Aline van den Broeck - Le marché belge du crédit en 2004

Transcription

Aline van den Broeck - Le marché belge du crédit en 2004
Question de
Question de
Octobre 2005
Aline van den Broeck
Quelques lignes d'intro
De toute évidence, notre modèle de
croissance et de consommation accroît le
risque de précarisation des personnes les
plus fragiles.
Les crédits à la consommation, et en
particulier les ouvertures de crédit,
constituent un réel danger pour les
personnes qui ont recours à ce type de
crédit pour boucler leurs fins de mois ou
rembourser d'autres dettes.
Aline van den Broek analyse les dernières
statistiques sur le crédit
crédit et met en évidence
le fait que ce sont les ouvertures de crédit
qui connaissent le plus de défaillances de
paiement. Elle décrit ensuite en quoi cellescellesci sont dangereuses pour le consommateur.
L'auteur
Aline van den Broeck est juriste,
conseiller d'entreprise
d'entreprise au CRIOC
(Centre de recherche et d'information
des organisations e consommateurs).
Elle est membre du Conseil de la
consommation et donc spécialisée dans
les questions de protection des
consommateurs (dont le crédit et la
publicité)
Edité par les Equipes Populaires
Rue de Gembloux, 48 à 5002 St Servais
081/73.40.86 -- [email protected]
Texte disponible sur le site www.e-p.be
La centrale des crédits aux particuliers
Le volet négatif de la Centrale des Crédits aux Particuliers, mieux connu sous l'appellation "liste
des mauvais payeurs", a été créé au sein de la Banque Nationale de Belgique et fonctionne
depuis janvier 1987.
Cette Centrale a pour fonction de répertorier les mauvais payeurs de contrats de crédit à la
consommation et hypothécaires. Les prêteurs sont obligés de communiquer à la Centrale les
défauts de paiement survenant dans le remboursement des crédits par les personnes
physiques.
Par ailleurs et depuis le 1er janvier 1999, tous les avis de règlement collectif de dettes sont
enregistrés dans le fichier de la centrale1. A noter que cette procédure suscite toujours plus
d’engouement, les chiffres sont en effet en constante augmentation depuis 1999. On est ainsi
passé de 4.542 ordonnances d’admissibilité en règlement collectif de dettes en 1999 à 41.207
ordonnances (soit 10 X plus) en 2004.
Jusqu'au 31 août 2004, un fichier distinct était géré par l'Union Professionnelle du Crédit (UPC)
et portait le nom de "Mutuelle d'Information sur le Risque". Depuis ce 1er septembre 2004, ce
fichier - qui reste séparé de celui de la Centrale des Crédits aux Particuliers - est géré par la
Banque nationale de Belgique sur base d'une convention conclue entre les dispensateurs de
crédit participants.
Ce fichier, qui a pour vocation de fournir aux dispensateurs de crédit des informations
supplémentaires sur les personnes enregistrées avec un crédit défaillant, recense plusieurs
types de défaillances dont les dépassements non autorisés en compte courant et les contrats
de leasing conclus par des personnes physiques.
A noter que seuls les dispensateurs de crédit signataires de cette convention avec la BNB - à
savoir pas moins de 57 organismes - ont accès aux données contenues dans ce fichier. Au
31/12/2004, 39 % des personnes répertoriées dans ce fichier le sont aussi dans la Centrale des
Crédits aux Particuliers pour au moins un défaut de paiement.
Signalons également qu'une ventilation par type de contrats permet de constater qu'au
31/12/2004, c'est l'ouverture de crédit2 qui détient le record absolu en terme de nombre de
défauts de paiement non régularisés3.
1
Sont visés les ordonnances d'admissibilité en règlement collectif de dettes ainsi que les jugements avalisant le
règlement amiable proposé par le médiateur et accepté par toutes les parties à la procédure et les jugements
ordonnant un règlement judiciaire des dettes.
2
Sont visées les OC qui ne sont pas régies par la loi du 12 juin 1991 sur le crédit à la consommation, à savoir entre
autres :
• les OC à but privé inférieures à 1.250 EUR et remboursables en maximum 3 mois;
• les comptes courant qui présentent un solde débiteur non autorisé ;
• les cartes accréditives présentant un solde débiteur irrégulier.
L’analyse des chiffres publiés par la BNB en juillet 2005 mène au même constat de la prédominance des ouvertures
de crédit en tant que contrats de crédit en souffrance (voy. infra page 4. point 4).
3
81.930 OC non régularisées contre 19.293 prêts à tempéraments, 1.355 ventes à tempérament et 1.086 crédits
hypothécaires.
- 2 -
Enfin, depuis juin 2003, est apparu un volet positif à la Centrale des Crédits aux Particuliers.
Dans ce volet, tous les contrats de crédit (consommation et hypothécaires) sont enregistrés,
indépendamment de tout défaut de paiement. Ce volet positif vient donc s'ajouter au volet
"négatif" de la centrale.
Les données relatives à ces contrats sont obligatoirement communiquées par les prêteurs à la
Centrale des Crédits aux Particuliers, dans les deux jours ouvrables qui suivent la conclusion
du contrat. Ces données sont conservées trois mois et huit jours ouvrables après la date de la
fin du contrat régulièrement honoré.
Cette centrale positive a un double objectif :
• Responsabiliser davantage les prêteurs qui sont légalement tenus de consulter la
Centrale avant l'octroi de tout nouveau crédit. Grâce à cette consultation, ils ont une
vision plus claire de la situation financière du candidat emprunteur. Qui plus est, il leur
est interdit de conclure un contrat de crédit avec un candidat emprunteur qui présente
une situation financière telle qu'il ne sera manifestement pas à même de respecter les
obligations découlant du contrat.
• Prévenir le surendettement.
Le nombre toujours croissant de consultation de la centrale par les prêteurs (à savoir 23.000
fois par jour ouvrable en 2004), laisse croire que ces derniers respectent l’obligation qui leur est
faite de consulter la centrale avant l’octroi de tout nouveau crédit. Précisons néanmoins que
ces derniers peuvent aussi consulter la centrale pour les besoins de la gestion de crédits en
cours.
Les chiffres publiés en juillet 2005 par la Banque Nationale
de Belgique sont révélateurs à plus d'un égard :
1. Augmentation du nombre total de personnes et de contrats de
crédit enregistrés
Depuis juin 2003, on constate une croissance constante du nombre de personnes et de
contrats enregistrés. Ainsi, toujours plus d'individus résidant en Belgique sont concernés par
le crédit4.
Les 35-44 ans sont les plus gros emprunteurs5, suivis dans l’ordre par les 45-54 ans et les
25-34 ans.
On précisera à cet égard que l’augmentation du nombre de personnes enregistrées est plus
sensible dans les catégories des personnes enregistrées pour 3, 4 ou 5 contrats et plus que
dans la catégorie des 2 contrats, la catégorie des « un contrat » présente quant à elle une
très légère diminution.
4
5
A savoir : plus de 53 % de la population majeure est partie à au moins un contrat de crédit.
Dans cette tranche d’âge, 8 personnes sur 10 ont au moins un contrat de crédit.
- 3 -
2. Légère diminution
diminution du nombre de personnes et de contrats
défaillants
Par contre, le nombre de personnes défaillantes et de contrats défaillants non régularisés
diminue progressivement depuis 2003, tandis que le nombre de régularisation de contrats
augmente depuis la même période.
Il est tout de même important de savoir sur ce point que la diminution observée en 2003
provient essentiellement des suppressions dans le fichier dues au raccourcissement du
délai de conservation des données de deux ans à un an pour les contrats défaillants
régularisés.
Cette diminution s’est poursuivie en 2004, à l’exception des ouvertures de crédit dont les
défaillances continuent à progresser.
Ainsi en 2004, 4,2 % de la population majeure (soit 4 individus sur 100) est en situation de
défaillance pour un ou plusieurs contrats de crédit.
Ici encore, on retrouve les 35-44 ans en tête de liste, suivis de près par les 25-34 ans et les
45-54 ans.
Ajoutons que 60 % des individus sont enregistrés pour cause de défaillance d’un contrat, 20
% pour la défaillance de deux contrats et 8 % pour la défaillance de trois contrats.
3. Le consommateur donne la cote aux ouvertures de crédit, crédit
hypothécaire et ventes à tempérament
En terme de succès des différentes formules de crédit, on perçoit un attrait évident depuis
2003 pour l'ouverture de crédit, le crédit hypothécaire et la vente à tempérament.
Ainsi, fin 2004, les ouvertures de crédit représentent pas moins de 63 % du marché belge
du crédit à la consommation.
Parallèlement, les montants des lignes de ces 3 formes de crédits ont sensiblement
augmentés depuis 2003. Cette augmentation s’explique par l’augmentation du nombre de
contrats mais aussi par une augmentation du montant moyen de capital emprunté.
Le prêt à tempérament et le crédit-bail sont en perte de vitesse depuis 20036.
4. La palme des défaillances aux ouvertures de crédits
Parmi les 3 formules les plus appréciées, seule l'ouverture de crédit affiche une
augmentation constante du nombre de défaillances, par opposition au crédit hypothécaire et
à la vente à tempérament qui présentent depuis 2002 une diminution des défaillances.
Ainsi, fin 2004, les défaillances d'ouvertures de crédit représentent 39,6 % dans le total des
contrats de crédit défaillants.
6
Parallèlement, on observe une diminution du nombre de contrats défaillants pour ces deux crédits.
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5. Une intervention toujours
toujours croissante des prêteurs non bancaires
sur le marché du crédit
Si l’on se penche sur la qualité des prêteurs, on observe qu’en 2004, 66 % des ouvertures
de crédit ont été conclues entre un consommateur et un prêteur non bancaire. Par contre, la
proportion s’inverse pour ce qui est des montants prêtés vu que 57 % du montant total de
l’encours des ouvertures de crédit sort des comptes des établissements bancaires.
En ce qui concerne les ventes à tempérament, plus de 70% de celles-ci sont conclues entre
un consommateur et un prêteur non bancaire. La proportion se maintient pour ce qui est des
montants prêtés vu que seul 22 % de l’encours total des ventes à tempérament a été prêté
en 2004 par des établissements bancaires.
6. Les enregistrements et les défaillances sont supérieurs en zone
francophone – particulièrement en province du Hainaut
On constate de manière générale un taux d’enregistrement supérieur en Hainaut, Namur,
Brabant wallon, Luxembourg et Liège qu’en région flamande où le Brabant flamand devance
le Limbourg, la Flandre orientale, Anvers et la Flandre occidentale.
Dans le même ordre d’idée, les défaillances sont nettement plus sensibles dans la partie
francophone du pays. La province du Hainaut est la plus touchée, suivie par les provinces
de Liège et Namur.
Il n’est pas d’exercice plus périlleux que de conclure hâtivement sur base de chiffres, à
partir desquels on peut faire dire bien des choses et leurs contraires…
Néanmoins et en toute état de cause, le taux d’endettement reste important en Belgique,
avec une tendance manifeste des habitants du Royaume à multiplier les contrats de crédits.
En terme de crédit à la consommation, la préférence est donnée aux ouvertures de crédit et
aux ventes à tempérament octroyées dans une large majorité par des prêteurs non
bancaires (à savoir les établissements de crédit agréés par le Service Public Fédéral
Economie pour l’octroi de crédits à la consommation7).
7
A titre exemplatif mais non exhaustif on citera : Alpha Crédit, Cofidis, Fidexis, Fimaser, Finaref…
- 5 -
Ouvertures de crédit :
séduisantes mais dangereuses
L’ouverture de crédit remporte un franc succès pour des raisons évidentes de facilités d’octroi
et d’utilisation8.
Le principe est simple : le consommateur se voit remettre une carte de paiement9 - le plus
souvent par l’intermédiaire d’une grande surface ou d’une société de vente par correspondance
qui intervient pour le compte d’un prêteur non bancaire – et peut, à l’aide de cette carte, puiser
à sa guise et pour une durée illimitée dans le temps, dans une réserve plafonnée à un montant
variant le plus souvent entre 500 et 5.000 euros.
L’emprunteur se voit imposer une seule contrainte soit le remboursement mensuel d’une
somme limitée le plus souvent à 5 % de la ligne de crédit ou du solde restant dû.
Dès réapprovisionnement de sa ligne de crédit, le consommateur puisera à nouveau à sa guise
dans cette réserve, sans que la moindre démarche auprès du prêteur - rébarbative - mais
pourtant fort utile en terme de prise de conscience - ne soit nécessaire.
Mais vous l’aurez compris, il existe plus d’une ombre au tableau des ouvertures de crédit.
Tout d’abord, notons que l’ouverture de crédit avec carte de paiement (soit la forme la plus
appréciée par les consommateurs et donc la plus courante) est assortie d’un taux d’intérêt de
19 % ou 16 % l’an selon que le montant mis à disposition de l’emprunteur est inférieur ou
supérieur à 1.250 euros.
Ainsi, ils ne sont pas rares les consommateurs qui paient à crédit des biens de première
nécessité (nourriture, vêtements…) à un taux de 19 % l’an « grâce » aux cartes privatives
délivrées par les grandes surfaces.
Qui plus est, seule l’ouverture de crédit continue à progresser en terme de défaillances, les
autres formes de crédits prenant tout doucement le chemin de la « rédemption ».
Les causes de cette progression sont, à notre sens, multiples :
Tout d’abord, il apparaît que la situation d’un consommateur peut connaître de profonds
changements entre le moment où il se voit octroyer une ouverture de crédit et le moment où il
en fera usage10. Ainsi, même si l’analyse de sa solvabilité et de ses capacités de
remboursement est valablement réalisée par le prêteur ou son intermédiaire au moment de
l’octroi, rien ne permet d’affirmer que l’usage qu’en fera le consommateur ultérieurement sera
adéquat et opportun.
Ensuite, la grande liberté laissée au consommateur en terme de remboursements se révèle
dangereuse … à tout le moins pour les emprunteurs maîtrisant peu ou difficilement la gestion
de leur budget et qui tôt ou tard risquent de se faire rattraper par les sommes conséquentes
dues à titre d’intérêts.
8
L’ouverture de crédit représente pas moins de 63 % du marché belge du crédit à la consommation et 66 % de ces
ouvertures de crédit ont été conclues entre un consommateur et un prêteur non bancaire.
9
L’ouverture de crédit avec carte de légitimation étant plus appréciée des consommateurs que l’ouverture de crédit
sans carte.
10
On pense aux accidents de la vie tels que : perte d’emploi, séparation, divorce, incapacité de travail prolongée …
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Et d’ajouter que la possibilité laissée au consommateur de puiser à nouveau dans la réserve
dès remboursement des sommes empruntées, est la porte ouverte vers l’endettement à
perpétuité.
Persuadés qu’il serait bon de mettre fin ou du moins de limiter ces contrats dits « contrats
revolving ou réutilisables », les organisations de défense des intérêts des consommateurs ont
plaidé pour la mise sur pieds dans la législation sur le crédit, de garde-fous contre l’endettement
à perpétuité.
C’est ainsi qu’est apparu en janvier 2004 le délai de zérotage, soit l'obligation pour le prêteur
d'indiquer dans le contrat de crédit le délai endéans lequel le montant total emprunté doit être
remboursé par le consommateur. Ce délai de zérotage vise donc à remettre les compteurs à
zéro à l'échéance d'un certain délai.
Mais il est à déplorer que cette obligation ne concerne que les contrats de crédit à durée
indéterminée ou à durée déterminée de plus de cinq ans qui ne prévoient aucun
remboursement périodique en capital.
Or, s'il est vrai que bon nombre des ouvertures de crédit proposées par le secteur de la grande
distribution et les sociétés de vente par correspondance sont à durée indéterminée, il est un fait
que la majorité d'entre elles prévoient un remboursement périodique en capital (si minime soitil).
Dès lors, dans la pratique, ces ouvertures de crédit échappent à l'obligation de zérotage ... et
c'est bien regrettable !
La mesure qui aurait dès lors pu se révéler une arme efficace en terme de lutte contre le
surendettement des ménages belges se voit détournée et n’atteint pas le but escompté !
A l’heure où nous écrivons ces quelques lignes, c’est un investissement conséquent en terme
d’information, d’éducation et de sensibilisation des publics cibles qui semble faire trop souvent
défaut dans la lutte contre le surendettement.
Et d’ajouter que parallèlement à ces campagnes orientées vers les publics cibles, un travail de
contrôle du respect de la législation applicable en matière de crédit par les prêteurs actifs sur le
marché du crédit, doit être mené avec toujours plus de rigueur, de fréquence et d’efficacité par
les autorités compétentes.
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