L`interface “vie privée – vie au travail”

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L`interface “vie privée – vie au travail”
L’interface “vie privée – vie au travail”
Effets sur l’implication organisationnelle et sur le stress perçu
Marcel LOUREL* et Nicolas GUÉGUEN**
* Laboratoire “Psychologie des régulations individuelles et sociales : clinique et société ” (PRIS),Université Rouen, France
* Laboratoire GESTIC, Université de Bretagne-Sud, Vannes, France
Résumé : L’objectif de cette étude est d’examiner les impacts de la « vie
au travail sur la vie privée » (WHI) et de la « vie privée sur la vie travail »
(HWI) sur l’implication organisationnelle et sur le stress perçu à l’aide
de régressions multiples et du test T de student (N = 68). Les résultats
montrent que 1) les femmes perçoivent davantage que les hommes les effets
positifs de l’interface HWI 2) les effets négatifs de l’interface HWI prédisent une moindre implication affective 3) les effets positifs de l’interface
WHI prédisent une moindre implication calculée 4) Les effets négatifs de
l’interface HWI et WHI expliquent un quart de la variance au niveau du
stress perçu.
1) l’adhésion du salarié aux valeurs de l’organisation
ainsi qu’aux objectifs de cette dernière (c’est-à-dire
l’implication affective) ;
2) l’investissement important du salarié en faveur de
l’organisation (c’est-à-dire l’implication calculée) ;
3) le fait pour le salarié d’être dans l’obligation de
rester dans l’organisation (c’est-à-dire l’implication
normative).
Mots-clés : implication organisationnelle, stress perçu, conflits travail
famille.
C’est sur la base des travaux de Porter et collaborateurs que repose l’instrument de mesure Affective,
Continuance and Normative Commitment de Allen et Meyer
(1990, 1996). Cet outil est censé évaluer chacune des
dimensions de l’implication de Porter et al. (1974).
L’harmonisation des temps au travail et hors
travail fait l’objet de nombreuses recherches. Il
s’avère que la gestion de l’interface vie privée – vie
professionnelle est particulièrement délicate. Ce
conflit des rôles est parfois à l’origine de difficultés
d’ordre psychologique, physique et/ou social.
D’une manière générale, les recherches montrent
que la perception des effets du conflit entre la vie
privée et la vie au travail a des effets sur l’individu
tout comme sur l’organisation. Par exemple, dans
une méta-analyse conduite par Mesmer-Magnus et
Viswesvaran (2005) (n = 9079), on constate que ce
conflit est associé avec une perception accrue des
stresseurs d’ordre professionnel (ambiguïté des rôles
et statuts, tensions entre les collègues, pressions…)
mais aussi non professionnel (exigences induites par
le rôle de parent, conflits avec les membres de la
famille, les amis, implication vis-à-vis de la famille…).
Dans ce cas, la perception des conflits entre vie
travail – vie privée est associée avec une attitude de
retrait vis-à-vis de l’organisation. Cette attitude de
retrait se matérialise par une baisse de l’implication
du salarié. Dès 1974, Porter, Steers, Mowday et
Boulian (1974) ont tenté de conceptualiser la notion
d’implication. Pour ces auteurs, elle comportait trois
principaux éléments :
Comme le soulignent Belghiti-Mahut et Briole (2004),
le concept d’implication (commitment) est souvent confondu avec celui de l’engagement (involvement). Pour
ces auteurs, le premier désigne « l’identification de
l’individu à l’organisation » tandis que le second se
réfère à « une relation établie sur un investissement
physique est donc associé aux relations touchant au
travail » (op. cit., p. 148).
Il semble que la cohérence et le respect des valeurs
qui sont propres à l’organisation mais aussi à l’individu agissent sur l’implication de ce dernier.
Par exemple, Thompson, Beauvais et Lyness (1999)
ont montré que l’implication affective des salariés
est particulièrement marquée dans les organisations
qui disposent d’une véritable culture en matière de
gestion des temps « travail / hors travail ». Cette
étude montre également que les salariés ont moins
tendance à vouloir quitter l’entreprise en question.
Au niveau des conduites individuelles, Murray (1999)
rapporte que la gestion efficace par le salarié de l’interface « vie privée – vie professionnelle » est un bon
prédicteur des comportements de citoyenneté organisationnelle, de l’implication et de la satisfaction
professionnelle.
Pour toute correspondance relative à cet article, s’adresser à Marcel Lourel, Laboratoire “Psychologie des régulations individuelles et sociales :
clinique et société ” (PRIS),Université de Rouen, rue Lavoisier, 6821 Mont Saint Aignan, France ou par courriel à <[email protected]>.
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Marcel Lourel et Nicolas Guéguen
Par ailleurs, il semble que les dimensions de l’implication soient fondamentales en particulier, lorsque
l’on évoque la question de la perception cognitive
du stress (stress perçu).
Le stress perçu s’inscrit dans la conception transactionnelle de Lazarus et Folkman (1984). Dans cette
conception « le stress est une transaction particulière
entre la personne et l’environnement, dans laquelle
la situation est évaluée par l’individu comme taxant
ou excédant ses ressources et pouvant menacer son
bien-être » (Lazarus et al., 1984, p.19).
Selon Bruchon-Schweitzer (2002), le stress perçu
correspond à « un ensemble d’évaluations concernant non seulement la situation (aversive, menaçante), mais aussi les ressources disponibles (ressenties
comme insuffisantes) ».
En ce qui concerne l’une de des dimensions de l’implication (à savoir l’implication affective), il semble
qu’elle soit associée à un niveau élevé de perception
du stress et des conflits entre la vie privée et la vie au
travail. C’est le cas dans l’étude de Meyer, Stanley,
Herscovitch et Topolnytsky (2002) où la dimension
visée est étroitement corrélée avec le stress perçu et
les conflits entre la vie privée et la vie professionnelle.
Pour leur part, Lourel, Gana et Wawrzyniak (2005)
rapportent que les effets négatifs de la « vie au
travail » sur la « vie privée » et de la « vie privée »
sur la « vie au travail » sont corrélés de manière
positive avec le niveau de stress perçu, tandis qu’ils
sont corrélés de manière négative avec la satisfaction
globale de vie professionnelle.
Au niveau de la santé perçue, la méta-analyse de Allen, Herst, Bruck et Sutton (2000), indique clairement
que les conflits entre la vie privée et la vie au travail
affectent sérieusement l’individu (anxiété, dépression, stress perçu, troubles psychosomatiques…).
C’est également le cas pour Geurts, Rutte et Peeters
(1999), qui rapportent que les effets du conflit entre
les sphères privée et professionnelle prédisent des
troubles psychosomatiques, des troubles du sommeil
ainsi que 2 des 3 dimensions de l’épuisement professionnel au sens entendu par Maslach (2003) (à savoir
l’épuisement émotionnel et la dépersonnalisation).
Dans cette étude, la perception de l’interface « vie
au travail – vie privée » agit comme une variable
médiatrice dans la relation entre la charge de travail
et la santé perçue.
Pour leur part, Lallukka, Sarlio-Lahtteenkorva,
Roos, Laaksonen, Rahkonen et Lahelma (2004)
50
montrent que la fatigue excessive provoquée par le
travail est corrélée avec une consommation élevée
d’alcool et la sédentarité (chez les hommes).
Dans une étude conduite auprès de 1 200 femmes
des services hospitaliers au Canada, et 1 200 policières américaines, Day et Chamberlain (2006) mettent clairement en évidence que l’augmentation des
conflits entre le rôle au travail et le rôle d’épouse
accroît l’implication au niveau parental, mais affecte sérieusement celle liée au couple lui-même et
à l’organisation. Autrement dit, il semble que l’implication au niveau du rôle de parent modère la relation entre d’une part, les problèmes liés au travail
– d’autre part – ceux liés aux disputes conjugales.
Sur la base de cette revue récente de la littérature,
on constate clairement que les interférences entre
la vie au travail et la vie privée s’érigent comme un
véritable problème de santé publique. L’articulation
pour ne pas dire la conjugaison des différentes strates privée et professionnelle doit rester au coeur des
préoccupations actuelles et sociétales. Ceci, à l’heure où les femmes supportent encore une part inéquitable des tâches domestiques (Mikula, 1998 ; Serrurier,
2002). Dans ce sens, le rapport du Haut Conseil de
la Population et de la Famille [HCPF] (2003) pointe
du doigt les différents facteurs de fragilité sociodémographique. Sans faire de démagogie, on peut encore dire que la question de l’égalité des chances
entre les hommes et les femmes est toujours un défi
pour la société. Ce défi est de taille dans la mesure
où l’on constate que les groupes sociaux sont toujours marqués par les modèles d’organisation traditionnels. Ceux-ci incluent notamment la répartition
des rôles sexués que ce soit dans la vie professionnelle ou dans la vie privée. Dans ce domaine, l’insertion récente des femmes dans le champ du travail
s’accompagne d’une lourde charge induite par l’activité hors travail. Récemment, Barrère-Maurisson
(2004) a montré qu’en plus de leur activité salariale, les femmes effectuaient l’équivalent d’un mitemps de travail domestique (environ 20 heures
par semaine)(entretien du foyer, faire des courses,
à manger, nettoyer le domicile, etc.). Aujourd’hui,
même si le temps passé au travail chez les femmes
est encore inférieur à celui des hommes, il est clair
qu’en temps « cumulés » (vie privée + vie professionnelle) leur activité de travail est bien supérieure
à celle des hommes (op. cit., 2004).
Les contraintes liées à l’articulation entre les vies privée et professionnelle ne sont pas sans conséquences
sur le niveau de stress perçu, la satisfaction ou encore l’implication vis-à-vis de l’organisation. En ce
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qui concerne le stress perçu provoqué par les conflits entre « vie privée – vie professionnelle » et « vie
professionnelle – vie privée », certains auteurs ont
montré que les femmes les ressentent davantage
que les hommes (Duxbury et Higgins, 1991 ; Duxbury et Higgins,
1998 ; Duxbury, Higgins et Johnson, 1999). Quick, Nelson et
Hurrell (1997) montrent que le conflit « vie privée/
vie au travail » augmente le niveau de stress perçu.
Ces auteurs rapportent également que le conflit entre la vie privée et la vie professionnelle réduit l’implication ainsi que la satisfaction professionnelle du
salarié. Au même titre, Duxbury et al. (1998) montrent que les salariés qui ressentent un conflit travail/privée sont moins enclins à s’impliquer pour
la source présumée responsable du conflit, à savoir
l’organisation.
A contrario, Saint-Onge, Renaud, Guerin et
Caussignac (2002), rapportent que les effets positifs
de la vie au travail sur la vie privée sont un bon prédicteur de la satisfaction professionnelle.
Ces recherches montrent bien que l’articulation
entre la vie privée et la vie professionnelle a des
répercussions sur l’individu tout comme sur l’organisation. Maintenant, qu’en est-il de la perception
des individus vis-à-vis des types de conflits visés (vie
privée – vie professionnelle / vie professionnelle
– vie privée) ? Dans une étude publiée en 1997,
Saint-Onge et Guérin ont montré que les individus
ressentent davantage le conflit « travail – privée »
que le conflit « privée – travail ». Ce type de résultat indique que la perméabilité des sphères privée
et professionnelle affecte de manière déséquilibrée
l’une ou l’autre de ces dernières.
L’apport des connaissances scientifiques et plus particulièrement celles ayant pour objet la psychologie
peut apporter une contribution en ce qui concerne
la coexistence de l’individu dans différentes sphères
sociales. C’est pourquoi nous avons voulu explorer
les liens entre l’interface « vie au travail/vie privée »
et l’organisation. Bien évidemment, la complexité
de ces liens n’est pas totalement élucidée, mais pour
certains d’entre eux on formulera les hypothèses
comme suit :
fessionnelle » et « vie professionnelle – vie privée »
prédisent l’implication organisationnelle mais également le stress perçu.
En accord avec Saint-Onge et al. (1997), nous nous
attendons à ce que la perception des effets du conflit
« vie au travail – vie privée » soit plus élevée que celle relative au conflit « vie privée – vie au travail ».
De tels résultats, s’ils se confirment, permettraient
de rendre compte de certains effets induits par la
difficulté de gérer de front la vie privée et la vie
professionnelle. Difficultés dont il faudra impérativement tenir compte dans l’organisation du travail
ce afin de promouvoir la santé du salarié. À titre
d’exemple, en 1997, l’absentéisme supplémentaire
des salariés Canadiens qui ressentaient le conflit entre la vie privée et la vie professionnelle était estimée
à environ 19,8 millions de jours ouvrables (Duxbury
et al., 1999). Chez ces mêmes salariés, le surcoût en
terme de visites médicales se chiffrait à 86,9 millions
de dollars (op. cit., 1999).
Méthode
Population et procédure
L’administration du questionnaire a été réalisée via
un accès DSL sécurisé qui garantissait également
l’anonymat des répondants (saisie en ligne). Le recueil des données a été effectué avec le concours
d’une association à but non lucratif (Loi 1901).
Cette structure a trois objectifs : 1) accompagner et
informer les personnes en situation de divorce ou de
séparation en ce qui concerne leurs droits ; 2) faire
reconnaître la vie de célibataire comme un véritable choix assumé ; 3) aider les personnes à sortir de
l’isolement et à recréer un maillage social.
L’adresse internet URL du questionnaire était accessible à l’aide d’un mot de passe (saisie en ligne).
Lors d’une étude comparative de collecte des données (par voie postale ou par internet), Cerdin et
Perreti (2001) ont montré que la plateforme internet
n’altère en rien la nature ou la qualité des scores
fournis par les répondants.
D’abord, en accord avec Duxbury et al. (1991, 1999),
nous nous attendons à ce que les femmes ressentent davantage les effets du conflit « vie privée – vie
au travail » et « vie au travail – vie privée » que les
hommes.
Notre échantillon se compose de 68 participants
adultes et tous salariés (48 femmes et 20 hommes).
Il s’agit d’une population tout-venant. L’âge moyen
des participants est de 43,53 ans (σ = 7,12). En
moyenne, les femmes ont 44,89 ans (σ = 6,46), tandis que les hommes ont 40,27 ans (σ = 7,70).
Ensuite, en accord avec les auteurs (Quick et al., 1997 ;
Duxbury et al., 1998) nous nous attendons à ce que les
effets négatifs des interfaces « vie privée – vie pro-
Au niveau de la situation familiale, 12% sont célibataires, 6% sont marié(e)s, 67% des participant(e)s
sont divorcé(e)s, 10,5% sont séparé(e)s, 1,5% vivent
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en union libre/pacs et 3% sont veuf(ve)s. Le pourcentage élevé de participants divorcés ou séparés
correspond au profil dominant des membres de
l’association décrite ci-dessus.
En ce qui concerne les diplômes, ils sont 36% à
avoir un bac+5 ou plus, 20% à avoir un bac+2/3,
11% un bac, 1,5% un cep/bepc, 21% à avoir un
autre diplôme et 10,5% sans formation.
Ils sont 8% à exercer dans le secteur du commerce
et de la distribution, 6% dans celui des banques et
assurances, 40% dans l’administration et l’éducation, 26% dans le social et la santé et 20% dans l’industrie et la production.
74% des participants sont sous contrat à durée
indéterminée (CDI) à temps plein, 7% en CDI à
temps partiel, 13% sous contrat à durée déterminée
(CDD) à temps plein, 4% sont en CDD à temps
partiel et 2% ont des contrats d’intérimaire.
Au niveau de l’emploi occupé, 26% sont des cadres
ou médecins, 9% des enseignants, 21% des techniciens, 41% des employés et 3% sont des ouvriers.
L’ancienneté moyenne dans l’emploi actuel est de
12,58 ans (σ = 10,34).
Instruments de mesure
Outre les variables factuelles (âge, sexe, situation
familiale, niveau d’études, secteur d’activité, type
de contrat de travail, type d’emploi occupé et ancienneté dans l’emploi actuel), notre questionnaire
comporte les instruments suivants :
L’échelle de mesure de l’implication organisationnelle (« Affective, Continuance and Normative Commitment ») de Allen et Meyer (1990, 1996) en version
française et validée (Belghiti-Mahut et al., 2004). Cet outil
se compose de 18 items assortis d’une échelle de réponse en 5 points ((1) « pas du tout d’accord » ; (5)
« tout à fait d’accord »). La consistance interne des
scores obtenus dans notre étude est très satisfaisante
compte tenu de la modestie de l’échantillon (alpha
de Cronbach = .79).
Cet instrument permet d’isoler trois composantes :
1) l’implication affective. Exemple : « Je serai très
heureux de finir ma carrière dans cette entreprise », « Je ressens les problèmes de cette entreprise
comme les miens ») (m = 23.48, σ = 7.20) (α :
.84). Cette dimension évalue l’attachement affectif du salarié vis-à-vis de l’organisation ainsi que
son identification à celle-ci.
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2) l’implication calculée. Exemples : « Rester dans
cette entreprise est autant affaire de nécessité que
de désir », « Ce serait très difficile pour moi de
quitter l’entreprise, même si je le voulais » (m =
20.51, σ = 5.09) (α : .74). Cette dimension évalue
l’implication sous l’angle du coût pour le salarié si
il venait à quitter l’organisation.
3) l’implication normative. Exemples : « Je ne ressens
pas une obligation de rester chez mon employeur
actuel », « Je ne ressens pas le droit de quitter
cette entreprise actuellement, même si cela était
à mon avantage » (m = 8.83, σ = 3.29) (α : .64).
La consistance interne des scores obtenus est assez faible. Belghiti-Mahut et al. (2004) obtiennent le
même type de résultat sur cette sous-échelle (.64).
Cette dimension évalue le sentiment d’obligation
pour le salarié de rester dans l’organisation.
L’échelle de stress perçu (« Perceived Stress Scale » [PSS14]) de Cohen et Williamson (1988), Cohen et Kamarck, Mermelstein (1983). Elle s’inscrit dans l’approche transactionnelle du stress de Lazarus et al.
(1984). Cet outil dont les priorités psychométriques
sont très satisfaisantes, permet de mesurer le degré
de stress ressenti par l’individu vis-à-vis d’une situation durant le mois qui vient de s’écouler. Autrement
dit, il s’agit ici d’une transaction qui s’exerce entre
la situation perçue comme aversive ou menaçante
et les ressources du sujet. La version utilisée comporte 14 items assortis d’une échelle de réponse en 5
points (allant de (0) « jamais » à (4) « souvent ») (m =
25.69, σ = 7.39). À titre d’exemple : « avez-vous été
dérangé(e) par un événement inattendu ? », « Vous
êtes-vous senti(e) nerveux (nerveuse) et stressé(e) ? ».
La cohérence interne des scores obtenus auprès de
notre population s’est révélée satisfaisante (alpha de
Cronbach = .78).
L’échelle de mesure des interférences entre la vie privée et la
vie travail (« Survey Work-home Interaction-Nijmeden » (SWING) de Geurts (2000), Wagena et Geurts
(2000) en version française et validée par Lourel et
al. (2005). Cet outil se compose de 22 items qui ont
été sélectionnés et adaptés à partir des items de 17
échelles régulièrement utilisées pour évaluer les interférences entre la vie privée et la vie au travail.
Cette instrument est assorti d’une échelle de réponse en 4 points ((0) « jamais » à (3) « toujours »). La
consistance interne des scores obtenus dans notre
échantillon est très satisfaisante (alpha de Cronbach = .80). Elle avoisine même le résultat obtenu
par Lourel et al. (2005) (.82).
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hypothèses). Pour finir, nous avons utilisé le test T
pour des échantillons appariés afin d’éprouver la
quatrième et dernière hypothèse. Nos analyses ont
été réalisées à l’aide du logiciel Statistica (StatSoft,
1998).
La SWING permet d’isoler les 4 dimensions suivantes :
1) Les effets négatifs de la vie au travail sur la vie
privée (negative WHI [Work-Home Interaction]),
mesurés à l’aide de 8 items (par exemple « Vous
trouvez difficile de remplir vos obligations familiales parce que vous êtes toujours en train de penser
à votre travail ») (m = 9.24, σ = 5.99, α : .91).
Résultats
Analyse descriptive
Cette première analyse porte sur l’étude des corrélations entre les dimensions de l’interface « vie privée – au travail », le stress perçu et l’implication. La
tableau 1 synthétise l’ensemble de ces corrélations.
2) Les effets négatifs de la vie privée sur la vie au
travail (negative HWI [Home-Work Interaction])
mesurés à l’aide de 4 items (par exemple : « Vous
avez du mal à vous concentrer sur votre travail
parce que des problèmes familiaux vous préoccupent ») (m = 2.65, σ = 2.30, α : .82).
Il semble que l’implication affective est corrélée
positivement avec l’implication normative (r = .38,
p<.05), les effets positifs du travail sur la vie privée
(r = .29, p<.05), les effets positifs de la vie privée sur
le travail (r = .33, p<.05), tandis qu’elle est corrélée
négativement avec le stress perçu (r = -.27, p<.05).
3) Les effets positifs de la vie au travail sur la vie
privée (positive WHI [Work-Home Interaction]),
mesurés à l’aide de 5 items (par exemple : « Vous
arrivez mieux à tenir vos engagements à la maison
parce que votre travail vous le demande aussi »).
(m = 4.65, σ = 3.23, α : .83).
L’implication calculée est corrélée négativement
avec les effets positifs de la vie au travail sur la vie
privée (r = -.29, p<.05), tandis qu’elle est corrélée
positivement avec le stress perçu (r = .26, p<.05).
4) Les effets positifs de la vie privée sur la vie au
travail (positive HWI [Home-Work Interaction])
mesurés à l’aide de 5 items (exemple : « Vous gérez plus efficacement votre temps au travail parce
que vous devez aussi le faire à la maison ») (m =
4.91, σ = 2.99, α : .72).
L’implication normative est corrélée uniquement et
positivement avec les effets négatifs du travail sur
la vie privée (r = .26, p<.05). Les effets négatifs du
travail sur la vie privée sont corrélés positivement
avec le stress perçu (r = .35, p<.05). On observe la
même tendance en ce qui concerne le lien entre les
effets négatifs de la vie privée sur la vie au travail et
le stress perçu (r = .39, p<.05).
Analyses statistiques
Nous avons procédé à des corrélations linaires entre
toutes les variables indépendantes et dépendantes.
Ensuite, nous avons utilisé le test T pour des échantillons indépendants dans le but d’éprouver notre
première hypothèse. Plusieurs analyses de régression multiple ont été pratiquées afin de vérifier si
certaines variables indépendantes pouvaient prédire les variables dépendantes (deuxième et troisième
La dimension relative aux effets positifs du travail
sur la vie privée est corrélée positivement avec celle
qui évalue les effets de la vie privée sur la vie au
travail (r = .52, p<.05). Enfin, il semble que les effets
de la vie privée sur la vie au travail soient corrélés
négativement avec le stress perçu (r = -.26, p<.05).
Tableau 1 : Présentation des corrélations entre les variables de l’interface « vie privée / vie au travail », du stress perçu et de
l’implication organisationnelle
1
1- Implication affective
2- Implication calculée
2
3
4
5
6
7
1,00
0,06
1,00
*0,38
0,12
1,00
4- Effets négatifs travail-privée
– 0,12
0,23
**0,26
1,00
5- Effets négatifs privée-travail
– 0,21
0,09
0,01
0,18
1,00
6- Effets positifs travail-privée
*0,29
*– 0,29
0,14
– 0,08
0,22
1,00
7- Effets positifs privée-travail
*0,33
– 0,22
0,19
– 0,18
0,02
*0,52
1,00
**– 0,27
**0,26
0,05
*0,35
*0,39
– 0,05
**– 0,26
3- Implication normative
8- Stress perçu
* p<.00
8
1,00
** p<.03
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Marcel Lourel et Nicolas Guéguen
Ces premiers résultats mettent en lumière un nombre limité de liaisons entre les variables. De plus,
celles-ci restent relativement modestes dans la mesure où elles oscillent entre -.27 et + .52. En l’état,
on restera donc prudent en ce qui concerne la nature de ces résultats.
Résultats 1
Pour mettre à l’épreuve des faits notre hypothèse
selon laquelle, rappelons-le, les femmes ressentent
davantage les effets du conflit « vie privée – vie au
travail » et « vie au travail – vie privée » que les
hommes, nous avons utilisé le test T pour les échantillons indépendants.
Pour cela, nous avons centré nos investigations sur
l’analyse des scores moyens des répondants (femmes
vs hommes) sur une échelle de mesure des effets de
la « vie privée – vie professionnelle » et de la « vie
professionnelle – vie privée » (instrument SWING).
Il apparaît que les femmes (m = 5,47 ; σ = 2,95) perçoivent davantage les effets positifs de la « vie privée
– vie professionnelle » que les hommes (m = 3,81 ; σ
= 2,77) (t(64) = 2,06 ; p<.04) ce à l’exclusion de tout
autres résultats significatifs.
En l’état, il semble que notre première hypothèse
soit partiellement validée.
Résultats 2
Les résultats que nous allons présenter maintenant
ont pour objectif d’éprouver notre seconde hypothèse selon laquelle, les effets négatifs de l’interface
« vie privée – vie professionnelle » et « vie professionnelle – vie privée » prédisent l’implication organisationnelle (H2a) mais également le stress perçu
(H2b).
À cet effet, nous avons procédé à une analyse de
régression multiple sur la base des réponses des participants aux échelles de mesure de l’interface « vie
au travail – vie privée » / « vie privée – vie au travail » [SWING] (Lourel et al., 2005), de l’implication organisationnelle (instrument de Allen et al., 1990, 1996) et du
stress perçu [PSS-14] (Cohen et al., 1983, 1988).
Résultats 2.1 : L’interface « vie privée/vie au travail »
et l’implication affective
On peut y lire que l’ensemble des variables (effets
positifs et négatifs de l’interface « vie privée – vie
professionnelle » et « vie professionnelle – vie privée ») expliquent 19% de la variance (R² = .19) relative à l’implication affective. Le R multiple est égal à
54
.43. Il est significatif, F(4,63) = 3,73, p < .00. Il semble que la variable « effets négatifs de la vie privée
– vie au travail » exerce un poids explicatif sur l’implication affective (β = –.26 ; p < .03). En d’autres
termes, les effets négatifs de la vie privée sur la vie
professionnelle exercent une influence directe sur
l’implication affective, indépendamment des autres
variables incluses dans le modèle de régression. Il
semble que la variable « effets négatifs de la vie privée – vie au travail » entraîne un affaiblissement de
l’implication affective chez les participants.
Résultats 2.2 : L’interface « vie privée/vie au travail »
et l’implication calculée
On constate que le R multiple (.37) est significatif,
F(4,63) = 2,54, p < .04. Sa valeur est égale à .37.
L’ensemble des variables incluses dans le modèle
(effets positifs et négatifs de l’interface « vie privée
– vie professionnelle » et « vie professionnelle – vie
privée ») expliquent 13% de la variance (R² = .13)
en ce qui concerne l’implication calculée. Ce résultat est relativement décevant. Toutefois, on peut lire
dans le tableau 2 que la variable « effets positifs de
la vie au travail sur la vie privée » (β = –.27 ; p < .05)
exerce à elle seule un poids explicatif de l’implication calculée indépendamment des autres variables
présentes dans le modèle de régression. Autrement
dit, la variable « effets positifs de la vie au travail sur
la vie privée » semble prédire une moindre implication calculée chez les participants.
Résultats 2.3 : L’interface « vie privée/vie au travail »
et l’implication normative
On observe que le R multiple (.36) est significatif,
F(4,63) = 2,34, p < .06. L’ensemble des variables incluses dans le modèle expliquent 12% de la variance
totale (R² = .12) relative à l’implication normative.
Ce résultat est décevant au regard de la modeste
part explicative produite par les variables incluses.
À ce niveau, seule la variable « effets négatifs de la
vie au travail sur la vie privée » (β = .31 ; p < .01)
semble prédire l’implication normative indépendamment des autres variables incluses dans le modèle. Dans le cas présent, l’implication normative
dépend directement de la variable « effets négatifs
de la vie au travail sur la vie privée ». La faible part
explicative du modèle (12% de la variance totale)
ainsi que le seuil de significativité du F (p < .06) nous
invite à une certaine prudence en ce qui concerne la
portée de ces résultats.
Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 2007, N°74, pp. 49-58
L’interface “vie privée – vie au travail ”
Tableau 2 : Résultats d’une analyse de régression multiple avec l’implication organisationnelle et le stress perçu comme variables
dépendantes
Étapes
PRÉDICTEURS
Implication affective
R²
R²aj.
β
0,19 0,14
1. Effets négatifs de la vie au
-0,01
travail sur la vie privée
2. Effets négatifs de la vie
- ,26**
privée sur la vie au travail
3. Effets positifs de la vie au
0,23
travail sur la vie privée
4. Effets positifs de la vie
0,21
privée sur la vie au travail
Implication calculée
R²
R²aj.
β
0,13 0,08
Implication normative
R²
R²aj.
β
0,12 0,07
β
Stress perçu
R² R²aj.
0,28 0,23
0,18
0,31**
0,25**
0,12
-0,07
0,35***
-0,27*
0,07
0,01
-0,05
0,21
-0,22
*p<.05 ; **p<.02 ; ***p<.00
β correspond au coefficient de régression standardisé de la variable indépendante (effet « net ») en dehors des effets qui résultent des autres variables indépendantes. Le
R² exprime la variabilité (variance totale de la variable dépendante) qui est expliquée à partir la variabilité de l’ensemble des variables indépendantes (prédicteurs). La
valeur Raj.² exprime le coefficient R² ajusté. Le R multiple : .43 (pour l’implication affective) ; .37 (pour l’implication calculée) ; .36 (pour l’implication normative) ; .53
(pour le stress perçu)
Résultats 2.4 : L’interface « vie privée/vie au travail »
et le stress perçu
On notera que le R multiple (.53) est significatif,
F(4,63) = 6,20, p < .00. Il apparaît que les variables
incluses dans le modèle de régression expliquent
28% de la variance totale (R² = .28) relative au stress
perçu. À ce stade, on peut observer que deux variables se distinguent tout particulièrement. Il s’agit des
variables « effets négatifs de la vie au travail sur la vie
privée » (β = .24 ; p < .02) et « effets négatifs de la vie
privée sur la vie au travail » (β = .34 ; p < .00).
Il est intéressant de constater que ces variables exercent une influence directe sur le stress perçu. Autrement dit, la perception des effets négatifs de la sphère privée sur le travail et de la sphère professionnelle
sur la vie privée, entraîne une variation positive du
stress perçu lorsque les autres variables demeurent
fixes. Il semble qu’un quart de la variance totale du
stress perçu soit dépendante des effets négatifs précités.
Résultats 3
À présent, il s’agit d’éprouver notre dernière hypothèse qui rappelons-le, repose sur l’idée que la
perception des effets du conflit « vie au travail – vie
privée » devrait être plus élevée que celle relative
au conflit « vie privée – vie au travail ». À cet effet,
nous avons centré nos analyses sur l’étude des scores
moyens obtenus par l’ensemble des participants sur
chacune des sous-échelles de mesure des effets négatifs du conflit entre la « vie privée/vie professionnelle » et la « vie professionnelle/vie privée ». Nos
investigations s’appuient sur deux des quatre souséchelles de l’instrument SWING (Lourel et al., 2005).
Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 2007, N°74, pp. 49-58
Il apparaît que les participants (hommes et femmes)
perçoivent davantage les effets du conflit de la « vie
au travail sur la vie privée » (m = 9,24 ; σ = 5,99) que
ceux relatifs aux effets de la « vie privée sur la vie au
travail » (m = 2,65 ; σ = 2,30)(t(68) = 9,03 ; p<.00).
Ces résultats confirment notre hypothèse.
Discussion
Il importe tout d’abord d’admettre que les résultats
de cette étude souffrent des limites dues aussi bien
à la modestie de l’échantillon qu’à la simplicité du
modèle éprouvé. Elle avait pour objectifs, rappelons-le, d’éprouver les liens entre l’interface « vie
privée/vie au travail », l’implication organisationnelle et le stress perçu. Tout d’abord, en ce qui concerne les corrélations, il semble que l’implication
organisationnelle est liée à la perception des effets
positifs et négatifs de la « vie au travail sur la vie
privée » et de la « vie privée sur la vie au travail ».
Cependant, ces premiers résultats n’illustrent qu’un
nombre limité de liaisons entre les variables. Ces résultats sont décevants. Au demeurant, ces liaisons
sont relativement modestes puisqu’elles oscillent entre -.27 et + .52. En l’état, on restera donc prudent
en ce qui concerne la portée heuristique de ces données. On indiquera que notre étude ne permet pas
d’évaluer si le fait d’être ou non parent agit sur la
perception des conflits travail/privée, l’implication
ou le stress perçu. Cet élément est l’une des limites de notre recherche. Dans le même sens, le mode
de recrutement des participants laisse supposer que
notre échantillon se compose d’une part importante
de femmes en situation monoparentale. Ces biais
liés à l’échantillonnage ont probablement influencé
les résultats obtenus dans notre étude.
55
Marcel Lourel et Nicolas Guéguen
Le genre et le niveau de perception
de l’interface vie privée/vie professionnelle
L’objectif de la première hypothèse reposait sur le
fait que les femmes étaient susceptibles de ressentir davantage les effets du conflit « vie privée – vie
au travail » et « vie au travail – vie privée » que les
hommes (résultats 1). Or, nos résultats montrent que
cela est le cas mais uniquement au niveau des effets
positifs de la vie privée sur la vie professionnelle. Ce
résultat décevant peut trouver une explication au
regard de la modestie de l’échantillon (48 femmes
et 20 hommes). Il parait prudent de réfuter notre
hypothèse de travail.
L’interface vie privée/vie professionnelle,
le niveau d’implication et le stress perçu
L’objectif de la seconde hypothèse reposait sur
l’idée que les effets de l’interface « vie privée – vie
professionnelle » et « vie professionnelle – vie privée » étaient susceptibles de prédire l’implication
organisationnelle (H2a) mais également le stress
perçu (H2b) (résultats 2).
En ce qui concerne la première partie de notre hypothèse (H2a), il semble que chacune des dimensions qui mesure l’interface « vie au travail – vie privée » explique une part bien précise de l’implication
organisationnelle. Ces premiers résultats plaident
en faveur de notre seconde hypothèse. Cependant,
on émettra quelques remarques tels que :
1) Nos résultats montrent que la perception des
effets négatifs de la vie privée sur la vie au travail
prédit directement l’implication affective. Ce résultat est conforme aux données d’autres études qui
montrent que les salariés qui perçoivent l’organisation comme la principale source de conflit dans
la sphère privée, ont moins tendance à s’impliquer
affectivement pour elle (Allen, 2001 ; Duxbury et al., 1999).
2) Il semble que la perception des effets positifs de
la vie au travail sur la vie privée prédit l’implication
calculée. Ce résultat va dans le sens de Allen (2001)
qui rapporte que les effets bénéfiques du travail sur
la sphère privée profitent également à l’organisation. Il semble que ces bénéfices « poussent » l’individu à s’impliquer dans l’organisation en raison
des éléments qui seraient perdus s’il venait à abandonner celle-ci (congés, salaire, statut hiérarchique,
avantages professionnels, etc.).
3) Il apparaît que les effets négatifs de la vie au travail sur la vie privée prédisent l’implication normative. Ce type d’implication correspond à « une
expérience sous contrainte » pour le salarié (voir Bel-
56
ghiti-Mahut et al., 2004). En l’état, il semble que la perception pour le salarié de devoir exercer son activité
par obligation ait un effet direct sur le renforcement
de l’implication normative. Toutefois, on restera
prudent en matière d’interprétation de ces résultats
tant la dimension en question demeure au cœur de
nombreuses controverses. Initialement, selon Allen
et Meyer (1984), l’implication organisationnelle ne
couvrait que 2 dimensions (affective et calculée).
Cela va dans le sens de Morrow (1993) pour qui
l’implication organisationnelle ne couvre que 2 dimensions (affective et calculée). En ce qui concerne
la dimension de l’implication normative, elle ne fut
introduite par Allen et al. qu’à partir de 1990. En effet, d’un point de vue sociologique, la nature « aliénante » de cette dimension à savoir l’intériorisation
des normes qui obligent le salarié à œuvrer en faveur de l’organisation, font de l’implication normative un instrument de contrôle de l’organisation
sur le salarié. D’un point de vue psychométrique,
la cohérence interne de l’outil censé mesurer cette
dimension demeure relativement faible. C’est le cas
dans l’étude de Belghiti-Mahut et al. (2004) (α = .64)
comme dans la nôtre (α = .64). La faible part explicative du modèle de régression (12%) ainsi que le
seuil de significativité de celui-ci (p < .06) renforcent
l’idée selon laquelle la variable dépendante (implicative normative) est relativement instable.
Maintenant, intéressons-nous aux résultats obtenus
au niveau de l’interface « vie au travail / vie privée »
en lien avec le stress perçu (hypothèse H2b). À ce
stade, rappelons-le, il s’agissait de tester l’hypothèse
selon laquelle les effets négatifs de l’interface « vie
privée – vie professionnelle » et « vie professionnelle
– vie privée » étaient susceptibles de prédire le stress
perçu. Les résultats de notre étude plaident en faveur de notre hypothèse. Ces données concordent
avec celles recueillies par Quick et al. (1997). Nos
données montrent que la perception cognitive du
stress dépend directement des effets négatifs de l’interface « vie privée/vie professionnelle ». Ce résultat est intéressant dans la mesure où il indique que
près d’un quart de la variance expliquée au niveau
du stress perçu est imputable à l’interface « vie privée/vie professionnelle ». Autrement dit, il semble
que dans notre étude l’interface en question soit un
bon prédicteur du stress perçu.
La perception du conflit vie privée/vie professionnelle
et vie professionnelle/vie privée
L’objectif de notre dernière hypothèse reposait sur
l’idée que la perception des effets du conflit « vie
Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 2007, N°74, pp. 49-58
L’interface “vie privée – vie au travail ”
au travail – vie privée » était plus élevée que celle
relative au conflit « vie privée – vie au travail ».
Les résultats obtenus confirment notre hypothèse.
Ces données vont dans le même sens que celles recueillies par Saint-Onge et al. (1997, 2002). Pour ces
auteurs, cela s’explique par le fait « qu’en situation
de conflit, les employés auraient plus tendance à
sabrer dans leurs responsabilités familiales parce
qu’elles ne font pas l’objet d’une évaluation et d’une
rémunération formelle comme c’est le cas pour les
responsabilités professionnelles » (Saint-Onge et al., 2002,
p. 503).
Au-delà, notre recherche soulève de nombreuses
questions qui tournent autour de la conjugaison
des vies professionnelle et privée. Parmi celles-ci,
la question de la gestion des rôles sociaux sur le
conflit entre la vie professionnelle et la vie privée/
familiale. La question évoquée en introduction et
qui concerne l’égalité des chances entre les hommes et les femmes est un enjeu de société. Dans le
but d’analyser l’évolution des collectifs de travail, il
est nécessaire de considérer la place que l’individu
accorde à ses diverses activités, tâches ou responsabilités d’ordre professionnel et extraprofessionnel.
En ce qui concerne ces dernières (activités extraprofessionnelles), il convient de mettre en lumière
la répartition des tâches domestiques et parentales.
Les premières correspondent à l’ensemble tâches
nécessaires à l’entretien du foyer (préparer les repas,
faire les courses ou la lessive, ranger la maison…),
tandis que les secondes renvoient aux soins réels ou
symboliques des parents vis-à-vis des enfants (BarrèreMaurisson, 2004).
Barrère-Maurisson, Marchand et Rivier (2000) rapportent que les pères s’impliquent davantage au niveau de la socialisation de l’enfant qu’au niveau des
tâches parentales. En revanche, les femmes s’attèlent davantage aux charges domestiques tout en assurant leurs activités parentales. Ainsi, pour les femmes salariées ayant la charge d’enfants, la somme
des temps professionnel et parental hebdomadaire
équivaut à 62h contre 54h 30 pour les pères de famille salariés. Autrement dit, le conflit entre la vie
privée/familiale et la vie professionnelle est d’autant
plus lourd chez femmes que chez les hommes. Il en
va de même dans les couples qui ne disposent que
d’une seule source de revenu (celle du partenaire
masculin). Dans ce cas, les recherches montrent que
la femme réalise, en définitive, l’équivalant d’un travail à temps complet (Barrère-Maurisson et al., 2000 ; BarrèreMaurisson, 2004).
Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 2007, N°74, pp. 49-58
Maintenant, qu’en est-il des répercussions de l’articulation entre la vie au travail et la vie privée sur
la santé perçue et sur le bien-être subjectif ? Par
exemple, Geurts et al. (1999) rapportent que les interférences produites par le travail sur la vie privée
prédisent tour à tour l’épuisement émotionnel, la
dépersonnalisation, les plaintes somatiques et les
troubles du sommeil.
Chez Robin, Laubarie, Roussel et Wallaert (2001) ce
sont les problèmes associés à la garde des enfants et
à leur santé, le manque de temps, le mode de vie
moderne et l’emploi du temps qui agissent comme
autant de stresseurs liés à l’articulation travail-famille. Malheureusement, notre recueil d’informations démographiques ne nous permet pas de savoir
si les répondants avaient un ou plusieurs enfant(s).
Ce point crucial reste en suspend dans notre étude.
Les problèmes identifiés dans l’étude de Robin ont
des conséquences spécifiques selon le sexe des individus. Duxbury et Higgins (2005) montrent que
la surcharge des rôles est amplifiée chez les femmes lorsque celles-ci font face à des déplacements
importants pour se rendre sur leur lieu de travail.
En d’autres termes, le temps consacré au trajet domicile-travail, les absences en fin de journée ou le
soir pour des causes professionnelles, accentuent
la perception liée à la surcharge des rôles chez les
femmes. Pour les auteurs, cet état de fait est davantage marqué chez les femmes que chez les hommes.
Malgré tout, il semble que dans les organisations
qui développent des politiques en faveur de la conciliation « vie au travail – vie privée/familiale », le
phénomène de surcharge des rôles est atténué chez
les femmes mais pas chez les hommes. Duxbury et
al. (2005) rapportent que dans les familles où seule la
femme travaille, le phénomène de surcharge des rôles est moins présent. Plus précisément, les auteurs
montrent que dans ces foyers, l’interférence du travail sur la vie familiale est plus marquée que celle
de la vie familiale sur la vie au travail. Autrement
dit, les effets du conflit « travail sur famille » sont
plus véhéments que ceux associés à la « famille sur
le travail ».
En tout état de cause, il reste beaucoup à faire pour
élucider la question de la gestion des temps au travail et hors travail.
57
Marcel Lourel et Nicolas Guéguen
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