Aspect de la perception du vibrato

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Aspect de la perception du vibrato
Aspect de la perception du vibrato
Christophe d’Alessandro
LIMSI. Laboratoire d’Informatique pour la Mécanique et les Sciences de l’ingénieur.
Qu’est ce que le vibrato :
Physiquement
Il s’agit d’une ondulation périodique de certains aspects du son :
- de la fréquence fondamentale, c’est à dire de la hauteur mélodique.
- de l’amplitude
- de la composition spectrale
- du rayonnement acoustique.
Voilà les diverses formes de vibrato possibles.
Fonctionnellement
A quoi sert le vibrato ? Pourquoi y en a-t-il ?
On dit souvent que le vibrato est un ornement ou un mélisme, c’est à dire quelque
chose qui a pour fonction d’embellir une note, d’infléchir, d’orner, d’augmenter le
discours musical. Il peut être un effet stylistique, comme un indice de qualité.
On peut distinguer trois fonctions de l’utilisation du vibrato :
- Le vibrato est souvent rattaché à des notions de tension ou de détente.
- C’est aussi parfois réellement un indice de qualité. Ainsi, dans l’apprentissage
de certains instruments, on pense que le vibrato apparaît en même temps
qu’une certaine maturité technique (chant, flûte …etc.)
- D’autre part, le vibrato peut avoir une fonction de fusion ou de séparation de
notes, de partiels, ou de solistes par rapport à un ensemble orchestral.
Perceptivement, le vibrato permet de « mettre en forme » des éléments du
discours musical ou au contraire, de les distinguer.
Le doux et le fort
Il existe 2 types de vibrato. Les termes « doux » et le « fort » sont empruntés au
domaine de la facture d’orgue où deux vibrato sont utilisés. C’est ce qu’on appelle
les tremblants d’orgue.
D’un côté, le vibrato est quelque chose qui évoque un balancement, la détente, les
ondes aquatiques, la douceur et la détente. Ce « tremblant doux » est rencontré
dans des instruments comme la flûte ou certains extraits vocaux.
Au contraire, le « tremblant fort » évoque plutôt la secousse, le trémolo ou
tremblement vocal, la force et la tension. A travers le vibrato, certains instruments
Recherchent donc plutôt de la puissance, de la présence. Si on écoute le vibrato
d’instruments comme les orgues électroniques, l’orgue Hammond par exemple, on
se rend compte que ce n’est pas la douceur qui est recherchée mais plutôt la
puissance, de même que le « tremblant fort » de l’orgue qui évoque plutôt la
secousse.
Pour donner des ordres de grandeur, le vibrato varie de 4 à 6 vibrations par
secondes. (4 à 6 Hz). Le créneau local en émotion ou en pathologie est du même
ordre.
Quasi vibrato
Pour élargir le panorama, on peut encore évoquer d’autres formes s’approchant du
vibrato. C’est le cas par exemple des instruments n’ayant pas de vibrato comme le
clavecin ou le piano. Il existe alors de formes d’écriture musicale pour pallier ce
manque :roulades, flattements, martèlement…etc. A la flûte, on parle plutôt de
Flatterzung, de batteries ou de trémolo.
En conclusion, toutes ces formes ont en commun une fonction d’embellir ou
d’apporter quelque chose en plus au discours musical.
Exemples de vibrato
LUTHERIE MECANIQUE
Pour les instruments à cordes, les bois ou la voix, le vibrato est essentiellement une
variation de fréquence fondamentale.
Mais il existe d‘autres types de vibrato qui sont plutôt des variations d’amplitude.
C’est le cas des jeux ondulants de l’orgue. Physiquement, ce vibrato est réalisé en
désaccordant très faiblement deux tuyaux de la distance en Hz nécessaire pour
entendre ce battement. Dans ce cas, il n’y a pas physiquement de variation de
hauteur mélodique mais seulement un battement. C’est le même principe que le
battement du piano observé sur une note, avec deux cordes légèrement
désaccordées.
L’harmonica est un exemple où le vibrato est une variation de spectre. On change
derrière l’harmonica la forme de la cavité pour avoir une sorte de spectre /uaua/.
L’harmonica est une anche libre pour laquelle il n’y a pas de variation de fréquence
fondamentale mais déformation de la forme de la cavité avec la main.
LUTHERIE ELECTRIQUE
En lutherie électrique, il y a bien sûr les oscillateurs contrôlés en voltage, les
amplificateurs contrôlés en tension.
Un exemple amusant de vibrato de rayonnement est la Cabine leslie. On connaît ce
phénomène également pour l’orgue Hammond. La cabine Leslie est un appareil qui
fait tourner la source de son. Il y a donc un effet de vibrato, d’ondulation par le
changement de rayonnement. Il n’y a pas de changement de fréquence
fondamentale, mais un petit changement d’amplitude. Cependant, c’est surtout le
rayonnement qui change.
Le principe du vibraphone réside dans une pastille qui tourne dans un tube, ce qui
change la résonance de la lame. On ignore si le changement concerne le spectre ou
le rayonnement. En tout cas, ce n’est pas la fréquence fondamentale de la lame qui,
elle, reste parfaitement fixe.
Il existe également tous les effets électroniques ressemblant à du vibrato comme par
exemple le phasing, les modulations diverses. En lutherie électronique, diverses
façons de faire des modulations existent et sont très employées.
En conclusion, le vibrato de fréquence fondamentale est certes le plus étudié, mais
n’est pas pour autant pas le seul.
Aspects de la perception du vibrato
Un des premiers effet perceptif étonnant du vibrato est de pouvoir être réalisé par
beaucoup de moyens physiques différents et pourtant être perçu de la même façon.
On a du mal à distinguer un vibrato d’amplitude et de fréquence, surtout si le vibrato
est relativement faible.
Les différents aspects de la perception du vibrato suivants vont être abordés :
- Tout d’abord le vibrato qui se surimpose à la partition proprement dite, en
particulier dans le chant, dans les transitions entre notes.
- La question du vibrato sur des notes courtes
- Le vibrato et la fusion ou la séparation de flux auditifs.
- Enfin la question du vibrato et de la précision des voyelles dans la voix.
Vibrato et transition de notes.
On observe le spectrogramme d’un arpège en voix chantée. En relevant la fréquence
fondamentale sur le spectrogramme, il n’est pas évident de repérer où sont les notes,
contrairement au cas d’instruments comme piano pour lesquels l’évolution de la
fréquence fondamentale se fait par pallier.
Il y a quelques années, quelques exemples ont été réalisés en ajoutant un vibrato à
des voix de synthèse. On remarque qu’en fonction de la synchronisation entre les
sites du vibrato et les changements de fréquence fondamentale, le son perçu est
dans certains cas bien juste, d’autres fois, très faux. Le premier effet perceptif du
vibrato est donc l’importance de la synchronisation des changements de phase du
vibrato avec les changements de hauteur.
Le modèle suivant permet d’expliquer à quelle hauteur et à quel moment on va
percevoir des notes avec du vibrato.
Il est important de synchroniser le changement de vibrato avec le changement de
note. Pour donner un ordre de grandeur, le seuil de différentiation de perception de
la hauteur est environ de 4 cents, c’est à dire 4 centièmes de demi-tons, pour un la
440 Hz. Cela est donc beaucoup plus faible que l’amplitude du vibrato. Autrement dit,
un des paradoxes de la perception du vibrato est d’avoir une fréquence
fondamentale qui évolue bien au delà des seuil perceptifs, l’évolution est donc
largement perceptible, et pourtant on va entre une même note. La question se pose
donc de savoir pourquoi là où on aurait habituellement entendu deux notes, le vibrato
nous en fait percevoir plus qu’une seule.
Voici une expérience effectuée il y a quelques années, tout d’abord sur des notes
courtes afin de décomposer le problème.
Etude de notes courtes.
Pour simplifier la question, on prend une note sur la fréquence fondamentale qu’on
fait durer plus ou moins longtemps, de ½ cycle jusqu’à 2 cycles et demie. Si par
exemple le vibrato est à 5 Hz, il y a donc 5 cycles par seconde, la note dure donc
500 ms.
A quelle hauteur va t’on entendre ces notes ?
Une expérience perceptive a été conduite autour d’un test par ajustement. On
demande à un sujet d’évaluer la hauteur de ce qu’il entend en comparant le son
avec un autre son de hauteur fixe. Sans détailler les résultats de l’expérience, on
constate que toutes les formes faisant 2 cycles vont être entendues à des hauteurs
assez différentes. C’est à dire qu’on ne va pas percevoir la même hauteur pour ces 4
formes. Pour les formes faisant ½ cycle, on va entendre des hauteurs franchement
différentes (de 433 Hz à 448 Hz, sachant qu’un demi-ton représente environ 25 Hz à
cette hauteur là). Si on essaye d’interpréter ces résultats et d’en construire un
modèle de perception, on en arrive à un modèle « temporel-pondéré ».
Les modèles qui ne marchent pas sont en particulier la moyenne. Il est faux de
penser que la hauteur perçue est la moyenne de l’excursion. Cela est vrai
uniquement si le temps est très long, et encore.
Le deuxième modèle imaginé est la moyenne temporelle de l’excursion. Cela est
faux car il existe des sons qui ont la même moyenne temporelle mais qui ne vont pas
du tout être perçus pareillement.
En réalité, le modèle est effectivement une moyenne, mais une moyenne dans
laquelle on accorde beaucoup plus d’importance à la fin de la forme qu’à son début.
Cela s’écrit comme une moyenne pondérée qui accorde plus d’importance au passé
récent. Il y a donc un facteur exponentiel de déplacement temporel qui va « oublier »
le passé lointain et « se rappeler » davantage le passé récent.
Voici une application de ce modèle aux notes piquées de l’air de la reine de la nuit
dans la flûte enchantée de Mozart, dont on a extrait les évolutions de fréquence
fondamentale. On aperçoit que la chanteuse a un vibrato continu et a des formes
d’évolution de la fréquence fondamentale dont la moyenne pondérée est
effectivement toujours la même. Mais comme le vibrato continue de « courir », elle se
débrouille pour ajuster la moyenne toujours à la bonne note. Il semblerait que les
chanteurs qui chantent juste font l’ajustement pour que le vibrato « tombe bien ».
C’est une des difficultés vocales que d’arriver à faire le vibrato aux endroits corrects
par rapport à la mélodie qu’on veut chanter. Si on prend des instruments à vibrato
fixe comme le tremblant de l’orgue qui ne se contrôle pas du tout, on constate
effectivement que lorsqu’on joue, il y a des moments où les notes partent un peu
« n’importe comment », parce que le vibrato continue indépendamment du jeu au
clavier.
Un deuxième seuil perceptif qui intervient dans ce cas là est ce qu’on appelle le seuil
de glissando, c’est à dire la pente de glissando à partir de laquelle on va entendre
une note en glissando ou plusieurs notes distinctes . C’est une question de fusion ou
de séparation de la ligne mélodique. Tant que la pente est suffisamment faible, on
entend une note, mais si la pente est très forte, on va entendre un début et une fin, et
un glissement. Le modèle présenté ci dessus est compatible avec le glissando.
Voici une formule en demi-tons pour évaluer l’intervalle de hauteur entre deux notes
d’un glissando qui permette de les entendre distinctement, pour une durée donnée.
Intervalle = 0.16 / (durée)².
Si par exemple on a une durée de 100 ms, il faut 16 demi tons en un dixième de
seconde pour entendre deux notes.
Cela est aussi utilisé dans le chant. Un exemple vocal est donné où les notes vont
par deux (la première est l’appoggiature supérieure de l’autre). Dans un premier cas,
toutes les notes sont piquées, dans le deuxième, les notes sont liées deux par deux.
Le modèle perceptif confirme bien la perception de deux notes dans le deuxième
cas, et non pas la perception d’un glissando.
Un point à retenir est que la perception est contextuelle. Dans le cas de grands
intervalles chantés en portamento, et avec du vibrato, il n’est pas vraiment possible
de passer d’une note à l’autre instantanément, et même, cela ne serait peut être pas
très esthétique. Il va donc y avoir des cycles de vibrato entre les notes. On constate
chez les très bons chanteurs que ceux-ci se débrouillent pour placer le cycles
intermédiaires à des endroits musicalement significatifs, par exemple un arpège
sous-entendu de la tonalité dans laquelle on se trouve.
Un autre exemple de perception située est diffusé, synthétisé à partir de voix
chantée, et réalisé assez lentement. On observe 3 cycles de vibrato entre le si et le
la. Si on écoute l’exemple, on entend effectivement « sol si la », si on découpe la
transition entre si et la, les 3 cycles de vibrations tombent presque sur les « bonnes
notes » et on entend ces notes intermédiaires. Si on intègre cela dans une gamme
chromatique descendante, on entend parfaitement les notes intermédiaires. En
fonction du contexte musical, si on s’attend à avoir une cadence par exemple « sol si
la », on va entendre des notes distinctes, si au contraire on est dans un contexte
chromatique, on va entendre des notes intermédiaires. Le contexte musical peut,
dans certains cas, changer la perception.
Séparation de flux.
Le vibrato peut également servir à faire ressortir une forme sur un fond. Le vibrato
peut par exemple permettre de faire émerger un chanteur au dessus d’un fond
orchestral important.
Il a été réalisé des tests perceptifs où seulement un groupe de partiels étaient
animés par un vibrato sur un ensemble d’harmoniques. Sans vibrato, on ne distingue
qu’un son, riche. Avec le vibrato sur seulement un ensemble de ces partiels, il
semble que deux sons différents émergent. C’est ce qui se passe finalement
lorsqu’un soliste se détache d’un chœur grâce au développement d’un vibrato
important.
Perspectives :
Ils reste encore une multitude de questions ouvertes quant à la perception du vibrato.
En particulier, l’aspect multiparamétrique du vibrato reste problématique: Comment
peut-on percevoir de façon semblable des vibratos issus de modulations différentes
(de fréquence fondamentale, d'amplitude, de spectre ou de rayonnement) ?
Un travail considérable reste encore à faire au niveau de la fusion/séparation de flux.
Aucune étude scientifique n'a par exemple encore été menée sur l’émergence de
solistes par rapport à l’orchestre.
Il reste également à étudier l’aspect expressif du vibrato. On peut le considérer
comme un ornement relativement statique, mais il est également fréquemment utilisé
de façon expressive. Il existe par exemple des pièces musicales japonaise, où le
vibrato est irrégulier au niveau de sa périodicité, et est ainsi utilisé en soi pour
conduire un discours.

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