L`ETOILE-ABSINTHE - Société des Amis d`Alfred Jarry

Transcription

L`ETOILE-ABSINTHE - Société des Amis d`Alfred Jarry
Juin 1980
L'ETOILE-ABSINTHE
5~6éme Tournée
SOCIETE DES AMIS D'ALFRED J A R R Y
SOCIETE DES A M I S D'ALFRED
JARRY
8, boulevard J e a n n e d ' A r c
35000
RENNES
L'ETOILE - A B S I N T H E
5/6ème Tournée
J U I N 1980
EDITORIAL
«Quand on voit s o n d o u b l e on m e u r t » ,
écrit J a r r y d a n s César-Antéchrist.
Absinthe
n'hésite
pas
à
L 'Etoile-
prendre
des
risques et voit, a v e c la présente «tournée»,
naître s o n d o u b l e pour la deuxième fois,
espérant bien q u e ce n'est pas la s e c o n d e !
Il est vrai que le lecteur, lui,
s'étonner de ne pas voir double,
pourra
la pré-
sente livraison n'ayant, en effet, que peu
de
pages en
plus
de
notre
quatrième
n u m é r o . M a i s la richesse d ' u n e publication
ne provient-elle pas, d ' a b o r d , des d o c u ments et
textes inédits, n o m b r e u x ,
qui
l'ornent?
Q u e le lecteur, ce « c o c h o n de p a y a n t » ,
h u m e d o n c de s o n rose et noble groin les
inédits d ' A l f r e d Jarry qui e m b a u m e n t les
deux dossiers réunis ici autour de
Félix
Fénéon et de la B e l g i q u e !
Qu'en
sus
Faustroll
aide
chacun
à
g o û t e r , à leur juste valeur, la multiplicité
des signatures qui rehausse la
rubrique
« C o m p t e - r e n d u s » , celle-ci ayant en effet
bénéficié de notre récent appel aux collaborations ; et n o u s ne v o u d r i o n s pas terminer a u t r e m e n t q u ' e n le renouvelant...
H. B.
Sommaire
DOSSIER FENEON :
Henri B O R D I L L O N : A v a n t - d i r e
C o r r e s p o n d a n c e de J a r r y a v e c Fénéon
Entretien a v e c Pascal Pia sur Fénéon
Trois lettres de F. Fénéon à 0 . M i r b e a u
RICHE BELGIQUE
Philippe V A N D E N B R ΠC K : R i c h e B e l g i q u e
José P I E R R E : Le S y m b o l i s m e en B e l g i q u e
A l f r e d J A R R Y : Les M a r i o n n e t t e s
D o c u m e n t s divers : Lettre inédite de J a r r y à Fontainas C o m p t e - r e n d u de la c o n f é r e n c e , par 0 . M a u s - Les
Pouchinels.
ETUDES
Bernard H U E : L ' E m p i r e o t t o m a n d a n s Ubu
enchaîné,
ou l'Envers et l'Endroit
J e a n - P a u l G O U J O N : A l f r e d J a r r y , les S y m b o l i s t e s , et
la Mi-Carême
5
7
25
29
33
38
42
48
. 53
58
DOCUMENTS
Lettre inédite d ' A l f r e d J a r r y à Karl Boès
Le bois d u lion noir
63
63
M E N U S C O M P T E S ET P R O P O S R E N D U S
Brunella E R U L I : Italie : J a r r y au théâtre
Bernard L E D O Z E : Y o u b o u à L o n d r e s
69
75
79
S t a t u t s de la Société des A m i s d ' A l f r e d Jarry
81
DOSSIER FENEON
-
3 -
AVANT-LIRE
On ne connaît plus guère, aujourd'hui, l'œuvre de Félix
Fénéon, ni son importance pour la génération des jeunes
symbolistes, dont Jarry, qui le lisait et l'admirait, comme en
témoignent ses premières Minutes d'Art, où il le prend pour
modèle, tout autant qu'Aurier, et ses Visions actuelles et
futures.
Or Fénéon, qui eut le malheur de naître dans la triste Turin
le 29 juin 1861, «d'un père bourguignon et d'une mère
suisse», et — comme un malheur n'arrive jamais seul — celui
de mourir à Paris en 1944, fut de tous les combats
d'avant-garde, tant littéraires que picturaux ou politiques, de
1885 à la fin; et si l'on sait ce qu'un Jean Paulhan, par
exemple, lui doit, combien d'autres, qui ne le savent pas, lui
doivent plus encore!...
Sans doute la correspondance que nous avons réunie ici
va décevoir : c'est qu'elle concerne, le plus souvent, l'envoi
d'un texte pour la Revue Blanche, — que Jarry semble écrire,
toujours, à la dernière minute — et, à partir de 1902, des
besoins d'argent qui se font de plus en plus impérieux.
Certes, ce n'est probablement là que l'un des moindres
aspects des relations entre les deux hommes; mais cette
correspondance, pourtant, et telle qu'elle est, a le mérite de
mettre à nu, plus d'une fois, les mécanismes de la création
jarryque, en nous enseignant la Poésie d'une chronique et le
bon usage de la Lettre.
5
Il nous faut regretter, de ne pouvoir publier ici qu'une seule
lettre de Fénéon à Jarry (et une à Thadée Natanson, présente
dans cet ensemble parce qu'elle touche Jarry de très près);
espérons que la présente publication fera surgir les autres, et
l'intégral des lettres de Jarry qui ne sont encore connues que
fragmentairement.
Henri BORDILLON
Lettre 1
Paris, le 7 mars 1886
Mon cher Alfred Jarry,
Voudriez-vous m'envoyer, par retour du courrier le ou
les clichés de votre annonce du Perhindérion et de son texte?
Merci pour le premier numéro, que j'ai reçu il y a quelques
jours, et pour le César-Antéchrist. Pourquoi n'enverriez-vous
pas à la Revue Blanche un peu de copie, — choisissant,
peut-être, quelque chose que vous aimeriez beaucoup et qui
pourtant ne serait pas trop abstrus (la première fois!...)
Cordialités que je vous prie de vouloir bien agréer.
Félix Fénéon
Lettre 2
8 mars (1896).
Mon cher Félix Fénéon,
Je vous remercie très infiniment d'avoir bien voulu
penser à cette annonce. Voici les clichés et le texte : s'il est
un peu long, vous en couperez.
Je m'aperçois que je me suis permis de vous envoyer un
drame dont il manque un acte : ce me sera une occasion de
vous donner une Minutes sur des papiers plus ou moins
absurdes.
Tout à fait cordialement.
Lettre 3
15 mars (1896).
Mon cher Félix Fénéon,
Je me permets de vous envoyer une chose qui a été
écrite en vue de la Revue Blanche; mais si (pour des
raisons de longueur, obscénité ou obscurité), elle ne devait
point passer, ça ne ferait rien du tout et il faudra me le dire.
Maintenant, si cela passe, ça me fera beaucoup de plaisir. Je
vous enverrai aussi la Baleine.
Bien cordialement à vous.
Lettre 4
Lundi soir (fin août 1901 )
Jarry vient d'arriver fort heureusement dans l'admirable séjour de Mirbeau, lequel vous attend tous les deux au
plus tôt... Une rectification est à faire sur la copie... le bon
géant tueur de militaires est Pantagruel, au lieu de Gargantua.
Lettre 5
(24 avril 1902)
Mon cher ami,
Ma copie (Gestes — bibliogr. Vampires) part avec cette
lettre chez Lamy. Excusez du retard!
Ai écrit à Terrasse pour Parapluie.
Amitiés
A. Jarry
Lettre 6
(21 juillet 1902)
Mon cher ami,
J'ai raté pour mes Gestes le courrier du matin, mais ils
vont être terminés à temps pour le courrier de 3 h. cette
après-midi. Ils doivent vous arriver chez vous ce soir à 8 h.
Si vous avez le loisir de passer à La Revue avant votre
départ, je voudrais bien recevoir ici un exemplaire du dernier
numéro, celui où il y a l'article de Thadée Natanson sur le
Sacre.
Bien cordialement
A. Jarry
Lettre 7
(8 novembre 1902)
Mon cher ami,
J'ai tardé à vous envoyer ma copie, attendant la fin des
aventures de M. Vidal, dont je désire parler. J e pense que le
Geste vous parviendra chez vous avant ce soir (je le mettrai à
la poste vers 3 h.).
J'ai émargé chez M. Fasquelle sans difficulté.
Quant au numéro du premier novembre ce matin, dans
les mêmes conditions qu'à La Revue.
Bien cordialement
A . Jar-
Lettre 8
(décembre 1902)
Mon cher ami,
I0
Carte-lettre et «pneu» adressés par J a r r y à Félix Fénéon.
Voici le dernier Geste. Je pense que la fin de la revue ne
nous empêchera pas trop de nous revoir. J'ai dit à Mardrus
que vous vouliez bien que je le bibliographie. Mais avez-vous
des épreuves du tome ou dois-je lui en écrire? Et aussi, n'y
a-t-il pas de risque de double emploi avec Arnauld?
Si vous voulez bien, j'irai vous déranger brièvement pour
ces questions au Figaro demain vendredi. (Si épreuves il y a,
pourriez-vous me les confier momentanément?)
Votre
Alfred Jarry
Lettre 9
(décembre 1902)
Jarry, qui a omis de le faire la dernière fois qu'il l'a vu, le
remercie de son aimable annonce sur la Renaissance. Il lui
envoie la copie dernière bibliographique et espère qu'ils
auront d'autres occasions de se revoir en dehors de la revue.
Il souhaite que le Figaro lui laisse le temps de trouver
quelques besoins d'explorer /es rives et la surface du fleuve
qui jouxte mes demeures.
Lettre 10
(fin décembre 1902)
Mon cher ami,
Merci encore pour l'agréable soirée d'hier et pour la
complaisance avec laquelle — je dois vraiment en abuser! —
11
vous m'avez conférés les Théâtres. Cela me fait un grand
plaisir, mais il va sans dire que si André Picard s'en plaint, je
suis prêt à n'avoir été qu'un intérim. S'il n'y a pas
d'inconvénient, j'aime mieux faire cela que les Gestes, pour
la raison que je vous ai dite, et m'arrangerai pour voir les
pièces sans causer trop d'embarras.
Mes meilleures amitiés à votre famille et bien
cordialement vôtre.
P.S. — J'ai été si long sur les Nèfles parce que : 1°
c'était la seule pièce que j'eusse vue; 2° l'auteur était un de
mes amis et en outre la pièce surtout est vraiment drôle.
Lettre 11
(30 décembre 1902)
Mardi 3 heures.
Mon cher ami,
Dans les Théâtres que je vous ai envoyés, il y a une
phrase que je voudrais modifier, comptant sur votre
complaisance dont je continue à abuser sans vergogne. Je
parle de Jules et de l'usage de le traiter, militairement
par-dessous la jambe. Je me repens de cette phrase
(supposez que l'auteur soit... La Vallière). Voudrez-vous, si
vous y pensez, rétablir : le traiter, si nous osons ainsi dire,
de haut en bas, au lieu de par-dessous la jambe, sans
capitales, malgré ce soulignement!
Merci d'avance, comme toujours!
Vôtre...
P. S. — M. Gavard se complaint après la pige. Deuxième
abus de complaisance de ma part! Mais ce n'urge point
avant samedi.
12
Lettre 12
(fin décembre 1902)
Mon cher ami,
Voici le paragraphe. J'ai ajouté, croyant bien faire, une
pièce, Théroigne.
Ce mode d'appréciation des pièces paraît le meilleur,
épargnant un temps précieux et étant le seul qui garantisse
l'absolue impartialité. J e vous rappelle mon obsession : que
l'imprimeur rétablisse dans Jules : de haut en bas au lieu de
par dessous, e t c . .
1° Pardon. 2° Merci. 3° Bien cordialement vôtre.
Lettre 13
(2 janvier 1903)
Mon cher ami,
Je vous souhaite un excellent 1903. Quant à moi
j'inaugure l'an nouveau par une espèce d'influenza, depuis
mardi. J e pense que cette calamité ne se prolongera pas et
qu'il me sera possible de faire une visite à votre famille un de
ces jours dans l'après-midi. J e n'ai voulu confier à la poste
quelques envois, non précieux d'ailleurs.
Votre
Alfred Jarry
Lettre 14
Mardi soir (6 janvier 1903), 8 h. 1/2.
13
Mon cher ami,
J e vous enverrai les Théâtres — avec quelques lignes
d'enclave gesticulante — demain dans la journée. (Bien
entendu, ça ne compte que comme Théâtres.)
Merci — comme toujours. J'attendais trois choses pour
répondre à la Renaissance latine : 1° d'être sur pied, car on
ne sait jamais...; 2° d'avoir acquis du papier représentant un
lis dans une sombre vallée, ceci à titre de jubilation puérile et
personnelle; 3° votre lettre.
Comme curiosité, je vous communique pour votre
distraction particulière, l'épître à Binet-Valmer.
Mon cher ami, je vous remercie de m'avoir permis de me
documenter sur ce phénomène qu'il ne m'avait point été
donné, jusqu'à ce jour, d'observer, le retour d'un manuscrit.
N'ayez point de regrets et l'affaire a d'ailleurs peu
d'importance. Mais si les princes ne considèrent plus avec
un respect suffisamment ébloui nos œuvres complètes...
quo vadimus?
Croyez-moi, mon cher, votre dévoué, e t c . .
Quant au manuscrit en litige, ce jour des rois, 6 janvier,
il est à la Plume et s'imprime.
Mille amitiés à vous et à tous.
Lettre 15
(9 (?) janvier 1903)
Vendredi matin 11 h
Mon cher ami,
Je continue mes exigences. Nous vîmes ce matin M.
Gavard, chez Fasquelle, et nous serions fort désireux de
pouvoir, demain samedi, lui faire rendre gorge quant aux
bibliographies (les Gestes sont perçus). Le réveillon et ses
14
débauches nous contraignent à ces nécessités : me
feriez-vous parvenir un mot qui serait ma pige individuelle,
ou en favoriser ledit Gavard? Celui-ci exige une telle
formalité.
Votre
Alfred Jarry
Nos deux télégrammes se sont croisés.
Ma copie a dû parvenir très tôt, mais elle est peut-être
un peu courte?
Lettre 16
11 février 1903.
Mon cher ami,
J e viens de mettre mes épreuves à la poste, mais j'ai
oublié un mot additionnel (il ne sera pas dit que je ne vous
aurai pas tourmenté jusqu'à la fin!) : je me suis permis
d'ajouter quelques lignes dans le compte rendu de la pièce
de Terrasse. Dans ces lignes, j'ai, je crois, cette phrase, que
maintenant le prince de Coma... est revêtu d'un mirifique
costume doré, qui, etc.. Seriez-vous assez bon pour rétablir
revêtu d'un mirifique costume doré, Kurde pour le moins,
etc...
Le costume de la pièce est, en effet, assez exotique
pour être dit kurde, mais en outre, j'ai appris, hier, que mon
Bibescul est d'origine kurde, ou si l'on veut bibeskurde. Je
sais que vous ne me refuserez point cette satisfaction
pacifique.
N'imprimez tout de même point bibeskurde : ce serait
peut-être englober d'autres bibescul plus dignes d'intérêt.
Merci encore.
Vôtre
15
Lettre 17
Samedi 28 ( février 1903), 11 h. du matin.
Mon cher ami,
Je viens d'arracher l'or des Théâtres à M. Gavard ou,
pour mieux dire, il me l'a spontanément présenté. Mais il m'a
informé d'un détail qui n'a plus d'urgence pour moi (m'ayant
réservé que les bibliographies), mais qui pourra, quant à la
pige, obliger Fagus ou d'autres; j'avais mal compris, l'autre
jour, votre feuille est allée au bureau de Fasquelle,
vraisemblablement, parce qu'elle était adressée : Maison
Fasquelle, sans sous-titre. M. Gavard insinue qu'en
précisant Maison Fasquelle, comptabilité, ce précieux papier
parviendrait tout droit à lui.
Gavard, le seul, paraît-il, qui en ait charge, sauf le cas de
correspondance jointe à la pige et intéressant Fasquelle,
alors que la semaine dernière, il séjourna des temps
considérables sur le bureau de M. Fasquelle, jusqu'à ma
réquisition impérieuse...
J e travaille et instrumente. J e vous dirai exactement, le
5, si j'ai quelque chose de prêt : ou la nouvelle faisant un
tout empruntée au roman, ou les vers. Plus vraisemblablement, je vous donnerai même cette copie le 5... et je
tâcherai en outre, sinon d'aller aux théâtres, au moins de les
lire en des journaux...
Donc, à bientôt, au Figaro.
Bien amicalement...
Lettre 18
19 mars 1903
Mon cher ami,
I6
Félix Fénéon v u par T o u l o u s e - L a u t r e c (à
g a u c h e ) , Paul S l g n a c (en haut à droite) et
Félix V a l l o t o n (en bas à droite).
J'ai eu, hier, chez l'imprimeur, les épreuves : il y a
infiniment peu de coquilles, ce qui est étonnant, et autant
que j'ai pu mesurer, cela n'atteindra pas vingt huit pages —
quand le 9 de la liste, etc., sera composé.
Il paraît qu'en vous donnant la copie de Demolder, j'ai
pris l'une pour l'autre et que lui tiendrait davantage
précisément à la partie qui n'a pas été gardée... Je vous
l'apporterai avec mes épreuves. Il part à Bruxelles demain —
son père est malade — et ne rentrera que dans un mois. Le
manuscrit de la Bataille et les épreuves corrigées vous seront
apportés très probablement demain vendredi soir, à 10
heures, au Figaro. Le reste, samedi.
Je crois que dans le dernier numéro, je ne vous
soumettrai que deux pages de vers : cela sera peut-être plus
pratique s'il est, comme il arrivera, sans doute, très
encombré.
Et après, je repartirai pour les pays du Barrage, où je
pense que vous ne tarderez point à paraître.
Mes amitiés en votre demeure, et bien cordialement.
Lettre 19
(30 mars 1903)
Mon cher ami,
Par une erreur postale sans doute, je n'ai reçu que ce
matin à 8 h. les épreuves. J e les réexpédie corrigées, par ce
courrier, au metteur en pages de la R.B., chez Lamy. Il y avait
force coquilles dans les admirables vers de Magre : // pour
Je tout le temps, sans doute de par mon écriture
défectueuse.
M. Gavard vient de me rendre gorge des Théâtres, avant
qu'ils soient imprimés. J e serais fort heureux si, mettant le
comble à vos complaisances, vous lui octroyiez fort
provisoirement la pige, m'y trouvant cupidement intéressé.
Bien amicalement
Alfred Jarry
Lettre 20
(9 avril 1903)
Mon cher ami,
Je ne vais pouvoir mettre mes Théâtres et le 1/4 de
page sur Nohain à la poste que ce soir, mais j'espère que ce
retard n'est pas fort grave. Comme vous me l'avez permis,
j'envoie cette copie directement à Lamy, pour qu'il l'ait
demain matin.
Je ne pars — définitivement — que samedi matin. Si
donc il y avait des épreuves de poèmes je pourrais encore les
avoir à Paris, peut-être, et vous les retourner fort vite par
pneumatique?
Bien amicalement
Alfred Jarry
Je reviendrai à Paris pour un jour vers le 15 ou 16 pour
conciliabule du Canard Sauvage. Peut-être aussi serai-je
informé par vous, à cet instant, si la Revue blanche est
décidément morte?
A.J.
Lettre 21
25 mai (1906)
18
Lettre inédite d ' A l f r e d Jarry à Félix Fénéon
(Collection Henri Bordillon)
L e t t r e i n é d i t e d ' A l f r e d J a r r y à Félix F é n é o n
(Collection Patrick Besnier)
L e t t r e i n é d i t e d ' A l f r e d J a r r y à Félix F é n é o n
(Collection H e n i Bordillon)
r
Lettre inédite d ' A l f r e d Jarry à Félix Fénéon
(Collection Henri Bordillon)
Mon cherThadée,
Vallette m'envoie, pour moi et les palotins amis, des
bulletins de souscription à un opuscule tiré à 110. Artifice
imaginé par lui et Demolder pour tirer d'affaire, dit-il, notre
père Ubu, qui est dans une situation
lamentable,
physiquement,
moralement, pécuniairement...
dans un
dénuement désastreux. J e pense qu'il peut vous plaire
d'avoir un bulletin : je le joins donc à ce mot. Entre autres
choses Vallette ajoute qu'il y a extrême urgence.
A vous, bien affectueusement
Félix Fénéon
J'écris la même chose à Alexandre
Lettre 22
13, rue Charles Landelle, 13
L A V A L (Mayenne)
8 juin 1906
Mon cher ami.
Je vous remercie infiniment d'avoir aidé Vallette pour la
souscription. Je vous fais mille excuses pour ne vous être
point allé voir depuis près d'un an. Quand le Père Ubu est
malade, ce qui ne lui arrive pas souvent, il se terre. J e suis
actuellement au vert, comme on dit, dans ma famille, en
Bretagne, et ne cours plus le plus petit danger. Le bruit a été
répandu, par une coquetterie inconsidérée de ma part, que le
Père Ubu buvait comme un templier. A vous je puis avouer
comme à un vieil ami qui fut si charmant au temps de la
Revue Blanche (et grâce à Vallette je n'ai rien à demander à
personne, ce que je n'ai jamais fait d'ailleurs), je puis
avouer... que j'avais un peu perdu l'habitude de manger et
19
que c'était ma seule maladie. Cet état... fâcheux a
commencé après le Pantagruel. J'ai été déçu et épuisé
depuis un an. Les collaborations ne me réussissent pas. La
Dragonne est un très gros livre. Il y en a le 1er chapitre — et
le plus vulgaire — dans Vers et prose. Le petit tourisme que
je viens de faire, sans blague, au-delà des portes de la mort,
m'a donné le chapitre final, j'en suis très content, mais on ne
fait pas deux fois cela dans sa vie. Vallette — et sans lui
j'étais perdu — m'a guéri de la maladie de Panurge :
Faulte d'argent, c'est douleur non pareille.
Voici donc le service que je vous demande, mon cher
ami : j'ai collaboré avec le docteur Saltas, qui est un sot, j'en
ai toutes les preuves, et qui, me sachant pourtant en très
grand danger (passé maintenant), me presse de finir la
Dragonne, pour avoir la joie de voir publiée la Papesse
Jeanne, traduite par nous ensemble du grec. Cet oriental (il
est grec d'origine) — vous pouvez en juger par Mardrus, est
insinuant, obstiné, arriviste et va embêter Fasquelle. Vous
êtes le seul homme à Paris à qui je peux demander — si vos
occupations du Matin vous en laissent le loisir — de parer le
coup. Il me faut le désavouer chez Fasquelle... qui aura
d'ailleurs la Dragonne à la fin du mois. Comment arranger
tout cela? Un conseil de vous me serait précieux... et une
lettre de vous — n'oublions pas que je garde la chambre
depuis trois semaines — serait un joujou — ou un joyau —
précieux pour un malade.
Amitiés à Mesdames Fénéon. Bien cordialement.
A. Jarry
'A)
Notes
LETTRE № 1
Publiée pour la première fois en fac simile par les Cahiers du Collège
Palaphysique,
№ 22/23 page 108.
de
LETTRE № 2
Publiée pour la première fois dans le № 23 des Soirées de Paris du 15 avril
1914, pages 204 et s q . (Les autres lettres à Fénéon publiées d a n s le m ê m e
n u m é r o s e r o n t , plus bas, indiquées : publiées d a n s S.P.) Les lettres № 2
et 3 ont été annotées par M i c h e l A r r i v é d a n s s o n édition de «La Pléiade».
Le texte d o n t il est ici q u e s t i o n est le suivant :
R E V U E D ' E S T A M P E S P A R A I S S A N T SIX FOIS D A N S L ' A N N É E , l(jQ, B O U ­
LEVARD
SAINT­GERMAIN, PARIS, RÉDIGÉE P A R A L F R E D
JARRY.
FASCICULES D E
PAGES IN­FOLIO C A V A L I E R A V E C DES TIRAGES
D E G R A N D E S P L A N C H E S D ' A L B E R T D U R E R E T U N T E X T E COMPOSÉ
A V E C DES CARACTÈ RES D U QUINZIEME SIÈ CLE. L E NUMÉRO : D E U X
FRANCS CINQUANTE. ABONNEMENT A N N U E L : DOUZE FRANCS.
21
LETTRE № 3
Publiée d a n s S . P .
LETTRE № 4
C a t a l o g u e 230 de la Librairie de l ' A b b a y e ( № 79 du catalogue). Les
indications étaient : L . A . S . à Félix Fénéon. S . D . 1 page in­8°.
La «rectification à faire», et qui a été faite dans le № de la Revue
Blanche
du 1er s e p t e m b r e 1901, c o n c e r n e le c o m p t e ­ r e n d u d'un roman de
M i r b e a u (Cf. Chandelle verle, page 600).
LETTRE № 5
Inédite. C o l l e c t i o n Patrick Besnier. Carte­lettre (11 x 14 cm) avec
m a r q u e s p o s t a l e s , adressée à Félix Fénéon, 36 rue D a m r é a u d , Paris.
Pour la b o n n e c o m p r é h e n s i o n de cette lettre, se reporter à la
Chandelle
verte, pp 622­623. Le n u m é r o de la Revue Blanche est celui du 1er mai
1902, et non du 1er s e p t e m b r e , c o m m e l'écrit f a u s s e m e n t M a u r i c e Saillet.
LETTRE № 6
Inédite. C o l l e c t i o n Patrick Besnier. Carte­lettre a v e c m a r q u e s postales,
adressée le 2 1 / 7 / 0 2 à 12 H de Corbeil à M o n s i e u r Félix Fénéon, 15 rue des
Grandes­Carrières, Paris.
LETTRE № 7
Inédite. C o l l e c t i o n Henri Bordillon. Carte­lettre avec m a r q u e s postales,
adressée le 8/11 /02 du Bureau de poste de la rue de R e n n e s , à M o n s i e u r
F. Fénéon, 15 rue des Grandes­Carrières. P o u r «le Geste» c o n c e r n é , voir
la Chandelle verte, pp. 235­237.
LETTRE № 8
Inédite. C o l l e c t i o n Patrick Besnier. Lettre s.l.n.d. Le «dernier Geste» parut
dans le № du 15/12/02 de la Revue. Blanche
(Cf. Chandelle
verte pp.
632­634).
Les allusions à M a r d r u s c o n c e r n e n t le c o m p t e ­ r e n d u du t o m e XII des
Mille et une Nuits (voir Chandelle verte, pp. 632­634).
I ETTRE № 9
F r a g m e n t s inédits. Lettre s.l.n.d. figurant dans une édition de 1911 du
Faustro/I, et v e n d u e par la Librairie de l ' A b b a y e , rue de S e i n e , Paris.
La date est peu aisée à établir ; sans doute s'agit­il de d é c e m b r e 1902, à
cause de la m e n t i o n de la Renaissance
Latine.
I E t T R E № 10
Publiée s.l.n.d. dans S . P . Jarry publie régulièrement des «Théâtres» à
partir du № du 1/1/03, suite aux p r o m e s s e s faites à B i n e t ­ V a l m e r ,
secrétaire de la Renaissance
Latine d'y publier, et là s e u l e m e n t , ses
c h r o n i q u e s U n e lettre inédite à Karl Boés, du 31 janvier 1903, éclaire
toute cette affaire. O n la trouvera dans la partie « D o c u m e n t s » .
22
Le p o s t ­ s c r i p t u m c o n c e r n e la pièce de: Karl R o s e n v a l (i.e. : B e r l h e
Danville : Jules ou les nèfles de l'Alaska.(Cl.
Chandelle verte, p. 640),
I ETIRE № 1 1
Publiée pour la première fois d a n s S . P . avec l'indication : papier à en­tête
du Mercure de France. La lettre a été publiée s.l.n.d. Le mardi peut être le
23 ou le 30 d é c e m b r e . La s e c o n d e date s e m b l e la plus probable.
L E T T R E № 12
Lettre s . l . n . d . publiée pour la première fois d a n s S . P .
Le p a r a g r a p h e a n n o n c é est sans d o u t e celui c o n c e r n a n t L'autre geste de
M a u r i c e D o n n a y (Chandelle verte, pp. 640­641 ).
Le texte publié par S . P . faisait suivre le texte de la lettre de deux
i n d i c a t i o n s : «Côté à lacérer/Côté à divulguer à l ' i m p r i m e u r » .
L E T T R E № 13
Lettre publiée pour la première fois en 1979, s.l.n.d., s o u s la f o r m e d ' u n e
carte postale tirée à 200 e x e m p l a i r e s n u m é r o t é s puis d a n s
l'Etoile­Absin­
the № 4, page 45.
Le mardi d o n t il est q u e s t i o n est le 30 d é c e m b r e 1902.
L E T T R E № 14
Publiée pour la première fois d a n s S . P . a v e c l'indication : le papier est
orné d ' u n lys.
L E T T R E № 15
Inédite. C o l l e c t i o n Henri B o r d i l l o n . La date est incertaine. La lettre porte
en filigrane un lion qui s e m b l e bien avoir servi de modèle au bois gravé
a n o n y m e qui c o n c l u e le Louis XI, curieux homme de Paul Fort (Voir d a n s
la partie « D o c u m e n t s » ; Un bois inconnu de Jarry.)
L E T T R E № 16
Publiée pour la première fois d a n s S . P .
V o i r Chandelle verte, p p . 650­652.
L E T T R E № 17
Publiée pour la première fois d a n s S . P .
Les p r o p o s i t i o n s de textes sont La Bataille deMorsang(parue
dans le №
236 du 1er avril 1903 de la R.B. et les p o è m e s : Bardes et cordes et le
chaînier, parus d a n s le dernier n u m é r o de la R.B.
L E T T R E № 18
Publiée pour la première fois d a n s S . P .
L E T T R E № 19
Inédite. C o l l e c t i o n Henri B o r d i l l o n . Carte­iettre aux m a r q u e s p o s t a l e s .
A l l u s i o n au c o m p t e ­ r e n d u du Denier
du Rêve,
de M a u r i c e M a g r e (Cf.
23
Chandelle
verte pp. 672­673)
LETTRE № 2 0
Inédite. C o l l e c t i o n Henri B o r d i l l o n . Carte­lettre aux marques postales. Le
quart de page a n n o n c é ne figure pas d a n s le dernier n u m é r o de la Revue
Blanche du 15 avril 1903.
La première c o l l a b o r a t i o n de Jarry au Canard Sauvage,
dirigé par
C h a r l e s ­ L o u i s P h i l i p p e , fut publiée d a n s le № du 21­28 mars 1903.
LETTRE № 2 1
Lettre inédite, c r o y o n s ­ n o u s , de Félix Fénéon à Thadée N a t a n s o n . Le
texte est établi à partir d ' u n cliché du d o c u m e n t original, qui a figuré d a n s
la c o l l e c t i o n de M a d a m e Kapferer.
L ' o p u s c u l e est le Moutardier
LETTRE
du pape, qui ne paraîtra q u ' e n 1907.
№22
Lettre publiée f r a g m e n t a i r e m e n t en fac simile d a n s Jarry, poète
d'aujour­
d'hui ( S e g h e r s , 1951 ) puis, in e x t e n s o , et partiellement en fac simile, d a n s
le № 26/27 d e s Cahiers du Collège de
Pataphysique.
'/A
E N T R E T I E N A V E C P A S C A L PIA
S U R FELIX F E N E O N
J e a n - P a u l G O U J O N - Q u a n d v o u s avez c o n n u Fénéon, était-il déjà à la
Galerie B e r n h e i m ?
Pascal P I A - O u i . C'était lui qui tenait la galerie une g r a n d e partie de la
j o u r n é e . J e parle de la galerie B e r n h e i m jeune, située place de la
M a d e l e i n e , où est M a d e l i o s a u j o u r d ' h u i . Cette galerie avait une petite
publication destinée aux c o l l e c t i o n n e u r s de tableaux qui s'appelait le
Bulletin d'Avertissements,
et qui était e n t i è r e m e n t rédigé par Fénéon et
Tabarant.
Fénéon a q u i t t é la galerie vers 1925, q u a n d elle s'est transférée rue du
F a u b o u r g S t - H o n o r é . C h e z B e r n h e i m , il était à la fois m a r c h a n d et — en
partie — a c h e t e u r : q u a n d des peintres essayaient de v e n d r e q u e l q u e
c h o s e , ils c o m m e n ç a i e n t par faire le siège de Fénéon...
J P G : Etait-il p r o d i q u e de ses s o u v e n i r s littéraires ?
P P : O n p o u v a i t bien sûr le faire parler, mais il ne cherchait pas à les étaler.
Ce n'était pas s o n genre... Et q u a n t à s o n activité littéraire, en fait il ne se
c o n s a c r a i t alors à rien. Il vivait de ses négoces de tableaux. Il demeurait à
M o n t m a r t r e , derrière le cimetière, rue Eugène-Carrière. Il avait d e s côtés
assez drôles... Il avait d û non pas se brouiller a v e c les B e r n h e i m , q u a n d il
les a q u i t t é s , mais il devait p r o b a b l e m e n t leur reprocher q u e l q u e c h o s e
(ou eux lui reprocher q u e l q u e c h o s e ) . Et je sais q u ' u n jour qu'il n'était déjà
plus c h e z e u x , ils ont acheté, après la mort de Loutreuil, une toile de
Loutreuil que Fénéon aurait bien v o u l u avoir. Et Fénéon l'a fait acheter
par un ami c o m m u n , qui s'appelait Espinas, parce qu'il ne voulait pas que
les B e r n h e i m s a c h e n t q u e c'était lui qui l'avait payée ce prix-là. Les
B e r n h e i m lui auraient c e r t a i n e m e n t fait un prix plus a v a n t a g e u x , mais il ne
voufait rien leur devoir. Il préférait payer plus cher.
J - P G : Q u e sont d e v e n u s ses papiers et ses c o l l e c t i o n s ?
P . P . : Il est mort vers la fin de l ' o c c u p a t i o n , p e n d a n t la guerre, et tout cela
est allé à sa v e u v e , qui n'a pas v é c u très l o n g t e m p s après lui, un o u deux
ans peut-être. Des papiers, il n'y en avait, je c r o i s , pas b e a u c o u p , mais il y
avait s u r t o u t des t a b l e a u x . Il y a eu des v e n t e s qui ont servi, selon ses
i n s t r u c t i o n s , à faire un prix Fénéon, q u e d o n n e l'Université de Paris à un
jeune peintre et à un jeune p o è t e . Et e n c o r e , tout n'a pas été v e n d u , car
F a n n y F é n é o n , suivant les instructions de s o n mari, a fait un certain
n o m b r e de legs. C'est ainsi q u ' A l i c e S i g n a c a eu des Seurat et qu'elle en a
d o n n é un à P o n g e par t e s t a m e n t .
J P G : Fénéon n'en avait-il pas légué aux Musées N a t i o n a u x ?
25
P . P . : IL a d û leur en léguer q u e l q u e s uns. M a i s au départ (et cela est
assez drôle), vingt o u trente ans plus t ô t , Fénéon avait fait un t e s t a m e n t
en faveur du Musée de M o s c o u . . . Il voulait que ce qu'il possédait aille à
un état socialiste. Et puis, après les histoires de T r o t s k i , il a été
a b s o l u m e n t d é g o û t é du stalinisme et il a annulé son testament. Ensuite, il
a refait c e t e s t a m e n t qui prévoyait des v e n t e s de tableaux et un prix
Fénéon. M a i s à l'époque — d i s o n s vers 1920 — il avait c r u , c o m m e
b e a u c o u p de g e n s , d a n s un état socialiste libertaire...
J P G : Avait-il fait de l'action politique?
P . P . : N o n , mais en 1894 il avait collaboré à des journaux a n a r c h i s t e s , d ' o ù
son i n c u l p a t i o n d a n s le procès d e s Trente.
J P G : N e l'avait-on pas alors inculpé pour un autre motif ?
P . P . : O h , il avait alors abrité des anars. A u x termes de la loi, il aurait
é v i d e m m e n t pu être inculpé pour recel de malfaiteurs, mais cela n'allait
pas plus loin...
26
L E T T R E S I NEDI TES DE FELI X F E N E O N
A O C T A V E MI R B E A U
I
(1893?)
Samedi
Cher Monsieur,
J ' a i bien reçu v o s d e u x lettres pour la rue L e c o u r b e et votre lettre pour
la guerre. M o n adresse est m a i n t e n a n t soit Guerre soit 78 rue L e p i c .
Q u e je v o u s remercie d o n c de tant d ' e m p r e s s e m e n t à favoriser le projet
Cohen.
C o h e n a été, le jour dit, c h e z S i m o n d , qui a p r o n o n c é des paroles
v a g u e s , et l'a invité à formuler, séance tenante, dans une lettre, sa
p r o p o s i t i o n de c o l l a b o r a t i o n — C e q u e fit notre c a n d i d a t . «Je verrai, je
v o u s écrirai» a ajouté S i m o n d .
U n participe passé! était mal accordé, ai­je c o n s t a t é q u a n d C o h e n a
r e c o n s t i t u é pour moi sa lettre à S i m o n d . Cela aurait­il c h o q u é celui­ci?
Q u o i qu'il en soit nulle réponse n'est v e n u e . N o u s l'attendions et c ' e s t c e
qui a retardé ce c o m p t e ­ r e n d u des opérations. N o u s a v o n s eu le tort de
ne pas v o u s écrire tout de suite. Veuillez n o u s pardonner. N o u s s o m m e s
très t o u c h é s de votre c o n c o u r s si obligeant.
Y a­t­il e n c o r e q u e l q u e c h o s e à faire?
En m ê m e t e m p s que le № 78 de Y En­dehors,
v o u s recevrez un
e x e m p l a i r e d u № qui c o n t e n a i t votre article, un exemplaire sur lequel j'ai
t a m p o n n é un bois de C h a r l e s M a u r i n .
Très cordialement
27
Il
(Lettre à en-tête de La Revue
Blanche)
10janvier 1895
M o n cher a m i ,
Q u e je v o u s dise que d e p u i s ce matin je suis le secrétaire de la rédaction
de La Revue Blanche : et déjà v o u s ne v o u s étonnez plus q u e je v o u s
mette à c o n t r i b u t i o n . Cette revue paraîtra deux fois par mois à partir de
février, mais sur 50 p a g e s s e u l e m e n t et non plus 100. A r t i c l e s plus c o u r t s
(3 ou 4 p a g e s ) , ton plus vif, plus de s o u c i de l'actualité, etc.
Depuis l o n g t e m p s M M . N a t a n s o n , q u i , c o m m e v o u s le savez, dirigent
La Revue Blanche, désiraient votre c o n c o u r s . J e leur ai dit que d a n s un
récent v o y a g e à L o n d r e s v o u s aviez étudié q u e l q u e s préraphaélites, et
n o t a m m e n t B u r n e - J o n e s et Rossetti en v u e d'articles que v o u s publierez
dans Pall Mail Gazette. Ne c o n s e n t i r i e z - v o u s pas à publier des articles sur
ce sujet — et plus généralement sur l'art anglais — d a n s la R.B. ? V o u s
pensez si je serais heureux que votre entrée d a n s la Revue
Blanche
coïncidât a v e c la m i e n n e .
M e s r e s p e c t u e u x h o m m a g e s , je v o u s prie, à M a d a m e M i r b e a u .
Bien cordialement v ô t r e
Félix Fénéon
III
(Carte-lettre à en-tête de la Revue
Blanche)
6 M a i 1896
M o n cher M i r b e a u ,
A c c o m p a g n a n t un article d ' A d a m , il y aura, d a n s le n u m é r o
imminent de la Revue Blanche, votre portrait et c e u x de C l e m e n c e a u ,
Mendès, Baùer, Zola et Lorrain — par Félix V a l l o t o n , 11 rue J a c o b . Paris,
à qui je v o u s serais obligé d ' e n v c o y e r une p h o t o g r a p h i e ou un autre
portrait de v o u s dès réception de cette lettre. — M e r c i .
V o t r e fidèle
Félix Fénéon
( B . N . ; M s . , N A F r . 14687, f°s 69-73)
28
N O T E R E L A TI V E A L A P R E MI E R E L E T T R E :
Félix Fénéon, qui y était entré en 1881, quitta en 1894 le Ministère de la
Guerre, à la suite lors du procès dit «des Trente». I l habita rue Lepic
j u s q u ' a u 1 0 avril 1894.
«Le projet Cohen» est sans d o u t e lié à la traduction par A l e x a n d r e
C o h e n d'Ames Solitaires de Gerhart H a u p t m a n n , pièce représentée au
Théâtre de l'Œuvre le 13 d é c e m b r e 1893 (Cf. E.­A. № 4 , pages 11 et 21)
Quant au titre de la revue, difficile à lire sur le manuscrit, il s'agit
p r o b a b l e m e n t de Y En­dehors, de Charles G a l l a n d , dit Zo d ' A x a , qui f o n d a
cette revue en mai 1891, et dont le n u m é r o de février 1893 contient Lin
bois de C h a r l e s M a u r i n .
29
RICHE BELGIQUE
Si
RICHE B E L GI Q U E
Il y a, d i s o n s ­ l e d ' e m b l é e , q u e l q u e irritation, q u e l q u e a g a c e m e n t aussi,
où perce volontiers la v e x a t i o n , à traiter d e s liens, personnels ou
littéraires, qui unirent J a r r y à la B e l g i q u e . D u tissu de c e s relations,
c o n s c i e n c i e u s e m e n t éraillé par le t e m p s , ne subsistent en effet, pour le
m o m e n t en tout c a s , q u e la trame laissée par de m e n u s textes et
d o c u m e n t s . T r a m e grossière et élimée, sans d o u t e , mais pas assez pour
que n o u s a b d i q u i o n s nos prétentions à retracer.
Le premier, à notre c o n n a i s s a n c e , des enfants du limon que f r é q u e n t a
J a r r y , épistolairement du m o i n s , fut M a x Elskamp à qui il a d r e s s a , en
1894, un exemplaire des Minutes de sable mémorial fraîchement parues.
E l s k a m p , t o u c h é , retourna la politesse s o u s f o r m e des Salutations
dont
d'angé/iques,
a c c o m p a g n é e s d ' u n e lettre où fleurissent d e s c o m p l i m e n t s
qui s e m b l e n t autre c h o s e q u e d e s o r n e m e n t s du d i s c o u r s (1). L'année
s u i v a n t e , le B e l g e récidive a v e c En Symbole vers l'Apostolat.
Et Jarry
d ' a n n o n c e r , en manière de r e m e r c i e m e n t , d a n s une lettre du 16 avril 1895,
la seule adressée à E l s k a m p q u e n o u s possédons, et q u e n o u s d o n n o n s ici
en fac simi/e,
l'envoi p r o c h a i n du № 3 de VYmagier
en voie
d ' a c h è v e m e n t . M . Arrivé, glosant le mot p o u r r a pléiade, fait état de deux
autres lettres, q u ' o n aimerait lire, d ' E l s k a m p à J a r r y , qui laissent s u p p o s e r
une c o r r e s p o n d a n c e plus fournie entre les deux h o m m e s . De fait, le
manège c o n t i n u a , au m o i n s de la part de J a r r y q u i , g é n é r e u s e m e n t ,
dédicaça la plupart d e ses œuvres au poète a n v e r s o i s , d'Ubu Roi au
Moutardier
du pape. «Elskamp plut à J a r r y par la naïveté artisanale de s o n
travail g r a p h i q u e et de sa poésie — un peu f a u s s e m e n t populaire et
joliment p s e u d o ­ m o y e n â g e u s e » (2) Le j u g e m e n t est juste et il n'est pas
i n o p p o r t u n de rappeler q u ' E l s k a m p f i g u r é , en b o n n e p l a c e , d ' a b o r d pour
ses Salutations,
ensuite pour les plus récentes Enluminures,
d a n s la
précieuse bibliothèque, du D o c t e u r Faustroll, en c o m p a g n i e d'un autre
Belge : Emile V e r h a e r e n .
Cette présentation c o n s t i t u e en q u e l q u e sorte l'inventaire de notes
diverses, éparses, q u e n o u s prîmes sur le sujet. N o u s espérons les
c o m p l é t e r le jour o ù , grâce à Faustroll, n o u s mettrons une main ferme sur
les papiers d ' E u g è n e D e m o l d e r et les archives littéraires de la Libre
Esthétique, qui n o u s é c h a p p e n t e n c o r e .
33
C ' e s t en juin 1896 q u e J a r r y offre à V e r h a e r e n un e x e m p l a i r e à'Ubu
Roi
qui vient de sortir d e s presses du M e r c u r e . La réponse est p r o m p t e ,
nette... et e n t h o u s i a s t e , qui paraît d a n s L'Art Moderne d u 19 juillet. C e
c o m p t e - r e n d u , élégant et juste, est cité in extenso par Noël A r n a u d d a n s
sa b i o g r a p h i e jarryque, aux p a g e s 219-221, ce qui n o u s d i s p e n s e d ' e n dire
plus. J a r r y eut-il vent des bienveillantes réactions d e c e n o u v e a u
c o r y b a n t e d ' U b u ? Les marécages de l'ignorance o ù n o u s n o u s d é b a t t o n s
n o u s e m p ê c h e n t de f o r m u l e r une q u e l c o n q u e réponse à c e s inquiétudes
pourtant légitimes. T o u j o u r s est-il q u e le p o è t e d e s Campagnes
hallucinées
bénéficia l o n g t e m p s d u s e r v i c e de presse de J a r r y qui s ' e m p r e s s a d e le
ranger m é t i c u l e u s e m e n t e m m i ses auteurs pairs.
Des rapports p e r s o n n e l s qui unirent J a r r y et V e r h a e r e n n o u s i g n o r o n s
tout. A u c u n e c o r r e s p o n d a n c e , m ê m e a n o d i n e , n'a, j u s q u ' à présent, été
mise au jour et les seuls d o c u m e n t s q u e n o u s c o n s e r v o n s s o n t d e s
dédicaces.
Q u a n t à B e c k , le m o i n s q u ' o n puisse dire, c'est qu'après une brève
mais p r o f o n d e amitié parisienne (3), o ù d ' a u c u n s croient p o u v o i r
distinguer l'uranisme, J a r r y l'a c o p i e u s e m e n t assaisonné d e q u o l i b e t s
féroces, de g l a c e pilée et de c o u p s — de p o i n g s o u de feu — s e l o n d e s
s o u r c e s diverses et pas toujours p o t a b l e s , qui s o n t parfois d e s tinettes.
B e c k , plastron de l'hubris jarryque, s'enfuit de Paris e n mai 1897. N o u s ne
reviendrons pas sur cet épisode c o c a s s e a b o n d a m m e n t c o m m e n t é
ailleurs. Il reste q u e le statut de B o s s e - d e - N a g e , d a n s le Faustroll,
ne
laisse pas d'être a m b i g u . S'il a la mise un p e u ridicule et « d é g o û t a n t e » , si
le D o c t e u r l'étrangle de «la serre de s e s o n g l e s » , le c y n o p h a l e p a p i o n joue
d'évidence un rôle capital d a n s le périple faustrollien : assurer l'amarrage
de l'as et p o n c t u e r , littéralement, le d i s c o u r s d e s e s «ha Ha». Quelle fut la
c a u s e de cette brouille éclatante? O n n'est pas en m e s u r e d e le dire. M a i s ,
détail de taille, d a n s la livraison ô'Antée d u m o i s de mai 1907, d o n c bien
avant la lettre de Jarry à Rachilde , datée d u 14 a o û t , o ù J a r r y , « p o u r la
première fois», selon M . Saillet, «fait état d e cet o u v r a g e » (4).
C r o s s o p t y l o n - B e c k a n n o n c e la parution p r o c h a i n e de la Chandelle verte :
« A l f r e d J a r r y , c o m p l è t e m e n t rétabli d ' u n e assez
longue maladie, travaille à un r o m a n qui paraîtra
c h e z Fasquelle, à la s a i s o n p r o c h a i n e . Titre : La
Dragonne.
O n dit q u e c e livre, sauf c o m p l i c a t i o n s
d'ordre politique, pourrait bien remporter le prix
G o n c o u r t . D u m ê m e auteur v o n t paraître, très proc h a i n e m e n t , les Spéculations,
de cette série
d ' a d m i r a b l e s b o u t a d e s qu'il écrivit jadis p o u r la
Revue Blanche et qui firent l ' e n c h a n t e m e n t de tous
les artistes. C e n o u v e a u livre s'appellera la Chan
délie verte.
34
Beck «battu et c o n t e n t » , ou p l u t ô t Beck réconcilié (le ton de la note
autorise l'hypothèse) s e m b l e d o n c avoir p o u r s u i v i , j u s q u ' a u x derniers
jours, ses relations a v e c J a r r y .
A traiter des séjours de ce dernier en nos verts pâturages il eût fallu
évoquer la v a c a n c e étésienne de 1896, au c o u r s de laquelle le récent
auteur d'Ubu Roi g o û t a l'hospitalité de G u s t a v e K a h n en ses d e m e u r e s
littorales de K n o k k e - l e - Z o u t e . M a i s de cette pause solsticiale, o n ne sait
pas g r a n d c h o s e , c e qui é c o n o m i s e l'encre et le papier. Plus « i m p o r t a n t »
par ses multiples et p r o f o n d e s implications p a t a p h y s i q u e s , est l'équinoxe
vernal de 1902. La sève m o n t a n t , O c t a v e M a u s , directeur de la Libre
Esthétique,
épris de neuf en matière d'art et de littérature, décida
d'exhiber Jarry à la c a n t o n a d e h u p p é e de Bruxelles. J a r r y , a v e c jubilation,
répondit p o s i t i v e m e n t à cette sollicitation et a n n o n ç a , pour le 21 mars, sa
Conférence sur les pantins dont n o u s a v o n s maintenant, grâce au trèsméticuleux Thiéri Foule, le texte enfin exact et c o m p l e t «à une possible
lacune près» (5) Jarry n'ignorait pas ce q u e M a u s , et peut-être une infime
fraction de «connaisseurs», attendaient de lui. U n t é m o i n , L. D u m o n t W i l d e n , rapporte : « M e s d a m e s et M e s s i e u r s , dit-il, je sais bien q u e je suis
venu ici pour v o u s dire le m o t , mais le mot ne doit p a s s e dire, il doit se
gueuler» (6) Et J a r r y de gueuler. Le mot t o n n a , c o r u s c a n t . A p r è s q u o i ,
M a u s , D e m o l d e r , E e k h o u d , V o s s , Picard et d'autres lui offrirent un
banquet où il fut fait un usage généreux de breuvages f e r m e n t e s . J a r r y ,
dont la capacité n'est plus à dire, enterra les Belges de pourtant solide
réputation.
De cette brève trajectoire bruxelloise s u b s i s t e n t deux autres textes : un
c o m p t e - r e n d u de la neuvième e x p o s i t i o n de la Libre Esthétique,
paru
dans la Revue Blanche du 15 avril, et Les Pouchine/s, r é c e m m e n t remis en
lumière (7), où Jarry o b s e r v e et décrit a v e c sa p a t a p h y s i q u e minutie de
l ' e t h n o g r a p h e , les mœurs e x o t i q u e s des pantins de la capitale.
Egalement o b s e r v a t e u r du langage et de ses particularismes, le Breton
écrivit belge. Faut-il voir d a n s Jef des réminiscences de ce séjour à
Bruxelles ou le verbiage ridicule mais truculent de J e f est-il copié sur celui
du «Kapitaine» D e m o l d e r a v e c qui Jarry travailla d ' a b o n d a n c e d a n s les
dernières années de sa vie? N o u s ne s a v o n s . S a n s d o u t e , c o m m e
toujours, et p a t a p h y s i q u e m e n t , y a-t-iI des d e u x .
Des rapports entre J a r r y et la B e l g i q u e , on le voit, il reste b e a u c o u p à
découvrir et à expliquer. Puisse le peu de d o c u m e n t s ici colligés jeter
quelque lumière, — fût-elle tamisée par l'ombre de lacunes e n c o r e trop
n o m b r e u s e s , sur c e s relations qui laissèrent aux c o n t e m p o r a i n s maints
s t i g m a t e s , d o n t de p a t a p h y s i q u e s .
Philippe V A N D E N BRŒCK
36
Notes
(1) . V . cette lettre d a n s le № 22­23 des Cahiers
sique, p. 27.
du Collège de ' P a t a p h y ­
(2) . Cf. Cahier du Collège d e ' P a t a p h y s l q u e , № 10, p. 17.
(3) . On r e c h e r c h e e n c o r e un e x p l . sur H o l l a n d e d'Ubu Roi, dédicacé A M.
Christian Beck, en toute sympathie littéraire, 14 octobre 1896.
(4) . Cf. La Chandelle
verte, p. 25.
(5) . Cf. A . J a r r y , Les Pouchinels suivi de la Conférence sur les Pantins en
partie inédite, I nstitut L i m b o u r g e o i s de H a u t e s Etudes P a t a p h y s i q u e s , 107
E.P. (1979 vulg.)
(6) . L. D u m o n t ­ W i l d e n : Souvenirs
du Père Ubu, «Le Soir», 10 nov. 1937.
(7) . Cf. la note 5.
37
Le S y m b o l i s m e en B e l g i q u e
«En B e l g i q u e , pas d ' A r t ; l'Art s'est retiré du pays». « A u t a n t que
possible, pas de poètes, ou très peu de poètes». «Haine de la beauté, pour
faire p e n d a n t à la haine de l'esprit)). «Ici, il y a des femelles. Il n'y a pas de
femmes)). «La verdure noire». «L'animal lui-même fuit c e s contrées
maudites...». A u plan spirituel, on ne peut faire que ce qui a été dit soit
c o m m e ce qui n'a pas été dit, que ce qui a été écrit soit c o m m e ce qui n'a
pas été écrit, pour peu q u e parole et écriture soient proférées par qui sait
ce que parler et écrire veulent dire, à plus forte raison si celui-là (ici,
Baudelaire, en ses brouillons rageurs de Pauvre Belgique) exerce sur le
parler et sur l'écrire un magistère s u f f o q u a n t . J e veux dire qu'il importe
assez peu de savoir les raisons, et si Baudelaire avait raison contre la
Belgique (ou la B e l g i q u e contre lui), q u e ce que je v o u d r a i s considérer
c'est q u e rien ne peut faire q u e Baudelaire n'ait f u l m i n é (du m ê m e ton en
s o m m e q u e s o n ultime « C r é n o m l » ) les «fusées» terrifiantes et humiliantes
de Pauvre Belgique et que si ce sont là pour le g é o g r a p h e , l'historien, le
s o c i o l o g u e et l'ethnographe c h o s e s nulles et non a v e n u e s (pour le
linguiste, je ne sais pas), pour le poète et pour l'artiste ce sont c h o s e s bel
et bien a v e n u e s , puisqu'ils sont g e n s pour qui (les seuls, peut-être) ce qui
a été écrit, ou peint, ou sculpté, ou m u s i q u e , voire bâti, acquiert une
pertinence au m o i n s égale à ce qui n'a pas besoin pour exister d'en passer
par l'écriture, la peinture, la s c u l p t u r e , la m u s i q u e , l'architecture.
Rien ne peut-faire d o n c , à m o n s e n s , que les poètes et les artistes
belges n'aient reçu de Baudelaire cette révélation particulièrement
délétère (car q u ' o n le veuille ou n o n , et q u a n d bien m ê m e on serait à
c o u t e a u x tirés a v e c sa propre patrie, on ne peut pas rester indifférent à sa
nature, par un sorte de relation œdipienne, aussi) qu'ils étaient nés et
qu'ils vivaient d a n s un pays f o n c i è r e m e n t et a b s o l u m e n t
apoétique,
puisque à la fois la nature et la civilisation s'y montrent dégradées au
point que l'on y crève les yeux des p i n s o n s et des poètes et que les
artistes s'y c o m p l a i s e n t à des «sujets ignobles, pisseurs, chieurs et
v o m i s s e u r s » . J e prétends que pour eux, poètes et peintres de B e l g i q u e ,
cette révélation f u l m i n é e par Baudelaire à leur intention (car pour les
autres elle n'était qu'injurieuse, c'est-à-dire d é p o u r v u e de sens p r o f o n d
parce q u e ne manifestant q u ' u n e différence de point de vue) fut non
s e u l e m e n t délétère mais révolutionnaire parce qu'elle les contraignit à
prendre p o s i t i o n , non pas e n c o r e une fois pour ou contre Baudelaire et
ses o p i n i o n s t o u c h a n t à leur pays, mais au niveau de leur raison d'être :
poètes et artistes d a n s un c o n t e x t e où art et poésie étaient dits inviables.
38
Baudelaire en q u e l q u e sorte les p o u s s a à faire que la poésie et l'art soient
désormais possibles en un lieu, la B e l g i q u e , où il avait décrété (ou
c o n s t a t é , c'est tout un) qu'ils n'existaient pas. C e qui revient à c e c i :
Baudelaire, en décrétant le caracère apoétique de la B e l g i q u e , a inventé la
poésie et l'art belges tels q u e le S y m b o l i s m e et le Surréalisme allaient les
reconnaître.
Riche B e l g i q u e ! Si partout le S y m b o l i s m e apparut revanche sur le
sordide du spirituel, sur le matériel de l'immatériel, c o m b i e n à plus forte
raison en B e l g i q u e si l'on a d m e t que poètes et peintres, serait-ce sans
l'avouer, y prirent pour argent c o m p t a n t la parole de Baudelaire. Or la
Belgique est peut-être, du S y m b o l i s m e , le foyer le plus ardent, celui où la
spiritualité crépite le mieux d a n s l'âtre, q u ' a l i m e n t e n t en étincelles une
foule de poètes (desquels l'un d e s d e u x ou trois «phares» du M o u v e m e n t
non p a s , c o m m e le crut S t e f a n Z w e i g , V e r h a e r e n , une casserole attachée
à sa q u e u e , mais le m a g e des Serres chaudes, Maeterlinck) et une non
m o i n s g r a n d e de peintres, q u ' a v e c un plaisir pervers je vois envahir a u j o u r d ' h u i les serres froides du G r a n d Palais, de l'autre c ô t é de l'avenue
A l e x a n d r e III, les Préraphaélites leur a d r e s s a n t des s i g n e s de c o n n i v e n c e
(1 ). Si l'on e x c e p t e d ' u n e part les seuls qu'ait c o n n u s Baudelaire («Wiertz,
c h a r l a t a n . Idiot, v o l e u r » . «Wiertz, le peintre p h i l o s o p h e littérateur. Billevesées m o d e r n e s . Le Christ des humanitaires». «Il ne sait pas dessiner et
sa bêtise est aussi g r a n d e q u e ses colosses» et : «Pas d'artistes, e x c e p t é
Rops») q u i , pas plus q u ' H e n r i de G r o u x , ne sont vraiment à mettre au:rang
des S y m b o l i s t e s ; d'autre part c e u x , par trop t o r t u r é s , qui ont à faire à se
s a u v e g a r d e r des o b s e s s i o n s effroyables (Mais Emile Fabry vécut 101 a n s !
Q u a n t a Léon Spilliaert, il est un très prenant M ü n c h des Flandres) ; tous
sans e x c e p t i o n se v o u e n t à sublimer la q u o t i d i e n n e t é belges : f e m m e s ,
enfants, p a y s a g e s , intérieurs (au d o u b l e s e n s du terme).
«Des y e u x i n c o l o r e s et s a n s regard» disait, de la f e m m e belge,
Baudelaire. A v e c F e r n a n d K h n o p f f , noble entre tous les peintres
s y m b o l i s t e s , le regard f é m i n i n devient le plus lancinant des défis en m ê m e
temps q u e le plus glacial des interdits : regard, d'ailleurs, de sa sœur
M a r g u e r i t e , d r a g o n a n d r o g y n e de la d o u b l e c o n t i n e n c e , infiniment c o n templé. Et la mer, peu à p e u , envahit les places de B r u g e s - l a - M o r t e . J e a n
Delville le R o s e + Croix peint d a n s la lumière astrale les délices de la
castration : désormais, les âmes sont sœurs et «les R u b e n s en suif» se
c h a n g e n t en s y l p h i d e s . D e s b a c c h a n a l e s d'âmes! « L ' e n f a n c e , jolie
presque partout, est ici h i d e u s e , teigneuse, galeuse, c r a s s e u s e ,
merdeuse», disait Baudelaire. V i s i o n n a i r e hippie, Léon Frédéric a m o n c e l l e
par milliards les bébés roses a s s o u p i s en plein air après un c o n c e r t P o p .
La Nature, c'est la maternité ensevelie s o u s les fleurs. L'Age d'Or, c ' e s t ,
toutes g é n é r a t i o n s brassées, la c o m m u n a u t é sexuelle.
39
C o n s t a n t M o n t a l d , négligeable, célèbre aussi la f é c o n d i t é féminine et
enneige la B e l g i q u e (la neige, qui naturellement sublime, est le substitut
s y m b o l i s t e du s p e r m e ) . C'est sur L'Ame des choses le silence qui neige
avec X a v i e r Mellery : une gravité s o n g e u s e s'établit autour des objets, fait
un pont entre les radiations visibles de S e u r a t et les invisibles, de C h i r i c o .
Les intérieurs belges anoblis par M e l l e r y , il reste à W i l l i a m D e g o u v e de
N u n c q u e s , la c a n d e u r m ê m e , et la grâce, à procéder i d e n t i q u e m e n t sur
les p a y s a g e s de B e l g i q u e (et d'ailleurs). Q u e l'on ne s'y t r o m p e point, on
n'est pas ici d a n s le calendrier des p o s t e s , mais dans la rythmique pure, et
dans l'hallucination.
De c e s s u b l i m a t e u r s et d'autres, a b s e n t s (plus p r o c h e s de l'Express i o n n i s m e ou du Naturalisme), Francine-Claire L e g r a n d rend c o m p t e
précisément d a n s le tout récent le Symbolisme
en Belgique, a v e c n o m b r e
d'illustrations ; mais, si je me p e r m e t s , ce n'est pas le S y m b o l i s m e qu'elle
préfère, c h e z les S y m b o l i s t e s (et pour c e s derniers, le S y m b o l i s m e ne
saurait être «une m o d e » ) ! R e g r e t t o n s , au G r a n d Palais, le m a n q u e de
(harmonie
l'admirable / lock my door upon myself, de K h n o p f f
feuille-morte) et l'injustifiable a b s e n c e de l'autre grand artiste du s y m b o l e
en B e l g i q u e , le s c u l p t e u r transi G e o r g e s M i n n e , i n c o m p a r a b l e illustrateur
aussi des Serres
chaudes.
C e p e n d a n t , le p r o c e s s u s s y m b o l i s t e de poétisation
des c h o s e s ne les
t r a n s f o r m e pas : on feint s e u l e m e n t qu'elles soient transformées.
Lunettes roses, ou lunettes de neige. Cela devient flagrant c h e z Paul
D e l v a u x , arbitrairement rattaché au Surréalisme et que je dirais plutôt
S y m b o l i s t e attardé : lorsqu'il ne triche pas aussi sur le décor (nous
véhiculant d a n s de s u s p e c t e s P o m p é i ) , c'est celui de la q u o t i d i e n n e t é
belge a u q u e l il i m p o s e ces a b s t r a c t i o n s , des f e m m e s nues ou des
squelettes. Rêvez, p o u r v u que les trains partent à l'heure! Cette manière
de «dorer la pilule» est le m e n s o n g e idéaliste (le m e n s o n g e matérialiste
existe ailleurs).
René M a g r i t t e est le refus de poétiser fait peintre, parce que poétiser
est le contraire de la poésie. A c c e p t a n t les signes de la q u o t i d i e n n e t é
belge tels qu'ils s o n t , a v e c leur irrémédiable a b s e n c e de halo, il n'en
représente pas m o i n s l'effort d'atteindre à ce «point de l'esprit» d ' o ù
Pauvre Belgique de Baudelaire et B e l g i q u e sublimée des S y m b o l i s t e s
«cessent d'être perçues c o n t r a d i c t o i r e m e n t » . «Les Belges aiment leurs
c h a p e a u x c o m m e le p a y s a n de P. D u p o n t ses bœufs», disait B a u d e l a i r e ,
qui disait a u s s i , c o m m e si déjà il envisageait
la peinture de Magritte :
«L'œil belge a l'insolence i n n o c e n t e du m i c r o s c o p e » . L'«insolence
innocente» du regard de Magritte va mettre «la description e x a c t e du
m o n d e visible» au service d ' u n e e x i g e n c e révolutionnaire, celle qui
prétend q u ' o n ne peut «transformer le m o n d e » qu'à la c o n d i t i o n de
40
changer les objets, e n t e n d o n s : n o n pas les remplacer par d'autres, mais
transformer leurs rapports, entre e u x , entre eux et n o u s , entre eux et la
réalité. Changés les objets, c h a n g é le m o n d e ! changée la vie! Tel est le
«sens bouleversant» de la peinture de Magritte et, par e x e m p l e , il n'est
pas nécessaire d'être a f f a m é pour se sentir bouleversé par une théorie de
pains croustillants v o g u a n t en plein ciel (La Légende dorée), ni linguiste
pour se voir c o n c e r n é par les c a p r i c e s sémiologiques du Corps bleu ou de
Personnage marchant vers l'horizon.
J e m ' é t o n n e qu'à une époque tant
que la nôtre éprise de «théories» nul n'ait e n c o r e tiré de la peinture de
M a g r i t t e , maintenant que s o n «corpus» est achevé, quelque bréviaire
révolutionnaire c e r t a i n e m e n t m o i n s discréditant pour l'esprit que tels
autres qui circulent et peut­être plus e f f i c a c e , q u a n d ce ne serait q u e pour
la B e l g i q u e .
Car v o i c i parfaitement r e c o n n a i s s a b l e a v e c s o n «culte des Belges pour
leurs c h a p e a u x » , cette B e l g i q u e , en m ê m e t e m p s que c h a n g é e , révolu­
tionnée ou prête à l'être, prête à se réconcilier a v e c s o n vrai visage (mais
au­delà de quelles barricades?). Si l'on tient a b s o l u m e n t à le savoir, il
n'est q u e de prendre Magritte au pied de la lettre.
José P I E R R E
(1) «La Peinture romantique
janvier­avril 1972.
anglaise
et les Préraphaélites»,
N . D . L . R . : Cet article fut publié pour la première
29 février de la Q uinzaine littéraire, pages 16 et
livre de F r a n c i n e ­ C l a i r e L e g r a n d : Le Symbolisme
art du t e m p s » , L a c o n t i é d . , Bruxelles, 277 p., 212
Petit Palais,
fois dans le № du 16 au
17. I l rendait c o m p t e du
en Belgique, «Belgique,
ill.
UNDERSTATEMENT
Due aux p l u m e s c o n j u g u é e s de R. B u r n i a u x et R. Frickx, paraît une
édition mise à jour de La littérature
belge d'expression
française
(collection «Que sais­je?»). P. 29, cette phrase : «On ne peut dire que le
s y m b o l i s m e ait fait école en Belgique» o u v r e le chapitre o ù sont étudiées
les œuvres d ' A l b e r t M o c k e l , M a e t e r l i n c k , V a n Lerberghe, R o d e n b a c h ,
V e r h a e r e n , E l s k a m p . C o m m e n t dit­on understatement
d a n s la langue
belge d ' e x p r e s s i o n française?
P.B.
41
LES
MARIONNETTES
Mesdames, messieurs,
ES marionnettes sont un petit peuple
\,
tout à fait à part chez qui j'ai eu occaAiV"A>. sion de faire plusieurs voyages. Ce
<~<Qfljf?*
furent là des expéditions peu périlleuses qui ne nécessitaient point le casque d'explorateur ni une nombreuse escorte militaire. Les
petits êtres de bois habitaient à Paris, chez mon
ami Claude Terrasse, le musicien bien connu, et
semblaient prendre grand plaisir à sa musique.
Terrasse et moi-même avons été, pendant un pu
deux ans, les Gullivers de ces lilliputiens. Mous
les gouvernions, comme il convient, au moyen de
fils, et Franc-Nohain, chargé d'inventer une devise pour le Théâtre des Pantins, n'a pas ou à en
trouver de meilleure que la plus naturelle : en
avant, par fil.
Là furent joués notamment Paphnutius, une pièce
latine et mystique de Hrotsvitha, traduite excellemment par Ferdinand Herold, Vive la France, de
Franc-Nohain que la censure jugea bon d'interdire
et qui restera interdite, sauf les quelques passages que j'aurai le plaisir de lire tout à l'heure.
Les pantins ont représenté un grand nombre de
fois Ubu Roi dont je lirai aussi deux scènes en demandant l'indulgence pour ie certain mot. Ils s'occupèrent aussi d'une pièce allemande extraordi-
naire du célèbre Ch. D. Grabbe, proclamé en Allemagne le plus grand tragique après Schiller
[rayé : mais on connaît peu Les Silènes, son unique pièce comique]. Les Pantins revivront probablement [rayé : à Paris] cette année, pour donner
des pièces de guignol du peintre Ranson, l'inventeur de l'extravagant Abbé Prout. Je vous présenterai dans peu d'instants ce sympathique personnage.
Voici donc la première scène et, hélas ! le premier mot d'Ubu Roi ; ensuite, après quelques extraits de Paphnutius, de Vive la France, de Grabbe
et de l'Abbé Prout nous clôturerons cette causerie encore par le Père Ubu, dans la grande scène
de la Trappe. Voici le Père Ubu.
Le Père Ubu : [Merdre].
1" scène d'Ubu
Telle est la 1" scène.
Voici Paphnutius. Ainsi prononçait-on irrévérencieusement aux Pantins le nom de ce grand personnage [ces deux mots ont été rayés, remplacés
par : vénérable ermite, puis rétablis] ; car Paph[nutius] est une pièce sérieuse, c'est l'histoire de
la conversion de Thaïs. Il a suffi pour en faire une
pièce comique de l'interpréter en marionnettes.
A la rigueur, la simple lecture suffit à cette invraisemblable métamorphose.
Paphnutius montre à Thaïs la cellule où elle sera
enfermée.
Scène de Thaïs
Vous voyez que c'est bien là une pièce sérieuse.
Quant à Vive la France, le nom de son auteur,
Franc-Nohain, ne nous permet pas de douter de la
valeur de son comique. Dieu et l'Ange exterm[ina-
teur] sont venus en touristes visiter la France. Ils
entrent dans un café. La caissière de l'établissement salue l'ange de ces mots qui l'étonnent fort :
Bonjour, capitaine.
[Rayé : Après le vieux commandant]. Les célestes touristes rencontrent aussi le Jeune Homme
pauvre. Voici le portrait du J.H. pauvre.
[lacune ?]
Après Franc-Nohain, ou plutôt avant FrancNohain, car il y a à peu près cent ans que vivait
le célèbre tragique allemand dont je vous parlais
tout à l'heure, Christian Dietrich Grabbe imaginait
des personnages d'un grotesque extravagant. Voici
son Diable et son margrave Tuai.
Silènes
Il n'aurait fallu rien moins pour exorciser ce
diable que le bon Abbé Prout créé par Ranson.
Vous connaissez les oeuvres de Ranson comme
peintre : il a exposé à la Libre Esthétique, j'expose cette fois de sa part le portrait de l'abbé.
Voici une scène de la pièce de Ranson intitulée
Le Sabre et le Goupillon. Le colonel de la pièce
n'est pas au-dessous de ce qu'annonce le titre.
Ecoutez-le jurer :
[Mille escadrons...]
Le colonel :
A la fin de la pièce
Mais faisons
l'abbé Prout.
plus
ample
La vaseline
connaissance
avec
Pour terminer, le Père Ubu en personne va nous
présenter ses adieux dans la scène de la Trappe.
Trappe
Le Père Ubu désirant munifier le roi de Pologne
Venceslas, lequel vient de le faire comte de Sandomir, ne sait rien trouver de mieux que cette
généreuse formule : « Sire, acceptez, de grâce,
un petit mirliton. »
Le mirliton — cette « pratique » de Polichinelle
prolongée en tuyau d'orgue — nous semble l'organe vocal congruent au théâtre des marionnettes.
Les héros d'Eschyle, comme on sait, déclamaient
dans des porte-voix. Et étaient-ils autre chose que
des marionnettes exhaussées sur cothurne ? Le
mirliton a le son d'un phonographe qui ressuscite
l'enregistrement d'un passé — sans doute rien de
plus que les joyeux et profonds souvenirs d'enfance alors qu'on nous conduisait à Guignol.
Nous ne savons pourquoi, nous nous sommes
toujours ennuyé à ce qu'on appelle le Théâtre.
Serait-ce que nous avions conscience que l'acteur,
si génial soit-il, trahit — et d'autant plus qu'il
est génial — ou personnel — davantage la pensée
du poète ? Les marionnettes seules dont on est
maître, souverain et Créateur, car il nous paraît
indispensable de les avoir fabriquées soi-même,
traduisent, passivement et rudimentairement, ce
qui est le schéma de l'exactitude, nos pensées.
On pêche à la ligne — du fil de fer im [...] dont
se servent les fleuristes — leurs gestes qui n'ont
point les limites de la vulgaire humanité. On est
devant — ou mieux au-dessus de ce clavier comme à celui d'une machine à écrire... et les actions
qu'on leur prête n'ont point de limites non plus.
Et les vers vo ulus « mirlitonesques » ne so nt­ils
pas l'expressio n à dessein enfantine et simplifiée
de l'abso lu, sagesse des natio ns ?
Et puis... so nt­ils plus mirlito nesques que ceux
récités dans les théâtres à perso nnages humains
et que le public applaudit de to ute la co mpréhen­
sion de so n séant, seul po int par lequel il so it
bien en co ntact avec le Théâtre ?
Alfred J A R R Y
Le présent texte, p u b l i é p o u r la p r e m i è r e fois s o u s fe titre :
sur les Pantins
d a n s le c a h i e r №
Conférence
11 du «Collège d e P a t a p h y s i q u e » , fut
repris, e n s u p p r i m a n t les é v i d e n t e s f a u t e s de lecture d u m a n u s c r i t , par
M a u r i c e Saillet d a n s s o n Tout Ubu et par M i c h e l A r r i v é d a n s s o n é d i t i o n
de la «Pléiade». R é c e m m e n t , T h i e r r i F o u l c en a établi l'édition , q u e l'on
peut
considérer c o m m e définitive, dans une
plaquette
intitulée
«les
P o u c h i n e l s » , publiée e n 1979 par « L 'I n s t i t u t L i m b o u r g e o i s de H a u t e s
E t u d e s p a t a p h y s i q u e s » . Grâce à l ' o b l i g e a n c e de Thierri
Foulc,
nous
r e p r e n o n s ici c e texte, (en reprint}, e n lui d o n n a n t s o n v é r i t a b l e titre,
i n d i q u é d a n s la lettre à A n d r é F o n t a i n a s .
Les titres i n t e r c a l a i r e s r e n v o i e n t a u x textes d o n t J a r r y d o n n a lecture
lors de c e t t e c o n f é r e n c e et qui s o n t précisés par u n e autre feuille, q u e
nous reproduisons ci­contre.
H. B.
[BROUILLON]
1° Paphnutius, p. 29.
2° Vive la France • Jeanne d'Arc, le vieux commandant, manille (1 ' cahier).
3 cahier - le jeune homme pauvre avant la
toilette (où est le cordeau (la corde) [texte
douteux].
1
3° Les Silènes 1. le margrave Tuai
2. M. Du val
4° Ranson
le lys dans la vallée (rayé)
le télescope (rayé)
1. l'armoire des voluptés
2. Le lys dans la vallée (rayé)
5" Ubu Roi 1. 1" scène
2. La trappe
Lettre inédite à F o n t a i n a s
(mars 1902 ?)
M o n cher a m i ,
M a navrante paresse c o u t u m i è r e m ' e x c u s e — si c'est une e x c u s e ! —
de ne v o u s avoir pas écrit plus tôt. J ' a i écrit à M a u s ; c'est arrangé pour le
21. Titre : Les Marionnettes.
J ' y parle entre autres de « P a p h n u t i u s » . J ' a i
retrouvé des tas d'A/manachs
: je v o u s en transmets un pour votre ami en
pardon ; et si v o u s en v o u l e z d'autres, il y en a e n c o r e !
Bien c o r d i a l e m e n t
A l f r e d Jarry
C o m p t e - r e n d u de la c o n f é r e n c e .
Si m ê m e je vis très vieux, jamais je n'oublierai l'effet f o u d r o y a n t que fit
le d é b u t de J a r r y à la Libre Esthétique,
il y a une quinzaine d'années.La
salle, très g r a n d e , était emplie d ' u n public ultra-chic. A i g r e t t e s , fourrures,
c r i s s e m e n t s de soie, et cette légère agitation qui m a r q u e une attente
impatiente. Q u i était cet A l f r e d Jarry q u i , pour la première fois, se levait à
l'horizon bruxellois? — J a r r y parut, petit, la tête trop forte pour l'exiguité
de son torse, l'air d ' u n têtard q u ' o n aurait vêtu de noir. Il se versa
posément un verre d ' e a u ; puis, ramassé sur l u i - m ê m e c o m m e s'il allait
bondir en avant, il lança d ' u n e voix de tonnerre le mot, le f a m e u x m o t ,
a v e c s o n o r t h o g r a p h e n o u v e l l e , et ce m o t roula en a v a l a n c h e d a n s
l'immensité de la galerie, souffletant les belles d a m e s é p o u v a n t é e s ,
heurtant les m u r s qui le renvoyaient en échos... Il y eut des cris, des rires
é t o u f f é s , d e s fuites éperdues, c h a c u n devant l'imprévu de l'événement
hésitant sur l'attitude qu'il devait prendre, pour d e m e u r e r fidèle au protocole m o n d a i n tout en se m o n t r a n t instruit des plus récentes m œ u r s
littéraires.
Octave M A U S
Ce c o m p t e - r e n d u est paru d a n s La Lanterne
N e u c h a t e l , 1927 ; i n - 8 ° , 36 p p .
48
Magique,
Impr. C e n t r a l e ,
Les «Pouchinels»
Rue haute, d a n s une c a v e . Le montreur de
marionnettes s'enorgueillit d ' u n nez si truculent qu'il a l'air faux, dérobé
pour le m o i n s au m a c c u s antique o u à q u e l q u e diable de J é r ô m e B o s c h . I l
brandit de la main g a u c h e s o n s c e p t r e , une latte carrée destinée, nous
semble­t­il d ' a b o r d , à réfréner d a n s la limite des c o n v e n a n c e s la curiosité
du jeune public marollien, désireux de toucher ces g r a n d e s poupées qui
incarnent Louis XI I I , Richelieu ou le Lion de Flandre. De la main droite il
tient le f a n t o c h e , de court. Le fil est court tout s i m p l e m e n t parce q u e le
plafond est bas, mais la marionnette est si solide et si h u m a i n e que cette
illusion s ' i m p o s e , qu'elle tire sur la laisse d a n s l'intention de la rompre et
de courir à s o n gré. En effet, voici un duel : deux par d e u x , l'un contre
l'autre, s'élancent des c o u l i s s e s quatre «Pouchinels» habillés en
m o u s q u e t a i r e s . D a n s la fureur du c o m b a t et le dru cliquetis des d a g u e s de
fer­blanc, ils entraînent sur la scène les m o n t r e u r s , c o m m e des valets de
c h i e n s q u ' e m p o r t e la meute. H e u r e u s e m e n t , n o u s nous étions sans d o u t e
mépris sur le véritable usage de la baguette de l ' h o m m e au grand nez.
Alfred J A R R Y
Article paru d a n s Le Soir illustré, Bruxelles, juin 1902, page 24. ( № spécial
p< lur les v i c t i m e s de la c a t a s t r o p h e des Antilles).
49
ETUDES
5 ^
L'Empire ottoman dans Ubu enchaîné
ou l'Envers et l'Endroit.
L ' E m p i r e o t t o m a n apparaît, s o u s forme d ' é v o c a t i o n , d a n s Ubu
enchaîné.
S i , d u point de vue g é o g r a p h i q u e , cet Empire ne d o n n e
naissance à a u c u n décor réaliste ( c o n f o r m é m e n t à la c o n c e p t i o n que
Jarry se fait du décor), il joue c e p e n d a n t , pour ce qui c o n c e r n e l'action,
un rôle i m p o r t a n t . C e rôle s ' e x p l i q u e par le parallélisme étroit voulu entre
ce drame et Ubu Roi. O n sait que J a r r y a très explicitement présenté Ubu
enchaîné c o m m e la contre-partie à'Ubu roi (1). Les deux pièces peuvent
être, de ce fait, considérées c o m m e l'envers et l'endroit d'un m ê m e
e n s e m b l e d r a m a t i q u e d a n s lequel le p e r s o n n a g e central, dont le n o m
apparaît d a n s c h a c u n des titres a n t i t h é t i q u e s , apparaît c o m m e l'élément
unificateur, autour d u q u e l gravitent les contraires et au sein d u q u e l , en
définitive, v i e n n e n t se résorber et se résoudre les opposés.
On voit, dès lors, en quoi c o n s i s t e la f o n c t i o n de l'élément spatial
représenté par l'Empire o t t o m a n . D a n s la mesure où Ubu enchaîné offre
une structure inverse, on peut s'attendre à y découvrir un schéma parallèle à celui d ' U b u roi. La terre, en tant que lieu scénique, d o m i n a n t d a n s
ce dernier, son contraire, l'élément marin, va o c c u p e r une place importante et peut-être essentielle d a n s Ubu enchaîné. M a i s on remarquera q u e
la terre, ou ce q u e l'on pourrait appeler les scènes terrestres, se
présentent, d a n s Ubu roi, c o m m e un e s p a c e visible, en quelque sorte
tangible, c o n c r e t . Il en résulte, selon une logique q u e suggère la propre
remarque de J a r r y , q u e la mer, dans la contrepartie scénique,
n'interviendra q u e c o m m e lieu imaginaire, non visible, non scénique,
c o m m e lieu abstrait. A l'espace terrestre, s o u v e n t très large, voire illimité
dans Ubu roi, s ' o p p o s e , dans la pièce de 1899, un e s p a c e clos, limité,
allant, a v e c la p r i s o n , j u s q u ' à la quasi s u p p r e s s i o n de l'espace, contraste
particulièrement sensible par rapport aux scènes à'Ubu roi qui se situent
dans les m o n t a g n e s , aux portes de V a r s o v i e , d a n s les plaines de l'Ukraine
ou d a n s la p r o v i n c e de Livonie c o u v e r t e de neige.
(1) V o i r A l f r e d J a r r y , Œuvres Complètes I, Bibliothèque de la Pléiade, p.
1211, Almanach
illustré du Père Ubu, N o t i c e . Ce v o l u m e des œuvres
c o m p l è t e s est désigné d a n s les notes de cet article par le sigle P l .
53
L'élément m a r i n , virtuel, est introduit par le terme galères,
hypersignifiant c o m m e le fait présager sa répétition. C e sont les prévenus euxmêmes qui d e m a n d e n t à être envoyés aux galères :
Je veux aller aux galères,
(2) c l a m e U b u , qui précise aussitôt :
nous souhaiterions
que cette condamnation
fût perpétuelle,
villégiature près de la mer, en quelque sain climat (3).
et
notre
C'est d o n c lui qui suggère le verdict q u e le tribunal va s ' e m p r e s s e r de
prononcer :
La cour... condamne François Ubu, dit Père Ubu, aux galères à perpétuité. Il sera ferré à deux boulets dans sa prison et joint au premier
convoi
de forçais pour les galères de Soliman. (4)
La c o n d a m n a t i o n aux galères, a n a c h r o n i q u e , peut s e m b l e r inattendue ;
mais e n v o y e r les a n c i e n s maîtres de P o l o g n e , l'ancien Maître des
F i n a n c e s françaises, aux galères de S o l i m a n a de quoi surprendre d a v a n tage. Car peut-on se c o n t e n t e r de rappeler les intentions c o m i q u e s de
l'auteur pour justifier ce qui apparaît d ' a b o r d c o m m e simple procédé
burlesque? Le mot galères, dont l'origine byzantine ne suffit pas à faire
naître i m m é d i a t e m e n t d a n s l'esprit du lecteur ou du spectateur une image
orientale, é v o q u e , d e p u i s l'antiquité, le m o n d e m é d i t e r r a n é e n . Jarry
apporte deux précisions à cette é v o c a t i o n , une d'ordre historique, par
l'introduction du célèbre sultan S o l i m a n le M a g n i f i q u e , le m u s u l m a n toutpuissant a u q u e l l'Europe du X V I e soit les Capitulations ; la s e c o n d e ,
d'ordre spatial, «galères de Soliman» ayant pour équivalent s é m a n t i q u e
galères turques.
La turquerie, d a n s la littérature française, est passée de m o d e lorsque
Jarry, à l'époque s y m b o l i s t e , fait s o n entrée d a n s les lettres. U n certain
Orient, de plus en plus lointain, indien, c h i n o i s , puis japonais, exerce un
attrait p r o f o n d sur les générations p o s t - r o m a n t i q u e s . Pierre L o t i , en 1879,
avec Aziyadé n'a pas réussi à redonner à l'Empire o t t o m a n le lustre qu'il
avait conservé j u s q u ' a u jour où H u g o , d a n s ses Orientales, s e m b l e avoir
d é f i n i t i v e m e n t peint ce pays barbaresque c o m m e l'antithèse du m o n d e
non civilisé, c'est à dire du m o n d e grec ou chrétien.
En mettant l'Empire o t t o m a n à l'arrière-plan de sa pièce, J a r r y ne
c h e r c h e , m a n i f e s t e m e n t , ni à imiter Molière ni à redonner vie à une
tradition littéraire m o r i b o n d e . S o n c h o i x lui est imposé par la nécessité
dans laquelle il se trouve de d o n n e r une contre-partie e x a c t e à Ubu roi,
dont le cadre est c o n s t i t u é par la P o l o g n e et la Russie, pays chrétiens,
(2) Pl. 444
(3) Pl. 446
(4) Ibidem.
54
pays du N o r d , de la neige, à travers lesquels se déplace celui q u i , pour
avoir été roi d ' A r a g o n , peut être supposé avoir des origines o c c i d e n t a l e s ,
e s p a g n o l e s peut-être. A ce c a d r e européen va être opposée une région en
tous points différente : sain climat, c o m m e le souhaite U b u , pays
ensoleillé, c h a u d , m é d i t e r r a n é e n , mais aussi n o n chrétien, c'est à dire, si
l'on se replace d a n s la perspective d ' u n e tradition q u i , elle, d e m e u r e
v i v a c e , un pays m u s u l m a n , b a r b a r e s q u e , non civilisé, le pays des galères
par e x c e l l e n c e , le seul qui garantisse à U b u la réalisation de s o n rêve
d'esclavage.
Le recours à l'Empire o t t o m a n a p p o r t e , de surcroît, q u e l q u e s éléments
c o m i q u e s à la pièce, allant de la plaisanterie, non d é p o u r v u e de finesse, à
la c o c a s s e r i e voisine de l'énormité, celle-ci se trouvant en parfaite c o n f o r mité a v e c la p h y s i o n o m i e et le caractère du p e r s o n n a g e principal.
Plaisante idée, secondée v r a i s e m b l a b l e m e n t par q u e l q u e intention
satirique, q u e celle qui c o n s i s t e à faire e n v o y e r , par un état chrétien, —
d é n o m m é , par antiphrase et non sans h u m o u r , le Pays libre — ses
propres sujets, c o n d a m n é s , à un état païen où ils seront privés, à
perpétuité, n o n s e u l e m e n t de toute liberté, mais aussi de tout s e c o u r s
spirituel p u i s q u ' i l s seront c o u p é s , séparés de leur église, jetés hors de leur
religion. Il est inutile de c h e r c h e r d a n s l'histoire une justification, car Jarry
se s o u c i e aussi peu de l'histoire que de la c o u l e u r locale. Il tourne le passé
et le présent en dérision ; il présente un pays o c c i d e n t a l , qui se prétend
libre, a d r e s s a n t un tribut — une chaîne de forçats — à un pays oriental
qui n'a que mépris à l'égard de la chrétienté. C o m m e n t en serait-il
autrement q u a n d aux yeux de S o l i m a n l u i - m ê m e un chrétien n'est q u ' u n
h o m m e qui « m a n g e de la viande de p o u r c e a u et pisse tout d e b o u t » (5).
D'où il c o n c l u t , à p r o p o s d ' U b u , qui a pourtant c o n n u de merveilleuses
aventures, qu'il ne saurait être q u ' u n fou ou un hérétique (6). L'opposé
d o n c de S o l i m a n . Du m o i n s , ce dernier le croit-il. M a i s sur ce point,
c o m m e sur tant d'autres, les contraires v o n t se concilier, une des
intentions majeures de J a r r y s e m b l a n t être de demeurer l'identité des
contraires.
N'hésitant pas à recourir au vieux procédé d r a m a t i q u e et r o m a n e s q u e
de la r e c o n n a i s s a n c e , il décide de faire d ' U b u le propre frère du sultan :
Maintenant
que je l'ai vu... en peu de temps. (7)
(5) U b u , précise Jarry, a surtout la face porcine. P l . 497.
(6) P l . 450 D a n s Ubu roi, le mot m u s u l m a n est utilisé à plusieurs reprises
c o m m e terme injurieux, associé à s a c r i p a n et mécréant.
(7) P l . 461. Il suffit au sultan de voir U b u pour reconnaître i m m é d i a t e m e n t
en lui s o n frère. Cet air noble, cette prestance...
Jarry est féroce envers
S o l i m a n ; le vizir ne lui a-t-il pas, peu a u p a r a v a n t , dépeint U b u plus gros
(...) que le plus énorme de Vos eunuques ? P l . 450, ce qui permet de se
faire une idée de la prestance sur laquelle le sultan va s'extasier.
55
S u l t a n et roi, m u s u l m a n , e t chrétien sont d o n c s e m b l a b l e s , doués de la
même v i o l e n c e et, malgré les a p p a r e n c e s , des m ê m e s qualités : n o b l e s s e ,
prestance, avidité. Il méritent d o n c les m ê m e s égards. Maître et e s c l a v e
se c o n f o n d e n t . U b u , l ' h o m m e à la face p o r c i n e , qui sera présenté c o m m e
«le R . P . U b u , de la C o m p a g n i e de Jésus» d a n s Gestes et opinions
du
docteur Faustroll, pataphysicien,
est l'envers de S o l i m a n , tout en étant
son pareil, s o n d o u b l e . L'envers a le visage de l'endroit. U b u est destiné,
c o m m e le craint s o n frère, à prendre sa p l a c e , à dévorer l'empire, à
devenir, ici c o m m e naguère en P o l o g n e , un nouvel usurpateur.
S a vraie patrie, le paradis de l'esclavage, ne peut d o n c le recevoir. U b u ,
d e m a n d a n t d a n s l'ignorance de ses vraies origines, va être chassé ;
Embarquez-le pour n'importe où et faites vite (9), o r d o n n e S o l i m a n . S u r
la galère c a p i t a n e qui l ' e m m è n e , U b u a le sentiment d'avoir été mis à la
porte de ce pays (10) q u e l'on appelle aussi la S u b l i m e Porte. Le c o m i q u e
du jeu de m o t s est renforcé par le fait que c e l u i - c i , m a n i f e s t e m e n t ,
échappe à U b u .
S t r u c t u r e , intrigue, c o m i q u e sont é t r o i t e m e n t associés, tributaires les
uns d e s autres et c o m m a n d é s par le désir de J a r r y de d é m o n t r e r l'identité
des contraires.
La scène finale d ' U b u roi et celle d'Ubu
enchaîné
manifestent
clairement cette intention. D a n s un cas c o m m e d a n s l'autre, la dernière
scène a pour cadre la mer : Baltique, puis mer du N o r d d ' u n e part ; M é d i terranée, mer de M a r m a r a , B o s p h o r e d'autre part ; c'est à dire le N o r d
opposé au S u d , le vent violent qui fait croire à U b u que le navire doit
«faire au m o i n s un million de nœuds à l'heure» (11) opposé au c a l m e de la
Méditerranée qui permet à U b u de se croire sur le P l a n c h e r des V a c h e s
(ou plus l o g i q u e m e n t , à ses y e u x , sur leur pâturage) ; le contraste a p p a raît e n c o r e entre les sombres lames de la mer du Nord (12) a u x q u e l l e s
sont exposés les v o y a g e u r s en route pour l'exil et la «verdure», «couleur
de l'espérance» (13) sur laquelle v o g u e la galère chargée de c o n d u i r e les
mêmes v o y a g e u r s vers un lieu i n c o n n u , où ils n'aborderont peut-être
jamais ; car si U b u a é c h a p p é à la t e m p ê t e , aux dangers de la Baltique et
de la mer du N o r d , rien n'indique que le v o y a g e sur lequel se termine Ubu
(8) Pl. 730
(9) P e u s o u c i e u x de la v r a i s e m b l a n c e , Jarry concilie l'enlèvement d ' U b u ,
qui remonte à de longues
années et l'ignorance dans laquelle son
p e r s o n n a g e se trouve quant à cet enlèvement et à ses origines. O u U b u a
été enlevé tout enfant, et d a n s ce c a s , c o m m e n t S o l i m a n le reconnaîtraitil à s o n air et à sa prestance? ; ou il faut le s u p p o s e r frappé d ' u n e forte
amnésie... A m o i n s e n c o r e que S o l i m a n ne fasse erreur.
(10)
(11)
(12)
(13)
56
Pl.
Pl.
Pl.
Pl.
462.
397
398
462
enchaîné aura une fin aussi heureuse ; cette dernière pièce peut-elle avoir,
elle, une contre-partie? Il n'est peut-être pas arbitraire d'établir une
filiation entre ce d é n o u e m e n t à forme ouverte et la s e c o n d e version de
Tatane, texte en relation avec L'Almanach
illustré, d o n c légèrement
postérieur à la c o m p o s i t i o n d ' U b u enchaîné.
Sur la galère
capitane,
Ils étaient quatre-vingt
rameurs
Churent aux mains des écumeurs,
Ayant perdu la
tramontane...
Tatane! (14)
Enlevé par des pirates français au d é b u t de sa vie, U b u n'est-il pas
destiné à t o m b e r aux mains de pirates de s o n propre pays?
Quoi qu'il en soit, dans les deux d r a m e s parallèles et a n t i n o m i q u e s ,
U b u , roi ou e s c l a v e , déchu et indésirable, chassé, v o g u e dans une
direction a d v e r s e . A n c i e n roi, il g a g n e la France où il se fera
nommer
Maître des Finances à Paris (15); esclave rejeté, il est e m m e n é , réduit au
rang d ' a n i m a l , loin de l'empire turc. Chassé avec respect, il n'est pas
renvoyé au pays d ' o ù il est v e n u ; la galère c a p i t a n e , en effet, ne prend
pas la direction de l'Ouest, mais celle d'un Orient toujours plus lointain ;
U b u v o g u e ainsi vers quelque pays extraordinaire, s u p p o s a n t qu'il existe
un pays assez extraordinaire pour être digne de lui. Mère U b u déclare,
non sans inquiétude :
Nous nous éloignons
de la France, Père Ubu. (16)
Où s'achèvera le v o y a g e ? La terre étant ronde c o m m e la gidouille
d ' U b u , le héros de Jarry ne se retrouvera-t-il pas un jour à l'endroit d ' o ù il
est parti? Les directions contraires, sur un m ê m e cercle, sont appelées à
se rencontrer. On ne se débarrasse pas plus d ' U b u que celui-ci ne se
débarrasse de sa liberté. En quête d'un r o y a u m e , il se trouve bientôt sur le
c h e m i n de l'exil ; en quête de l'esclavage, il se trouve rejeté sur la mer
dont la f o n c t i o n , d a n s c h a q u e pièce, est de le recueillir et peut-être,
quelque jour, de l'engloutir, qu'il soit ou non t o m b é au préalable aux
mains de n o u v e a u x é c u m e u r s . M i c r o c o s m e terrestre à la dérive, éternel
exilé, dérisoire n o u v e a u juif errant, U b u s e m b l e c o n d a m n é à ignorer sa
propre identité et à être ballotté d ' u n pays à l'autre, d'Orient en O c c i d e n t ,
prêt à aborder n ' i m p o r t e o ù , étant, en définitive, destiné à n'aller nulle
part. S e s a v e n t u r e s le ramènent à lui-même.
Bernard H U E
(14) Pl. 624
(15) Pl. 398
(16) Pl. 462
57
A l f r e d J a r r y , les S y m b o l i s t e s
et la M i ­ C a r ê m e .
U n e des spécialités de la sévère revue d ' E r n e s t ­ C h a r l e s , Le Censeur
politique et littéraire, était, on le sait, de tonner contre les p r o d u c t i o n s
« p o r n o g r a p h i q u e s » de W i l l y , lequel se vengeait spirituellement en
d o n n a n t c o m m e c h â t i m e n t , à ses héroïnes délurées, la lecture d e s œuvres
c o m p l è t e s d ' u n n o m m é «Ernest­Jules». En 1907, une certaine gaieté avait
c e p e n d a n t droit de cité à la revue, ne serait­ce que par les c h r o n i q u e s
fantaisistes q u ' y d o n n a i t M a x Daireaux. D e ce journaliste et littérateur,
n o u s ne s a v o n s pas g r a n d ' c h o s e , sauf qu'il fit paraître en 1906, c h e z
S a n s o t , une plaquette de poèmes intitulée Les Pénitents noirs, œ u v r e t t e
qui ne doit être ni pire ni meilleure que t o u s c e s c o m p t e s d'auteur d o n t
S a n s o t c o m m e n ç a i t alors à se faire une spécialité. O n lui doit aussi un
Villiers de l'/s/e­Adam,
l'homme et l'œuvre, paru en 1936 c h e z Desclée de
B r o u w e r , p u b l i c a t i o n plus a m b i t i e u s e et qui atteste l'intérêt porté par
Daireaux aux s y m b o l i s t e s . T o u t e f o i s , d a n s les c o l o n n e s du Censeur, en
1907, il s'ingéniait p l u t ô t , c o m m e o n va le voir, à s'égayer aux dépens de
ces derniers.
Le № d u Censeur du 2 mars 1907 contient en effet un texte burlesque
de M a x Daireaux intitulés Symbolistes
et Mi­Carême (un dîner de têtes) et
qui met en scène n o m b r e de littérateurs s y m b o l i s t e s et assimilés, d o n t
Jarry. A vrai dire, cette fiction qui décrit les gestes et o p i n i o n s de divers
écrivains et artistes réunis d a n s «une taverne du Boulevard» n o u s évo­
querait, par s o n débridé et s o n allure preste, les Propos des Bien­Ivres ou
le b a n q u e t d u Moyen de Parvenir. P o u r s o n b a n q u e t , assez a n a l o g u e à
c e u x , bien réels, de La Plume, Daireaux n'a pas hésité à réunir les
personnalités les plus hétéroclites : outre J a r r y déjà cité et sur lequel n o u s
allons revenir l o n g u e m e n t , on y d é n o m b r e Charles M o r i c e , J e a n Dolent,
A n d r é G i d e , Francis J a m m e s , G u s t a v e K a h n , Viélé­Griffin, Paul Fort,
Tancrède de V i s a n , Robert S c h e f f e r , Léon Riotor, etc. A p p a r a i s s e n t
é g a l e m e n t un T a n c r è d e et un C a r a b i n : ne faudrait­il point reconnaître
Fargue d a n s ce sieur Tancrède? Q u a n t à C a r a b i n , il s'agit bien
p r o b a b l e m e n t de Rupert C a r a b i n , s c u l p t e u r et ébéniste a u q u e l on doit de
f a m e u x m e u b l e s phalliques, d i g n e s d ' A n d r é M a r c e u i l s'il en fut. M a i s
revenons à Jarry.
S o n intervention se produit après le dîner, alors q u e les s y m b o l i s t e s
digèrent et s ' e x c i t e n t à p r o p o s de la f o n d a t i o n d ' u n théâtre réservé «au
peuple seul»(sic), où l'on jouera «depuis Molière j u s q u ' à Jarry» — o n voit
que pour Daireaux J a r r y était le nec plus ultra du théâtre m o d e r n e . Peu
58
a u p a r a v a n t , J a r r y avait p r o n o n c é un v i g o u r e u x «Erdre!»(sic) en réponse à
la p r o p o s i t i o n de Tancrède d e V i s a n de jouer Ubu roi. U n q u i d a m suggère
alors ûe publier un almanach où chacun écrirait, sans d o u t e pour c o n c u r rencer le d é f u n t Almanach du Père Ubu rédigé par le seul J a r r y . Après un
silence bruyant (re-sic), Jarry se lève et prend la parole en ces termes :
Messieurs, vous savez tous que le pain, qui est d'un usage quotidien, se
vend chez les boulangers ( B r a v o , très bien ! ) dans des sacs en papier.
Je propose de fournir ces sacs gratis et d'imprimer
dessus des poèmes,
des pages choisies, qui pourront aller au peuple...
C'est là faire largesse à J a r r y d ' u n e s o l u t i o n imaginaire au problème de
la culture d u p e u p l e , solution qui v a certes infiniment plus loin q u e c e s
«Universités populaires» q u e l'on s ' a c h a r n a i t à créer à l'époque. A la
q u e s t i o n : quipaiera? J a r r y r é p o n d fort bien :
C'est là l'idée, tandis que d'un côté du sac nous imprimons
de la littérature, du beau, de l'autre, nous imprimons
des annonces.
La publicité
industrielle paiera notre gloire
artistique.
A u milieu d ' a p p l a u d i s s e m e n t s «frénétiques», Jarry poursuit :
Je prends un exemple, d'un côté du sac nous mettons un sonnet de
Ver/aine, de l'autre cette
annonce...
Carabin : L'Absinthe
Pernod, c'est du génie en bouteilles.
Jarry : A l'endroit, un poème de Viélé-Griffin, à l'envers...
G. Viau : Le fer Bravais combat
l'anémie.
Jarry : Au recto des vers de T. de Visan, au verso...
Fr. Jammes : Béquilles pour
béquilles...
Jarry : Enfin, une page de Paul Fort, avec l'affiche des Folies-Bergère
: Un
saut dans le vide!
(Applaudissements,
joie, exubérance ; Griffin, Fort et Visan
rougissent
modestement,
les autres rougissent
immodestement).
Jarry (Reprenant)
: En fournissant
cent mille sacs par jour,
nous
gagnons mille francs, et supposant pour simplifier, que l'année ait quatre
cent jours, cela fait un bénéfice de 400.000 francs, pour arrondir
mettons
500.000 francs.
Cette m a t h é m a t i q u e p r o p o s i t i o n clôt c e q u e n o s m o d e r n e s j a r g o n n e u r s
appelleraient la «prestation» de Jarry d a n s le texte de M a x Daireaux.
Ensuite, le d é b a t reprend de plus belle, parmi le tumulte, sur le théâtre et
les arts décoratifs...
Ecrit q u e l q u e s mois avant la mort d e J a r r y , c e texte — à notre c o n n a i s -
Pi
1
s a n c e jamais signalé - t é m o i g n e d ' u n e légende jarryque déjà v i v a c e .
S a n s d o u t e les lecteurs du Censeur tout c o m m e sa rédaction avaient-ils
déjà été habitués à ne retenir de Jarry que le « b o h è m e l o u f o q u e » qui
surprenait s e s c o n t e m p o r a i n s . Pure fantaisie, ce texte méritait d'être cité
à titre de d o c u m e n t ; toutefois, sa fantaisie n'est pas aussi gratuite q u ' o n
pourrait le croire. M a x Daireaux (sur q u i , soit dit en passant, on aimerait
bien être d a v a n t a g e renseigné) y révèle un sens assez pertinent de la
«spéculation» jarryque, et on incline à penser qu'il avait p r o b a b l e m e n t lu
les gestes, spéculations et c h r o n i q u e s données par J a r r y à La Revue
Blanche, La Plume, e t c . Il n'est pas d o u t e u x , en tout c a s , qu'il ait v o u l u
refaire ici du J a r r y , et sa m o d e s t e proposition d'art populaire aurait pu
sans i n v r a i s e m b l a n c e faire la matière d ' u n e page de La Chandelle
verte.
M a i s la ' p a t a p h y s i q u e ne n o u s enseigne-t-elle pas qu'il serait vain de trop
c h e r c h e r si le Jarry de M a x Daireaux c o r r e s p o n d ou non au «vrai» J a r r y ?
Jean-Paul G O U J O N
60
DOCUMENTS
Lettre de J a r r y à Karl Boès.
31 janvier (1903)
Cher M o n s i e u r Boés,
J e v o u s s o u m e t s une d e m a n d e p r o d i g i e u s e m e n t indiscrète, mais que
votre c o m p l a i s a n c e a j u s q u ' à un certain point encouragé. J e m'étais
promis de ne soutirer à la Plume a u c u n or avant la date fatidique de trois
mois révolus ; mais l'aventure a v e c le prince rebelle et esclave indigne
Bibescu(l), dit de B r a n c o v a n , a réalisé, en q u e l q u e sorte, un tremblement
de terre d a n s les p h y n a n c e s du roi de P o l o g n e . J ' a u r a i s pu exciper
c u p i d e m e n t du traité c o n c l u a v e c ces g e n s , mais alors j'aurais perdu le
plaisir de les c o n v i e r à venir s ' e x p o s e r à un fer vengeur. En un mot, seraitil inconsidéré, excessif et immoral d'implorer de la Plume un capital
n o m b r e u x s'élevant j u s q u ' à vingt francs en espèces ayant c o u r s , lequel
nous est nécessaire à parachever le paiement du terme du mirifique local
dont je v o u s ai décrit les s p l e n d e u r s et le c o û t exorbitant?
J e passerai lundi matin à la Plume ; mais il va sans dire q u e si cette
c o n c u p i s c e n c e t o m b e , par q u e l q u e calamité, mal à p r o p o s , il ne v o u s
faudra point faire s c r u p u l e de me le signifier. Cette c o m b i n a i s o n , pourtant
m'assurerait une tranquillité propre à favoriser l'éclosion de nos œuvres
c o m p l è t e s . . . et puis c'est arrivé ce mois par la faute du B r a n c o v a n , mais
ce n'est pas une habitude.
J ' a p p o r t e r a i sans d o u t e lundi ma c o p i e , pour éviter tout retard, et
d'après ce q u e v o u s m ' a v e z signalé.
Bien c o r d i a l e m e n t votre
A l f r e d Jarry
7, rue C a s s e t t e
Le bois du lion noir.
(A P R O P O S
D ' U N BOIS I N C O N N U DE J A R R Y )
Paul Fort, d a n s ses Mémoires si m o d e s t e m e n t sous-titrées : «toute la
vie d ' u n p o è t e » , rapporte qu'il venait, «vers l'année 1897», de terminer le
Roman de Louis XI, «tout d ' a b o r d n o m m é Louis XI, curieux homme et
que «le m a n u s c r i t en était m a g n i f i q u e , orné de dessins à la plume d u s à
mes c a m a r a d e s A l f r e d J a r r y et Léon Paul Fargue» (1). Cette affirmation
63
en a troublé plus d ' u n et, sans q u e jamais p e r s o n n e ne parvienne à mettre
la main sur ce m a n u s c r i t , «de plus de q u a t r e - c e n t s pages», c h a c u n rêvait
à part s o i , m ê m e si l ' a b o n d a n t Roman de Louis XI, publié en 1899 au
« M e r c u r e de France», n'a jamais c o m p o r t é a u c u n dessin ni bois.
Or, c o m m e tous les poètes, et en tout cas c o m m e tous les m é m o r i a listes, Paul Fort c o n f o n d s o u v e n t , q u a n d il ne l'oublie p a s ! tel fait ou tel
é v é n e m e n t . Par c h a n c e . p o u r le c h e r c h e u r patient, il eut la b o n n e idée de
faire suivre le premier t o m e de ses Ballades françaises, publié en 1897 au
« M e r c u r e de France», d ' u n e a b o n d a n t e Bibliographie. Celle-ci permet
d'établir q u ' u n e m i n c e plaquette de 16 pages fut publiée en 1896 au
« M e r c u r e de France» s o u s le titre : Louis XI, curieux homme. Cette rare
plaquette figure à la Bibliothèque N a t i o n a l e s o u s la c o t e : 8 Y e 4396. La
justification du tirage indique : « i m p r i m é avec les caractères du
Pérhindérion» ; trois bois ornent ce petit livre, d e u x , d'inspiration m o y e n âgeuse, rehaussent les pages de c o u v e r t u r e et de d o s , un troisième,
produisant la noirceur d ' u n lion héraldique, s'installe sur une d e m i - p a g e ,
après la dernière ligne du texte. C e s trois bois, toutefois, gardent l'anonymat.
Il semblait q u e n o u s n'en étions pas plus avancé, lorsque le hasard
voulut q u e n o u s fissions l'acquisition d ' u n e lettre inédite de Jarry à
Fénéon. Or cette dernière, p r o b a b l e moitié d ' u n e feuille de format 22 x
17 c m , possède un très intéressant filigrane : il représente un lion
héraldique, identique, en format et en dessin, à q u e l q u e s m i n i m e s simplifications près, au lion de la plaquette de Fort. En d e s s o u s de l'animal, et
toujours en filigrane, on peut lire les lettres : «a Mill», qui semblent
indiquer une origine anglaise d u papier.
Le p r o c é d é de décalque était ordinaire à Jarry ; ses dessins signés A l a i n
J a n s en t é m o i g n e n t . A u s s i ne n o u s semble-t-il pas exagéré, en l'attente
de l'avis d ' u n spécialiste mieux i n f o r m é , de tenir ce lion noir pour un bois
jusqu'ici i n c o n n u d ' A l f r e d J a r r y .
Henri B O R D I L L O N
(1 ) -
F l a m m a r i o n , 1944, page 8 1 .
65
MENUS
COMPTES
et
PROPOS
RENDUS
MENUS
BULLETIN IDE SANTE) DE LA SOCIETE
Plusieurs membres de la Société se sont
émus de la désespérante absence, dans
leur boîte aux lettres, du Bulletin de la S o ciété pour 1979, pourtant promis par leur
bulletin d'adhésion. Le Secrétariat de la
S A A J leur doit, et aux autres, des explications. En effet, l'impression d'un Bulletin
annuel, uniquement composé du compterendu des délibérations des réunions du
Bureau de la Société et du Procès-verbal
de l'Assemblée Générale annuelle a semblé
tout bien considéré et la juste analyse de
notre situation financière aidant, comme
peu nécessaire, voire inopportune. Certes,
ledit Bulletin était promis ; certes encore,
tout était prêt pour l'impression dudit Bulletin. Toutefois, le Bureau de la S A A J a
estimé qu'il semblerait préférable au plus
grand nombre de réserver, dans l'immédiat
notre maigre phynance à étoffer L'EtoileAbsinthe. Aussi, anticipant sur une proposition qui sera présentée à la prochaine
Assemblée Générale de Rennes, le Bureau
a estimé qu'il était préférable de ne pas
imprimer de Bulletin pour 1979, et de n'en
pas prévoir pour les années à venir.
En attendant cette décision, phynancièrement raisonnable, le Secrétariat de la
S A A J est prêt à fournir à tout adhérent qui
en ferait la demande, une photocopie du
Procès-Verbal de l'Assemblée Générale
constitutive du 10 novembre 1979 contre
10 F en timbres.
ELECTION
DU C O N S E I L D ' A D M I N I S T R A T I O N
Après le retrait de la candidature de
Brunella Eruli qui, se révélant italienne, ne
peut se porter candidate au conseil
COMPTES
d'administration d'une association française régie par la loi de 1901, Brigitte Girardey
et François Sullerot se portent candidats.
Sont nommés scrutateurs : François
Naudin et Boris Rybak. Le résultat du vote
est proclamé par Noël Arnaud :
— Nombre de votants : 58
— Bulletins nuls : 3
— Nombres de voix par candidats :
Noël Arnaud
55 voix
Henri Béhar
51 voix
Patrick Besnier
54 voix
Henri Bordillon
55 voix
François Caradec
52 voix
Hubert Juin
54 voix
Claude Rameil
52 voix
François Sullerot
22 voix
Brigitte Girardey
7 voix
Sont élus au conseil d'administration :
Noël Arnaud, Henri Béhar, Patrick Besnier,
Henri Bordillon, François Caradec, Hubert
Juin, Claude Rameil, François Sullerot.
Après dix minutes de suspension de
séance, pendant lesquelles se réunit le
premier Conseil d'Administration élu de la
S A A J , on apprend que le Bureau Provisoire est reconduit dans ses fonctions, à
savoir :
Président :
Noël Arnaud
Secrétaire :
Henri Bordillon
Trésorier :
Patrick Besnier
Las! lors d'une réunion du Bureau, en
mars 1980, il se révélera que l'un des
membres élus du Conseil d'Administration, Hubert Juin, n'est pas de nationalité française. Hubert Juin démissionne
aussitôt et le Bureau se propose d'élire un
huitième membre du Conseil d'Administration lors de la prochaine Assemblée
générale à Rennes, en novembre 1980.
69
Il a èlé peu répondu à noire récent appel
concernant la date de la prochaine
Assemblée Générale. Toutes les réponses
reçues (34), préfèrent, à une exception
près, la date de samedi 8 novembre 1980.
Elle se tiendra à Rennes, dans l'après­midi,
dans la salle de Physique du Lycée de
Rennes, celle­là même où Jarry «était
enseigné» par monsieur Hébert.
Les convocations et les précisions
nécessaires pour se rendre à Rennes, ainsi
que le programme détaillé des manifes­
tations qui se dérouleront à la Maison de la
Culture de Rennes,seront envoyés à tous
les adhérents à jour de leurs cotisations
pour 1980 dans le courant du mois
d'octobre.
La série des manifestations rennaises et
l'exposition organisée à la Maison de la
Culture donneront lieu à la publication
d'un catalogue. Pour tous ceux qui ne
pourront se rendre à Rennes, l'expédition
du catalogue pourra être assurée par le
Secrétariat de la S A A J , suivant des
modalités qui seront u l t é r i e u r e m e n t
précisées.
Certains adhérents de 1979 n'ont pas
encore réglé leur cotisation pour 1980. Le
Bureau veut croire qu'il ne s'agit là que
d'un oubli. En conséquence, le Secrétariat
enverra à tous les adhérents 1979 le № 5/6
de L 'Etoile­Absinthe I
I reste que tous ceux
qui, quinze jours après cet envoi, n'auront
pas réglé la cotisation 1980 ne pourront
recevoir à temps les papiers pour l'Assem­
blée Générale de Rennes et jusqu'au
règlement de leur cotisation, ils seront
considérés comme démissionnaires de
notre association.
Pour améliorer notre situation phynan­
cière, assez difficile, une demande de
subvention a été déposée auprès de la
Caisse Nationale des Lettres. Elle sera
examinée en octobre 1980.
En outre, le Bureau a décidé de publier,
en tiré à part, strictement limité à 100
exemplaires numérotés, la correspondance
de Jarry et de Fénécn. Cette plaquette est
disponible au Secrétariat et sera envoyée,
dès réception de la somme de 80 F (plus 5
francs de port). Les demandes seront
satisfaites dans l'ordre de réception des
commandes, le cachet de la poste faisant
éventuellement foi.
Un colloque consacré à Alfred Jarry a
été organisé par le Centre Culturel I nter­
national de Cerisy­la­Salle fin août­début
septembre avec le concours de la S A A J .
Cette décade a été dirigée par Noël Arnaud
et Henri Bordillon.
LE Secrétariat
PROPOS
On annonce à paraître aux éditions
Gallimard une édition critique des Gestes
et opinions du docteur Faustroll et de
L'Amour absolu d'Alfred Jarry dans la
collection Poésie/Gallimard ; parution
prévue : novembre 1980.
Brunella Eruli a publié, en décembre
1979, une excellente traduction italienne
de Messaline.. Cette édition, préfacée et
annotée par B. Eruli, est disponible à
l'adresse suivante : Editrice Espansione,
Via Dezza 5, Roma. Notre prochaine
livraison en rendra compte de manière
détaillée, ainsi que de la dernière publi­
cation de B. Eruli : Alchimia délie imagini :
Jarry e i mostri, pages 159­223 du volume
XVIII (1979) de Saggi e Ricerche di
letteratura francese.
La récente livraison des Organographes
du Cymbalum Pataphysicum (s'adresser à
Paul Gayot, Courtaumont par Sermiers
51500 Rilly­la­Montagne) publie à la page
85 de son numéro 12­13 un rapide
«descriptif» des premiers travaux de notre
Société. On y lira avec étonnement que,
par le biais d'un étrange «et surtout», Jean
Markale est préféré à Alfred Jarry lui­
même!
Philippe Adrien, qui vient de créer
Ubu à Reims, en mai 1980, voit le texte de
son spectacle publié dans le № 7 do
Théâtre, revue­programme du Centre
Dramatique National de Reims. Cette
excellente publication, présentée et dirigée
par Thierri Foule, comprend en outre
RENDUS
différents apports critiques, dont plusieurs
republications d'articles peu connus.
Cette création était accompagnée d'une
exposition, due à l'initiative de J . Baudou,
qui a donné naissance à une mince
plaquette intitulée L'Ymagier d'Ubu, la­
quelle devrait être disponible auprès de la
Maison de la Culture de Reims.
Après les Promenades en Basse­Nor­
mandie avec un guide nommé Flaubert,
livre annoncé dans notre dernière livraison,
Gilles Henry vient de publier une très
intéressante biographie de Flaubert : La vie
est une farce, disponible aux mêmes
éditions.
Les éditions Gallimard viennent de
publier un curieux livre : Uburss, de Gérard
Moulin, qui, en sus de l'habituel discours
sovietophobe, multiplie les citations de
Jarry et reproduit une vingtaine de dessins
inattendus d'Ubu, (en fait de Georges
Lemoine), dont un en couverture et en
couleurs!
On republie beaucoup «fin­de­siècle».
Notre prochaine livraison fera un examen
critique de plusieurs «reprints». Signalons,
par exemple, Noa­Noa, de Gauguin, aux
Editions Maritimes et d'Outre­Mer, les
Œuvres poétiques complètes de Rimbaud,
Lautréamont, Corbière et Cros dans les
«Bouquins» chez Robert Laffont, avec une
préface générale d'Hubert Juin ; La Tour
d'Amour de Rachilde, L'Homme tout nu
71
de Catulle Mendès, aux Editions Libres
Hallier, avec une préface inutile de P.
Grainville et une excellente postface de
Pierre­Emmanuel Main ; Les Œuvres
complètes de Jean de Tinan — à qui la
revue «A l'Ecart» doit consacrer son
prochain numéro spécial — en deux
volumes de la collection 10/18, tous deux
préfacés par Hubert Juin. On annonce
aussi, toujours dans les «Bouquins» de
chez Robert Laffont, une réédition com­
plète en deux forts volumes des Mille et
une nuits dans la traduction du docteur
J . ­ C . Mardrus.
Hubert Juin, après sa remarquable
préface aux extraits du Journal intime de
Jean de La Hire (Association des Amis de
Pierre Louys, 13 Cours Kennedy, .35000
Rennes), publie Fernand Khnopff et la
littérature de son temps, aux éditions
Lebeer Hossmann, 124 avenue de Boeten­
dael B­1180 Bruxelles. C'est un indispen­
sable complément au catalogue de l'expo­
sition Khnopff, dont nous avons précé­
demment parlé.
Infatigable, Hubert Juin publie encore
des poèmes, aux Editions Messidor, 24 rue
du Sac 02420 Gouy), auxquelles il vient
de donner une troisième plaquette qui
paraîtra en novembre et sera accompa­
gnée de photos inédites prises par Pierre
Louys. Titre : Q uatrains romantiques pour
certaines qui n 'eurent pas le même nom.
Dans le même petit village de Picardie,
les éditions «A l'Ecart» (9, rue Nationale,
02420 Gouy) ont consacré le № 2 de la
revue du même nom à Renée Vivien. Ce
numéro spécial offre aux amateurs de la
poétesse une importante quantité d'inédits,
une trentaine de lettres, des poèmes, et
de surprenants documents sur un amour
masculin de Renée Vivien, de quoi porter
un solide coup à l'un des aspects de sa
légende. On trouve aussi aux éditions «A
l'Ecart» le tome I (3 pièces) du Théâtre
Inédit de Georges Darien.
tophe Averty verra son adaptation télé­
visuelle du Surmâle présentée sur le petit
écran à la fin du mois d'août 1980. Nous en
rendrons compte dans notre prochaine
livraison.
JOSSOT
Alfred Jarry reproduit dans le № 3 de
l'Ymagier un dessin de Jossot avec la
légende : Ils iront tous au paradis! repré­
sentant des paysans et des cochons
bretons devant un calvaire. Jossot l'avait­
il choisi à l'intention de Jarry, ou ce dernier
avait­il effectué personnellement son choix
dans les cartons du dessinateur? Ce qu'il y
a de certain, c'est que l'on ne savait pas
grand chose de Jossot, jusqu'à ce que
Miche! Dixmier publie son livre très docu­
menté sur L'Assiette au Beurre (Maspéro,
1974). Le numéro des «Cahiers de l'art
mineur» qu'il lui consacre est cette fois
très complet et accompagné du premier
catalogue de l'œuvre imprimée de Jossot.
Né en 1886 à Dijon, Jossot a dessiné
depuis 1892 et obtenu un très grand
succès de 1897 à 1905 : nombreux
numéros spéciaux de L'Assiette au Beurre,
affiches, illustrations, etc. Anarchiste, il ne
pouvait se satisfaire des rêves anarchistes
de Jean Grave. I l s'installa définitivement
en 1911 en Tunisie, et cet anti­chrétien
qu'on avait pris seulement pour un anti­
clérical, se convertit à l'I slam en 1913 :
jusqu'en 1932, il ne signa plus que Abou­I ­
Karim Jossot des articles et des peintures,
après avoir totalement abandonné la cari­
cature. Jossot est mort à Tunis en 1951.
Bref, tous les lecteurs de L'Etoile­Absin­
the se doivent d'acheter le № 23 des
«Cahiers de l'art mineur», qui n'est
vraiment pas cher dans un monde sans
prix. Quant à la Société des Amis d'Alfred
Jarry, elle s'honorerait en rééditant Le
Fœtus récalcitrant publié en Tunisie en
1938.
F.C.
PELADAN
ET LES SCI ENCES H U M AI N E S
Après Ubu roi et Ubu enchaîné, alors
qu'il prépare un Ubu cocu, Jean­Chris­
72
le № 176 de la Revue des Sciences
Humaines est consacré aux Enjeux de
l'occultisme.
Nicole Jacques­Chaquin
(membre de la S A A J ) , qui l'a dirige, y
publie une étude sur Péladan, L'anankiatre
ou l'occultisme à l'épreuve de la fiction.
Les contradictions, chez le sâr, entre la
théorie ésotérique et l'élément roma­
nesque ne sont pas minces. Aussi, parler
de Péladan, c'est le plus souvent choisir
«l'occultiste» aux dépens de «l'écrivain»
ou le contraire. L'intérêt de cet article est
de confronter les deux termes, de cerner
l'inscription de l'occultisme dans la fiction.
La rencontre se clôt généralement par la
défaite de l'occultisme
«retour de
l'histoire» après la tentation de l'éternité.
Si Mérodack et les siens triomphaient,
l'œuvre serait terminée, il n'y aurait plus
d'Ethopée possible. Que Péladan privilégie
l'esthétique contre l'occultisme est clair
depuis la rupture avec Guaita.
Mme Chaquin termine en soulignant
quelques paradoxes de l'œuvre péladane.
Peut­être omet­elle celui­ci, sur quoi
repose son étude : parler de l'occultisme
du sâr n'est pas possible (son remake
d'Eliphas Lévi ne rend pas compte de son
originalité); l'omettre fausse également
toute compréhension. On ne peut en
parler, ni n'en point parler.
Sans doute la seule approche possible
de Péladan est­elle pataphysique.
chose. Nous comprenons bien que de tels
souhaits soient ceux du barde breton mais,
quoi qu'on en dise, rien encore ne nous
permet de valider les rares témoignages
qui nous dépeignent un Rimbaud, poète
africain. D'ailleurs, et jusqu'à plus ample
informé, ses écrits antérieurs nous inté­
ressent, nous, par le mépris qu'ils mani­
festent déjà pour la Littérature, ce en quoi
ils fondent l'écriture moderne, et par cette
expérience d'une vie qui déborde à ce
point l'œuvre qu'elle amène à la renier.
Certes, et suivant les critères de
monsieur Grall, nous n'avons pas droit à la
parole, étant professeur, très peu catho­
lique et breton à demi seulement. Mais
avouons, et pour conclure, qu'un tel livre
est désolant car, au milieu d'un flot
d'injures, qui semblent souvent de dépit,
contre Etiemble et quelques autres, ne
surnage au bout du compte
qu'un
immense contentement de soi, qui fait
penser à Barrés, un peu, mais sans le style,
et à Maurice Clavel, beaucoup, avec ce à
quoi cela oblige : un mélange, à parts
inégales, de délire interprétatif et de délire
tout court — avec ici, en prime, du lyrisme
soi­disant celte.
Xavier Grall, ou l'essayiste aux semelles
de plomb.
Henri BORDI LLON
Patrick BESNI ER
LE CRI TI QUE I VRE
Le nom et l'œuvre de Rimbaud ne sont
pas près de mourir, du moins si l'on en
juge par le nombre de ceux qui en écrivent
ou s'en servent. Ainsi, après le Double
Rimbaud (1), qui n'était pas indifférent,
voici un recueil de poèmes en prose de
Marc Cholodenko (2) qui, si nous avons
bien lu, n'a de rapport avec le poète que
par son titre, voici surtout une Marche au
Soleil, orchestrée au biniou, par monsieur
Xavier Grall (3).
Qui connaît cet auteur, lequel aime
rajouter sur tout son grain de celte, pouvait
s'attendre au pire ; qu'on s'émerveille : le
pire, qui n'est plus ce qu'il était, lui aussi,
se trouve de très loin dépassé.
A d i r é vrai, la thèse de monsieur Gall est
simple, et n'est pas de lui : Rimbaud
exhausserait et réaliserait
même son
œuvre en partant Ailleurs pour écrire Autre
( 1 ) Voir /'Etoile­Absinthe, № 4, pp 60­61.
(2) La trajectoire Rimbaud, collection POL,
Hachette, 1980.
(3) 182 pages, éditions Mazarine, 1980.
LE MANOI R E N C H A N T E
d'Alfred Jarry
présenté à l'Art­K­d'Dée­mi par Pierre
Jaquet, Bernard Gruyer, Brigitte Girardey
et Jean­Louis Trujillo
il s'agit de déchaîner contre le cato­
blépas de la sottise humaine toutes ies
ressources du manoir enchanté où vécut
(où hante?) Cagliostro­Alfred Jarry, oui,
qui jadis fit tant avec pantins. Des
marionnettes. Bille de cloune et clounesse:
nos semblables nos frères si tant est que
les miroirs auront jamais assimilé la 'pata­
physique. I ls s'agitent : les vers, comme les
jeux de mots, sont de mirliton, du coq
(hue!) à l'âne (halte!) bondissant, si
féroces, si tapés, rapides, frénétiques.
73
Visant de toutes parts le monument que
Boris Vian appelle la bêtise militante. Textes disparates (mais c'est ainsi que Jarry
les laissa) sur un air de bastringue (mais
c'est sans doute ainsi qu'il les eût
s o u h a i t é s ) , a v e c des e n c h a î n e m e n t s
cocasses. Des trouvailles de mise en scène
comme des objets semi-détournés ou des
ustensiles réels mis à contribution hors de
tout contexte plausible.
Pourtant le pari était bien difficile : monter un spectacle de Jarry destiné exclusivement aux plus éclairés, aux plus exigeants donc d'entre les amateurs et admirateurs de l'auteur du Surmâle\ Ils l'ont
tenu, bien tenu, merci Brigitte Girardey,
merci Ursula, merci d'Dée.
Un mot encore, d'Azertiope : Jarry,
l'auteur de la Dragonne ? Vous avez dit
Jarry ? Bof, auteur mineur!
François N A U D I N
ITALIE : J A R R Y
AU
THEATRE
A u c o u r s de la s a i s o n théâtrale 78-79, quatre s p e c t a c l e s ont été
consacrés à J a r r y . T r o i s d'entre eux étaient tirés de textes qui n'avaient
pas été c o n ç u s s o u s f o r m e théâtrale à leur origine [Spostamenti
d'amore,
I Supermaschio,
faustroll) ; un s e u l e m e n t , Ubu, reprenait et e n c o r e
v a g u e m e n t , le texte d''Ubu roi.
L ' e x p l o s i o n d'intérêt pour J a r r y en Italie est d'autant plus significative
si l'on se rappelle que l'avant-garde italienne des années 60 (à l'exception
près d ' u n Ubu de C a r m e l o B e n e ) , n'a jamais essayé de se c o n f r o n t e r
d i r e c t e m e n t aec U b u , très s o u v e n t cité mais s e u l e m e n t par allusion. C e
p h é n o m è n e n o u s oblige maintenant à n o u s poser quelques q u e s t i o n s .
D ' a b o r d au sujet d u texte : peut-on considérer c o m m e œuvre de Jarry le
résultat d ' u n c o l l a g e de ses textes, aussi fidèle soit-il? P e u t - o n représenter
Jarry sans J a r r y ? L'attitude d y n a m i q u e que le Père U b u t é m o i g n e au
sujet de l'activité créatrice pourrait justifier le parti pris de représenter
Jarry sans J a r r y ou p r e s q u e . R a p p e l o n s ici les p r o p o s de Jarry au sujet de
la création théâtrale : ne doit écrire pour le théâtre que l'auteur qui pense
d'abord sous la forme dramatique.
On peut tirer ensuite un roman de son
drame, si l'on veut, car on peut raconter une action ; mais la
réciproque
n'est presque jamais vraie ; et si un roman était dramatique,
l'auteur
l'aurait d'abord conçu (et écrit) sous forme de drame.
Les quatre m i s e s en scène italiennes t é m o i g n e n t d ' u n e longue fidélité à
l'œuvre de J a r r y , mais elles p o s e n t en m ê m e t e m p s le problème épineux
de la relation du texte à sa réalisation scénique. Guidées par le désir de
montrer une i m a g e inédite, m o i n s c o n n u e ou m o i n s stéréotypée de J a r r y ,
ces opérations théâtrales ont le mérite d'avoir souligné le b a g a g e philos o p h i q u e et culturel de s o n œuvre qui ne saurait se réduire aux seuls
Ubu tout en ayant mis en lumière la c o m p o s a n t e grave et p a t a p h y s i q u e .
Bien q u e les s p e c t a c l e s soient t o u s très intéressants, un danger existe,
celui de d é t o u r n e r le public des véritables textes de Jarry. L'attitude
manifestée par c e s s p e c t a c l e s est toutefois très positive car les troupes
ont m o n t é les pièces considérant Jarry leur c o n t e m p o r a i n , leur grand
frère en p a t a p h y s i q u e .
Spostamenti
d'amore (1) est un c o m p o s é d'éléments tirés de
L'Amour
César-Antéen visites, de Haldernablou,
de Les Jours et les Nuits et de
christ. Le p e r s o n n a g e J a r r y , habillé en e s c r i m e u r , évolue sur une estrade
circulaire sur laquelle est tracé un triangle. C e s figures g é o m é t r i q u e s ,
chargées de significations d a n s l'univers de J a r r y , restent en grande
partie o b s c u r e s au s p e c t a t e u r n o n averti, de m ê m e pour une q u a n t i t é
75
d'autres allusions qui parcourent le texte. A c ô t é de J a r r y - e s c r i m e u r ,
deux autres p e r s o n n a g e s : M a d a m e N o r m a , la patronne d ' u n b o r d e l ,
habillée en d a m e de c h e z M a x i m ' s et la C o n s c i e n c e , a n d r o g y n e fardé tel
un c h a n t e u r de cabaret a l l e m a n d , c h a p e a u haut de f o r m e et habit noir,
qui apparaît et disparaît p s a l m o d i a n t les lieders de W e b e r n .
Le titre Spostamenti
d'amore (Itinéraires d'amour) fait allusion aux
différents m o m e n t s de Ja vie sexuelle du protagoniste ( o n a n i s m e , f é t i c h i s m e , e x h i b i t i o n n i s m e , homosexualité) dont toutes les m a n i f e s t a t i o n s
ne seraient q u ' u n e tentative de sortir des limites de sa propre chair.
M a d a m e N o r m a est la « n o r m e » , la loi qui lutte contre les dérèglements de
tous les sens du p r o t a g o n i s t e , qu'ils soient erotiques ou artistiques. A la
fin Jarry s'écrie « L ' h o m m e est Dieu par ma chandelle verte!» mais
m a d a m e N o r m a lui répond q u e cela «n'était pas prévu» et elle le m e n a c e ,
telle une Vénus de v o n M a s o c h , d ' u n e fessée avec la tapette qu'elle tient
à la m a i n .
// Supermaschio
(Le Surmâle) (2), proposé par A n t o n i o S a l i n e s , utilise
le texte de la pièce Par la taille que Jarry l u i - m ê m e , avec la c o m p l i c i t é de
D e m o l d e r , aurait tirée de s o n r o m a n .
De ce texte, j u s q u ' à maintenant n o u s c o n n a i s s o n s seulement la traduction italienne publiée d a n s le v o l u m e Tutto il teatro (3) présenté par L.
Chiavarelli. La version originale française aurait été d o n n é e par l'auteur
lui-même à Marinetti à l'époque où «Poesia» publiait des textes de J a r r y
ou de C h a r l o t t e . Marinetti renonça à mettre en scène la pièce car Jarry
exigeait q u e les acteurs soient nus, et il passa ce texte à B r a g a g l i a , qui
renonça à s o n tour. C e dernier en d o n n a la traduction à Chiavarelli qui la
publia d a n s s o n v o l u m e en 1974. M a i n t e n a n t , grâce à la mise en scène de
A . S a l i n e s , n o u s d é c o u v r o n s un texte rare et a s s i s t o n s à un s p e c t a c l e
aussi intéressant q u ' i n é d i t .
Pour des raisons d'ordre pratique, Salines réduit le n o m b r e effarant de
p e r s o n n a g e s prévu par J a r r y , le c a r d i n a l , l'industriel, le m é d e c i n , le savant
jouant le d o u b l e rôle d e s t é m o i n s - v o y e u r s et des prostituées au m o m e n t
de l'exploit du Surmâle ; de ce fait, Salines obtient un effet original au
point de v u e d r a m a t u r g i q u e . En plus le metteur en scène respecte la
c o n s i g n e de J a r r y : lors de la scène de l'exploit du Surmâle, qui se déroule
sur un ring, il montre les p r o t a g o n i s t e s a b s o l u m e n t nus. La pièce a
p r o v o q u é de n o m b r e u s e s protestations de la part du public, s o u v e n t
c h o q u é par la nudité du Surmâle qui arborait un é n o r m e pénis tricolore.
C o m m e le s p e c t a c l e n'était pas interdit aux mineurs, le m a l h e u r e u x
Surmâle a s o u v e n t dû rassurer les r e s p o n s a b l e s de l'ordre p u b l i c , prêts à
interdire la pièce et les c o n v a i n c r e d u sérieux du texte, de la moralité d e s
p r o p o s et d e s a c c o u t r e m e n t s .
A T u r i n , la c o m p a g n i e «U» («U» c o m m e Ubu) s'est attaquée à l'un des
textes les plus c o m p l e x e s de J a r r y : Faustroll (4). L'expérience qui pouvait
tourner au désastre, fut au contraire c o n c l u a n t e . Spécialement c o n ç u
pour les s u p e r b e s c a v e s voûtées du palais royal C a r i g a n o , le s p e c t a c l e se
76
En haut : une scène du
italien.
Surmâle
En bas, l'as du Dr Faustroll.
déroule d a n s les couloirs le long desquels s'ouvrent des salles aux
d i m e n s i o n s différentes ; t a n t ô t très v a s t e s , t a n t ô t étroites c o m m e des
cellules, c e s salles offrent une f o n c t i o n n a l i t é utile à une mise en scène
influencée par la t e c h n i q u e du d é c o u p a g e c i n é m a t o g r a p h i q u e .
Faustroll est un s p e c t a c l e - v o y a g e ; les s p e c t a t e u r s suivent ainsi leur
guide et visitent les îles et leurs rois ( G a u g u i n , K i d , Mallarmé) c o m p l é t a n t
leur tour auprès de l'Evêque M e n s o n g e r et Visitée.
A v a n t de c o m m e n c e r le v o y a g e , Faustroll vêtu d'un manteau noir —
p r o c h e parent d u c o m t e Dracula — chandelle verte à la m a i n , explique
aux visiteurs les mystères de la ' p a t a p h y s i q u e p r o n o n ç a n t les propres
mots de J a r r y . B o s s e - d e - N a g e , habillé en joueur de rugby (casque, épaules rembourrées, joues fardées en rouge et bleu, baskets dépareillées aux
pieds) suit le g r o u p e en faisant des b o n d s s i m i e s q u e s , pareil à un singe
qui imiterait H a r p o M a r x .
Le v o y a g e est a g r é m e n t é par la m u s i q u e : D e b u s s y , les Pink F l o y d s et
S t o c k h a u s e n mélangent j u d i c i e u s e m e n t leurs notes. L'initiation du
s p e c t a t e u r se termine par une c o m m u n i o n à base de f o n d a n t s sucrés, que
M e n s o n g e r distribue au public ; ensuite il s'attendrit sur «latente obscure»
dans les toilettes des c a v e s , assis sur un w a t e r - c l o s e t orné d ' u n e tête de
cheval en faïence b l a n c h e . Finalement le spectateur est a d m i s d a n s une
grande salle où se trouve le bateau de Faustroll. A l'intérieur de cette
m a g n i f i q u e s c u l p t u r e en bois, tous les p e r s o n n a g e s prennent place
auprès du d o c t e u r pour c o n t i n u e r leur v o y a g e dans la mort.
V o y o n s maintenant le s p e c t a c l e Ubu (5) de la Coopérative D a g g i d e (en
sicilien cela signifie le m a n n e q u i n utilisé pour provoquer le mauvais œil).
Le s p e c t a c l e est le résultat d ' u n long travail d'affinement à partir du texte
é'Ubu roi d o n t il ne garde à peine q u e les lignes essentielles : un roi bête
et m é c h a n t arrive au p o u v o i r d a n s une P o l o g n e m y t h i q u e et perd son
r o y a u m e en guerre. O n ne trouvera ici ni la «merdre», li les «oneilles» ni
les différentes torsions du nez, mais on trouvera intacte la v o l o n t é et la
capacité de p r o v o q u e r le s p e c t a t e u r . Les p e r s o n n a g e s sont des nains
m o n s t r u e u x q u e l'on croirait sortis du dessin de Jarry pour le théâtre des
pantins ; les acteurs jouent c o n s t a m m e n t à g e n o u x et leurs j a m b e s
disparaissent à l'intérieur d ' u n e boule gidouille. Les p e r s o n n a g e s roulent
sur scène p l u t ô t qu'ils ne m a r c h e n t , b o u g e n t c o m m e des marionnettes et
parlent a v e c d e s b o r b o r y g m e s , triturant le texte avec des voix de fausset.
Le s p e c t a c l e p r o p o s e une synthèse de tous les Pères U b u qui
o p p r e s s e n t notre vie q u o t i d i e n n e , situation théâtrale lisible à plusieurs
niveaux q u e le public perçoit parfaitement bien. S'il est vrai q u e d a n s cet
Ubu il reste très peu du texte originaire, il faut aussi souligner q u e B e p p e
R a n d a z z o a c o m p l è t e m e n t assimilé la leçon théâtrale de Jarry. O n peut
alors se d e m a n d e r si, parfois, la trahison d ' u n texte ne serait pas aussi une
manière de lui rendre la vie.
Brunella
ERULI
77
Notes
(1) Spostamenti
d'amore, C o m p a g n i a l ' A l b e r o , scénographie et mise en
scène : J u l i o Z u l o e t a . Interprètes : Gigi A n g e l i l l o , L u d d o v i v a M o d u g n o ,
Edda D e l l ' O r s o . R o m a , Teatro A l b e r i c o , N o v e m b r e 1978.
(2) Il Supermaschio,
Coopérative del T e a t r o Belli. M i s e en scène : A n t o n i o
Salines. Scènes et c o s t u m e s : Santi M i g n e c o . Interprètes : A n t o n i o
Salines, C a r o l a S t a g n a e r o . R o m a , Teatro Belli, N o v e m b r e 1978.
(3) A . J a r r y , Tutto il teatro. Introduction de J e a n - L o u i s Barrault,
traductions de L. Chiavarelli, L u c i a n a C r e p a x , Libero Barletta. R o m a ,
N e w t o n C o m p t o n , 1974.
(4) Faustroll-Jarry.
Viaggio in colabrodo.
Elaboration de V a l e r i a n o Gialli et
G i o r g i o L a n z a . T o r i n o , U n i o n e Cultúrale, 15 mai 1979.
(5) Ubu. Coopérative Teatro D a g g i d e . Réalisation collective de B e p p e
R a n d a z z o , G i o v a n n a B r a n c a t o , S a r a C a p i l l o , Raffa d ' A v e l l a . Imola, Teatro
C o m u n a l e , 9 avril 1979.
78
Youbou à Londres.
Voilà qui ne pouvait m a n q u e r d'être un é v é n e m e n t ! Créé au J e a n n e t t a
C o c h r a n e T h e a t e r (théâtre «fringe», le «off» londonien) par une troupe
que dirige Charlie D r a k e , figure anglaise du théâtre et de la télévision,
écrivain à ses heures, ce fut un Ubu bien singulier.
U b u ? Y o u b o u p l u t ô t , si c'est là le m o y e n de différencier celui de Jarry
et celui de S p i k e M i l l i g a n . C e dernier, considéré par b e a u c o u p (d'anglais?)
c o m m e un d e s g r a n d s écrivains d ' h u m o u r de s o n t e m p s , est le créateur
de n o m b r e u s e s pièces, des célèbres G o o n s h o w s et l'auteur du f a m e u x
Hitler... M y part in his do wn fait.
Très libre a d a p t a t i o n à'Ubu roi, sa pièce respecte les très g r a n d e s lignes
de l ' u b u e s q u e s a g a , mais c'est bien tout. O n est en droit de se d e m a n d e r
ce qui a pu p o u s s e r Milligan à se prévaloir d ' U b u ; l'anarchisme sans
d o u t e , mais cet Ubu-là ne d e v i e n d r a pas une «amplification en plus
éternel» de l'illustre m o d è l e ! C e t t e création se sera v o u l u e une fable sur
l'exercice d u p o u v o i r et t o u t particulièrement de celui des r e s p o n s a b l e s
syndicaux... A n a r c h i s m e oblige!
A l'issue d ' u n p r o l o g u e qui réunit d a n s une cuisine pavoisée de linge
h u m i d e t o u t e la famille — une famille anglaise «lower class» de nos jours,
coincée entre s o n téléviseur et da cuisinière, médiocre d a n s ses
o c c u p a t i o n s et s e s a m b i t i o n s — G l a d y s U b u incite s o n mari Fred, délégué
s y n d i c a l c h e z F o r d , à c h a n g e r leur destin : Pourquoi ne deviens-tu pas roi
de Pologne comme tous les autres hommes?
Fred quitte s o n univers
k i t c h e t t e s q u e et r e m o n t e le t e m p s (en a s c e n s e u r ! ) j u s q u ' a u seizième
siècle afin de c o n q u é r i r le t r ô n e (portable) de P o l o g n e . A v a n t de remonter
le t e m p s , U b u est entré d a n s l'histoire c o n t e m p o r a i n e ; c'est là une s o u r c e
de c o m i q u e , l'auteur et le m e t t e u r en scène, Charles M a r o w i t z , usant et
a b u s a n t d e l ' a n a c h r o n i s m e . Dès lors, il c o n v i e n t de parler de s p e c t a c l e
plus q u e de pièce, le p u b l i c s a v o u r a n t les uns après les autres les g a g s ,
jeux de scène et de m o t s (parfois éculés, s o u v e n t paillards), citations,
clins d ' œ i l , destinés à l ' a m u s e r , sans autre a m b i t i o n . Q u e l q u e s c h a n s o n s
a c c o m p a g n é e s au p i a n o , q u e l q u e s pas de d a n s e c o m p l è t e n t une
prestation l o u f o q u e et particulièrement irrévérencieuse tant Milligan
s ' e m p l o i e à mettre à m a l , a v e c quelle d é l e c t a t i o n , le p o u v o i r s y n d i c a l . . . Il y
a là les c h a n s o n n i e r s et les b r a n q u i g n o l l e s !
/9
P a r a d o x a l e m e n t , c'est de ce parti-pris c o m i q u e que provient la
faiblesse du s p e c t a c l e : avoir assigné à U b u une f o n c t i o n satirique, alors
que c h e z J a r r y , il est intransitivement bête et grotesque. Cet Ubu-là n'est
jamais q u ' i n s o l e n t à force d ' i n s o l e n c e s selon la tradition chansonnière,
mais il n'atteint à la radicale bêtise... Ce fut e f f r o n t é et arrogant mais pas
ubuesque.
L'affiche du s p e c t a c l e montre un U b u en pied qui tient de Falstaff ; il
plastronne d é d a i g n e u s e m e n t , vêtu du pourpoint et des culottes
bouffantes, une main à la h a n c h e , l'autre arborant une rapière, mais
chaussé de « D o c t o r Martens» (le très populaire b r o d e q u i n anglais) et
coiffé d ' u n e n t o n n o i r rehaussé d ' a u t r u c h e , parodiant ainsi l'aristocratique
dignité des portraits royaux du Titien ou des maîtres a n o n y m e s de la fin
du X V I e siècle... T o u t le s p e c t a c l e est d a n s cette initiale singerie.
Charlie D r a k e , a u t h e n t i q u e acteur c o m i q u e , se démène sans nous
c o n v a i n c r e qu'il tient d ' U b u . S a f a c o n d e au service de la satire que
Milligan e n t e n d mener fait s o u v e n t croire qu'il sait être un petit roi c o u a r d
et m é c h a n t c o m m e une teigne, mais il lui aura m a n q u é l'énormité.
Q u e dire de ce qui reste du V e r b e jarryque? Qu'il subsiste à l'état de
trace d a n s le très s y m b o l i q u e «Merdre» d e v e n u là-bas «Pppshittl».
Ce très libre U b u a pu étonner d o n c , tant sa portée est radicalement
différente de celui de J a r r y , c h e z qui il était, au dire m ê m e de l'écrivain le
double ignoble d a n s lequel le public aurait dû se reconnaître, alors q u ' i c i il
n'est plus q u e le héros d ' u n e satire sociale menée à c o u p de b o n s m o t s .
Cette création a m è n e , finalement, q u e l q u e s remarques :
— Faut-il être e n c o r e a u d a c i e u x pour m o n t e r Ubu p u i s q u e , n o u s l'avons
déjà dit, ce s p e c t a c l e a été d o n n é dans un théâtre en marge? Les n o m s de
S. Milligan et de C. Drake récusent l'idée de l'amateurisme nécessiteux
contraint de se loger «off ».
— S a n s perdre de vue que cette libre a d a p t a t i o n est signée M i l l i g a n , force
est de constater qu'elle s'intitule Ubu ; voilà qui pourrait relancer le vieux
débat sur la paternité des oeuvres et d e s modèles, tant il est vrai qu'il y a
ici, utilisation (manipulation?) à des fins peu jarryques.
— ... à m o i n s qu'Ubu ne soit cette pièce si d é m o d é e ou si c r e u s e qu'il ait
fallu lui administrer q u e l q u e adjuvant social m o d e r n e !
A j o u t o n s toutefois q u e la critique anglaise a fraîchement accueilli cette
création, la trouvant t a n t ô t «insipide», t a n t ô t «consternante», voire
«éculée». A c c u s e - t - e l l e Milligan d'avoir ajouté à sa bibliographie un
Jarry... My part in his Downfall ?
Bernard LE D O Z E
80
Charlie D R A K E en U b u anglais.
Société des A m i s d ' A l f r e d J a r r y
Statuts
A D O P T E S A L ' A S S E M B L E E G E N E R A L E D U 10 N O V E M B R E 1979
A R T I C L E 1er
Il est f o n d é entre les adhérents aux présents statuts une a s s o c i a t i o n
régie par la loi du 1er juillet 1901 et le décret du 16 août 1901, ayant pour
titre : Société d e s A m i s d ' A l f r e d J a r r y .
ARTICLE 2
Cette a s s o c i a t i o n a pour but de défendre et illustrer la vie, l'œuvre et
l'époque de l'écrivain A l f r e d J a r r y en France et à l'étranger par tous
m o y e n s existants et à venir. C h a q u e année, la Société décerne le prix
Alfred Jarry.
ARTICLE 3
Siège s o c i a l .
Le siège s o c i a l est fixé à P e n n e - d u - T a r n (Tarn).
Il pourra être transféré par simple décision du conseil d'administration ;
la ratification par l'assemblée générale sera nécessaire.
ARTICLE 4
L ' a s s o c i a t i o n se c o m p o s e de :
a) m e m b r e s du c o m i t é de p a t r o n a g e ,
b) m e m b r e s d ' h o n n e u r ,
c) m e m b r e s f o n d a t e u r s ,
d) m e m b r e s bienfaiteurs,
e) m e m b r e s actifs ou adhérents.
A R T I C L E 5. A d m i s s i o n .
Pour faire partie de l ' a s s o c i a t i o n , il faut être agréé par le bureau qui
statue, lors de c h a c u n e de ses réunions, sur les d e m a n d e s d ' a d m i s s i o n
présentées ; ratification de c h a q u e décision du bureau sera faite par le
bureau d ' a d m i n i s t r a t i o n .
A R T I C L E 6. Les m e m b r e s .
S o n t m e m b r e s d ' h o n n e u r , sur proposition du président et après vote
u n a n i m e du b u r e a u , c e u x qui ont rendu des services signalés à
l'association ; ils sont dispensés de c o t i s a t i o n s ; les m e m b r e s du c o m i t é
de p a t r o n a g e sont de droit m e m b r e s d ' h o n n e u r ;
S o n t m e m b r e s f o n d a t e u r s les p e r s o n n e s qui versent une cotisation
annuelle de quatre-vingts francs fixée c h a q u e année par l'assemblée
générale ;
S o n t m e m b r e s bienfaiteurs les p e r s o n n e s qui versent une cotisation
annuelle de cent francs fixée c h a q u e année par l'assemblée générale ;
S o n t m e m b r e s actifs ou adhérents c e u x qui ont pris l ' e n g a g e m e n t de
verser a n n u e l l e m e n t une s o m m e de c i n q u a n t e francs fixée c h a q u e année
par l'assemblée générale.
La c o t i s a t i o n d o n n e droit aux diverses publications de l'association
paraissant d a n s l'année de la c o t i s a t i o n .
T o u t e c o t i s a t i o n pourra être rachetée m o y e n n a n t le paiement d ' u n e
s o m m e m i n i m a égale à dix fois s o n m o n t a n t a n n u e l , sans q u e la s o m m e
globale puisse dépasser cent francs.
A R T I C L E 7. R A D I A T I O N S
La qualité de m e m b r e se perd par :
a) la démission ;
b) la radiation p r o n o n c é e par le conseil d'administration
pour
n o n - p a i e m e n t de la c o t i s a t i o n ou pour motif grave, l'intéressé ayant été
invité par lettre r e c o m m a n d é e à se présenter devant le bureau pour
fournir des e x p l i c a t i o n s ; il doit en être rendu c o m p t e à l'assemblée
générale.
ARTICLE 8
Les r e s s o u r c e s de l'association c o m p r e n n e n t :
1. - le m o n t a n t des c o t i s a t i o n s ;
2. - les s u b v e n t i o n s de l'Etat, des d é p a r t e m e n t s et d e s c o m m u n e s ;
3. - toutes autres r e s s o u r c e s c o n f o r m e s à s o n objet.
A R T I C L E 9. C o n s e i l d ' a d m i n i s t r a t i o n .
L ' a s s o c i a t i o n est dirigée par un conseil d'administration de huit
m e m b r e s , élus pour d e u x années par l'assemblée générale. Les m e m b r e s
sont rééligibles.
Le C o n s e i l d ' a d m i n i s t r a t i o n est renouvelé c h a q u e année par moitié
à partir de la d e u x i è m e année suivant la première assemblée générale,
année au c o u r s de laquelle les m e m b r e s sortants sont désignés par le sort;
ils s o n t rééligibles.
Le conseil choisit parmi ses m e m b r e s , au scrutin secret, un bureau
c o m p o s é de :
1. - un président ;
2. - un secrétaire ;
3. - un trésorier.
En c a s de v a c a n c e s , le conseil pourvoit
provisoirement
au
r e m p l a c e m e n t de ses m e m b r e s par c o o p t a t i o n . Les pouvoirs des
m e m b r e s ainsi c o o p t é s prennent fin à l'époque où devrait n o r m a l e m e n t
expirer le m a n d a t d e s m e m b r e s remplacés.
A R T I C L E 10. Réunion du C o n s e i l d ' a d m i n i s t r a t i o n .
Le C o n s e i l d ' a d m i n i s t r a t i o n se réunit une fois au moins tous les six
m o i s , sur c o n v o c a t i o n du président, ou sur la d e m a n d e de trois de ses
m e m b r e s sur un objet identique.
Les décisions sont prises à la majorité des voix ; en cas de partage, la
voix du président est p r é p o n d é r a n t e .
T o u t m e m b r e du conseil q u i , sans e x c u s e , n'aura pas assisté à trois
réunions c o n s é c u t i v e s , pourra être considéré c o m m e démissionnaire.
Nul ne peut faire partie d u conseil s'il n'est pas majeur.
A R T I C L E 11. Assemblée générale ordinaire.
L'assemblée générale ordinaire c o m p r e n d tous les m e m b r e s de
l'association à q u e l q u e titre qu'ils y soient affiliés. L'assemblée générale
ordinaire se réunit une fois c h a q u e année, au c o u r s du dernier trimestre
de l'année.
Q u i n z e jours au m o i n s avant la date fixée, les m e m b r e s de l'association
sont c o n v o q u é s par les s o i n s d u secrétaire. Les m e m b r e s de l'association
peuvent p r o p o s e r d e s q u e s t i o n s à inscrire à l'ordre du jour deux mois
avant la date fixée c h a q u e année pour l'assemblée générale. L'ordre du
jour est indiqué sur les c o n v o c a t i o n s ; il est s o u m i s à l'assemblée
générale.
Le président, assisté des m e m b r e s du c o n s e i l , préside l'assemblée et
e x p o s e la situation morale de l ' a s s o c i a t i o n .
Le trésorier rend c o m p t e de sa gestion et s o u m e t le bilan et le b u d g e t à
l'approbation de l'assemblée.
Il est p r o c é d é , après é p u i s e m e n t de l'ordre du jour, au r e m p l a c e m e n t ,
au scrutin s e c r e t , des m e m b r e s du conseil sortants.
Ne devront être traitées, lors de l'assemblée générale, que les q u e s t i o n s
s o u m i s e s à l'ordre du jour.
T o u t e décision de l'assemblée générale n'est valide que si elle atteint la
majorité des deux-tiers d e s m e m b r e s présents ou représentés.
A R T I C L E 12. A s s e m b l é e générale extraordinaire.
Si b e s o i n est, ou sur la d e m a n d e de la moitié plus un des m e m b r e s
inscrits, le président peut c o n v o q u e r une assemblée générale extradinaire, suivant les formalités prévues par l'article 11.
Les décisions de l'assemblée générale extraordinaire sont valides si
elles sont prises à la majorité des m e m b r e s présents ou représentés.
A R T I C L E 13. Règlement intérieur.
U n règlement intérieur peut être établi par le conseil d ' a d m i n i s t r a t i o n
qui le fait alors a p p r o u v e r par l'assemblée générale.
Ce règlement éventuel est destiné à fixer les divers points n o n prévus
par les statuts, n o t a m m e n t c e u x qui ont trait à l'administration interne de
l'association.
A R T I C L E 14. D i s s o l u t i o n .
En c a s de d i s s o l u t i o n p r o n o n c é e par les deux tiers au m o i n s d e s
m e m b r e s présents de l'association au c o u r s d ' u n e assemblée générale,
un ou plusieurs liquidateurs sont n o m m é s par celle-ci et l'actif, s'il y a lieu,
est d é v o l u , c o n f o r m é m e n t à l'article 9 de la loi du 1er juillet 1901 et au
décret du 16 août 1901, à la Bibliothèque J a c q u e s D o u c e t de l'Université
de Paris o u , en c a s de refus de celle-ci, à toute autre institution à but n o n lucratif c h o i s i e par le conseil d ' a d m i n i s t r a t i o n .

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