Compte-rendu formation El Bola

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Compte-rendu formation El Bola
Compte-rendu de la formation sur El Bola, Achero Manas
Intervention de Séverine Vermesch, cinéaste et ancienne enseignante à la Femis
Au Cinéma Le Bretagne à Quimper, le 9 février 2011
Introduction
El Bola traite d’un sujet tragique - la maltraitance - qui appartient au domaine de la réalité. La
difficulté d’aborder ce genre de thèmes est de ne pas tomber dans le manichéisme : El Bola
parvient à éviter les clichés et la dualité bons/méchants. El Bola parle de la maltraitance sans
tomber dans le pathos ou le mélodrame.
Le pitch du film : le pitch est l’essentiel du film décrit en une phrase qui doit faire apparaître
l’enjeu scénaristique pour convaincre les producteurs et les spectateurs. Ici, le pitch pourrait
se formuler ainsi (exercice possible avec les élèves): Comment un enfant va apprendre à
parler grâce à la rencontre avec un ami. Toute l’histoire est fondée sur un secret qu’il va
falloir dévoiler: un enfant maltraité va enfin pouvoir dire qu’on le frappe grâce à l’amitié.
Une fois cet enjeu posé, il est intéressant d’analyser la manière dont le récit nous mène à ce
climax.
Le personnage de Pablo est mu par deux sentiments contradictoires :
- ce qu’il désire : parler pour vivre (mais pour cela il lui faut un révélateur : Alfredo)
- ce qu’il veut : se taire pour survivre (car il a peur de se faire tuer)
Le générique
Le son du train et l’image des rails démarrent avec nous et nous embarquent dans l’histoire.
Le générique est construit sur le mode du montage alterné : les enfants et le train. La
rencontre entre les deux se fait à la fin du générique pour révéler le jeu des enfants : affronter
le train. Au moment où on voit le train pour la première fois, on aperçoit à l’arrière-plan les
tours qui bouchent l’horizon. Cette idée sera reprise pendant tout le film : l’enfant est
prisonnier de la ville, il est dans une impasse (cf sa fuite à la fin du film). Les enfants ne sont
montrés que tardivement : on ne voyait alors que leurs pieds ou une vue subjective des rails.
Quand on les voit enfin, on comprend mieux le jeu.
Le train de face fait voir deux yeux et un nez mais aucune figure humaine n’apparaît. Lancé à
toute allure, il est le signe de la violence de la machine en route. Le film commence donc par
une chose inexorable et violente, à l’image de la violence du père qui est déjà en marche. Les
enfants et le héros combattent une force qui les dépasse.
Cette scène fait écho à celle du parc d’attractions où le jeu est inversé : Pablo et Alfredo
maîtrisent le jeu sur les montagnes russes alors que Pablo affronte une puissance extérieure et
dangereuse avec le vrai train.
Le générique est ainsi englobé dans cette première scène informative où le thème de la mort
est déjà annoncé.
Scène 1 : Dans la quincaillerie
La tension est palpable. Le père ne regarde pas son fils et ne lui répond pas quand ce dernier
lui pose une question (c’est pourtant lui qui le somme de répondre à plusieurs reprises dans le
film). L’idée du secret est déjà intégrée : le père refuse de dire ce qu’il y a dans le sac.
Scène 2 : Dans la rue
Un travelling arrière précède le père et le fils à la sortie de la quincaillerie. Le fils n’a pas
vraiment le droit à la parole sauf pour acquiescer. Puis vient l’indice de l’élément
déclencheur : l’image au ralenti fait voir un déménagement et l’apparition d’une statue : un
étranger arrive, signe de changement et d’altérité. Le regard de Pablo et la douceur de la
lumière soulignent cette nouvelle arrivée comme celle du sauveur.
Scène 3 : Pablo se fait couper les cheveux
Pablo s’adresse au spectateur par un regard caméra. Le cadrage fait que l’on ne voit pas sa
bouche : tout va dans le sens du mutisme et du secret. Cette scène rappelle des scènes de
cinéma montrant l’armée ou la prison. Dans le film, l’espace et les personnages sont très
souvent filmés comme dans une prison.
Scène 4 : Le repas de famille
Pendant que l’on assiste à l’humiliation de la grand-mère (qui sera aussi celle d’El Bola
puisque comme lui la grand-mère est dépendante, humiliée et fragile), Pablo joue avec la
boule, son talisman. La boule est comme un recours dans les moments d’émotion.
Ici, s’achève la première séquence, qui constitue l’exposition.
L’arrivée de l’élément déclencheur : Alfredo.
Cette arrivée avait déjà été annoncée par la scène 2. Toutes les scènes comportent un indice
qui permet au récit d’avoir une fluidité. Le cinéaste prend soin de préparer le spectateur avant
de lui donner à voir. Cela permet de donner une tension dans la progression du récit.
Le gros plan sur Pablo qui regarde Alfredo fait comprendre son admiration. On retrouve ce
plan dans la scène suivante quand ils sont filmés dans la cour de l’école.
Puis Pablo suit Alfredo dans les rues. On remarque que la filature s’achève devant une
quincaillerie comme pour signaler que l’enfant est prisonnier de cette ville et de son histoire.
La structure circulaire, en boule, évoque le cercle vicieux duquel Pablo est prisonnier.
La scène dans la quincaillerie
Encore une fois, le réalisateur crée un effet d’annonce. Le père plaint la cliente qui a mal au
dos et celle-ci regarde Pablo et lui dit qu’à son âge il ne risque pas de connaître ces difficultés.
Rien n’est dit et pourtant le spectateur se doute de quelque chose : un indice lui a été donné,
souligné par le silence insistant de Pablo. La cliente nous dit quelque chose qu’on ne sait pas
encore. La scène instille le doute en nous plutôt que de surligner une information. C’est
l’exemple même d’une mise en scène qui fait dans la suggestion et refuse la démonstration.
Chez Alfredo
Les tours d’immeubles montrées au spectateur sont l’inverse du cliché : la famille d’Alfredo
est heureuse. L’appartement dans lequel Alfredo et sa famille viennent d’aménager n’est pas
encore rangé : il y règne un joyeux désordre. Ce signe de liberté est à mettre en opposition
avec l’aspect immuable et vieillot de l’appartement de Pablo. La mère d’Alfredo est l’extrême
inverse de celle de Pablo. Le petit frère bavard raconte les secrets de sa mère : à l’inverse le
frère mort de Pablo engendre le secret et les non-dits. La famille d’Alfredo est le miroir de
celle de Pablo. De la même manière, le père d’Alfredo est tatoueur : il laisse des marques sur
le corps de son fils par amour pour lui. Le père de Pablo laisse également des marques, mais
celles-ci sont des marques de violence.
La scène du parc d’attractions
C’est une scène fondamentale : Pablo ne joue plus avec le train mais s’amuse avec ce qu’il
peut maîtriser. Les jeux du parc d’attractions lui permettent de voir le monde à l’envers et de
prendre son envol. Son point de vue sur le monde est alors renversé (littéralement et
symboliquement). Pour la première fois, Pablo s’autorise à dire qu’il a peur : la libération du
personnage est en train de se faire, car il est dans une reconnaissance de lui-même. A la
différence de son père, Alfredo l’autorise à prendre la boule. C’est un moment de bonheur et
de liberté, symbolisé par le signe « Salida » marqué au sol. En se rapprochant d’Alfredo,
Pablo échappe à son père mais c’est également ainsi qu’il se met en danger. Plus Pablo se
libère, plus la situation devient dangereuse pour lui. Cette scène est à mettre en relation avec
Les 400 coups (la centrifugeuse).
La scène d’humiliation de la grand-mère
La scène est difficile à supporter mais elle n’est pas obscène. La violence que l’on voit n’est
pas filmée avec violence. Le plan est fixe (il n’y a ni travelling, ni découpage) : la mise en
scène renvoie plutôt à une idée théâtrale, ou à celle d’un tableau vivant.
La scène du cimetière
A ce moment du film, on comprend une partie du secret : il y a eu un enfant mort. Le film
commence donc à expliquer les choses sans toutefois les démontrer. C’est au spectateur de
faire ses propres déductions : l’information de l’anniversaire de la mort de l’enfant est pour
nous montrer que le père n’est pas content.
La scène à l’hôpital
Il s’agit d’un renversement de situation. Alfredo doit comme Pablo affronter la mort, celle de
son parrain : il a lui aussi sa croix à porter. Pablo n’est donc plus seul. De plus, Pablo va
retrouver une légitimité à vivre en aidant son ami. C’est donc un moment crucial de
l’évolution du personnage. Alfredo lui donne une raison d’être et il se remet à exister.
Un montage alterné (hôpital/sortie d’école) donne la dimension du temps qui s’accélère et du
danger qu’encourt Pablo. L’absence de Pablo est filmée pendant que son père l’attend à la
sortie de l’école : la menace monte et l’inquiétude du spectateur est grandissante.
La scène de l’hôpital est filmée avec pudeur : on voit Alfredo qui regarde son parrain mais pas
ce qu’il voit.
La visite du père d’Alfredo chez Pablo
C’est la première fois qu’un personnage étranger entre dans l’appartement. Cette scène
prépare le personnage du père d’Alfredo comme le sauveur. Il enfreint la loi du père de Pablo
qui vit dans le secret que renferme l’appartement. Cette visite se renouvelle plus tard à la
quincaillerie.
La scène du bonheur à la montagne
C’est la première fois que les personnages sortent de la ville et cela est possible grâce à la
famille d’Alfredo qui se montre ouverte alors que celle de Pablo est enfermée dans son secret.
Cette scène extirpe l’histoire de l’enfer que vit Pablo. Grâce à cette excursion, Pablo va
trouver la voie de son salut.
Le secret dévoilé
C’est la scène obligatoire : le secret de Pablo a été tenu pendant la première moitié du film. Il
est nécessaire que le secret soit révélé pour Alfredo et le spectateur. Cette révélation intervient
de manière logique dans le scénario (les enfants, trempés par la pluie, doivent se dévêtir pour
se changer). Grâce à cela, on va voir ce qui a été caché jusqu’ici. Le lien d’amitié justifie
également cette scène : sans cela, Pablo ne se serait pas déshabillé devant Alfredo. En
montrant ses marques, Pablo commence à se libérer. La chose est dite : Pablo est en danger et
peut être sauvé. Les conflits sont donc mis en place pour que le drame arrive.
Le retour de Pablo à la maison
La scène est tournée avec pudeur et retenue : il n’y a pas pire que ce qu’on ne montre pas.
Pablo retourne l’insulte contre son père et prononce son désir de mort. La caméra ne montre
que le pied du père qui est son arme. Le fondu au noir en dit long. Le hors-champ permet
d’imaginer la suite des événements.
On entre alors dans la 2ème partie du film qui précipite le drame : une fois la vérité dite, Pablo
est en danger de mort. La mort a été montrée précédemment par des incidences annexes : le
train, le frère de Pablo, le parrain d’Alfredo. L’intrigue principale (main plot) s’accompagne
d’intrigues secondaires (sub plot) qui la préparent : Ici, la mort de Félix intervient au
moment où on doit sauver Pablo. Et la scène du café après la mort du parrain est l’occasion
pour Pablo de dire la mort de son frère : le personnage du parrain ne sert qu’à expliquer
quelque chose sur la situation de Pablo et surtout à le faire parler.
Sur les rails
L’espace sépare les personnages. D’un côté, Pablo et Alfredo ; de l’autre, les autres enfants.
La scène fait écho à celle du générique mais tout a changé : Pablo n’est plus à la même place
psychologiquement et physiquement par rapport au jeu.
On quitte la menace du jeu mais on est dans un autre jeu bien plus dangereux: celui de son
père. Pablo quitte son enfance et la fatalité grâce à Alfredo qui dit non au jeu du train.
La scène du tatouage
Le corps morcelé est montré à l’écran comme une œuvre d’art. Le père d’Alfredo tatoue son
fils et l’inscrit dans la filiation. C’est une scène initiatique. Par contraste, le père de Pablo le
bat. Les marques sur le corps des enfants ne sont pas les mêmes
La scène de violence
Tout le film a tendu vers cette scène que l’on ne voulait pas voir. La violence est toutefois
elliptique. Par l’absence de gros plans, la caméra reste à une certaine distance. La volonté est
de montrer le chaos et le désordre par une série de champs-contrechamps et non d’esthétiser la
violence.
La scène de la poursuite
Pablo fuit dans une ville où il n’y a pas d’issue. La scénographie (tours, immeubles qui
l’encerclent) montre qu’il n’échappera pas. Le leitmotiv de la musique (les 4 notes qui
tournent en rond) montre que Pablo tourne lui aussi en rond. La mère se trouve dans la rue et
se montre impuissante : elle ne dit rien.
La scène dans le parc
Comme dans une tragédie grecque, on retrouve l’affrontement entre le père et le fils et la
révélation de la vérité. La plongée souligne l’idée de force qui dépasse les personnages. La
scène évoque l’affrontement de la loi des hommes contre la loi juste : les services sociaux ont
leurs raisons mais il arrive un moment où la loi juste est de protéger l’enfant : cela est
simplement montré par le père d’Alfredo qui entoure l’enfant.
La scène finale
Le regard caméra de Pablo dit les choses : on apprend tout ce qu’on ne nous avait pas dit.
Pablo regarde ceux qui ne parlent pas. La boule écrasée par le train souligne l’aboutissement
du trajet de Pablo vers sa liberté.

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