Doris, oui, mais on oublie juste une chose

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Doris, oui, mais on oublie juste une chose
LA LIBERTE 23 MAI 2006
Doris, oui, mais on oublie juste une chose...
NOUVELLE STAR · On connaît le couplet médiatique: il n'y a que Dame Leuthard et
rien qu'elle! Mais pourquoi, alors, avoir trafiqué sa mise sur orbite?
Pierre Kolb
L'autre jour, au kiosque, il y avait Penelope Cruz en couverture d'un magazine. J'ai
cru d'abord qu'on avait relooké Doris Leuthard pour relancer l'attention. Parce
qu'on commence à s'ennuyer sec au Palais fédéral. Comme l'a remarqué le
rédacteur en chef de l'Illustré, une dizaine de minutes se sont écoulées entre
l'annonce de la démission de Joseph Deiss et l'élection de Doris, son adoubement.
Ça n'aide pas à passer le temps jusqu'au 14 juin, date de la nomination officielle.
En 1999, c'était différent. Vous souvenez-vous d'Adalbert Durrer? Ce landammann
d'Obwald, notaire et compagnie, tenait la vedette aux commandes du PDC suisse. Il
est de ces présidents qui ont concouru à la décrépitude de ce parti. Un des titres de
gloire d'Adalbert fut, à l'annonce des démissions des conseillers fédéraux Koller et
Cotti, préalable aux élections de Ruth Metzler et de Joseph Deiss, de se porter
candidat. Initiative fort peu goûtée des caciques du PDC, pas plus que des médias.
Pensez, il barrait la route aux Latins. Et on a mal pris «qu'il fasse passer ses intérêts
avant ceux de son parti».
La belle icône urbaine
Sept ans après, ce qu'on considérait comme inadmissible dans la fonction
présidentielle, qui supposait qu'on se place au-dessus de la mêlée, devient
parfaitement licite, imparablement logique, carrément vertueux. Les acteurs ont
changé, Adalbert le pataud de la montagne a été remplacé par Doris l'urbaine,
Doris la médiatique. Silence on tourne, pâmons-nous devant l'icône!
Plus qu'un changement de casting, c'est une inversion des perspectives, dont
Christoph Blocher a donné l'impulsion dans les années 90 en construisant un
appareil de l'UDC suisse à sa botte. Les radicaux ont suivi. Il y eut l'étrange
opération Merz, cet Hans-Rudolf qui fut pointé vers la présidence radicale, puis
escamoté, avant de réapparaître soudainement en 2003 pour faucher à Christine
Beerli un fauteuil du Conseil fédéral. Il y eut ensuite les manoeuvres de fusion
fédérale des libéraux et des radicaux, une initiative centralisatrice brute. On donnait
ainsi le branle à de multiples manigances parachutées, quitte à provoquer de beaux
hoquets. Comme en Pays de Vaud, où débarqua un journaliste spécialisé en
politique suisse pour organiser une campagne monocolore libérale-radicale à
Lausanne. Résultat: débâcle historique.
Revenons au PDC, saisi d'une semblable éruption d'autocratie fédérale. Il y a sept
ans, le président fustigé avait pourtant respecté les procédures. Sa candidature,
posée en Obwald, avait été alignée aux côtés de celles d'un Tessinois, d'un
Jurassien, d'une Saint-Galloise, d'une Appenzelloise et de quelques autres. Et que la
meilleure l'emporte!
Que constate-t-on aujourd'hui? Un film de série B où les premiers candidats
pressentis se font joyeusement hara-kiri tandis que d'autres cherchent la ligne de
départ, en vain, puisqu'elle a été effacée. Voir Urs Schwaller. Qu'il se retire de la
course pour d'obscures raisons lui appartient, mais doit-il pour autant, à la tête du
groupe PDC, organiser un forcing? Doris Leuthard fait son discours et ce quarteron
de députés déclare urbi et orbi (c'est ce qui leur reste de fidélité au catholicisme)
qu'il n'y aura qu'une candidature. Ceux qui croient encore à une procédure ouverte
sont avertis. LA candidate remplit les conditions, «large acceptation de la base,
connaissance des dossiers, expérience de direction, participer à la cohésion du
pays...»
Coup d'Etat alémanique
La base! C'est quoi, la base? Des brosses à dents orange, les lecteurs du Blick ou les
téléspectateurs de l'émission Arena que dirige - ça tombe bien - un cousin de Doris?
Il fut un temps où les partis tiraient leur volonté des délibérations cantonales. Ces
gens qu'on rencontre dans les cantines, la clientèle du PDC, et les notables de
terrain. Ceux qui ont, de leurs coins de terre, plus qu'une idée: une sensibilité.
Accessoirement, et s'agissant toujours du PDC, les sections qui en ont constitué les
bastions sont surtout romandes et italophones, Valais, Fribourg, Jura, Tessin. Il y
avait un risque qu'on y refuse le non-dit imposé, et qu'on rappelle que l'équilibre
confédéral, donc la cohésion du pays, suppose la participation de trois Latins (deux
Romands, un ou une italophone) au Conseil fédéral.
Beauté des coups fourrés
Ce respect des minorités n'étant pas toujours facile, on a parfois trouvé des
compensations à la Chancellerie. Mais de ce côté, le dernier renouvellement s'est
soldé par un coup d'Etat alémanique. Vous rendez-vous compte, si les sections
cantonales se mettaient à refuser ces coups fourrés, pire, si elles trouvaient des
candidat(e)s, et même des capables! Stop! les conditions sont déjà remplies par la
Doris, large acceptation de la base, cohésion du pays.
Ça vous choque? Vous trouvez qu'on tient les cantons à l'écart? Ah oui, tiens, c'est
vrai, on avait oublié les cantons. Oh! les cantons, vous savez... I