Revista Disertaciones N°2. Año 2011

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Lʼ INFINI SYMBOLIQUE DE LA METAPHORE POETIQUE CHEZ DURER:
MELENCOLIA I*
THE INFINITE SYMBOLIC POETIC METAPHOR.
ALBRECHT DÜRER. MELENCOLIA I
DOINA CONSTANTINESCU†
Universidad Lucian Blaga- Rumania
Φ
1. Introduction
Considérée toujours comme une œuvre programme, la gravure en cuivre La Melencolia I
(1514), contient une somme considérable de principes philosophiques de l'humanisme européen.
Dans son Anatomie de la Mélancolie, R. Burton apprécie la gravure d’Albrecht Dürer comme
la plus importante représentation encyclopédique sur le tempérament mélancolique.1 L’idée
que la gravure se place en tête d’une série de quatre tableaux consacrés au sujet des quatre
tempéraments, dont une serait manquante ou constituée par l’Adam et Ève de 1504, est
vraisemblable. Donc, les trois célèbres gravures Le Chevalier, le diable et la mort (1513),
Mélancolie (1514), et Saint-Jérôme dans sa cellule (1520), révèlent la maîtrise et la pleine
maturité de l’artiste. Apparemment très différentes, les gravures sont considérées comme
faisant partie d’un triptyque imaginaire qui veut illustrer les trois vertus scolastiques : morales,
théologales et intellectuelles, interprétées par Dürer dans l’expression esthétique des trois
voies : La voie chevaleresque ; La voie monastique; L’Art Royal. 2 Dans la Melencolia I, le
pessimisme culturel, le pathos de la profondeur et le sentiment du sublime évoquent le
spécifique de l’imagination germanique et aucun élément de cette composition allégorique ne
doit
*
†
sa
présence
Recibido: 7 de abril 2011 y aprobado el 6 de mayo de 2011
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au
hasard.
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Lʼ infini symbolique de la metaphore poetique chez durer: melencolia i
2. Les archetypes de la gravure
Dans Saturne et la mélancolie, Raymond Klibansky, Erwin Panofsky, et Fritz Saxl
étudient l’imaginaire symbolique de la mélancolie en confrontant les représentations
thématiques de Saturne (mythologie) avec l'image de l'ascétisme monastique du typus Acediae
et celle du typus melancholicus (géométrie et beaux-arts), le protagoniste des textes poétiques,
scientifiques ou philosophiques : « Du point de vue de l'histoire des types, la gravure de Dürer
se compose, en ses détails, de certains motifs mélancoliques ou saturniens traditionnels (…)
mais, prise comme un ensemble, on ne peut la comprendre qu'en la regardant comme une
synthèse symbolique du typus Acediae (l'exemple popularisé de l'inaction mélancolique) et du
typus Geometriae (la personnification scolastique d'un des ”Arts libéraux”) ».3 Nous avons
conçu notre argumentation dans l’esprit de cette réflexion qui rassemble le pôle humoral et le
pôle saturnien.
2.1. Typus melancholicus
Le typus melancolicus est considéré comme l’emblème de ce sentiment infini. Dans
les représentations artistiques de la mélancolie, comme dans la fameuse gravure de Dürer, le
protagoniste principal est un personnage grave, avec la tête légèrement inclinée, la joue posée
sur la main gauche, le regard fixant un point précis et pourtant indéterminable. Assis devant un
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travail en cours d’exécution, cet ange solitaire, dont la robe aux plis lourds ne parvient à
masquer ni la souffrance contemplative ni l’écœurement quant à la vie, représente la figure
triste et velléitaire de l’artiste, puisque la mélancolie est profondément liée au génie de la
création artistique. Dans ce contexte, l’influence astrologique de Saturne/ Kronos/ Xrônos/ le
Temps, à la fois Dieu cannibale et Dieu de la science et de la contemplation philosophique, est
perceptible chez ceux dont l’esprit est prédisposé à la contemplation et à la recherche des
choses raffinées. 4 Considérée comme une planète ambivalente, parce qu’elle est dominée par
deux aspects extrêmes, à savoir d’être à la fois une planète funeste qui apporte le malheur, et
une planète noble, perçue comme la plus séduisante des planètes, Saturne marque de son
empreinte la vie de ceux qui portent son signe astral. Le typus acediae est assimilé au mal
monastique dont il partage les symptômes, puisque l’image du mélancolique est
essentiellement négative. Ce balneum Diaboli de l’ange dürérien, c’est le démon du midi qui
aplatit la ferveur christique, représenté par le type qui exerce la paralysie des sentiments ou
l’ankylose de l’affectivité dans le prolongement de l’atonie mélancolique. Pour E.
Panofsky, la figure de la mélancolie chez Dürer se situe au croisement de l’ancienne acédia
médiévale, c’est-à-dire la torpeur, la paresse, l’ennui, le vide intérieur, l’incapacité à
travailler, (la raison pour laquelle tous ces outils sont là, autour d’elle, abandonnés, sans usage,
donc un type médiéval religieux, spirituel) et, de l’autre côté, l’esprit de la géométrie,
l’intelligence lucide qui renvoie au monde nouveau de la Renaissance.
2.2. Typus geometriae
Etudiant la géométrie comme le cinquième ”art libéral” et les techniques de la
perspective comme des phénomènes stylistiques et culturels, dont la fonction subit un procès
radical d’historicisation, Dürer transforme la perspective de la gravure dans lʼespace d'un
géomètre et d'un artiste de génie, qui cherche les justes proportions esthétiques. L'art de la
mesure est alors une espèce de propédeutique pour le peintre amoureux des formes, des lignes et
des courbes géométriques. Ainsi, une seule image peut activer plusieurs distances et devenir le
lieu nodal des différents espaces physiques et/ou symboliques, même inconciliables entre eux.
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Le livre, l'encrier et le compas se réfèrent à la géométrie pure, le polyèdre en pierre à la
géométrie descriptive et à la perspective, en particulier à la stéréographie, le carré magique, le
sablier, la cloche et la balance se réfèrent à la mesure de l'espace et du temps, les divers outils et
instruments techniques, « le rabot à moulures, l'équerre et le marteau signifient la géométrie
appliquée à l'artisanat et au bâtiment. » 5
En proposant une géométrie mélancolique et une mélancolie qui géométrise, Dürer
opère, en réalité, une « double inversion de sens » par laquelle la géométrie acquiert une âme et
l'acédia un esprit : « Quand Dürer fondit le portrait d'un ”ars geometrica” avec celui d'un
”homo melancholicus” (...) il dota l'un d'une âme, l'autre d'un esprit. » 6 Dans la composition
de la gravure, Dürer dispose les instruments lucratifs, qui permettent de mesurer, de tracer, de
polir des surfaces, parmi les instruments qui nous indiquent la faculté imaginative de la création.
Cette mise en relation de la mélancolie et de la géométrie renvoie à Saturne, planète qui les
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gouverne toutes deux. D'un côté, le savoir et la méthode de la géométrie descendent dans la
sphère de la finitude et de l'échec, de l'autre côté, le tempérament mélancolique s'élève à la
hauteur de l'intellect en proposant une contemplation et une perspicacité différente de celle de la
raison.
3. Hermeneutique de l’oeuvre d’art
Avant d’aborder effectivement l’herméneutique de la Melencolia I, il faut dire qu’il
y a une tradition, inaugurée en France par G. Bachelard et continuée par l’histoire moderne de
la culture (Giorgio Agamben, Yves Hersant, Louis Marin, Erwin Panofsky, Jean Starobinski),
qui vise l'explication du concept de la mélancolie, en relation avec sa structure hyper -thymique
et négative, qui se manifeste dans l’imaginaire mélancolique de l’art. D'ailleurs, Paul Valéry,
dans son Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, nous avertit qu'une œuvre d'art devrait
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toujours nous apprendre que nous n'avions pas vu ce que nous voyons. La perception d'un
tableau manifeste un incontestable rapport culturel au monde et celui qui l’analyse saisit
aussitôt un comportement particulier, un certain type de civilisation, puisque cet art est
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l’expression de l’aptitude à être homme. Ainsi, la perspective artistique «exprime une
certaine attitude objectivante à l'égard du monde». 8
La gravure de Dürer est faite pour convertir le monde en signification. Elle est traversée
visiblement par l’esprit d’un artiste philosophe qui a conçu la gravure comme une allégorie
poétique de la méditation créatrice. Cet Ange symbolique a une signification quasi magique, il
exprime la distance entre l’œuvre d’art et une figure imaginaire, entre image et imagination,
entre représentation (Darstellung) et idée (Vorstellung). Le but poétique est représenté par la
synthèse allégorique de la gravure et la description de la mélancolie dans les règles de l'art, pour
parvenir à leurs fins philosophiques et symboliques. Dans l’interprétation de la gravure il faut
savoir que là, les lieux, le décor, les instruments, les personnages, les outils nous indiquent des
traces herméneutiques puisque tout est allégorie, allusion, pictogrammes, rébus. Étant donné que
la mélancolie s'élève à la rigueur d'un concept et à la représentation d’une idée culturelle, nous
avons analysé l'imaginaire symbolique de la mélancolie comme un composé paradoxal d'image
(synthèse de symboles) et de texte (énumération détaillée de symboles avec le commentaire de
leur signification). Marquant une séparation entre le sens apparent et le sens caché du texte image, l'allégorie suppose une traversée oblique, mais, en tant que forme iconique, elle ne peut
se passer d'un texte transparent qui puisse expliquer ce sens caché. Les images statiques de la
Melencolia conservent un va-et-vient constant entre l'image et le texte qui entretient la vitalité
du processus herméneutique, puisque derrière le figuratif il y a toujours l'abstrait de sa forme
allégorique. L’imaginaire de la mélancolie est donc susceptible de lectures plurielles, mais leur
présence simultanée engendre des assemblages dont la multiplicité ne saurait être épuisée.
I.
La partie d r o i t e inferieure
Nous avons divisé la gravure en quatre parties, pour mieux suivre les interférences
symboliques de la composition et pour expliquer la signification métaphorique de chaque
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élément. Dans un premier plan, une jeune femme ailée au repos, qui s’érige comme
personnage central de la gravure. (La figure 1)
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Plongée dans l’ankylose de ses méditations comme l'image de la solitude aristocrate de
l'artiste, elle domine la confusion de l’ensemble. Constituée d'un assortiment d'éléments
particuliers, le souci du détail se manifeste dans l'art du portrait qui manifeste cette vie
intérieure et imaginative par laquelle il est possible de saisir un au-delà du réel apparent. La
figure sombre aux cheveux en désordre continue l’état de veille dans une atmosphère de
mélancolie profonde. La tête soutenue par le poing fermé, qui traduit l’expression de la
mélancolie ou de la paresse, constitue une représentation qui s’inscrit dans une tradition
picturale multimillénaire, visible même sur les pièces funéraires des sarcophages égyptiens. Le
portrait de cet ange attristé manifeste au premier plan le motif du poing serré qui symbolise
l’expression «de certaines fautes et illusions» macérées dans la rumination de ses veilles. (La
figure 2)
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Cette concentration sur une dominante qui symbolise l’avarice, comme caractéristique
typique du tempérament mélancolique, a chez Dürer une tout autre signification. Immobile
comme une statue, mais brillant et passionné, l’ange de la Mélancolie symbolise
l’acharnement humain au savoir, valorisant la vie spéculative, la dignité humaine, la
renonciation humaniste à l'activité au profit de la méditation.9 Ange ou Démon, le personnage
central évoque la misère et la grandeur de l'homme universel. Même l’érudition n’est
qu’un sursaut instinctif pour éloigner cette torpeur existentielle par la thérapie culturelle qui
tient plutôt de l’élévation de l'esprit. L’ambivalence de son message entretient les
équivoques de la signification, parce que les avatars mélancoliques présentent des visages
contrastés. Ailée, mais tapie sur le sol, couronnée, mais environnée d'ombre, munie des
instruments de l'art et de la science, mais plongée dans une rêverie désœuvrée, elle donne
l'impression d'un être créateur réduit au désespoir par la conscience de ses propres limites. Cet
ange abattu est à la fois celui qui contemple un monde qu’il pourrait ordonner, mesurer,
calculer, peser, grâce à tous les instruments qu’il y a autour de lui, et qui en même temps
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mesure la vanité de ce travail, puisque au-delà de ce monde mesuré, nombré, pondéré, il y a un
monde qui est livré à la volonté de Dieu. 10
La noirceur du visage de la femme ailée traduit plutôt l'assombrissement d'une
atmosphère métaphysique. Dürer préfère l’austérité du noir et blanc pour mieux conserver
l’indistinction symbolique de la signification, et pour amplifier l’ambiguïté, il remplace la
coloration par un jeu de lumière et d’ombres. Tout est envahi d'ombres, tout est assombri dans
l’équivoque des apparences, tout se rapporte au noir de la putréfaction qui annonce de
laborieuses métamorphoses internes. Le noir signale une descente aux Enfers, un voyage aux
couches les plus profondes de notre psyché, à la recherche de la pierre philosophale ou de
l´élixir de la longévité, c´est à dire la voix de l´alchimiste. Le temps a un point de convergence
invisible, mais les objets jetés par terre se contractent et se manifestent vers un fond sans fond, à
la manière d'un trou noir qui absorbe toutes les énergies et toutes les choses du monde. Dans
40
cette perspective, l’attitude de la femme - ange confirme les trois facettes caractéristiques de la
réception spatio-temporelle du mélancolique : la dysrythmie ou perte du rythme qui soutient
l’articulation de l’existence, le ralentissement du flux du présent et l’enlisement dans le
passé ; l’anhédonie, ou perte du plaisir d’exister et l’anormie, ou manque d’élan vital qui
se manifeste aussi bien au plan corporel (impression de lourdeur), qu’au plan psychique
(difficulté de prendre des initiatives, de se mettre au travail, de faire des projets).11
Absorbée par ses pensées noires, cette jeune femme avec les ailes à demi déployées
porte sur tout ce qui l'entoure un regard fatigué et sceptique. Malgré cela, son œil reste inspiré
par une hypothétique illumination intérieure. Tourné vers un point de fuite, son regard
contemple quelque chose qu’elle ne voit pas physiquement. Mais comment définir cet œil
taciturne, ce regarde semblable aux regards des statues ou la contemplation muette, qu'aucun
signe ne permet de circonscrire ? Et quel est le centre abstrait de ce monde invisible et le point
fixe de ce regard extasié qui signale obstinément un objet sans le voir jamais ? La réponse
échappe à toute parole, car la révélation suppose une confiance constitutive et un autre à qui se
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révéler et se fier, or, le plan où s'inscrit cette création symbolique n'est que le modèle de
l'absence et du manque de sens. Panofsky nous signale une perspective inversée : la femme ailée
n’a pas un regard abattu, mais plutôt « un état de super éveil », et son attitude de concentration
et le livre fermé qu’elle tient à ses genoux ou le compas dont elle ne se sert pas peuvent
signifier qu’elle n’a pas encore commencé le travail de création ou qu’elle doute de ses
capacités à y parvenir.12 Dans l’herméneutique ecclésiastique, cet ange abattu représente
l’évocation de la souffrance christique et de la crucifixion. Les symboles sont les arma christi :
des outils, la tenaille, le marteau, les clous. (Figure 3)
41
Symboles lucratifs et métaphore du martyre religieux, les quatre clous, situés au coin
droit de la gravure, évoquent l’impérissable memento mori et la tradition de la vanité. Il y a
encore un détail. Le personnage ailé porte sur la tête une couronne de plantes aquatiques
(feuilles de cresson de fontaine et de renoncule d’eau), qui représentent les aptitudes
intellectuelles de la Mélancolie. (Voir figure 2) Mais le choix de ces deux plantes insignifiantes,
qui n'ont de commun que leur nature aquatique, nous indique plutôt la signification de leurs
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effets maléfiques. Toutefois, cette couronne de laurier pour un personnage si triste introduit une
note d’ironie amère. 13
Le milieu géométrique de la gravure se trouve très proche de la tête du compas tenu
dans la main droite de la femme ange.14 (Figure 4) L’image de la circonférence, ne signifie pas
que la Mélancolie symbolise un cercle vicieux d’où l’on ne sort pas. «Dans la main de
Melencolia, le compas symbolise (...) le projet intellectuel unificateur qui gouverne la grande
diversité d'outils et d'objets dont elle est entourée ; et si nous voulons subdiviser, nous pouvons
dire que le compas, et avec lui la sphère et le nécessaire à écrire, signifient la géométrie pure.» 15
Les plis somptueux de la robe de Melencolia I et la ceinture richement brodée attestent
l’exigence de l’artiste pour les détails, puisque, dans le contexte de la gravure, les accessoires
les plus conventionnels du costume d'une Hausfrau (maîtresse de maison) sont chargés d'un sens
allégorique. Accrochées à la ceinture de l´Ange couronné, une bourse et un trousseau de clés
42
pendent mollement comme symboles du pouvoir et de la richesse. 16 (Figure 5)
Le couteau fait partie du symbolisme des instruments qui provoquent la mort. Il a des
fonctions rituelles qui suggèrent l’impulsion de la violence, toujours présente dans la balance
émotionnelle du mélancolique. La lame du couteau (égoïne) à dents affilées entre dans la
métaphore de la déchirure et celle du désir agressif de la domination. 17 (Figure 6)
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II.
La partie d r o i t e superieure
Au pied de la falaise abrupte on aperçoit un ensemble indistinct de donjons, arbres et
logis. (Figure 7) Sur le bord supérieur de l’assemblage, l’architecture d’un édifice insolite
symbolise l’état de veille, la solitude et l’anxiété. La construction figure un espace de
réclusion pour que le mélancolique puisse bâtir ses attentes et ses peurs. Le carré magique
domine la partie droite supérieure de la gravure. (Figure 8) Il symbolise le substitut
mathématique de la divinité préconisé par Marsile Ficino (1433-1499), Cornelius Agrippa et
tous les praticiens de la magie blanche.
18
Fermat et Euler, les grands mathématiciens, ont étudié
eux aussi le carré magique, mais la gravure de Dürer lui confère un caractère ésotérique,
poétique et légendaire. Dans le contexte néo-platonicien, auquel appartenait l'artiste allemand au
début du XVIe siècle, cette grille de nombres incarne le savoir mathématique et les métiers
scientifiques associés à Saturne.
19
(Figure 9) Les chiffres du carré représentent des énigmes et
des symboles mathématiques. Le numéro « 4 » traduit l’équilibre et la structure exemplaire du
carré. En alchimie, il y a quatre périodes liées aux âges de l'esprit et aux symboles des quatre
couleurs : Noir, Blanc, Jaune et Rouge, mais, du point de vue spatial, ce numéro est lié aux
points cardinaux qui sont représentés dans la gravure par une petite Rose des vents, située à côté
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de la sphère. (Figure 10) Au sens temporel, il y a une association entre les quatre saisons, dont la
progression s’effectue en suivant le principe de métamorphose de leurs quatre éléments (le
Feu, l’Air, l’Eau, la Terre) et les quatre tempéraments (colérique, sanguin, flegmatique et
mélancolique). Le numéro 34, porte un message initiatique majeur. (Figure 11) La somme des
nombres inscrits dans chaque case est toujours égale à 34, quel que soit le sens dans lequel
l’addition est faite : horizontal, vertical, ou en diagonale. Ce carré se divise en quatre carrés de
quatre cases, mais le total des nombres de chaque carré fait encore 34. En fait, il y a 86
différentes combinaisons de quatre nombres dans le carré de Dürer donnant la somme magique
34! La valeur magique du carré a plusieurs significations ésotériques. Par exemple, au total on
trouve 22 fois le nombre 34, lequel peut se lire 3 + 4, mais le produit de 3, symbole de la vie
finie, et de 4, symbole du royaume infini de l’esprit, est 12, le numéro de la carte du pendu au
tarot. Connu sous l’appellation de " Carré de Dürer " et souvent donné comme référence, la
signification du carré fournit peut-être la plus importante clef de la gravure.20
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La balance exprime classiquement le concept magique de jugement. (Figure 12) En
conséquence, dans le temple de la géométrie, la balance pèse et gouverne le temps et l’espace.
Mise en relation avec la représentation d’un procès de nature apocalyptique, l’allégorie de la
signification s’amplifie avec des symboles alchimiques. Un sablier est fixé au mur, auprès
d’une cloche munie d’une corde. (Figure 12) Symbole de la finitude, de l’écoulement
inexorable du temps et des caprices de la fortune, il nous rappelle l’avertissement funeste de
la disparition. Le temps qui s'écoule dans le globe du sablier n'élabore plus rien, cʼest un temps
vide et vain, mais plein de regrets. Dans les deux sphères du sablier, la quantité de sable est dans
un équilibre précaire et statique, comme celui de la balance située à sa gauche, ou celui de la
cloche, située à sa droite. Pour entrer dans le système référentiel du contexte, cela signifie que le
temps résume le désespoir de la mélancolie et renforce la posture d'attente, qui semble baigner le
monde angélique du premier plan. Au-dessus du sablier il y a un cadran solaire qui ne marche
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pas, le temps de la mélancolie étant immobile, un temps pétrifié dans son propre stéréotype.
(Figure 13) Même la cloche ne sonne plus les heures. (Figure 14) Le marteau de la petite cloche
est tout à fait immobile et «l'aiguille du cadran solaire n'engendre aucune ombre, alors qu'en
revanche le sablier projette une silhouette importante sur le mur. »
21
Cette permanente
consonance des symboles qui se répondent l’un à l’autre nous rappelle les obsessions
majeures du mélancolique relatives à l’écoulement du temps.
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III.
La partie g a u c h e superieure
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Dans la partie gauche de la gravure, Dürer imagine un décor où le temps semble s'être
arrêté. L’atmosphère mélancolique de l’espace évoque l’hermétisme magique du paysage
catastrophique et le cortège d’impressions insolites qui se distinguent dans un agencement
familier aux artistes de la Renaissance. (Figure 15) En marge de la gravure, le clair-obscur du
paysage côtier dissimule la mélancolie de l'espace et sur la ligne d’horizon, l´étendue marine
prolonge le calme du ciel et la luminosité de la comète. On distingue la surface immobile d’un
lac inondé par les rayons du ”Soleil noir” des mélancoliques et la comète qui annonce
d’autres malheurs.22 (Figure 16) Le fait que le soleil devienne fixe, que les heures ne passent
plus, invoque la temporalité mélancolique. Dans ce lointain mystérieux, l'image fantastique de la
dissolution du soleil surprend ”le temps entre les temps”, comme l’image de l'impasse
suspendue qui déplie sa propre dissolution. La solitude infinie et la désolation profonde de cette
perspective désignent un état d’âme. Le ciel, la mer, l’étoile, la terre, la pierre de moulin
sont des éléments éternels, rangés en opposition avec les nuages, l’arc-en-ciel, la comète, qui
font partie de la sphère des mutations courantes, en analogie avec la métaphore cyclique de la
vie et le signe zodiacal de Saturne. Altérée par l’humeur noire de la stérilité mélancolique et
fascinée par l’enjeu de la métaphore, l’eau claire individualise les ambiguïtés symboliques
dans l’espoir assombri par cette énergie hostile qui transforme l’eau pure en l’encre de la
mélancolie. L’arc-en-ciel appartient à la même construction thématique. (Figure 17) Sa
lumière blafarde n’éclaire plus l’héroïne du tableau, dont les ailes semblent indiquer un ange
déchu ou simplement égaré, parce qu’il a perdu le secret de la Parole et l’exaltation de
l’Art. Mais cette rupture entre la terre et le ciel, entre le credo et le scepticisme, permet de
réfléchir à la distinction entre le feu divin et la gravitation matérielle, puisque l’arc en ciel
symbolise le signe magique du Ciel et de lʼespoir. 23
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Cette couronne brillante au dessus de la voûte céleste signifie aussi la voie de nos esprits
qui passent dans l’autre monde sur ce fleuve du ciel, et qui, dans la tradition grecque, était liée
au lait d’Héra et de la lumière de la Voie lactée. Mais, seulement le sage peut vivre en parfaite
harmonie avec lui-même et la divinité, car seule la sagesse divine est capable de s’élever à
l’unité indivisible de la communion divine. Dans la partie supérieure gauche du ciel, il y a
aussi une chauve-souris (vespertilion) avec la gueule ouverte et la queue méphistophélique.
(Figure 18) Ailée comme le personnage central, elle apparaît comme une sorte "d’écho", de
contrepoint, puisqu'on la sent associée au protagoniste mais en dehors de sa volonté. Comme
expression du fantasme effrayant de la nuit et comme attribut du crépuscule, l'image ténébreuse
de la chauve-souris évoque l'univers symbolique du vampire, l'ambivalence mélancolique de
l'artiste et la réverbération saturnienne de son isolement.24 La double allégorie de ce mammifère
au corps d'oiseau lui confère une coexistence faste et néfaste. Dans la version favorable, elle
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signifie la veille insomniaque, la sagesse, l'ardeur au travail, l'application ou la concentration, et,
dans la variante néfaste, elle notifie les effets démolisseurs de l'étude nocturne, de la torpeur et
de l'apathie qui engendrent les troubles de la raison.25 Soutenue par la membrane des ailes
déployées de cette hideuse créature, l’inscription "Melencolia I" est portée comme une
explication emblématique raccordée à un soleil levant (ou couchant) et symbole énigmatique
d’un temps suspendu. 26 (Figure 18)
49
L'interprétation du numéro « I » a suscité des opinions divergentes, mais Ficin et
Agrippa ont influencés le maître allemand dans la perception de la mélancolie. Dürer a voulu
donc représenter la mélancolie comme une faculté de l’âme, par sa forme imaginative I, puis
par la forme rationnelle II et la forme contemplative III.
27
Ainsi, le Un désigne le sujet
philosophique principal des néo-platoniciens, mais également le Un chrétien, le Dieu, mesure
de toute chose, « fons et origo numerorum ». La projection métaphorique de la chauve souris
reproduit donc la détermination de l'artiste à s'élever par la création de son génie, au dessus de
sa condition humaine et surtout l’impossibilité d'y parvenir. Au deuxième plan, un énorme
soleil terrible qui semble rendre le ciel noir. Sa lumière sombre est en corrélation métaphorique
avec l'explosion irradiante d’une comète qui inonde le paysage de sa lumière violente. (Figure
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19) La comète et l'arc-en-ciel lancent des flèches phosphorescentes qui provoquent des
émanations inquiétantes pour désigner les menaces astrophysiques. Dans la configuration
hermétique de Dürer, la comète symbolise l'agent flamboyant qui aide à la « calcination » d'un
monde finissant, selon la formule hermétique résumée par les initiales I.N.R.I: Igne Natura
Renovatur Integra.28 L’angelot symbolise «l’artisan de la révélation». (Figure 20) Il nous
suggère la présence du peintre lui-même dans la morphologie du tableau. Dans la confrontation
entre les âges de la création de l’artiste, C. G. Carus considère que ”l'opposition entre l'enfant
qui s'oublie dans l'abandon de son jeu” en s'appliquant à écrire, et l'adulte s'abandonnant à la
méditation et au deuil, en laissant son regard flotter dans le lointain, incite à toutes sortes de
considérations.”29 L’ambiguïté de cette figure se nourrit de l’évanescence herméneutique,
par rapport à celle de la femme ailée, puisque la fébrilité activiste du chérubin est en contraste
flagrant avec la torpeur infertile de la femme mélancolique. Le chérubin est une figure
secondaire, un personnage indéfini et inachevé, voué à marquer les dissemblances entre les deux
50
allégories : la femme mélancolie qui garde un compas à la main sans travailler, métaphore
d’une âme stérile et errante, et l’angelot qui s’identifie avec la ”mélancolie de
l’imagination”, métaphore d’un moi créateur qui écrit. Défini par Agrippa von Nettesheim
comme ”mélancolie imaginative”, cette production traduit aussi les mésaventures de
l’écrivain. Ecrire définit l’identification de l’échec et cette perspective référentielle signifie
«disloquer une réalité présente” parce que «ses éléments» ne possèdent pas encore «le pouvoir
de tenir ensemble :»30
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Par l’alchimie de la mélancolie, l’eau de l’espoir est devenue l’encre magique de
l’apprentissage, l'angelot et l'ange mélancolique exprimant deux mondes parallèles. Si dans
les tableaux de G. Bellini, Mantegna ou L. Cranach, la protagoniste de la Mélancolie est
toujours entourée d’enfants, Dürer nous présente un seul angelot, situé au-dessus d'une roue de
meunier, qui rappelle manifestement l'imagerie de la Rota fortuna médiévale. L’échelle du
temps est appuyée contre le mur d’un édifice inachevé. (Figure 21) Elle est là comme le
souvenir antique et médiéval d'un cosmos bien arrangé et d'un logos présent et garant de cet
arrangement. Nous savons que l’alchimie est représentée dans le médaillon central de la
façade de Notre Dame de Paris par un visage de femme devant une échelle. La composition de
Dürer représente également une jeune femme ailée devant une échelle, composée de sept
barreaux, quatre visibles, trois invisibles, qui relie la Terre au Ciel et dont la jeune femme
semble avoir perdu le secret. L’échelle à 7 barreaux est associée souvent aux sept Arts
libéraux, qui sont en relation avec l'hermétisme et la métaphore du nombre 7. Donc, les 7
échelons symbolisent les 7 planètes, les 7 métaux, les 7 jours de la semaine durant lesquels Dieu
créa l´Univers et les 7 pas que devra réaliser l´initié à l´intérieur de palais hermétique. D'ailleurs,
le nombre 7 est celui de la maîtrise, celui où la Terre s’ouvre à la lumière du Ciel (raison pour
laquelle l’échelle a sept barreaux). Comme le problème de la géométrie est non résolu, le
processus d’initiation qui relie la terre et le ciel s’inscrit dans la perspective qu’il n’y a
qu’un seul chemin de vie.
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En appliquant la méthode de la double projection aux sections coniques, familière aux
maçons, tailleurs de pierre et architectes, Dürer en obtient une construction très originale pour la
géométrie descriptive. C'est un objet à douze facettes irrégulières, défini comme « polyèdre de
Dürer ».31 (Figure 22) Les sommets du polyèdre sont tous situés à égale distance par rapport à
un centre. La présence simultanée de ce polyèdre et de la sphère ont conduit certains à envisager
une corrélation possible avec la quadrature du cercle, et selon une perspective de type
« apocalyptique », une possible relation avec l'instant limite de la fin des temps. L’hexaèdre
est un polyèdre rare à six faces en forme de pentagone, constitué de deux triangles équilatéraux
et six pentagones irréguliers. Il contient le secret du passage du cube à la sphère. Enfin, il nous
faut ajouter qu’à regarder avec beaucoup d’attention cette toile, ce qu’elle a de plus secret
passe dans un détail aussi fin qu’un point, qui amplifie la structure métaphysique par la
figuration de la mort. Sur une facette du polyèdre, délicatement ciselé, se fait visible le profil
d’un crâne, une minuscule tête de mort. C’est un «memento mori», un «souviens toi de la
mort», insinué discrètement avec les initiales de Dürer. Tout près du polyèdre il y a un creuset
alchimique. (Figure 23) A l'extrémité gauche, on remarque «se détachant sur l'étendue marine,
au bord de la terrasse, [un brasero ardent] sur lequel chauffe un récipient»,32 une coupe spéciale
qui contient des éléments alchimiques. La gravure présente la panoplie complète du parfait
alchimiste avec tous les outils nécessaires à la quête de la pierre philosophale : compas, sablier,
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balance, polyèdre, sphère, carré védique, meule, alambic, tenailles, clous, chien, ange, échelle à
7 degrés, encrier cylindrique, plumier largement coupé par la bordure de la gravure, ébauchoir,
chérubin, arc-en-ciel, rabot. Tous les éléments évoquent le support symbolique de la réflexion
des Francs-maçons qui s’instruisent inlassablement pour trouver leur propre pierre
philosophale. Dans ce contexte, le creuset n’est qu’une pièce de référence.
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IV.
La partie g a u c h e inferieure
Lourde comme le destin, la roue de moulin broie les mêmes pensées sombres et les
même angoisses qui se transforment en pain sec du mélancolique («…nourrit-le du pain et du
sel de la tristesse» – Corinthiens 2,18). (Figure 24) Comme métaphore de l’anneau de
Saturne, de l’insomnie et de l’anxiété mélancolique ou symbole de la roue de la vie et de la
fortune, elle représente également un symbole ésotérique, effigie de la "voie sèche" en
opposition à la ”voie humide”, l´une solaire l´autre lunaire, toutes deux illustrant la perfection
du Grand Art. Située dans le coin inférieur gauche de la gravure, aux pieds de l’ange
mélancolique, la sphère est un équivalent du crâne pour rappeler la mort, ainsi que l’archétype
de l’œuf pour espérer la vie. (Figure 25) Analogue au chien enroulé sur lui-même et aussi
instable que la roue du chérubin, la sphère renferme le culte de l’artiste pour la perfection de
son art. Le caractère mélancolique de la gravure est accentué par la présence du chien endormi
et de la chauve souris hideuse, considérés comme les attributs classiques de Saturne. (Figure 26)
54
Ce lévrier squelettique est un compagnon fidèle du mélancolique solitaire. Couché au pied du
grand ange, ce spécimen osseux traduit la «morne tristesse d’une créature qui s’abandonne
entièrement à son … malaise.»
33
Animale chtonien et diabolique, le chien est identifié dans la
mythologie comme guide des âmes et messager de la mort. Médiateur entre les deux mondes, il
est associé au feu souterrain et au feu céleste comme porteur de l’énergie terrestre. Le symbole
du chien fait partie d’un bestiaire qui accentue la nécessité de réintégrer l’instinct.
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4. L’infini symbolique de la metaphore poetique
L’histoire de l’art et la réflexion philosophique jouent un rôle essentiel dans la
représentation symbolique de la mélancolie. Avec la gravure de Dürer, on dépasse le sens
médical de la théorie humorale pour mettre en évidence les bénéfices de la créativité artistique,
celle qui met en cause le fondement de l'être et de son univers. Apres Dürer, le discours de la
mélancolie s'adresse plutôt à l'imagination et à l'intuition qu'à la raison. Comme chaque art
suppose un rôle propre, l'image de la peinture sert à surprendre ce que le peintre a vu sur
l'instant : une figure, une lumière, des paysages, un mouvement qui auraient touché l'artiste pour
fixer une atmosphère, une émotion en somme. Le tableau est donc une référence au connu pour
dire l'inconnu. Dans l’imaginaire symbolique de la mélancolie, la métaphore agit comme
latence dialectique de l’image. Objet et objet représenté ne coïncident pour l’observateur
occupant un point de vue fixe qu’au prix de différentes contraintes, comme la vision
monoculaire, l’immobilité ou l’abstraction des déformations latérales, puisque le symbole se
découvre entouré par une constellation d’images ou d’expressions métaphoriques qui
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convergent vers une représentation symbolique centrale.
Cette perspective, bâtie dans
l’horizon des théories de Cassirer et du pragmatisme de Pierce, s’inscrit dans l’idée
généreuse d’un horizon poétique où la métaphore, en tant que partie intégrante du monde
symbolique, se construit dans un cadre référentiel. Dans cet entre-deux, où se rencontrent
l’interprète, le texte et l’image, la gravure étoffe sa signification avec la résistance propre
aux « choses muettes » de la signification mélancolique. Dans cette gravure, la mélancolie est
une posture affichée. Son image semble liée à l'imaginaire par le mécanisme de l'analogie.34 Ces
traits concernant la fusion du sens, la consistance du langage matériel et la virtualité de
l’expérience articulée à travers ce langage non référentiel, peuvent résumer l’idée
d’iconicité pour l’image qui devient langage immanent. 35
La projection métaphorique déroule les plus simples contrastes : obscurité/clarté,
proche/lointain, jeunesse/maturité, vice/vertu, vide/plénitude, qui entremêlent les motifs
56
picturaux avec la polyvalence des significations. L’empreinte mélancolique se manifeste au
niveau de
la représentation «des mondes métaphoriques» (Samuel Levin) figurés dans la
gravure par les éléments saturniens, les éléments cosmiques (crépuscule, mer,) métaphysiques
(Ciel, Enfer), des attitudes, (regard perdu, prostration, tristesse, avarice,) des objets symboliques
(horloge, échelle, sablier) ou le bestiaire allégorique (chien, chauve-souris). Tous ces motifs
fonctionnent comme métaphores et, malgré leur apparence hétéroclite, les motivations respectent
une certaine cohérence. La gravure est donc un texte poétique dont la métaphore ouverte met en
évidence un concept culturel, un sens et un monde, dans la projection d’un symbole. Chez
Paul Ricoeur et Ernst Cassirer, les formes symboliques sont l’ensemble des productions
signifiantes, des institutions et des œuvres (langage, mythes, récits historiques, cérémonies,
dispositifs religieux, œuvres d’art) qui structurent le monde et lui donnent les significations
résolues.36 Goodman mentionne dans ce sens que «les peintures ne se trouvent pas plus que le
reste du monde à l’abri de la forme formatrice du langage, quoiqu’elles mêmes, en tant que
symboles, exercent également une force sur le monde, y compris sur le langage.»
37
A son tour,
Paul Ricoeur explique la représentation métaphorique de la mélancolie par l’enjeu sémantique
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de la couleur grise: «Il est dit que tel tableau qui possède la couleur grise exprime la tristesse.»38
P. Ricoeur explique la peinture qui littéralement est grise mais métaphoriquement est triste, par
le changement de la métaphore poétique, celle qui veut dire que la couleur grise exprime la
tristesse. Si le premier énoncé renvoie à un fait, le second énoncé vise une figure.
L’enchaînement” que Ricoeur nous propose part d’une référence inversée, l’expression
comme possession métaphorique de prédicats non verbaux. Le fait concret, compris dans la
vision de Roussel et Wittgenstein, renvoie à un état des choses corrélatif à un acte prédicatif,
lorsque la figure est perçue sous l’aspect de l’usage prédicatif.”39 Donc, la vision de Paul
Ricoeur suit l’image poétique dans les profondeurs de son existence matricielle, jusqu’audelà du „voir comme,” contexte dans lequel l’image poétique devient une source psychique
«dans la poétique psychologique» et la représentation peut continuer jusqu'à la rêverie de la
rêverie. Essayant par la substitution des opérations symboliques verbales et non verbales et par
la généralisation du système symbolique, de «réorganiser le monde en termes d’œuvres et les
œuvres en termes de monde» sous la coupole universelle de la fonction référentielle, N.
Goodman circonscrit un nouveau cadre pour une théorie dénotative de la métaphore.40
Comme élément structurel du psychisme humain, la mélancolie est intimement liée, par
le déterminisme de la bile noire, aux processus intimes de la création.41 Cette énergie créatrice
n’est rien en soi, mais elle habite, imprègne, modèle et module cette corde secrète de l’âme
qui parvient à neutraliser les instincts vitaux, les mobiles et les décisions de la vie, car même la
création n’est qu’un travail de la mélancolie. Comme les arts sont des systèmes de signes, les
artistes forment une catégorie où l'infinité virtuelle des relations est progressivement reconquise
par la somme des points de vue que l'humanité s'efforce de transmettre. Dans ce contexte, le
tableau est l'expression du travail de la subjectivité sur le phénomène qui doit être compris
comme un concept, un point de vue de l'esprit, présentant les marques sur lesquelles
l'intentionnalité s'est appuyée pour en forger le sens. L’artiste peut donc créer son univers
comme expression d'un certain ethos, ainsi on comprend mieux pourquoi les beaux-arts sont
traités sans cesse au travers de catégories qui renvoient à la rhétorique et pourquoi l'artiste doit
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toujours focaliser son attention sur les idées dont l'intrication est exprimée par le concept. Dans
les arts visuels, l'allégorie est une manière poétique d'exprimer un grand sujet avec peu de
figures. Suivant les lois implicites de la peinture et de la poésie, lʼimage de la gravure devient un
texte qui déploie les caractéristiques que l'image condense et résume dans l'espace où les notions
concordent étroitement entre les deux systèmes reliés. Avec la gravure, la mélancolie ordonne
autour d’elle une narration mélancolique, le décor, les objets, les personnages, les animaux et
les sous-entendus représentant également des opérations qui caractérisent sa réception poétique.
Tonalité fondamentale en philosophie, la mélancolie devient objet du discours dans la littérature,
mais s’affranchissant de la mimesis (imitation du réel), le fondement de la poétique et de
l’esthétique depuis Aristote, l’art révélerait ce qui se cache derrière l’opacité du visible.
5. Conclusions
Cette allégorie de la mélancolie donne lieu à plusieurs types d’interprétations : les uns
y voient un autoportrait symbolique ("portrait spirituel" pour Panofsky), d'autres distinguent de
nombreux symboles alchimiques, mais plusieurs critiques d’art estiment qu’il s’agit
d’une véritable représentation de la géométrie de l'artiste, telle qu'il l’a développée ensuite
dans "l'excursus esthétique" du livre 3 de son Traité des proportions du corps humain. La
fameuse virtuosité artistique de Dürer agrémente le raffinement de ses traits impeccables avec
l’ingéniosité d’un artiste - artisan. La mélancolie est l’image de “la puissance spéciale de
l’artiste, fondée sur la recta ratio facien dorum operum — la manière correcte d’opérer sur
les choses.”42 Au delà des significations philosophiques ou transcendantes, qui ont été
jusqu’ici attachées à Melencolia I, il est possible d’envisager d’autres hypothèses de lecture
pour que les nouveaux indices puissent clarifier d’une façon différente une œuvre qui sera
toujours susceptible d’interprétations infinies. L'herméneutique moderne de la gravure
s'éloigne de son allégorie originelle pour avancer vers le patrimoine génétique de son image.
Mais si l'image de la mélancolie se réduit au squelette d'une signification unique et impérieuse,
son universalité entre dans la logique de l'idée abstraite qui peut passer d'un code à l'autre, du
rassemblement iconique à la linéarité du texte Φ
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et Louis Evrard, Gallimard, collection ”Bibliothèque illustrée des histoires”, 1989.
Wittkower, Rudolf & Margot, Les enfants de Saturne. Psychologie et comportement des artistes,
de l’Antiquité à la Renaissance, traduit par Daniel Arasse, Paris, Edition Macula, 1991.
Notes
1
«Albrecht Dürer peint la Mélancolie sous les traits d’une femme triste, appuyée sur son bras, le regard fixe, la
mise négligée (…),considérée de ce fait par certains comme fière, douce, abrutie ou demi/folle (…) et pourtant
d’une grande profondeur, d’une brillante intelligence, judicieuse, sage et pleine d’esprit.” Robert Burton,
Anatomie de la mélancolie (1621), Paris, Ed. José Corti, 2000.
2
Les gravures s´adaptent parfaitement à l´idée que les triomphes de la vie sont tour à tour le Désir et la Chasteté, la
Mort et la Gloire, le Temps et l'Éternité. L’expression catastrophique de l’ensemble induit la certitude d'une
discontinuité qui confère au passé quelque chose de mort et à l'avenir le caractère d'une ouverture sans repos.
3
Voir Raymond Klibansky, Erwin Panofsky, et Fritz Saxl, Saturne et la mélancolie, Etudes historiques et
philosophiques : nature, religion, médecine et art, (1964), trad. par Fabienne Durand–Bogaërt et Louis Evrard,
Gallimard, collection ”Bibliothèque illustrée des histoires”, 1989, p. 493.
4
La confusion entre les noms (Saturne/ Kronos/ Xrônos/ le Temps,) n’est pas du tout hasardée, ou due a
l’homophonie, elle est plus profonde et complète l’image de leur nature contradictoire : «Il est caractéristique
de l’art de la Renaissance qu’il ait produit une image du Temps comme Destructeur, en faisant fusionner une
personnification du temps avec la terrifiante figure de Saturne, et par là conférant au type du Vieillard Temps une
riche diversité de significations nouvelles.” E. Panofsky, Le Vieillard Temps, dans Essais d’Iconologie. Thèmes
humanistes dans l’art de la Renaissance, Paris, Gallimard, 1967, p. 130.
5
R. Klibansky, E. Panofsky, F. Saxl, Saturne et la mélancolie, op. cit., p. 506.
6
Ibidem, p. 493-495.
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7
Dans les grandes lignes de son esthétique, Paul Valéry aborde la peinture, les mathématiques, l'architecture, la
mécanique et la physique. Voir Paul Valéry, Introduction à la méthode de Léonard de Vinci (1895), Paris,
Gallimard Folio Essais, numéro 195, 1992.
8
E.Panofsky, La perspective comme forme symbolique, Paris, Editions de Minuit, 1975.
9
Voir R. Klibansky, E. Panofsky, F. Saxl, Saturne et la mélancolie, op. cit., p. 389 et les suivantes.
10
”Dans le chaos des objets hétéroclites dissipés autour d’elle, il y a des instruments utiles (des rabots, le
compas, des scies), - mais, dans le contexte de l'époque de Dürer, ces outils ne peuvent manquer de rappeler les
initiations correspondantes: celle des maçons et des tailleurs de pierre d'une part, celle des charpentiers d'autre part et des instruments de la géométrie (une sphère, un compas, un équerre), devenus inutiles, dès que la pensée
rationnelle et les mathématiques sont abandonnées pour privilégier la création artistique et les lois psychologiques
de l'intériorité. Tous les instruments sont détériorés et ce ”cosmos d'outils nettement disposé et employés [à bon
escient], s'est changé en un chaos d'objets inutilisés ; leur dispersion toute fortuite reflète une indifférence
psychologique.” R. Klibansky, E. Panofsky, F. Saxl, Saturne et la mélancolie, p. 493-494.
11
C’est à partir de cette conviction que la philosophie d’inspiration phénoménologique - essentiellement celle de
Husserl et de Heidegger parmi les philosophes, Ludwig Binswanger, Erwin Straus, et Jaques Schotte parmi les
psychiatres (médecins- philosophes selon l’appellation hippocratique) - décrit les troubles de l’humeur comme
des troubles qui ont pour objet la temporalité ou la temporalisation de l’existence.
12
”La Mélancolie (…) se trouve dans un état, (…) de super- éveil, et son regard fixe est celui de la quête
intellectuelle, intense bien que stérile. Elle a suspendu son travail non par indolence, mais parce que ce travail est
devenu, à ses yeux, privé de sens. Ce n'est pas le sommeil qui paralyse son énergie, c'est la pensée.” Erwin
Panofsky, La vie & l'art d'Albrect Dürer, p. 252
13
Copernic croyait d'ailleurs que les graines de cresson provoquaient une «humidité malsaine», parce que la plante
croît dans les lieux humides, et cela ne peut être l'effet du hasard.
14
C’est le compas du Franc-maçon qui présente une ouverture de 30 degrés, mais sa valeur semble proche de 51,4
degrés. Un certain arrangement compositionnel en cercle autour de ce centre peut être perceptible, bien que
l'organisation gauche/droite et haut/bas soit tout aussi significative.
15
R. Klibansky, E. Panofsky, F. Saxl, Saturne et mélancolie, op. cit., p. 505.
16
Sur l'un des croquis préparatoires de Melencolia I il y a une note de Durer: «Schlüssel betewt gewalt, pewtell
betewt reichtum. » (La clef représente le pouvoir, la bourse représente la richesse). Cette attitude traduit le désarroi
de leur propriétaire, car les clefs pendent dans tous les sens et la bourse traîne par terre, avec ses cordons de cuir en
partie dénoués, ce qui explique le profond détachement du mélancolique. Métaphoriquement, les clefs traduisent
une conscience captive et son univers clos, mais les mystères et la magie du pouvoir sont interprétés comme
symboles phalliques. Cantonnée dans la signification de la cupidité ou de la richesse, la symbolique de la bourse est
un élément fréquent depuis le Xe siècle. Si l’argent est le symbole de l’avarice, de l’adversité et de la
perdition, celui qui aime l’argent c’est Juda, l’archétype de la trahison et signe neptunien de la mort. Les
attributs saturniens font du mélancolique un individu insatiable, puisqu’il est quelqu’un qui se protège, qui se
renferme, qui ne partage pas, qui ne s’ouvre pas, étant donné qu’il est aussi un avare qui se conserve au prix de
se dévorer lui-même.
17
Le fer du couteau (égoïne) illustre ”le primat des instincts de celui qui le tient dans sa main, tandis que le glaive,
.
long, représente la puissance et la noblesse morale de celui qui le porte”. J.E. Cirlot, Dictionary of symbol, New
York, 1962
18
De occulta philosophia (1510), de Agrippa de Nettesheym est riche en formules et symboles astrologiques,
géométriques et cabalistiques, présents dans la disposition de l’occultisme médiévale, fondé sur le mysticisme
néoplatonicien, néo-pythagorique et oriental. Son origine se trouve probablement dans la culture indienne et
chinoise, 2000 ans avant J.C. On trouve „le carré magique” dans les mathématiques arabes, en astrologie, dans la
culture antique et en art.
19
Dürer a été membre d'une de ces nombreuses confréries d'hermétisme chrétien, ramifiées en un nombre
indéterminé de sociétés secrètes. La signification d'un monde divin et angélique dans une posture d'attente, jusqu'à
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ce que la clochette située au-dessus du carré magique résonne... ou que le sablier soit totalement épuisé, peut
résonner avec l'idée que ce monde ne se produira qu'à la fin des temps, c'est-à-dire au moment limite et intemporel
représenté par la quadrature du cercle. Voir Barmont, Louis, L'ésotérisme d'Albert Dürer "La Melencolia", 1947
20
Voir Pierre V. Piobb, Formulaire de haute magie, Editions Dangles, 1937, p. 176.
21
Voir R. Klibansky, E. Panofsky, F. Saxl, Saturne et la mélancolie, op. cit., p. 524.
22
Voir Julia Kristeva, Soleil noir, Dépression et mélancolie, Paris, Gallimard, 1987
23
Son aspect traduit l’engagement éternel entre l’homme et Dieu : „Voilà le signe de Mon engagement, que je
fais entre Moi et vous et entre tous les êtres vivants qui sont avec vous, pour tous les peuples et pour toujours; Mon
.
arc-en-ciel, que j’ai mis dans le nuage, sera comme le signe du serment entre Moi et la terre”. La Genèse, 9, 1213
24
”Les animaux de Saturne sont solitaires, se mouvant à l'écart, nocturnes, contemplatifs, craintifs, mélancoliques,
résistants aux fatigue et lents dans leur déplacement, comme le hibou, la taupe, le serpent basilic et la chauve –
souris.” Agrippa de Nettesheim Heeinrich Cornelius, Occulta philosophia, Cologne, 1533, dans Magische Werke,
Barsdorf Verlag, Berlin, 1916
25
Voir R. Klibansky, E. Panofsky, F. Saxl, Saturne et la mélancolie, op. cit., p. 501.
26
Venant d’un artiste qui était en relation avec les humanistes de son époque, cette graphie est pour le moins
surprenante, d’autant que sur une xylographie datée de 1502 et représentant une Allégorie de la philosophie
illustrant les tempéraments auxquels ils sont liés, Dürer écrit, sous l’image représentant Borée, « melancolicus ».
C’est peut-être une intention délibérée du graveur, une façon d’opposer subtilement texte et image ? Car si la
femme ailée à l’avant-plan est dessinée dans l’attitude qu’évoque le « type mélancolique », le phylactère qui
porte le titre « délictueux » pourrait indiquer qu’il faut entendre autre chose que ce que l’image propose.
27
« Le néo–platonicien Ficin (...) tenait la mélancolie inspirée en si grand honneur que, dans la hiérarchie
ascendante des facultés de l'âme, ”imaginatio”, ”ratio” et ”mens contemplatrix”, il ne l'associait qu'avec la
plus haute, l'esprit contemplatif. (…) Alors la Melencolia I de Dürer, portrait d'une ”melancholia imaginativa”,
représenterait en réalité la première étape d'une ascension qui passerait par Melencolia II (”melancholia
rationalis”) pour aboutir à Melencolia III (”melancholia mentalis”) » R. Klibansky, E. Panofsky, F. Saxl,
Saturne et la mélancolie, op. cit., p. 545-547
28
Voir Louis Barmont, L'ésotérisme d'Albert Dürer "La Melencolia", 1947.
29
Voir Car Gustav Carus, Briefe über Goethes Faust, Leipzig, 1835, p. 42
30
Jean Starobinski, L’encre de la mélancolie, in ”La nouvelle revue française”, no. 123, mars 1963, p. 423
31
voir Louis Barmont, L'ésotérisme d'Albert Dürer "La Melencolia", 1947
32
Voir Peter-Klaus Schuster, Melencolia I. Dürer et sa postérité, in Jean Claire (dir.), Mélancolie, génie et folie en
Occident, Paris, Gallimard, 2005, p. 90.
33
R. Klibansky, E. Panofsky et F. Saxl, Saturne et la mélancolie, op. cit., p. 498.
34
L’essence du symbole consiste dans l’idée de substituer, occulter ou représenter une image par une autre, en
prenant en compte une relation intrinsèque d’ordre analogique entre le plan réel du signifiant et le plan imaginaire
évoqué. Tout symbole reste en fin du compte un signe qui dissimule la réalité en proposant une représentation
imaginaire, dans la majorité des cas invraisemblable mais garnie de valeurs émotionnelles.
35
„L’icône verbale consiste dans cette fusion du sens et du sensible ; elle est aussi cet objet dur, semblable à une
sculpture, que devient le langage, une fois dépouillé de sa fonction de référence et réduit à son apparaître opaque;
enfin, elle présente une expérience qui lui est entièrement immanente.” Paul Ricoeur, La métaphore vive, Paris,
Editions du Seuil, 1975, p. 266.
36
Patrick Doorly a suggéré que Melencolia I serait l'illustration de l'échec à définir la beauté, tel que Platon l'a
décrite dans son dialogue Hippias Majeur. voir P. Doorly, Dürer's Melencolia I: Plato's abandoned search for the
beautiful, The Art Bulletin June 1, 2004.
37
Nelson Goodman, Language of Art, in Approach to a Theory of Symbols, Indiana, op. cit., p. 88.
38
Paul Ricoeur, La métaphore vive, Paris, Editions du Seuil, 1975, p. 295.
39
Voir Goodman, Facts and Figures, chap. II, 5 pp. 81-85 apud Paul Ricœur, La métaphore vive, op. cit., p. 296,
Universidad del Quindío – Armenia
Revista Disertaciones N°2. Año 2. ISSN: 2215-986X. Pp. 33-63
62
Doina Constantinescu
40
Voir Nelson Goodman, Language of Art, an Approach to a Theory of Symbols, op. cit., p. 241.
Voir Aristote, L Homme de génie et de la mélancolie. Le Problème, XXX,1, traduction, présentation et notes de J.
Pigeaud, Paris, Ed. Rivages, Collection ”Petite bibliothèque Rivages”, 1988
42
Voir R. Klibansky, E. Panofsky et F. Saxl, Saturne et la mélancolie, op. cit., p. 536.
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Universidad del Quindío – Armenia
Revista Disertaciones N°2. Año 2. ISSN: 2215-986X. Pp. 33-63

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