Voyage à Aubusson 30 septembre et 1 octobre 2016

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Voyage à Aubusson 30 septembre et 1 octobre 2016
Voyage à Aubusson 30 septembre et 1er octobre 2016
Aubusson par Marcel Gromaire
Le départ d’Aurillac à 7h30 se fait sans problème, tous les inscrits sont présents, la seule déception concerne
l’autocar, de petite taille, bruyant, sans micro ni toilettes…Heureusement, le chauffeur, Alain, est sympathique.
L’arrivée à Felletin à 10h30 nous permet d’entrer très vite dans l’ambiance de notre parcours puisque nous sommes
attendus par Claire, notre jeune et sympathique guide de l’association « Felletin Patrimoine Environnement ».
Felletin compte 1800 habitants (6000 au XVème siècle), c’est jour de marché et nous sommes tous étonnés de
l’abondance, de la diversité des marchandises étalées. Nous aurions bien envie de faire quelques emplettes mais le
temps est trop court, nous allons tout de suite au lieu de l’ancien cloître de l’église du Moutier, consacrée à Sainte
Valérie. Cette église du XIIème siècle se situe à proximité d’un ancien castrum où s’est construit le village sous la
protection du comte de La Marche. Les moines bénédictins y ont fondé un monastère mais il n’en reste que
quelques éléments romans, l’absidiole et des modillons principalement. Au XVème siècle, la nef s’effondre, on la
reconstruit en l’élevant et on y ajoute une tour-clocher octogonale à trois étages à laquelle les felletinois sont très
attachés. Tout a été restauré à la fin des années 1990. La toiture de l’ancien puits est en bardeaux de châtaigniers,
éléments que nous allons retrouver souvent au cours de nos visites à Felletin et Aubusson.
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L’intérieur de l’église est d’une grande richesse. La nef ainsi que le cœur sont particulièrement longs ; des arcs
doubleaux décorés de billettes ont été recolorés dans des tons de couleurs primaires.
Les colonnes ont des chapiteaux romans montrant des personnages décharnés, recroq uevillés; ils ont été recolorés.
Dans le cœur, les boiseries baroques datent du XVIIème mais derrière la double stalle de gauche se trouve une
peinture représentant une « Charité de Saint Martin » datée de fin XVème début XVIème; elle est due à un artiste
local et a été remise en état grâce à la technique du « tratteggio » (ensemble de petites hachures verticales qui
donnent l’illusion d’une peinture ancienne) ; la fresque se prolonge derrière l’autel mais les restaurateurs ont décidé
de ne pas toucher au retable XVIIème, don de la famille Duhamel originaire de Tulle ; entre les stucs faux marbres,
on trouve des dorures, des angelots, les statues de Saint Anne, patronne des gantiers, et de Sainte Barbe, patronne
des lissiers ; une statue de Sainte Valérie en bois doré est dite « céphalophorie ambulante » parce que la Sainte
porte sa tête entre ses mains.
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Dans la chapelle Ste Valérie, un décor réalisé par un peintre cartonnier représente la Sainte entre le glaive et le billot,
au milieu des verdures avec un élément d’architecture : cela montre bien le lien très fort qui existe ici entre la
peinture et la tapisserie.
Sur la paroi entre les colonnes du transept, une grande vanité est peinte avec une inscription : « nemini parco » qui
veut dire « n’épargne personne » et cela signifie que la symbolique de la mort est représentée avec en bas une
couronne, une tiare et un crâne.
Dans la chapelle des lissiers, le décor de verdure est présent partout, l’autel du XVIIème a été recoloré depuis le
soubassement jusqu’aux statues qui avaient été mises en faux bois jusqu’alors. C’est en 1892 que cette chapelle a
été dédiée au Sacré Cœur. Aux murs, des peintures du XIXème sont au monde les uniques œuvres monumentales
réalisées par des lissiers.
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Un Dieu le Père assis s’appuyant sur la croix est particulièrement remarquable : il date de 1601. C’est une
représentation trinitaire, car Dieu est coiffé de la tiare tient entre ses mains le Christ en croix au-dessus duquel figure
le Saint Esprit.
Pietà XVIIème
Dans la nef gauche, on trouve une autre peinture de Saint Martin datée fin XVème-début XVIème. Là, la maîtrise du
trait est notable, l’anatomie du cheval parfaite : Saint Martin ressemble à un damoiseau, la scène est théâtralisée, le
désir de perspective s’annonce. On voit que cette peinture, contrairement à celle du cœur, est celle d’un peintre de
Cour.
De l’autre côté, Saint Laurent est montré sur un énorme bûcher où les bourreaux sont réalistes et dessinés avec
plein d’humour.
D’autres éléments de mobilier sont encore présents dans l’église : un magnifique et original Saint Léonard XVIIème,
une Vierge à l’Enfant ou Sainte Rose de Lima peinte par Pierre François II du Puy en 1661, un saint Jean Baptiste
XVIème, une Sainte Valérie en bois polychrome avec des cheveux fabriqués en fil de fer recouvert de plâtre du
XIXème.
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Saint Léonard
Tant d’éléments qui montrent quelle fortune a été celle de Felletin pendant cinq siècles au moins. Dans la ville, on
rencontre des hôtels particuliers du XIIIème au XVIème siècles qui en attestent, dont l’hôtel de la Porte dite
« Maison du Bailli ».
Quant au château détruit, on a construit à sa place le Collège Jacques Grancher en 1841 (médecin, collaborateur de
Pasteur et ami d’Edmond Rostand), il présente une grande rigueur archi tecturale d’esprit classique.
L’église du château, quant à elle, date du XVème siècle, elle a été faite en une seule campagne vers 1478 par le
Comte de La Marche aidé du Comte de Castries qui y a apporté une influence languedocienne. Les verrières sont
contemporaines, taillées dans la masse par Henri Guérin dans les années 70-80. Dans le cœur, l’autel est du
Corbusier ainsi qu’une tapisserie destinée originellement à l’opéra de Sydney.
La visite de Felletin nous a passionnés mais l’heure est au déjeuner à l’hôtel du Parc des Millevaches (terme qui ne
veut pas dire mille bêtes à cornes mais mille sources) en plein centre -ville. Pas très gastronomique mais nous
disposons de peu de temps…
Aubusson
A 14h30, nous sommes déjà en place pour la visite de la manufacture Robert Four proche de l’ancienne gare, près
de la rivière.
L’aventure de Robert Four a commencé en 1952 mais c’est en 1968 que sa société a adopté la structure qu’on lui
connaît aujourd’hui : une galerie parisienne et un atelier de tissage à Aubusson. C’est l’une des héritières les plus
emblématique des manufactures royales instaurées au XVIIème siècle par Louis XIV.
Lors de notre visite nous avons pu voir et comprendre comment se font :
:- la teinture de la laine à partir de 3 colorants, le jaune le bleu et le rouge, à des températures et acidité différentes
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-la filature pour réaliser pas moins de 900 couleurs de bobines, sachant qu’on file aussi de la soie ou la fibranne.
- les tapisseries réalisées à la main et à l’envers par des lissières qui travaillent sur de s métiers de basse lisse où des
cartons aujourd’hui numérotés par couleur sont glissés sous la trame. Chaque œuvre est faite à 8 exemplaires dont
l’une reste à l’artiste, une à la manufacture et les 6 autres sont commercialisées.
Pour en connaître davantage pourquoi ne pas vous rendre sur le site http://www.aubusson-manufacture.com.
La fabrication d’une tapisserie est complexe et ce n’est qu’en s’attardant sur chacune des étapes que l’on comprend
bien pourquoi cet art a connu à la fois des heures de gloire mais aussi des années de vicissitude.
L’atelier-musée des Cartons au Pont de la Terrade
C’est Chantal Chirac la créatrice de ce lieu qui nous accueille avec le sourire. Antiquaire à l’origine, elle a eu l’idée de
créer ce musée en lieu et place de l’ancien octroi qui reste au bout du pont qui trave rse la Creuse. Il y avait là un
château que Richelieu a fait raser, car Aubusson était un fief protestant. Ce musée a été créé en 2000 et cela a fait
suite à la vente de nombreux cartons dans les années 90 alors que personne ne s’intéressait plus à ces peintures. Les
cartonniers ne signaient pas leurs œuvres.
Mais revenons en arrière pour comprendre que la tapisserie est arrivée à Aubusson grâce au mariage de Louis 1 er de
Bourbon, comte de La Marche, avec Marie d’Avesnes originaire des Flandres. Cette dernière serait venue avec ses
lissiers et aurait ainsi suscité la création d’ateliers.
Les premiers cartons connus comportent assez peu de couleurs, le vert et le bleu dominent, il n’y a pas de ro uge, pas
même sur les visages (ce sont des couleurs végétales au nombre d’une vingtaine maximum). Ce sont des « choux »
ou des « millefleurs ». A cette époque, les tentures ont vocation à réchauffer les pièces et aussi à éduquer et
montrer sa richesse: de châteaux en châteaux, on se promène avec elles.
La « dame à la Licorne » a été retrouvée par hasard par Georges Sand qui venait souvent en voisine. La découverte
de cette tapisserie des Flandres qui comporte du rouge, a amené un surcroit d’activité autour d’Aubusson. C’est
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l’époque de Mérimée dont on sait qu’il est à l’origine du classement donc de la protection des monuments
historiques et œuvres d’art. On a, à ce moment-là, redécouvert les Manufactures Royales crées par Colbert, d’abord
aux Gobelins puis à Aubusson (1665 ) et Felletin (1669). Le droit de vendre ces tapisseries à des personnes privées a
alors été acquis.
La présentation des cartons des XVII-XVIIIèmes siècles montrent beaucoup de décors variés, fleurs, personnages,
scènes champêtres, fables de la Fontaine. Des pochoirs pouvaient être découpés dans les cartons afin de changer la
scène centrale au goût du commanditaire.
Outre un métier de basse lisse présenté pour montrer comment on passe les flutes entre les fils pairs et impairs
grâce à des pédales, un métier de haute lisse permet d’imaginer comment on réalise un tapis de Savonnerie (du nom
de l’atelier installé aux Gobelins dans une ancienne usine de savon) au point noué. Là, le tissage se fait à partir du
carton par transparence et non à l’envers comme pour la basse lisse (où l’on est obligé de vérifier son travail par un
miroir passé sous les fils). Ce sont les femmes qui travaillaient sur la haute lisse alors que les hommes se réservaient
la basse lisse en raison de la difficulté de la position. Ce n’est qu’à la guerre de 14 que les femmes se sont mises à
travailler sur basse-lisse. Après-guerre Gisèle Brivet sera la première femme déclarée « Maître d’Art en basse-lisse».
Le début du XXème siècle n’est guère propice à l’industrie de la tapisserie. Il faut attendre Jean Lurçat pour que les
choses soient révolutionnées par l’introduction du carton dit « numéroté » : Lurçat référence 90 couleurs sur une
sorte de nuancier numéroté et l’on inscrit les numéros sur le carton. Cela est mis au point à la manufacture Tabard
qui travaille aussi aux œuvres de Dom Robert. Cela entraîne des disputes entre les lissiers et la fermeture de
nombreux ateliers et manufactures. La seule la Manufacture Royale à demeurer est Sallandrouze qui ne fait que des
tapis.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce musée riche d’un panorama complet de ce qui s’est fait en cinq siècles en
matière de tapisseries donc de cartons. Chantal Chirac restaure avec talent les œuvres peintes qui sont maintenant
considérées comme des éléments décoratifs à part entière. Chaque année elle accueille des exposition s temporaires,
une exposition Jean Picart-le-Doux au printemps par exemple. A Paris, en collaboration avec Jean-Marie Dor, elle
expose et vend dans un atelier à Montmartre, rue Drevet, ouvert périodiquement.
L’atelier de Jean-Marie Dor
Juste en face, de l’autre côté de la Creuse, se trouve l’atelier-galerie de Jean-Marie Dor.
Outre quelques magnifiques spécimens qu’il présente à la vente datant aussi bien du XVème que du XXème siècle,
Jean-Marie Dor possède un vaste atelier de restauration à l’étage où tapis ras et tentures sont livrés aux mains des
couturières. Tout est fait à la main et c’est un art méticuleux que de savoir où il faut combler les trous ou bien laisser
des manques, choisir les couleurs et ne pas risquer d’abimer. La première étape est le nettoyage qui se fait dans un
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immense bac au sol. On effectue des tests grâce à des tubes à essais pour connaître la résistance des couleurs au
produit employé, plus ou moins basique ou acide.
La plupart des tapisseries sont mises sur toile en fin de restauration. Aujourd’hui beaucoup de gens choisissent de
ne plus mettre les magnifiques tapis ras (tissé en base lisse comme une tapisserie et non au point noué en haute
lisse comme un tapis savonnerie) au sol mais les accrochent au mur.
L’atelier a restauré des pièces célèbres dans le monde entier : peu d’endroits en France sont autant habilités à
analyser avec justesse et remettre en état les œuvres des plus grands artistes.
Tour de la ville d’Aubusson
Ceux qui sont fatigués par une journée déjà longue ont rejoint l’hôtel de France où nous passerons la soirée et la
nuit.
Pour les autres, un tour de la ville est proposé sous la conduite de Bernard Chirac, architecte DPLG.
Nous commençons notre circuit par le quartier de la Terrade où nous sommes déjà. C’est ici qu’a été construit le
premier pont à traverser la Creuse : il fut d’abord en bois puis construit en pierre entre 1638 et 1641. Cette rivière
qui descend du plateau des Millevaches reçoit beaucoup d’eau qui arrive très vite, son abondance et son acidité
explique la prospérité de l’industrie textile et lainière à Aubusson.
Nous ne suivons pas durant cette visite de la ville un déroulé historique mais évoquons plutôt quelques aspects de sa
vie passée au fil de notre passage.
Ces hôtels particuliers XIXème, par exemple, nombreux et assez similaires, alignés dans les deux rues principales,
avec des balcons en fonte au 1er étage qui furent très à la mode sous Napoléon III.
L’hôtel consulaire qui réemploie les morceaux de l’ancien château du Vicomte d’Aubusson, construit par un
huguenot (ils ont été très présents à Aubusson et ont marqué la ville de leur empreinte). Les Aubussonnais étaient
« redîmés » ce qui signifie qu’ils ne payaient pas l’impôt au clergé. En outre, ils avaient droit de « girouette », donc
beaucoup se faisaient construire une tour au sommet de laquelle se trouvait une girouette. La maison de Jean Mage,
très majestueuse, en est un exemple avec sa tour couverte en bardeaux de châtaignier.
L’écusson de la ville d’Aubusson représente un buisson au milieu des épines et indique « elle fleurit parmi les
épines ». On en trouve des représentations un peu partout dans les rues.
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L’église se trouve tout en haut de la ville. Elle date du XVIIème et mérite rait quelques rénovations. Un tableau
remarquable s’y trouve « les sept œuvres de la Miséricorde » par Brézard en 1859.
De très belles tapisseries aussi, des Gobelins, représentant la pêche miraculeuse et le retour de Toby.
Un vitrail représente Pierre d’Aubusson à Rhodes, se battant contre Soliman le Magnifique.
Nous continuons à gravir le chemin pour atteindre l’emplacement de l’ancien castrum où restent les ruines d’un
donjon. Là, on domine les cinq vallées rayonnantes qui se rejoignent à Aubusson. On voit la rue Saint Jean, celle où
les plus belles maisons ont été construites par les propriétaires de manufactures.
Un monument rappelle qu’à la révocation de l’Edit de Nantes, beaucoup de protestants ont été tués, certains se
cachaient dans les fourrés que l’on aperçoit sur le plateau.
Nous revenons par les ruelles tortueuses accrochées à la colline, passons de la Renaissance à l’époque moderne dans
un enchevêtrement de constructions diverses.
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La soirée dans un hôtel confortable et accueillant est la bienvenue. Dans les chambres, comme dans la salle à
manger, ici tout évoque cet art de la tapisserie que nous commençons à mieux connaître.
Samedi 1er octobre
C’est par la Cité internationale de la Tapisserie, tout récemment ouverte, que nous commençons notre journée.
Le savoir-faire du tapissier est devenu patrimoine mondial immatériel de l’UNESCO depuis 2009.
Nous sommes maintenant familiarisés avec les termes spécifiques à l’art du lissier. Notre guide nous amène
pourtant, au début de sa visite, dans un parcours qui retrace toute les étapes de la fabrication d’une tenture ou d’un
tapis. Cet espace très contemporain est tout à fait didactique. C’est avec plaisir que l’on passe entre les vitrines de
flûtes, bobines, peignes, racloirs. Que l’on voit des photos du XIXème montrant les ouvriers au travail.
Elle nous rappelle que la patronne des lissiers est Sainte Barbe , celle que nous avions trouvée dans l’église de
Felletin.
Des maquettes montrent comment les cartons sont agrandis par un dessin au carreau, technique qui existe depuis le
Moyen-Age. Les peintures sont à la gouache, c’est un langage qui parle à l’image en laine.
C’est Elie Magonat qui a créé les cartons numérotés grâce à Marius Martin qui avait déjà imaginé les points
comptés. Lurçat n’a fait que reprendre cette idée. Cela a enlevé au lissier la part d’interprétation qu’il pouvait
donner à une œuvre : cela a été très difficile à accepter.
Entrons maintenant dans le secteur des créations qui ont fait l’objet d’appels à projets en mobilier et design : là, se
trouvent toutes sortes d’œuvres contemporaines primées dans le cadre de l’UNESCO.
Le 1er prix de Bina Baitel, « Confluentia », tissé à Boussac date de 2012 : elle tire son inspiration d’une tapisserie
classique où la rivière se colore en bordure « Verdure fine aux armes de Brüht » de Jean Joseph Dumons (1750),
signée MR Aubusson, commande du 1er ministre polonais de l’époque.
Une « Licorne » par Nicolas Buffe qui nous fait penser à une peau de vache a des cornes en porcelaine et une tête
laquée noire.
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L’œuvre de Vincent Bécheau et Marie-Laure Bougeois « Toute personne 2 », présentée comme une Porte de la Paix
Nous arrivons enfin au sous-sol à la nef des tentures : la présentation nous séduit par son côté architectural qui
évolue au fur et à mesure que l’on se promène dans le temps.
Pour le 15ème, nous trouvons une « Millefleurs à la Licorne » présentant le blason de la famille de Chabannes. Elle est
à la fois rustique et d’une grande précision, la licorne est représentée sous forme héraldique dans un décor de fleurs
géométrisées.
Pour le XVIème, une « Verdure à feuilles de choux » rappelle celles que nous connaissons bien au château de la
Trémolière à Anglards-de-Salers. Ce sont des représentations d’une nature sauvage peuplée d’animaux fantastiques.
La civilisation est toujours évoquée dans le lointain par des habitations mais le centre est souvent mystérieux, avec
des griffons, des dindons, etc…
Pour le XVIIème, le conservateur a choisi de montrer la tenture consacrée à l’histoire romanesque de « Renaud et
Armide » composée de 5 tapisseries en laine et soie réalisées par l’atelier de La Marche. Le récit a pour cadre la
première croisade du XIème siècle. Armide, princesse de Damas, est chargée par son oncle de combattre l’armée de
Godefroy de Bouillon, en séduisant les chevaliers. A la suite de bien des péripéties, l’amour véritable finit par
triompher…
Au XVIIIème siècle, à la suite du départ des protestants, la Manufacture Royale est mal en point. Une réforme
permet de retrouver la prospérité et de diversifier les sources d’inspiration. Après la crise de la Révolution, les
grandes manufactures regroupent leur savoir-faire et l’industrialisation se fait à l’initiative de la famille Sallandrouze.
De grands ateliers vont désormais dominer et la fabrication du tapis au point noué s’intensifier. Le tissage
d’ameublement se développe beaucoup.
En 1880, « l’allégorie de la musique » par l’atelier Braquenié montre une explosion des couleurs qui sont désormais
chimiques et permettent d’imiter complètement la peinture. Grâce à la combinaison de la basse lisse et du point
noué on arrive à un art réaliste qui rejoint l’Art Nouveau.
En 1884, l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs d’Aubusson est créée : elle jouera un rôle décisif dans le renouveau du
XXème siècle. Antoine-Marius Martin en est le directeur en 1917, il va renouveler les modèles tout en retenant les
leçons de la tapisserie médiévale. C’est lui qui remplace les cartons peints par des cartons à « tons comptés » qui
sont des dessins au trait délimitant les couleurs. A l’exposition de 1925 des objets de qualité sont exposés, des
écrans de cheminée, des paravents, par exemple.
A partir de là, Jean Lurçat et beaucoup d’autres peintres sauront adapter leurs propres cartons à la tapisserie :
parmi eux, Marc Saint Saëns, Dom Robert et Marcel Gromaire.
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Dom Robert « Chèvrefeuilles »
D’autres artistes feront réaliser ponctuellement des tapisseries avec le concours de cartonniers chargés d’adapter
leurs œuvres : Le Corbusier, Calder, Picasso, Max Ernst, Vasarely, Fernand Léger, Georges Braque, Jean Cocteau et
bien d’autres.
C’est par « l’Oiseau » (1962) de Georges Braque que nous terminons notre visite. Cette tapisserie dont le carton a
été adapté par Pierre Baudouin, montre une technique aboutie où la laine ne copie pas la peinture mais épure les
formes et saisit subtilement les couleurs, le noir par exemple qui ici sera teinté de marron ou de gris.
Grâce aux appels à projet UNESCO et aux investissements du domaine public, la tapisserie a trouvé une magnifique
vitrine avec cette nouvelle Cité Internationale. Le rôle de l’Etat demeure primordi al dans l’avenir d’Aubusson et de
Felletin, les commandes publiques ayant toujours été vitales pour les lissiers.
Notons cependant que c’est aussi sur la dynamique commerciale des ateliers privés que repose la pérennité de
l’industrie lainière. Aujourd’hui, il reste une quarantaine de lissiers à Aubusson pour trois manufactures : Four,
Pinton et Saint Jean. Chez Four, on forme des élèves du GRETA, école issue de l’ENAD qui forme en deux ans des
lissiers. On ne saurait se passer de jeunes bien formés et ambitieux.
Notre séjour à Aubusson se termine au restaurant la « Terrade » par un repas raffiné dans un cadre tout
nouvellement rénové qui allie contemporain et patrimoine. Cela comme le reste de cette ville a su nous séduire,
suffisamment pour avoir envie d’y revenir.
Retour à l’autocar pour aller vers Chénerailles, à une petite demi -heure, pour visiter l’un des plus beaux châteaux de
la Creuse, celui où nous pourrons admirer dans un cadre qui leur est approprié, une collection exceptionnelle de
tapisseries des XVI, XVII et XVIIIème siècles.
Le château de Villemonteix
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Au XVème siècle, Villemonteix était une maison forte située sur l’axe Poitiers -Guéret, un donjon y surveillait le
croisement des routes à Ahun. Il était à la frontière du Comté de La Marche et de la vicomté d’Aubusson qui
appartenait aux Anglais. On y faisait souvent la guerre et l’artillerie y a été particulièrement inventive grâce aux
frères Bureau.
Au XVIIIème siècle on modernisa, on ajouta le portail, un colombier, on fit des ouvertures.
Pierre Lajoix et le groupe sur la terrasse arrière
L’intérieur du château est meublé avec goût et recherche. Chaque pièce est aménagée dans l’esprit de son époque,
renaissance pour l’ancienne cuisine et le rez-de-chaussée puis dans l’esprit classique pour les salons et les chambres
des étages. Tableaux et tapisseries partout sur les murs : parmi les œuvres, quatre tapisseries d’Aubusson complètes
représentants des jeux d’enfants par Jacques Stella peintre de Louis XIII, une tenture de quatre épisodes d’Achille à
partir de cartons signés Isaac Moillon en 1668, deux tapisseries de Jean Baptiste Oudry, le grand peintre animalier,
illustrant la production du XVIIIème.
Dans la salle basse du donjon, un salon Louis XVI cache derrière sa porte en boiseries moulurées une chapelle dont le
décor mortuaire a pu être récupéré.
La dernière pièce visité est une petite salle à manger où se trouve une « chancellerie » qui porte les armes de France
et de Navarre. Une table y est magnifiquement dressée avec en son centre un drageoir en cristal et porcelaine de
Sèvres.
Une époustouflante visite avec un hôte, Pierre Lajoix, qui nous a transporté dans la passion qu’il partage avec son
associé, Guy Branger. Ils sont inspirés par le raffinement extrême de l’art du grand siècle dans une authentique
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forteresse devenue une demeure d’agrément.
Sous-Parsat, dernière étape
L’église de ce village a été entièrement décorée à l’intérieur par le peintre creusois nommé Yves Chabrat
Il s’agit de fresques très colorées dans des tons primaires, rouge, noir, bleu, jaune, qui représentent l’Ancien et le
Nouveau Testament. D’une grande originalité, il émane d’el les une spiritualité déroutante et aussi envoutante. Nous
avons eu la chance inouïe de nous trouver en présence de l’artiste: il était ce soir-là dans l’église alors qu’un film y
commençait son tournage.
Une belle fin pour notre périple qui se termine un peu tard …
Merci à tous les participants.
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