMÉRIQUE COMME BAZAR
Le web 2.0 participe à sa manière à la dynamique « expressiviste » 3 qui
traverse les sociétés contemporaines avancées. Bousculant la frontière entre
2. Dans le numéro 153, Réseaux proposera un ensemble d’études de cas portant sur Flickr,
Wikipedia, MySpace, les blogs politiques, Second Life et les wikis d’entreprise.
3. ALLARD, 2007.
Le design de la visibilité
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identité privée et publique, les plateformes relationnelles constituent des
espaces de très grande exposition pour les personnes qui s’y engagent. Il est
même frappant de constater, en contraste avec toutes les inquiétudes
relatives à la surveillance numérique et au respect de la privacy, que les
usagers prennent beaucoup de risques avec leur identité 4 . Le succès des
blogs, de MySpace et des multiples social media a souvent été perçu comme
l’expression d’une tendance à exposer au regard des autres des traits de son
identité personnelle habituellement réservés à un cercle fermé de proches.
Sur Flickr, 69 % des photos publiées sont rendues publiques par leur
utilisateur, alors qu’il leur est donné la possibilité de les réserver à un espace
privé5. Sur les blogs, les personnes confient à tous des tourments intimes,
des situations très personnelles ou des discussions familières. Sur MySpace,
elles rendent publiques leurs compositions musicales et exhibent leurs vidéos
personnelles sur DailyMotion. Sur les sites de social networking, de
nombreux dispositifs sont offerts aux utilisateurs pour brider l’accès à leur
fiche aux seuls amis de premier rang, mais 61 % des utilisateurs de
Facebook et 55 % des membres de Friendster se rendent cependant visibles à
tous6.
Il serait pourtant hâtif de conclure à l’indistinction du privé et du public et au
développement d’un exhibitionnisme généralisé et sans règle. Dans le monde
numérique, la notion de publicité prend en effet un sens très différent de
celui qu’elle endosse pour la presse, la télévision ou l’édition. Alors que
dans le monde des médias traditionnels, le fait même de publier marque le
passage dans un espace de visibilité ouvert, global et uniforme, dans
l’univers du web 2.0 cette visibilité est beaucoup moins immédiate,
notamment parce que les utilisateurs disposent de ressources pour contrôler
– même si très relativement – ce qu’ils montrent d’eux et la manière dont les
autres y accèdent. En premier lieu, ils peuvent périmétrer eux-mêmes leur
visibilité à travers un jeu de masques, de filtres ou de sélection de facettes.
On dévoile en effet des éléments très différents sur une fiche de Meetic
destinée à séduire, sur le profil estudiantin de Facebook, dans le patchwork
de goût de MySpace, ou à travers l’iconographie imaginative des avatars de
Second Life. Les utilisateurs peuvent ensuite user de stratégies
d’anonymisation pour créer de la distance entre leur personne réelle et leur
identité numérique, jusqu’à défaire toute référence à ce qu’ils sont et font
4. CARDON, 2008.
5. PRIEUR et al., 2008.
6. GROSS et ACQUISTI, 2005.
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dans la « vraie vie ». Ils peuvent enfin escompter que les modes particuliers
de navigation sur le net préservent, pour certains et pas pour d’autres, leur
identité d’un excès de visibilité. C’est justement cette plasticité de l’espace
public du web qui conduit à interroger ensemble la manière dont les
individus produisent leur apparence numérique et les méthodes qui
permettent aux autres d’y accéder.
Extériorisation et simulation de soi
Pour ce faire, il est utile de décomposer les différents traits qu’un individu
peut être amené à rendre public sur les plateformes relationnelles. Le design
de l’identité dans les espaces numériques présente en effet un caractère
beaucoup plus stratégique que la « gestion de la face » ou le « management
des impressions » dont nous faisons montre dans les interactions en face-àface7. La présentation de soi sur le web articule étroitement les instructions
des interfaces d’enregistrement et les calculs que font les utilisateurs pour
produire la meilleure impression d’eux-mêmes. Aussi l’identité numérique
est-elle une coproduction où se rencontrent les stratégies des plateformes et
les tactiques des utilisateurs. Il n’est pas nécessaire de postuler d’emblée la
pluralité d’un individu à facettes multiples – trait inégalement distribué de
l’individualisme contemporain qui nous semble être une conséquence de ces
dispositifs plutôt qu’une de ses causes –, pour observer que les différents
éléments de l’identité personnelle appartiennent à des familles de repères
identitaires très différents et que le seul fait de « choisir » entre ces familles
contribue à produire des définitions différentes de la personne. Pour
décomposer ces familles, on se propose de considérer que l’identité
numérique est aujourd’hui soumise à un double mouvement d’extériorisation
de soi dans des signes et de réglage réflexif de la distance à soi. Ces
processus renvoient à des dynamiques sociales qui traversent nos sociétés et
que l’on peut identifier comme un double phénomène de subjectivation et de
simulation de soi. Bien qu’intimement liés l’un à l’autre, on les isolera afin
de cartographier le paysage identitaire des univers numériques (cf. Carte 1).
7. GOFFMAN, 1973.
Le design de la visibilité
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Carte 1. Cartographie des traits identitaires projetés
vers les plateformes du web 2.0
Le processus de subjectivation : l’extériorisation de soi
La première dynamique est celle de l’extériorisation de l’identité des
personnes dans des signes, formulation qui recoupe, au moins partiellement,
ce qui est souvent qualifié de processus de subjectivation8. Les interfaces du
web 2.0 présentent toutes une entrée individuelle, une fiche de signalement,
qui constitue le point de départ de toute navigation. Celle-ci enregistre
certaines caractéristiques stables et durables des personnes, mais aussi et
surtout des signes d’identité beaucoup plus diffus, mouvants et multiples que
les participants déposent dans leurs goûts, leurs amis, leurs activités ou leurs
œuvres. Ce que l’on qualifie habituellement de dynamique « expressiviste »9
8. La notion de subjectivation fait l’objet d’acceptions très différentes dans les sciences
sociales. On suit ici le raisonnement d’A. HONNETH dans « Capitalisme et réalisation de soi :
les paradoxes de l’individuation » (2006, p. 305-323) qui souligne que l’individualisme
contemporain fait se rejoindre deux préoccupations différentes : une vers l’autonomie, l’autre
vers l’authenticité. Or cette deuxième composante, « subjectivante » (dont la tradition hérite
du romantisme allemand), prend aujourd’hui une place bien plus importante que la première,
jusqu’à se confondre parfois avec ce par quoi on reconnaît les phénomènes d’individualisation.
9. ALLARD et VANDENBERGHE, 2003.
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renvoie en effet à un ensemble de pratiques hétérogènes : la participation aux
débats publics, l’exposition de soi dans des récits intimes, le développement de
pratiques amateurs, les bricolages (remix, sample, collage) de produits
culturels standardisés, la recherche de signes de distinction, l’affirmation de
choix de vie autonome, la quête de réputation, etc. Il existe bien des manières
de caractériser ces pratiques, mais un de leur trait essentiel est que l’identité
personnelle y apparaît comme un processus davantage qu’un état, une activité
plutôt qu’un statut, un travail plus qu’une donnée, si bien que l’identité se
trouve de plus en plus déposée dans les produits de ces activités que les sujets
exhibent aux autres. La fabrication identitaire apparaît alors comme un
processus dynamique, public et relationnel qui couple l’expression à la
reconnaissance. Or, ce processus épouse étroitement les potentialités des
technologies numériques dont la plasticité et l’interactivité favorisent la
production et l’enregistrement des transformations des signes de soi que les
participants s’échangent sur les plateformes relationnelles. Le travail de
subjectivation, entendue comme processus de création continue de soi,
imprime sur les interfaces des plateformes du web 2.0 des traces interactives
qui font alors corps avec la personne et désignent aux autres sa singularité.
On caractérisera ce mouvement en opposant sur un premier axe les traits
identitaires les plus incorporés à la personne (être) à ceux qu’elle a
extériorisés dans des activités et des œuvres (faire). A la première extrémité
de cette polarité, on trouvera d’abord tous les traits qui sont durablement
associés à l’identité corporelle, civile et sociale de l’individu. Ce sont, d’une
part, ses caractéristiques physiques, l’âge, le sexe, le statut matrimonial, les
diplômes ou la profession (cadran nord-ouest). Mais ce sont aussi, d’autre
part, tous les traits qui, à travers le récit intime, l’introspection, la
représentation photographique, la manifestation d’humeur ou d’états internes
invitent à une caractérisation de l’individu dans ce qu’il a de plus personnel,
tout en empruntant des formats narratifs qui se dérobent à l’objectivation
catégorielle (récits, confidences, photographies personnelles, etc.) (sudouest). Sous forme objective ou subjective, ce sont donc les caractéristiques
de l’individu les plus incorporées à sa personne qui sont ici identifiées. Les
participants se signalent ensuite en exposant des composantes moins
immédiatement incorporées à leur personne propre. C’est le cas d’abord de
l’affichage du réseau relationnel qui décrit l’individu par le truchement de
ses amis, technique de présentation de soi qui caractérise les Social Network
Le design de la visibilité
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Sites (SNS)10. C’est ensuite le cas d’un ensemble de traits qui témoignent
des contextes d’activité, de la disponibilité ou des goûts des personnes. Ces
caractéristiques, beaucoup moins stables, pointent alors vers les traits qui
figurent l’autre extrémité de cette première polarité (la partie est de notre
carte). Ce sont les produits de l’activité des personnes qui servent alors de
démonstration identitaire. Ils révèlent d’abord des compétences incorporées,
des savoir-faire et des qualités mises en œuvre pour la réalisation de telle ou
telle activité (nord-est). Ils exposent ensuite le tissu de relations que les
personnes ont constitué par leur navigation numérique, sans pour autant
connaître préalablement ou avoir rencontré de visu leurs « amis » du web. Ils
s’incarnent enfin dans les œuvres produites par les individus, leurs goûts,
leurs passions, leurs textes, photographies ou films (sud-est). L’identité des
personnes est alors distribuée dans leurs œuvres. Si dans le régime
traditionnel de l’amateurisme11, la visée de la pratique amateur, hantée par
l’’horizon d’’une possible consécration culturelle, est de parvenir à détacher la
personne de son œuvre afin que celle-ci circule dans un espace
d’appropriation et de jugement indépendant, dans le régime d’expressivité
du web, les productions personnelles peuvent difficilement être séparées de
la personne de leur créateur, tant elles enferment et témoignent de leur
singularité biographique12. Très souvent, les dynamiques d’’autoproduction
sur le web ont d’’abord pour horizon l’’entretien de la conversation numérique
et le mode particulier de reconnaissance qu’’elle permet d’’acquérir sur la toile.
Le processus de simulation : le réglage réflexif de la distance à soi
La deuxième dynamique a trait à la distance entre identité numérique et
identité réelle et renvoie au processus de simulation de soi que facilitent les
technologies du web en autorisant les personnes à endosser des rôles qui
échappent à leur univers quotidien. Quelles opérations de transformation les
individus font-ils subir à leur personne pour pénétrer l’univers numérique, se
plier à des formats relationnels spécifiques, partager des idées ou des photos,
échanger avec des inconnus, jouer dans un espace aux règles contraignantes
ou vivre des expériences libérées des normes ordinaires ? Cette question a
longtemps été la principale interrogation des études sur les mondes virtuels
et les communautés en ligne, souvent perçues comme des espaces de dé10. DONATH et BOYD, 2004 ; BOYD et ELLISON, 2007.
11. FOSSE-POLIAK, 2006.
12. HENNION, MAISONNEUVE et GOMART, 2000.
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réalisation et de projection imaginaire dont le retour vers l’identité « réelle »
s’exerçait, selon le cas, soit par des effets « thérapeutiques », soit par des
expérience aliénantes 13 . Or, les plateformes relationnelles du web 2.0
donnent aux individus un pouvoir renforcé pour styliser et modifier leurs
apparences jusqu’à menacer l’authenticité des définitions de soi.
On caractérisera ce mouvement en opposant sur un deuxième axe les traits
identitaires que les personnes endossent simultanément dans leurs vies
numériques et réelles (réel) et ceux qui constituent des projections dans des
rôles qui échappent aux contraintes de réalité que rencontrent les personnes
dans leur vie quotidienne (projeté)14 . Du côté des références réalistes (la
partie nord de notre cartographie), on trouvera d’abord tous les traits
attachés à la personne réelle, son nom propre, ses descripteurs physiques, sa
localisation ou son statut social et familial (cadran nord-ouest), mais aussi
les activités qui renvoient à des rôles sociaux (familial, professionnel,
associatif, politique, etc.) clairement établis dans sa vie de tous les jours
(nord-est). Il existe alors un couplage fort entre l’identité numérique et
l’identité réelle et un entrelacement étroit des pratiques menées dans les deux
mondes. Les individus soumettent alors leur identité numérique à la
possibilité d’une épreuve de réalité. Mais ils peuvent aussi produire des
modalisations de leur identité pour créer des personnages qui, sans être
complètement détachés d’eux, n’entretiennent plus que des liens incertains
avec ce qu’ils sont réellement dans la vie de tous les jours. C’est le cas
notamment avec la production de facettes identitaires focalisées sur un goût,
une habitude ou une pratique lorsque les participants figurent un type social,
un style de vie, une idolâtrie, une passion collectionneuse ou un fétichisme.
En endossant ces rôles identitaires, les personnes « sculptent » une image
d’eux-mêmes en motard, en personnage gothique, en Johnny Deep-olâtre, en
elfe, en amateur de cuir ou encore en fétichiste de baskets.
13. TURKLE, 1995.
14. On sait toute l’ambiguïté qu’il y a à définir la personne comme « réelle » et à marquer ainsi
la séparation entre « vie réelle » et « vie numérique ». Dans une visée simplement analytique qui
ne préjuge en rien de l’authenticité des expériences dans l’une ou l’autre de ces vies, cette
distinction permet de faire apparaître les régimes de rapprochement ou de disjonction entre ces
deux espaces. La vie numérique se caractérise certes globalement par une tendance au réalisme
qui oblige régulièrement les personnes à se rendre disponibles pour une épreuve de réalité dans
laquelle elles seront contraintes de démontrer qu’elles possèdent bien les attributs d’identité
qu’elles revendiquent. Mais, comme il existe des contextes et des formes de vie dans l’espace
numérique qui parviennent à suspendre durablement ces épreuves de réalité, il nous a semblé
nécessaire de développer des outils descriptifs permettant d’en rendre compte.
Le design de la visibilité
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Du côté fictionnel (la partie sud de notre cartographie), on trouvera une série
de figuration de soi dans lesquelles les personnes présentent des idéalisations
dont la vocation est quasi expérimentale (sud-ouest). Certaines plateformes
permettent de tester des rôles sociaux en modifiant certains paramètres
personnels, comme l’ont montré les analyses des chats et forums où les
adolescents procèdent à des expériences identitaires en travestissant leur âge
ou leur sexe15. Cet anonymat numérique facilite le dévoilement intime et
donne parfois aux participants le sentiment que c’est leur moi le plus
profond qu’ils livrent à des inconnus16. Ils exposent une identité plus vraie et
plus authentique que celle qu’ils affichent dans le monde réel en jouant des
rôles sociaux jugés contraignants et conventionnels. En se déplaçant vers la
partie sud-est de notre carte, ces projections de soi prennent des formes
ludiques, imaginatives ou fantasmatiques qui n’entretiennent que des
correspondances improbables avec l’identité réelle des personnes. C’est le
cas par exemple dans l’incarnation de personnage de jeu dans les univers
persistants, mais aussi des avatars du sexe opposé que se créé de nombreux
résidents de Second Life (sud-est).
L’endossement d’un rôle est une activité partielle et auto-limitée. Mais on peut
faire l’hypothèse que cette compétence à « faire comme si… » trouve dans
l’univers numérique la possibilité de s’étendre, de se diversifier et de se
spécialiser. Cependant l’endossement de rôle, du simple grossissement d’un
trait de personnalité au travestissement pur et simple, ne saurait être interprété
comme un abandon naïf à la puissance imaginaire des fictions de soi. Il
s’accompagne en retour d’une augmentation des capacités réflexives par
lesquelles les personnes s’emploient à régler, dans des contextes variés et
selon des modalités diverses, les images qu’elles investissent. A l’exception de
cas pathologiques relativement marginaux 17 , les personnes disposent
généralement de points d’appui pour s’extraire ou considérer avec distance les
comportements que leur rôle d’emprunt leur fait endosser. A cet égard, la
multiplicité des expressions d’identité confère à l’espace numérique un
caractère proprement expérimental, permettant avec une déconcertante facilité
de faire jouer de nouvelles potentialités identitaires et d’en éprouver les effets.
15. METTON, 2004.
16. McKENNA, GREEN et GLEASON, 2002.
17. Les pathologies de l’addiction et de la déréalisation sont les plus fréquentes chez les
praticiens de jeux dans des univers persistants (avec notamment le phénomène des no-life),
mais elles ne concernent qu’un très faible pourcentage de pratiquants. Voir à ce sujet les
mises au point de GAON (2007) et WILLIAMS, YEE et CAPLAN (2008).
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Réseaux n° 152/2008
FORMATS DE VISIBILITÉ
Le design des interfaces relationnelles exerce un effet performatif sur la
manière d’habiller ses identités. Chaque plateforme propose des systèmes
d’enregistrement, des descriptions signalétiques et des assignations identitaires
très différentes. Ce lien de co-dépendance entre image de soi et structuration
de l’interface du service montre, si besoin était, l’encastrement de plus en plus
significatif des technologies de communication dans la production des
subjectivités numériques. Davantage que le système catégoriel en lui-même,
les plateformes structurent les expressions identitaires en dessinant des espaces
de visibilité aux périmètres différents, ce qui invite les utilisateurs à ajuster
leur exposition au public à qui ils se rendent visibles.
Sur la carte des expressions d’identité que l’on vient de dessiner, on peut
dégager trois formes idéal-typiques de visibilité que, par esprit de
simplification, on désignera par des métaphores marquant les différentes
formes d’éclairage que les plateformes réservent à l’identité des participants
(cf. Carte 2). Dans le premier modèle, celui du paravent, les personnes
s’attachent à dissimuler les traits de leur identité civile en se masquant derrière
une forêt de critères qui ne les révélera qu’auprès d’individus choisis. Dans le
modèle en clair-obscur, on verra les participants dévoiler des caractéristiques
souvent très personnelles de leur identité en profitant de l’opacité de
plateformes n’autorisant la navigation que par les liens de proche en proche.
Enfin, dans le modèle du phare, des zones de forte visibilité émergeront des
connexions initiées par les individus pour mêler des traits de leur individualité
avec les thèmes des productions qui les lient aux autres. A ces trois principaux
modèles de visibilité dans le web 2.0, nous ajouterons deux autres modèles
émergeants qui investissent d’autres territoires de la mise en relation : la
communication continue, d’une part, avec le développement du
microblogging ; les mondes virtuels, d’autre part, avec le développement
d’espaces relationnels non-scénarisés entre avatars. Ces deux nouveaux
espaces d’exposition des individus présentent des caractéristiques originales.
Le premier propose un affichage sous forme de post-it permettant aux
personnes de rendre visibles aux autres les changements de leur contexte
d’activité ; c’est la présence qui est alors partagée. Le dernier modèle, celui de
la lanterna magica, procède de la transformation des plateformes de jeux
virtuels en espaces de rencontre en trois dimensions dans lesquels les
personnes glissent leur identité dans des avatars.
Le design de la visibilité
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Carte 2. Typologie de la visibilité de l’identité sur les plateformes du web 2.0
Le paravent – la visibilite en profil
La première forme de visibilité dans l’espace des plateformes d’interaction
préserve l’identité des participants d’un excès d’exposition en la codant dans
un système de catégories qui est uniquement accessible à travers un moteur de
recherche par critères. Les sites de rencontre (Meetic, Match.com, Rezog, etc.)
couplent identité catégorielle et navigation critérielle en permettant aux
personnes de rester partiellement dissimulées derrière leur pseudonyme et leur
fiche signalétique. En effet, sur ces sites, les participants ne peuvent se
découvrir qu’à travers un moteur de recherche, puisqu’ils n’exhibent aucun
lien relationnel avec les autres. Aussi, même si des touches de personnalisation
(photos, texte d’annonce) sont fortement recommandées dans la présentation
de soi des individus, la mise en contact avec les autres s’opère-t-elle
essentiellement à travers les catégories descriptives permettant une
identification générique de leurs caractéristiques : localisation, âge, situation
familiale ou des descripteurs physiques comme la taille, le poids ou la couleur
des yeux. Les individus sont définis par des attributs objectivables, souvent
très fortement incorporés à la définition de leur identité corporelle, civile et
sociale. En obligeant les personnes à s’auto-décrire par des critères fermés, ces
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Réseaux n° 152/2008
plateformes facilitent la coordination en allégeant le travail cognitif
d’appariement 18 . Si ces critères assignent les personnes à des catégories
prédéfinies, ils invitent aussi les participants à une très forte obligation de
réalisme et les exposent, conséquemment, à de cruelles sanctions relationnelles
en cas de falsification19 . Dans le modèle du paravent, la distance entre la
personne réelle et son personnage numérique ne peut, en effet, se creuser trop
fortement, tant les indications qui sont portées à la connaissance des autres
sont destinées à être mise à l’épreuve des jugements réels20.
Si la plupart des sites de matching relationnel encouragent cette métrique
catégorielle de l’identité civile et corporelle, celle-ci reste beaucoup trop
imparfaite pour promettre un appariement heureux. Les utilisateurs de ces
sites n’ont d’ailleurs de cesse de lui reprocher d’introduire toutes sortes de
calculabilité dans la recherche de l’âme sœur. La recherche catégorielle
« rationalise » la rencontre amoureuse et produit des appariements très
homophiles21. C’est pourquoi ces sites intègrent de plus en plus d’éléments
identitaires renvoyant à l’intériorité, aux goûts, aux caractères et aux
comportements, afin de mieux ajuster les attentes des personnes22 (ce qui
correspond sur notre cartographie à un déplacement du nord ouest vers le
sud-ouest). A cet égard, le développement des sites de rencontre proposant
un questionnaire psychologique (Ulteem) ou culturel (pointcommun)
déploient des trésors d’imagination pour construire des tests de personnalité
destinés à produire des mesures objectives de facteurs subjectifs afin de créer
des appariements plus subtils. Il n’en reste pas moins que cette métrique
« psychologique » de l’identité renforce encore le processus de
rationalisation réflexive du rapport à l’autre, en favorisant une tendance à la
déréalisation23 et à l’« autoréification »24.
Dans le modèle du paravent, les personnes se découvrent les unes les autres en
fonction des critères de recherche retenues. Cette simple sélection critérielle
n’est que la préface – souvent comparée par les utilisateurs à un casting – à
une série de mise en contact qui se poursuivra sur le chat du site, sur MSN, au
18. CHAULET, 2007.
19. A cet égard, on ne peut que se fier aux manuels de conseils destinés à aider les pratiquants
des sites de rencontre : ne trichez pas ! cf. SYLVERSTEIN et LASKY, 2004.
20. EVANS, GOSLING et CAROLL, 2008.
21. FIORE et DONATH, 2005.
22. WHITTY et CAR, 2006.
23. ILLOUZ, 2006.
24. HONNETH, 2007, p. 119-120.
Le design de la visibilité
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téléphone et lors du premier rendez-vous en face-à-face ; la chronologie du
passage d’un outil de communication à un autre étant elle-même rythmée par
une série d’épreuves de confiance25. En effet, les fiches individuelles des sites
de rencontre sont généralement assez pauvres en information et ce n’est que
dans l’interaction directe entre personnes que la révélation de l’identité sera
négociée. Ce dévoilement est alors soumis à une multiplicité de tests que se
font subir les individus appariés par les moteurs. Par exemple, sur le site
sechoisir.com, la personne contactée propose un questionnaire à celle qui la
contacte et n’entrera en relation avec elle que si cette dernière donne des
réponses correctes aux questions posées. Le droit d’accès à la visibilité fait
ainsi l’objet d’une négociation permettant aux participants de gérer euxmêmes la révélation de leur identité. On comprend alors que, sur ce genre de
plateforme, l’ajout de fonctionnalités de discussion interactive synchrone ou
quasi-synchrone (forum, chat, visio, etc.) soit nécessaire pour faciliter
l’exploration des contacts et la révélation mutuelle des identités26.
Du paravent au clair obscur : la liste des contacts
Le moteur de recherche critériel n’est pas la seule manière de circuler dans
les plateformes d’interaction fonctionnant sur le modèle du paravent. A la
différence des autres modèles que nous détaillerons, ce sont ces services qui
proposent de rendre visibles aux utilisateurs leurs traces de navigation ou
celles des autres sur leur propre profil27. Cette fonctionnalité introduit un
nouveau mode de navigation qui prépare les évolutions ultérieures des
plateformes de social networking. Les traces de navigation dessinent en effet
un espace d’opportunités. Elles permettent de rendre plus riche et plus
précise la recherche par moteur critériel, en désignant à l’utilisateur la
population de ceux qui ont prêté suffisamment d’attention à leur fiche pour
venir la visiter. Ces traces délimitent ainsi un public choisi à l’intérieur du
catalogue de résultats des recherches par moteur, en faisant converger les
attentes des chercheurs et des cherchés.
25. CHAULET, 2007.
26. Cette proximité avec la communication synchrone a aussi pour horizon la rencontre on
line, par webcam, qui fait de la sexualité à distance un moyen de « réaliser » la rencontre sans
contact physique.
27. Comme on le verra, la visibilité de la navigation des autres sur sa propre fiche est
généralement absente des autres plateformes, ou elle n’existe que sous forme de services
associés (comme Mybloglog ou des widgets spécifiques qui peuvent être installé sur la page
de MySpace ou de Facebook).
108
Réseaux n° 152/2008
Mieux que les traces de visites, la nouveauté apportée par les sites de social
networking tient à la mise en place progressive de la liste d’amis comme
principal outil de navigation. L’installation de cette fonction relationnelle
caractérise le passage du premier modèle, celui du paravent, vers le
deuxième, celui du clair obscur. Les premiers sites de social networking,
Classmates (1995) et Six Degrees (1996) avaient ouvert la voie dès le début
de l’internet grand public, mais il aura fallu attendre 2003 pour voir arriver
les premiers sites relationnels accordant une place décisive à la
fonctionnalité Contacts/Amis comme LinkedIn, Hi5, Friendster, MySpace,
OpenBC, Tribe et CyWorld, qui ont tous été créés en 200328. La réussite
exceptionnelle de ces sites s’appuie sur une nouvelle forme de navigation qui,
d’une part, prend acte des imperfections de la recherche critérielle par les
moteurs de recherche et, d’autre part, s’enracine dans une expérience
d’usage beaucoup plus proche des attentes et des pratiques ordinaires des
utilisateurs. Ainsi, la découverte d’informations est-elle souvent plus
pertinente lorsqu’elle file les chemins frayés par le réseau des proches. Elle
procède de l’exploration des traces d’activité des amis de ses amis29. Mais la
mise en visibilité de son réseau d’amis constitue aussi une contrainte de
réalisme pour les participants. Il est en effet beaucoup plus difficile de jouer
avec ses caractéristiques identitaires lorsque celles-ci sont soumises au
regard des proches. Judith Donath et danah boyd30 insistent sur le fait que le
réseau social apporte réalisme et fiabilité à l’information identitaire en
rendant beaucoup plus difficiles la dissimulation et le travestissement qui
menacent toujours les descriptions sur les sites de rencontres. Le nom propre
y est plus fréquent, la nature du lien (son histoire, sa naissance, ce qui est
28. BOYD et ELLISON, 2007.
29 . Cette stratégie de découverte relationnelle doit beaucoup aux célèbres expériences
conduites en 1967 sur les réseaux sociaux « petits mondes » par S. MILGRAM (1967), visant
à montrer qu’une distance très courte pouvait séparer deux individus pris au hasard. Une série
de lettres avaient été distribuées de façon aléatoire à des individus avec pour instruction de les
transmettre à des personnes de leur connaissance qui feraient de même, chacune choisissant la
personne suivante selon sa proximité supposée avec le destinataire final, connu par son nom,
son adresse et sa profession. La longueur moyenne des chaînes effectivement parvenues à
destination était de six degrés de séparation. Il faut, par ailleurs, signaler que le succès des
réseaux sociaux dans le développement de nouveaux services Internet est contemporain de
l’intérêt que les physiciens et les mathématiciens vont porter aux réseaux sociaux à la fin des
années 90 pour donner naissance à un nouveau champ de recherche associant théorie des
graphes et sociologie des réseaux, cf. CARDON et PRIEUR (2007) et l’article de
P. CHRISTOFOLI dans ce numéro.
30. DONATH et BOYD, 2004, p. 74 ; DONATH, 2007.
Le design de la visibilité
109
échangé) est parfois décrit par les participants comme sur Linkedin ou
Facebook et, surtout, les fausses informations (comme le fait de se déclarer
« célibataire » alors que l’on est « marié », par exemple) peuvent être
sanctionnées par les membres du réseau social. L’engagement dans les sites
de social networking se paye donc d’un abandon de la privacy que
préservent les sites de rencontres dans le modèle du paravent.
Dans le clair obscur – la navigation à la torche
Dans le deuxième modèle de visibilité, celui du clair-obscur, les individus
révèlent beaucoup de choses d’eux-mêmes, mais profitent de l’absence de
moteur de recherche pour ne faire bénéficier que leur réseau relationnel d’une
visibilité choisie. Différemment, Friendster, Cyworld, Skyblog ou Facebook
peuvent aider à caractériser ce modèle. Sur ces plateformes, la visibilité des
personnes est relative : claire pour les proches, en pénombre pour les autres.
L’utilisateur peut, plus ou moins, en contrôler l’étendue. Dans certains cas,
elle est réservée au premier cercle d’amis et l’utilisateur est toujours en
position de contrôle pour l’offrir aux autres sur invitation ou en réponse à leur
sollicitation. C’est le cas par exemple de Facebook, où les participants livrent
habituellement leur véritable identité civile, mais ne montrent qu’une brève
fiche signalétique aux visiteurs qui n’appartiennent pas à leur réseau
relationnel. Friendster ou Orkut se caractérisent pareillement par le fait que la
visibilité des pages personnelles n’est offerte qu’aux amis d’amis, si bien que
la navigation doit s’opérer en demandant aux amis de ses amis une
autorisation pour entrer dans leur sphère de visibilité.
Dans d’autre cas, cette visibilité en clair obscur est beaucoup moins
contrôlée et tient principalement au fait que ces plateformes n’offrent pas de
moteurs de recherche critériel. Cette absence installe une opacité relative
face aux risques pris par les utilisateurs qui rendent visibles des traits
sensibles de leur identité. Ainsi la plupart des plateformes de blogs ne
proposent-elles pas d’outils de navigation thématique ou de moteur de
recherche (sauf par pseudo, ce qui suppose que l’on connaisse l’identité
numérique de la personne recherchée par un autre circuit que celui de
l’internet). Même s’ils ne le formulent pas nécessairement sous forme d’un
calcul, beaucoup d’utilisateurs de ces plateformes échangent le risque pris à
s’exhiber contre l’assurance – toute relative – de rester protégés d’une
recherche rapide. Ils s’exhibent dans une sorte de clair-obscur en profitant de
la plasticité de la visibilité sur internet pour constituer des cercles
110
Réseaux n° 152/2008
relationnels avec des proches, qu’ils connaissent et rencontrent souvent dans
la vie réelle, tout en restant relativement cachés des autres31.
On perçoit très bien cette particularité du clair-obscur lorsque l’on s’attache
aux usages des Skyblogs par les adolescents 32 . Ceux-ci se rendent très
visibles à leurs amis, amis qu’ils connaissent généralement dans la vie réelle,
mais restent relativement invisibles pour leurs enseignants ou leurs parents
lorsque ceux-ci les cherchent sur la plateforme. Il est en effet parfois
extrêmement long et difficile (voir impossible) de retrouver un Skyblog
d’adolescent en raison de l’usage des pseudos, du langage codé et résistant
au moteur de recherche que les jeunes utilisent et des stratégies de
dissimulation ou d’autocontrôle dont ils font montre pour se préserver des
inopportuns. Il reste cependant que cette discrétion est toute relative et
qu’elle peut à tout moment être levée. Une étude quantitative par
questionnaires en ligne sur les usages de FaceBook par 1 400 étudiants de
première année de la Michigan State University 33 donne des résultats
similaires. En nourrissant leur profil sur Facebook, les étudiants américains
pensent s’adresser prioritairement, sinon exclusivement, à leurs camarades
d’étude34. Ainsi, à la question « Depuis que vous avez créé votre profil, qui
pensez-vous le regarde ? », 93 % des répondants mentionnent leurs amis
étudiants, 86 % les amis de leur classe, 70 % des personnes rencontrées lors
d’une fête ou d’un événement de l’université, 69 % des étudiants de
l’université qu’ils ne connaissent pas. Ils considèrent que leur public est
principalement fait d’autres étudiants avec lesquels ils entretenaient
préalablement des relations offline ou bien des étudiants inconnus qui vivent
et évoluent dans le périmètre étroit de leur cercle relationnel. En revanche,
seulement 29 % pensent que leur profil est regardé par des inconnus d’autres
universités, 5 % par leurs professeurs et 3 % par l’administration de
l’université. De la même façon que pour Skyblog, les usagers de Facebook
s’adressent d’abord à leur réseau amical de proches et n’utilisent pas
Facebook comme un moyen de créer, online, de nouveaux contacts avec des
31. CARDON et DELAUNAY-TETEREL, 2006.
32. FLUCKIGER, 2007.
33. LAMPE, ELLISON et STEINFIELD, 2006.
34. Cette enquête à été conduite en août 2005 à une époque où les usages de Facebook étaient
encore réservés aux étudiants, puisque l’inscription sur la plateforme requérait la possession
d’une adresse électronique universitaire. En février 2006, Facebook a été ouvert aux lycéens,
puis à tout le monde en septembre 2006. Enfin, en mai 2007, Facebook a ouvert un système
d’API permettant de greffer directement des programmes applicatifs sur la plateforme.
Le design de la visibilité
111
inconnus. Ils privilégient la recherche sociale (social searching) sur la
navigation sociale (social browsing). L’’exposition en clair-obscur instaure
un espace de visibilité accrue avec son environnement relationnel, tout en
préservant cet espace des intrusions extérieures. Si les étudiants ont
longtemps négligé de « fermer » leur profil, en se rendant ainsi
potentiellement visibles par un cercle beaucoup plus étendu de personnes35,
les enquêtes récentes montrent un apprentissage assez rapide des
fonctionnalités de privacy et une croissance (relative) du nombre de pages
fermées sur Facebook comme sur MySpace36.
Le périmètre des amis
Sur les plateformes en clair-obscur, les utilisateurs sont amenés à arbitrer entre
le fait de montrer beaucoup de choses personnelles (des pensées, des récits
intimes, des photographie d’eux, de leurs lieux et de leurs amis) et le risque
que cette exposition pourrait les révéler aux regards des autres. En effet, le
paradoxe de ce genre de site est qu’il est nécessaire de les nourrir en donnant
des informations sur soi pour augmenter la capacité relationnelle des profils.
Une étude conduite sur les pages personnelles de Facebook montre que le
nombre d’amis est étroitement corrélé au nombre d’information que les
utilisateurs ont renseignées sur leur fiche 37 ; et les informations les plus
pertinentes pour favoriser les connexions sont celles qui renvoient le plus
explicitement au monde réel des personnes. Il reste cependant que dans
l’univers en clair-obscur, le réseau relationnel numérique s’appuie sur des
formes d’interconnaissance préalable et qu’il ne peut grossir démesurément en
agrégeant inconsidérément des inconnus sans que le capital relationel qu’il
rassemble ne change de nature (cette configuration nous porte alors vers le
troisième modèle de notre typologie, celui du phare). Les réseaux amicaux qui
se construisent sur les plateformes en clair-obscur s’appuient sur un zonage
relationnel préalable. Ils recensent des personnes qui se connaissent déjà
effectivement dans le monde réel et ne s’étendent vers des inconnus que
lorsque ceux-ci appartiennent au périmètre des connaissances possibles dans le
monde réel. A cet égard, les espaces sociaux institutionnels (écoles, universités,
35. GROSS et ACQUISTI, 2005.
36. DWYER, HILTZ et PASSERINI, 2007. Sur MySpace, 18,5 % des pages sont fermées et
ce chiffre est bien plus important pour les nouveaux arrivants sur la plateforme,
cf. CAVERLEE et WEBB (2008).
37. LAMPE, ELLISON et STEINFIELD, 2007.
112
Réseaux n° 152/2008
villes, entreprises, milieux professionnels, associations, etc.) constituent
souvent des supports exploratoires à l’extension du périmètre relationnel.
Le sud-coréen CyWorld constitue un exemple caractéristique de la famille du
clair-obscur. Lancé en 1999 ce site, qui devient véritablement un SNS en 2001,
connaît un succès considérable : 50 % des sud-coréens et près de 90 % des 2429 ans ont un compte sur Cyworld. L’inscription sur le site passant par une
identification fiable de l’identité civile des participants, le site sert
prioritairement à resserrer les liens avec la famille, les amis et les collègues,
déjà connus dans la vie réelle. J. H. Choi38 a montré que 86 % des répondants
à son enquête considérait le site comme un moyen de gérer et d’entretenir leur
réseau relationnel préexistant offline. Les réseaux relationnels de Cyworld
s’encastrent très profondément dans la sociabilité quotidienne, familiale et
amicale des participants 39 . Les « meilleurs amis » de Cyworld sont aussi
appelés ilchons. Or, dans la culture coréenne, il existe une stricte hiérarchie
des relations : le terme « ilchon » (1-chon) marque les relations de premier
rang entre parents et enfants, alors que les « 2-chon » marque les relations
avec les grands-parents et les « 3-chon » les relations avec tantes et oncles,
neveux et nièces. En reprenant le terme d’ilchon, les concepteurs de Cyworld
montrent tout à la fois qu’ils invitent à ce que les systèmes relationnels soient
faits de liens de proximité, tout en contestant implicitement le caractère
hiérarchique et strictement familial de ce modèle relationnel fermé. Cyworld
exploite donc le vocabulaire des liens du sang, tout en l’élargissant vers un
modèle électif basé sur de fortes affinités et une réelle réciprocité.
Il reste que les listes d’amis sur les plateformes en clair-obscur dépassent
souvent le nombre restreint de contacts amicaux de la sociabilité réelle. Une
dynamique centrifuge anime toujours les cercles de sociabilité clanique de
ces petites bulles en clair-obscur. Les études sur le nombre d’amis sur
Facebook montrent qu’une pratique intensive contribue à un élargissement
progressif du nombre d’amis. Le clan des amis se connaissant dans la vie
réelle s’ouvre vers les amis d’amis et, de proche en proche, intègre de plus
en plus facilement de simples connaissances, voire des inconnus 40 . Ce
phénomène d’extension contribue à rendre très indécise la définition de
l’amitié et à mêler sans distinction des liens sociaux qui ont été construits
dans des contextes relationnels extrêmement différents (école, travail,
38. CHOI, 2006, p. 181.
39. KIM et YUN, 2007.
40. TONG et al., 2008.
Le design de la visibilité
113
famille, loisir, rencontre numérique, etc.), tout en diminuant la confiance et
la fiabilité des liens ainsi réunies41.
Dans l’histoire des SNS, ce phénomène explique le déclin de Friendster et le
succès de MySpace. En effet, racontent Danah Boyd et Nicole Ellison42 ,
certains utilisateurs se sont mis à détourner les restrictions de visibilité de
Friendster qui n’autorisaient à voir que les « amis de ses amis ». Ils se sont
mis à créer des fakester, personnages fictifs comme Homer Simpson, Bono
ou Georges Bush, avec lesquels tout le monde pouvait se connecter, en
espérant ainsi élargir leur espace de visibilité sur la plateforme. En refusant
de tenir compte de cette demande des utilisateurs, et en luttant activement
contre les fakesters, Friendster a vu son audience décliner aux USA, au
profit d’un nouvel entrant, MySpace. Sur cette plate-forme, tout nouvel
inscrit est automatiquement ami avec Tom, le fondateur, ce qui permet à tous
de voir la fiche de tout le monde et ouvre ainsi vers le troisième modèle de
visibilité de notre typologie.
Le phare. La circulation par halo
Celui-ci se présente comme une transformation interne du deuxième modèle,
consécutive au souhait des utilisateurs de parvenir à élargir le réseau
relationnel des proches vers un univers plus ouvert et au rôle joué pour cela
par le partage de contenus numériques comme moyen de mettre en visibilité
les personnes et leurs œuvres. Le modèle du phare signe la rencontre du web
social et des dynamiques d’autoproduction, dont MySpace, Flickr,
DailyMotion ou YouTube sont les incarnations. Alors qu’ils avaient pu être
pensés comme deux univers relativement étanches, les services de mise en
relation et les sites de partage de contenus procèdent de dynamiques
communes. En effet, les sites qui ont connu le succès le plus important sont
toujours ceux qui ont su hybrider contenus autoproduits et mise en relation,
comme les blogs par rapport aux sites d’autoédition éditorialisé, ou Flickr par
rapport aux sites d’édition et de stockage d’album photo personnel. Cela a
également été le cas pour MySpace par rapport aux sites de simple distribution
de musique autoproduite, des commentaires des produits sur Amazon face aux
41. BOYD et HEER, 2005. C’est aussi pourquoi les utilisateurs ont forgé une nouvelle
catégorie pour désigner les relations produites par leurs pratiques électroniques, les
« Friendster », qu’ils différencient des habituels « Friends », cf. BOYD, 2004.
42. BOYD et ELLISON, 2007.
114
Réseaux n° 152/2008
sites de commerce électronique sans dispositif d’échanges entre internautes.
La principale caractéristique des plateformes du modèle du phare est de mêler
si intimement réseaux sociaux et agrégations thématiques qu’il devient
difficile de les isoler. A cet égard, les évolutions actuelles du web 2.0
accentuent encore cette hybridation des fonctions de rencontre sociale et de
partage de contenus. Il reste cependant qu’en étendant les réseaux sociaux et
en s’ouvrant au contenu, c’est la nature même des liens et des identités qui se
transforment. Trois déplacements doivent ainsi être soulignés.
Du blackboard aux conversations avec des amis-bookmarks
L’hybridation de la relation sociale et du partage des contenus n’est pas inédite.
La mise en relation était d’emblée présente dans les premiers sites permettant
l’autopublication, comme en témoigne l’attrait qu’a soulevé le livre d’or sur
les pages personnelles43 et l’importance que les initiateurs de sites personnels
accordaient au dialogue interactif et personnalisé avec leur audience 44 .
Cependant, ces dynamiques d’échange autour des contenus numériques ont été
profondément bouleversées par le succès des blogs et, plus encore, par celui de
MySpace. Originellement dédié au partage de musique amateur, ce site est
devenu une immense agora de la rencontre juvénile qui rassemble aujourd’hui
près de 190 millions de participants dans le monde 45 . La plateforme
d’interaction rachetée en 2005, 580 millions de dollars par News Corp, le
groupe de Rupert Murdoch, doit incontestablement sa réussite aux outils mis
en place pour articuler services relationnels et partage de contenus numériques.
En livrant la plateforme aux amateurs qui échangent toute sorte de contenus
numériques qu’ils ont eux-mêmes produits ou qu’ils copient, transforment et
remixent, les utilisateurs créent un réseau d’échange hétérogène dans lequel il
est difficile de séparer l’intérêt qu’ils portent à la discussion avec les autres de
celui qu’ils attachent aux contenus dont les autres sont porteurs. On devient en
effet, presque indifféremment « ami » avec une personne, une personnalité,
une star, une chanson ou un genre musical.
Il faut souligner à cet égard le déplacement qu’opèrent ces plateformes à
l’égard des communautés virtuelles que Michel Gensollen46 a décrite sur le
43. BEAUDOUIN et VELKOVSKA, 1999.
44. BEAUDOUIN et LICOPPE, 2002.
45. CAVERLEE et WEBB, 2008.
46. GENSOLLEN, 2003 ; 2006.
Le design de la visibilité
115
modèle du tableau (blackboard) en prenant pour exemple Amazon, les outils
de peer-to-peer et le logiciel libre. Lorsque les communautés virtuelles ont une
structure « en tableau », les utilisateurs ne dialoguent pas directement entre
eux, mais publient des informations sur leur expérience des produits culturels
proposés par les éditeurs des sites de commerce en ligne. Dans ce contexte
particulier, les participants développent entre eux une « intimité
instrumentale » et ne sont liés les uns aux autres qu’indirectement, par un lien
très spécialisé construit autour de leur expérience commune d’un contenu
singulier. Cependant, lorsque les œuvres sont produites par les utilisateurs, et
non par les industries culturelles, le fait de commenter une œuvre devient une
adresse beaucoup plus personnalisée aux autres. Les participants expriment
leurs identités respectives en révélant les attaches qui les lient aux œuvres
qu’ils ont produites ou qu’ils commentent. Ce faisant, ils ouvrent un espace de
conversation qui peut s’élargir bien au-delà du partage de leurs goûts
respectifs. Les échanges entre wikipédistes débordent parfois largement la
rédaction de l’article qui les a réunis. Certains groupes de Flickr sont de
véritables sites de rencontre ou d’organisation de réunions réelles. Même si,
d’une certaine manière, le lien entre personnes reste souvent « faible », la
densité et le nombre des échanges est bien plus important que ce qui pouvaient
être extrapolé d’un « modèle en tableau ». A cet égard, le succès actuel des
sites de partage de contenus mixant productions amateurs et professionnelles
(MySpace, Flickr, YouTube, DailyMotion, etc.) peut s’expliquer comme un
débordement des échanges verticaux de commentaires des productions des
industries culturelles par les échanges interpersonnels horizontaux
qu’encouragent les phénomènes expressifs liés à l’autoproduction.
Du bonding au bridging : vers un autre mode de production
du capital social
Dans le monde du clair-obscur, les personnes font du bonding, alors que dans
celui du phare, elles font du bridging. Cette distinction proposée par Robert
Putnam dans son ouvrage sur la crise du capital social aux USA, Bowling
Alone47, est décisive pour comprendre le passage du modèle du clair-obscur
vers celui du phare48. Alors que l’entretien du capital social dans le modèle du
bonding, possède un caractère d’exclusivité et donc d’exclusion – c’est une
47. PUTNAM, 2000, p. 22 et suiv.
48. La paternité de cette dichotomie entre deux types de capitaux sociaux revient à GITTELL
et VIDAL (1998, p. 8).
116
Réseaux n° 152/2008
sorte de « superglue sociologique » indique Robert Putnam49 –, le bridging a
lui un caractère inclusif. Il permet de connecter des personnes au profil et à
l’environnement social hétérogènes. Le bonding réunit par des liens forts des
personnes proches, comme la famille ou les amis, qui se donnent
réciproquement un soutien émotionnel et substantiel. En conséquence, les
profils socio-culturels des personnes sont relativement homogènes. A l’inverse,
les liens tissés dans le bridging sont « faibles » et, comme le soulignait Mark
Granovetter 50 , inclusifs. Ils s’ouvrent vers des personnes hétérogènes et
éventuellement distantes. Dans cette perspective, les plateformes phare invitent
les utilisateurs à faire proliférer les relations et à accumuler le plus de contacts
possible, même si ceux-ci sont fragiles, incertains et irréguliers. La logique
d’accumulation, qui fait du nombre de liens générés une nouvelle métrique de
valorisation de son identité numérique, se trouve alors au cœur des formes de
constitution d’une audience et d’un capital réputationnel dans cet espace51.
Du portrait réaliste à l’exhib’
D’une liste fermée d’amis préalablement connus dans la vraie vie, les
participants qui se lient à partir des contenus autoproduits se mettent en relation
avec un nombre beaucoup plus important et hétérogène de contacts.
L’introduction des contenus autoproduits est co-extensive de l’allongement des
cercles de contacts, mais elle signe aussi une transformation qualitative des liens
numériques, puisque ceux-ci se font aussi et parfois essentiellement avec des
inconnus. Ce faisant, c’est la manière même d’afficher son identité qui se
modifie. La perspective développée par Judith Donath à partir de la « théorie du
signal » est très utile pour analyser les différents régimes de confiance
relationnelle sur les SNS52. En effet, les présentations de soi sur les fiches des
plateformes relationnelles sont des signaux conventionnels dont le lien avec les
qualités effectives des personnes est arbitraire. L’histoire de l’internet l’a déjà
abondamment montré : tricherie, mensonge et exagération sont monnaie
courante dans les déclarations d’identité virtuelle. Cependant, soutient Judith
Donath, l’une des plus précieuses contributions des SNS tient au fait qu’ils
assurent « la confiance dans des liens faibles ». Comme on l’a indiqué
précédemment, les présentations de soi sur les plateformes en clair-obscur,
49. PUTNAM, 2000, p. 23.
50. GRANOVETTER, 1973.
51. Voir l’article de J.-S. BEUSCART dans ce numéro.
52. DONATH, 2007.
Le design de la visibilité
117
lorsqu’elles sont soumises au regard de son réseau social de proximité, se
trouvent contraintes par le regard et le jugement potentiel des autres. Alors que
dans un internet sans réseau social, comme sur les sites paravents, le coût de la
tromperie est très faible dans la mesure où elle ne peut pas être sanctionnée par
les proches, il devient beaucoup plus difficile de tricher lorsque les informations
que l’on affiche sur soi vont être également lues et entérinées par des personnes
qui vous connaissent dans la vraie vie. Exemple extrême, les membres triés sur
le volet de asmallworld doivent être certains de la réponse des gens auxquels ils
demandent de devenir leur ami, puisqu’ils peuvent être bannis de la plateforme
si plusieurs personnes leur refusent leur amitié.
En revanche, lorsque, comme sur les plateformes du modèle du phare, il est
recommandé de multiplier sans fin le nombre d’amis, cette garantie de
confiance disparaît. C’est notamment le cas sur les sites où le coût de l’amitié
pour l’utilisateur est très faible. Sur Orkut par exemple, il suffit de cliquer sur
quelqu’un pour qu’il devienne votre ami. Sur LiveJournal, le lien amical est
aussi unilatéral. Une abondance de liens faibles, comme sur MySpace, dégrade
considérablement la garantie que peut apporter la présence du réseau social à
la fiabilité des informations identitaires. Pour autant, cette dégradation de la
confiance dans la véracité des profils ne pose pas de problème particulier aux
utilisateurs, puisque, sur les plateformes du modèle du phare, le réalisme de
l’identité est moins nécessaire que l’expression d’une personnalité attractive.
Cette modification dans l’exercice des contraintes relationnelles conduit à
déplacer les formats identitaires suscités par ces plateformes d’un ancrage
réaliste vers une logique de démonstration de soi. Les signes culturels (les
goûts, les pratiques, les productions, etc.) deviennent des marqueurs
beaucoup plus puissant pour identifier des proximités potentielles avec des
inconnus. Ils supplantent la proximité locale et conduisent les utilisateurs à
se définir de plus en plus fortement par leurs activités culturelles et de loisir.
Sous l’effet de l’individualisation et des nouveaux modes de consommation,
l’expression de ses goûts (musicaux, cinématographiques, télévisuels, etc.)
devient une performance identitaire, permettant de s’affirmer et de se
différencier des autres. Comme le montre Hugo Liu, l’exhibition de ses
« centres d’intérêt » sur MySpace sert autant à décrire les pratiques et goût
d’un individu qu’à afficher un ensemble de signes destinés à faire impression
sur les autres53. Les phrases de statuts, les portraits chinois, la valorisation
53. LIU, 2007.
118
Réseaux n° 152/2008
de liens électroniques avec des stars, l’inscription dans des groupes servant
de badge identitaire, etc., constituent autant de moyen de faire parade pour
signaler que l’on est « dans le vent » et marquer sa « petite différence ». Les
utilisateurs les plus actifs de ces plateformes doivent constamment signaler
aux autres qu’ils sont en mouvement, en faisant référence à des goûts, des
attitudes, des produits, à l’actualité médiatique ou musicale ou encore aux
dernières informations virales en circulation sur la toile, afin de montrer
qu’ils ne suivent pas la tendance, mais qu’ils la créé. On comprend mieux
ainsi le développement de comportements « à risque », comme la révélation
de situations intimes, les attitudes « aventureuses » en ligne, le mélange de
cercles relationnels différents ou la tendance à toujours exagérer une attitude,
une prise de position ou une déclaration d’humeur. Ces actes d’exhibition ne
sont pas seulement un effet de la méconnaissance des risques pris par les
utilisateurs à s’exposer devant les autres. Loin d’être une contrainte,
l’exposition de soi apparaît alors comme une ressource permettant de
signaler une certaine forme d’aisance sociale, une attitude « cool »,
transparente et ouverte et une capacité à jouer avec les codes.
La visibilite en post-it
Le développement récent de services de micro-blogging lancés à la suite de
Twitter (2006) constitue une novation importante dans les dispositifs de
visibilité de l’identité personnelle qui ouvrent vers un quatrième modèle dans
notre typologie. Ici, ce que les personnes rendent visible à leurs amis est un
micro-récit enfermant des indexations spatiales et temporelles fréquentes,
souvent adressés par le truchement du téléphone mobile. Le micro-blogging
marque en effet le croisement de deux familles d’outils de communication très
différent, les outils de blogging et de communication quasi-synchrone du type
MSN. Ces services étendent et généralisent le principe de la « petite phrase »
de statut comme un signal identitaire envoyé fréquemment et en toute
circonstance à sa communauté pour marquer un lieu, une information, un état
d’esprit ou un événement – « Que fais-tu en ce moment ? » demande Twitter à
ses utilisateurs. Cette visibilité en post it ouvre un espace d’expression original
dans lequel les personnes ne livrent ni leur identité civile (souvent déjà connue
de ceux qui les « suivent » (followers) en s’abonnant à leurs micropublications) ni leurs productions personnelles, mais leur disponibilité, leur
état d’esprit, leurs activités hic et nunc. Le cadrage identitaire qu’opère ce
genre de dispositif déplace la figuration figé de l’identité des personnes vers le
Le design de la visibilité
119
mouvement et l’agir, en leur enjoignant de produire une narration de soi
continue, contextuelle et renouvelée.
Le plus souvent, l’espace relationnel de la visibilité en post-it est étroit et
composé de liens forts. Ainsi, les réseaux sociaux de Twitter sont relativement
petits et rassemblent en un fort clustering des communautés d’amis qui
entretiennent des liens interpersonnels, amicaux ou professionnels. Tel est en
tout cas le résultat de la première étude quantitative réalisée sur la base des
utilisateurs de Twitter54 qui fait état d’un degré moyen de 19 followers et d’un
fort coefficient de clustering. Il en va de même pour Dodgeball qui permet
d’envoyer des messages de localisation (un check-in du type : « je suis au bar
de la plage ») à son réseau social depuis son téléphone mobile. Principalement
conçu pour les jeunes urbains qui aiment sortir, le nombre médian de contacts
sur ce service est de 2455. Les outils de microblogging transportent dans un
espace de communication virtuel le réseau de personnes fréquentées dans
divers « troisième lieu »56 (bars, centres commerciaux, salle concert, espaces
de rencontre), ceci afin d’accroitre, d’intensifier et de faciliter les rencontres
réelles. Il s’agit de signaler aux autres où l’on se trouve, de garder lien avec
« la troupe » ou de bouger lorsqu’un lieu n’intéresse plus pour en rejoindre un
autre qui semble plus attractif. La sociabilité de Dodgeball permet d’élargir le
cercle des proches à une nébuleuse urbaine de liens opportuns, de gens croisés
dans d’autres lieux que les siens, mais avec lesquels on reste lié à travers les
informations postées aux autres.
Quand le plan (géographique) remplace le plan (d’action)
Une des propriétés mise en exergue par ces services est que, dans certaines
circonstances, la localisation constitue un substitut efficace à la planification.
Dans un contexte de sorties ou de forte mobilité urbaine, le fait de dire où l’on
se trouve permet d’éviter une coordination préalable. Le plan géographique
fait office de plan d’action. L’exhibition d’une localisation est donc un point
d’entrée pour une possible conversation. Envoyer une signalisation en post it
veut donc dire davantage que : « je suis là ». Cela signifie aussi : « je suis
dispo pour… » discuter, rencontrer, bouger. La localisation économise la
planification prescrite et autoritaire du rendez-vous et s’inscrit clairement dans
54. JAVA, FININ, SONG et TSENG, 2007.
55. HUMPHREYS, 2007.
56. OLDENBURG, 1991.
120
Réseaux n° 152/2008
le champ des « micro-coordinations » 57 rendues possible par la
communication mobile. Ce mode de coordination qui couple étroitement le
lieu et le moment, en raccourcissant le plus possible la profondeur temporelle
de la planification est le propre des coopérations « faibles » – qui se
caractérisent par le fait d’abaisser le plus possible le coût pour les individus de
la vérification et de la coordination préalable de leurs intentions58. Un tel
opportunisme relationnel permet d’éviter des engagements préalables, mais,
très économe en obligations relationnelles, il évite aussi de prescrire aux autres
un comportement attendu. Les usagers de Dodgeball interviewés par Lee
Humphreys, signalent ainsi simplement une opportunité, à saisir ou à refuser :
Je n’ai pas besoin d’appeler ou d’envoyer un SMS à tous mes amis quand je
sors. Ils peuvent voir par eux-mêmes et se montrer s’ils le désirent. Ou pas »
(Luke, NYC) ; « Je demande à mon colocataire où il va et répond ‘Je ne sais
pas. Je te Dodgballerais’... Nous ne savons pas où il va. Il lui suffit de sortir
et de me faire connaître de cette manière l’endroit où il est (Taylor, NYC).
Cette forme de coordination sur mobile, toute d’opportunité, de dernière
minute et d’imprévu ajusté en temps réel, lie le territoire au réseau social
d’une manière qui rappelle les plateformes relationnelles du web. Dans les
SNS, la planification de la coopération est distribuée sur le réseau d’amis qui
offre un ensemble d’opportunités pour réaliser des actions communes. Dans
les MSNS (Mobile social network site), la localisation sur un plan public et
partagé dessine un tissu d’opportunités pour produire des rencontres sans
avoir à les calculer.
De manière remarquable, les formes identitaires qui se construisent sur ce
type de service fonctionnent comme un enchevêtrement de micro-narrations
contextuelles, permettant à chacun de soumettre régulièrement aux autres un
portrait en mouvement de ses agissements et de ses humeurs, une mosaïque
identitaire qui se consolide par touches successives. Principalement conçue à
destination des liens forts, ces formes d’exposition de soi sont aussi très
sélectives socialement, puisqu’elles présupposent à la fois un savoir-seraconter et le fait d’avoir une vie-à-raconter.
57. LING et YITRI, 2002.
58. AGUITON et CARDON, 2007.
Le design de la visibilité
121
Les métamorphoses de la Lanterna magica
Avec le développement des technologies de la 3D, certains univers virtuels
sont en train de devenir des plateformes relationnelles d’un nouveau type.
Longtemps réservés aux expériences ludiques, les mondes persistants
accueillent désormais des activités qui ne sont plus commandées par les
prescriptions scénaristiques des jeux en ligne. Second Life constitue
aujourd’hui le plus visible de ces nouveaux espaces d’interaction59, mais les
plateformes virtuelles du même ordre se multiplient, comme There, Habo,
Kaneva, Home, IMVU, HiPiHi, etc. Ce qui distingue ces mondes virtuels des
univers de jeu en ligne, tient au fait que ce sont les utilisateurs eux-mêmes (et
non l’éditeur de la plateforme) qui construisent et dessinent leur personnage,
leur monde et les activités qui les réunissent. A la manière de la lanterna
magica qui produit une impression réaliste en utilisant une source lumineuse
artificielle et un décor factice, les projections identitaires dans ces espaces sont
des constructions, les avatars, auxquelles les utilisateurs consacrent un très
intense travail de personnalisation. Le choix des traits identitaires est laissé à la
libre appréciation des personnes : l’âge, le sexe, la couleur de la peau, la forme
du visage et les vêtements. Mais, plus encore, c’est le degré de « réalisme » de
la figuration de soi dans le monde numérique qui s’ouvre à l’appréciation des
utilisateurs, puisque ceux-ci peuvent à loisir projeter une image fidèle d’euxmêmes, en « augmenter » certains traits, ou se « métamorphoser » en chien, en
dragon ou en elfe60. Sur Second Life, chacun peut être ce qu’il prétend61. La
production de son avatar est au cœur de l’expérience des mondes virtuels. Ici,
c’est l’identité même des participants qui est autoproduite. Elle réclame en
conséquence un très fort investissement en temps et en travail de
personnalisation (ce qui signale aux autres les nouveaux entrants qui conserve
un accoutrement standard). Elle pousse à la singularisation et à la recherche
d’originalité. Elle signe la réputation.
59. Second Life a été lancé en 2003, mais beaucoup d’autres mondes virtuels ont existé
précédemment, ceci depuis l’apparition du terme metaverse dans le roman de Neal
Stephenson, Snow Crash, en 1992. Alpha World (1995) et Active World (1996) notamment
avait déjà été l’objet de la formation de communautés fortes et denses dans un univers virtuel,
cf. DAMER, 2008.
60. Les résidents de Second Life aiment beaucoup débattre de ce thème opposant deux
conceptions de la projection de soi dans des avatars sous le nom d’« augmentationalism »
versus « immersionism ».
61. BENSHOP, 2007.
122
Réseaux n° 152/2008
Dans Second Life, les interactions entre avatars qui ont une activité continue,
dense et régulière se rapprochent progressivement de comportements
ordinaires. Les témoignages d’utilisateurs abondent pour dire que l’on ne
peut complètement tricher avec son identité en endossant un rôle d’emprunt.
L’activité des avatars incorpore, au fur et à mesure des engagements et des
interactions, des traits de l’identité de la personne qui s’incarne dans
l’avatar62. Cependant, parallèlement à cette pente réaliste des interactions
virtuelles, les participants préservent un caractère simulé et imaginaire à la
représentation identitaire qu’ils investissent dans ces mondes63. Ils ont très
fréquemment plusieurs avatars qui leur servent de garde-robe récréative
lorsqu’ils ne veulent pas engager leur avatar principal avec lequel ils ont fait
reconnaître leur personnalité par les autres (certains appellent ces avatars de
second rôle des « avatar carnaval »). Les mondes virtuels favorisent ainsi la
pluralité identitaire. A l’exception d’une minorité d’utilisateurs s’attachant à
une stricte duplication de leur identité réelle sur Second Life, la plupart des
enquêtes menées sur la vie sociale dans ces espaces montrent une forte
tendance à l’« augmentation » ou à la « métamorphose » identitaire. Aussi
les rencontres off-line de personnages rencontrés on-line semblent-elles
relativement rares et ne pas faire partie des priorités des participants. Pour
beaucoup, dans le monde de la lanterna magica, l’expérience de
l’autoproduction identitaire se justifie précisément par sa déconnexion avec
toute chance d’identification dans le monde réel64.
On ne saurait cependant conclure à une indépendance totale des deux mondes.
Les effets de la seconde vie sur la première passent d’abord et avant tout par
un changement des états internes des participants (empowerment, estime de soi,
acquisition de compétence, etc.) qui peut ensuite être réinvesti dans les
relations sociales ordinaires. Une enquête sur des publics de gays et de
lesbiennes montre qu’ils ont souvent l’impression de mener une vie plus
« authentique » et moins « hétéronormée » sur Second Life. Et s’ils
transforment rarement les amis-avatars en amis réels, beaucoup assurent que la
confiance acquise à travers les interactions dans le monde virtuel constitue une
62. YEE et BAILENSON, 2007 et sur cet effet dans les jeux en ligne, cf. DUCHENEAUT et
MOORE, 2004.
63. PARMENTIER, 2008.
64. Cette propriété de l’expérience des mondes virtuels (être un autre soi) explique l’échec
relatif des tentatives visant à dupliquer dans les espaces virtuels des formes très concrètes et
très incarnées de la vie sociale ordinaire, comme le commerce, la vie professionnelle ou
l’enseignement.
Le design de la visibilité
123
ressource pour nouer des relations dans leur vie réelle 65 . Tester des
compétences artistiques (comme chanter), des stratégies de séduction, gérer un
petit commerce, « réaliser » des pratiques que l’on refuse dans la « vraie » vie
(comme la sexualité sado-maso), découvrir son moi authentique (comme
s’afficher « noir » sur Second Life, afin de renouer avec une origine kanake
dissimulée dans la vraie vie66) ou retourner l’univers social pour se retrouver
dans une position sociale ou statutaire improbable, tout cela constitue autant
de manières d’éprouver son personnage sur Second Life afin d’enrichir la
personnalité que l’on incarne dans le premier monde67. A cet égard, il est
frappant de constater que, à la différence des autres plateformes, le réseau
social virtuel s’entrelace très peu à la sociabilité ordinaire. La projection
imaginaire dans les avatars produit d’abord des effets individuels sur les
participants, ce qui justifie l’intérêt que portent psychologues, pédagogues et
thérapeutes aux investissements identitaires dans les mondes virtuels68.
ÉCLAIRAGES
Comme nous l’avons souligné dès l’introduction, cette typologie et les cartes
qui y sont associées, ne sont pas le résultat d’une enquête méthodique et
systématique, mais la synthèse de différentes recherches portant sur l’une ou
l’autre de ces plateformes. Elle se présente donc, avant tout, comme un
exercice intuitif, et parfaitement discutable, cherchant à représenter l’espace
du web 2.0. Afin d’en éprouver la consistance, on voudrait maintenant essayer
de montrer comment cette typologie peut aider à éclairer la dynamique
actuelle du web 2.0, en soulignant quelques questions de recherche qui
s’ouvrent pour les sciences sociales des réseaux sociaux de l’internet.
Visibilité/Invisibilité
Une première lecture de cette typologie invite à souligner la diversité des
formes de visibilité que rendent possibles ces plateformes et leur
compatibilité limitée (voir Carte 3). Certaines invitent à se cacher pour
mieux se rencontrer dans la vie réelle (se cacher, se voir), alors que d’autres
65. CABIRIA, 2008.
66. TISSERON, 2008, p. 188.
67. BERTHOLO, 2007.
68. STORA, 2006.
124
Réseaux n° 152/2008
cachent ou métamorphosent les identités par le truchement d’avatars pour
éviter ou se substituer à la rencontre réelle (se voir caché). Mais surtout, se
dévoiler prend un sens différent selon que l’on se trouve dans un espace en
clair-obscur, où il est possible de « flouter » partiellement son identité pour
se rendre peu reconnaissable ou retrouvable (comme le font les jeunes sur
Skyblog) (montrer caché), ou que l’on se situe dans la zone d’hypervisibilité des plateformes développées sur le modèle du phare qui visent à
assurer le plus de notoriété possible aux personnes et aux contenus qu’elles
publient (tout montrer, tout voir).
Carte 3. Visibilité/invisibilité
C’est le premier enseignement de cette typologie : chaque plateforme
propose une politique de la visibilité spécifique et cette diversité permet aux
utilisateurs de jouer leur identité sur des registres différents. Si l’utilisateur
peut avoir un intérêt pratique à fédérer ses multiples facettes, en revanche il
est peu probable qu’il souhaite partager avec d’autres son puzzle identitaire
recomposé. Par ailleurs, à trop vouloir garantir, certifier et assurer la
confiance dans le « réalisme » de l’identité, on néglige le fait que, dans
beaucoup de contextes et souvent dans les plus dynamiques d’entre eux, les
personnes n’aient pas envie d’être elles-mêmes. Souligner que les personnes
Le design de la visibilité
125
sont de plus en plus « plurielles » ne signifie pas qu’elles procèdent
constamment à des arbitrages entre différentes facettes, plus ou moins
étanches, de leur personnalité, comme si elles avaient à choisir entre les
différents habits d’une improbable garde-robe. Si nos sociétés évoluent vers
une diversification plus forte des rôles sociaux, ceux-ci sont loin d’être
substituables, équivalents et appropriés à tous les contextes. Les individus
incorporent avec des intensités et des niveaux de socialisation très différents
les identités auxquelles ils se réfèrent dans leur vie quotidienne et dans leur
vie numérique, si bien que la consistance des rôles qu’ils endossent dans
cette dernière présente des variations extrêmes.
Dans la partie haute de notre carte, ils sont amenés à être le plus réaliste
possible et à transporter dans leur identité numérique les caractéristiques qui
les décrivent le mieux dans leur vie réelle, amicale ou professionnelle. En
revanche, dans la partie basse, il leur est loisible de prendre beaucoup plus
de liberté, en dissimulant certains traits de leur identité sociale ordinaire et
en accusant ou projetant d’autres traits avec une coloration particulièrement
accentuée. Davantage que la multiplicité, c’est donc sans doute la capacité à
régler la distance aux faces qui caractérise les stratégies identitaires sur les
différentes plateformes. Dès lors, la question de la distance au réel peut se
révéler être un critère d’arbitrage beaucoup plus important que le choix
d’une facette identitaire. On peut donc faire l’’hypothèse que les plateformes
relationnelles encouragent et développent chez leurs utilisateurs un rapport
stratégique et calculatoire à leur propre identité.
Des articulations entre les deux mondes
En second lieu, la décomposition des traits identitaires sur les deux axes de
l’extériorisation et de la simulation de soi permet de distinguer quatre
processus de figuration de l’identité numérique (civile, narrative, agissante,
projetée), correspondant grossièrement aux cadrans de la carte 4. Aussi
sommaire soit-elle, cette décomposition montre l’éclatement des dynamiques
identitaires sur plusieurs dimensions : l’affichage des propriétés génériques et
statutaires des personne (cadran nord-ouest), la projection des personnes dans
leurs œuvres, transférant leur identité civile vers une identité agissante (nordest), l’authentification d’un « vrai » moi à travers l’introspection et le récit
personnel (sud-ouest) ; les expérimentations de soi utilisant des simulations de
rôle (sud-est). Mais cette décomposition permet surtout d’identifier des
trajectoires différentes de la rencontre numérique en fonction des formats
126
Réseaux n° 152/2008
identitaires affichées par les participants sur les plateformes69. Dans le monde
du paravent, lorsque l’identité civile des personnes est en jeu, la rencontre
prend une visée relationnelle très explicite et transporte dans le monde réel un
appariement qui s’est réalisé on line. Dans le modèle du clair obscur, lorsque
les personnes rendent visible une identité narrative, elles prolongent et
poursuivent en ligne des expressions d’elles-mêmes qui sont nés off line, tout
en entrant en contact avec la nébuleuse des amis d’amis (principe du bonding
dans les théories du capital social). Dans l’espace de forte visibilité du phare,
lorsque les personnes produisent et publient des œuvres qui les définissent,
rencontres on line et off line s’entremêlent de façon multidimensionnelle. C’est
le partage de goûts, de contenus et d’affinités qui se trouve au principe de cet
élargissement du cercle social (principe du bridging dans les théories du
capital social). Dans le monde du post-it, l’imbrication du monde réel et du
monde virtuel est si forte que les deux univers n’ont guère de raison d’être
isolés. En revanche, dans l’univers de la lanterna magica, où c’est la personne
elle-même qui est l’objet d’une production, alors les relations sur ces
plateformes ne débordent pas du monde on line.
Carte 4. Monde réel/monde numérique
69. WILLIAMS, 2006.
Le design de la visibilité
127
C’est le deuxième enseignement de cette typologie : si l’identité se
décompose en facettes plus ou moins étrangères les unes aux autres, les
réseaux de relations associés à chacune de ces facettes sont peu miscibles. Il
est donc assez incertain de faire l’hypothèse d’une unicité du « graphe
social », projet visant à ajouter à la liste des personnes (l’annuaire) la carte
de leurs liens (le réseau social) 70 . Cependant, les nouvelles pratiques
sociales qui se développent sur les plateformes relationnelles font aussi
apparaître des zones de l’espace relationnel dans lesquelles l’articulation
entre des réseaux relationnels, autrefois isolés les uns des autres, se réalise
avec plus d’évidence. D’une certaine manière, Facebook est situé au cœur de
cette recomposition dans la mesure où les utilisateurs, derrière leur nom
propre, mêlent de plus en plus amis, collègues et inconnus, tout en
pressentant aussi de plus en plus fortement les risques identitaires qu’ils
prennent à provoquer un tel mélange71. En effet, il ne fait guère de doute que
ce déplacement dans les pratiques de sociabilité qui donne aux proches, amis,
famille et collègue, une visibilité nouvelle sur les engagements de l’individu
avec chacune de ces sphères, reste limité et progressif. Surtout, cette capacité
à s’exposer tout en contrôlant son exposition réclame des compétences
sociales et relationnelles spécifiques et très inégalement distribuées72.
La forme des réseaux sociaux
Une troisième lecture de cette typologie invite à différencier la taille et la
forme des réseaux sociaux selon les différentes plateformes (Carte 5). Alors
que les sites du modèle du paravent refusent l’affichage du réseau
relationnel pour préserver la discrétion d’une rencontre que l’on espère
unique (significativement, seuls les sites gay et libertins se risquent à un
affichage du réseau relationnel de leurs membres), les plateformes en clair
obscur se signalent par de petits réseaux de contacts très fortement connectés
entre eux. En revanche, les sites du modèle du phare se caractérisent par
l’importance du nombre de contacts et par des réseaux beaucoup plus divers,
inattendus, longs et distendus que ceux qui s’observent dans la vie réelle.
L’extension de la zone de visibilité des individus profite de l’hybridation du
réseau social (les amis) et du réseau thématique (les groupes, les tags, les
70. Cette idée du « graphe social » est notamment défendue par Brad Fitzpatrick, développeur
influent de services du web 2.0, cf. http://bradfitz.com/social-graph-problem/
71. LAMPE, ELLISON et STEINFELD, 2007.
72. HARGITTAI, 2007.
128
Réseaux n° 152/2008
amis-bookmarks, etc.) qui donne à ces systèmes relationnels un caractère
profondément hétérogène et ouvre à des modes de navigation et de rencontre
beaucoup plus diversifiés.
Carte 5. Taille des réseaux
C’est le troisième enseignement de cette typologie : la dynamique même de
constitution des réseaux diffère fortement selon la visibilité qui est donnée au
profil et cette visibilité est en grande partie produite par la manière dont les
utilisateurs font de leur réseau de contact un public fermé et limité ou une
audience beaucoup plus large. Les plateformes en clair obscur favorisent un
entre-soi qui, à la manière d’un système de communication interpersonnelle,
ancrent les individus dans un univers de référence souvent très homogène
socialement, ne serait-ce que parce que la plupart des contacts se connaissent
entre eux dans la vraie vie. En revanche, pour élargir leur visibilité sur les
plateformes du phare, les utilisateurs doivent, à la manière de micro-médias,
produire des contenus susceptibles d’attirer à eux une population plus
hétérogène socialement et culturellement. La dynamique d’extension des
connexions qui préside actuellement au développement des SNS mêle donc de
façon toujours plus forte les « vrais » amis aux amis « utiles ». Elle installe
ainsi une logique opportuniste et calculatrice, en prescrivant des
Le design de la visibilité
129
comportements qui peuvent être en décalage avec les attentes initiales des
participants.
Les modes de navigation
Une quatrième lecture de cette typologie nous invite à insister sur la diversité
des outils et des ressources permettant de naviguer sur les plateformes du
web 2.0 (Carte 6). En effet, le traditionnel moteur de recherche critériel n’est
réellement opérant que dans le modèle du paravent qui se propose d’apparier
les personnes à partir d’une objectivation catégorielle. La rupture introduite
par le web 2.0 marque un changement de paradigme dans les systèmes de
recherche d’information73. En effet, au paradigme de la recherche critérielle,
qui s’appuie sur des caractérisations objectives, statutaires et institutionnelles
des personnes, se superpose un paradigme de l’indice, dans lequel les
personnes prennent appui sur un tissu d’informations labiles et floues pour
créer de nouvelles connexions (ambiant awareness). Un premier
déplacement est apparu avec la navigation relationnelle qui voit les
personnes circuler sur les plateformes à partir de leurs amis et des amis de
leurs amis. Cependant, lorsqu’elle s’étend, cette navigation relationnelle
s’accroche de plus en plus aux traces, explicites ou implicites, laissées par la
navigation des autres. Ce second déplacement dans les systèmes de
navigation ouvre alors l’espace à une navigation « hasardeuse » (souvent
appelée serendipity dans le monde du web 2.074) qui permet d’explorer la
plateforme en circulant à travers les agrégats que les autres participants ont
constitués à travers les tags, les groupes thématiques ou les playlists. Ces
agrégats d’un nouveau type ne sont pas édités par la plateforme, mais sont
produits par la composition des comportements des autres utilisateurs. Cette
navigation hasardeuse peut aussi être guidée par des systèmes de
recommandations basées sur le filtrage collaboratif, ou s’appuyer sur des
repères externes comme l’audience ou la réputation. Dans l’univers du postit, les formes de navigation se caractérisent, en revanche, par une articulation
très étroite d’indicateurs de proximité territoriale et de notification des
activités des autres. C’est le signalement des activités de ceux qui sont les
plus associés au quotidien des personnes – les « vrais » amis pouvant être
géographiquement distants – qui sert de repère à la navigation. De façon
étrangement similaire, les outils de navigation dans les mondes virtuels
73. WEINBERGER, 2007.
74. AURAY, 2007.
130
Réseaux n° 152/2008
mêlent aussi très étroitement la carte au calendrier, mais en donnant une
dimension plus pressante au temps rapproché et au présent, puisqu’il faut
toujours retrouver ses amis là où il se passe quelque chose.
Carte 6. Les formes de navigation
C’est le quatrième enseignement de cette typologie : les plateformes du web
2.0 ont développé une palette très innovante de fonctionnalités (blogroll,
liste de contacts, folksonomy, flux rss, newsfeed, etc.) destinées à tenir
compte du fait que, dans la majorité des cas, les utilisateurs sont incapables
d’expliciter ce qu’ils cherchent et n’ont pas formé d’intentions préalables, de
but ou de destination à leur quête 75 . Les plateformes du web 2.0 ont
généralisé le principe du filtrage par le réseau social et par la proximité de
goût, en aidant les utilisateurs à se constituer eux-mêmes un univers
d’informations qui les détournent légèrement de leurs chemins habituels, les
surprennent sans les désorienter, les aident à explorer et à préciser leurs
centres d’intérêt. Les activités individuelles des utilisateurs produisent un
bien collectif, une zone de pertinence des informations disponibles à chacun,
75. Voir l’article de M. CREPEL dans ce numéro.
Le design de la visibilité
131
sans que celui-ci n’ait jamais fait l’objet d’un plan concerté – ce qui interdit
une approche éditoriale a priori par les concepteurs des plateformes.
Les nouveaux usages des plateformes relationnelles du web 2.0 font ainsi
apparaître des modes de collaboration inédits entre utilisateurs. En écho au
célèbre article de Mark Granovetter sur la « force des liens faibles »76, on
propose de qualifier ce modèle de coopérations faibles77. A la différence des
coopérations « fortes » qui se fondent sur une communauté préexistante de
valeurs et d’intentions, les coopérations faibles se caractérisent par la
formation « opportuniste » de liens et de collectifs qui ne présupposent pas
d’intentionnalité collective ou d’appartenance « communautaire » préalables.
En invitant chacun à rendre publiques informations et productions
personnelles et en développant des fonctionnalités de communication et de
partage, ces plateformes offrent des opportunités à la constitution de formes
collectives sur un mode non-prescriptif et résolument auto-organisé. A leur
manière, elles favorisent l’émergence d’une dynamique de bien commun à
partir de logiques d’intérêt personnel en articulant de façon originale
individualisme et solidarité.
Mais elles suscitent aussi une interrogation sur le sens et la profondeur des
relations qu’elles nouent entre les personnes. Comme on l’a souligné, les
formes relationnelles du web 2.0 mêlent des liens de natures extrêmement
différentes. La dynamique d’ouverture du réseau social vers la nébuleuse des
proches ou vers des inconnus partageant des traits identitaires commun,
favorise une exploration curieuse du monde qui fait son attrait incomparable
auprès des utilisateurs. Le principe d’extension du réseau relationnel – qui
reste limité sur les plateformes en clair obscur78 – introduit cependant de
nouvelles dimensions, la visibilité, la calculabilité et l’exhibition, dans la
fabrication des relations sociales. La logique d’accumulation des liens que
viennent constamment entretenir de multiples artefacts proposant une
métrique relationnelle (compteur d’amis, classement de popularité, notes de
pertinence) contribue à réifier la relation amicale. Plus encore, elle invite les
76. GRANOVETTER, 1973.
77. AGUITON, CARDON, 2007. Pour une présentation des 10 propriétés de ce modèle,
cf. CARDON, CREPEL, HATT, PISSARD et PRIEUR, 2007.
78. TONG, VAN DER HEIDE et LANGWELL (2008) ont montré qu’un nombre trop élevé
d’amis pouvait dégrader l’attractivité des fiches sur Facebook – disqualification qui, en
revanche, ne saurait avoir lieu sur les plateformes du modèle du phare, comme MySpace ou
YouTube.
132
Réseaux n° 152/2008
participants à endosser des formats de présentation d’eux-mêmes qui les
place dans une logique du calcul, de l’exhib’ et du rendement. Dans les
termes d’Axel Honneth, cette tendance peut s’interpréter comme une « autoréification », c’est-à-dire une perte de l’accès à sa propre intériorité79. La
tyrannie du « cool », l’injonction à accepter les nouveaux « amis »,
l’invitation à l’exposition de soi, le frottement de cercles de sociabilités
différents, les révélations incontrôlées ou le conformisme dans la
théâtralisation de son identité peuvent générer tout une série d’expériences
malheureuses. Si la critique du web 2.0 s’attarde beaucoup, non sans raison,
sur les risques concernant la privacy ou la captation d’une valeur
économique produite bénévolement80, elle échoue cependant à mobiliser les
participants de ces plateformes en se rendant trop « extérieure » aux
opportunités et aux bénéfices qu’ils y trouvent 81 . Une critique plus
« interne » devrait pouvoir s’appuyer sur l’expérience des participants pour
explorer la diversité des articulations entre formats de présentation de soi et
stratégies relationnelles, afin d’isoler les contextes dans lesquels les
personnes ressentent négativement les effets de la rationalisation de l’amitié.
79. HONNETH, 2007, p. 104 et suiv.
80. Cf. SHOLZ, 2008 et l’ensemble du numéro spécial de First Monday (2008) : “Critical
Perspectives on Web 2.0”.
81. Sur l’opposition entre critiques « interne » et « externe », cf. WALZER, 1996.
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